Soumis par Revue Internationale le
" Les révolutions prolétariennes, par contre,comme celles du XIX° siècle, se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà accompli pour le recommencer à nouveau, raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n'abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces dans la terre et se redresser à nouveau formidable en face d'elles, reculer constamment à nouveau devant l'immensité infinie de leurs propres buts, jusqu'à ce que soit créée la situation qui rende impossible tout retour en arrière et que les circonstances elles-mêmes crient:" Hic Rhodus, hic salta" ([1])
MARX, Le 18 Brumaire.
Années de vérité, les années 80 ont commencé marquées par la lutte prolétarienne. La grève de masse d'Août 80 en Pologne montra d'emblée, par la puissance de son choc contre l'Etat/que la lutte ouverte entre prolétariat et classe dominante était devenue et, devrait de plus en plus devenir la caractéristique première de la période à venir. Cependant, les ouvriers polonais se sont retrouvés isolés. De 1980 à 1982 le nombre des luttes ouvrières, en particulier dans les pays les plus industrialisés, n'a cessé de diminuer de façon générale.
Comment comprendre ce recul au moment même où s'accélère l'aggravation de la crise mondiale du capitalisme ? Quelles sont les perspectives de la lutte de classe ?
1968-1982, 15 ans de crise économique et de luttes ouvrières
C'est seulement envisagée dans ses dimensions MONDIALE ET HISTORIQUE que la lutte prolétarienne peut être comprise, car elle n'est pas une mosaïque de mouvements nationaux sans passé ni avenir. Pour comprendre le mouvement actuel de la lutte de classe mondiale il. faut d'abord le resituer dans son cadre historique et plus particulièrement dans le mouvement général commencé par la rupture de 1968.
De la compréhension de la dynamique des rapports entre classes dans ces années de crise économique ouverte du capitalisme décadent, on pourra dégager des perspectives pour la lutte de classe.
On peut, dans les grandes lignes, distinguer quatre périodes entre 1968 et 1982 suivant les caractéristiques majeures du rapport de force entre prolétariat et bourgeoisie : ([2])
1968-1974 : développement de la lutte de classe ;
1975-1977 : reflux, contre-offensive de la bourgeoisie ;
1978-1980 : reprise de la lutte ;
1980-1982 : reflux, contre-offensive.
1968-1974 : RUPTURE AVEC UN DEMI-SIECLE DE CONTRE-REVOLUTION TRIOMPHANTE
Le coup de tonnerre des 10 millions de grévistes en France en Mai-Juin 68 ouvrit une période de luttes prolétariennes qui rompait ouvertement avec 50 ans de contre-révolution. Depuis le milieu des années 20, les ouvriers du monde entier avaient vécu, marqués par l'écrasement de la vague révolutionnaire de la fin de la Première Guerre mondiale. Le stalinisme, le fascisme, 1'anti-stalinisme, l'anti-fascisme, l'idéologie des mouvements de libération nationale, la démocratie bourgeoise avaient maintenu les prolétaires dans un état d ' atomisation , de soumission matérielle et idéologique, voire d'embrigadement derrière les drapeaux des différents capitaux nationaux.
Des "penseurs" à la mode, à la veille de 1968, ne théorisaient-ils pas la "disparition de la classe ouvrière" dans "l'embourgeoisement" et la soi-disant "société de consommation"?
La vague de luttes de 1968 à 1974 qui a touché, à des degrés divers, presque tous les pays (développés ou non) a constitué, par elle-même, un éclatant démenti à toutes les théorisations de la "paix sociale éternelle" et, ce ne fut pas là son moindre apport.
De Paris à Cordoba, en Argentine, de Détroit à Gdansk, de Shanghai à Lisbonne, 1968-1974 fut la réponse de la classe ouvrière aux premières secousses de la crise économique mondiale dans laquelle le capitalisme commençait à s'enfoncer depuis l'achèvement, au milieu des années 60, de vingt ans de reconstruction d'après-guerre.
Cette première grande période de lutte posa, dès ses débuts, tous les problèmes auxquels le prolétariat devait se confronter dans les années suivantes : 1'encadrement syndical et des partis bourgeois dits "ouvriers", les illusions dans les possibilités d'une nouvelle prospérité capitaliste, dans le mécanisme de la démocratie bourgeoise, la vision nationaliste de la réalité de la lutte de classe. Bref, les difficultés à développer son autonomie et son auto organisation face aux forces politiques de l'Etat bourgeois.
Presque partout les luttes ouvrières durent s'affronter, souvent violemment, non seulement aux gouvernements locaux, mais aussi et surtout aux forces d'encadrement de la bourgeoisie : syndicats, partis de gauche.
Mais, ces affrontements sont restés généralement dans le cadre des illusions d'une époque où les réalités de la crise économique étaient encore à leurs premiers développements.
Le capitalisme venait de connaître, pendant vingt ans, une période de relative stabilité économique. L'idée qu'un retour à la situation précédente était possible dominait encore la société. Et cela, d'autant plus qu'en 1972-73; le capital occidental, pour sortir de la récession de 70-71, se débarrassa des contraintes des taux de change fixes et de la convertibilité du dollar en or et connut une croissance sans précédent.
Entre 1968 et 1974, le chômage augmente sensiblement dans beaucoup de pays occidentaux, mais le niveau de celui-ci reste encore relativement bas ([3]).L'attaque subie par la classe ouvrière dans cette période se situe surtout au niveau des prix à la consommation ([4])
Devant la montée de la lutte de classe, les forces de gauche de la bourgeoisie ont su, en un premier temps, radicaliser leur langage et réadapter 1eurs structures, afin de pouvoir garder, d'une façon ou d'une autre, le contrôle des 1uttes. L'exemple des syndicats italiens pendant 1'"automne chaud" de 1969 est peut-être un des plus significatifs et spectaculaires: après avoir été violemment contestés par les assemblées d'ouvriers en lutte, ils savent instaurer des "conseils d'usine" formés de délégués de base pour mieux asseoir leur pouvoir dans les usines.
Cela s'avère insuffisant. Devant la nouvelle accentuation de la crise économique en 74-75, la bourgeoisie devra imposer encore de nouveaux sacrifices aux exploités. Se reposant sur les illusions encore for tes quant à la possibilité d'un "retour à la prospérité d'antan" (illusions dont elle est elle-même prisonnière) elle va développer la perspective de "la gauche au pouvoir".
A travers cette première vague de luttes, le prolétariat mondial a affirmé son retour au centre de l'histoire. Mais l'évolution de la situation objective ne permet pas encore à la classe révolutionnaire de posséder la force et l'expérience pour comprendre les perspectives et résoudre les problèmes que pose la lutte.
1975-1978 : CONTRE-OFFENSIVE DE LA BOURGEOISIE, LA GAUCHE AU POUVOIR
La récession de 74-75, que la presse appelait "le choc pétrolier", marque le véritable début des effets réels de la crise. Il se produit un changement profond dans la vie sociale. Les restrictions sur le niveau de vie des travailleurs deviennent de plus en plus sensibles. Le chômage augmente irréversiblement en Europe et, s'il diminue momentanément aux Etats-Unis, il reste toujours à un niveau élevé. En 76, les partis de gauche ont déjà formé des gouvernements aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne. En France, la gauche accroît ses triomphes électoraux et lance la campagne "ne pas faire de grèves pour ne pas effrayer la population et permettre le triomphe de la gauche.
En Italie, après ses victoires électorales retentissantes, le PCI pratique le partage du pouvoir par le "compromis historique" avec le gouvernement démocrate-chrétien.
Le nombre de grèves diminue de façon générale dans la majorité des pays.
La réalité des faits se charge, cependant, de détruire peu à peu les illusions. La crise économique ne cesse de s'approfondir. Les triomphes électoraux des partis de gauche n'y changent rien. Les appels aux sacrifices se multiplient alors que leur efficacité apparaît de moins en moins évidente.
Dès 1978, les signes qui annoncent la fin de cette période de repli se font jour.
1978-1980 : LA DEUXIEME VAGUE DE LUTTES, LA POLOGNE
Au début 1981, nous parlions de cette "deuxième vague de luttes (...) où l'on voit tour à tour les mineurs américains en 78, les ouvriers de la sidérurgie en France début 79, les travailleurs du port de Rotterdam à l'automne 79, les ouvriers de la sidérurgie en Grande-Bretagne début 80, ainsi que les métallurgistes brésiliens durant toute cette période... reprendre le chemin du combat!
C'est à cette deuxième vague de luttes qu'appartient le mouvement présent du prolétariat polonais" ("La dimension internationale des luttes ouvrières en Pologne" (Revue Internationale N°24 ).
Les luttes ouvrières qui précédent celles de Pologne sont moins nombreuses que celles de 68-74. Mais 1orsqu'on les envisage dans leur ensemble, on s'aperçoit qu'elles résument, en un peu plus d'un an, l'essentiel de l'expérience de la première vague de luttes.
En se heurtant aux syndicats pour les déborder, comme les mineurs des USA, en se donnant dans la grève une forme d'auto organisation indépendante .des syndicats, comme les travailleurs du port de Rotterdam, en tentant de porter la lutte vers les centres du pouvoir et de force de la classe, comme les sidérurgistes français et leur "marche sur Paris", en faisant de la solidarité l'axe de leur combat, comme les sidérurgistes britanniques et leurs piquets de grève volants, les ouvriers,1ors de ces batailles,ont repris certains problèmes de la lutte au niveau où les avaient laissés les affrontements de la première vague.
La grève de masse en Pologne apporta dans la pratique d'importants éléments de réponse à ces problèmes. La grève de masse a démontré la capacité du prolétariat à s'unifier, à se battre sans distinction de catégories ou de secteurs de production. Elle a mis en évidence la capacité d'auto organisation par les assemblées et les comités de délégués à une échelle inconnue pendant la première vague. Et surtout, elle a illustré concrètement comment; en s'unifiant par la généralisation et en s'auto organisant, le prolétariat peut parvenir à développer une force et une maîtrise de soi capable d'affronter et de faire reculer les gouvernements les plus totalitaires.
Mais, en développant cette force, en désarçonnant et faisant reculer le gouvernement national, et avec lui le bloc militaire soviétique, le prolétariat s'est trouvé porté à un niveau supérieur d'affrontement avec l'Etat. Jamais, depuis les années 20, la classe ouvrière n'avait imposé un tel rapport de force politique à la bourgeoisie. Les luttes en Pologne ont démontré concrètement qu'à ce degré de confrontation entre les classes, les choses ne se jouent plus au niveau national. La bourgeoisie a affronté les prolétariats polonais avec la contribution de toutes ses forces économiques, mi1itaires et idéologiques dont elle dispose au niveau international. Même s'ils n'en ont pas toujours eu conscience, les ouvriers ont été mis devant la réalité des conséquences de leur propre force : s'ils voulaient pouvoir répondre à la riposte de la bourgeoisie, s'ils voulaient aller plus loin dans leur combat, seul moyen de ne pas reculer, il leur fallait LA GENERALISATION INTERNATIONALE de la lutte prolétarienne.
Cette généralisation était indispensable non seulement pour d'évidentes raisons militaires et économiques, mais d'abord et surtout parce qu'elle conditionnait l'évolution de la conscience même des ouvriers en Pologne. Les ouvriers en Pologne sont restés prisonniers de deux mystifications importantes : le nationalisme et les illusions sur la démocratie bourgeoise (lutté" pour un syndicat légal, etc.). Or, seule la lutte massive des ouvriers des autres pays de l'Est et surtout celle des principaux pays industrialisés d'Occident, pouvait apporter au prolétariat de Pologne, dans les faits, la démonstration pratique:
1°) de la possibilité d'unification internationale du prolétariat et donc de se débarrasser des perspectives nationales et de percevoir le caractère diviseur et anti-prolétarien de l'idéologie nationale,
2°) du caractère illusoire et dictatorial de la "démocratie" bourgeoise, avec ses syndicats et ses Parlements à l'occidentale.
Comme son être matériel, la conscience du prolétariat a une réalité mondiale. Elle ne pouvait se développer indéfiniment en un seul pays. Les ouvriers polonais ne pouvaient que poser objectivement le problème de la généralisation internationale. Seul, le prolétariat des autres pays industrialisés, en particulier en Europe occidentale, pourra y apporter une réponse pratique. Ce fut là le principal enseignement du mouvement prolétarien en Pologne.
1980-1982 : LA NOUVELLE CONTRE-OFFENSIVE DE LA BOURGEOISIE, LA GAUCHE DANS L'OPPOSITION :
RECUL DES LUTTES OUVRIERES
Lorsque explose la grève de masse en Août 80 en Pologne, la bourgeoisie occidentale a déjà entamé une contre-offensive face à la nouvelle montée de la lutte de classe. Elle a commencé à réorganiser la disposition de ses forces politiques. La priorité est donnée à un renforcement de l'appareil d'encadrement du prolétariat sur le terrain même de l'usine et de la rue. Face à l'effritement des illusions, les gouvernements de gauche cèdent la place à des gouvernements de droite au langage "franc", ferme et menaçant...Thatcher et Reagan en deviennent les symboles. Les partis de gauche reprennent leur place dans l'opposition pour assurer leur fonction de contrôle des mouvements prolétariens en se mettant à leur tête et les étouffant dans la logique de la défense de l'intérêt national.
La façon dont la bourgeoisie mondiale a fait face à la lutte des ouvriers en Pologne même, les campagnes qu'elle a développées internationalement pour mieux en cacher le véritable contenu et la profonde portée, illustrent les caractéristiques les plus essentielles de cette contre-offensive.
En Pologne même, ce fut la construction de l'appareil de "Solidarnosc" avec la collaboration, le soutien financier et les conseils expérimentés de tous les syndicats du bloc US, soutenus par leurs gouvernements. Cette gauche dans l'opposition "à la polonaise" sut exploiter le sentiment "anti-russe" de la population pour enfermer les prolétaires dans une vision nationaliste de leur lutte. Elle sut détourner systématiquement les luttes ouvrières contre l'intensification de l'exploitation et de la misère, en combats pour une "Pologne démocratique". Elle sut maintenir l'ordre et saboter ouvertement les grèves au nom des intérêts de l'économie nationale et de la paix sociale'(Bydgoszcz) sans trop perdre de sa crédibilité:
-grâce au développement d'un appareil de base du syndicat, capable de prendre la tête des mouvements qui s'opposaient à la direction syndicale, tout en les maintenant dans le cadre syndicaliste,
-grâce au langage "anti-Solidarnosc" que développa le gouvernement qui fit de ses dirigeants des victimes et des martyrs et redora son blason.
Complémentarité et partage du travail entre gouvernement et opposition pour faire face au prolétariat, complémentarité et partage du travail au sein des forces de gauche entre les directions "modérées" et une base politique et syndicale "radicale" La Pologne fut un laboratoire vivant pour la construction de la contre-offensive de la bourgeoisie.
La façon dont la bourgeoisie affronte les luttes des sidérurgistes belges au début 1982, celles des ouvriers italiens en janvier 1983, constitue presque une caricature schématique de ce qu'elle fit en Pologne: durcissement du gouvernement devenu plus "de droite", radicalisation du langage de la gauche dans l'opposition, utilisation du syndicalisme de "base" ou de "combat" pour mieux contrôler les mouvements qui tendent à mettre en question le carcan syndical.
Sur le plan international, Va campagne organisée par la bourgeoisie occidentale à propos de la Pologne est un exemple typique de la série de campagnes idéologiques orchestrées internationalement et ayant comme objectif conscient le déboussolement, la désorientation des prolétaires. ([5])
Pour dénaturer l'exemple de la réponse des ouvriers polonais à la crise économique mondiale, pour détruire la tendance des ouvriers du monde entier à se reconnaître dans la combativité des prolétaires polonais, la bourgeoisie occidentale, avec la collaboration explicite de celle de l'Est, à coup de "Reagan show" le Pape en tête/développe le thème "La lutte des ouvriers polonais n'a rien à voir avec votre situation ; son objectif c'est vivre comme en Occident . Nous ne nous battons pas pour abolir l'exploitation mais pour avoir un régime comme le votre".
Le coup de force du 13 décembre fut le premier résultat de cette contre-offensive. Les campagnes de déboussolement et l’instauration d'un climat de terreur: El Salvador, la guerre des Malouines, le terrorisme, les massacres du Liban, ont contribué à en étendre les bâti vite prolétarienne.
Cette contre-offensive de la bourgeoisie au début des années 80 n'a pas été seulement idéologique. La répression policière et bureaucratique a connu des développements spectaculaires. Tous les gouvernements ont multiplié les brigades "antiémeutes" et la collaboration internationale des polices face à ceux qui mettent en question "la sécurité de l'Etat".
Mais la pire forme de répression que subissent les ouvriers n'est autre que les effets de la crise économique: les heures de queue devant les magasins et la jungle du marché noir dans les pays de l'Est, la misère du chômage et la baisse des salaires dans les pays occidentaux.
La violente accélération de la crise entre 1980 et 1982 se traduit concrètement par un rapide resserrement de l'étau qui soumet les prolétaires à 1'atomisation et à la concurrence entre eux. La bourgeoisie mondiale a su en tirer momentanément le maximum de profit.
Dans les principaux pays occidentaux, le nombre des grèves diminue fortement à partir de 19807 En 1981, dans des pays aussi importants pour la lutte de classe que les Etats-Unis, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la France ou l'Italie le nombre des grèves enregistré est le plus bas ou un des plus bas depuis plus de 10 ans.
Comme au milieu des années 70, la bourgeoisie a réussi à dresser un barrage contre la montée de la combativité ouvrière.
Mais les barrages du capital sont faits de matériaux périssables et les flots qu' ils ont pour tâche de contenir puisent leur source dans les plus profondes nécessités historiques de l'humanité.
Les facteurs objectifs et subjectifs sur lesquels a reposé la dernière contre-offensive de la bourgeoisie s'usent d'autant plus vite que la décomposition du système économique s'accélère.
PERSPECTIVES : VERS LA FIN DU REPLI
De façon générale la bourgeoisie -comme toutes les classes exploiteuses dans l'histoire - a assuré son pouvoir:
1°) par la capacité du système économique qu'elle gère à assurer un minimum de moyens de subsistance à 1 a principale ; classe productrice et exploitée
2°) par sa domination idéologique ;
3°) par la répression.
Mais lorsque les rouages économiques se grippent et que 1'obsolescence des rapports de production est démontrée chaque jour par la réalité, ce sont les bases matérielles qui sous-tendent le pouvoir idéologique de la classe dominante qui s'effondrent. Dans ces conditions, 1a répression pour le maintien de 1'"ordre", pour le maintien de la "rentabi1ite", apparaît de plus en plus comme la défense barbare des privilèges d'une minorité.
Telle est la tendance depuis le début de la crise ouverte à la fin des années 60. Elle s'est accélérée avec le début des années 80.
Les conditions du repli de la lutte de classe ne peuvent que s'effriter car la tendance générale n'est pas vers une plus grande union entre bourgeoisie et prolétariat mais au contraire vers l'exacerbation de l'antagonisme entre les deux classes principales de la société.
En 15 ans, les contradictions, les tensions générales que provoque la crise du capitalisme en déclin n'ont cessé de s'exacerber: contradiction entre, d'une part la nécessité et la possibilité du développement des forces productives et, d'autre part, les lois et les institutions sociales dans lesquelles ces forces sont utilisées ; contradiction entre la réalité concrète de décomposition et l'impasse d' une société en ruines d'un côté, et l'idéologie dominante qui chante les louanges des fondements de ce type de société de l'autre; contradiction entre les intérêts de l'immense majorité de la population soumise à une misère croissante et ceux de la minorité qui gère et profite du capital ; contradiction entre la nécessité objective de la révolution communiste mondiale et le renforcement de la répression- capitaliste.
Si, avant 1968;la bourgeoisie pouvait faire croire que le capitalisme était devenu un système éternel, sans crises économiques, si en 1975-78 elle a encore pu accréditer l'idée que la crise était momentanée et qu' elle serait surmontée par des économies de pétrole et les restructurations industrielles nécessaires, si elle a pu développer à la fin des années 70 l'idée qu'en "travaillant plus et gagnant moins" les prolétaires permettraient le recul du chômage, aujourd'hui la réalité rend quotidiennement évident qu'il ne s'agit, dans tout cela, que de mystifications destinées à la sauvegarde du système.
Il en est de même pour des mystifications qui pendant des décennies (et en particulier pendant la crise des années 30) ont pesé sur le prolétariat mondial: la nature "ouvrière" des régimes des pays de l'Est, (la Pologne a joué un rôle décisif dans la destruction de ce mensonge), le caractère "progressiste" des luttes de libération nationale, l'efficacité des mécanismes électoraux et des partis "ouvriers" pour empêcher l'intensification de l'exploitation et de la misère de la vie, le mythe de l'Etat-providence et protecteur.
Cela se traduit dans la réalité par le caractère de plus en plus précaire de l'efficacité des grandes campagnes idéologiques de la bourgeoisie mondiale. Les prolétaires croient de moins en moins dans les valeurs idéologiques qui justifient le système capitaliste.
QU'EN EST-T-IL AU NIVEAU DE LA LUTTE OUVRIERE ELLE-MEME?
Que ce soit l'affaiblissement de la force du prolétariat en Pologne enfermé dans les impasses du nationalisme et des illusions sur la "démocratie occidentale", que ce soit l'isolement de la lutte des sidérurgistes belges au début de 1982 ou l'incapacité à s'unifier des mouvements des prolétaires en Italie au début 1983, la réalité de la lutte de classe montre clairement que la lutte ouvrière dans les années à venir connaîtra deux problèmes essentiels et interdépendants :
1°) la nécessité de généraliser la lutte,
2°) la nécessité de ne pas laisser la conduite du combat aux mains des forces de gauche du capital travaillant dans les rangs ouvriers.
LA GENERALISATION
En Août 80, les ouvriers polonais ont démontré, dans la pratique, deux vérités essentielles pour la lutte ouvrière:
- la classe ouvrière peut étendre sa lutte, par elle-même sans recours à aucun appareil syndical ;
- seule, la force que donne cette extension peut faire reculer la puissance de 1'Etat.
Un an d'isolement international du mouvement en Pologne à3 en outre, démontré que la lutte ouvrière ne peut développer sa pleine puissance qu'en se généralisant par-delà les frontières nationales.
En ce sens, la perspective tracée au début des années 80 par la lutte en Pologne c'est celle de la généralisation au niveau international. Cette perspective dépend fondamentalement de l'action du prolétariat d'Europe occidentale, du fait de son nombre, de sa puissance, de son expérience, et…. de sa vie divisée en une multitude de petites nations. Elle ne s'y concrétise pas du jour au lendemain. Une telle généralisation sera inévitablement précédée de toute une série de luttes à l'échelle locale, voire "nationale", expériences qui seules pourront en démontrer dans la pratique, le caractère vital, indispensable.
Les récentes luttes des ouvriers en Belgique et en Italie ont toutes deux vu se manifester nettement des tendances spontanées à l'extension. Le prolétariat européen se prépare effectivement à suivre le chemin ouvert en Pologne en août 1980. Mais il lui faut certainement encore développer sa propre expérience de lutte pour y parvenir. D'autant plus que sur ce chemin, il trouve et trouvera devant lui le barrage systématique des organisations syndicales et des forces politiques de la gauche de la bourgeoisie.
LA GAUCHE DANS LES RANGS OUVRIERS
Le mouvement en Pologne en 1981, en Belgique en 1982 illustre concrètement comment les forces radicales de la gauche bourgeoise peuvent parvenir à détourner et conduire dans des impasses les poussées ouvrières vers la généralisation.
Au moment de l'établissement de l'état de guerre en Pologne, les conséquences de l'isolement international du mouvement apparurent dans toute leur violence. La nécessité de faire appel aux ouvriers des autres pays apparaissait comme une question cruciale. "Solidarnosc" et ses tendances radicales surent détourner cette nécessité vers des appels...aux gouvernements de la bourgeoisie occidentale (voir les banderoles de décembre 1981 aux portes des chantiers de Szczecin).
En Belgique, lorsque dans les assemblées des sidérurgistes des différentes villes en grève se sont manifestées de plus en plus de critiques aux directions syndicales et des poussées vers une unification directe et l'extension de la lutte, les tendances radicales du syndicat ont su prendre la tête de ces mouvements et les canaliser dans des actions "unifiées" sous le contrôle des centrales syndicales soigneusement isolées de tous les autres secteurs de la classe ouvrière.
Le prolétariat, jusqu'à son émancipation définitive, trouvera devant lui, dans ses rangs, ces habiles forces de la classe dominante. Mais poussé par la nécessité de réagir à l’attaque du système en crise, il apprend et apprendra à les contrer et à les détruire de la même façon qu'il a tout appris : par l’expérience de la lutte.
Il faudra, certainement, encore beaucoup de combats, de défaites partielles, momentanées, pour que la classe ouvrière parvienne à prendre systématiquement ses affaires en main et aller vers la généralisation. C'est un processus qui se déroule à l’échelle mondiale et dans lequel, constamment, les luttes ouvrières, comme dit Marx, "reviennent sur ce qui semble accompli pour le recommencer à nouveau".
VERS LA REPRISE DES LUTTES
Les hésitations, les reculs momentanés sont inévitables dans le développement de la lutte d'une classe exploitée. Ce Qu'il faut comprendre c'est qu'au travers de ses hauts et ses bas, la tendance générale de la lutte ouvrière depuis 15 ans, renforcée avec l'entrée dans les années 80, va dans le sens d'un dégagement de l'idéologie dominante, vers des heurts de plus en plus violents avec les forces de gauche du capital et vers la généralisation des combats.
Le développement de la crise économique est devant nous. Ses effets, l'attaque qu'ils constituent contre la classe ouvrière mondiale, iront s'accentuant, contraignant les prolétaires à hisser leur combat à des niveaux de plus en plus élevés, globaux, généraux.
Le chômage, effet principal de la crise, qui frappe les ouvriers comme une des pires formes de répression (qu'il soit effectif le ou sous forme de menace) peut, momentanément constituer un facteur de frein à la lutte. En mettant les ouvriers en concurrence entre eux pour les postes de travail, il peut rendre plus difficile l'unification du prolétariat. Mais il ne peut l'empêcher. Au contraire la lutte contre les licenciements, contre les conditions de vie des chômeurs constituera une des bases luttes ouvrières à venir. Ce qui en un premier temps peut constituer un frein 'se' transformera en accélérateur contraignant les ouvriers, chômeurs et non chômeurs, à envisager leur lutte de façon toujours plus générale, à assumer toujours plus le contenu politique, social et révolutionnaire de leur combat.
La gravité même de la crise du système, son ampleur poussent les luttes ouvrières à, comme le disait Marx, " reculer constamment à nouveau devant 1 ' immensité infinie de leurs propres buts, jusqu'à ce que soi t créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière et que les circonstances elles mêmes crient "Hic Rhodus, tic saita."
R. V.
"F.ENGELS DIT QUE LA VICTOIRE DEFINTIVE DU PROLETARIAT SOCIALISTE CONSTITUE UN BOND QUI FAIT PASSER L'HUMANITE DU REGNE DE L'ANIMALITE A CELUI DE LA LIBERTE. MAIS CE "BOND" N'EST PAS ETRANGER AUX LOIS D'AIRAIN DE L'HISTOIRE, IL EST LIE AUX MILLIERS DE MAILLONS DE L'EVOLUTION QUI LE PRECEDENT, EVOLUTION DOULOUREUSE ET ËIEN TROP LENTE. ET CE BOND NE SAURAIT ETRE ACCOMPLI SI, DE L'ENSEMBLE DES PREMISSES MATERIELLES ACCUMULEES PAR L'EVOLUTION, NE JAILLIT PAS L'ETINCELLE DE LA VOLONTE CONSCIENTE DE LA GRANDE MASSE POPULAIRE JAMAIS LA VICTOIRE DU SOCIALISME NE TOMBERA DU CIEL COMME LE FATUM ANTIQUE, CETTE VICTOIRE NE PEUT ETRE REMPORTEE QUE GRACE A UNE LONGUE SERIE D'AFFRONTEMENTS OPPOSANT LES FORCES ANCIENNES AUX NOUVELLES, AFFRONTEMENTS AU COURS DESQUELS LE PROLETARIAT INTERNATIONAL FAIT SON APPRENTISSAGE (...) ET TENTE DE PRENDRE EN MAIN SES PROPRES DESTINEES, DE S'EMPARER DU GOUVERNAIL DE LA VIE SOCIALE. (...)
LA CLASSE OUVRIERE NE DOIT JAMAIS AVOIR PEUR DE REGARDER LA VERITE EN FACE, MEME SI CETTE VERITE CONSTITUE POUR ELLE L'ACCUSATION LA PLUS DURE, CAR SA FAIBLESSE N'EST QU'UN ERRE- MENT ET LA LOI IMPERIEUSE DE L'HISTOIRE LUI REDONNE LA FORCE, LUI GARANTIT SON SUCCES FINAL."(Rosa Luxembourg, "La crise de la social-démocratie")
[1] "Voici Rhodes, c'est ici qu'il faut sauter". Proverbe latin inspiré d'une fable d'Esope qui signifie : c'est le moment de montrer ce dont on est capable.
[2] Il n'est pas toujours aisé dé déterminer de façon précise des périodes dans l'histoire. Il n'y a pas une simultanéité stricte de la crise sociale dans tous les pays. Suivant le développement économique, suivant la situation géographique, suivant les conditions politiques caractérisant telle ou telle zone de la planète, les tendances générales internationales de la lutte de classe s'y manifesteront plus ou moins rapidement avec plus ou moins d'ampleur et d'intensité. En ce sens, dire "Telle année marque la fin de la période de repli de la classe et commence une période de reprise" ne veut pas dire que l'année en question tous les ouvriers du monde ont brisé leur atomisation pour engager le combat. Ce dont il s'agit, c'est de déterminer des points de repère indispensables pour dessiner les tendances générales du mouvement mondial. Par ailleurs, la vie de la lutte de classe dans les pays les plus industrialisés qui concentrent les forces les plus nombreuses et les plus expérimentées du prolétariat et de la bourgeoisie a inévitablement une place prépondérante dans la détermination de telles périodes.
[3] Le taux de chômage moyen des pays industrialisés du bloc occidental tourne autour de 3% à la fin des années 60; (il dépasse aujourd'hui les 10%). En 1974 il n'a augmenté que de 1 ou 2 points. En 1975, année la plus noire de la récession de 74-75 il est autour de 5% en moyenne.
[4] Entre 1968 et 1975 l'inflation, mesurée par l'indice des prix à la consommation, passe de 4,2 à 9,1 aux USA, de 5,3 à 11,8 au Japon, de 2,9 à 6% en Allemagne, de 4,1 à 11,3% dans l'ensemble de l'OCDE.
[5] Il nous a souvent été reproche par certains de nos critiques d'avoir une vision machiavéliste de l'histoire lorsque nous parlons de telles campagnes. Nous avons longuement répondu à cette question dans les articles "Machiavélisme, conscience et unité de la bourgeoisie" dans le n°31 (4e trimestre 82) de cette revue. Pour ceux qui ont la mémoire courte rappelons que de telles campagnes n'ont rien de nouveau. Dès la fin de la Seconde guerre mondiale, dans la période de la "guerre froide", les deux nouvelles puissances militaires qui se partageaient le monde devaient se livrer à de gigantesques campagnes idéologiques internationales au sein de leur bloc pour incruster dans le cerveau des populations les nouvelles alliances impérialistes: les ennemis d'hier étaient devenus alliés, et les alliés ennemis. 40 ans après il serait candide de croire que la bourgeoisie serait devenue, aujourd'hui, moins manipulatrice.