Soumis par Révolution Inte... le
Lors de la dernière journée de grève générale du 5 février, appelée par la CGT, les CRS ont encore envoyé des gaz lacrymogènes pour disperser la manifestation qui se déroulait dans le calme à Paris. Les forces de l’ordre n’ont pas hésité une fois de plus à tabasser lâchement des femmes et des retraités qui défilaient tranquillement (avec ou sans gilet jaune) pour protester contre toutes les mesures d’austérité du gouvernement Macron. La répression aveugle qui s’est abattue sur les manifestations des “gilets jaunes” depuis quatre mois a également fait de nombreuses victimes, estropiées par les tirs de flashball et de grenades lacrymogènes de “désencerclement”. C’est lors du baptême du feu des CRS en 1947-48 que les flics républicains, aux ordres d’un gouvernement “socialiste”, avaient utilisé les premiers canons à eau et grenades lacrymogènes contre les luttes ouvrières, n’hésitant pas à se servir également de leurs armes pour assassiner froidement des prolétaires. Aujourd’hui, en plus des canons à eau et des grenades lacrymogènes modernisées, l’État démocratique de la Ve République a encore sophistiqué ses armes de répression avec la production et l’utilisation des LBD (flashballs).
La classe ouvrière ne doit pas se faire d’illusion : plus la bourgeoisie va attaquer les conditions de vie des exploités, plus elle va renforcer son État policier. Ce ne sont pas les manifestations-balades derrière les syndicats ou les “gilets jaunes” qui vont faire reculer et affaiblir le Moloch capitaliste.
“Pour les prolétaires qui se laissent amuser par des promenades ridicules dans les rues, par des plantations d’arbres de la liberté, par des phrases sonores d’avocat, il y aura de l’eau bénite d’abord, des injures ensuite, de la mitraille enfin, de la misère toujours”. (Auguste Blanqui).
La création d’une police d’État pour protéger l’ordre du Capital
C’est à la suite de la révolte des Canuts à Lyon en 1831 et des journées insurrectionnelles de juin 1848 à Paris que la bourgeoisie a créé, à Lyon en 1851, sa première police d’État (dans la continuité de celle instituée par Colbert sous le régime monarchique de Louis XIV). Mais face au développement du prolétariat, ces compagnies de Police d’État créées dans les grandes villes (et placées sous l’autorité des maires) étaient insuffisantes pour le maintien de l’ordre. Il fallait donc créer une force de répression mobile distincte de l’armée et capable d’intervenir sur tout le territoire français. Ce rôle fut dévolu à la Garde nationale, qui existait depuis 1799, et qui était une milice dans laquelle s’étaient engagés beaucoup d’éléments de la bourgeoise qui payaient leur équipement pour intégrer ses rangs.
Lors de la guerre franco-prussienne de 1870, après la défaite de l’armée française à Sedan, le 4 septembre, le gouvernement républicain de la Défense nationale est mis en place. Le 6 septembre, tous les électeurs inscrits dans la ville de Paris sont enrôlés dans la Garde nationale, cette même Garde nationale qui, en juin 1848, avait massacré les prolétaires insurgés. 590 000 citoyens sont ainsi mobilisés et vont participer à la défense de Paris assiégée par l’armée prussienne.
Dès octobre 1870, des bataillons de gardes nationaux, composés majoritairement, cette fois-ci, d’ouvriers en uniforme, étaient influencés par les idées de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT). Entre le 1er février et le 3 mars 1871, 2 000 délégués réunis élaborent, puis adoptent, les statuts d’une Fédération républicaine de la Garde nationale avec un Comité central élu. Celui-ci s’oppose à toute éventuelle tentative de désarmement de la Garde nationale laquelle ne voulait reconnaître d’autres chefs que ceux qui seraient élus. Le 18 mars, après la signature de l’armistice entre la France et la Prusse, le gouvernement de Thiers réfugié à Versailles, tente de faire reprendre par l’armée les canons de Belleville et Ménilmontant. Les gardes nationaux s’y opposent estimant que ces canons leur appartiennent puisqu’ils avaient contribué à les acheter. Ils sont appuyés par les soldats envoyés par Thiers qui se retournent contre leurs officiers. Dans les affrontements, deux généraux versaillais sont tués. La Commune de Paris est proclamée. C’est la Garde nationale qui va assurer sa défense, du 18 mars au 28 mai 1871.
Après la répression sanglante de la Commune, Thiers dissout le 25 août 1871, les Gardes nationales dans toutes les villes de France. La bourgeoisie avait compris qu’il ne fallait plus laisser les armes entre les mains du prolétariat. La Garde nationale est définitivement supprimée.
En 1936, Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur radical-socialiste, lance l’idée d’une force mobile de police : les Groupes Mobiles des Gardiens de la Paix “chargées par une surveillance constante, d’assurer le maintien de l’ordre et la sécurité publique sur l’ensemble de la zone où fonctionnera la Police d’État. Centralisées dans les agglomérations les plus importantes, ces forces pourront être déplacées à tout instant pour suppléer à l’absence ou à l’insuffisance de moyens d’action sur tous les points de la région où le besoin s’en fera sentir”. (Lettre d’Albert Sarraut au président de la IIIe République, Albert Lebrun, 11 mars 1936).
En août 1941, la Police Nationale est créée par Pétain et remplacera les Gardiens de la Paix. C’est en s’inspirant de ces groupes mobiles de “Gardiens de la Paix” que Pétain décide, en 1941, de créer les GMR (“Groupes Mobiles de Réserve”). Ces unités paramilitaires de la police nationale constituées en “zone libre”, placée sous l’autorité du préfet régional, ont été déployées, fin 1942, dans toute la France occupée, avant d’être mobilisées dans la lutte contre le maquis de la Résistance à partir de la fin 1943.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, De Gaulle maintiendra la police nationale du régime de Vichy qui regroupait trois corps : les forces mobiles de maintien de l’ordre, la Police Judiciaire, et les services des Renseignements Généraux.
En août 1944, lors de la Libération de Paris, les forces de police ont été obligées de retourner leur veste sous peine de se faire lyncher par les FFI et la population. Malgré la complicité de la Préfecture de Paris dans la “solution finale” du régime nazi (c’est elle qui est en première ligne dans la rafle de 13 000 juifs les 16 et 17 juillet 1942 – la rafle du Vel’ d’Hiv’), De Gaulle va lui décerner la Légion d’Honneur et la Croix de Guerre pour son courage et sa “loyauté” dans l’insurrection contre l’armée d’occupation allemande. Néanmoins, De Gaulle va procéder à l’épuration de la police en dissolvant immédiatement les GMR, trop marqués par le pétainisme, pour les remplacer par une nouvelle police de maintien de l’ordre ; les Compagnies Républicaines de Sécurité (CRS) composées en partie de résistants des FFI, dans lesquels se trouvaient de nombreux Francs-Tireurs et Partisans inféodés au PCF.
Depuis la Libération, l’État policier, constitué par le gouvernement de Vichy, ne cessera de se renforcer (sous la IVe République de 1946 et la Ve République de 1958) jusqu’à nos jours.
Pour reconstruire l’économie nationale dévastée par la guerre, il fallait imposer au prolétariat une impitoyable surexploitation. Les prolétaires, après avoir subi les sacrifices de la guerre et de l’Occupation, étaient appelés à “retrousser les manches”, à “produire d’abord et revendiquer après”, selon l’expression du PCF qui entre en 1945 dans le gouvernement tripartite (PCF, SFIO socialiste, MRP démocrate-chrétien). Dans les bassins miniers, le PCF (sur le modèle de la politique stakhanoviste menée par Staline en URSS) se fera le principal chantre de la “bataille du charbon”, principale source d’énergie dont dépendait la reconstruction de l’économie nationale. Pour contenir les luttes ouvrières qui risquaient d’exploser contre la dégradation des conditions de vie des prolétaires, l’État policier s’est doté d’une police anti-émeute musclée. Le gouvernement Ramadier et son ministre de l’Intérieur “socialiste” Jules Moch avait confié aux CRS le soin de faire le sale travail de répression des luttes la classe ouvrière.
La grève de 1947 à l’usine Renault Billancourt
La première grève éclate à l’usine Renault de Boulogne-Billancourt au printemps 1947. Face à l’inflation galopante, la hausse du prix du pain, la pénurie alimentaire et les cadences infernales, les ouvriers réclament une augmentation des salaires de 10 francs. La grève éclate le 25 avril à l’initiative de quelques ouvriers (trotskistes et anarcho-syndicalistes). Dès le début, Plaisance, le dirigeant CGT de Renault déclare : “Ce matin, une bande d’anarcho-hitléro-trotskistes a voulu faire sauter l’usine”. Malgré les tentatives des dirigeants de la CGT de casser la grève, celle-ci s’étend à tous les ateliers de Renault. Le 5 mai, les quatre ministres du PCF sont exclus du gouvernement pour avoir voté, en tant que députés, contre la politique de Ramadier de renforcement des mesures d’austérité.
Après l’expulsion du PCF du gouvernement, les dirigeants de la CGT inféodée à ce parti, prennent le train en marche et se rallient aux grévistes pour prendre le contrôle du mouvement qui s’étend à plusieurs autres secteurs. Le gouvernement négocie avec la CGT et finit par accorder à tous les ouvriers de Renault une prime de 1600 francs et une avance de 900 francs sur les salaires. Ce qui a permis à la CGT de faire voter la reprise du travail.
Dans le contexte de la “guerre froide” initiée par le Plan Marshall, le PCF cherche à revenir au gouvernement. Son seul moyen de pression pour déstabiliser le gouvernement est d’instrumentaliser la classe ouvrière en poussant la CGT à se radicaliser sur le front social. Le 10 novembre 1947, après la victoire du RPF gaulliste à la municipalité de Marseille, l’augmentation du prix des tickets de tramway met de nouveau le feu aux poudres, avec des grèves et des manifestations massives, cette fois sous le contrôle total de la CGT. Quatre membres de la CGT sont arrêtés. Immédiatement, 4 000 ouvriers dirigés par la CGT envahissent le Palais de Justice exigeant la libération de leurs camarades. Ils se rendent également à la mairie et insultent le nouveau maire gaulliste de la cité phocéenne (Michel Carlini). La CGT entraîne ensuite les ouvriers dans une action commando : l’attaque de nuit des bars louches dirigés par la mafia marseillaise. Un jeune ouvrier (Vincent Voulan) est alors abattu par les gangsters de la bande mafieuse de Mémé Guérini (ami de Gaston Deferre pendant et après la Résistance). Le jour de ses funérailles, le 14 novembre, trois salariés sur quatre étaient en grève à Marseille.
Le 4 décembre, le nouveau ministre de l’Intérieur, Jules Moch, décide la dissolution et le remplacement de deux compagnies sur trois des CRS de Marseille. Ces compagnies, qui avaient été en bonne partie constituées par d’anciens résistants, étaient fortement influencées par le PCF et la CGT et elles s’étaient montrées hésitantes face aux “émeutiers”.
1947 : Le “socialiste” Jules Moch commence à déployer les forces anti-émeutes
Le 17 novembre 1947, la grève s’étend aux mines de charbon sur tout le territoire, puis à tous les secteurs : Renault et Citroën, l’Éducation nationale, le BTP, la métallurgie, chez les dockers et dans toute la fonction publique..
Le 29, à Saint-Étienne, 30 000 grévistes manifestent dans la rue et affrontent, pour la première fois, les CRS avec des barres de fer. Jules Moch mobilise toutes les forces de l’ordre, y compris des bataillons de l’armée et un régiment de parachutistes. Maurice Thorez s’inquiète de la radicalisation de la grève dans les bassins houillers.
Après le sabotage de la liaison ferroviaire Paris-Tourcoing (qui provoque le déraillement d’un train dans la nuit du 2 au 3 décembre faisant 20 morts et 50 blessés), le gouvernement négocie secrètement avec Thorez : il échange l’immunité de quatre militants du PCF contre l’appel à la reprise du travail. Bilan de la répression : 100 licenciements, 1 000 suspensions et 500 déplacements forcés de mineurs d’un puits à un autre.
1948 : la terreur de l’État “républicain” contre la classe ouvrière
Le 18 septembre 1948, trois décrets du ministre de la Production industrielle, Robert Lacoste, remettent en cause le statut des mineurs obtenu en 1946 : baisse de 10 % du personnel de surface et des employés administratif, licenciement en cas d’absence de six jours, mises à pied immédiatement applicable sans passer par une commission paritaire, remise en cause du régime spécial de Sécurité sociale concernant les accidents du travail et les maladies professionnelles, restriction du droit syndical (en plus de la suppression en septembre 1947, du salaire garanti). Ces attaques brutales contre le statut spécial des mineurs sont assénées alors que le pouvoir d’achat a encore baissé avec la hausse des prix et des loyers.
Le 4 octobre, 340 000 mineurs sont en grève dans toute la France et occupent les bassins miniers. C’est le début d’un mouvement qui va durer 56 jours. Les mineurs revendiquent l’abrogation des décrets Lacoste qu’ils estiment totalement illégaux en regard du statut du mineur, reconnu par la loi et la constitution.
Sans attendre la fin des négociations entre la CGT et le cabinet de Lacoste, Moch envoie immédiatement une gigantesque armada de blindés et de CRS dans les mines de charbon. Plus de 60 000 “hommes” décérébrés par l’infâme propagande “socialiste” de Jules Moch, transformés en machines à tuer juchées sur des automitrailleuses, ont été déployés autour des fosses. Le 7 octobre, à Merlebach en Lorraine, le mineur Jansek d’origine polonaise, est sauvagement abattu à coups de crosse par les CRS. D’autres seront tués aussi à Alès et à Firminy. Le 19 octobre, en Lorraine, les forces de l’ordre envahissent les camps où sont logés les mineurs étrangers (nord-africains et réfugiés espagnols). Ces hordes de CRS saccagent leurs baraquements et les conduisent de force à la mine. Des opérations similaires sont menées dans plusieurs bassins. Les journaux officiels aux ordres du gouvernement titrent (avec un cynisme sans nom) que la police “démocratique” au service du “peuple” a dû intervenir pour faire respecter la “liberté du travail”. Quant à la CGT, elle pousse à l’affrontement entre les ouvriers et dénonce les “jaunes”, alors que les ouvriers immigrés ont été traînés de force dans la mine et menacés d’être expulsés vers leurs pays d’origine (ce qui signifie, pour les réfugiés espagnols, d’être livrés à la répression sanguinaire de Franco).
La vengeance et la sauvagerie de la répression seront ignobles, comme en témoigne, entre autres, le traitement infligé au mineur Léon Léglise. Atteint de silicose et ne pouvant plus descendre au fond de la mine, il avait obtenu un poste d’ouvrier de surface. Pour le punir d’avoir participé à la grève, il sera renvoyé dans les puits et en mourra. Les mineurs licenciés ont aussi perdu leur logement et se sont retrouvés dans le dénuement le plus total avec impossibilité de retrouver du travail dans la région.
Pourquoi les CRS aux ordres du chien sanglant “socialiste” Jules Moch ont-ils assassiné à coups de crosse le mineur Jansek (avec les mêmes moyens employés par les Corps Francs du chien sanglant “socialiste” Noske pour assassiner Rosa Luxemburg en janvier 1919 à Berlin) ? Dans la commune de Creutzwald, en Moselle, un sous-lieutenant des CRS affirmera plus tard que le ministère de l’Intérieur avait envoyé en Lorraine les CRS de Clérmont en prétendant que la population de cette région, proche de la frontière franco-allemande, était… hitlérienne ! Ainsi, Jules Moch, pour s’assurer de la loyauté des CRS, devait raviver dans leurs esprits l’hystérie nationaliste et la haine revancharde anti-“boche” de la Libération. La grève n’était plus “l’arme des trusts” (selon l’expression du “communiste” Thorez en 1947), mais “l’arme des boches”, d’après le “socialiste” Jules Moch ! Comme le disait Goebbels, chef de la propagande nazie : “Un mensonge énorme porte avec lui une force qui éloigne le doute”.
C’est le même type de mensonges et de “fake news” que la bourgeoisie française et son État démocratique avait déjà utilisé en 1871 pour préparer la répression sanglante de la Commune de Paris : on racontait aux troupes versaillaises que les communards étaient des brigands, des voleurs, et des traîtres à la patrie ! De même, pour embrigader massivement, la fleur au fusil, les ouvriers et paysans dans la Première Guerre mondiale, la classe dominante faisait publier dans les journaux la “nouvelle” que les soldats du Reich violaient les femmes et égorgeaient les enfants ! De l’autre côté de la frontière, la propagande prussienne racontait que les français étaient des “sauvages” et des “cannibales” (parce que des soldats des troupes coloniales, notamment des tirailleurs sénégalais, étaient envoyés dans les tranchées comme chair à canons) !
Aujourd’hui, on veut faire croire aux téléspectateurs que derrière chaque manifestant déguisé en gilet jaune, se cache un antisémite néo-nazi, un anarchiste, un casseur, un terroriste islamiste, un extrémiste de gauche, etc. En chaque occasion, la classe dominante ne peut galvaniser ses forces de répression et intoxiquer la population qu’en semant la psychose et la paranoïa dans les esprits.
La grève des mineurs prend fin le 28 novembre 1948. Les “gueules noires”, engagées dans la “bataille du charbon”, ont été contraintes de reprendre le travail sans avoir obtenu l’abrogation des décrets Lacoste. La répression féroce et la militarisation du travail montre, s’il en était encore besoin, le visage hideux de l’ordre “républicain” et de ses sbires “socialistes”.
Comme le dira plus tard, le mineur Norbert Gilmez, licencié le 5 décembre 1948 (avant d’écoper d’une peine de prison) : “Nous avons été victimes du terrorisme d’État !”
D’où vient le slogan CRS=SS ?
Face à la répression, le PCF n’a pas lancé d’appel à la grève générale en solidarité avec les mineurs. Il savait que son ambition de revenir au gouvernement était désormais vaine. L’heure était encore à “retrousser les manches”. Le parti stalinien s’est contenté d’organiser la solidarité matérielle et l’aide humanitaire aux mineurs. Liberté, le journal du PCF du Nord-Pas-de-Calais, a payé la moitié des amendes infligées aux grévistes. Le PCF a également recueilli les messages et dons de solidarité qui arrivaient du monde entier (au total, 300 millions de francs seront récoltés en soutien aux mineurs). Les paysans apportaient de la nourriture, les dockers bloquaient l’arrivée de charbon étranger (et les dockers américains ont refusé de charger le charbon à destination de la France !). Les associations solidaires de la région parisienne ont envoyé des autocars pour aller chercher les enfants affamés.
Les images d’enfants montant dans ces autocars, ne pouvaient que rappeler les années noires de la guerre. Ces années où, sous le gouvernement de Vichy, des enfants juifs ont été séparés de leurs parents et recueillis par des familles de la zone libre et par des associations caritatives (comme l’Organisation de Secours aux Enfants) qui cherchaient à les sauver des camps de la mort.
C’est dans ce contexte que le slogan “CRS=SS” a été tagué par les “gueules noires” sur les murs des corons. À leurs yeux, les CRS aux ordres de Jules Moch (que les ouvriers appelaient Jules “Boche”) faisaient en effet, le même sale travail que les troupes d’occupation allemande. Ils ont fait même pire, à un certain égard. Lors de la grève des 100 000 mineurs des bassins du Nord-Pas de Calais, fin mai-début juin 1941, l’armée allemande avait exercé une répression brutale (plus de 200 arrestations, exécutions des “meneurs” et déportations de 270 grévistes). Cependant, l’administration nazie avait fini par accorder aux grévistes une petite augmentation de salaires, des rations de viande et de savon supplémentaires ainsi que des vêtements de travail, alors qu’en 1948, les mineurs ont été contraints de reprendre le travail en courbant l’échine, sans avoir rien obtenu ! La “démocratie” de la “France libre” n’avait rien à envier à la dictature de l’occupant nazi.
Vingt ans plus tard, en Mai 68, le slogan des mineurs “CRS=SS” est réapparu sur les murs des universités et des lieux publics. Les “enragés”, étudiants et jeunes ouvriers, l’avaient repris de leurs parents qui avaient vécu l’enfer de la militarisation du travail et la brutalité de la répression.
Le baptême du feu des premières Compagnies Républicaines de Sécurité, en 1948, a révélé au grand jour ce dont est capable la classe dominante, avec son “État de droit”, ses institutions “démocratiques”, son Parlement, ses élections, sa “liberté du travail” et sa police nationale au service du “peuple” (en réalité au service du Capital). (1) Il serait illusoire de croire que la violence dans la répression des luttes ouvrières appartient désormais au passé dans les pays “civilisés” et “démocratiques” de la vieille Europe !
“Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit ; c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment. (…) Sur notre navire, nous transportions les trésors les plus précieux de l’humanité confiés à la garde du prolétariat, et tandis que la société bourgeoise, flétrie et déshonorée par l’orgie sanglante de la guerre, continue de se précipiter vers sa perte, il faut que le prolétariat international se reprenne, et il le fera, pour ramasser les trésors que, dans un moment de confusion et de faiblesse au milieu du tourbillon déchaîné de la guerre mondiale, il a laissé couler dans l’abîme. Une chose est certaine, la guerre mondiale représente un tournant pour le monde. C’est une folie insensée de s’imaginer que nous n’avons qu’à laisser passer la guerre, comme le lièvre attend la fin de l’orage sous un buisson pour reprendre ensuite gaiement son petit train” (Rosa Luxemburg, La crise de la social-démocratie).
Marianne, 5 mars 2019
1Pour illustrer cet article, nous invitons nos lecteurs à se référer à cet extrait d’un documentaire diffusé sur FR3 : https://www.youtube.com/watch ? v=Oxzyz6QkCT4