Soumis par Révolution Inte... le
Le conflit à la SNCM (Société nationale Corse Méditerranée) aura duré 24 jours, s'achevant dans la défaite, l'isolement, l'amertume, la démoralisation les plus complets pour les ouvriers embarqués dans cette lutte. Le bilan de cette grève se solde par le maintien des 400 suppressions d'emplois annoncés au début par les repreneurs privés Butler et Connex. Comment cette lutte a-t-elle été conduite dans une impasse totale alors qu'elle s'inscrivait pourtant dans un contexte de montée d'exaspération accumulée et de ras-le-bol grandissant présents dans toute la classe ouvrière en France face à des attaques simultanées : annonce de licenciements touchant en même temps des dizaines de milliers d'ouvriers, dégradation accélérée du niveau de vie, des conditions de travail et du pouvoir d'achat, intensification du démantèlement de toute protection sociale sur les salariés, les retraités, les chômeurs ? (voir article page 2).
Le déroulement du conflit
Rappelons les faits. A l'annonce du plan de privatisation de la SNCM et du soutien par le gouvernement de l'offre d'un repreneur, la société Butler, les ouvriers savaient que cela signifiait le licenciement pour une bonne partie d'entre eux et laissaient éclater leur colère et leur combativité. Mais d'emblée, ils se sont laissés embarquer sur un terrain corporatiste et nationaliste imposé d'avance par les syndicats. La bourgeoisie profitait ainsi du contrôle étroit des syndicats sur l'entreprise et des illusions corporatistes particulièrement fortes dans ce secteur. La CGT à Marseille et le STC (Syndicat des Travailleurs corses) sur le sol corse se partageaient en effet déjà un véritable racket mafieux, monopolisant le contrôle de l'embauche des salariés de la SNCM. Il y a dix ans, le STC, fort de 5000 adhérents en Corse, avait d'ailleurs lancé un mouvement pour réclamer de l'Etat français une "corsisation" des emplois dans l'île.
Dès lors, la bourgeoisie et ses syndicats disposaient d'un large champ de manœuvre pour saboter la riposte ouvrière, dévoyer la lutte sur un terrain étranger au prolétariat, tout en montant en épingle ce conflit et en le médiatisant au maximum.
Dès le 21 septembre, deux navires de la SNCM avaient été bloqués dans le port de Marseille. Un des deux à destination de la Corse avait pu finalement appareiller, l'autre qui devait ramener des travailleurs maghrébins en Algérie vers leur famille, était resté à quai. Des marins de la CGT ont même utilisé des lances à incendie pour empêcher ces travailleurs maghrébins de monter sur les bateaux. Ces quelques 1200 prolétaires ont ensuite été abandonnés à leur sort par la direction de la SNCM, par les autorités françaises et algériennes et se sont fait balader plusieurs jours entre Marseille et Toulon avant de pouvoir partir.
La CGT a organisé dès le départ des actions minoritaires, de commandos. Lors d'une de ces "actions", le PDG de l'entreprise a été séquestré mais une fois l'impact publicitaire obtenu, les syndicats le laissaient "s'enfuir" le lendemain.
La grève prenait une autre dimension le 26, dès l'annonce de l'acceptation par le gouvernement du plan du repreneur et l'entrée en scène du STC. Le même jour, les dockers et les employés du port autonome de Marseille, et des ports de Fos et de Port-Saint-Louis sont appelés à se mettre en grève. La grève sera effective le 29 provoquant une paralysie générale du trafic autour de Marseille et en Corse. Le secrétaire général de la CGT, Thibault, prend soin de préciser qu'il ne s'agit nullement d'un mouvement de solidarité mais là encore d'une lutte pour assurer le maintien du service public de chaque entreprise face au danger de privatisation. En réalité, la CGT qui encadre et contrôle étroitement ces mouvements se garde bien de mélanger les ouvriers de chaque pôle d'activité qui vont poursuivre la lutte chacun de leur côté. Elle veille précisément à empêcher toute expression de solidarité, tout en mettant en avant des revendications similaires : la sauvegarde de l'embauche au nom de la défense du "service public". Le mouvement paralysant le port et le blocage du trafic vers la Corse contribue à diviser les salariés de la SNCM avec ceux de la sous-traitance d'une part et ceux des compagnies concurrentes d'autre part.
Le spectacle médiatique prend le dessus. La CGT et le STC se partagent le travail, de même qu’au sein de la CGT, entre l’union départementale "radicale" et la direction de la confédération nettement plus "modérée". Tandis que la CGT locale lance des commandos encagoulés qui virent à plusieurs reprises en échauffourées avec les policiers et que de violents affrontements avec les forces de l'ordre se produisent plusieurs nuits de suite dans les rues de Bastia, le STC se livre à l'épisode le plus spectaculaire en détournant vers Bastia un cargo, le Pascal-Paoli, et justifie cet acte de rébellion en prétendant "rendre son outil de travail à la Corse". L'Etat répond en faisant prendre d'assaut le bateau avec ses super-gendarmes du GIGN. Quatre marins sont placés en garde à vue. La "libération" des "mutins" est présentée comme une "victoire" et contribue à populariser cette lutte sur laquelle tous les projecteurs de l'actualité sont braqués. Alors que localement des milliers de travailleurs sont pris en otage par la paralysie des transports qui débouche sur un véritable blocus de la Corse, les ouvriers de l’Hexagone dans leur ensemble sont invités à vivre par procuration ce conflit presque heure par heure alors qu'ils ne peuvent nullement se sentir concernés par les "revendications" nationalistes qui sont mises en avant par le STC qui sert de repoussoir (tout en cultivant le paradoxe du nationalisme corse dont toutes les variantes réclament bruyamment… le maintien de la SNCM dans le giron de l'Etat français !). Le déchaînement de la pire hystérie nationaliste, comme en Corse où elles ont rapidement dégénéré, ne pouvait déboucher que sur des attentats à la roquette ou sur des bastonnades totalement étrangères à la lutte ouvrière et à ses méthodes de lutte.
Tandis que la Corse est isolée et subit un véritable blocus, parallèlement, la police déloge les grévistes à Marseille et fait évacuer le port. Pendant toute la durée de la grève, les manifestations à Marseille (en dehors du 4 octobre), étroitement encadrées par la CGT, qui y fait chanter La Marseillaise, n'auront jamais rassemblé plus de 200 personnes. Les caméras des médias et les journalistes accrédités sont les seuls à être conviés à des parodies d'AG qui, sous le contrôle des syndicats, se tenaient pour la SNCM … dans la salle de cinéma d'un bateau Le Méditerranée, interdisant l'accès aux autres ouvriers, notamment ceux du port autonome, aux dockers et aux employés des transports publics. Il était d'autant plus impossible d'entrer dans le port que celui-ci s'est retrouvé rapidement investi par les forces de police. Pendant ce temps, la grève à la SNCM était applaudie, encensée, encouragée par toutes les forces de la gauche, y compris par le groupe trotskiste "Lutte Ouvrière" qui déclarait lors du "meeting de soutien" du 3 octobre aux grévistes de la SNCM auquel participait également Buffet, Besancenot et des élus du PS : "Marins et travailleurs de la SNCM, je vous remercie, vous avez montré l'exemple de la combativité à tous les travailleurs". Ce discours ne faisait qu'entretenir l'illusion de force d'une lutte qui se retrouvait totalement enfermée, étouffée et sabotée par les syndicats, dévoyée par eux sur le terrain de la défense du service public français et réclamant la "protection" de l'Etat et du gouvernement. Cloisonné et isolé dans la défense de son entreprise et de sa corporation, chaque mouvement était entraîné inexorablement vers la défaite. Les dockers puis les employés du port ont voté la reprise du travail en laissant ceux de la SNCM totalement isolés.
Le message de la bourgeoisie
Quel est le message que la bourgeoisie a voulu faire passer ?
- D'une part, ce conflit a été présenté pendant un temps comme un modèle de combativité pour la lutte de classe dans les médias. C'est le type même d'une grève dure, radicale, violente dans laquelle un syndicat, la CGT, s'est donnée l'image d'un syndicat se battant, jusqu'à la limite du possible pour défendre jusqu'au bout les intérêts des travailleurs, pour tenter de faire reculer le gouvernement ;
- D'autre part, la principale leçon à tirer de la défaite serait qu'il ne sert à rien de lutter puisqu'une grève, même la plus dure et radicale, ne mène finalement à rien si elle n'est pas dirigée par des syndicats "responsables". Il s'agit de faire apparaître les "ouvriers de la base", manipulés et encouragés en sous-main par la CGT locale et par le syndicat nationaliste corse STC comme une poignée d'irresponsables. La menace et le chantage au dépôt de bilan signifiant la mise au chômage pour tous les ouvriers de l'entreprise, s'est avérée une arme d'autant plus efficace que l'Etat ne pouvait se permettre de laisser une entreprise publique en faillite pour la première fois de son histoire.
Quant au gouvernement, il aurait témoigné de sa " bonne volonté" en dépêchant à maintes reprises plusieurs ministres pour négocier.
Au bout du compte, ce n'est que derrière les "syndicats responsables", seuls interlocuteurs reconnus, qu'on pourrait lutter, limiter les dégâts contre les attaques et les licenciements et "faire pression pour freiner les dérives libérales" du gouvernement, à l'instar du patron de la CGT, Bernard Thibault qui, depuis une semaine martelait l'idée qu'il fallait faire marche arrière pour éviter le dépôt de bilan.
Cela n'est pas contradictoire car le seul objectif de la bourgeoisie est de désorienter, de diviser la classe ouvrière et de dissuader par tous les moyens les prolétaires d'entrer en lutte sur leur véritable terrain de classe, de les empêcher de reconnaître et d'affirmer les besoins de leur lutte.
Ce que la classe ouvrière doit retenir de cette lutte est tout différent.
Les méthodes mises en avant par les syndicats à Marseille et en Corse ont été en constante opposition avec les besoins réels de la lutte ouvrière.
Les vraies leçons pour la classe ouvrière
Le besoin vital de la lutte et le seul moyen de mener une grève et d'imposer un rapport de forces à la bourgeoisie est de l'étendre, d'entraîner dans la lutte d'autres secteurs, d'aller chercher la solidarité d'autres entreprises voisines et de les entraîner dans le même combat. C’est seulement ainsi que peut s’affirmer une solidarité de classe dans la lutte. A la SNCM, les syndicats ont constamment empêché un lien réel avec les grévistes du port autonome de Marseille, les dockers, les employés des transports publics. Le dramatique isolement des salariés dans les transports publics marseillais en grève depuis trois semaines que les syndicats enferment dans un jusqu'au-boutisme épuisant et démoralisant l’illustre encore aujourd'hui. Il est nécessaire pour le combat de classe de dépasser le carcan de l'enfermement corporatiste qui est par excellence le terrain du sabotage syndical de la lutte. L'extension de la lutte aux entreprises voisines autour des mêmes revendications de classe est une question de vie ou de mort pour la lutte. Pour cela, il ne faut pas s'en remettre aux syndicats qui profitent de leur contrôle sur les AG pour en interdire l'accès aux travailleurs des autres entreprises considérés comme des "étrangers" ou des "intrus" alors que l'unité de la classe ouvrière et la participation de tous les ouvriers, aux AG, ceux au travail comme ceux réduits au chômage, est l'oxygène indispensable de la lutte, la circulation du sang d'une classe ouvrière vivante.
Alors que les syndicats de la SNCM prétendaient défendre les emplois, les ouvriers d’autres entreprises de la région dans le privé étaient confrontés à la même menace de licenciements comme les salariés de Nestlé à Marseille, de ST-Microelectronics près d'Aix-en-Provence. Rien n’a été fait pour aller dans leur direction et pour les rencontrer. Au contraire, le thème de la défense du service public ne pouvait que les isoler et leur procurer un sentiment d’exclusion vis-à-vis de la lutte à la SNCM. Il est clair que toute lutte enfermée sur elle-même et isolée dans le cadre de la corporation, de l'entreprise, du secteur ne peut aller que vers la défaite.
La défense du service public mise en avant d'un bout à l'autre de la lutte par les syndicats a été d'ailleurs le leitmotiv constant de la grève, non seulement à la SNCM, mais chez les employés du port, chez les dockers, chez les grévistes dans les transports publics. Ce n'est pas sur ce terrain-là que la classe ouvrière peut se battre. En désignant un objectif erroné à la lutte : contre la privatisation et pour réclamer le maintien majoritaire de l’entreprise dans les mains de l’Etat, ce dévoiement ne pouvait déboucher que sur un terrain nationaliste qui n'est nullement le terrain de lutte du prolétariat mais celui de la bourgeoisie. Ces ouvriers à qui on faisait chanter l'hymne national dans les manifestations, se sont laissés mettre la tête sur le billot par les syndicats en réclamant derrière eux la protection de l'Etat français qui était pourtant le maître-d'œuvre de l'attaque portée contre eux. Leurs revendications ont pu ainsi être dévoyées par les syndicats sur le terrain de la bourgeoisie, servant en fin de compte la même cause de la défense de l'entreprise au nom de "l'intérêt national" que le "patriotisme" économique ou social de Villepin.
Les syndicats ne peuvent entraîner les ouvriers que sur le terrain du corporatisme et derrière la défense de l'intérêt national et les mener chaque fois ainsi, pieds et poings liés, à la démoralisation et à la défaite.
Wim (20 octobre)