Soumis par Revue Internationale le
Vercesi s'est enfin rendu compte que, dans sa théorie de l'économie de guerre, il avait négligé un facteur important, l'échange. Il l'introduit comment ?
- "Il arrive que la possibilité a été offerte au capitalisme de résoudre le problème du fonctionnement de la société capitaliste au travers de la réalisation de la plus-value dans la zone productive qui est la zone fondamentale de tout le processus économique. La non-utilité économique des produits supprime l'éventualité et la nécessité de la transformation du produit."
Ainsi la réalisation de la PV s'effectue dans le premier acte du procès de production capitaliste et ceci grâce à la possibilité de non-transformation du produit. Mais ceci n'est pas une réalisation de la PV puisque cette dernière, incorporée dans le produit, ne se transforme pas par l'échange en un accroissement du capital constant et du capital variable.
Ce qui est plus étonnant c'est qu'il fait entrer une notion d'utilité et de non-utilité qui nous semble toute morale. Nous nous expliquons : Marx disait que si un homme s'amuse à arrondir un caillou, la somme de force de travail qu'il dépense n'ajoute rien à la valeur nulle du caillou, car ce travail d'une part la mer le fait et d'autre part il ne trouvera pas d'acheteur sur le marché. Son travail a été concrétisé dans un produit non-utile parce que non-échangeable. Le camarade de BR qui, d'après Vercesi aurait dit nonante bêtises desquelles sort la vérité, pour cette bêtise, était plus près de la réalité que la bourde astronomique de Vercesi. Si c'est en fonction de la non-utilité morale de la production de guerre que l'échange se fait, on repose la question : comment ?
Ici, nous devons retourner en arrière pour étudier l'échange :
- "Il nous est possible, aujourd'hui, de comprendre que les phénomènes de l'échange se présentent dans le marché avec les caractères qu'ils reçoivent dans la sphère de production."
Vérité évidente : l'échange contient les caractères de PV que lui donne la production ; mais le processus de l'échange de la production diffère de sens, de lieu et d'endroit. Et c'est ce processus que nous aimerions voir mis en évidence par Vercesi qui, tout au long de son document, n'en dit pas plus. Quand il n'est pas dans le lieu commun, il tombe dans l'erreur la plus grossière. Pour lui, le socialisme permettra à l'échange d'avoir ses lois propres. Entend-il, par-là, indépendante de la production ? Si telle était la production socialiste, elle serait encore plus anarchique que la capitaliste, car sa production serait de consommation et l'échange n'aurait pas cette caractéristique puisque ce n'est qu'en société capitaliste qu'on assiste à un échange dépendant de la production.
Une autre trouvaille, encore plus riche de désespoir, consiste à déclarer que "si, ici, la condition pouvait avoir été réalisée par l'économie capitaliste d'échanger le capital variable contre une fraction du capital constant sans qu'aucun solde ne reste, le marché enregistrerait ce fait au travers d'une distribution harmonieuse des produits et nous n'aurions pas de classes antagoniques."
Tout d'abord, si une telle possibilité avait été donnée au capitalisme d'après lui-même, c'eut été le socialisme car, si cela avait supprimé les classes antagoniques, cela aurait supprimé les classes tout court.
Mais ceci c'est le socialisme à la Vercesi ; et toute société qui touche à son capital constant pour en échanger une fraction égale au capital variable désaccumule, et nous tombons de quelques siècles en arrière au travers d'une distribution étrangement harmonieuse. Car l'échange d'une fraction du capital constant en capital variable n'augmente pas le capital constant ; et après 4 à 5 cycles, il n'existerait plus de capital constant. Est-ce la théorie d'Adam Smith qu'il reprend ? En effet, dans la production de valeurs, Adam Smith ne voyait que du capital variable et de la PV ; cependant, à l'encontre de Vercesi, ce n'est pas l'échange du capital constant par le capital variable mais parce que le capital constant ne représentait que du capital variable et de la PV réunis.
Toujours d'après le dernier passage de Vercesi, nous aimerions connaître avec quoi il échange la PV ? Car, pour ce qui est du capital constant et du capital variable, il nous le dit. Le grand ennui dans sa théorie de l'échange c'est qu'il ne parle pas du tout du vrai problème qui reste : la réalisation de la PV.
Quand en société capitaliste on parle de l'échange, c'est la PV qui pose ce problème. En effet le capitaliste, qui a dépensé du capital constant et du capital variable, retrouve dans la société la quantité de valeur qu'il a mis en circulation ; il n'en est pas de même pour la PV qui est une valeur supplémentaire que lui fournit la force de travail qu'il a achetée. Cette valeur supplémentaire demande un acheteur pour être transformée en capital constant et capital variable additionnels et permettre l'accumulation.
Si, comme le dit Vercesi, "la non-utilité économique du produit supprime l'éventualité et la nécessité de sa transformation", on se demande 1°- comment le capitalisme retrouve le capital constant et le capital variable qu'il a mis en circulation, 2°- comment réalise-t-il la PV incorporée au produit puisque ce produit, dans le procès de circulation, ne se transforme pas ?
La non-utilité est un mot nullement magique et nous ne voulons pas être dupes comme lui de son ergotage. Car, plus loin, nous assistons à un revirement total de sa conception. Précédemment, il résumait que le capitalisme a la possibilité de résoudre le problème du fonctionnement de la société capitaliste et qu'il ne peut le résoudre qu'économiquement. Quelques lignes après il dit :
- "Ce qui aurait pu le codifier (le capitalisme) cela aurait été la possibilité historique qui lui aurait été offerte d'ouvrir à son exploitation de nouveaux marchés coloniaux puisque les précédents n'avaient pas suffi à amortir les heurts du régime capitaliste lui-même."
Nous ne relevons que la volte-face de Vercesi, la plus significative. Tout ce qu'il a construit précédemment tombe avec juste raison devant cet argument massue qui, malheureusement pour lui, est de Rosa Luxemburg.
Et alors la non-utilité du produit n'arrive pas à "codifier" (nous croyons qu'il faut prendre ce terme dans le sens de "résoudre") "le problème du fonctionnement de la société capitaliste". Vercesi tourne en rond et ce n'est pas nous qui le faisons tourner. Nous, les pontifes – terme méprisant qu'il décoche à notre intention -, avons plus confiance dans le travail cohérent de Marx et de Rosa pour nous aider dans la compréhension su processus économique actuel.
La valeur d'un produit est donnée par la force de travail socialement nécessaire pour sa fabrication. Cette force de travail se retrouve dans le produit sous trois formes : le capital constant – machines, matières premières -, le capital variable - salaires des ouvriers -, la PV – le travail non payé à l'ouvrier. Si l'on considère le schéma de la production capitaliste donné par Marx :
1)- C+V+PV = moyenne de production,
2)- C+V'+PV = moyenne de consommation[1], on s'aperçoit que ni les capitalistes ni les ouvriers ne sont capables de réaliser la portion de PV qui se transforme en C et V additionnels.
Cette réalisation ne peut s'opérer que dans la sphère extra-capitaliste. Une fois cette sphère disparue, la réalisation globale de la PV ne s'effectue plus.
La PV produite par les allemands n'a pas été réalisée et ne se retrouvera pas dans le prochain cycle de reproduction. La PV américaine s'étant effectuée au détriment du capital constant et du capital variable allemand, nous n'assistons plus à une reproduction élargie globalement.
Pour le capitalisme américain, il y a reproduction élargie ; pour le capitalisme allemand il n'y a même pas reproduction tout court. Le capital social de toute la société, la réalisation de la PV s'effectuant au détriment du concurrent le plus faible par une translation de capitaux et non par l'adjonction de nouvelles valeurs réalisées. Ne considérer la production élargie que dans les limites de l'intégration de la PV dans le produit (1er acte du procès de production capitaliste), c'est ne pas permettre de faire la liaison entre le 1er cycle de production et le suivant.
Reproduction élargie signifie qu'entre deux crises périodiques la moyenne de production (en valeur) est en hausse par rapport à la période précédente. Devant cette explication le brave Vercesi part en bataille en déclarant que de 1933 à 1939 la moyenne de production des valeurs est sûrement supérieure à celle de entre 1918 et 1933. Tout d'abord, ceci est à vérifier.
La production pour la seule année 1939 est à peine égale à celle de 1929 - point culminant de la production mondiale en Allemagne et Italie, inférieure en Amérique, France et Angleterre, supérieure au Japon (ceci au détriment de la Chine). De plus, de 1929 à 1933, la production cherche à se réaliser tandis qu'en 1939 elle est encore au 1er stade du procès capitaliste : intégration de la PV dans le produit.
La période qui doit être mise en rapport avec celle de 1918-33 va de 1933 à 1945 et 1946 même, car c'est seulement la guerre qui traduit, dans la période actuelle, l'échange permettant la reprise du cycle de production. Mais ce qui est ahurissant à entendre, c'est la confusion que Vercesi fait entre la production (de valeurs) et la productivité et, comme il n'est pas ignorant à ce point, il jongle :
- "Il est même absolument ridicule de nier que la production massive actuelle n'accuse pas une formidable augmentation de la productivité du travail et, par cela même, une formidable incorporation de valeurs dans les produits, c'est-à-dire des produits eux-mêmes."
La productivité ne signifie nullement une augmentation de la valeur de la production. Un avion, qui en 1914 nécessitait 100 heures de travail, en 1945 ne nécessite plus que 20 heures de travail par exemple. De sorte qu'en 1914 on produit un seul avion pour la même valeur que les 5 avions produits en 1945.
La productivité a augmenté mais pas la production de valeurs. Et quand on identifie, comme il le fait, "la formidable augmentation de l'incorporation de valeur dans les produits" avec les produits eux-mêmes par la productivité, ceci signifie que la valeur du produit n'est pas seulement donnée par la quantité de travail mais aussi par les machines permettant de produire un objet en un temps de plus en plus court ; ou alors l'idée de Vercesi est très simple et découle de son "sens commun".
Les 5 avions produits en 1945 en 100 heures de travail valent plus que l'avion produit en 1914 dans le même temps de travail. Pourquoi ? Parce que l'arithmétique du "sens commun" prouve fort justement que 5 avions c'est plus qu'un avion. Mais le "sens commun" dit aussi que la quantité d'argent que l'on paiera pour un des 5 avions sera le 1/5ème de la quantité d'argent payée pour l'avion construit en 1914.
Cette économie de guerre -résultat du travail de modeste contribution de Vercesi à l'élaboration du parti de classe de demain- a été précédemment introduite par l'étude des divergences entre Lénine et Rosa au sujet du développement du capitalisme. On s'apercevra comment, tout en donnant tort à Rosa, il conclut dans le sens de Rosa, comme il l'a fait quand il parle de la codification du système capitaliste à propos de l'économie de guerre.
Le dissentiment entre Lénine et Rosa ? Le voici :
- "Voici en quoi consistait le dissentiment entre Lénine et Luxemburg ; Lénine disait, et je crois qu'il a eu raison, que les phénomènes essentiels de la société capitaliste se font dans la zone de production ; Luxemburg affirmait, et elle a essayé de le démontrer, que les problèmes de l'économie capitaliste doivent être examinés non seulement en ce qui concerne la production mais aussi en ce qui concerne l'échange et la relation existant entre la production et l'échange."
Nous rapprochons ce passage de deux autres passages pour mieux faire comprendre où réside le dissentiment :
- "Il disait (Lénine) que les problèmes fondamentaux se déterminent dans la zone de production et il en arrivait à la conclusion d'admettre la réalisation de la PV dans l'économie capitaliste. Et ceci prouve qu'il existait dans un milieu social où l'État capitaliste n'existait pas la possibilité de la réalisation de la PV puisque le marché extra-capitaliste n'était pas à rechercher en dehors de la Russie mais existait à l'intérieur de ses frontières."
"Lénine considérait la possibilité de la réalisation de la PV parce qu'en Russie existait l'éventualité historique que la bourgeoisie puisse résoudre, au point de vue économique et politique, les problèmes spécifiques à sa classe. Là où la position de Rosa était fausse c'est quand elle croyait qu'il était indispensable pour la bourgeoisie de résoudre le problème de l'accumulation capitaliste ; parce que, si elle ne retrouvait pas ce problème, le prolétariat spontanément était appelé à fonder le parti de classe."
Donc, pour Vercesi, le dissentiment semble se réduire à cette seule chose : que Lénine prétendait à l'importance primordiale, dans la société capitaliste, du premier acte du procès capital, tandis que Rosa voyait le problème d'une manière plus approfondie en posant une relation entre la production et l'échange.
Si Vercesi veut faire dire à Lénine "l'échange n'est rien, la production est tout", il falsifie le problème et l'on ne comprendrait pas "L'impérialisme, stade suprême du capitalisme" où Lénine essaie de rechercher dans l'échange l'impasse dans laquelle se trouve la production. Quand il déclare que cette guerre est faite en vue d'un nouveau partage du monde, c'est de l'échange que Lénine parle.
Il est inconcevable de donner raison à Lénine de l'erreur que Vercesi veut lui faire faire.
Il est encore plus inconcevable de prétendre que Lénine avait raison de considérer que la PV pourrait se faire dans l'économie capitaliste parce que, par rapport à la Russie, Lénine ne remarquait pas que ce pays permettait d'immenses marchés extra-capitalistes permettant le développement du capitalisme.
Et, après cela, avoir l'impudence de donner tort à Rosa d'avoir plus juste que Lénine, même pour ce qui a trait à la Russie, c'est le monde à l'envers ; ou alors Vercesi prend ses auditeurs pour des imbéciles.
Que Rosa se soit trompée sur la spontanéité de la formation du parti de classe n'implique en rien la fausseté de sa théorie économique des marchés extra-capitalistes ; et, si Lénine, partant de données économiques fausses arrive à l'énumération réelle du processus de formation du parti de classe, nous n'allons tout de même pas jeter un voile sur sa théorie économique et, contre l'évidence que Vercesi lui-même fait ressortir, donner raison à Lénine même dans son erreur.
On comprend, après tout son bavardage, qu'il doute de la valeur révolutionnaire de sa contribution idéologique.
[1] Marx disait à propos de la réalisation de la PV : "La demande ouvrière ne suffit pas puisque le profit provient précisément de ce que la demande ouvrière est plus petite que la valeur de leurs produits, et qu'il est d'autant plus grand que cette demande est relativement plus petite.
La demande réciproque des capitalistes ne suffit pas davantage." (Histoire des doctrines économiques)