Extinction Rebellion (XR) organise régulièrement de brèves actions de «rébellion internationale», dans un certain nombre de villes du monde. Il peut s’agir de manifestations, d’occupation de carrefours routiers, de l’arrestation et, généralement, de monter des opérations spectaculaires dans des lieux publics pour faire connaître l’état critique dans lequel se trouve l’écologie à l’échelle mondiale.
Les réactions aux actions de XR ont été mitigées. Ainsi, les médias s’accordent à dire qu’Extinction Rebellion attire l’attention sur d’importants sujets, mais désapprouvent leur façon de faire. Extinction Rebellion bénéficie également d’un soutien sans faille de la part de célébrités et de gauchistes. Le Socialist Workers Party (trotskyste) encense "les personnes bravant les arrestations et les attaques médiatiques avec des démonstrations brillantes de créativité et de résistance". "Ils suscitent des demandes pour une transformation radicale de la société et créent un espace de luttes pour cela."
Leur publication Commun Sense paraît s’opposer en paroles à ce qu’il appelle « les réformistes » : «Ils offrent des solutions gradualistes qui, selon eux, fonctionneront... Ils cherchent donc à dévoyer l'opinion populaire et à détourner l’attention et l’énergie du public de la tâche à accomplir : entreprendre une action collective radicale contre le régime politique qui planifie notre suicide collectif. " Ainsi XR pense que toutes les autres questions sociales doivent être suspendues jusqu'à ce que le capitalisme s'engage à affronter directement «l'urgence climatique». La préoccupation centrale de XR est l'environnement et la possibilité que l'État capitaliste puisse empêcher l'éco-génocide par l’imposition de taxes et de tarifs ou encore le bannissement de technologies nuisibles. En théorie et en pratique, ils cherchent à polariser l'attention sur l'écologie en tant que problème particulier et occultent l’existence du capitalisme en tant que système mondial qui donne lieu à la guerre impérialiste aussi bien qu'à la déprédation écologique.
L'approche de XR envers l'appareil répressif de l'État capitaliste est un bon exemple de ce qu’il incarne dans la pratique. Selon Common Sense, «une approche ‘positive active’ envers la police est un moyen efficace de permettre une désobéissance civile de masse dans le contexte actuel. Cela consiste à rencontrer la police dès son arrivée sur les lieux en lui disant clairement deux choses : « il s'agit ici d'une action pacifique non violente » et "nous respectons le fait que vous devez faire votre travail ». Nous avons rapporté maintes fois des preuves que cela apaisait les policiers, ouvrant ainsi la voie à des échanges ultérieures y compris dans les commissariats. » XR se targue d'être raisonnable et coopératif´ : "Souvent, une rencontre directe avec la police est efficace car celle-ci est capable de comprendre que les personnes auxquelles elle a affaire sont des personnes raisonnables et avec lesquelles on peut communiquer." XR ne voit donc aucun problème dans la gestion des « événements XR » par la police : "Il vaut mieux que la police gère ainsi un épisode ordonné et peu coûteux qui est tout à fait compatible avec notre intérêt à ce qu'un grand nombre de personnes participent à un acte hautement symbolique et dramatique." Du point de vue de la classe dirigeante, les XR ne sont pas considérés comme une menace pour ceux qui sont au pouvoir, mais plutôt comme un obstacle occasionnel au trafic.
Certes, les dirigeants de XR ne voient pas non plus la police comme une menace ; au contraire, les forces de répression et les multiples arrestations sont utilisées afin de renforcer l'impact publicitaire de XR. L'expérience historique des exploités et des opprimés montre que la police, avec les tribunaux, les prisons, les services de sécurité et l'armée, font partie intégrante de l'appareil de répression de l'État capitaliste. Ils n'existent que pour défendre les institutions de la classe dirigeante, dans l'intérêt de la bourgeoisie exploiteuse. Tout ce qui menace l'ordre capitaliste sera combattu par la force de l'État, en particulier par la police.
XR prétend être le défenseur d'une sorte de « révolution », tout en mettant en avant qu ' « une poursuite dogmatique de modèles révolutionnaires discrédités peut être socialement ruineuse». Son cofondateur Hallam est si confiant que la «planification» de XR est la clé de voûte de « sa lutte » qu’il affirme que, sans elle, «nous nous retrouvons avec des soulèvements spontanés et incontrôlés (…) dont les expériences ont démontré qu’elles aboutissent généralement à des résultats autoritaires et à une guerre civile». Hallam répète un mantra capitaliste de base, l'idée selon laquelle les révolutions conduisent à des régimes autoritaires et / ou au chaos social. Contre cela, les marxistes ont toujours montré que la seule force révolutionnaire dans la société capitaliste est la classe ouvrière, et qu’une révolution prolétarienne est le seul processus qui puisse renverser l'État capitaliste. Common Sense a une toute autre vision du monde.
Il existe un certain nombre d'éléments différents qui font partie de la conception exprimée par XR sur « rébellion ». Hallam déclare que "Le dossier historique montre que les " épisodes de résistance civile réussis durent entre trois et six mois" ou encore que "l'acte le plus efficace de désobéissance civile de masse est d'avoir un nombre important de personnes (au moins 5 000 à 10 000 au départ) qui occupent des espaces publics dans une capitale de plusieurs jours à plusieurs semaines. » Tout cela va de pair avec l’idée qu’"1% de la population générale dirigera le soulèvement." L'un des 10 principes de base de XR se concentre sur "la mobilisation de 3,5% de la population pour réaliser un changement de système". En réalité, la société capitaliste a plongé l'humanité dans une impasse meurtrière et il n'y a pas d'autre issue qu’une mobilisation massive et radicale de la classe exploitée et le changement le plus gigantesque de la conscience qu’ait connu l'histoire humaine. Ne compter que sur une petite minorité pour mener à bien cette tâche se moque de l'énorme défi auquel est confrontée la classe ouvrière.
XR est totalement à l'aise avec les institutions de la domination bourgeoise. ils avaient en effet pris position lors des élections européennes de 2019. Bien évidemment, ils prétendaient ne pas être un parti politique, mais ils étaient ravis de se tenir aux côtés de tous les autres politiciens bourgeois vendant leurs marchandises idéologiques, avec la propagande sur le climat qui s’intégrait au nationalisme, au populisme, au racisme, au stalinisme et à toutes les autres mystifications bourgeoises. À différentes reprises, Common Sense a proposé effectivement divers organismes qui pourraient participer au «changement social». Par exemple, il y a l'idée d'une «Assemblée nationale des citoyens sélectionnée par tirage au sort pour élaborer le programme de mesures afin de faire face à la crise. Il est représentatif de la composition démographique du pays. » Une chose que le gouvernement conservateur du Royaume-Uni lui-même préconise. Des lettres ont été envoyées à 30 000 ménages à travers le Royaume-Uni invitant ces derniers à se regrouper en une assemblée de citoyens sur le changement climatique. Mais ces propositions ne sauraient constituer une base pour le «changement de la société» puisqu’elles sont parfaitement en harmonie avec les autres institutions de la démocratie bourgeoise. De telles assemblées inoffensives contrastent avec les assemblées et conseils créés par la classe ouvrière au cours de son histoire dans le but de défendre ses intérêts, et qui ont seuls, en définitive, la capacité de renverser le capitalisme.
Pour prendre des décisions responsables, nous n'avons pas besoin de délégués choisis de manière aléatoire dans l’ensemble de la population. Les prolétaires qui luttent contre ce système ont besoin de délégués qui ont des idées claires, qui sont une émanation de la conviction et de l’orientation à donner pour s'attaquer aux racines des mécanismes destructeurs du capitalisme. Nous ne pouvons pas remettre notre destin entre les mains d'une sélection de délégués tirés au sort : nous devons pouvoir faire confiance à des délegués élus et révocables à tout moment par les conseils pour défendre vraiment nos intérêts. En outre, comme ces délégués ne peuvent fonctionner que comme l'expression d'une classe en mouvement, de véritables conseils ouvriers peuvent créer un «rapport de force» qui repousse les attaques de la classe dirigeante et préparer le terrain pour son renversement.
Parmi les autres propositions de Hallam, figurent des assemblées populaires qui discuteront des questions écologiques. Contrairement à l'auto-organisation de la classe ouvrière et à la discussion au sein d'une classe associée, dans les assemblées de Hallam, "des experts du monde entier peuvent aider à former des facilitateurs et à produire des ordres du jour." Nous sommes ici en présence d’organes dirigés par des «experts», des « élites » pour former des «facilitateurs» et fixer des ordres du jour, sans intention de menacer l'ordre existant.
Alors que XR prétend vouloir changer la société, en réalité tout son projet reste dans les limites de ce système et vise à assurer sa préservation. Il ne veut pas renverser l'appareil de la démocratie capitaliste. Fondamentalement, la liste des éco-demandes de XR est tout à fait envisageable dans le cadre de l’Etat-nation et dans le système social actuel. Il s’agit seulement de faire avaler la mystification selon laquelle malgré la «corruption» du système politique, la «classe politique» est capable de négocier et de démanteler tout ce qui est nuisible à l'environnement.
Dans Common Sense, il y a beaucoup de conseils sur la façon d'aborder les médias. Implicitement, tout au long de sa brochure, émerge un sens des valeurs. Il y est affirmé que "des mots comme l'honneur, le devoir, la tradition, la nation et l'héritage doivent être utilisés à chaque occasion." Nous pouvons y lire comment utiliser "les discours de Martin Luther King comme un excellent exemple de la façon de récupérer les cadres de la fierté nationale." Depuis sa fondation en avril 2018, XR s'est propagé depuis Royaume-Uni jusqu’à un certain nombre d'autres pays. Mais bien qu'il ait une présence internationale, ses perspectives sont liées à l'État-nation, cadre du capitalisme, car XR ne voit aucun problème de revendiquer «une fierté nationale». Au contraire, il est pleinement favorable à la renaissance de valeurs telle que la fierté nationale, qui fait partie intégrante de l'idéologie bourgeoise.
Il y a une inquiétude généralisée, en particulier chez les jeunes, sur l'état de la planète, mais aussi une volonté de réagir contre le futur proposé par le capitalisme. Cependant XR fournit une idéologie et un calendrier de manifestations visant à récupérer ces préoccupations et les énergies militantes afin de les mener sur un terrain inoffensif pour le capitalisme et le déclin environnemental. Comme avec la propagande des partis verts au cours des 40 dernières années, ou comme les campagnes plus récentes autour de Greta Thunberg, c'est un mensonge dangereux de prétendre que le capitalisme peut s'attaquer à l'état de l'environnement.
Toutes les preuves montrent que, loin de réagir, le capitalisme montre des signes de plus en plus manifestes de sa propension à entraîner toute l’humanité dans la destruction. Les intérêts de la classe ouvrière sont antagonistes au capital et ne peuvent être satisfaits au sein de cette société. L'état de la planète Terre ne peut être amélioré que par le renversement du capitalisme par le prolétariat. Cela ne peut pas être accompli par une minorité, quelle que soit sa détermination. Cela nécessite une conscience politique qui dépasse largement la préoccupation des problèmes environnementaux. Le temps n'est pas du côté de la classe ouvrière, mais les actions de campagnes comme celles de XR prolongent activement la vie du système capitaliste.
Une réponse commune des écologistes radicaux à ceux qui insistent sur le fait que seule la révolution mondiale peut surmonter les problèmes posés par le capitalisme est : nous n'avons pas le temps pour cela. Mais l'idéologie de XR, comme d’autres mouvements «radicaux» similaires, agit précisément comme un moyen de canaliser les préoccupations concernant l'environnement dans des impasses bourgeoises, elle constitue en définitive un frein réel au développement de la conscience de classe et donc au potentiel d'une révolution authentiquement prolétarienne.
Barrow, janvier 2020
L’émergence de ce nouveau virus et la réaction de la bourgeoisie montrent à quel point le développement des forces productives se heurte à la mort et à la destruction causées par le capitalisme. Ainsi, alors que la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale, elle a été lourdement frappée par une épidémie virale. Alors que la science médicale progresse, le capitalisme ne peut protéger sa population des maladies, pas plus qu’il ne peut le faire contre la crise économique, la guerre ou la pollution.
Le Covid-19 est l’une des nombreuses nouvelles maladies infectieuses qui ont fait leur apparition, en particulier au cours des cinquante dernières années, avec notamment le VIH (SIDA), Ebola, le SRAS, le MERS, la fièvre de Lassa, le Zika. Comme tant de nouvelles maladies liées aux changements provoqués par le capitalisme aujourd’hui, le Covid-19 est une infection virale d’origine animale qui a migré d’une espèce à l’autre, infectant les gens en se propageant très rapidement. Nous avons des chaînes d’approvisionnement et une urbanisation de plus en plus globales : pour la première fois dans l’histoire, la majorité de la population mondiale vit dans des villes, souvent entassée avec des infrastructures d’hygiène inadéquates. Comme en Chine, de nombreux travailleurs ne sont pas seulement concentrés dans les villes mais aussi dans des dortoirs d’usine surpeuplés, comme les travailleurs de Foxconn qui vivent à huit dans une pièce. Dans un tel contexte, l’utilisation de viande d’animaux sauvages, comme à Wuhan, où probablement un marché illégal de ces animaux sauvages a éte la source de la nouvelle infection, le risque s’avère très élevé. En outre, la destruction de l’environnement et les effets du changement climatique poussent de plus en plus d’animaux, à la recherche de nourriture, vers les villes. Ces dernières, déjà surpeuplées, sont un terrain propice aux épidémies, comme le montre l’exemple de Wuhan. De plus, le développement considérable des liens internationaux favorise la transmission à l’étranger.
Ces conditions sont bel et bien le résultat du capitalisme décadent qui est poussé à perturber et à polluer chaque coin de la planète pour faire face à sa crise de surproduction. L’impact destructeur de son expansion mondiale avait déjà été clairement démontrée lors de la Première Guerre mondiale, signe de son de déclin historique. Dès la fin de la guerre, la pandémie mortelle de grippe espagnole surgissait, infectant environ un tiers de la population mondiale, tuant plus de 50 millions de personnes en trois phases successives. Le taux de mortalité très élevé était lié aux conditions de la guerre impérialiste, notamment à cause de la faim, de la malnutrition, du manque d’hygiène et du déplacement des soldats malades dans les tranchées, ce qui a fait de ce virus un agent pathogène particulièrement mortel.
Plus récemment, le VIH a tué 32 millions de personnes, principalement en Afrique, et il est désormais devenu endémique. Malgré les progrès médicaux qui ont fait du VIH une maladie chronique au lieu d’une maladie mortelle, le SIDA a tué 770 000 personnes en 2018 [1] en raison du manque d’accès aux soins. De nombreuses autres maladies que la science médicale peut prévenir, continuent de provoquer des pathologies et des décès. Nous entendons parler des cas de rougeole aux États-Unis, peut-être à Samoa, et de l’importance de l’immunisation pour prévenir sa transmission. Mais les médias restent muets sur les quelque 300 000 cas de cette maladie en République démocratique du Congo, (RDC) où près de 6 000 enfants sont morts, et où des établissements de soins délabrés tentent également de faire face au virus Ebola. Ces décès ne présentent pas un grand intérêt pour la classe dirigeante car, contrairement à la pandémie de grippe porcine de 2009 ou à l’actuelle épidémie de Covid-19 en Chine, ils ne menacent pas sa production, ses échanges et ses profits dans la même mesure. Cependant, le capitalisme est responsable des conditions qui donnent naissance à ces épidémies : dans ce cas africain, celui d’une région instable, produit du découpage du continent par les puissances impérialistes européennes, constamment ravagé par des luttes pour ses ressources naturelles (or, diamants, pétrole et cobalt) et qui ont déjà fait des millions de morts, 50 % des exportations de la RDC sont destinées à la Chine. C’est un exemple particulièrement frappant de ce que nous entendons par la décomposition du capitalisme, période pendant laquelle la classe dirigeante n’a pas suffisamment de contrôle pour apporter autre chose aux populations, en plus d’une misère croissante, que des guerres toujours plus chaotiques. (1)
La persistance de la polio est également directement liée à la décomposition, lorsque les combats ou le fondamentalisme empêchent l’immunisation, les travailleurs de la santé étant assassinés par des djihadistes, comme par exemple au Pakistan. Toute médiatisation à ce sujet est totalement hypocrite. Les grandes puissances qui condamnent cela sont parfaitement disposées à utiliser des mercenaires et des terroristes – comme l’Occident a utilisé les moudjahidines en Afghanistan contre les Russes dans les années 1980 et depuis lors dans de nombreux autres conflits. En fait, la montée du terrorisme est une caractéristique des conflits impérialistes en période de décomposition.
En attendant, loin de pouvoir financer la santé ou l’éducation, les dépenses mondiales du capitalisme ne peuvent que se consacrer à la défense : en 2019 ces dépenses militaires ont augmenté de 4 % par rapport à 2018. Pour les États-Unis et la Chine, elles ont augmenté de plus de 6 % et pour l’Allemagne de plus de 9 %. Pour donner une idée des priorités effrayantes de la bourgeoisie, alors que le budget du CDC (en français, le Centre de Contrôle des Maladies) aux États-Unis a été réduit, passant de 10,8 milliards de dollars en 2010 à 6,6 milliards de dollars en 2020, les États-Unis viennent de voter un budget de réarmement de 738 milliards de dollars. Le budget annuel de la Chine pour la défense est estimé à 250 milliards de dollars. Le budget de l’OMS n’était que de 5,1 milliards de dollars en 2016-2017.
De nombreuses maladies causent actuellement plus de décès que le Covid-19, mais la bourgeoisie prend cette menace au sérieux, comme elle le fait pour chaque nouvelle maladie susceptible de devenir une pandémie et donc de menacer davantage sa productivité et ses profits, par exemple avec des absences accrues pour cause de maladie – ce que nous constatons avec ce nouveau virus en Chine – ainsi que par des menaces pour la santé et les vies humaines. De nombreux aspects de la maladie peuvent contribuer à son potentiel pandémique – l’infectiosité, la nature de la maladie. Il est significatif qu’elle soit apparue dans une grande ville de 11 millions d’habitants, dans un pays qui est désormais fortement connecté au niveau international pour le commerce et le tourisme, ce qui rend beaucoup plus difficile la maîtrise de la propagation du virus. Plus difficile à contenir que s’il était apparu, comme le virus Ebola, en Afrique avec beaucoup moins de possibilités de voyages à l’étranger, ou s’il était apparu en 2003, comme l’épidémie de SRAS, lorsque l’économie et les connexions de la Chine étaient plus réduites.
Une grande partie de la réponse initiale de l’État chinois à ce nouveau virus a été marquée par une négligence criminelle et un manque de scrupules. Alors qu’elles avaient déjà obtenu le 26 décembre des données génétiques préliminaires indiquant un virus de type SRAS, les autorités chinoises harcelaient le Dr Li Wenliang « coupable » d’avoir voulu avertir du danger encouru le 30 décembre. Dans le même temps, elles mettaient en garde l’OMS contre le virus. Néanmoins, les autorités de Wuhan ont continué à étouffer l’information sur l’épidémie, organisant un énorme repas communal et une danse du Nouvel An lunaire les 18 et 19 janvier, en prétendant qu’elle ne se transmettait pas de personne à personne, avant de fermer la ville le 23 janvier, alors que 5 millions de personnes, soit près de la moitié de la population, étaient déjà parties en voyage pour les vacances du Nouvel An.
Tout cela a suscité une énorme colère au sein de la population, exaspérée que le gouvernement cache les dangers de la maladie au public et fasse signer à un médecin de faux aveux pour avoir « répandu des rumeurs » en mettant en garde les autorités. Cela a engendré une campagne démocratique pour la liberté d’expression en Chine. Les médias et les politiciens des pays occidentaux se sont fait l’écho de cette campagne par des sermons sur les bienfaits de la démocratie et de la liberté d’expression. Cependant, nous ne devons pas penser un seul instant que notre propre classe dirigeante a de plus grands scrupules moraux à mentir et à dissimuler des informations quand cela l’arrange, même si cela met la vie humaine en danger. Les sociétés pharmaceutiques suppriment les essais cliniques qui mettent leurs profits en danger, même si cela signifie ne pas avertir que certains antidépresseurs présentent un risque de suicide accru pour les adolescents et les jeunes adultes (voir Bad Pharma de Ben Goldacre, un livre consacré à la dénociation de cette malhonnêteté). Et n’oublions pas par ailleurs que les gouvernements américain et britannique ont tristement menti sur les armes de destruction massive pour justifier l’invasion de l’Irak en 2003.
L’État chinois a cyniquement placé de sang-froid son souci de préserver son autorité bien au dessus de la préoccupation de la santé et de la vie de la population, cela, aggravé par la rigidité de sa bureaucratie stalinienne, l’a conduit à vouloir passer sous silence et étouffer au maximum à ses débuts l’information sur l’épidémie alors qu’il fallait agir à temps pour réduire et ralentir la propagation du virus. Cela montre la brutalité du régime qui ne tient guère compte de la vie humaine, mais aussi son irrationalité, car une action opportune en réponse à l’épidémie aurait non seulement permis de sauver des vies, mais même d’éviter une grande partie des pertes subies par son économie et une grande partie des dommages causés au prestige de la Chine en tant que puissance impérialiste mondiale montante avec son ambitieuse initiative des « routes de la soie ». Cette irrationalité du régime chinois dans sa réponse à l’épidémie est liée à sa paranoïa face à toute perte de pouvoir ou de contrôle, une paranoïa qui se manifeste dans ses grands camps de travail et de “rééducation” pour les Ouïgours et autres, par son penchant obsessionnel pour la technologie de reconnaissance faciale et son système de Crédit Social pour maintenir la population dans le « droit chemin ». Pour préserver son autorité, elle ose nier la reálité des faits eux-mêmes.
Mettre en quarantaine une ville de 11 millions d’habitants en bloquant tous les moyens de transport et en mettant en place des barrages routiers est une première. Le fait de le faire après que la moitié de la population ait été autorisée à partir aggrave la situation. La construction de deux nouveaux hôpitaux pour accueillir 2 600 patients supplémentaires en 10 jours est un impressionnant travail de propagande, et même une prouesse d’ingénierie préfabriquée (même s’ils n’étaient finalement pas prêts à temps). Mais l’équipement, les médecins et les infirmières nécessaires n’ont pas été fournis – même avec des médecins de l’armée et des volontaires d’autres régions. Les hôpitaux de Wuhan ont été débordés, tout comme les centres de quarantaine équipés de 10 000 lits. Les malades atteints de coronavirus ne peuvent pas entrer dans les centres de quarantaine et encore moins dans les hôpitaux. Les patients atteints d’autres maladies, notamment le cancer, ne peuvent pas être traités à l’hôpital, car tous les lits sont occupés. Les patients malades et mourants dans les centres de quarantaine ne bénéficient d’aucun soin infirmier. Les centres de quarantaine comptent des centaines de personnes entassées dans des lits ou sur des matelas à même le sol, portant des masques de protection en papier d’une efficacité plus que douteuse, avec des toilettes et des installations sanitaires inadéquates, parfois des toilettes et des douches portables à l’extérieur. Il est bien évident que toute personne entrant dans un centre de quarantaine sans Covid-19 l’attrapera rapidement. Les personnes soupçonnées d’être porteuses du virus ont été emmenées de force dans des centres de quarantaine – un garçon handicapé est mort de faim après que les parents sur lesquels il comptait ont été emmenés. Il s’agit là au moins autant d’une mesure de répression policière que d’une mesure sanitaire.
Rassembler les gens dans des centres de quarantaine qui ne peuvent que devenir des centres de transmission du virus rappelle les hôpitaux pour pauvres jusqu’au 19e siècle en Europe qui étaient également des sources d’infection (par exemple l’augmentation de la mortalité maternelle due à la fièvre puerpérale du 17e au 19e siècle avant que l’on comprenne la nécessité de l’hygiène).
Les équipements font défaut, notamment les vêtements de protection pour le personnel hospitalier ; les médecins et les infirmières travaillent de très longues heures, ce qui les rend plus vulnérables aux maladies. 1700 d’entre eux ont été infectés et 6 sont morts.
Dans ces circonstances, il est clair que de nombreux patients sur le point de mourir auraient pu être sauvés grâce à des soins médicaux adéquats. Il semble que le taux de mortalité du Covid-19 soit plus de deux fois supérieur à Wuhan qu’ailleurs pour cette raison. Cependant, que les autorités chinoises continuent ou non à mentir sur le nombre de personnes infectées, les chiffres sont suspects car tous les cas ne peuvent être confirmés. C’est pourquoi le nombre de cas signalés à Wuhan a atteint un sommet le 11 février, lorsque les cas diagnostiqués cliniquement – sans test – ont été inclus, portant le total des cas enregistrés à plus de 60 000.
Il n’y a pas qu’en Chine que les chiffres relatifs aux maladies sont susceptibles d’être imprécis. Contrairement à Singapour, un pays préparé à une épidémie depuis le SRAS en 2003, de nombreux autres pays plus pauvres ne sont pas préparés. « Tout pays qui a de nombreux voyages aller-retour avec la Chine et qui n’a pas trouvé de cas devrait s’inquiéter », déclare un professeur d’épidémiologie de Harvard. (2) L’Indonésie, par exemple, a évacué 238 citoyens de Wuhan et les a mis en quarantaine pendant deux semaines, mais n’a pas effectué de test pour la maladie parce que c’est trop cher. Qu’en est-il du commerce africain de la Chine et de ses clients pour la nouvelle route de la soie ? Il y aura de nombreux endroits qui ne disposeront pas des infrastructures sanitaires nécessaires pour diagnostiquer et soigner les patients atteints du virus.
Ce qui est impressionnant, c’est que le nouveau virus a été séquencé dès le 12 janvier. Dans la foulée, la Coalition pour l’Innovation en matière de Préparation aux Epidémies (CEPI en anglais), créée en 2017 après l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, travaille à la mise au point d’un vaccin, dans l’espoir que celui-ci puisse être prêt si Covid-19 se répand, et en particulier s’il devient une maladie saisonnière comme la grippe. En fait, au moment où nous écrivons cet article, des travaux sur le vaccin sont en cours, utilisant une nouvelle méthode basée sur le séquençage des gènes, qui est plus sûre que de travailler avec un virus mortel, et a déjà accéléré la production de vaccins pour le Zika, Ebola, le SRAS et le MERS. Bien entendu, il faudra procéder à des tests de sécurité et d’efficacité avant de pouvoir l’utiliser, ce qui prendra du temps.
Cependant, ce potentiel impressionnant issu des forces productives n’est pas la fin de l’histoire. Il manque d’usines pour produire suffisamment de vaccins, et comme avec le risque de pandémie les gouvernements n’exporteront pas de vaccin tant qu’ils n’en auront pas stocké suffisamment pour leur propre usage « en invoquant la défense ou la sécurité nationale", (3) le CEPI doit prévoir de le fabriquer sur plusieurs sites.
L’économie de la Chine s’est arrêtée, car elle s’est refermée pour contenir le nouveau virus. En réaction, elle injecte de l’argent dans l’économie, le régulateur bancaire assouplit les règles sur les créances douteuses. Cependant, la Chine est désormais responsable de 16 % du PIB mondial, soit quatre fois plus qu’en 2003, au moment de l’épidémie de SRAS qui a amputé de 1 % de son PIB pour l’année. Son économie est beaucoup plus intégrée dans les chaînes d’approvisionnement mondiales qu’il y a 17 ans. Cela a déjà obligé Hyundai à fermer des usines automobiles en Corée du Sud, Nissan à en fermer une au Japon et Fiat-Chrysler à avertir qu’elle pourrait fermer une partie de sa production européenne. La production de smartphones pourrait baisser de 10 % cette année. Les textiles (la Chine produit 40 % des exportations mondiales), les meubles et les produits pharmaceutiques pourraient tous être touchés. Tout comme le tourisme. Et la Chine représente aujourd’hui près de 20 % des importations minières mondiales et tente d’annuler les livraisons de pétrole, de gaz et de charbon dont elle n’a pas besoin. Les actions des entreprises américaines fortement exposées aux ventes chinoises sont moins performantes de 5 %. La guerre commerciale avec les États-Unis n’étant pas résolue, le moment est mal venu – pour la Chine et l’économie mondiale.
À plus long terme, la Chine pourrait devenir un partenaire commercial moins fiable pour les multinationales qui souhaitent y investir. Cela la fait certainement passer pour un partenaire commercial et un bailleur de fonds impérialiste moins puissant pour ses clients sur la Nouvelle route de la soie. Cela peut dépendre de la rapidité avec laquelle elle peut ramener son économie à flots.
Quoi qu’il arrive avec ce nouveau virus du Covid-19, qu’il devienne une nouvelle pandémie, qu’il s’éteigne comme le SRAS, ou qu’il s’établisse comme un nouveau virus respiratoire saisonnier, cette nouvelle maladie est un nouvel avertissement que le capitalisme est devenu un danger pour l’humanité, et pour la vie sur cette planète. L’énorme capacité des forces productives, y compris la science médicale à nous protéger des maladies se heurte à la recherche meurtrière du profit, à l’entassement d’une proportion toujours plus grande de la population dans des villes immenses, avec tous les risques de nouvelles épidémies. La menace du capitalisme ne s’arrête pas là, il y a aussi les risques de pollution, de destruction écologique et de guerres impérialistes de plus en plus chaotiques.
Alex, 15 février 2020
1 Voir les “Thèses sur la décomposition [2]”.
2 D’après The Economist du 15 février 2020.
3 The Economist, 8 février 2020.
L’élection, à une large majorité, de Boris Johnson par le Parti conservateur (Tories) a mis fin à plusieurs mois d’impasse parlementaire et a entraîné le départ officiel du Royaume-Uni de l’Union Européenne (UE), le 31 janvier. Cet événement semble marquer une rupture décisive avec la crise politique qui a agité la classe dirigeante britannique ces dernières années. Un simple procédé a permis de mettre fin à cette paralysie politique : le parti travailliste (Labour) et les autres partis d’opposition ont accepté la tenue de nouvelles élections générales en décembre 2019 ; les conservateurs ont fait campagne avec un unique slogan : “Get Brexit Done” (“Que l’on fasse le Brexit et que l’on en finisse”) ; l’électorat s’est entassé dans les isoloirs et, lassé des années de disputes sur le Brexit, a dégagé une majorité sans équivoque pour les conservateurs, en dépit de l’austérité imposée durant la dernière décennie.
Le capital britannique a quitté l’UE mais les contradictions sociales qui ont engendré la profonde crise politique qui a secoué la classe dirigeante ces dernières années ne se sont pas évaporées. Au niveau international, l’approfondissement des contradictions et de la crise économique, depuis plus de 50 ans, a conduit à une situation de tensions économiques aiguës entre les principales puissances capitalistes. Les États-Unis, la Chine et l’UE sont tous engagés dans des guerres commerciales de plus en plus à couteaux tirés. Les États-Unis, confrontés à leurs concurrents et à leur propre manque de compétitivité, utilisent tous les moyens pour saper leurs rivaux. Au niveau impérialiste, l’effondrement du bloc de l’Est n’a pas conduit aux promesses d’un “nouvel ordre mondial”, mais à un chaos sanglant. L’impasse sociale engendrée par le blocage du rapport de force entre la bourgeoisie et le prolétariat signifie que les contradictions économiques, sociales et politiques d’un capitalisme moribond sont quotidiennement exacerbées. Avec l’approfondissement de ce phénomène de décomposition, la bourgeoisie a également de plus en plus de difficulté à contrôler son appareil politique.
Des entrailles de ce système en décomposition est né le populisme, expression du désespoir, de la frustration et de la colère générés par la crise du capitalisme, à laquelle les partis politiques traditionnels semblent ne pas avoir de réponse et que les populistes sont capables d’exploiter et de manipuler. Les politiciens populistes ont de mirifiques projets de dépenses non chiffrées pour l’économie nationale, mais ils cherchent surtout à jeter en pâture des boucs émissaires : les immigrants, l’Islam, l’Union européenne, tout comme l’ “élite” qui a ignoré les besoins de la population “autochtone”.
La victoire de Boris Johnson ne résoudra pas les problèmes du capitalisme britannique. Elle marque au contraire le point culminant d’un assaut idéologique contre la classe ouvrière où tout se réduit à la question de la sortie ou du maintien au sein de l’UE, d’un accord ou non, d’un Brexit dur ou modéré. Toutes ces questions ont été prétendument résolues par le référendum de 2016 ou définitivement résolues par les élections générales de 2019.
La bourgeoisie veut convaincre la classe ouvrière que le vote compte vraiment, qu’elle peut faire entendre sa “voix” dans la démocratie bourgeoise. L’opération de séduction que Johnson exerce à l’égard de certaines parties de la classe ouvrière dans les régions marquées par la désindustrialisation, comme le Nord de l’Angleterre et les Midlands, est censée renforcer cette illusion. La classe ouvrière semble être de nouveau à la mode aux yeux des principaux partis politiques, après avoir cherché pendant des années à faire croire qu’elle n’existait plus, tout en attaquant brutalement ses conditions de vies.
Le parti conservateur de Theresa May s’enlisait au Parlement et déclinait dans les sondages. Mais dès que Johnson a pris le relais, les sondages n’ont cessé de grimper jusqu’aux élections. L’élection n’a pas été remportée par les Tories mais par une combinaison de politiques à la fois contradictoires et incompréhensibles des travaillistes, et par le pragmatisme de Johnson et de son entourage, en particulier de Dominic Cummings, son principal conseiller. Sans Johnson, le parti conservateur n’aurait pas gagné. La bourgeoisie britannique en est réduite à compter sur un arriviste politique qui a flatté sans vergogne les sentiments populistes afin de favoriser son ascension au pouvoir. Aucun autre homme politique n’a eu l’absence de scrupules nécessaire pour mener une âpre lutte des factions au sein du parti conservateur, puis pendant la campagne électorale.
Johnson (que le collège d’Eton et l’université d’Oxford ont visiblement éduqué pour en faire la figure de proue du “peuple” !) et Cummings ont réduit le conflit politique à celui d’un “Parlement opposé au peuple”. La prorogation du Parlement, les batailles devant les tribunaux, les déclarations provocatrices de Johnson et de ses partisans, tout cela a créé une atmosphère de crise et de confrontation, de division entre les pro- et les anti-Brexit, entre la prétendue “élite” et les “laissés-pour-compte”.
Cette atmosphère s’est maintenue pendant les élections. Le parti conservateur a effrontément diffusé des vidéos manipulées, voire fausses de leurs adversaires, a mis en ligne de faux sites web, etc. L’impunité des mensonges de Johnson a atteint un tel niveau que, lors d’un débat télévisé, le public a ri lorsqu’il a parlé de “lui faire confiance”. Toutes ces tactiques ont été apprises lors de la campagne présidentielle de Trump et celles d’autres populistes.
Johnson, tout en utilisant les tactiques développées par Trump, n’est pas une simple copie britannique du président américain et n’a rien d’un nouveau venu au sein du parti conservateur. Il a grandi au sein de “l’establishment” mais, tout comme Trump, il n’a montré aucun scrupule et a chevauché la marée populiste. Comme Trump, il a utilisé un parti établi pour satisfaire des ambitions personnelles. Comme Trump, il comprend aussi que ses déclarations mensongères et provocatrices ne lui feront pas perdre de son influence auprès de certaines parties de la population.
Une autre similitude avec le président américain est sa tendance à faire peu de cas des traditions de longue date et à imposer une forme de gouvernement plus dictatoriale. Le remaniement ministériel de Johnson en février, qui a contraint le chancelier de l’Échiquier, Sajid Javid, à démissionner, a montré qu’avec la mainmise des conseillers spéciaux, Johnson et Cummings s’efforcent de garder un contrôle étroit sur l’exécutif, mais aussi qu’il n’y a plus de discipline budgétaire rigide de la part du Trésor. Cela ouvre la porte à une version populiste du keynésianisme dépensier, illustré par des programmes comme le projet de ligne à grande vitesse (HS2) entre Londres et le nord de l’Angleterre et d’autres régions plus défavorisées.
Cependant, Johnson n’est pas l’homme de main de Trump en Grande-Bretagne ( contrairement à Farage). Lui et son équipe sont conscients du prix amer que la bourgeoisie a dû payer pour s’être trop rapprochée de l’impérialisme américain au début des années 2000. Le différend entre Trump et Johnson sur l’implication de l’entreprise chinoise Huawei dans l’infrastructure technique britannique est un exemple des véritables divisions entre le Royaume-Uni et les États-Unis. D’autre part, les Américains sont conscients de la faiblesse du Royaume-Uni dans la recherche d’accords commerciaux, ce qui rend le capitalisme britannique vulnérable aux exigences américaines. Comme l’Union européenne se montre ferme dans ses négociations commerciales post-Brexit, il est toujours possible que la Grande-Bretagne soit confrontée aux conséquences d’une absence d’accord, ce qui affaiblirait encore davantage la position économique du pays face à une récession mondiale imminente.
L’unité territoriale du Royaume-Uni est remise en question par le fiasco du Brexit. Le Scottish National Party (SNP) domine le Parlement écossais depuis 2011 et les élections écossaises au Parlement britannique depuis 2015. Le SNP a pris des sièges aux conservateurs, aux travaillistes et aux libéraux-démocrates (LibDem) lors des élections de 2019. L’ampleur même de la victoire des Tories en Angleterre et au Pays de Galles a renforcé les ambitions du SNP qui prospère en dénonçant la domination de Johnson, présenté comme la caricature de l’anglais typique arrogant. Prévenir l’éclatement du Royaume-Uni dont l’unité est menacée par les velléités d’indépendance de l’Écosse, est un défi pour la bourgeoisie britannique. Vu le passif de Johnson, qui a toujours méprisé l’indépendantisme écossais, il est fort probable que le conflit entre Londres et Édimbourg s’intensifie.
Même avant l’élection, les tensions se sont accentuées en Irlande du Nord. Contrairement à May, Johnson n’avait pas conclu d’accord avec le parti unioniste démocrate (DUP). En effet, alors qu’il est défavorable au “filet de sécurité irlandais” (backstop) dans l’accord de retrait de l’UE (qui implique une frontière effective entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord), le DUP n’a pas seulement été ignoré, mais carrément balancé hors du train. Le DUP avait maintenu le parti conservateur au pouvoir après 2017, mais il a été écarté par Johnson afin d’obtenir un accord. L’Irlande du Nord se retrouve maintenant avec un statut ambigu, un pied à l’extérieur de l’Union européenne, un autre à l’intérieur. Cette situation ne fera qu’alimenter les tendances à l’éclatement du Royaume-Uni.
La dernière défaite électorale du parti travailliste a ouvert la perspective de sa fragmentation. Dans d’autres pays européens, les partis “socialistes” ont connu un déclin, mais en Grande-Bretagne, l’arrivée de Corbyn à la tête du Labour a entraîné une croissance du parti : lors des élections de 2017, le résultat a été meilleur que prévu. Mais désormais, la situation très précaire du parti travailliste pourrait commencer à le rendre inutile en tant que parti d’opposition. Sans perspective de retour au gouvernement, le risque d’un nouveau conflit au sein du parti s’accroît également. Le danger pour la classe dirigeante est que le parti travailliste se déchire alors qu’il est encore tenu de jouer un rôle dans la pantomime démocratique.
En attendant, compte tenu de la taille de la majorité conservatrice et du grand nombre de députés qui ne jouent aucun rôle au sein du gouvernement, la possibilité que les divisions au sein du Parti conservateur se transforment en de nouveaux conflits ne peut être écartée. La paralysie parlementaire a été débloquée, mais cela laisse la place à de nouvelles éruptions de divisions sous-jacentes. La probabilité d’un nouveau déclin économique de la Grande-Bretagne en dehors de l’UE signifie que l’appareil politique aura un rôle important à jouer contre toute réaction de la classe ouvrière.
En 2019, la classe ouvrière a été à nouveau entraînée dans la mascarade des élections parlementaires, toutes les parties affirmant qu’il s’agissait d’une élection cruciale, la plus importante d’une génération. Sur ce plan, les forces de la démocratie bourgeoise ont enregistré un véritable succès. Cependant, les tensions au sein de l’appareil politique montrent que les problèmes de la bourgeoisie pour contrôler la situation n’ont pas diminué. L’actuel Premier ministre britannique est un arriviste imprévisible dont la ligne de conduite ne peut être facilement cernée. Les principaux partis politiques sont toujours déchirés par des divisions. Le principal parti d’opposition est l’ombre de lui-même et l’éclatement du Royaume-Uni n’est plus un fantasme irréalisable. La Grande-Bretagne “tournée vers le monde” a de nombreux problèmes politiques devant elle.
Sam, 16 février 2020
Ceci est une déclaration de solidarité de la part des militants prolétariens des pays hispanophones, parce que la classe ouvrière est une classe internationale et une classe d’immigrés. Votre lutte est notre lutte, car ce n’est pas une lutte pour les retraites des ouvriers français, bien que cela ait été l’élément déclencheur de votre indignation, c’est une lutte de la classe ouvrière pour défendre nos conditions de vie et notre organisation en tant que classe.
Dans cet esprit de solidarité, nous autres, un groupe de camarades de différents pays du monde réuni suite à une réunion de contacts et de sympathisants du Courant Communiste International, voulons contribuer à donner une perspective à la lutte.
Il est nécessaire de se battre en tant que classe ouvrière. C’est-à-dire, non pas en tant qu’individus ou secteurs isolés ou agglomérés dans des manifestations syndicales, mais en tant que classe, en tant que classe ouvrière exploitée, partageant les mêmes nécessités que les travailleurs du monde entier, quels que soient les secteurs, n’ayant pas d’intérêts particuliers par rapport aux autres travailleurs, en dépit des pièges que nous tend la bourgeoisie pour nous faire entrer en concurrence les uns avec les autres, ou lutter en tant que secteurs isolés qui auraient des intérêts particuliers.
Il est nécessaire de retrouver la continuité avec notre lutte historique. Notre classe a une histoire et une expérience. La perspective demeure la grève de masse (qui est apparue en 1905 comme la méthode moderne de lutte de notre classe) et les conseils ouvriers dont le prélude sont les assemblées générales ouvertes à tous les prolétaires. Des assemblées dans lesquelles nous discutons collectivement de nos besoins et de nos perspectives, à l’image de l’expérience récente des grèves anti-CPE (2006) et des Indignés (2011). (1) Des assemblées contrôlées par la classe ouvrière et animées par des principes de camaraderie, pas en suivant [les directives des organes bourgeois d’encadrement que sont les syndicats] (NdT), où tout le monde peut prendre la parole et s’exprimer en tant qu’ouvriers, avec des délégués révocables à tout moment afin de centraliser la lutte.
La grève de type syndical est un piège ! Vous n’êtes pas dans la rue grâce à eux. Ils n’ont pour fonction que de prendre la direction du mouvement pour mieux le contrôler et le diviser. L’organisation de type syndical n’est en aucun cas une méthode de lutte mais un facteur d’isolement et de démoralisation. (2)
Que font les médias étrangers de notre lutte commune en France ? Ils la réduisent au silence, la banalisent, ne montrent que la perspective syndicale et surtout la rendent impopulaire en mentionnant surtout les problèmes qu’elle cause. Mais les problèmes qu’elle cause ne sont pas à mettre sur le compte des travailleurs en lutte mais bien sur celui de la bourgeoisie qui fait tout pour éviter que les ouvriers puissent se coordonner ! Les travailleurs du monde entier partagent vos inquiétudes et votre indignation. Mais ils sont isolés et enfermés dans le cadre de la nation et de problèmes spécifiques. Quand elle ne se tait pas, la bourgeoisie nous assène que vous êtes des privilégiés qui se plaignent de tout ou vous assimilent aux “gilets jaunes”, afin qu’à l’étranger nous ne puissions faire la distinction. Vous devez nous demander ouvertement de l’aide. Prolétaires du monde entier, unissons-nous ! Là est la perspective. C’est une perspective difficile mais en même temps la seule voie, dont la dynamique même fait progresser la conscience de classe, tout en étant parsemée de défaites sur le plan le plus tangible, le plus matériel. C’est pourquoi, tout en prolongeant la lutte dans tous les sens du terme, nous devons, dans cette dynamique, créer les meilleures conditions pour faire face à la défaite qui se profile.
Nous pouvons soit battre en retraite consciemment, soit tomber dans les pièges et les provocations démoralisantes des syndicats et du gouvernement. Toutes les mobilisations ne sont pas positives, car elles peuvent aussi nous épuiser. La question de comment se battre nécessite une réponse sur le long terme, autrement dit ce n’est pas seulement “comment se battre maintenant, en ce moment même”, bien que cela soit très important comme nous avons essayé de l’expliquer plus haut. La perspective de la lutte d’aujourd’hui et de l’avenir doit être un tout cohérent et unifié. Nous devons savoir quand et comment battre en retraite et quoi faire dans notre retraite, pour garder à l’esprit la perspective et la continuité de la lutte afin que les futures luttes soient plus fortes.
Il est nécessaire que les camarades qui veulent continuer à prendre part à la lutte n’insistent pas pour la suivre à tout prix, alors qu’une défaite partielle est déjà en vue. Il existe une alternative à cette lutte “sans issue”, à cette impasse dans laquelle mènent les syndicats : c’est de se regrouper en comités de lutte qui en tireront les leçons, uniront les forces et prépareront ainsi les luttes futures.
Ce n’est pas une lutte limitée a la question des retraites, c’est une lutte avant tout pour défendre nos conditions de vie en tant que classe ouvrière et plus généralement, une lutte pour défendre la perspective de la révolution prolétarienne, la révolution communiste mondiale. Il est essentiel de trouver cette continuité avec l’expérience historique accumulée par la classe ouvrière à travers ses organisations révolutionnaires.
Adopté lors d’une réunion de contacts du CCI avec des camarades de France, d’Espagne, du Mexique, du Chili, de Colombie, du Costa Rica et du Brésil, le 13 janvier 2020.
1Voir respectivement : Les “Thèses sur le mouvement des étudiants du printemps 2006 en France”, Revue Internationale n° 125 (2e trimestre 2006) et “2011 : de la indignación a la esperanza”, (sur le site web du CCI, avril 2012). (NdR)
2Sur la nature et la fonction des syndicats, voir notre brochure : Les syndicats contre la classe ouvrière et l’article : “Apuntes sobre la cuestión sindical”, (sur le site web du CCI, 2011). (NdR)
Alors que l’épidémie s’était déjà largement étendue en Europe et notamment en Italie, c’est avec beaucoup de retard que la bourgeoisie française a timidement commencé à prendre des mesures pour “protéger” la population. Il a fallu attendre que la situation soit catastrophique dans certaines régions comme la Picardie ou l’Alsace pour que le gouvernement Macron se réveille et prenne des décisions drastiques : confinement obligatoire, fermeture des frontières, contrôles policiers, mobilisation de l’armée pour venir à la rescousse des équipes soignantes, totalement débordées.
“Nous sommes en guerre !”, déclarait le Président Macron dans son discours du 16 mars. Les éléments de langages martiaux ont depuis fleuri dans la bouche de tous les ministres et des politiciens de tous bords : “l’ennemi est là” ! “union nationale” ! “guerre de position” ! “mobilisation générale” ! “effort de guerre” !… Le gouvernement a même ressorti de pauvres vieillards, “héros de la Seconde Guerre mondiale”, pour expliquer que “tousser dans son coude” relève de l’ “acte de Résistance”.
Si “l’ennemi” demeure “invisible” et “insaisissable”, la lutte contre cette pandémie a, en effet, tout d’une véritable guerre : le gouvernement multiplie les mensonges et les demi-vérités, il envoie des millions d’ouvriers risquer leur vie au front (économique, s’entend !), quand il ne sacrifie pas la piétaille, à l’assaut des élections municipales, dans des offensives aussi suicidaires qu’irresponsables !
“Nous sommes prêts et archi-prêts. La guerre dût-elle durer deux ans, il ne manquerait pas un masque, pas un flacon de gel hydro-alcoolique à nos soldats (en blouse blanche)”, aurait pu déclarer le général Macron ! Mais la réalité est à l’exact opposé : face à l’incurie de l’État et à l’amateurisme de Macron, le gouvernement navigue à vue et s’en remet désormais entièrement aux médecins pour “protéger” la population. Ainsi, pendant que le “chef de guerre” jupitérien et ses ministres jouent leur petit tour d’histrion, le personnel hospitalier se sacrifie pour sauver des vies en faisant son possible avec des moyens largement insuffisants.
Aujourd’hui, face au COVID-19, les horaires s’allongent de façon délirante dans tous les services et des soignants épuisés témoignent de journées de travail de plus de quatorze heures, accroissant davantage les risques d’erreur dramatique. Les soignants exténués crient leur colère jusque sur les plateaux de télévision ! En Alsace, face au nombre de décès et de patients en état de détresse respiratoire, l’État a dû improviser un “hôpital militaire de campagne”, dans un brouillard logistique inouï, pour soutenir les hôpitaux civils asphyxiés par le manque de lits et de moyens.
Quant aux stocks de masques, de solutions hydro-alcooliques, de charlottes, de blouses, de respirateurs : la pénurie est générale ! En 2005, l’État comptait sur un stock stratégique de 723 millions de masques (1,4 milliards en 2011 suite à la crise du H1N1). Mais en 2013, les restrictions budgétaires ont scellé le sort de ce stock tombé à 150 millions d’exemplaires. Face aux rationnements, aux recours à des masques périmés, voire à la réutilisation de masques usagés, le gouvernement vient seulement, après plusieurs semaines de crise, d’en puiser 12 millions dans les réserves déjà insuffisantes de l’État… pour 1,1 millions d’agents hospitaliers censés les jeter à la poubelle toutes les quatre heures. De quoi tenir quelques jours pour les hôpitaux qui ont la chance d’être livrés ! Quant aux services “non prioritaires” et aux laboratoires pratiquant des milliers de tests quotidiennement, c’est aussi la déroute. Plus de masques ! (1) Le personnel soignant, “en première ligne” (sic !), se trouve donc directement exposé à la maladie. Un médecin urgentiste de Compiègne vient de trouver la mort à cause du virus et d’autres le suivront probablement dans la tombe ! Comment Macron peut-il se regarder dans une glace quand il ose affirmer que la santé doit passer avant tout le reste ?
D’ailleurs, pour dissimuler sa responsabilité et la réalité de la situation, l'État, digne d'une république bananière, ment effrontément. Le nombre de malades est ainsi largement sous-estimé, le gouvernement et les Agences Régionales de Santé ayant tenté de passer sous silence, pendant plusieurs jours, le fait que les dépistages “ne sont plus systématiques”, selon l’admirable litote du Ministre de la Santé. De même, les autorités laissent entendre (de plus en plus difficilement) que la “saturation des hôpitaux” est localisée à quelques départements. Mensonge éhonté ! La presse et même les réseaux sociaux fourmillent de témoignages poignants de soignants parfois en pleurs, montrant l’ampleur de la catastrophe.
Il faut le dire clairement : ce chaos est le produit de la décadence du système capitaliste, des coupes budgétaires que l’État doit opérer depuis des décennies pour maintenir le capital national à flot !
Dès 2004, l’État a fait le choix de réduire drastiquement la recherche fondamentale sur le coronavirus pour des raisons budgétaires ! (2) La classe dominante savait parfaitement que ses hôpitaux, déjà exsangues face aux simples grippes saisonnières, ne tiendraient pas le choc face à une épidémie majeure ! (3) L’État bourgeois a délibérément choisi de laisser crever des ouvriers en masse pour “assainir” ses finances !
Avec un ton paternaliste insupportable, le général Macron loue donc aujourd’hui le courage et l’héroïsme des médecins, des aides-soignants, des infirmiers et des ambulanciers, oubliant bien opportunément qu’il a envoyé ses CRS les gazer pendant toute une année alors que les “soldats en blouse blanche” réclamaient plus de moyens et de personnels pour soigner les patients ! Pendant un an de grèves et de manifestations, la bourgeoisie n’a pas cessé de mépriser les urgentistes avec pour seules réponses un “plan hôpital” totalement insignifiant (4) et des insinuations écœurantes sur leurs prétendus privilèges de fonctionnaires. Macron peut bien leur passer la brosse à reluire en qualifiant les soignants de “héros”, leur salaire n’augmentera pas et leurs conditions de travail ne cesseront pas de se dégrader” !
Le système de santé en France, comme partout dans le monde, est en ruine, découpé à la hache sur l’autel de la “rigueur budgétaire” si chère au Ministre Darmanin, l’un des meilleurs sabreurs du général Macron. En une vingtaine d’années, le nombre de lits d’hôpitaux a diminué de 100 000 ! Le nombre d’hôpitaux et de cliniques est passé de 1 416 sites en 2014 à 1 356 en 2018. (5) Comme symbole de la destruction du système de soins, le gouvernement décidait, en 2014, de vendre l’hôpital militaire du Val de Grâce, le plus performant et le mieux équipé des hôpitaux français.
Logiquement, la France comptait déjà en 2017, 309 places en soins intensifs pour 100 000 habitants, contre 601 lits en Allemagne, (6) qui (Ô miracle !) connaît (pour le moment) un taux de mortalité lié au COVID-19 largement inférieur à celui de ses voisins. Dans certaines régions, comme dans l’Est de la France ou la Corse, les places et les moyens manquent cruellement et le “tri” des patients a déjà commencé. Une authentique “médecine de guerre” où les blessés les plus gravement atteints et estropiés (notamment les personnes âgées) sont laissés sur le carreau s’ils ne sont pas récupérables pour la rentabilité de l’économie nationale !
Tout cela s’accompagne évidemment d’un manque chronique de personnel, soumis à des cadences infernales, des heures supplémentaires par milliers et des salaires de misère. (7) Le démantèlement du système de soins s’est aussi traduit par la politique dite du numerus clausus, appliqué aux étudiants des écoles de médecine et d’infirmières. Pendant 50 ans, les médecins et les infirmiers ont été sélectionnés sur concours avec un nombre de lauréats fixé arbitrairement par arrêté ministériel, dans, on s’en doutera, la plus stricte logique de rigueur budgétaire. Cela a contraint la deuxième puissance économique européenne à littéralement “importer” des médecins et des infirmiers moins coûteux venus d’Espagne, du Maghreb ou des pays de l’Est.
Pour amortir l’impact de la crise sanitaire sur “l’appareil de production français”, l’État-major étatique a adopté une série de mesures d’urgence, au premier rang desquelles un semi-confinement bien tardif. Alors que l’épidémie a débuté en Europe au début du mois de février, il a fallu attendre le 16 mars pour que le général Macron annonce enfin des mesures de confinement. Jusqu’alors, sa priorité était de prendre des mesures d’austérité contre la classe ouvrière, et notamment le passage en force de sa réforme des retraites alors que l’épidémie continuait de progresser.
Pourtant, le gouvernement connaissait parfaitement le danger que représente le COVID-19. C’est l’ex-ministre de la santé, “l’ange blanc” Agnès Buzyn, qui a publiquement vendu la mèche en déclarant (sans doute aigrie par ses piètres résultats électoraux dans la course à la mairie de Paris) avoir averti très tôt le chef de l’État de l’imminence de la catastrophe : “Je savais que la vague du tsunami était devant nous”. “Le 30 janvier, j’ai averti [le premier ministre] Édouard Philippe que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir”. “On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade”. (8)
La “mascarade” a bien eu lieu ! Le gouvernement a sciemment aggravé la propagation de l’épidémie en envoyant dans les bureaux de vote des millions de citoyens à la grande messe démocratique ! L’incapacité criante d’une des principales puissances mondiales à approvisionner la population en moyens de protection efficaces (masques, gants et solutions hydro-alcooliques), impose pourtant des mesures de confinement drastiques.
La “mascarade”, donc, ne se résume pas à l’organisation criminelle d’élections en pleine montée de l’épidémie et alors que dans le même discours du 16 mars, Macron demandait à ses “chers compatriotes” de ne pas sortir dans la rue… “sauf pour aller voter et faire des courses”. Face à cette injonction paradoxale (sortez de chez vous, mais ne sortez pas !), personne ne pouvait croire à la réalité et à la gravité de cette pandémie. Il n’était donc pas surprenant que de nombreux “citoyens” aient manqué de “civisme” et aient profité du beau temps pour aller se promener sur les bords de Seine et dans les jardins publics.
Le discours mi-chèvre mi-chou de Macron, de même que sa décision de maintenir le premier tour des élections Municipales, étaient encore une “boulette” qui n’a pas manqué d’être exploitée par Marine Le Pen pour les besoins de sa campagne électorale.
C’est sous la pression des cris d’alarme du corps médical que Macron et son ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner ont pris la décision d’exiger le confinement général. Une armée de 100 000 flics et de militaires a été déployée sur tout le territoire pour faire respecter le confinement et la multiplication des couvre-feux. Face à la gravité de la pandémie, la classe dominante n’a pas d’autre choix que d’utiliser la coercition pour éviter l’hécatombe.
Sur la Côte-d’Azur, un drone muni d’un haut-parleur survole même les communes de Nice et de Cannes en ordonnant aux passants de rester chez eux : “Rappel des consignes relatives à l’épidémie de Covid-19 : tous les déplacements hors du domicile sont interdits sauf dérogation. Veuillez respecter une distance de sécurité d’au moins un mètre entre chaque personne”, répète en boucle l’engin.
La police, avec le sens du discernement qu’on lui connaît, n’a pas hésité à appliquer les mesures gouvernementales en ciblant les plus démunis et sans abri : “plusieurs sans-domicile fixe ont été verbalisés par les forces de l’ordre en France, car ils ne respectaient pas le confinement. […] Des cas ont notamment été recensés à Paris, Lyon et Bayonne” ! (9) Les flics n’ont également pas hésité à verbaliser quatre personnes en deuil à la porte d’un cimetière pour “non respect des règles de confinement” en affirmant qu’un “enterrement n’a rien d’impératif” ! La bourgeoisie ne peut pas faire autrement que déployer ses forces de l’ordre, mais elle profite aussi de la situation pour habituer la population à la militarisation de la société quand “l’ennemi intérieur” ne sera plus le virus mais la classe ouvrière en lutte !
Sur tous les plateaux télé, chaque jour, des médecins mobilisés sur le “front” sont interviewés pour exhorter la population à respecter rigoureusement les mesures de confinement et de distanciation sociale. Car c’est (hélas) le seul moyen aujourd’hui de combattre les ravages du coronavirus et de limiter la contagion.
La “mascarade”, ce sont aussi les millions de personnes qu’on entasse chaque jour dans les transports en commun, ce sont les ateliers d’usines et les grandes surfaces dans lesquelles la bourgeoisie “confine” les ouvriers par centaines ! La “mascarade” criminelle de la bourgeoisie et son gouvernement, ce sont les milliers d’entreprises encore ouvertes dont la production n’a d’ “essentielle” que le nom. Alors que les ouvriers du bâtiment refusaient de s’exposer inutilement, la Ministre du Travail, Pénicaud, a osé parler de “défaitisme”. “Dans la guerre contre cette épidémie, le monde économique représente les forces arrières”, soulignait d’ailleurs le président du MEDEF.
Pour contraindre les prolétaires forcément rétifs à se déplacer sur leur lieu d’exploitation, le gouvernement a dégainé ses armes les plus redoutables : la répression et la propagande. L’État peut naturellement compter sur ses chiens de garde syndicaux pour assurer la discipline. Ces derniers ne cessent d’appeler à la mise en œuvre “des moyens indispensables à la protection de la santé et de la sécurité des salariés devant travailler” et “saluent l’engagement des agents des services publics et des salariés”. (10) Traduction : allez bosser, on s’occupe de votre protection grâce au “dialogue social” avec la direction et le patron ! Lorsque les travailleurs expriment trop ouvertement leur réticence, les syndicats s’empressent de faire jouer le “droit de retrait” chacun dans “son” entreprise.
“L’État d’urgence sanitaire” n’a pas empêché le gouvernement d’exhorter les travailleurs à ne pas respecter le confinement lorsque le télétravail n’est pas possible. Mais désormais, si les ouvriers refusent d’aller travailler, préférant préserver leur santé et celle de leurs proches, on enverra les flics réquisitionner les récalcitrants et faire pleuvoir les sanctions sur tout ce que l’État jugera entraver le bon fonctionnement de l’économie nationale ! Les congés pourront également être posés d’office par les employeurs pour “compenser” l’absentéisme. Même les fonctionnaires de certains centres des impôts sont contraints de ne pas déserter leur poste de travail ! Le confinement sélectif fait partie de la logique du capital : il ne faut pas que cette pandémie meurtrière entrave la “continuité” de l’économie nationale.
“Ma priorité est de sauver l’appareil de production français”, rappelait ainsi, sabre au clair, le Ministre-hussard de l’Économie, Bruno Le Maire. Comme le soulignait si joliment le journaliste d’Atlantico, Jean-Sébastien Ferjou, sur LCI : “la vraie question, […] c’est : est-ce qu’on préfère sacrifier nos vieux et les personnes affaiblies ou est-ce qu’on préfère sacrifier deux points de PIB ?” Le gouvernement a choisi : on sacrifiera les vieux !
En matière de propagande outrancière, la bourgeoisie française, à l’image de ses voisins, n’a pas lésiné sur les moyens ! En appelant à la “mobilisation générale” et à “l’unité nationale”, la bourgeoisie a déchaîné une campagne nationaliste des plus nauséabondes !
La bourgeoisie prépare déjà les esprits au “champ de ruines” économique qu’engendrera la “guerre sanitaire” ; et c’est la classe ouvrière qui paiera l’addition ! L’ “esprit de sacrifice” propre à une période de “reconstruction” est de mise. Déjà, les salariés les plus précaires commencent à perdre les quelques heures de travail qui leur permettaient de survivre ! Déjà, ceux qui sont au chômage technique ne toucheront finalement pas l’entièreté de leur salaire, contrairement aux promesses du gouvernement ! La propagande bat son plein pour faire entrer dans les crânes qu’à cause de l’épidémie, tout le monde devra à l’avenir se serrer la ceinture. Tout comme elle avait fait croire que les “banquiers véreux” et la “finance folle” étaient à l’origine de la crise économique de 2008, elle cherche aujourd’hui à faire croire que c’est le COVID-19 qui serait à l’origine de la crise économique. Mais la réalité est bien différente : non seulement, l’épidémie n’est qu’un catalyseur, un accélérateur de la crise du système capitaliste, mais elle est elle-même un pur produit de cette crise !
Dans la presse et sur les réseaux sociaux, à la télévision et sur YouTube, ceux qui font encore leur jogging en solitaire sont désignés comme des irresponsables, fautifs de la propagation de l’épidémie. N’est-il pas venu à l’esprit des journalistes et de leurs supplétifs “youtubeurs”, que ces imprudents promeneurs ont pu trouver parfaitement dérisoire l’interdiction de déambuler à l’air libre après s’être entassés par millions dans le RER, dans leurs open spaces ou dans leurs entrepôts, et, la veille, dans les bureaux de vote ? L’État déchaîne une campagne de culpabilisation individuelle pour mieux dissimuler sa propre incurie et son incapacité à endiguer la pandémie !
Mais là où la campagne idéologique de la bourgeoisie est la plus pernicieuse, c’est dans ses appels à ovationner le personnel soignant. Les chaînes de télévision passent en boucle les images de la Tour Eiffel illuminée et des beaux quartiers en liesse, applaudissant, tous les soirs à 20 heures, depuis les fenêtres et parfois même sur fond de Marseillaise, les médecins et les infirmiers. La bourgeoisie ne recule devant aucun cynisme ni aucune indécence en appelant la population à redoubler les applaudissements après le décès d’un premier médecin. Les “soldats morts pour la France” tombent au champ d’honneur sous la liesse populaire ! Il ne s’agit ni plus ni moins que d’un dévoiement de la solidarité prolétarienne faisant écho au discours martial du général Macron vantant l’ “héroïsme” des soignants. Bien que ces applaudissements leur mettent un peu de baume au cœur, les urgentistes n’ont pas besoin de médailles pour leurs bons et loyaux services rendus à la “Nation”. Ils ont besoin de personnels supplémentaires et de matériels, ils ont besoin de masques et de protection ! Ils ont besoin que la “reconnaissance” de leurs exploiteurs se manifeste par des augmentations de salaire (11) et d’effectifs afin de ne pas crouler sous le fardeau des cadences infernales !
Face à l’incurie de la bourgeoisie et la casse du système de santé rendant de plus en plus difficile la prise en charge des malades, la colère monte dans les rangs ouvriers. Le mépris de la classe dominante à l’égard de la vie humaine ulcère les exploités. Nombreux sont ceux qui ne supportent plus la volonté affichée du gouvernement de débusquer les tire-au-flanc, ni de devoir s’exposer alors que rien ne justifie leur présence indispensable au travail. Les livreurs de Deliveroo et Uber-eats, les ouvriers de l’usine SNF d’Andrézieux, ceux de La Redoute et de Saverglass dans l’Oise se sont ainsi mis en grève pour protester contre leurs dangereuses conditions de travail. Chez Amazon ou à La Poste, les salariés ont également débrayé. Partout ailleurs, de nombreux prolétaires n’ont pas tardé à exprimer leur solidarité à leur fenêtre en réclament des moyens pour les soignants, non pas en ovationnant les “héros de la Nation”, mais au cri de : “Du fric ! Du fric, pour l’hôpital public ! [5]”
Mais dans l’immédiat, ce qui domine c’est la peur et la sidération face à cette catastrophe sanitaire que la classe dominante ne parvient pas à maîtriser. L’impossibilité de se rassembler massivement, ne permet pas, aujourd’hui, à la classe ouvrière de reprendre le chemin de la lutte sur son propre terrain de classe.
Toutes ces expressions de colère démontrent néanmoins que la combativité est encore bien vivace, que les prolétaires ne sont pas résignés à accepter comme une fatalité l’incurie de ceux qui les exploitent. “On n’est pas de la chair à canon”, peut-on entendre parmi les personnels soignants.
Dès que cette crise sanitaire sera surmontée, l’État “protecteur” va dévoiler de nouveau son vrai visage. Les attaques contre toutes les conditions de vie des prolétaires, (aggravées par la plongée de l’économie dans l’abîme de la récession) ne pourront que déboucher, à terme, non pas sur l’union sacrée des exploités avec leurs exploiteurs, mais sur de nouvelles explosions de colère et d’indignation.
Cette catastrophe sanitaire mondiale ne peut que contribuer à la réflexion dans la classe ouvrière et à la prise de conscience que le capitalisme est un système complètement pourri, un véritable fléau menaçant la survie de l’espèce humaine.
EG, 22 mars 2020
1 Le général Macron peut au moins compter sur un corps expéditionnaire, la Croix-Rouge chinoise, qui vient de faire “don” au Vieux Continent de plusieurs millions de masques et de matériels pour ventiler et intuber les malades. Bien sûr les “dons” de Pékin, en plus d’être anecdotiques, n’ont rien d’un acte altruiste et désintéressé. Alors que les États sont incapables de coordonner un minimum leurs actions, les “largesses” de la Chine sont plutôt l’expression du chacun-pour-soi généralisé qui caractérise le capitalisme en putréfaction et dont la pandémie de COVID-19 est une spectaculaire illustration. Nous reviendrons sur ces questions dans un prochain article.
2 Cf. l’interview du professeur Bruno Canard, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des coronavirus, parue dans Le Monde : “Face aux coronavirus, énormément de temps a été perdu pour trouver des médicaments [6]” (29 février 2020).
3 Le COVID-19 est d’ailleurs loin d’être la maladie la plus virulente qui ait jamais frappé l’humanité. On peut d’ores et déjà anticiper sans trop de difficulté l’impact apocalyptique d’une pandémie de MERS-CoV avec son taux de létalité à 30 % [7] !
4 On appréciera la plaisanterie en comparant cet “investissement très important” de 300 millions d’euros (dixit l’ex-ministre de la santé, Agnès Buzyn) au plan d’aide de quelques 750 milliards d’euros que vient de débloquer la BCE pour “sauver l’économie”.
5 Cf. le Panorama de la DRESS de 2019 [8] et un rapport de la DRESS publié la même année [8].
6 Cf. “Curative care beds in hospitals [9]”. Ces chiffres datent de 2017. Le doute sur la dégradation continue des moyens depuis deux ans est à peine permis.
7 L’État a d’ailleurs aggravé la misère en remplaçant des postes d’infirmiers par des aides-soignants payés au lance-pierre.
8 “Les regrets d’Agnès Buzyn [10]”, Le Monde (17 mars 2020).
9 “Coronavirus : des SDF verbalisés pour non-respect du confinement” AFP (20 mars 2020).
10 Communiqué intersyndical du 19 mars 2020 [11] signé, main dans la main, par les organisations salariales et patronales.
11 La promesse d’une prime de 1000 € aux soignants n’est même pas un 13e mois au SMIC ; ces miettes sont une véritable insulte.
Avec l'assassinat de Qassem Soleimani et de neuf autres associés, incluant des chefs de puissants groupes militaires iraniens, les Unités de Mobilisation Populaire et Kataeb Hezbollah le 3 janvier 2020, Trump a envoyé un signal, en pleine cohérence avec sa présidence, que toute "convention" passait à la trappe et que personne n'était à l'abri dans ce face-à-face tendu entre les Etats-Unis et l'Iran. Hassan Nasrallah, président du Hezbollah au Liban et fidèle allié de l'Iran, probablement un peu nerveux dans les heures qui ont suivi l'attaque, a pris l'antenne pour appeler Téhéran à ne pas agir précipitamment ainsi qu'au "départ des troupes américaines d'Irak". Le jour suivant, malgré le bruit émanant de quelques "partisans de la ligne dure" du régime qui furent rapidement réduits au silence, cela était [devenu] la position officielle de la République Islamique dont l'élite dirigeante communiquait les détails de leur "vengeance" aux Américains à travers des porte-paroles irakiens. Malgré tout le battage réalisé lors d'une grande campagne médiatique, il n'y avait pas de réelle possibilité de conflagration régionale de grande ampleur à travers un échange de missiles (l'usage des troupes américaines n'était pas non plus vraisemblable) et il y avait encore moins de possibilité d'une Troisième Guerre mondiale, malgré les gros titres sensationnels de certains journaux bourgeois. Nous reviendrons plus loin sur les raisons pour lesquelles nous pensons que cela n'était pas le cas et pourquoi cela ne signifie pas pour autant une atténuation de l'expansion de la barbarie militaire. Dans le même temps, la disparition de Soleimani a porté un coup à l'impérialisme iranien mais cela ne se résumant jamais à un seul homme, il reste à voir quelles seront les conséquences de ce coup pour la République Islamique: s'il va l'affaiblir encore plus suite aux récentes protestations (réprimées mais pas disparues) ou s'il va renforcer le nationalisme iranien et sa base.
Dans tous les cas, Soleimani, au fil des décennies, avait déjà beaucoup fait pour l'extension de l'impérialisme iranien au Moyen-Orient et en Afrique sub-saharienne.
La force Al-Qods ("Jerusalem") et les unités associées, créées sous l'impulsion de Soleimani à partir des années 80 et dont il prit la tête il y a environ une quinzaine d'années, furent responsables de la répression interne des protestations et des luttes des travailleurs iraniens entre autres en 1999, dix ans plus tard en 2009 et à nouveau une décennie plus tard en 2019/2020. Ils causèrent de nombreux morts chez les manifestants irakiens dernièrement et ce sont ces forces qui ont déchaîné une répression sans pitié contre les manifestants anti-Assad après 2012, sauvant pratiquement le boucher syrien et son régime chancelant. Soleimani n'était pas un fanatique Chiite mais un important représentant de l'impérialisme iranien. C'était un allié de la Russie mais il n'était pas pour autant le laquais de cette dernière. Il fut également, à différents moments, allié avec les Américains mais aussi avec les Kurdes, les Alaouites, les Maronites, les Sunnites, quiconque en fait pouvait faire avancer sa cause. Il a même utilisé Al-Qaida contre les Américains, ce pour quoi l'Iran a reçu son propre "retour de bâton". Ce n'est pas surprenant que Soleimani était tenu en si grande estime par un régime iranien miné par les luttes de factions [1] et c'est pourquoi il fut déclaré "martyr vivant" par le "guide suprême", Ali Khamenei.
L'Iran et particulièrement les éléments fidèles à Soleimani ne furent jamais les jouets ou les pions de la Russie, agissant sous les ordres de Moscou. Ce n'était pas le cas récemment et déjà après la chute du Shah, qui eut lieu en 1979 alors que les blocs existaient toujours, l'Iran a eu tendance à suivre sa propre voie. Le régime des mollahs était en quelque sorte un joker, présageant d'une certaine façon l'effondrement des blocs et le chacun pour soi impérialiste qui en découlerait. Cela étant, alors qu'il était responsable directement et indirectement de nombreux morts américains, Soleimani voulait continuer à travailler avec les Etats-Unis. Et il n'y a pas de doute que même après que le Président George W. Bush ait ciblé l'Iran comme faisant partie de l'"Axe du Mal" en 2002, les branches diplomatiques et militaires américaines ont joué un rôle significatif dans la construction et la consolidation des Al-Qods et des forces iraniennes associées en Irak. Même si les relations sont devenues plus compliquées par la suite, après la chute de Saddam, le conseil gouvernemental irakien était essentiellement constitué d'Américains et d'Iraniens, car les Etats-Unis n'avaient pas d'autre alternative que de tolérer la montée des partis Chiites après le renversement de Saddam.
Après l'horreur des Tours Jumelles en 2001 et une certaine "main tendue" par l'Iran, le diplomate de carrière et haut responsable du Département d'Etat, Ryan Crocker et son équipe, ont régulièrement rencontré [2] les officiels iraniens y compris Soleimani afin de discuter de leurs ennemis communs : Al Qaida et les Talibans. Même après que les diatribes d'inspiration néo-conservatrices de Bush avaient mis fin aux rencontres officielles (et au rapprochement officiel), les contacts irano-américains furent maintenus dans les années qui suivirent. Le jeu que Soleimani a mis au point était de poursuivre le dialogue avec les Américains, faisant des concessions par-ci, des faveurs par-là, tout en continuant à mettre la pression sur les Etats-Unis et harceler leurs troupes ainsi que celles de leurs alliés. Le dévoilement des échanges de messages diplomatiques par Wikileaks montre que Soleimani était en contact avec le général américain David Petraeus, commandant en chef des Forces américaines en Irak autour de 2008. C'est dans ce développement sans précédent de guerre asymétrique -un facteur général de la décomposition capitaliste qui inclut le terrorisme- que le général iranien a attiré les Etats-Unis dans un piège, en grande partie tendu grâce aux installations et au champ d’action fournis par les Américains eux-mêmes. A cette époque, il y avait plus de 100 000 soldats américains en Irak et chacun d'entre-eux était une cible. Les Iraniens les ont utilisés et ensuite soumis à une violence et à une pression psychologique constantes, facteurs qui ont contribué au retrait graduel des troupes américaines. Et bien que cela puisse avoir convenu ou arrangé les Russes, la force motrice derrière tout cela était l'impérialisme iranien.
Trump s'est récemment auto-proclamé vainqueur de Daech mais si un homme est responsable de la défaite de l'EI (aux côtés de la logistique américaine, de l'aviation russe et des troupes kurdes au sol), c'est bien Soleimani et ses milices.
Dans la bataille contre l'EI, les hauts commandements américains et iraniens ont collaboré étroitement, avec parfois l'Iran aux commandes.
La bataille d'Amerli, une ville turkmène chiite en Irak tenue par Daech, a vu la combinaison d'attaques aériennes et terrestres impliquant les deux pays et ce fut une défaite significative pour l'Etat Islamique et une victoire majeure pour la coalition irano-américaine. Dans ce contexte, Soleimani pouvait s'appuyer également sur les Russes et même, dans une certaine mesure, sur les Kurdes ; à nouveau, cela montre la relative indépendance de l'impérialisme iranien.
De tout l'éventail de réactions possibles de la part des Etats-Unis en réponse à l'agression continue de l'Iran, c'est la plus "extrême" qui fut choisie et la frappe contre l'Iran et Soleimani fut commanditée par Trump dans le plus pur style mafieux. Le Président, qui était calme et lucide durant tout l'épisode, a posé ses cartes sur la table et s’est déclaré ouvert à toutes les options ; les Iraniens, logiquement, se sont repliés. Il n'y avait pas d'intérêt à un échange de tirs de missiles, pas d'intérêt pour l'Iran de souffrir de plus lourdes pertes et pas le moindre intérêt pour Trump de s'engager dans une guerre plus étendue. De leur côté, la Chine et la Russie n'avaient pas non plus d'intérêt à s'engager dans une guerre au Moyen-Orient au sujet de l'Iran, guerre dont les conséquences néfastes étaient évidentes. Toutes les guerres impérialistes sont fondamentalement irrationnelles et un Iran blessé, potentiellement sans leader, serait devenu un terreau fertile pour tous les vautours impérialistes, créant un trou noir instable aspirant toutes sortes d'éléments (incluant un EI partiellement résurgent) et aggravant encore plus les tendances centrifuges actuellement à l'oeuvre.
Néanmoins, la politique générale des Etats-Unis de jeter de l'huile sur le feu en Iran générera très certainement plus d'instabilité dans la région. Même si le Conseiller à la Sécurité nationale, John Bolton, est parti, Trump est toujours entouré de « faucons » anti-Iraniens. La lettre adressée au gouvernement irakien par le général W.H Seely, commandant des opérations militaires en Irak, accédant à la requête du premier de retirer toutes les troupes américaines, montre la confusion qui règne dans les plus hauts échelons de l'armée américaine. Les Allemands et les Français ont ouvertement méprisé l'action et la Grande-Bretagne, qui a désespérément besoin de Trump à ses côtés, s'est jointe aux critiques de l'UE. Aucun d'entre eux n'a d'intérêt à ce que les Etats-Unis exacerbent encore plus le chaos au Moyen-Orient.
La relation entre la Russie et l'Iran, mise en lumière par les récents événements, mérite un bref examen plus approfondi, particulièrement par rapport à l'analyse générale du CCI de la décomposition et de la perspective soulevée par la Tendance Communiste Internationale (TCI), qui parle d'un potentiel d'une guerre mondiale entre blocs avec la Russie à sa tête, qui, selon la position de la TCI ne peut rester passive face aux assassinats des Etats-Unis, ne pouvant laisser l'Iran être attaqué "en toute impunité"[3]. Non seulement la Russie peut se le "permettre" en laissant faire les attaques contre les forces iraniennes en Syrie par Israël mais elle n'est pas non plus hostile à une éventuelle attaque de positions iraniennes en Syrie en utilisant ses propres forces. La tendance principale n'est pas vers la "cohérence" d'une guerre mondiale entre blocs mais vers le chacun contre tous et le développement de la barbarie militaire qui est aussi dangereuse pour la classe ouvrière et l'humanité, si ce n'est plus.
Dans ses commentaires après l'attaque américaine, Poutine n'a pas mentionné une seule fois le nom "Soleimani" et sa critique implicite de l'attaque a révélé la position du Kremlin comme un tout, laissant à ses médias le rôle de jouer sur la question de "l'agression de l'impérialisme américain". Les liens historiques de la Russie avec l'Iran ont laissé de profondes cicatrices et ses récentes relations ont été pour le moins ambigües. Cependant la mort de Soleimani donne à l'impérialisme russe une chance de renforcer plus encore sa mainmise sur la Syrie et potentiellement sur l'Irak.
Bien que ce rôle ait été quelque peu exagéré par Téhéran, Soleimani a travaillé étroitement en Syrie avec les Russes comme alliés. Mais nous avons vu qu'il a également collaboré de très près avec le haut commandement américain en Syrie comme en Irak
La stratégie récente de l'Iran et des Gardiens de la Révolution (Al-Qods et autres milices) a été de renforcer le rôle de l'Iran en Syrie afin d'étendre sa portée. À l'opposé, le but de la Russie est de renforcer le régime d'Assad et, ce faisant, sa propre position. Plutôt que de pousser à une confrontation plus grande suite aux attaques américaines sur l'Iran, il se peut que les Russes ne soient pas trop mécontents de l'issue de ces mêmes attaques ; et s'il y avait un leader qui aurait pu été informé préalablement par Trump des attaques de drones, c'est bien Poutine.
Sous le commandement de Soleimani, les Gardiens de la Révolution ont acheté, autour d'Homs et Damas, de vastes étendues de terres et de bâtments qui sont devenus des enclaves iraniennes. Il y a de claires tensions émanant de trois directions et la Russie ne partage pas l'opinion de l'Iran sur la question syrienne. La Russie aurait pu protéger les forces iraniennes en Syrie des attaques d'Israël simplement en gardant déployé son nouveau système de missiles S-300 mais, en collusion avec l'Etat hébreu, elle laisse régulièrement les avions israéliens violer l'espace aérien syrien pour utiliser ses armes contre les positions iraniennes et repartir ensuite. L'Iran a exprimé à la Russie sa colère à plusieurs reprises mais celle-ci l'a tout simplement ignoré. La Russie a également fait savoir à Israël que ce dernier pourrait être associé à la discussion sur la réduction des stocks d'armes iraniens présents à Damas, une carte que détient la Russie face à l'Iran et il n'hésitera pas à se confronter directement aux forces iraniennes dans le pays (comme ce fut le cas dans la province de Deraa lorsqu'il a mis en déroute la 4e division appuyée par l'Iran). Et tout comme Israël, la Russie a récemment noué des liens avec l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, aucun n'étant allié de l'Iran.
Aucun de ces éléments ne fait ressortir une quelconque cohérence de bloc autour de la Russie, pas plus qu’il ne confirme l’hypothèse d’une riposte "nécessaire" de cette dernière aux attaques américaines envers les intérêts iraniens de la façon dont l'envisage la TCI. Et rien de tout cela n'empêche par ailleurs la Russie de se poser en "protecteur" de l'Iran et d'utiliser ses "avantages" qui se sont révélés très profitables en Syrie. Et avec la présence de la Turquie qui perturbe tout le monde avec sa campagne en faveur du dénommé "nouvel Empire ottoman" qui a récemment engendré des confrontations directes entre la Turquie et l'armée syrienne autour d'Idlib, on n'observe pas de tendance vers le développement de blocs militaires unifiés. On voit plutôt la guerre de chacun contre tous et la domination des tendances centrifuges. Sans aller plus loin dans les multiples divergences d’intérêts entre les différentes puissances sur les diverses régions, le "grand jeu" au Moyen-Orient ressemble désormais encore plus à la description faite par un diplomate britannique il y a quelques temps: "un jeu d'échec à neuf côtés sans aucune règle".
Du début des années 50 jusqu'à la fin des années 80, une Troisième Guerre mondiale était une possibilité envisageable. Les deux blocs impérialistes existaient, le monde était plus ou moins partagé entre eux et des tensions surgissaient partout, particulièrement autour de zones poudrières-clefs. Mais dans la période allant de 1968 à 1989, quand le retour de la crise économique mondiale impliquait "logiquement" une nouvelle marche vers la guerre, l'insistance opiniâtre du prolétariat à lutter pour ses intérêts de classe a empêché la mobilisation pour une conflagration impérialiste. Aujourd'hui pourtant, avec la complète absence de blocs impérialistes unifiés, l'absence de perspective de les voir surgir à l'horizon et, probablement, leur disparition pour de bon, la bourgeoisie n'est pas forcée de confronter et mobiliser le prolétariat dans ce sens. Et ceci résulte de l'incapacité du capitalisme à imposer la cohésion et la discipline nécessaire pour que de grands deux blocs s'affrontent dans un conflit mondial. Au lieu de cela, il y a toutes sortes de tendances centrifuges à l'oeuvre : le chacun pour soi, la fragmentation, la concurrence impérialiste du "nous d'abord, contre tous les autres" et l’instabilité. La formation des blocs n'est pas à la racine de l'impérialisme, bien au contraire et la conséquence de 1989 est que l'impérialisme désormais prend une forme différente mais non moins dangereuse, en accord avec la décadence générale et la décomposition du système capitaliste entier. Les blocs impérialistes s'affrontant à l'échelle mondiale sont une conséquence du capitalisme décadent mais la fragmentation de cette forme particulière et son élimination probable dans un 'avenir proche, est significatif de l'aggravation de la décomposition capitaliste et résulte de l'ouverture en 1989 d'une boîte de Pandore.
L'effondrement du bloc de l'Est en 1989 fut l'une des plus spectaculaires expressions en "temps de paix" de la crise et de la décomposition du système capitaliste tout entier. Du jour au lendemain, la guerre mondiale n'était plus à l'ordre du jour. L'implosion du bloc de l'Est et de toutes ses structures a eu ses répercussions à l'Ouest où, presque immédiatement, les liens de bloc se sont relâchés. Malgré les campagnes assourdissantes sur la "mort du communisme" et la "victoire du capitalisme", il n'a pas fallu longtemps -deux ans- pour que la réalité du "Nouvel ordre mondial" s'affirme. Peu de temps après la tentative vouée à l'échec des Etats-Unis de prévenir la fragmentation de son propre bloc via la coalition qui combattit durant la première Guerre du Golfe en 1991, la guerre a éclaté en Yougoslavie en 1992, la première guerre ouverte en Europe depuis 1945.
Ce fut un conflit brutal, bestial, ciblant les civils d'une façon rappelant la Seconde Guerre mondiale. Il fut attisé et instrumentalisé initialement par l'Allemagne, qui exprimait la tendance à l'indiscipline de bloc et ce fut ensuite la descente aux enfers avec presque toutes les grandes puissances appuyant chacune leur propre faction tout en y participant. Et depuis, cela est allé en s'empirant dans d'autres zones grandissantes de guerre et de militarisme, le Moyen-Orient et l'Afrique l'illustrant particulièrement.
Il est certain que depuis la chute de l'URSS, l'impérialisme russe s'est rationalisé et réarmé, émergeant de nouveau comme un acteur principal sur des acteurs principaux dans l'arène internationale.
Plus important encore, la Chine est apparue comme le principal concurrent de l'hégémonie américaine, montrant qu'une tendance vers une bipolarisation entre les Etats impérialistes les plus puissants existe toujours. En outre, c'est avant tout la montée en puissance de la Chine qui, déjà sous Obama, a conduit les Etats-Unis à déclarer l'Asie comme étant le nouveau pivot et le confinement de la Chine sa nouvelle priorité. Cela était la véritable signification derrière la politique d'Obama de désengagement envers de larges parties du Moyen-Orient que le régime de Trump a poussé encore plus en avant. Mais ni la rivalité croissante entre la Chine et les Etats-Unis ni les tensions entre ces derniers et la Russie ne devraient être confondues avec une formation de blocs à l'heure actuelle, laquelle est constamment minée par la tendance dominante à la fragmentation des conflits. Cette tendance a été illustrée très clairement non seulement par l'incroyable chaos militaire au Moyen- Orient mais également par les menaces planant sur l'unité de l'Union Européenne, de l'OMC, de l'OTAN et toute une foule ribambelle d'organisations "internationales" ainsi que par rapport aux protocoles et accords sur lesquels elles sont basées.
Rien de tout cela ne rend le combat de la classe ouvrière plus facile, au contraire. Mais cela le rend d'autant plus essentiel pour son avenir et le futur de l'humanité. Le prolétariat uni reste la seule force capable d'affronter et de mettre en échec l’effroyable perspective que le capitalisme nous réserve. Et de notre point de vue, cela importe peu si nous sommes soufflés par des bombes, empoisonnés à mort par les contaminations ou rôtis par le changement climatique. Dans le même temps, comme les récents développements dans la lutte de classe l'ont encore timidement indiqué, la classe ouvrière, comme classe exploitée, détient le potentiel de combattre, de s'auto-organiser, de mettre en place des assemblées pour consolider et étendre ses combats contre l'enfermement prêché par les syndicats, l'atomisation comme "citoyens" et le piège du corporatisme et des frontières nationales.
Ce serait mentir ou s’illusionner que de ne pas mentionner les difficiles et sérieuses épreuves auxquelles fait face la classe ouvrière par ces évolutions du capitalisme, évolutions qui ne peuvent que pousser le capitalisme à s’enfoncer davantage dans sa décadence et générer davantage de barbarie. Mais malgré le repli et la démoralisation des dernières décennies, la classe ouvrière a été historiquement et demeure l'unique force sociale capable d'offrir à l'humanité une sortie du cauchemar de ce capitalisme moribond.
Baboon, 4.2.20
[1] Voir : https://fr.internationalism.org/icconline/201801/9659/iran-lutte-entre-c... [14]
[2] Le commandant fantôme: https://www.newyorker.com/magazine/2013/09/30/the-shadow-commander [15]
[3] https://www.leftcom.org/en/articles/2020-01-04/the-us-attack-on-baghdad [16]
BRUMAIRE est le nom du deuxième mois du calendrier républicain français, le deuxième de la saison automnale, qui s’étend du 22, 23 ou 24 octobre jusqu’au 20, 21 ou 22 novembre. Le 18 Brumaire de l’an 1799 eut lieu le coup d’État de Napoléon Bonaparte, qui est considéré comme le point final de la Révolution française. Depuis lors, le 18 Brumaire symbolise la notion même de “coup d’État”. En 1851, Marx écrivait son ouvrage : Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, en référence au coup d’État du neveu de Napoléon, qui déclinait, sous la forme d’une comédie, la tragédie de l’oncle, en s’offrant son petit moment de gloire sans jamais donner d’alternative sur le plan politique. Pedro Sánchez n’a pas fait de coup d’État, mais la motion de censure qui l’a conduit au gouvernement provisoire (qui perdure encore) faisait figure d’assaut contre l’ancien gouvernement, bien qu’il n’ait pour l’instant pas été capable de gouverner. On peut également noter que les dernières élections générales en Espagne se sont déroulées en Brumaire, le 10 novembre.
L’imbroglio de la situation politique espagnole d’avant et après les dernières élections du 10 novembre ne fait pas office d’exception, mais est plutôt la règle parmi les États les plus importants. En commençant par la première puissance mondiale, les États-Unis, où le gouvernement Trump déclenche des tensions au sein des partis républicain et démocrate, tout comme l’un envers l’autre. Mais également en Europe, où la bourgeoisie britannique, une des plus expérimentées dans le jeu politique, se voit aspirée par le Brexit, sous l’impulsion des populistes ; ou en Italie, où la République vient juste de se débarrasser d’un gouvernement de coalition de deux partis populistes de tendance opposée (la Ligue de Salvini et le Mouvement 5 étoiles ou M5S) pour former à nouveau un gouvernement de coalition instable entre le Parti démocrate et le M5S. Aussi en Allemagne, où Merkel (véritable leader de l’UE ces dernières années) sera bientôt contrainte de quitter le gouvernement sans avoir pu contenir la montée du populisme ; ou en France, où La République en Marche de Macron n’a aucune alternative fiable au cas où son bras de fer contre Le Pen échouerait.
Cette augmentation quantitative des crises politiques représente, en réalité, un aspect qualitatif typique de la période historique actuelle : la tendance à la perte de contrôle par la bourgeoisie de son appareil politique. Dès 1990, nous l’annoncions déjà dans les Thèses sur la décomposition1, comme le souligne le point 4 de la résolution sur la situation internationale de notre dernier congrès2 : “Parmi les caractéristiques majeures de la décomposition de la société capitaliste, il faut souligner la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l’évolution de la situation sur le plan politique” (point 9). Un phénomène clairement énoncé dans le rapport du 22e congrès : “Ce qu’il faut souligner dans la situation actuelle, c’est la pleine confirmation de cet aspect que nous avions identifié il y 25 ans : la tendance à une perte de contrôle croissante par la classe dominante de son appareil politique”.
À leur manière, certains éléments de la bourgeoisie, comme Cebrián ou Felipe González en Espagne, n’ont pas d’autre choix que de le reconnaître : “Nous ne sommes pas confrontés à une crise du gouvernement, mais de l’État, et celle-ci s’inscrit à son tour dans une nouvelle ère dont les emblèmes sont la mondialisation technologique et financière ; la disparition du monde bipolaire qui a émergé après les guerres du siècle dernier ; la corruption de nombreux gouvernements ; la multiplication des inégalités et l’absence d’espoir dans leur avenir pour les nouvelles générations. Felipe González a décrit le phénomène comme étant la crise de la gouvernance de la démocratie représentative dans l’État-nation. Il s’agit de cela, mais pas seulement. Nous sommes confrontés à l’effondrement de l’ordre établi au milieu d’un chaos qui ne fait que commencer et qui nous accompagnera encore quelque temps…”.3
Mais la perte de contrôle par la bourgeoisie de son appareil politique est nettement différente des diverses crises politiques que celle-ci a connu dans les années 1960 et 1980. Avant les années 1990, les crises politiques de la bourgeoisie étaient liées soit à la nécessité d’affronter les luttes de la classe ouvrière, soit aux tensions impérialistes (la crise du canal de Suez pour la Grande-Bretagne et la France). De plus, elles étaient gérées au sein même de l’appareil politique bourgeois. Dans la présente crise, le prolétariat n’est pour l’instant pas au centre de la scène sociale. Ainsi, la crise actuelle réside dans la perte de contrôle de la bourgeoisie de son propre appareil politique. Les mouvements populistes se constituent autour de thèmes récurrents comme les réfugiés, la sécurité face au terrorisme, la rancœur des personnes ruinées par la crise… Mais ils se nourrissent également des tensions particulières au sein même des bourgeoisies nationales : de la désorientation de la bourgeoisie américaine face à l’affaiblissement de son leadership mondial, de l’ambiguïté de la bourgeoisie britannique face à l’Union européenne, des divisions entre fractions régionalistes et nationalistes au sein de la bourgeoisie espagnole ou belge, etc.
L’explication de l’impasse dans laquelle se trouve actuellement la bourgeoisie espagnole pour former un gouvernement se comprend dans ce cadre de référence historique et international et dans la façon dont cela s’est concrétisé dans le jeu politique de l’État national. Nous ne pouvons pas refaire ici un développement détaillé des analyses que nous avons faites des différents épisodes de l’expression de la crise de l’appareil politique de l’État espagnol ; bien qu’il ne soit pas non plus possible de parler de la situation actuelle sans les avoir à l’esprit.
Du bipartisme à l’ “Octo-Pedro”4
Des précédents
La bourgeoisie espagnole, grâce à la Constitution de 1978, s’était dotée d’un terrain de jeu consensuel pour gérer ses tensions politiques. Parmi les résultats les plus notables, citons le fait que le PSOE devienne le principal parti de l’État bourgeois et mène la transformation vers la démocratie ainsi que la restructuration industrielle ; qu’une droite démocratique se soit formée, balayant en les camouflant sous le tapis les vestiges du franquisme ; ou que les tensions nationalistes avec la Catalogne et le Pays basque aient été canalisées dans une lutte pour des avantages financiers et des élargissements de leur autonomie régionale.5 Mais cela n’a été possible que grâce à l’unité de tous pour faire face à la lutte du prolétariat et à la discipline du bloc impérialiste américain qui, par l’intermédiaire de l’Allemagne et de la France, a parrainé la transition démocratique. Aucun de ces deux facteurs n’est présent aujourd’hui et avec l’aggravation de la crise, le bateau prend l’eau de toutes parts.
Le bipartisme et l’alternance PP-PSOE sont, en Espagne, l’expression d’une tendance générale au parti unique, propre au totalitarisme étatique qui caractérise la décadence du capitalisme et qui, dans les pays démocratiques, prend la forme du bipartisme : deux partis (un plus à droite et l’autre plus à gauche) qui se répartissent le pouvoir d’une façon presque monopolistique. Aux États-Unis, on retrouve l’alternance Démocrates-Républicains ; en Allemagne, la CDU et le SPD ; en Grande-Bretagne, les Conservateurs et les Travaillistes, et en Espagne le duo PP–PSOE. L’usure de cette recette, due aux chocs de la crise économique qui dure depuis près d’un demi-siècle et à la décomposition, comme nous l’avons expliqué plus haut, s’est manifestée dans le cas espagnol au travers du PP dans lequel il n’y avait quasiment plus de hauts cadres qui ne soit pris dans des affaires de corruption ; tandis que le PSOE devenait un royaume de taïfas6 sous le commandement des “barons” et de la “vieille garde” au blason terni. Ceci a abouti en 2016 à la crise du PSOE, à un équilibre instable ainsi qu’à une lutte acharnée entre des apparatchiks et des arrivistes, ce qui est aujourd’hui la marque de fabrique de la maison social-démocrate. Le PP, en revanche, doit affronter la montée en puissance des dissidents de Vox, parti dont il a nourri l’idéologie. 7
La tentative d’une alternative au bipartisme fut celle de la “chronique d’une mort annoncée”. Comme nous l’énoncions en 2016 : “Le PSOE, parti gouvernemental par excellence, ne peut pas faire alliance avec la droite “moderne” et “renouvelée” que devait être Ciudadanos. Ce parti est viscéralement espagnoliste (plus encore que le PP) et il ne peut servir de canal de dialogue avec les nationalistes de droite. Mis à part sa démagogie anti-corruption, il n’offre rien de “centriste” qui pourrait séduire un électorat plus “moderne”. À commencer par son leader, l’immense majorité de ses cadres sent le snobinard à plein nez, de manière plus puante encore que ceux du PP. Malgré les gesticulations de monsieur Rivera, Ciudadanos ne peut pas être plus qu’une béquille boiteuse du PP. Ciudadanos n’a rien à voir avec les partis charnières qui existent en Allemagne (les libéraux, les Verts) et qui peuvent donner de la crédibilité aux partis du centre (CDU et SPD) qui prennent fermement position contre le populisme”.8
Et d’autre part : “(…) au niveau du gouvernement central, la coalition “front populiste” est dangereuse pour les intérêts du capital espagnol. Tout d’abord, Podemos est un conglomérat chaotique de tendances variées au sein duquel un groupuscule trotskiste joue un rôle non-négligeable (Izquierda Anticapitalista) et qui, quelle que soit l’ampleur des ambitions de ses leaders, et quel que soit leur degré de “modération”, sont clairement inaptes à la gestion d’un gouvernement. De plus, existe à Podemos le poids des nationalismes périphériques qui le poussent à la démagogie risquée du “droit des peuples à décider”, chose que la plupart des barons socialistes ne tolèrent pas. En bref, les partis nationalistes périphériques ne sont pas fiables étant donné la mauvaise soudure de l’unité nationale du capital espagnol et ils suscitent beaucoup de méfiance au sein de l’appareil socialiste. À tout cela, il faut ajouter le discrédit qu’engendrerait un “gouvernement progressiste”, non seulement pour le PSOE lui-même, ainsi qu’à Podemos, mais également pour toute la soi-disant “classe politique””.
Justement, la surenchère des nationalismes9 est l’autre grand facteur de chaos responsable de la situation actuelle. La promesse de Zapatero “d’approfondir” la question du “statut catalan”, ainsi que l’incompétence du PP, sont le déclencheur des récents événements. Bien que la cause soit mondiale, comme nous venons de le développer, la toile de fond est une escalade du radicalisme entre l’ERC10 et l’ex-CiU11 à des fins électorales.12 Le PP qui, en 2012, refusait de tenir sa promesse de revoir la question du statut d’autonomie et d’égaliser l’offre de transferts de compétence catalans avec celle du Pays basque, a fait déclarer à Mas, alors président de la Generalité, que “la Catalogne entrait en territoire inconnu”. Un territoire où, de facto, les fractions les plus radicales et les plus irresponsables du nationalisme, comme la CUP/CDR,13 se renforcent et s’engagent sur la voie unilatérale de l’indépendance qui a connu son heure de gloire grâce au référendum d’octobre 2017 et à la proclamation de la “République catalane”.14
Conséquences
Les secteurs les plus responsables de la bourgeoisie ont répondu à cette situation par la motion de censure qui a chassé Rajoy du pouvoir et a permis au PSOE de redevenir le pivot de la politique bourgeoise, après une période où il risquait d’être ostracisé (comme lorsqu’il a soutenu l’application de l’article 155 de la Constitution en Catalogne, sans que cet appui soit nécessaire). Cette motion de censure, notamment concoctée par Podemos, a rapidement été soutenue par le PNV15 et l’ERC (qui a été le premier groupe à parler ouvertement de la fin de la voie unilatérale vers l’indépendance). Cette opération a reçu la bénédiction de la majeure partie de la bourgeoisie, ce qui a donné un élan important au PSOE lors des élections du 27 avril dernier.
Pour quelle raison l’ERC et, dans une moindre mesure, Podemos ont-ils torpillé cette majorité en votant contre les budgets, et ce, juste avant les élections ? Pourquoi le PSOE, qui disposait de meilleurs atouts pour gouverner, n’a-t-il pas réussi à investir Pedro Sánchez après ces élections et a dû organiser les élections du 10 novembre dernier ? Il est difficile de donner une réponse, mais il semble que les plans des secteurs les plus responsables de la bourgeoisie aient été rapidement sabotés par les secteurs les plus imprévisibles.
En voici quelques exemples :
- le sabotage de la majorité de la motion de censure est essentiellement imputable à la fraction Puigdemont avec ses réunions à Pedralbes avec le gouvernement du PSOE en novembre 2018, qu’elle arrive presque à présenter comme une capitulation (puisque l’État aurait accepté de négocier “entre gouvernements”), ce qui laisse une marge de manœuvre à l’ERC ainsi qu’au PSOE lui-même ;
- celle qui a saboté le gouvernement PSOE en juillet est principalement la fraction Iglesias dans Podemos, qui voit dans le gouvernement de coalition l’unique façon de survivre à l’envenimement des querelles intestines au sein du groupe lui-même, mais aussi un secteur très important du PSOE, rebuté par une alliance avec Podemos.
-Alors que la sentence du “procès” était connue depuis des mois par tous les politiciens, les réactions qu’elle a provoquées, surtout sous la forme de mobilisations et d’affrontements de radicaux avec la police durant quinze nuits consécutives, ont laissé les principaux acteurs politiques “hors-jeu”. Les quinze nuits d’affrontements violents entre la police et les radicaux n’ont pas conduit à un affaiblissement du poids électoral des fractions les plus imprévisibles (en fait, celles qui ont le plus progressé lors des dernières élections, à part Vox, ont été Bildu, le CUP/CDR, les partisans de Puigdemont, etc), mais plutôt de celles qui sont les plus enclines à la négociation (ERC). Si, par cette manœuvre, le PSOE a cherché à associer la question de l’indépendance avec la violence afin d’obtenir un soutien international et ainsi assouplir davantage de secteurs indépendantistes, il faut dire que cela a été un échec relatif. Les tribunaux européens continuent de jouer les prolongations, tandis que des personnalités internationales font signer un manifeste pour que soit trouvée une solution “négociée” au “conflit catalan”. Ainsi, l’orientation des mobilisations en Catalogne est passée de l’indépendance à l’anti-répression, c’est pourquoi, contrairement à ce qui s’est passé en octobre 2017 par exemple, il y a eu des manifestations dans les principales villes espagnoles en solidarité contre les violences en Catalogne.
Les élections du 10 novembre n’ont rien donné et soulèvent les mêmes questions dans les mêmes termes. L’apparente coalition avec Podemos satisfait seulement sa fraction dirigeante (qui se réjouit à la perspective de “prendre la relève”) ; mais elle laisse les choses exactement comme elles étaient en ce qui concerne la question catalane et l’opposition dans et hors du PSOE.
Antifascisme et campagne démocratique : un cocktail explosif contre le prolétariat en Espagne
La transition vers la démocratie dans le but de se libérer du franquisme s’est appuyée sur deux grands piliers :
- Face au prolétariat, l’illusion sur les “syndicats ouvriers”, sur les “libertés démocratiques”, les partis de droite, la défense de la Démocratie ;
- Face au problème chronique de la mauvaise soudure de l’unité nationale du capital espagnol, la puissance des nationalismes périphériques (particulièrement basque et catalan) qui ont conduit à l’ “État des Autonomies” dans l’État.
Le nationalisme rance et “grand espagnol” du franquisme avec ses ridicules prétentions impérialistes et son catholicisme national condensé dans le slogan “pour l’empire jusqu’à Dieu” n’arrive plus à réintroduire le poison de la “défense de la nation” dans les rangs du prolétariat et s’avère contre-productif. La bourgeoisie a donc dû recourir au renforcement des micro-nationalismes, persécutés par le régime franquiste. Ainsi, la gauche et surtout le PSUC16 en Catalogne ont mené une intense campagne démocratico-nationaliste avec le fameux slogan “Llibertat, amnistia et Estatut d’autonomia” (Liberté, amnistie et Statut d’autonomie).
Cependant, ce qui a historiquement fait le plus de mal au prolétariat a été l’antifascisme et la défense de la démocratie. Telle a été la leçon fondamentale de la période de la République et de la guerre de 1936, lorsque la CNT a perdu tous les liens qu’elle avait encore avec la classe ouvrière, en raison de son adhésion inconditionnelle à la mystification antifasciste17 et la réponse initiale des ouvriers sur leur terrain de classe au coup d’État militaire de juillet 1936 qui a été détournée par le Front populaire, soutenu par la CNT-POUM,18 vers le terrain de la guerre impérialiste, celui de “la défense de la République contre le fascisme”. Les ultimes résistances du prolétariat furent écrasées par le Parti communiste d’Espagne en mai 1937 avec l’aide de l’ERC et de la CNT, son ministre Montseny appelant depuis la radio les ouvriers massacrés à “embrasser les gardes d’assaut”.19
Aujourd’hui, la CUP/CDR et d’autres “nationalistes de gauche” sont comme qui dirait des carcasses du PSUC et d’autres cliques de gauche.
La classe ouvrière, dans les principales concentrations de la Catalogne, fait partie des bataillons centraux du prolétariat en Espagne, avec une tradition notable de luttes, comme dans le Bajo Llobregat, à la SEAT, etc., qui a apporté des contributions précieuses à la mémoire historique du prolétariat. Et s’il est vrai qu’elle ne s’est pas laissée entraîner sur le terrain indépendantiste, l’ambiance de polarisation brutale entre le nationalisme espagnol et le nationalisme catalan crée une barrière difficile à surmonter dans l’effort que le prolétariat doit faire pour trouver son propre terrain de classe autonome et international, afin de lutter contre les attaques de plus en plus graves du capitalisme en crise et contre sa dérive vers la barbarie de la guerre, de la misère et de la destruction de l’environnement.
Hic Rodas/Pinto, 20 décembre 2019
[1] Voir sur notre site internet : “La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [2]”.
[2] Voir sur notre site internet : “Résolution sur la situation internationale (2019) : Conflits impérialistes, vie de la bourgeoisie, crise économique [19]”.
[3] Extrait d’un article paru sur El Pais, Opinión (25 novembre 2019).
[4] Déformation par les médias du mot “octoedro” (l’octaèdre) en octo-pedro pour désigner le gouvernement actuel, en référence au prénom de Pedro Sanchez. (NdT). Son gouvernement est en effet arrivé au pouvoir grâce au soutien d’au moins huit partis politiques. Il a également été surnommé le gouvernement Frankenstein.
[5] Toutefois, la violence des attentats n’a pas faibli (ETA pour les indépendantistes basques ou Terra Lliure, Hipercor pour les Catalans, etc.).
[6] Les taïfas étaient les 23 royaumes musulmans indépendants qui s’étaient formés après la dissolution du Califat de Cordoue en 1031. (NdT)
[7] Voir sur notre site Vox (Espagne) : Une “voix” clairement capitaliste [20].
[8] Voir l’article sur notre site web : “Espagne : qu’arrive-t-il au PSOE ? [21]”
[9] Bien qu’aujourd’hui le nationalisme en Catalogne ait pris le dessus, cela n’empêche pas le nationalisme basque (échaudé par l’échec du plan Ibarretxe) de faire profil bas et de prendre son mal en patience pendant qu’il se rend indispensable au gouvernement et joue ses cartes dans l’ombre, incitant à une plus grande autonomie/autodétermination.
[10] Esquerra Republicana de Catalunya, en français : Gauche Républicaine de Catalogne. (NdT)
[11] Convergència i Unió (Convergence et Union), aujourd’hui devenue Junts per Catalunya (Ensemble pour la Catalogne ou JxCat). (NdT)
[12] Après la mort de Franco et le retour de Tarradellas (ERC, ancien ministre de l’Intérieur de la Généralité, organisateur avec le Parti communiste de l’Union soviétique et d’autres de la répression de mai 1937), ce fut le parti créé par Pujol en 1974, qui, en réalité, était au cœur du nationalisme catalan, avec un “projet politique de secteurs de la bourgeoisie, de la petite bourgeoisie et de la classe moyenne à haut revenu, ainsi que de composantes importantes de l’Église en Catalogne, qui tente de mobiliser de larges secteurs de la société catalane…” Comme le dit un historien, c’est un parti à deux facettes : l’une “centriste”, désireuse de s’allier aux “partis de Madrid”, et l’autre déjà populiste, autour de la figure centrale de Pujol.
Ce parti, Convergència Democràtica de Catalunya (CDC), a commencé à perdre du poids suite au retrait de Pujol et des scandales de corruption de son clan familial. Dès lors, la facette ultra-nationaliste est apparue, brisant la coalition (CiU) avec les régionalistes marginaux de l’UDC et la partie moins catalaniste du CDC, tombant entre les mains de personnages au style aventurier comme Puigdemont, ou à des illuminés comme Torra, sans parler de son entourage. Ce parti est aujourd’hui l’expression même de la symbiose du populisme et du nationalisme, entérinée par les changements successifs d’ “en-tête” : PDCat, alors devenu JxCat. Ce parti du “seny” (bon sens, en catalan) bourgeois a fini entre les mains de personnes qui se sont alliées ou qui contrôlent les nationalistes de gauche du CUP, du CDR et autres Tsunamis démocratiques (TD), qui se sont formés avec le rebut de groupes gauchistes du paysage politique catalan (trotskystes de toutes tendances, altermondialistes “anticapitalistes”, voire anarchistes).
Ces sbires de la contre-révolution, qui pendant des décennies, n’ont cessé de soutenir toutes sortes de nationalismes plus ou moins exotiques, ont finalement pu mettre en pratique leurs politiques dans leur propre pays. Telle est la nouvelle coalition du parti centre-droit de Catalogne, avec ce magma nationalo-gauchiste.
[13] Candidatura d’Unitat Popular (Candidature d’unité populaire, en catalan) et Comitès de Defensa de la República (Les Comités de défense de la République). (NdT)
[14] Une annonce faite de mensonges, comme l’ont reconnu les “braves” dirigeants indépendantistes.
[15] Partido Nacionalista Vasco (Parti nationaliste basque). (NdT)
[16] Parti socialiste unifié de Catalogne. (NdT)
[17] Voir sur notre site web : “L’antifascisme, la voie de la trahison de la CNT (1934-1936) [22]”.
[18]Partido Obrero de Unificación Marxista (Parti ouvrier d’unification marxiste). (NdT)
[19] Voir notre brochure en espagnol : “Franco y la Republica masacran al proletariado”.
Quelques jours après la publication par le CCI à la fois en espagnol, en français, en anglais et en allemand (du moins, autant que je sache), cela en raison de l’importance et de la gravité de l’affaire, d’un appel à la responsabilité du milieu prolétarien pour assurer sa défense1 contre les agissements d’un élément ayant une activité très nocive et qui a toujours refusé de clarifier son comportement, le GIGC (ex-FICCI) a publié un communiqué pour défendre cet élément2 et surtout attaquer le CCI.3
En solidarité, je commenterai certains passages de la déclaration du GIGC :
“Il en va de même du seul reproche “politique” qu’il porte : Nuevo Curso n’a pas répondu aux critiques, dont les nôtres, portant sur sa revendication historique de l’Opposition de gauche trotskiste des années 1930. Mais quelle autorité peut avoir le CCI en la matière, lui qui se refuse obstinément à répondre publiquement à ceux, dont nous sommes aussi, qui relèvent ses abandons successifs et gravissimes des principes marxistes”.
C’est la logique même du : “œil pour œil, dent pour dent”. Selon le GIGC, le CCI n'était pas en droit d'attendre une réponse de Nuevo Curso car ce dernier ne répond pas publiquement aux critiques du GIGC. dont il mentionne même pas le nom. Pour commencer, c’est un grand mensonge de prétendre que le CCI n’a pas répondu au GIGC (et cela peut être vérifié sur le site internet lui-même).4 Et pour finir, cet “œil pour œil, dent pour dent” est un principe totalement étranger à la classe ouvrière. Il serait très important que certains éléments du milieu prolétarien appellent au débat sur certaines questions, même si dans la logique de leur démarche interne, ils refusent de répondre provisoirement à d’autres questions.
“Nous l’avions déjà signalé l’été dernier : “Le CCI lance aujourd’hui une véritable attaque parasitaire – pour reprendre ses propres termes – vis-à-vis de ces forces, en particulier vis-à-vis du Gulf Coast Communist Fraction, en essayant de les convaincre de débattre en priorité du parasitisme””. Le texte ajoute : “Peu importe pour le CCI que le GCCF ait affiché son opposition à cette position, le fait même de réussir à leur faire accepter une réunion sur ce thème en lieu et place des questions politiques liées à l’expérience et aux leçons programmatiques de la Gauche communiste, est déjà en soi un piège pour de nouvelles forces sans expérience ”.
Le CCI a cherché à discuter de cette question importante en priorité afin de clarifier une divergence importante avec la GCCF (sans pour autant laisser de côté “les questions politiques liées à l’expérience et aux leçons programmatiques de la Gauche communiste”, comme s’il y avait une contradiction entre les deux ! C’était précisément une des questions politiques soulevées par ce groupe !) et il pensait que son contact étroit avec le parasitisme constituait une menace à discuter d’urgence avec ce groupe. Le CCI cherche avant tout à encourager la discussion et la clarification, et si le GCCF a exprimé un désaccord, ce n’est pas quelque chose de négatif qui clôturait le débat une fois pour toutes. Le CCI n’a rien fait “accepter” à la GCCF, leurs membres ont décidé d’accepter cette discussion et ont finalement décidé de la clore. Le CCI n’a ni les moyens ni l’intention de faire accepter de force ses positions ni d’embrouiller le débat. Il a recherché au contraire la poursuite de ce débat pour le développer dans la plus grande clarté possible.5 Le GIGC traite les éléments du groupe GCCF comme s’ils n’étaient que des suivistes sans force de volonté ni sens des responsabilités pour défendre la cohérence de leurs positions. C’est ce traitement ambivalent auquel s’exposent ceux en contact étroit avec le parasitisme.
D’un autre côté, comment un groupe qui se présente comme “cohérent avec lui-même” peut-il utiliser et adopter des concepts avec lesquels il est en désaccord : “une attaque parasitaire – en utilisant les propres termes”. Ce ne peut être qu’une instrumentalisation puérile du “c’est celui qui le dit qui l’est !”. Cela s’inscrit dans la dynamique parasitaire typique d’accuser les autres de suivre leur propre logique, et de projeter sur d’autres ce qu’ils font eux-mêmes. Ils disent même cela de manière plus sophistiquée, pour pouvoir accuser le CCI en retour. Sans doute, certains éléments le font consciemment, mais d’autres s’enferment dans le cercle vicieux de la conception du “œil pour œil, dent pour dent”. Il est important de sortir de ce cercle des accusations faciles et disséminées à tort et à travers pour distinguer les allégations sérieuses et fondées pour défendre le milieu prolétarien de la calomnie. Dans tout ce rideau de fumée d’accusations, toutes peuvent sembler identiques. Le CCI, cependant, ne nie pas la nécessité de porter des accusations sérieuses, rigoureuses, fondées et courageuses, pour la défense du milieu prolétarien, et déclare qu’il s’agit d’une question grave qui ne doit pas être prise à la légère et qu’elle requiert discrétion et enquête approfondie. Ce n’est pas quelque chose de nouveau qui surgirait avec le CCI mais qui appartient à la tradition de la défense de la classe ouvrière (contre Vogt, Lassalle, Schweitzer, l’Alliance de Bakounine, etc.) et ce n’est pas un outil qui vise à enfoncer personnellement des individus, mais à clarifier et distinguer les comportements qui appartiennent à la classe ouvrière et ceux qui n’en font pas partie, sur la base d’une enquête sérieusement menée sur les éléments avec une attitude trouble, pour assurer la défense du milieu prolétarien. Le CCI cherche également à distinguer ce type de calomnie de la diffamation, deux choses qui ne relèvent pas d’une vague unité confuse mais sont bien distinctes.
Les éléments qui composent le milieu politique prolétarien doivent chercher à clarifier ce qui se cache derrière cette attaque du GIGC non pas en partant de préjugés, mais à partir d’une méthode d’analyse et de la recherche de la clarté. Non en sortant les mots de leur contexte, mais aussi clairement que possible en lisant attentivement leur texte qui s’oppose aux documents du CCI et à son activité générale. En plus, il importe de suivre le reste des textes publiés par le CCI sur le GIGC ou la FICCI, et de les comparer avec ceux publiés par le GIGC sur le CCI. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons faire face à la confusion et à l’embourbement du milieu prolétarien. La rigueur et le sérieux sont nécessaires. Cette rigueur méthodique et ce sérieux me conduisent à une dénonciation claire de ce type d’activité parasitaire, et à distinguer qui fait partie du milieu prolétarien et qui, même s’il prétend le contraire pour d’autres raisons, n’en fait pas partie. La recherche de la clarté est fondamentale, elle est une démarche essentielle pour la classe ouvrière. Le CCI ne cherche pas à dénaturer les propos des groupes parasites, ni de la bourgeoisie.
“On voit mal l’intérêt que le PS et l’État espagnol auraient à créer de toute pièce un groupe comme Nuevo Curso dont la dénonciation du caractère capitaliste du… PS lui-même est systématique. Et qui, d’autre part, a joué un rôle actif dans l’émergence et le regroupement international de nouvelles forces révolutionnaires et communistes, particulièrement sur le continent américain ”.
Le CCI n’a jamais dit que le PSOE avait créé Nuevo Curso. Quiconque lit l’article du CCI peut le constater. C’est donc un mensonge.6 Ce n’est pas que le GIGC soit confus ou incapable de distinguer les choses. Le GIGC n’a pas d’autre moyen pour maintenir son existence que d’attaquer le CCI. Ici, il fait passer l’idée que tout ce qui, apparemment, rassemble des forces révolutionnaires constitue une réalité dans ce sens. Il est contraire à la nature du GIGC de reconnaître l’existence de groupes qui dénoncent le système capitaliste, mais qui n’appartiennent pas à la classe ouvrière, même s’ils s’en revendiquent (comme l’Alliance de Bakounine ou comme eux-mêmes) et de rechercher la clarté à ce sujet. Donc ils fourrent tout dans le même sac, pour se camoufler. La superficialité avec laquelle ils défendent Nuevo Curso (bien que ce ne soit pas NC mais Gaizka l’axe principal des investigations du document du CCI) est la même que celle qui pourrait être utilisée pour défendre le gauchisme (bien que NC ne fasse même pas partie du gauchisme ni de la Gauche communiste). Que se passe-t-il alors ? Il ne se soucie pas du tout de savoir si l’honneur de cet individu est défendable ou non. Trouver des éléments pour enquêter et comprendre aiderait à éliminer le rideau de fumée derrière lequel se cache le GIGC. Le GIGC ajoute d’ailleurs, avec une grande hypocrisie, soit dit en passant, que parler d’individus spécifiques, c’est entrer dans la “psychologie des individus et des supposés comportements individuels” et qu’il s’agit d’un terrain “nauséabond et destructeur” où il est impossible de vérifier quoi que ce soit. Une fois de plus, le GIGC attaque la conscience de la classe ouvrière, en l’empêchant de reconnaître des comportements qui n’ont rien de prolétariens et en la rendant très craintive à l'idée de comprendre les comportements individuels.
En outre, le CCI met clairement en garde “les participants au blog de Nuevo Curso qui le font de bonne foi”. Le but du CCI est de faire revenir ces éléments dans le camp prolétarien avec la plus grande clarté et la meilleure qualité possible, et non de détruire, renverser ou démolir des organisations, comme l’exprime le GIGC. Dans sa dénonciation du parasitisme, le CCI offre une perspective positive.
Le CCI “N’a-t-il pas émis une résolution interne appelant à la destruction de la TCI (ex-BIPR) lors de son 16e congrès de 2005 ? Aujourd’hui c’est au tour de Nuevo Curso”.
Le GIGC ne met pas de liens web vers les textes du CCI, il ne cite que les éléments qui lui conviennent, hors de tout contexte. Ils veulent même y mêler le dernier Congrès du CCI7 mais, pour commencer, ils ont tout à fait tort de dire que le CCI renie la nécessité de la lutte des classes. Seulement, ils ne cherchent pas à comprendre la théorie du cours historique, ils l’utilisent simplement comme une arme pour lancer leurs attaques anti-CCI.
De plus, ils font allusion et déforment les débats internes du CCI en 2005 ! Mais le GIGC, anciennement FICCI a été exclu du CCI en 2003. Comment ont-ils fait pour se procurer ces documents ? Et ils osent affirmer péremptoirement que le CCI a demandé la destruction de la TCI !8 Dans ce contexte, je demande, en tant que sympathisant du CCI et de la Gauche communiste, à la TCI d’exprimer sa solidarité avec le CCI au nom de la défense du milieu prolétarien.
Je n’irai pas plus loin dans le commentaire de ce document du GIGC, qui doit être analysé plus en profondeur. Mon intention est seulement d’exprimer le plus rapidement possible ma solidarité avec le CCI.
Fraternellement
TV, 19 février 2020.
[1] “Qui est qui dans Nuevo Curso ?” sur notre site internet. (NdR)
[2] Plus qu’en défense de cet élément, le GIGC prétend défendre le groupe Nuevo Curso, cherchant à faire passer Gaizka pour un épouvantail agité par le CCI. Ensuite, ses accusations de “personnalisation de divergences politiques” signifient, en réalité, déguiser l’individu en le cachant derrière le groupe, et travestir, en les dénaturant, les arguments du CCI. Le GIGC, n’a évidemment aucun intérêt à théoriser une distinction entre, d’une part, l’enquête rigoureuse sur l’honneur d’individus suspectés d’être des aventuriers afin d’assurer la défense du milieu prolétarien et, d’autre part, les attaques personnelles. Cependant, il n’a eu aucun scrupule à faire contre le CCI ce qu’il prétend aujourd’hui dénoncer en révélant le nom de militants qu’il cherchait à discréditer : https://fr.internationalism.org/ri330/ficci.html [25] Le CCI a sérieusement enquêté sur cet individu en lui donnant l’occasion de s’expliquer à plusieurs reprises. S’il était honnête, il aurait considéré que l’enquête du CCI sur lui était injustifiée, il lui appartiendrait alors de clarifier son activité plus que suspecte, ainsi que de justifier son refus de s’en expliquer par le passé.
[4] Le CCI a répondu aux attaques du GIGC, bien qu’il ne soit bien sûr pas entré dans son jeu en l’incluant dans la Gauche communiste, en le traitant comme tel. Malgré cela, il s’est défendu contre ses attaques en répondant à ses calomnies et fausses déclarations depuis qu’il a constitué sa fausse fraction interne du CCI. Il suffit d’écrire “ficci”, “gigc”, “giic” ou “igcl” dans le moteur de recherche du site internet du CCI en espagnol, en anglais ou en français pour voir que le CCI n’a pas ignoré le GIGC, mais a recherché la plus grande clarté sur ses comportements.
[5] Le CCI, et l’on peut voir la maturité à cet égard dans les résolutions du 23e Congrès dernier, comprend que la lutte contre le parasitisme est l’une des luttes politiques fondamentales de cette période de décomposition. Ce phénomène, n’a rien d’extraordinaire dans la société bourgeoise, par rapport auquel il est loin d’être un corps étranger. Face à cela, il est nécessaire de lutter pour la défense de l’organisation contre des groupes qui prétendent faire partie du milieu politique prolétarien (aux origines diverses et hétérogènes) mais dont l’activité collective (malgré l’inclusion de positions contradictoires) vise à détruire les véritables organisations révolutionnaires, de la manière la plus voilée possible, pas nécessairement à travers des attaques frontales et continues qui leur feraient perdre leur apparence. Son origine n’est pas nécessairement la présence d’agents rémunérés par la bourgeoisie, car le GIGC a l’intention de déformer ce que dit le CCI pour fabriquer un épouvantail (bien que ce soit un bon terrain pour l’infiltration de tels éléments, mais aussi pour des aventuriers politiques et des ambitieux déclassés en mal de reconnaissance). Distinguer ces groupes des véritables organisations révolutionnaires est une question qui doit être abordée de manière méthodique et rigoureuse, en recherchant la clarté et la discussion avec des éléments en recherche qui ont du mal à aller au-delà des apparences. Il est important de distinguer, par exemple, le parasitisme du gauchisme, d’une part, et du marais, de l’autre, ou des éléments en recherche, car la confusion réelle en leur sein pourrait être confondue avec l’utilisation et la propagation de ces confusions à des fins propres. Les outils pour faire cette distinction sont fondamentaux et ne sont pas une invention du CCI.
[6] La déformation est très claire pour ceux qui ont lu les deux textes. Le CCI déclare qu’ “il est le principal animateur de Nuevo Curso” et “qu’aujourd’hui Gaizka prétende créer avec Nuevo Curso un lien “historique” avec une soi-disant Gauche communiste espagnole”, mais à aucun moment il ne dit que le PSOE a créé NC. Qu’un individu en contact régulier, bien qu’en alternance (avec la droite aussi), avec des hauts responsables de la bourgeoisie dans sa carrière alors qu’il était en contact avec le CCI, ait été le principal animateur de NC ne signifie pas nécessairement que la bourgeoisie a créé ce groupe.
[7] “en particulier celui de son dernier congrès liquidant le principe fondamental et central du marxisme de la lutte des classes comme moteur de l’histoire : « la dynamique générale de la société capitaliste (…) n’est plus déterminée par le rapport de forces entre les classes » (Résolution du 23e congrès du CCI) ?”
[8] Pour le CCI, le TCI est une organisation de la Gauche communiste ! Il y a peut-être eu alors un débat interne sur la TCI (mais sûrement pas dans les termes avancés par le GIGC !) mais si cela avait été une résolution du CCI, cela aurait été publié. Ou s’agit-il d’une contribution hors contexte ? Nous ne savons pas. Je ne connais pas cette discussion interne, fictive ou réelle, ni son contenu. Ce qui est clair, c’est la nature malveillante du GIGC, qui rend le document du CCI équivalent à une prétendue conspiration interne et secrète contre la TCI : pourquoi cherchent-ils à rompre la nécessaire solidarité entre les deux organisations ?
Nous publions ci-dessous un article réalisé par Acción Proletaria et Rivoluzione Internazionale, organes de presse du CCI en Espagne et en Italie, qui démontre que dans tous les pays, face à la pandémie, la bourgeoisie étale son incurie criminelle et son mépris pour la vie des travailleurs.
L’État capitaliste se présente aujourd’hui comme notre “sauveur”. C’est une arnaque de la pire espèce. Face à l’avancée de la pandémie, qu’ont-ils fait ? Le pire ! Partout, dans tous les pays, ils ont pris les mesures au dernier moment, contraints et forcés face à l’amoncellement de morts ; ils ont maintenu des millions de travailleurs sur leur lieu de travail, sans masque, sans gel, sans gants et entassés. Pourquoi ? Pour continuer de produire, coûte que coûte ! Ils espéraient ainsi gagner des parts de marché face à la concurrence de leurs rivaux en difficulté ! “La Chine est à terre ? Produisons !”, “L’Italie est à terre ? Produisons !”, et ainsi de suite. Même sous la vague de l’épidémie, lorsque le confinement est déclaré, la pression pour soutenir “la santé de l’économie” et les “entreprises qui souffrent” ne cessent pas ! Les déclarations de Trump ou de Bolsonaro sur “l’économie avant tout” ne sont que la caricature de la politique assassine des dirigeants de tous les gouvernements de la planète.
Ce faisant, chaque bourgeoisie nationale met en fait sa propre activité en danger en favorisant la propagation du virus. En riposte, un certain nombre de grèves sont apparues en Italie, en Espagne, en Belgique, en France, aux États-Unis, au Brésil, au Canada… Certes, ces luttes sont limitées, comment pourrait-il en être autrement avec le confinement et l’impossibilité de se rassembler ? Mais justement, leur existence dans plusieurs pays dans ces conditions extrêmement difficiles pour la lutte de classe démontre que, dans certaines parties de la classe ouvrière, existe une résistance au “sacrifice” exigé, à l’idée de servir de chair à canon pour les intérêts du capital. Nous ne pouvons pas nous en remettre à l’État capitaliste qui profite de son rôle de “coordinateur” dans la lutte contre la pandémie pour renforcer davantage son contrôle totalitaire, l’atomisation, l’individualisme et développer une idéologie d’union nationale et même de guerre.
Plus que jamais, cette pandémie nous offre une alternative claire : soit nous laisser emporter par la barbarie du capitalisme, soit contribuer patiemment et avec une vision d’avenir à la perspective de la révolution prolétarienne mondiale.
Aujourd’hui, les rues de Madrid offrent le spectacle du ballet ininterrompu d’ambulances hurlantes, du chaos des services de santé et de douleurs comparables à celle des attentats d’Atocha en 2004 (193 morts et plus de 1 400 blessés). Mais, cette fois, il s’agit d’une pandémie qui a déjà fait 2 300 morts et près de 35 000 personnes infectées en Espagne selon les chiffres officiels, une épidémie qui se propage à une vitesse supérieure à celle atteinte en Italie qui, il y a quelques jours, avait déjà battu tous les records en termes de décès quotidiens (651). Sa létalité (plus de 7 000 décès) fait d’ores et déjà considérer cette épidémie comme la pire catastrophe sanitaire dans les deux pays depuis la Seconde Guerre mondiale. Ces pays ne sont que les signes annonciateurs de ce qui attend probablement les populations des métropoles comme New York, Los Angeles, Londres, etc. Une réalité qui sera encore pire lorsque cette épidémie frappera plus durement l’Amérique latine, l’Afrique, et d’autres régions du monde où les systèmes de santé sont encore plus précaires ou carrément inexistants.
Mais auparavant, pendant des semaines, les dirigeants d’Espagne et d’Italie, – tout comme en France (comme nous l’avons montré dans l’article de notre publication en français)[1] et sans aucun doute d’autres puissances capitalistes, – pouvaient parfaitement imaginer les dégâts que cette épidémie allait causer. Pourtant, comme les autres États capitalistes (pas seulement le populiste Johnson en Grande-Bretagne ou Trump aux États-Unis), ils ont décidé de placer les besoins de l’économie capitaliste avant la santé de la population. Désormais, dans leurs discours histrioniques et hypocrites, ces dirigeants se disent prêts à tout pour protéger la santé de leurs citoyens, et ils accusent le “virus”, contre lequel ils prétendent avoir “déclaré la guerre”.
Mais la responsabilité des décès causées par la pandémie est entièrement imputable aux conditions sociales, à un mode de production qui, au lieu d’utiliser le développement des forces productives, des ressources naturelles, de l’avancement des connaissances pour favoriser la vie, immole la vie humaine et la nature sur l’autel de la loi du profit.
On nous martèle que cette pandémie affecte tout le monde sans distinguer les riches ou les pauvres. Ils diffusent les cas de certaines “célébrités” touchées ou même tuées par le Covid-19. Mais de telles anecdotes sont mises en avant pour cacher que ce sont les conditions d’exploitation des travailleurs qui expliquent la montée et la propagation de cette pandémie.
Premièrement, en raison des conditions de surpopulation des quartiers dans lesquels les exploités doivent vivre, qui sont un terreau propice à la propagation des épidémies. Ceci est facilement vérifiable vu l’incidence plus élevée de cette pandémie dans les régions industrielles à forte concentration humaine (Lombardie, Vénétie et Émilie-Romagne en Italie, Madrid, Catalogne et Pays basque en Espagne), que dans les régions moins peuplées (Sicile, Andalousie) à cause de ces mêmes besoins d’exploitation. L’aggravation du problème du logement des travailleurs accentue encore cette vulnérabilité. Dans le cas de Madrid, les hôpitaux qui souffrent de la plus grande saturation et dont les services s’effondrent, correspondent essentiellement à ceux qui desservent la population des villes industrielles du sud. Dans les logements vétustes et surpeuplés, il est également plus difficile de supporter la quarantaine décrétée par les autorités sanitaires. Dans les “chalets” de Somosierra ou les villas de la ville de Nice où Berlusconi se réfugie avec ses enfants, l’isolement est plus supportable. Les exploiteurs cherchent ainsi, et avec quel cynisme, à se vanter de “leur sens civique”.
Ne parlons pas des répercussions sur la population vivant d’emplois précaires qui doivent, en plus, s’occuper de jeunes enfants ou de personnes âgées qui sont entassées dans de tels types de logements. Le cas des personnes âgées est particulièrement scandaleux qui, après avoir été exploitées tout au long de leur vie, sont aujourd’hui contraintes de vivre seules, ou négligées dans des “résidences” régies par les seules lois du profit capitaliste. Avec un soignant pour 18 patients en moyenne, les maisons de retraite sont devenues l’une des principales sources de propagation de la pandémie, comme on l’a vu en Espagne non seulement parmi les prétendus “pensionnaires”, mais aussi parmi ceux qui y travaillent et qui, avec des contrats temporaires et des salaires de misère, ont été contraints de s’occuper de patients à risque, souvent sans [27]mesures [27]minimales d’autoprotection. La situation est identique en France, jusqu’à récemment présentée comme un modèle étatique de protection sociale. En Espagne, le comble a été atteint pour des patients hospitalisés, qui doivent rester isolés dans leurs chambres à côté des cadavres de leurs compagnons d’infortune décédés, car les services funéraires sont débordés ou manquent de mesures d’autoprotection qui ne suffisent pas à recueillir les dépouilles mortelles. De même, les transferts vers des hôpitaux totalement saturés sont retardés et l’avenir qui attend les malades est, dans de nombreux cas, d’être relégués comme patients de troisième ou quatrième catégorie, par les règles d’un “tri” déterminées en considération des ressources matérielles et personnelles et des critères du rapport coûts/bénéfices. Ces critères constituent de véritables atteintes à la dignité humaine et à la vie, aux instincts sociaux qui ont permis à l’humanité de se développer, et qui aujourd’hui sont mis en place, ouvertement, par les autorités italiennes, espagnoles, françaises, etc.
On peut ajouter à cela la surexploitation et la surexposition au virus désormais bien connues des travailleurs de la santé qui concentrent à eux-seuls entre 8 et 12 % des cas d’infections : plus de 5 000 seulement en Espagne. Même ces statistiques sont en fait largement tronquées, car une bonne partie de ces travailleurs n’ont pas pu être testés pour savoir s’ils sont infectés ou non par le coronavirus. Pourtant, ils sont obligés de travailler sans les gants, masques et blouses de protection nécessaires, qui ont été considérés comme des dépenses “superflues” pour les budgets de santé et le fonctionnement de l’économie capitaliste. Comme dans les hôpitaux, les lits de soins intensifs, les respirateurs, la recherche sur les coronavirus, les remèdes et les vaccins possibles,… tout cela a été sacrifié au nom de la rentabilité de l’exploitation. Aujourd’hui, les cahiers de doléances médiatisées, en particulier véhiculées par les personnalités politiques de “gauche”, tentent de détourner la colère de la population contre la “privatisation” du système des soins de santé. Mais quel que soit le propriétaire de l’hôpital, du laboratoire pharmaceutique ou de la maison de retraite, la vérité est que la santé de la population est soumise à la règle du profit que peut retirer une minorité exploiteuse au détriment de l’ensemble de la société.
La dictature des lois du capital sur les besoins humains s’est clairement révélée dans la mise en place des mesures de quarantaine et de confinement en Italie, en Espagne et en France, pays qui ont imposé des restrictions draconiennes pour faire les courses, supprimer les visites aux personnes âgées, isoler des enfants ou des patients en situation de handicap, mais qui ont néanmoins été totalement laxistes sur d’autres déplacements pour inciter la population à se rendre sur les chantiers de construction, pour charger les navires avec des conteneurs de toutes sortes de matériaux, pour maintenir coûte que coûte la production dans différentes usines (textile, appareils électroménager, chaînes d’automobiles, etc.). Et pour “sécuriser” ces conditions d’exploitation, tout en poursuivant quelques “joggers” ou ouvriers qui prennent la voiture en petits groupes pour se rendre au travail (et économiser une partie des frais de déplacement), l’utilisation du métro ou des transports en commun est autorisée jusque dans les banlieues pour que “la production nationale” se poursuive. De nombreux travailleurs sont scandalisés par le cynisme criminel de la bourgeoisie et expriment leur colère à travers les réseaux sociaux, car dans les conditions actuelles, il est impossible de le faire ensemble dans la rue ou dans les assemblées. Ainsi, face à la campagne assurée par les principaux médias avec le slogan “Restez chez vous !”, un hashtag tout aussi populaire a été lancé #Je-ne-peux pas-rester-à-la-maison à travers lequel s’expriment des livreurs (Deliveroo, Uber), des aides à domicile, des travailleurs du vaste secteur de l’économie souterraine, etc.
Des protestations et des grèves ont également éclaté contre le maintien du travail dans des conditions qui méprisent la vie et la sécurité des travailleurs. Comme il a été crié lors des manifestations en Italie : “Vos profits valent plus que notre santé !”
En Italie, cette colère a explosé depuis le 10 mars à l’usine FIAT de Pomigliano où 5 000 travailleurs sont présents quotidiennement. Les ouvriers se sont mis en grève pour protester contre les conditions précaires dans lesquelles ils ont été contraints de travailler. Dans d’autres usines du secteur de la métallurgie, à Brescia, par exemple, les ouvriers ont posé un ultimatum aux entreprises pour qu’elles adaptent la production aux besoins de la protection des travailleurs, en menaçant de se mettre en grève. Finalement, les entreprises ont décidé de fermer les usines. Et lorsque, plus récemment, le 23 mars, un décret ultérieur du Premier ministre Conte a donné le feu vert à la poursuite du travail dans des industries pas forcément essentielles, des grèves spontanées ont de nouveau éclaté, ce qui a conduit le syndicat CGIL à faire semblant d’appeler à une “grève générale”.
En Espagne, cela a commencé dans l’usine Mercedes de Vitoria, après l’apparition de cas d’infection par le Covid-19 lorsque les travailleurs ont décidé d’arrêter immédiatement le travail. La même chose s’est produite dans l’usine de produits électroménagers Balay à Saragosse (1 000 travailleurs) ou dans l’usine Renault de Valladolid. Il faut dire que, dans bien des cas, c’est l’entreprise elle-même qui a décidé un lock-out (comme à Airbus à Madrid, à la SEAT à Barcelone ou chez Ford à Valence dans la même période, puis chez PSA à Saragosse ou chez Michelin à Vitoria) pour que ce soient les caisses de l’État (autrement dit la plus-value extraite de la classe ouvrière dans son ensemble) qui assument le paiement d’une partie du salaire de ses travailleurs, alors qu’en réalité, avant la pandémie, il y avait déjà des plans de licenciement (dans les usines Ford ou chez Nissan à Barcelone).
Mais il y a aussi des manifestations ouvertes de combativité de classe comme la grève sauvage, c’est-à-dire en marge et contre les syndicats, qui a eu lieu dans les bus à Liège (Belgique) contre l’irresponsabilité de l’entreprise de faire travailler ses employés restant exposés à la contagion, alors que la Belgique avait été l’un des premiers pays à promulguer une fermeture du pays. Il en va de même, par exemple, du personnel de la boulangerie Neuhauser et des chantiers navals ou de la société SNF à Andrézieux (près de Lyon). En France, il y a eu des expressions très dures de protestation dans les chantiers navals de Saint-Nazaire. C’est ainsi qu’un travailleur de ces chantiers navals s’est exprimé à la télévision : “Je suis obligé de travailler dans des espaces confinés avec 2 ou 3 collègues dans des cabines de seulement 9 m² et sans aucune protection. Ensuite, je dois retourner chez moi où ma femme et mes enfants sont confinés. Et je me demande avec angoisse si je ne représente pas un danger pour eux. Je ne peux pas supporter cela”.
Au fur et à mesure que l’épidémie se propage avec ses effets désastreux sur les travailleurs, des foyers, même minoritaires, de protestations ouvrières naissent de cette imposition de la logique et des besoins de l’exploitation capitaliste : nous l’avons vu à la FIAT-Chrysler des usines de Tripton (dans l’Indiana) qui protestaient contre le fait de devoir se rendre au travail quand il est interdit de se réunir en dehors des usines. Des réactions similaires ont pu être observées dans les usines de Lear à Hammond, également dans l’Indiana, dans les usines FIAT de Windsor (Ontario au Canada), ou dans l’usine de camions Warren dans la périphérie de Détroit. Les chauffeurs de bus de la ville de Detroit ont également interrompu leur travail jusqu’à ce que l’entreprise leur assure un minimum de sécurité au travail. Il est très significatif que, dans ces luttes aux États-Unis, les travailleurs aient dû imposer leur décision de cesser de travailler contre la consigne donnée par le syndicat (en l’occurrence l’UAW) qui les a encouragés à continuer de travailler afin de ne pas nuire aux intérêts de l’entreprise.
Dans le port de Santos (Brésil), des travailleurs ont manifesté contre les obligations imposées par les autorités de se rendre au travail. Également dans ce pays, il y a une préoccupation croissante parmi les travailleurs des usines Volkswagen, Toyota, GM, etc. contre le fait de devoir poursuivre la production comme s’il n’y avait pas de pandémie.
Si limitées que soient ces protestations, elles constituent une part importante de la réponse de classe du prolétariat à la pandémie, qui a indubitablement un caractère de classe contre le capitalisme. Même sur un terrain purement défensif, les exploités refusent d’accepter d’être réduits à de la chair à canon pour les intérêts de leurs exploiteurs.
La bourgeoisie elle-même est consciente du potentiel de développement de la combativité et de la conscience du prolétariat que contient cette accumulation d’agitation, d’indignation et de sacrifices qui sont exigés des travailleurs. Désormais, même les principaux protagonistes de “l’austéricide”[2] (comme Merkel, ou Berlusconi, ou l’espagnol Luis de Guindos) sont plein la bouche de promesses d’aide sociale. Mais les armes de la classe exploiteuse restent les armes traditionnelles de toute l’histoire de la lutte des classes : tromperie et répression.
L’hypocrisie des campagnes d’applaudissements a été programmée et organisée partout en faveur des travailleurs du secteur sanitaire. Bien sûr, ces prolétaires méritent toute la reconnaissance et la solidarité car ce sont essentiellement eux qui, avec leurs efforts et leur soutien, essaient de maintenir les soins de santé à flot. Ils le font depuis des années contre les suppressions d’emplois et la détérioration des ressources matérielles. Ce qui est d’un cynisme répugnant, c’est de voir comment les autorités gouvernementales qui ont précisément créé ces conditions de surexploitation et d’impuissance de ces travailleurs, cherchent à associer leur prétendue “solidarité” avec l’idée que nous devrions tous nous sentir embarqués dans le même bateau, en chantant l’hymne national et en exaltant les valeurs nationalistes comme réponse à la propagation de la pandémie. Le nationalisme dégoûtant de ces “mobilisations” promues par les propres organes de l’État tente de cacher qu’il ne peut y avoir le moindre intérêt commun entre exploiteurs et exploités, entre capitalistes et personnes affectées par la dégradation des infrastructures sanitaires, entre ceux qui ne se préoccupent que du maintien de la production et de la compétitivité du capital national et ceux qui placent le respect de la vie et des besoins humains au premier plan. La “patrie” n’est qu’un énorme bobard pour les travailleurs, qu’elle soit mise en avant par des fractions populistes comme Salvini et Vox, ou par des chantres de la démocratie comme Podemos, Macron et autres Conte.
Au nom précisément de cette mensongère “solidarité nationale”, les citoyens sont appelés à dénoncer les personnes qui “outrepassent” la quarantaine, favorisant un climat de “chasse aux sorcières” envers des mères d’enfants autistes ou des couples âgés qui font du shopping ou même du personnel de santé se rendant dans les hôpitaux. Il est particulièrement cynique de blâmer quelques “contrevenants” pour la propagation de la pandémie, pour les décès causés par celle-ci ou pour le stress subi par le personnel soignant.
Il n’y a rien de plus antisocial (c’est-à-dire contraire à la communauté humaine) que l’État capitaliste qui défend précisément les intérêts de classe de la minorité exploiteuse, et qui le cache précisément avec la feuille de vigne de cette prétendue et fausse solidarité. De façon doublement hypocrite et criminelle, la bourgeoisie essaie d’utiliser le désastre causé par l’incurie de l’État capitaliste qui défend ses sordides intérêts de classe, comme un moyen d’opposer certains travailleurs à d’autres. Si les employés de l’hôpital refusent d’accepter de travailler sans moyens de protection, ils sont dénoncés comme étant “non solidaires” et menacés de sanctions, comme cela a été récemment le cas avec le licenciement du directeur médical de l’hôpital de Vigo (Galice) pour avoir osé dénoncer le “bla-bla” des politiciens bourgeois concernant les mesures de protection. Le gouvernement de Valence (les mêmes partis que la coalition “progressiste” qui gouverne l’Espagne) menace de censurer les images qui montrent l’état de santé [28]désastreux dans cette région, invoquant le droit à la “vie privée” des patients lorsqu’ils sont entassés dans les services d’urgence !
Si les travailleurs de la compagnie municipale de transports funéraires refusent de travailler sans protection avec les cadavres tués par le Covid-19, ils sont accusés d’être ceux qui empêchent la famille, les proches, les amis d’assister aux funérailles et de faire le deuil du défunt… Comme avec les conditions de logement ou comme lorsqu’ils nous font nous déplacer comme du bétail dans les transports en commun vers les lieux de travail, comme sur les lieux mêmes de travail où l’ergonomie est conçue en fonction de la productivité et non de la physiologie des travailleurs, ceux tués par le coronavirus sont aussi entassés dans des bâtiments transformés en morgues de masse improvisées comme le Palacio de Hielo (Palais de Glace) à Madrid.
Tout l’étalage de cette brutalité inhumaine nous est cependant présenté comme le summum de l’union de toute la société. Ce n’est pas un hasard si dans les conférences de presse du gouvernement espagnol, face aux questions angoissées qui sont posées (“quand arriveront les tests ? Et les masques ? Et les respirateurs ?”), on a invariablement la même réponse imperturbable et évasive du ministre de la Santé : “Dans les prochains jours…”) alors qu’à ses côtés apparaissent les généraux de l’armée, de la police, de la garde civile, bardés de toutes leurs médailles. Le but est d’imprégner les esprits de la population et la plonger dans une ambiance militariste bien connue : “Obéissez sans poser de questions”. La bourgeoisie profite également de l’occasion pour habituer la population à toutes sortes de restrictions aux dites “libertés civiles”, cela à la discrétion de l’Autorité gouvernementale, avec des effets hautement discutables, mais qui favorisent l’autodiscipline sociale et la délation comme nous l’avons vu précédemment et qui sont présentées comme le seul rempart contre les maladies et le chaos social. Ce n’est pas non plus par hasard que la bourgeoisie occidentale exprime aujourd’hui une fascination non dissimulée pour le contrôle que certains régimes totalitaires, comme celui du capitalisme chinois,[3] exercent sur la population. Si aujourd’hui le succès de “la mise en quarantaine” en Chine contre le coronavirus est autant salué, c’est aussi pour camoufler leur admiration pour les instruments de ce contrôle totalitaire de l’État (reconnaissance faciale, suivi des mouvements et rencontres de personnes, utilisation de ces informations pour classer la population en catégories selon leur niveau de “dangerosité sociale”), et pour être en mesure, à l’avenir, de présenter ces moyens d’un plus grand contrôle totalitaire de l’État exploiteur comme le moyen le plus efficace de “protéger la population” contre les épidémies et autres produits du chaos capitaliste.
Nous avons montré comment, face à une crise sociale, se révèle l’existence de deux classes antagonistes : le prolétariat et la bourgeoisie. Qui est en train d’organiser le meilleur des efforts de l’humanité pour essayer de limiter l’impact de l’épidémie ? C’est essentiellement le travail des services sanitaires, des chauffeurs des transports en commun, des ouvriers des supermarchés et de l’industrie alimentaire qui ont constitué la planche de salut à laquelle se cramponne l'État en pleine débâcle. Il a été démontré une fois de plus que le prolétariat est, au niveau mondial, la classe productrice de la richesse sociale, et que la bourgeoisie est une classe parasite qui profite de cette démonstration de ténacité, de créativité, de travail d’équipe dans le but de faire fructifier son capital. Chacune de ces classes antagonistes offre une perspective complètement différente par rapport au chaos mondial dans lequel le capitalisme a plongé l’humanité aujourd’hui : le régime d’exploitation capitaliste précipite l’humanité dans toujours plus de guerres, d’épidémies, de misère, de désastres écologiques ; la perspective révolutionnaire libère l’espèce humaine de sa soumission aux lois de l’appropriation privée par une minorité exploiteuse.
Mais les exploités ne peuvent échapper individuellement à cette dictature. Ils ne peuvent échapper par des actions particulières aux orientations chaotiques d’un État qui agit, en effet, au profit d’un mode de production qui domine le monde entier. Le sabotage ou la désobéissance individuelle est le rêve impossible de classes qui n’ont aucun avenir à offrir à l’humanité dans son ensemble. La classe ouvrière n’est pas une classe de victimes impuissantes. C’est une classe qui porte en elle la possibilité d’un monde nouveau libéré précisément de l’exploitation, des divisions entre classes et nations, de la sujétion des besoins humains aux lois de l’accumulation.
Un philosophe (Buyng Chul Han) très à la mode pour sa description du chaos provoqué par les relations sociales capitalistes actuelles a récemment déclaré que “nous ne pouvons pas laisser la révolution au virus”. C’est certain. Seule l’action consciente d’une classe mondiale pour éradiquer consciemment les racines de la société de classe peut constituer une véritable force révolutionnaire.
Valerio, 24 mars 2020
[2] C’est le nom sous lequel avaient été “popularisées” les mesures décrétées par l’Union européenne face à la crise de 2008 et qui impliquaient, entre autres, un démantèlement des structures de santé.
[3] Évidemment pour le communisme authentique, la Russie, la Chine, Cuba et leurs variantes ne sont que l’expression extrême du caractère totalitaire de la forme de domination universelle du capitalisme d’État dans la période de décadence du capitalisme.
Liens
[1] https://www.who.int/data/gho/data/themes/hiv-aids
[2] https://fr.internationalism.org/french/rint/107_decomposition.htm
[3] https://fr.internationalism.org/tag/5/37/grande-bretagne
[4] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[5] https://twitter.com/i/status/1241080682727825408
[6] https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/02/29/bruno-canard-face-aux-coronavirus-enormement-de-temps-a-ete-perdu-pour-trouver-des-medicaments_6031368_1650684.html
[7] https://www.pasteur.fr/fr/centre-medical/fiches-maladies/mers-cov
[8] https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/
[9] https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Healthcare_resource_statistics_-_beds
[10] https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/17/entre-campagne-municipale-et-crise-du-coronavirus-le-chemin-de-croix-d-agnes-buzyn_6033395_823448.html
[11] https://www.force-ouvriere.fr/releve-de-reunion-du-19-mars-cfdt-cgt-fo-cfe-cgc-cftc-medef-cpme
[12] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/coronavirus
[13] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/covid-19
[14] https://fr.internationalism.org/icconline/201801/9659/iran-lutte-entre-cliques-bourgeoises-danger-classe-ouvriere
[15] https://www.newyorker.com/magazine/2013/09/30/the-shadow-commander
[16] https://www.leftcom.org/en/articles/2020-01-04/the-us-attack-on-baghdad
[17] https://fr.internationalism.org/tag/5/56/moyen-orient
[18] https://fr.internationalism.org/tag/5/445/syrie
[19] https://fr.internationalism.org/content/9922/resolution-situation-internationale-2019-conflits-imperialistes-vie-bourgeoisie-crise
[20] https://fr.internationalism.org/content/10056/vox-espagne-voix-clairement-capitaliste
[21] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201701/9513/espagne-qu-arrive-t-il-au-psoe
[22] https://fr.internationalism.org/rint133/l_antifascisme_la_voie_de_la_trahison_de_la_cnt.html
[23] https://fr.internationalism.org/tag/5/41/espagne
[24] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/pedro-sanchez
[25] https://fr.internationalism.org/ri330/ficci.html
[26] https://igcl.org/Nouvelle-attaque-du-CCI-contre-le
[27] https://elpais.com/espana/madrid/2020-03-21/el-dano-del-coronavirus-en-las-residencias-de-mayores-sera-imposible-de-conocer.html
[28] https://www.lasprovincias.es/comunitat/sindicatos-exigen-generalitat-20200325192618-nt.html
[29] https://fr.internationalism.org/content/10088/pandemie-covid-19-france-lincurie-criminelle-bourgeoisie
[30] https://fr.internationalism.org/tag/5/35/europe