La croisade antiterroriste ne peut qu'aggraver le chaos mondial

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C'est avec une rapidité extraordinaire que la police et les services secrets américains ont montré du doigt les coupables des attentats du 11 septembre : Oussama Ben Laden et son réseau terroriste Al-Qaida. Ils désignaient du même coup l'objet des représailles guerrières : le régime taliban et le pays qui servait de base aux terroristes : l'Afghanistan.

A qui profite le crime ?

Les USA ont donc réagi en incriminant la responsabilité des "Etats-voyous". Pourtant, si une puissance a pu retirer des bénéfices impérialistes des attentats du 11 septembre, c'est bien les Etats-Unis.

Les attentats terroristes auront permis à la bourgeoisie américaine de réaliser un gigantesque coup de force dans l'arène mondiale au nom de l'anti-terrorisme. Ils auront fourni un prétexte rêvé pour prendre pied aux portes de l'Asie en occupant militairement l'Afghanistan et les pays limitrophes, c'est-à-dire les anciennes places fortes de son grand rival impérialiste d'il y a vingt ans, l'URSS. C'est là une spectaculaire percée stratégique américaine vers les terres et les mers chaudes d'Asie. Pour la première fois, l'impérialisme américain est à même d'investir toute l'Asie Centrale et ne se limite plus à chercher à conserver et renforcer un contrôle direct de la Méditerranée, à partir du Proche et du Moyen-Orient. Les Etats-Unis en annonçant une "guerre longue et dure" entendent légitimer le renforcement de leur présence militaire permanente dans la région (déjà assurée dans le Golfe par la présence de leur bases à Dharan en Arabie), au détriment direct de leurs rivaux déclarés ou potentiels et en forçant leur consentement.

En occupant militairement l'Ouzbékistan et le Tadjikistan, deux ex-républiques de l'empire éclaté de l'URSS, les Etats-Unis supplantent la Russie dans ses anciennes chasses gardées moyennant un "deal" qu'ils lui imposent désormais pieds et poings liés en mettant en avant des intérêts communs pour agir contre le "terrorisme intégriste".

Les Etats-Unis coupent ainsi en même temps l'herbe sous le pied des ambitions nouvelles de la Chine d'étendre son influence sur l'Asie Centrale. Du même coup, ils barrent désormais la route aux avancées impérialistes réalisées par l'Allemagne vers l'Est ces dernières années, que ce soit dans les Balkans et dans la zone faisant partie de l'ancien glacis russe ou par le jeu d'alliances que la bourgeoisie germanique cherche à s'aménager au Proche ou au Moyen-Orient, de la Turquie à l'Iran, indispensable pour prétendre se poser en futur rival principal des Etats-Unis.

Ils ont également démontré aux yeux de toutes les autres puissances leur capacité à intervenir militairement en n'importe quel point de la planète.
Il n'est pas à écarter que la menace terroriste ait été délibérément ignorée et que les "négligences incompréhensibles" des services de renseignement américain face au danger d'actes terroristes aient été voulues[1].

De toutes façons, ce qui est clair, c'est que l'ancien espion Ben Laden formé et recruté par la CIA en 1979 dans le conflit contre l'URSS continue à rendre de fieffés services aux Etats-Unis. Il joue pratiquement le même rôle de bouc émissaire que le dictateur Saddam Hussein qui avait permis aux Etats-Unis de monter leur opération militaire dans le Golfe visant en fait à remettre au pas ses anciens alliés après la dislocation du bloc occidental.

Les enjeux de la guerre

La guerre du Golfe avait pour vocation de faire taire les velléités de contestation de l'hégémonie américaine qui s'étaient manifestées après l'éclatement du bloc russe, en particulier de la part de la France et de l'Allemagne. Et c'est pour préserver leur rôle de gendarme du monde que les Etats-Unis avaient effectué cette spectaculaire opération militaire.

Depuis, il y a eu l'éclatement de l'ex-Yougoslavie sous la pression de l'Allemagne poussant la Slovénie et la Croatie à proclamer leur indépendance qui a permis à l'impérialisme germanique de marquer des points dans sa poussée vers l'Est et la Méditerranée aux dépens de la Serbie. Puis dans l'extension du conflit des Balkans en Bosnie, au Kosovo, en Macédoine, les "seconds couteaux" britanniques et français se sont démarqués de la tutelle américaine pour défendre leurs intérêts propres en se retrouvant également opposés à l'Allemagne.

Ce développement de la contestation généralisée envers les Etats-Unis oblige ces derniers à utiliser toujours davantage leur force brute et leur suprématie militaire écrasante pour préserver leur statut de gendarme du monde. C'est pourquoi si l'opération guerrière "Liberté immuable" menée sous la bannière de la croisade anti-terroriste a vu battre le rappel des "alliés" de la guerre du Golfe, contrairement à cette époque où "l'alliance" incorpora les forces militaires de plusieurs Etats européens et arabes (notamment l'Arabie Saoudite et la Syrie), ils affichent leur détermination à assumer leurs responsabilités militaires essentielles sans l'aide de la plupart des puissances européennes (à l'exception de la Grande-Bretagne). Ils ne peuvent bien entendu qu'obliger ces dernières à les soutenir mais la France et l'Allemagne notamment se retrouvent écartées du coeur des opérations militaires. Pour maintenir leur présence sur le terrain, elles sont contraintes d'accepter de se voir reléguées à des rôles subalternes de services de renseignements ou des actions secondaires de commando. Les Etats-Unis leur signifient clairement qu'ils ne supporteront aucune entrave à leur action armée.

D'ailleurs, le positionnement actuel des autres grandes puissances vis-à-vis de l'intervention des Etats-Unis en Afghanistan sont aujourd'hui tout aussi révélatrices des prétentions impérialistes de chacune d'entre elles.

Aujourd'hui comme lors de la guerre du Golfe, la bourgeoisie britannique a tout intérêt à se positionner comme le meilleur lieutenant des Etats-Unis, se retrouvant même aux avant-postes au niveau militaire avec 25.000 hommes directement engagés dans les combats. Ce rapprochement avec les Etats-Unis s'explique par une connivence d'intérêts impérialistes et aussi par la rivalité d'intérêts directement antagoniques avec ceux de la France dans la région. Comme lors de la guerre du Golfe, la région de l'Afghanistan, de même que l'Irak, fait partie de la zone de domination traditionnelle de l'impérialisme anglais. Grâce à sa vieille expérience colonisatrice, la Grande-Bretagne connaît très bien la région et les cliques en présence. Elle sait que les Etats-Unis ont besoin d'elle et qu'elle a un rôle majeur à jouer. Pour les opérations terrestres, elle dispose des meilleures troupes spécialisées au sol et connaît parfaitement les régions difficiles concernées, contrairement aux Américains. Elle estime avoir davantage d'atouts pour préserver sa part de gâteau que lors de la guerre du Golfe où son aide aux Etats-Unis ne lui avait rien apporté et ce ressentiment avait largement contribué à opérer sa nette démarcation par rapport aux Etats-Unis dans les années suivantes. Mais la lucidité remarquable de la bourgeoisie britannique lui permet de comprendre qu'aujourd'hui son intérêt exige une coopération fidèle avec la bourgeoisie américaine.

L'impérialisme français a des intérêts diamétralement opposés. Il tente de reprendre pied au Liban dont il a été évincé par les Etats-Unis depuis les années 1980. Il entretient des liens avec la Syrie et montre sa constante sollicitude et sa "préoccupation" envers "le sort du peuple palestinien". Aujourd'hui, l'impérialisme français n'a pas d'autre choix pour pouvoir garder un pied au Moyen-Orient que de proposer ses services sur le terrain de l'antiterrorisme. Un de ses atouts majeurs était précisément l'Afghanistan où la France a été en pointe pour appuyer à fond le francophile commandant Massoud avant son assassinat en septembre dernier. Celui-ci avait d'ailleurs été reçu avec les honneurs dus à un chef d'Etat en avril dernier à Paris et la bourgeoisie française l'avait même à cette occasion imposée au parlement européen de Strasbourg. Donc la carte de la France est avant tout celle de l'Alliance du Nord, même si Védrine s'est déclaré partisan d'une mise en place d'une coalition gouvernementale plus large sous l'égide du vieux roi Zaher.

La Russie de Poutine a également assorti son aval humiliant à l'entreprise militaire des Etats-Unis d'un soutien déclaré à l'Alliance du Nord qui fut pourtant l'ennemi le plus irréductible et le plus ancien de l'ex-URSS depuis l'invasion de l'Afghanistan en 1979.

L'Allemagne, derrière ses offres de service (la mobilisation de 35.000 hommes), entend profiter de l'occasion pour développer une nouvelle intervention de la Bundeswehr à l'extérieur de ses frontières et elle mise sur cette présence sur le terrain pour renforcer sa coopération avec des pays comme la Turquie d'un côté, l'Iran de l'autre. Mais on l'a vu, la percée de l'Allemagne va s'avérer plus délicate dans le contexte de l'occupation militaire américaine. Dans cette région, la bourgeoisie germanique ne peut que jouer le même rôle que la France : tenter de déstabiliser plus ou moins ouvertement la mainmise américaine.

Tout cela augure déjà des futures dissensions au sein de la vaste coalition actuelle.

Vers davantage de chaos et de barbarie guerrière

Pour s'opposer à la dynamique de "chacun pour soi", les Etats-Unis sont obligés de s'impliquer de plus en plus sur le terrain directement militaire. Ainsi, ils sont également contraints de taper à chaque fois de plus en plus fort, sous peine de perte de leur leadership, devenant ainsi les premiers responsables d'une constante fuite en avant dans la logique guerrière du capitalisme.

Sur place, les Etats-Unis sont contraints de miser avant tout sur l'aide du Pakistan, qui ne veut à aucun prix une arrivée au pouvoir de l'Alliance du Nord en Afghanistan. Il est clair aujourd'hui que les Etats-Unis n'apportent aucune aide à cette dernière pour percer le front des talibans mais au contraire paralysent au maximum ses combattants dans leur réduit pour les empêcher de s'emparer de Kaboul. Ils ne misent ainsi nullement sur la principale "force de résistance" du pays. A l'inverse, leurs laborieuses tractations diplomatiques visent à installer au pouvoir un vieux roi fantoche et à instaurer une coalition gouvernementale allant jusqu'à inclure des " talibans modérés ". Ce plan qui passera certainement par un écrasement au moins partiel (ou un affaiblissement considérable) des forces de l'Alliance du Nord n'est pas sans rappeler dans son cynisme la guerre du Golfe lorsque les Etats-Unis avaient laissé intacte une partie de l'armée irakienne pour qu'elle puisse écraser au nord et au sud du pays les rébellions des minorités kurdes et chiites (qu'ils avaient auparavant exhorté à se soulever) parce que leur intérêt était d'assurer la stabilité politique future du pays.

Cette nouvelle donne dans les rapports de force inter-impérialites ne peut qu'aviver partout les tensions guerrières. Et cette accélération du chaos est déjà perceptible actuellement.

Le soutien de la Maison Blanche au régime pakistanais a suscité la colère de l'Inde qui craint de se voir lésée dans leur conflit sur le Cachemire. En réponse a cela, l'Inde a déclenché à nouveau des bombardements en territoire pakistanais.

La situation au Moyen-Orient se dégrade à toute vitesse, comme une traînée de poudre. Les Etats-Unis pensaient profiter de leur intervention pour imposer la relance d'un processus de paix entre Palestiniens et Israéliens au Moyen-Orient appuyé par Blair qui venait d'assurer publiquement devant Arafat "la légitimité d'un Etat palestinien viable dans la région". Au contraire, alors qu'Israël manifestait quelques velléités conciliatrices, provoquant le départ de la coalition gouvernementale de deux fractions d'extrême-droite, l'assassinat du ministre du tourisme israélien (en réponse au " meurtre ciblé et commandité" d'un chef du FPLP) déclenchait une nouvelle vague de violences dans les territoires autonomes (la plus meurtrière depuis les accords d'Oslo), avec l'occupation par Tsahal de Bethléem et le blocus de Jénine.

L'intervention militaire en Afghanistan ne peut apporter ni la paix, ni la liberté, ni la justice, ni la moindre stabilité, pas plus que la "fin du terrorisme" mais au contraire ne peut qu'entraîner un surcroît de guerre, de barbarie et de misère en aspirant les populations dans un tourbillon insensé de désespoir, de vengeance et de haine. Elle prépare en même temps une rivalité plus directe des Etats-Unis avec les autres Etats européens dans la région.

Les différentes bourgeoisies nationales aux prises en Afghanistan démontrent à quel point leur prétendue croisade anti-terroriste est une foutaise, un répugnant mensonge idéologique. Elles démontrent quotidiennement qu'elles se fichent éperdument des victimes du terrorisme comme des morts de la guerre et du sort des populations locales bombardées. Les 6.000 morts des Twin Towers sont cyniquement exploités à seule fin de propagande guerrière. Comme les "body bags" annoncés de la soldatesque en action, ils font partie de la dette de sang de plus en plus lourde d'un système d'exploitation inhumain en pleine putréfaction. Derrière la défense de leurs sordides intérêts de vautours impérialistes qui anime chaque bourgeoisie nationale, il y a le capitalisme qui, en précipitant la planète dans un chaos sanglant, est le véritable responsable de ce déchaînement de barbarie. Cette exacerbation du chaos est bien le seul avenir que nous réserve le capitalisme.

CB

[1] Ce ne serait pas la première fois dans l'histoire des Etats-Unis. Le 8 décembre 1941, le projet d'attaque de la base américaine de Pearl Harbour à Hawaï où était regroupée la majorité des forces américaines par les forces aéronavales japonaises étaient connues par les services secrets qui en avaient informé les plus hautes autorités politiques du pays et celles-ci avaient laissé faire en n'en informant pas l'état-major militaire. Le "choc" de cette attaque et les pertes provoquées avaient permis de justifier l'entrée des Etats-Unis dans la Seconde Guerre mondiale et d'obtenir l'adhésion de la population américaine et de tous les secteurs de la bourgeoisie nationale.

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