Soumis par Revue Internationale le
Avec ce nouveau pas, le capitalisme est en train de s’enfoncer encore un peu plus dans sa période de sa décadence, imposant aux organisations révolutionnaires de clarifier les questions suivantes :
- Quelle est la portée historique du développement de cette crise, la plus grave de la décadence, y compris la crise qui avait débuté en 1929 ?
- Quelles sont les implications du fait que les effets de la décomposition de la société vont avoir un poids très important sur l’évolution de cette nouvelle phase de la crise ouverte ?
En même temps, nous devons nous garder d'une vision immédiatiste et économiciste de la crise, comme y invite le rapport présenté : éviter tout pronostic hasardeux, avoir en tête les surestimations que nous avions faites dans le passé concernant le rythme de la crise de même qu’une vision catastrophiste avec l’idée que la bourgeoisie était dans l’impasse. Outre un manque de maîtrise de la théorie de Rosa Luxemburg sur la tendance à la saturation des marchés extra-capitalistes comme explication de la décadence du capitalisme, nous avions sous-estimé la capacité du capitalisme d’État à faire face aux manifestations de la crise ouverte en accompagnant l’enfoncement de ce système dans sa crise historique, lui permettant ainsi de survivre. Ses moyens : l’intervention permanente de État dans la sphère économique, les manipulations et les tricheries avec la loi de la valeur. Ce faisant, la bourgeoisie entretenait l’illusion au sein du prolétariat que le capitalisme n’est pas un système en faillite, ses .
Aux 18è et 19è siècles, les grandes nations capitalistes se livraient une course effrénée à la conquête de nouveaux marchés et territoires. Mais vers 1900, elles ont rencontré un petit problème : la terre était ronde et pas aussi grande que l’imaginait la classe dominante. Ainsi, avant même qu’une crise économique mondiale n’éclate, les tensions impérialistes ont atteint leur paroxysme, la guerre mondiale a éclaté et le capitalisme est entré dans sa période de décadence. La Guerre de 1914-18 est la manifestation de barbarie la plus extrême du fait que à "un certain degré de leur développement, les forces productives matérielles de 1a société entrent en collision avec les rapports de production existants (…). Hier encore formes de développement des forces productives, ces conditions se changent en de lourdes entraves." (Marx, Avant-propos à la Critique de l'Economie politique, 1859).
Ce n’est qu’à la fin des années 1920 que les différentes bourgeoisies nationales vont être confrontées pour la première fois à la manifestation directement "économique" de cette entrée dans la décadence : la crise de surproduction généralisée et historique. Citons encore Marx : "Plus la production capitaliste se développe, et plus elle est obligée de produire à une échelle qui n'a rien à voir avec la demande immédiate, mais dépend d'une extension constante du marché mondial (...). [Car], la marchandise doit être nécessairement transformée en argent. La demande des ouvriers ne saurait suffire, puisque le profit provient justement du fait que la demande des ouvriers est inférieure à la valeur de leur produit (…). La demande des capitalistes entre eux ne saurait pas suffire davantage (...)" ( Le Capital, Ed. Sociales, 1975, livre IV, tome 2, p.560) ; "Dire enfin que les capitalistes n'ont en somme qu'à échanger et consommer les marchandises entre eux, c'est oublier tout le caractère de la production capitaliste et oublier qu'il s'agit de mettre le capital en valeur." (Le Capital, livre III, section III: "La loi tendancielle de la baisse du taux de profit", Chapitre X: "Le développement des contradictions immanentes de la loi, Pléthore de capital et surpopulation".)
Autrement dit, la crise de surproduction généralisée qui a éclaté au grand jour en 1929 n’est pas liée à une sorte de dysfonctionnement que la bourgeoisie pourrait régler ou dépasser. Non, elle est la conséquence d’une contradiction fondamentale et insurmontable inscrite dans la nature même du capitalisme.
Les bourgeoisies nationales ont tiré des leçons de la crise catastrophique de 1929 : la nécessité de développer le capitalisme d’État et la mise en place d’organismes internationaux afin d’accompagner la crise pour ne pas reproduire l’erreur des politiques protectionnistes.
À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la bourgeoisie allait mettre en pratique les leçons de 1929. Le boom d’après-guerre a semé l’illusion que le capitalisme retrouvait une prospérité, effaçant momentanément le cauchemar de la Grande Dépression des années 1930 et les horreurs de la guerre. Mais, inévitablement, les contradictions inhérentes à la nature même du capitalisme demeurent, comme sa crise historique. C’est ce que révèle le retour de la crise ouverte de 1967-1968.
Depuis cette date, de plans de relance en récessions plus profondes, la bourgeoisie est prise dans une fuite en avant dans l'endettement, pour tenter de repousser sans cesse au lendemain les effets de la faillite historique de son système. L’endettement mondial devient de plus en plus massif, de manière absolue mais aussi comparé à l'évolution du PIB mondial. Parallèlement à cette fuite en avant, les pays centraux ont fait évoluer l’organisation de l’économie mondiale :
1) Durant les années 1970, la hausse des dépenses publiques, la fin des accords de Bretton Woods et la politique des Droits de Tirage Spéciaux, l’ouverture de crédits à des pays plus faibles, ont permis que soit maintenu un niveau de croissance qui donnait l’illusion que, malgré la "crise du pétrole", le capitalisme poursuivait sa dynamique de croissance ;
2) Dans les années 1980, suite à la grave récession du début de la décennie, des pans entiers de la production sont déplacés vers des zones où la force de travail est à moindre coût, comme en Chine. Pour cela, il aura fallu des investissements colossaux permis par une "libéralisation" financière étendue à l’échelle mondiale. C’est le début de la "mondialisation".
3) Dans les années 1990, après la chute du bloc de l’Est, les organismes internationaux sont renforcés, donnant lieu à une structure de "coopération internationale" au niveau monétaire et financier, à une coordination de politiques économiques avec la mise en place de chaînes de production internationales, à une stimulation du commerce mondial par l’élimination de barrières douanières, etc. Ce cadre est évidemment établi par et pour les pays les plus forts : ils peuvent conquérir de nouveaux marchés, délocaliser leurs productions, s’approprier des entreprises plus rentables de pays plus faibles…
Si cette "coopération internationale" a pu, dans une certaine mesure et pendant un certain temps, freiner et atténuer sur les États les effets du "chacun pour soi" au niveau économique, elle a été incapable d’endiguer la tendance de fond inhérente à l'entrée de plain-pied dans la phase de décomposition du capitalisme.
4) Le recours systématique de tous les États à un endettement massif pour répondre au manque de débouchés était également une politique risquée, il a provoqué la crise financière de 2008 qui s’est traduite par encore plus d’endettement. L'"organisation mondiale de la production" a commencé à être ébranlée dans la décennie 2010 : la Chine, après avoir profité largement des mécanismes mondiaux de commerce (OMC), a commencé à développer un "circuit" économique, commercial et impérialiste parallèle (la nouvelle Route de la Soie). En juillet 2017, l’Allemagne a voté un décret permettant de bloquer la vente d’entreprises stratégiques nationales à des investisseurs étrangers. La guerre commerciale s’est encore accentuée avec l’arrivée au pouvoir de Trump aux États-Unis. Ces phénomènes concrétisent sans conteste que le capitalisme rencontre de manière croissante des difficultés majeures à repousser toujours plus les limites de son mode de production comme ce fut le cas avec la mondialisation
Aujourd’hui, la bourgeoisie a accumulé une immense expérience pour ralentir les effets de sa crise historique, pour prolonger toujours plus son agonie. Nous devons donc être extrêmement prudents quant à nos prévisions et nous garder de tout catastrophisme. À travers l’aggravation actuelle de la crise économique mondiale, ce sont avant tout les grandes tendances historiques sous-jacentes que nous devons mettre en lumière : À partir de 1929, la bourgeoisie a appris à maintenir en vie son économie en décadence, notamment par la "coopération internationale". Même en 2008, les fameux G20 montraient cette capacité des grandes bourgeoisies à maintenir une certaine cohésion afin de gérer la crise avec le moins de dégâts possible. L'année 2020 signe la difficulté croissante à maintenir cette organisation mondiale, l’irrationalité liée à la décomposition du capitalisme frappant jusqu’aux plus hauts sommets étatiques. Le "chacun pour soi", qui a éclaté au grand jour avec la gestion calamiteuse de la pandémie, en est la concrétisation la plus spectaculaire. Cette force centrifuge a deux racines :
1. L’aggravation inexorable de la crise économique mondiale exacerbe la lutte à mort entre toutes les nations rivales. Notons que, contrairement à 2008, les plus touchés sont les pays centraux (Allemagne, Chine et surtout les États-Unis car si la faillite des banques avait été à l’époque surtout causée par la spéculation immobilière, aujourd’hui ce sont les entreprises directement productives qui sont en danger).
2. La décomposition, qui touchait avant tout les nations dans leurs relations impérialistes, commence à frapper aussi leurs capacités de gestion de l’économie. Cela ne fait que confirmer la perspective dégagée par la résolution sur la situation internationale de notre dernier congrès international : "Le développement actuel de la crise par les perturbations croissantes qu’elle provoque dans l’organisation de la production en une vaste construction multilatérale à l’échelle internationale unifiée par des règles communes montre les limites de la "mondialisation" : le besoin toujours plus grand d’unité (qui n’a jamais signifié autre chose que l’imposition de la loi du plus fort sur les plus faibles) en raison de l’intrication "transnationale” de la production très segmentée pays par pays (c’est en unités fondamentalement divisées par la concurrence où tout produit est conçu ici, assemblé là à l’aide d’éléments produits ailleurs encore) se heurte à la nature nationale de chaque capital, aux limites mêmes du capitalisme, irrémédiablement divisé en nations concurrentes et rivales, le degré d’unité maximal qu’il est impossible au monde bourgeois de dépasser. L’aggravation de la crise (ainsi que les exigences de la rivalité impérialiste) met à rude épreuve les institutions et les mécanismes multilatéraux" (point 20 de la résolution).
Ce que nous voyons c'est que, en réponse à la pandémie, a commencé à se développer une avancée très significative des mesures de "relocalisation nationale" de la production, de préservation de secteurs clés dans chaque capital national, de développement d’entraves à la circulation internationale des marchandises et des personnes etc. Cela ne peut qu’avoir des conséquences très sévères sur l’évolution de l’économie mondiale et sur la capacité globale de la bourgeoisie à répondre à la crise. Le repli national ne peut qu’aggraver la crise conduisant à une fragmentation des chaînes de production qui avaient précédemment une dimension mondiale, ce qui en retour ne pourra que semer la pagaille dans les politiques monétaires, financières, commerciales… Cela peut aller jusqu'au blocage et même à l'effondrement partiel de certaines économies nationales.
Il est trop tôt pour mesurer les conséquences de cette paralysie relative de l’appareil économique. Cependant le plus grave et le plus significatif est que cette paralysie a lieu à l’échelle internationale.
L’accélération actuelle de la crise économique mondiale s'inscrit dans l’évolution générale de la décadence du capitalisme. Au-delà des phénomènes visibles liés à la "crise ouverte" actuelle, ce qui nous importe c’est de mieux comprendre le renforcement des contradictions profondes du capitalisme et donc l’aggravation de sa crise historique.