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Malgré tout le zèle et les efforts de sa bourgeoisie nationale au cours de ces dernières années, le capital français doit encore combler un retard certain sur ses principaux concurrents dans ses mesures antiouvrières pour faire face à la crise économique mondiale. Cette compétition s'exerce aussi bien dans le cadre européen contre les Etats-Unis que vis-à-vis de ses autres rivaux européens. La logique du capitalisme et de défense du capital national conduit ainsi simultanément la classe dominante à poursuivre et intensifier les licenciements dans les entreprises, à réduire les effectifs du secteur public avec comme objectif avoué d'éliminer 50 000 salariés d'ici 2007 et surtout à accélérer le démantèlement de l'Etat-providence, qui constitue pour elle l'encombrant héritage d'une période aujourd'hui révolue (voir dans ce n° l'article sur la Sécurité sociale).
Les difficultés de la bourgeoisie française
Après les retraites et l'indemnisation du chômage, la
bourgeoisie française a commencé à s'attaquer à
la remise en cause de la Sécurité sociale et à
la réforme de la santé publique (incluant la révision
du mode de financement des hôpitaux, contenue dans le plan "Hôpital
2007"). Mais le niveau de cette attaque, pourtant annoncée
depuis plus d'un an et malgré un certain nombre de mesures touchant
d'ores et déjà tous les prolétaires (voir RI n°
347), reste largement en deçà de celle assénée
l'an dernier sur les retraites. Pourquoi ?
Il est clair que la bourgeoisie hexagonale se retrouve actuellement
en situation particulièrement délicate pour faire passer
les attaques sur la Sécurité sociale. Après le
revers et le désaveu essuyés par le parti au pouvoir lors
des élections régionales en mars, obtenant moins de 20
% des suffrages exprimés, les élections européennes
en mai dernier sont venues confirmer le manque flagrant de "légitimité
démocratique" de l'équipe gouvernementale. Celle-ci
est toujours conduite après trois remaniements ministériels
successifs par le même premier ministre, Raffarin, de plus en
plus impopulaire. Le clan chiraquien qui s'accroche au pouvoir est lui-même
ouvertement déchiré par la lutte fratricide entre le président
de la République et le nouveau prétendant aux dents longues,
Sarkozy.
Dans ce contexte, la bourgeoisie nationale savait bien qu'elle ne pourrait
pas se permettre de renouveler avec la "réforme" de
la Sécurité sociale, le "coup" du passage en
force de l'attaque massive et frontale contre les retraites pendant
l'été 2003.
C'est pourquoi elle a chargé un patelin ministre de la Santé,
Douste-Blazy, d'expédier un premier train de mesures qui donnent
cependant un avant-goût de ce qui attend la classe ouvrière
dans les années qui viennent.
Les faiblesses de la bourgeoisie et les rivalités au sein de
son appareil politique ne lui permettent pas le moindre faux pas et
la contraignent à étaler sur une période plus longue
que prévue cette nouvelle attaque majeure, en la fragmentant
au compte-gouttes, mois après mois. Pour autant, la classe ouvrière
ne doit se faire aucune illusion, le démantèlement de
la Sécurité sociale est une nécessité absolue
pour le capital national et la bourgeoisie, si elle est contrainte de
freiner l'allure de ses attaques aujourd'hui, n'a pas d'autre choix
que de devoir mettre les bouchées doubles dans l'avenir.
La stratégie de la bourgeoisie pour faire passer ses attaques
C'est aussi parce que la classe dominante ne veut pas prendre le risque
de déclencher un large mouvement social qu'elle pourrait ne pas
contrôler, qu'elle ne relâche pas ses manoeuvres et qu'elle
a déjà balisé le terrain. La journée nationale
de manifestations sur la "défense de la Sécurité
sociale" ,organisée par tous les syndicats le 5 juin dernier,
a été une "mobilisation molle" et une balade
sans conviction pour laquelle les syndicats n'avaient affrété
que quelques cars et avaient organisé des manifestations disséminées
dans tous les recoins de l'hexagone. La manifestation parisienne, pour
sa part, a été largement détournée en cours
de route vers la mobilisation anti-Bush par les gauchistes et les "rassemblements
anti-guerre" de gauche de tous poils, si bien que la plus grande
partie du cortège s'était dispersée avant même
le point d'arrivée.
Juste après cette "journée symbolique", le spectacle
affiché de la "désunion syndicale" était
le plus approprié pour achever de décourager toute velléité
de mobilisation massive des ouvriers. La CFDT et les syndicats des médecins
ont voté pour le projet de loi du gouvernement présenté
devant les caisses de Sécurité sociale, jugeant que le
projet allait dans le bon sens mais "manquait d'audace" et
n'allait "pas assez loin" (tel que !), FO s'abstenait, réclamant
le retour à l'ancienne parité de gestion des caisses d'assurances
maladie (sur laquelle elle a longtemps détenu la haute main,
avant d'être supplantée par la CFDT). Ainsi, la CGT se
retrouvait isolée parmi les "grands syndicats" dans
son "opposition" à la réforme de l'assurance-maladie,
cette "opposition résolue" … prenant la forme
dérisoire d'une pétition nationale envoyée au gouvernement
(la CGT se targue fièrement d'avoir recueilli ainsi plus de 700
000 signatures). On ne saurait faire mieux de la part de tous les syndicats
pour décourager tout élan de lutte et de mobilisation.
Mais la bourgeoisie recourt également une nouvelle fois préventivement
à une stratégie qui a déjà fait ses preuves
à plusieurs reprises et notamment lors de chaque attaque antiouvrière
d'envergure au cours de ces dernières années. Il s'agit
de porter deux attaques en même temps, l'une dirigée contre
les conditions de vie de l'ensemble de la classe ouvrière et
l'autre concernant un secteur plus particulier du prolétariat
ou en d'autres termes, d'ajouter une attaque plus particulière
qui fasse écran à une attaque générale.
Ainsi en décembre 1995, au printemps 2003 et encore aujourd'hui,
on assiste à l'application de ce même schéma général.
Mais derrière cette tactique similaire, en chaque occasion, c'est
dans un contexte et avec des objectifs tout à fait différents.
En 1995, l'objectif essentiel de la manoeuvre était de permettre
aux syndicats discrédités par leurs actions de sabotage
ouvert des luttes ouvrières tout au long des années 1980,
de reprendre pied et de pouvoir revenir sur le devant de la scène
sociale pour assumer plus efficacement leur fonction d'encadrement des
ouvriers. Dans ce but, la bourgeoisie qui, à travers le plan
Juppé, mettait en place une série d'attaques frontales
sur la sécurité concernant l'ensemble de la classe ouvrière,
a cristallisé l'attention sur la mobilisation derrière
les cheminots contre l'attaque spécifique de leur régime
spécial des retraites. Elle a fait une large publicité
à la lutte de ce secteur, le plus combatif mais aussi un des
plus corporatistes, désigné comme le phare de la lutte,
derrière lequel les syndicats avaient mobilisé massivement,
sous leur contrôle, le secteur public. Le retrait, programmé
à l'avance, de l'attaque spécifique visant les cheminots
a permis aux syndicats de crier "victoire" en semant l'illusion
que "tous ensemble", avec les syndicats, les ouvriers avaient
fait reculer le gouvernement. Par la suite, sous les gouvernements successifs
de gauche comme de droite, la bourgeoisie a pu aggraver sans être
inquiétée les mesures du plan Juppé sur la sécurité
sociale. Ce n'est pas un hasard non plus si la lutte des cheminots français
était ensuite mise en avant comme modèle de lutte à
l'échelle internationale et son exemple exploité par d'autres
bourgeoisies, notamment en Allemagne et en Belgique pour entraîner
les prolétaires le plus massivement possible derrière
les actions syndicales.
Au printemps 2003, au milieu de l'attaque générale sur
les retraites visant déjà prioritairement la fonction
publique, le gouvernement rajoutait une couche supplémentaire
d'attaques sur un secteur particulier, celui de l'Education nationale,
avec un projet de délocalisation spécifique concernant
les personnels ATOS. Cela constituait une véritable provocation
alors que les travailleurs de l'enseignement manifestaient déjà
depuis des mois un mécontentement croissant suite à la
détérioration sensible de leurs conditions de travail
au cours des dernières années. Le but essentiel de cette
attaque spécifique était d'empêcher le développement
d'une lutte massive de tous les secteurs contre la réforme des
retraites. Rapidement, les luttes des personnels de l'enseignement sont
apparues comme le fer de lance de la mobilisation ouvrière. Mais
en leur sein, les syndicats n'ont cessé de mettre en avant les
revendications spécifiques contre la délocalisation, dans
lesquelles le reste de la classe ouvrière ne pouvait se reconnaître,
qui ont pris le pas sur la question des retraites et fait passer celle-ci
au second plan. Cette entreprise a non seulement permis au gouvernement
de faire passer l'attaque sur les retraites mais d'entraîner le
secteur enseignant, isolé et divisé, poussé par
une partie de ces mêmes syndicats vers des actions radicales et
impopulaires de boycott d'examens de fin d'année, dans une défaite
la plus amère et cuisante possible, notamment à travers
le non paiement des journées de grève.
L'objectif des manoeuvres syndicales actuelles
Le contexte de la manoeuvre esquissée aujourd'hui avec les électriciens
et les gaziers en même temps que tombait l'annonce des premières
mesures sur la Sécurité sociale est sensiblement différent.
La publicité donnée à l'attaque particulière
liée au changement de statut d'EDF et de GDF vise bien entendu
à masquer l'attaque générale sur la Sécurité
sociale. Pas moins de cinq journées d'action ont été
organisées en un mois dans ce secteur et tous les syndicats se
retrouvent cette fois côte à côte pour s'opposer
au projet de privatisation au nom de la "défense du service
public".
Mais l'action de sabotage de la lutte par les syndicats est surtout
révélatrice de la volonté de la bourgeoisie de
gagner du temps et de miner le terrain pour l'avenir afin de dissuader
cette fois à l'avance les ouvriers de s'engager dans une mobilisation
massive. Elle n'engage pas un secteur entier mais une minorité
de celui-ci. Alors que l'attaque plus spécifique concerne les
deux entreprises publiques chargées de distribuer l'énergie,
les médias focalisent sur les actions des seuls employés
d'EDF. Les syndicats lancent ainsi les ouvriers dans une série
d'actions les plus spectaculaires et les plus médiatisées
possible en cherchant à les faire passer pour ce qu'elles ne
sont absolument pas : des moyens de la lutte. Ils coupent l'électricité
tantôt dans les transports publics, tantôt dans les entreprises,
tantôt chez des ministres ou des parlementaires de la majorité,
ils font même ponctuellement quelques distributions gratuites
ou moins chères d'énergie. De fait, dès le lundi
7 juin au matin, des coupures de courant interviennent dans plusieurs
gares parisiennes, sur une partie du réseau SNCF et sur des lignes
de métro, au moment où les prolétaires doivent
reprendre le chemin de leur travail par les transports en commun. Rien
de tel pour donner une image négative de la lutte de classe.
Pris à parti pour le "caractère illégal"
de leur action, les syndicats se défendent pourtant d'en être
responsables et déclarent que ce sont les agents d'EDF eux-mêmes,
"à la base", qui ont décidé de ces actions
"coups de poing" et qui en ont pris l'initiative dans des
votes démocratiques au cours d'assemblées générales.
Quelle hypocrisie alors que les syndicats depuis des lustres, et notamment
la CGT, n'ont jamais hésité à prendre les autres
ouvriers en otage dans ce type d'actions ! D'ailleurs, le secrétaire
CGT d'EDF pour la région d'Ile-de-France n'hésite pas
à revendiquer ces actions : "On s'est vite rendu compte
de l'impact limité des manifestations festives dans la rue. Pour
qu'on parle de notre lutte, il a fallu s'affranchir de certains tabous
et reprendre l'outil de travail." (cité par Le Monde daté
du 18 juin)
Ce type de manoeuvres, où la bourgeoisie n'a encore besoin que
d'entretenir une agitation syndicale sporadique et limitée pour
faire passer ses attaques constitue pourtant un poison redoutable pour
l'avenir. Il est révélateur des obstacles que les prolétaires
trouveront sur le difficile chemin de la reconquête de leur identité
de classe. Au sein de la bourgeoisie, les syndicats sont appelés
à jouer à nouveau un rôle de premier plan pour entraver
et saper le développement nécessaire de la lutte de classe.
A travers l'entretien d'une agitation sociale sur un terrain hyper corporatiste
et pseudo-radical et par leurs petites actions minoritaires de sabotage,
les syndicats divisent et dénaturent les luttes. Mais en renvoyant
une image de repoussoir, une image négative et dévalorisante
de la lutte de classe, les syndicats visent avant tout à empêcher
une mobilisation massive de la classe ouvrière, discréditent
la lutte de classe et alimentent un sentiment d'impuissance dans les
rangs de la classe ouvrière.
Pour pouvoir s'opposer aux attaques de la bourgeoisie, les ouvriers
doivent prendre conscience que les syndicats sont les plus indispensables
auxiliaires de l'Etat bourgeois comme ils sont les véritables
maîtres d'oeuvre de ces opérations de sabotage de la mobilisation
et de la lutte.