Soumis par Revue Internationale le
La période qui s'ouvre après la cessation des hostilités en Europe présente, pour les pays comme la France (pays vidés de toute leur puissance industrielle, soit du fait de l'expropriation du capitalisme occupant, soit du fait des bombardements), certains caractères spéciaux qui, s'ils ne sont pas nouveaux, sont beaucoup plus accentués qu'en 1918.
La crise qui s'ouvre en Europe prend deux aspects qui semblent contradictoires. D'un côté on assiste à un développement du chômage et du chômage partiel (en France, on compte plus de 3.000.000, non compris les prisonniers et ouvriers déportés), les salaires ont tendance à se stabiliser tandis que le coût de la vie augmente sans cesse.
D'un autre côté le capitalisme se trouve dans l'impossibilité de réarmer ses industries par suite du manque non seulement de capitaux mais aussi de débouchés (le capitalisme américain n'entend pas être gêné par les petits concurrents, la loi prêt et bail cesse avec les hostilités).
En rapport avec ces deux aspects, la photographie de la crise du capitalisme ne va plus s'exprimer par un amoncellement de richesses non vendues à côté d'une masse sans pouvoir d'achat. Les quelques rares privilégiés qui trouveront encore du travail dans les quelques usines ouvertes, le jour de leur paye toucheront un salaire si ridiculement faible que l'on assistera même à une désertion de l'usine vers des occupations telles que le marché noir et la petite combine.
L'expression de la lutte classe va de plus en plus perdre son caractère de revendications économiques pour se concrétiser de plus en plus sur le terrain social.
L'antagonisme capital-travail ne s'effectuera plus entre patron et ouvrier masquant ainsi l'État capitaliste mais bien plus ouvertement entre les masses affamées et le gouvernement.
Mais devant cet éloignement de la classe ouvrière de son lieu de travail, donc de sa première forme organisée, un danger se dessine déjà du fait de l'éparpillement des travailleurs. Quelle est l'organisation unitaire de la classe ouvrière qui pourra regrouper le prolétariat ?
Dans la période actuelle, nous ne trouvons que le syndicat, une des premières expressions conscientes de la lutte de classe. Mais ses possibilités et sa tâche sont directement conditionnées par la reprise de l'activité industrielle et la concentration ouvrière dans les usines.
Si le 2ème congrès de l'IC pouvait attribuer aux grèves, et par là aux syndicats, une force dans la marche à la révolution, il faut se rappeler la reprise de l'activité au lendemain de la guerre 1914-18 malgré la crise de 1920.
Aujourd'hui on ne peut plus parler de reprise de l'activité devant la crise (???) du charbon, ainsi que devant la disparition de débouché d'écoulement du capitalisme européen. Alors les syndicats voient leur possibilité d'action réduite à un petit nombre d'ouvriers travaillant encore.
Les grèves actuelles, par leur manque d'ampleur et le limité de leur lutte, ne peuvent être considérées que comme des expressions secondaires préludant à la formidable lutte de classe de demain.
La tâche des syndicats se trouve encore plus réduite du fait de leur inféodation toujours plus poussée à l'État capitaliste. En 1918, à la sortie de la guerre, les syndicats conservent une autonomie pleine malgré la trahison de la direction qui avait essayé de s'infiltrer dans les rouages de la machine étatique capitaliste.
Aujourd'hui cette inféodation est chose faite à l'échelle nationale et internationale.
Sur le plan national, nous voyons les syndicats réclamer des places dans l'assemblée consultative et les obtenir. Aux élections municipales des listes CGT ont été présentées et élues. On parle de plus en plus de faire entrer la CGT dans les combinaisons gouvernementales.
Sur le plan international, la Conférence de Londres ainsi que le Bureau International des syndicats de San Francisco demandent à assister à la Conférence des Nations Unis ainsi qu'à la Conférence de la Paix, et vont jusqu'à préconiser ce qu'ils appellent un contrôle de l'emploi de la main-d’œuvre mondiale sous leur direction, qui se soldera en définitive par un nouveau masquage des horreurs capitalistes.
Sur le plan de la lutte quotidienne, les ouvriers employés tendent de plus en plus à abandonner la lutte pour les salaires (voir les grèves du Nord) pour orienter leurs efforts vers un meilleur ravitaillement.
La revendication pour une plus rapide épuration relève plus de l'adjonction apportée par les partis traîtres (PS, PC) que de la volonté des ouvriers.
Mais, fait plus grave pour le capitalisme, la lutte ne demeure plus dans le cadre étroit de l'usine ou de la branche d'usine mais s'élargit à toute la classe ouvrière localement, éliminant ainsi la démagogie du patron salaud et de l'État arbitre impartial.
Les cris de "A bas Ramadier!" ou de "Pétain au poteau!" indiquent un début de prise conscience face à la vraie nature d'instrument de domination capitaliste qu'est l'État.
On se rendra compte donc de l'insuffisance des syndicats comme arme du prolétariat dans la période présente et à venir. Le cadeau que la bourgeoisie a donné au prolétariat le jour de la "libération" de la France est devenu une arme tellement amenuisée pour les masses de travailleurs que, devant l'indifférence de ces dernières à réintégrer les syndicats, l'avant-garde se doit de lutter contre cette indifférence pour ne pas laisser de côté même une arme si affaiblie, surtout face à l'inexistence d'une nouvelle forme d'organisation unitaire de la classe ouvrière.
Mais la tâche de l'avant-garde dans la période montante actuelle est d'analyser sur quel point concret se manifeste le mécontentement de la classe ouvrière en vue de son regroupement futur sur des bases qui la libéreraient de l'étroitesse des cadres idéologiques syndicaux, sans pour cela poser une opposition entre la nouvelle et l'ancienne organisation unitaire du prolétariat.
L'indifférence des travailleurs en matière de revendications syndicales ainsi que la faillite des minorités syndicales qui tendent à regrouper les masses contre la politique des bonzes syndicaux, l'existence de la majorité des ouvriers hors des usines, la crise qui disloque l'équilibre du contraste capital-travail, font ressortir la nécessité de poser comme point de départ des luttes de classe futures les contradictions sociales et non plus les contradictions purement (…) de l'usine.
Le prolétaire sent fort bien actuellement que sa lutte sur le lieu de travail perd de sa puissance car il est amené à faire la corrélation entre l'usine et l'ensemble de la situation sociale.
Réclamer une augmentation de salaire à son patron ne résout pas le problème du ravitaillement ; ce n'est plus face à son patron qu'il s'oppose mais surtout face au gouvernement qui maintient la famine et face à la guerre, prétexte donné à la famine.
La lutte rompt les cadres de la spécialisation ouvrière ainsi que ceux de la branche d'industrie, pour lier la lutte non seulement de l'ouvrier mais de la ménagère aussi et du chômeur, car tous les trois trouvent devant eux un ennemi commun, indépendant en apparence de l'élévation du salaire ou de l'allocation du chômage : le ravitaillement.
Et ce rationnement est directement imputable, pour l'ouvrier, à l'État, à la guerre et à tout ce qui soutient l'État capitaliste.
De plus en plus se pose à l'avant-garde le problème d'une nouvelle organisation unitaire de la classe ouvrière pour ne pas laisser dans l'anarchie, dans l'éparpillement les forces de révoltes contre l'État.
Supposer que cette nouvelle organisation jaillit spontanément de la lutte avec l'ampleur qu'ont pris les Soviets empêche l'avant-garde de regrouper le prolétariat, les syndicats se liquidant de plus en plus.
Les conditions de la nouvelle organisation sont posées et c'est seulement ce facteur qui était indispensable à l'initiative révolutionnaire.
La tâche de l'avant-garde, dans la période présente, revient donc - tout en ne négligeant pas le travail syndical qui ne touche hélas que les ouvriers travaillant – à chercher dans les manifestations de classe l'organisation susceptible de rassembler toute la classe ouvrière (chômeurs et non chômeurs), capable de lui permettre d'aborder les problèmes qui présentement l'intéressent en tant que classe pour l'opposer à l'État.
L'organisation ne devra plus prendre comme assise le lieu de travail seulement mais aussi et surtout le lieu de concentration prolétarienne ; le problème de la lutte de cette organisation ne repose plus sur l'antagonisme ouvrier-patron mais sur l'antagonisme prolétariat-État.
Quel que soit le nom de cette nouvelle organisation unitaire de la classe ouvrière, sa caractéristique sera essentiellement sociale, car dans la période de décadence du capitalisme, devant la crise permanente, l'État tend à donner des solutions sociales et non économiques pour le maintien bien fragile du capitalisme. La classe ouvrière se trouve portée à lutter contre ces solutions sociales pour imposer, au travers de l'avant-garde, les siennes.
Du fait du déplacement de l'axe de la lutte ouvrière du lieu de travail au milieu social, la nouvelle organisation doit présenter une structure horizontale liée au secteur et non à la branche d'industrie (localité et non bloc d'industries semblables), la généralisation des contrastes sociaux accentuera et aidera à la centralisation de la structure horizontale.
S.