Soumis par Révolution Inte... le
Les remous de Mai 68 en France ont laissé bien des fantômes sur les rives du gauchisme. Parmi ces fantômes idéologiques, on trouve le modernisme, orientation politique plutôt vague qui, tout en se réclamant de la révolution communiste, s'attaque en fait à la continuité réelle du mouvement ouvrier et du marxisme. Le modernisme est l'idéologie de ces gauchistes intellectuels qui proclament avoir découvert une "nouvelle dynamique" du capitalisme qui "dépasse" ou "nie" les positions- défendues par Marx et le prolétariat révolutionnaire.
Mais il est évident que le rôle de l'intelligentsia gauchiste est précisément de brasser et de répandre toutes sortes de mystifications, dont la variété moderniste fait partie. Les modernistes représentent inconsciemment dans ce cadre la nécessité pour le capital actuel d'attaquer idéologiquement la classe ouvrière. Sur un autre plan, la quête des modernistes de formes de pensée se voulant " nouvelles " est engendrée par les intérêts concurrentiels du capital, perpétuellement à la recherche de nouvelles marchandises susceptibles de mieux se vendre.
Les modernistes sont trop nombreux et trop variés pour être énumérés. L'important dans ces sectes (habituellement composées d'un Hamlet avec un ou deux amis) c'est leur commune perspective anti-ouvrière. Pour elles, la classe ouvrière est une classe capitaliste comme la bourgeoisie ; la classe ouvrière équivaut à du capital et tant qu'elle produit de la plus-value (accumulée par le capital), elle reproduit seulement le capital et non la conscience communiste. Cette notion est succinctement exprimée dans un récent texte moderniste publié en Suède :
- "La classe ouvrière est donc une classe capitaliste ; on peut même dire qu'elle est la plus capitaliste. Sans elle, l'accumulation de la valeur ne peut se poursuivre ; et c'est la force vitale du capital. La domination totale de la valeur est précisément la base du capital ; et la classe ouvrière est la classe qui apporte la valeur aux produits et une partie de cette valeur est ultérieurement accumulée comme capital."[1]
La spécificité de cette idéologie ne réside pas tant dans ce qu'elle dit, et qui n'est rien d'autre que l'image que le bourgeois se fait de lui-même, attribuée à son ennemi mortel le prolétariat, mais comment elle le dit. Sa terminologie est empruntée au marxisme. Des concepts tels que "travail salarié", "valorisation", "valeur d'usage" et "valeur d'échange", etc., sont employés par les modernistes avec une dextérité et une familiarité qui peuvent étonner et confondre un lecteur qui n'est pas averti. "Sont-ils révolutionnaires ?" peut se demander un lecteur confus. "Ils ont l'air de parler du communisme, aussi y-a-t-il peut-être quelque chose dans ce qu'ils disent Mais regardons y de plus près. L'emploi facile de la terminologie marxiste n'est en fait qu'une jonglerie de mots comme un bref examen suffit à le prouver.
Bien sûr, le meilleur moyen de détruire la théorie révolutionnaire, c'est d'employer sa propre terminologie et d'ainsi mieux diluer ses implications révolutionnaires et même de l'en priver. L'obscurantisme féodal et le catholicisme ont agi ainsi contre les philosophes révolutionnaires de la bourgeoisie naissante, et le capitalisme décadent, au moyen du stalinisme et du maoïsme, fait sans cesse de même contre le marxisme. De telles attaques idéologiques inconscientes sont l'expression de la lutte de classe et agissent dans un seul sens : de la bourgeoisie contre le prolétariat. La classe ouvrière par contre n'a ni la ressource ni le besoin d'attaquer l'idéologie bourgeoise "de l'intérieur". Elle n'a qu'une seule mission : détruire le capital dans son ensemble pour construire la société communiste mondiale. Par conséquent, depuis ses débuts, c'est ouvertement que l'activité autonome du prolétariat tend à s'opposer à l'idéologie bourgeoise. Le marxisme, en tant que vision mondiale théorique du prolétariat, est la critique claire et sans ambiguïté de tous les rapports sociaux bourgeois y inclus l'idéologie. Seule une classe décadente et condamnée a besoin de semer la confusion chez son fossoyeur et de le démoraliser puisque cela peut repousser la fin inévitable de son système. En ce sens, le modernisme exprime des besoins idéologiques plus profonds que ses protagonistes ne l'admettraient.
LES RACINES DU MODERNISME.
Pendant les périodes de réaction, le prolétariat ayant subi des défaites historiques, les railleurs et les prophètes de toutes espèces braillent et vocifèrent Sur la scène politique. S'il arrive à ces individus de parler "au nom de la révolution" c'est une bonne affaire pour eux puisque leurs propos deviennent alors une marchandise plus convoitée; La fonction de tels charlatans n'est en aucun cas négligeable ; ils doivent expliquer au prolétariat vaincu les causes de sa déroute. Et, voyez-vous, le principal coupable de telles débâcles historiques se trouve être presque toujour... le prolétariat lui-même.
Depuis la plus grande défaite que le prolétariat ait jamais subie (le déclin de la vague révolutionnaire de 1917-23), un nombre incalculable de ces charlatans a "expliqué" le pourquoi de la défaite du prolétariat. Les trotskystes besogneux se lamentent sur l'absence d'un "parti révolutionnaire", les reichiens (adeptes de W. Reich) babillent sur la nature sexuelle répressive de la classe ouvrière ; d'autres plus modernes affirment que la révolution prolétarienne est un mythe inventé au XIXème siècle.
Les sources de ces attitudes et de ces "explications" viennent de l'intelligentsia gauchiste en retraite, pulvérisée par le déclin du capitalisme mondial. Dans les années 30 et 40, les sympathisants staliniens de l'Institut de Recherche Sociale" de Francfort (Marcuse, Horkheimer, Adorno) ont commencé à édifier l'ossature qu'utilisent les modernistes d'aujourd'hui. Pour eux le marxisme et le prolétariat ont fauté pour n'avoir pas été assez "révolutionnaires". Par exemple, les travailleurs n'ont pas rallié avec suffisamment d’enthousiasme la défense de l'Espagne républicaine en 36- 38, Wilhelm Reich, expliquant à la bourgeoisie pourquoi le prolétariat allemand n'a pas su défendre la démocratie bourgeoise contre le nazisme, proclamait que les ouvriers allemands "avaient choisi" Hitler et la barbarie en 1933. Incapables de voir que l'écrasement du soulèvement prolétarien de 17-23 préparait en fin de compte une nouvelle guerre impérialiste, ces dilettantes "ont choisi" avec enthousiasme de soutenir les alliés durant ce même conflit. A côté de cela, pour Reich, le prolétariat allemand semblait avoir fortement besoin d'une "thérapie de masses" capable de secouer son inhérente attraction vers le fascisme. Le professeur Marcuse et les bombardiers alliés ont fait de leur mieux pour fournir cette thérapie. Marcuse a servi l'impérialisme des alliés pendant et après la guerre (il a servi au US Office of Intelligence Research du Département d'Etat et est devenu directeur de la section de l'Europe de l'Est). Reich qui vint aux Etats-Unis en 1939, "a annoncé qu'il était prêt à mettre au point ses découvertes et leurs possibles applications militaires et à essayer par tous les moyens d'attirer l'attention sur ses travaux?[2]
Sur le plan "philosophique", les professeurs de Francfort commencèrent à adopter un point de vue légèrement différent de celui de leurs collègues staliniens. Pour Marcuse and Co, le boniment stalinien sur la base économique qui détermine directement la superstructure n'était pas assez subtile. Et en fait, il ne l'était pas. Le stalinisme est une autre expression de la récupération de la terminologie du marxisme par l'idéologie capitaliste. Par "base économique", les staliniens entendent les bureaux de planification de Vesenkha et par superstructure, les édits de Staline et de la GPU.
Au lieu d'attaquer le stalinisme de front, comme ennemi mortel du prolétariat, Marcuse et sa coterie, comme toute l'intelligentsia gauchiste, n'ont pu que ramper. Leurs "révisions" du "marxisme" n'étaient en fait qu'une partie d'échecs jouée sur l'échiquier du stalinisme et du gauchisme. Leurs critiques de la "culture", de "1’idéologie", de "l'autorité" et des autres "aspects superstructurels" n'avaient rien à dire sur le capitalisme d'Etat en Russie ou ailleurs, ou sur l'impossibilité des luttes de libération nationale à notre époque, ou sur la nature contre-révolutionnaire des syndicats et du parlementarisme. Rien en d'autres termes sur les positions que la classe a à défendre. La misère de la philosophie ne pouvait être plus grande.
Ces idéologues, et ils comprennent les sociologues gauchistes tels que Lucien Goldmann, Roland Barthes, Bruce Brown et Jürgen Habermas prétendent que le capitalisme "avancé" ou "moderne" a éliminé les différences entre la base économique de la société et sa superstructure. "Le capitalisme avancé" aurait apparemment réuni les deux, essentiellement en manipulant l'économie par les mécanismes keynésiens et par l'extension "d'un marché de consommation" illimité. Implicitement cette notion signifie que la classe ouvrière s'est fait "acheter" par un capitalisme qui ne souffre lui-même d'aucune contradiction économique fondamentale. Si la base matérielle de la société n'est plus confrontée à d'insolubles contradictions, il s'ensuit alors que les contradictions du capitalisme se sont déplacées de la base vers la superstructure. Ainsi, la "critique de la vie quotidienne (comprenant de pédantes dissections de langage, des critiques "sémiologiques", etc.)" a pris une importance prépondérante pour ces idéologues. Ils considéraient 1'analyse économique concrète de la décadence du capitalisme avec mépris comme "un problème classique s'apparentant à l'obsession et dépassé dans le capitalisme moderne."
Si la base économique du capitalisme s'était confondue avec sa superstructure, il serait alors superflu sinon réactionnaire d'établir des séparations ou des distinctions conceptuelles entre les deux domaines. La technologie et la science, devenues elles-mêmes idéologies (selon Habermas et Marcuse), rationalisent ou "légitiment" le capitalisme aujourd'hui. L'idée que le prolétariat s'exploite lui-même suit sans difficulté, puisque l'absence de difficultés économiques signifie que les ouvriers pourraient satisfaire leurs besoins matériels dans le système capitaliste. Ce qu'ils ne pourront pas satisfaire pour ces idéologues ce sont leurs "besoins sociaux". Mais la classe ouvrière ne peut pas le savoir. Elle n'est pas seulement manipulée par le capitalisme de consommation, elle se manipule elle-même dans sa recherche d’une consommation répressive illimitée.
Comme un autre commentateur gauchiste l'affirme :
- "... Les explications sur la production de la conscience doivent prendre pour point de départ les institutions de la vie quotidienne puisqu’elles sont principalement responsables de l'échec de la classe ouvrière à agir dans son propre intérêt de classe, même après la dégradation violente de ses conditions de vie et de travail. La révolution réclame la transformation de la vie au niveau micro- social comme élément de la lutte pour détruire les rapports de classe du capital puisque ces institutions arrivent "à reproduire des rapports sociaux capitalistes dans la tête des ouvriers et dans leurs relations personnelles, même quand le système est rendu impuissant à maintenir sa domination."[3]
On peut voir comment cette "fusion" de la base économique avec sa superstructure est liée à la soi-disant transformation de la classe ouvrière en une "classe capitaliste". La sagesse de ces professeurs a fourni les premières bases des positions modernistes actuelles.
Mais nous examinerons maintenant la contribution d'autres milieux gauchistes dans la naissance de l'idéologie moderniste.
LE BOOM D’APRES GUERRE ET LE GAUCHISME
Des groupes sortis après la guerre du trotskysme (Socialisme ou Barbarie aujourd'hui disparu) ont aussi contribué à l'élaboration des idées modernistes. De la même manière, la rapide décomposition de différentes sectes bordiguistes dans ces dernières années a accéléré l'apparition de revues modernistes telles qu’Invariance et Kommunismen, aujourd'hui disparu. Le stalinisme lui-même n'a pas manqué d’apporter sa propre contribution en France, centrée autour du philosophe Henri Lefebvre[4], qui avec S. ou B. ont fourni les fondements philosophiques de l'Internationale Situationniste[5] . Mais avant de pouvoir aller plus avant dans l'étude des racines actuelles du modernisme, il est nécessaire d'examiner le contexte social du capitalisme depuis 1945, et les idées qui ont fleuri sur "la société de consommation", la "société d'abondance", du "spectacle", et sur le capitalisme libéré des crises, la "gentille" théorie de S. ou B.[6]
Le boom que le capitalisme mondial a connu après 1945 a accordé une période de répit à un système social en putréfaction, en crise permanente et en décadence depuis 1914. Les tempêtes économiques actuelles qui enfoncent toujours plus profondément le capitalisme dans le bourbier de la désintégration économique, montrent à quel point l'expansion apparemment "éternelle" des années d'après-guerre était fragile. En ce sens, Mai 68 marque l'apparition d'une nouvelle période dans le mouvement ouvrier, parce qu'il indique la fin du boom économique et le début de la nouvelle résurgence de la classe ouvrière. En quelques jours les ouvriers français ont détruit beaucoup de mythes concernant la prétendue intégration au capitalisme du prolétariat. Les évènements ont également confirmé la position défendue par le mouvement ouvrier sur la nécessité de conditions matérielles préalables à une période révolutionnaire : crise économique, tendance du capitalisme mondial à l'effondrement.
Mais les idées réactionnaires meurent difficilement, surtout quand elles sont nourries par la longue période d'expansion que le capitalisme décadent a connu. La fin de la 2ème guerre mondiale n'a vu surgir aucune grande vague révolutionnaire. Les quelques surgissements qui se sont déroulés en Europe, en Grèce, au Vietnam furent impitoyablement désarmés et écrasés par les staliniens et autres forces des alliés (avec la participation critique des trotskystes). Après des années de sang versé et de destruction matérielle de toutes les économies, les ouvriers étaient prostrés et n'étaient pas en mesure de résister A la nouvelle expansion du capitalisme. En revanche, la guerre et la période qui a suivi illustrent clairement la situation à laquelle le mouvement ouvrier était confronté dans le capitalisme décadent à l'exception des mouvements révolutionnaires, la classe ouvrière ne peut plus dans cette période créer ou maintenir aucune organisation de masse permanente. Toutes les institutions que la classe ouvrière du siècle dernier avait créées pour défendre son niveau de vie (syndicats, coopératives), sont devenues des institutions capitalistes. De la même manière, les partis qui par le passé ont exprimé les buts révolutionnaires de la classe. (Social-Démocratie, PC), ne sont plus que des organes du capital depuis 50 ans.
Un tel panorama social fut trop dur A avaler pour les gauchistes. Toutes les "organisations ouvrières" ne sont rien d'autre que des organes capitalistes ? Mais comment oses-vous ! La mentalité gauchiste n'a pu que réagir avec sa haine petite-bourgeoise contre la réalité de la lutte de classe. Mais le mystère de la période de reconstruction devait avoir de toutes façons une explication, et le manque de combativité relatif de la classe ouvrière être expliqué "sociologiquement". Le mage trotskyste Mandel a "trouvé" un soi-disant néocapitalisme sorti tout droit de sa propre tète. Les professeurs de ce qui allait devenir plus tard le groupe anglais International Socialism ont inventé une "nouvelle" rationalisation de leur réformisme abject, en le basant sur une "économie d'armement permanente". Chaulieu/Cardan, une des lumières de S. ou B., commença à poser, comme les ex-trotskystes Bruno Rizzi, James Burnham et Max Shachtman l'avaient fait avant lui, une "troisième alternative historique" : le triomphe du "capitalisme bureaucratique moderne".
Ce "nouveau" système devait soi-disant dominer le globe, et avait pour principale caractéristique le fait que l'Etat pouvait contenir les crises économiques, éliminer la loi de la valeur et offrir un "cauchemar climatisé" A ses esclaves. Le boom n'était pas seulement économique ; il était également idéologique et a produit des rejetons nombreux et grotesques : l'intelligentsia gauchiste, renforcée numériquement et idéologiquement par une forte expansion de production de "gaspillage" a vécu un âge d'or durant 25 ans.
Le marcusianisme, le "guerillérisme", le situationnisme et bien d'autres "ismes" ont grandi aux côtés des partis staliniens, trotskystes et maoïstes officiels. A un niveau ou à un autre, ils ont tous adhéré au principal postulat bourgeois du boom de l'après-guerre : la classe ouvrière s'est intégrée au capitalisme. Mais si la classe était intégrée, cela semblait être le cas contraire pour les couches marginales de la société : les jeunes, les paysans vietnamiens, le lumpenprolétariat noir des Etats-Unis, Che Guevara et même Thimothy Leary. Dans "L'homme Unidimensionnel", Marcuse exprime carrément cette idée, mais elle n'est pas originale[7]. Les anarchistes avaient tenu ce genre de propos depuis un siècle. En fait toute école bourgeoise économique, politique ou sociologique considère comme allant de soi le fait que la classe ouvrière est simplement le pendant harmonieux du capital. S'interrogeant rétho- riquement, Henri Lefebvre en 1968 exprime cette idéologie :
- "Que voyons-nous ? Une société tactiquement et stratégiquement orientée vers "l'intégration de la classe ouvrière. Cela réussit en partie (par une vie au jour le jour organisée répressivement par des moyens de restrictions, par l'idéologie persuasive du pouvoir de consommation plutôt que par la réalité de la consommation), mais dans le même temps elle perd la capacité d'intégrer des éléments tels que les jeunes, les groupes ethniques, les femmes, les intellectuels, les sciences, les cultures."
Un écrivailleur américain anarchiste,
Murray Bookchin, écrivait même, plus cyniquement, en 1969 :
- "En dépit de son rôle indispensable dans le procès industriel, la classe ouvrière industrielle ne représente pas encore la majorité de la population, et sa position stratégique dans la société est érodée par l'automation et d'autres progrès technologiques. Désormais, cela nécessite un acte de haute conscience pour le prolétariat d'utiliser le pouvoir qu'il a pour réaliser une révolution sociale. Jusqu'à présent, la réalisation de cette conscience a été continuellement bloquée par le fait que l'usine est un des lieux qui se cantonne le plus à l'éthique du travail, au système hiérarchisé des managements, à l'obéissance au chef et récemment à une production de marchandises superflues et d'armements. L'usine sert non seulement à "discipliner", "unir", "organiser" les ouvriers, mais aussi à le faire d'une manière totalement bourgeoise. Dans l'usine, la production capitaliste renouvelle non seulement les rapports sociaux capitalistes chaque jour de travail, comme Marx l'a observé, mais recrée également les valeurs psychiques et l'idéologie du capitalisme."
Bookchin continue:
- "Le point essentiel est que la lutte de classe traditionnelle cesse d'avoir des implications révolutionnaires; elle se révèle être la physiologie de la société en place, non les douleurs de l'enfantement. En fait la lutte de classe traditionnelle représente une précondition à la stabilité de la société capitaliste en "corrigeant" ses abus (salaires, horaires de travail, inflation chômage "etc.)
Et pour souligner ce point" essentiel" il éclate d'une rage hystérique contre la classa ouvrière :
- "Renforcer cette structure de classe en bavardant sur le "rôle" de la classe ouvrière, renforcer cette lutte de classe "traditionnelle en lui imputant un contenu "révolutionnaire", corrompre le nouveau mouvement révolutionnaire de notre "époque par "ouvrièrite", c'est ce qu'il y a de plus profondément réactionnaire... Quand la maladie
- touche à sa fin, quand les blessures commencent à se cicatriser dans leurs plus profonds replis, alors le processus de guérison est engagé ; les implications révolutionnaire de la lutte de classe perdent leur signification en tant que construction théorique et réalité sociale. Le processus de décomposition embrasse non seulement la structure de classe traditionnelle, mais aussi la famille patriarcale, les modes autoritaires d'éducation, l'influence de la religion, les institutions de l'Etat, le mythe du travail, la renonciation, la culpabilité et la sexualité réprimée. En bref, le processus de désintégration commence maintenant à se généraliser et pénètre de fait toutes les classes, valeurs et institutions traditionnelles. Il crée des issues, des modes de luttes et des formes d'organisation entièrement nouvelles et appelle à une approche toute "nouvelle de la théorie et de la praxis."
Pour finir voilà ce qu'est devenu le message typiquement moderniste ;
- "L'ouvrier devient révolutionnaire quand "il détruit sa "condition d'ouvrier, quand il en vient ici et maintenant à détester son statut de classe, quand il commence à rejeter exactement les caractéristiques que les marxistes prisent le plus en lui : son éthique du travail, son caractère dérivé de la discipline industrielle, son respect de la hiérarchie, son obéissance au chef, son esprit de consommation, ses vestiges de puritanisme. En ce sens l'ouvrier devient révolutionnaire à partir du moment où il "perd son statut de classe et réalise une conscience de non-classe. Il dégénère et dégénère magnifiquement. Ce qu'il perd, c'est précisément ses chaînes de classe qui le lient à tous les systèmes de dominations. Il abandonne ses intérêts de classe qui le rendent esclave de l'esprit de consommation de banlieue" (De l'article Listen Marxism qui parut dans la revue américaine "Anarchos" en Mai 69)[8]
Rarement les idées modernistes ont été exprimées avec autant de cynisme. Mais de telles idées décrivent non la décomposition de la classe ouvrière, mais la désintégration de la petite-bourgeoisie gauchiste, due à l'émergence de la crise. Ce que les modernistes déplorent c'est leur propre dégénérescence en tant que couche sociale condamnée, une dégénérescence qu'ils reportent sur la classe ouvrière. Leurs propres traits psychologiques, leur propre avilissement et leur passivité sont ainsi transférés au prolétariat révolutionnaire.
COMMENT LES GAUCHISTES ET LES MODERNISTES CONSIDERENT LA CLASSE OUVRIERE
"Socialisme ou Barbarie" n'a pas appelé au rejet de la classe ouvrière dans les années 50, mais très peu de ceux qui sont devenus par la suite des " Modernistes" ne l'ont fait. L'occasion de franchir cette étape ne s'était pas encore présentée. Pour cela il leur faudra attendre un an ou deux avant 68[9]. Il est important d’insister sur CE point. Pour les trotskystes comme pour tous les autres gauchistes, la classe ouvrière englobe les syndicats. En d’autres termes, ils voient la classe ouvrière engendrer des institutions capitalistes et faisant partie de celles-ci. Ainsi S ou B s'est toujours fait le défenseur du travail dans les syndicats de toutes sortes. Certains de ses ex-militants sont devenus de grands inspirateurs idéologiques du syndicat français CFDT. (Mothé)[10].
La conception de la classe ouvrière défendue par ces ex-trotskystes ne différait pas en fait de la version des trotskystes officiels. Pour SouB le socialisme était simplement un capitalisme aménagé humainement, opérant nationalement sous la loi de la valeur (avec "salaires égaux" et production de marchandises).
La conception trotskyste ou bordiguiste n'est pas différente, sauf à propos du rô1e "dirigeant" assumé par leur parti dans "l'Etat ouvrier".
Toute la question des crises du capitalisme pour les staliniens et les trotskystes d’avant-guerre tournait autour d'un simple facteur : comment défendre la Russie stalinienne contre ses rivaux impérialistes, ravagés par le militarisme, le fascisme et l'effondrement économique. Cela renvoie à une des références à laquelle, staliniens et trotskystes font appel quand ils analysent la crise actuelle du capitalisme. Contre la crise, la classe ouvrière se doit de défendre la "Patrie Socialiste" ou les "Conquêtes d'Octobre"[11]. Le stalinisme n’a pas pu voir dans la classe ouvrière autre chose que de la chair à canon pour défendre et maintenir le pouvoir de la classe capitaliste bureaucratique de Russie. Le trotskysme, toujours à la remorque du stalinisme, parle de la classe ouvrière dans les mêmes termes même de "façon critique". L'extension du pouvoir russe sur l'Europe de l'Est a été considérée par la majorité des trotskystes comme une extension des "conquêtes d'Octobre", quoique "dégénérée".
Ce mépris de la classe ouvrière, ce dévoiement capitaliste des conquêtes de la classe ouvrière est inhérent au trotskysme dès sa naissance. Il suffit de lire les recettes du "Programme de Transition" de 1938 ou n'importe quel journal trotskyste d'aujourd’hui pour voir la nature profondément capitaliste d'Etat du trotskysme. Il y a donc un lien organique entre l'idée d'après-guerre selon laquelle la classe ouvrière a capitulé devant le capitalisme et la conception gauchiste de la classe ouvrière. Le gauchisme a toujours considéré comme établi le fait que la classe ouvrière soit intégrée au capitalisme. Les bureaucrates de la social-démocratie en 1914 l'admettaient aussi quand ils apportaient leur soutien à la première guerre impérialiste. Les stalinistes et leurs valets trotskystes l'admettent également chaque fois qu'ils ont essayé ou qu'ils essaient de mobiliser les travailleurs pour des guerres impérialistes (comme en 39-45), pour des luttes de libération nationale, pour le syndicalisme, le parlementarisme et d'autres politiques capitalistes.
Quand Lénine, en 1902, affirme que la conscience socialiste est extérieure à la classe ouvrière, il exprimait une incompréhension fondamentale, que la totalité du mouvement ouvrier partageait à un degré ou à un autre à cette époque. Aujourd'hui, une telle conception n'est pas une erreur mais un mensonge réactionnaire. Quand, aujourd'hui, les trotskystes ou les gauchistes en général parlent du "rôle d'avant-garde du parti" dans ce qu'ils imaginent être une révolution socialiste, ils considèrent que la classe ouvrière bien entendu est intégrée au capitalisme. Par conséquent, le prolétariat a seulement besoin d'un Etat-Major pour l'organiser, pour lui injecter la "conscience communiste" (il faut lire les "escroqueries du capitalisme d'Etat"), parce que les travailleurs, voyez-vous, laissés à eux-mêmes, sont seulement capables d'"économisme" ou de "trade-unionisme". Et puisque ces dernières tendances sont des "idéologies bourgeoises",(en fait, ni plus ni moins que le trotskysme), cela montre que la classe ouvrière n'est qu'une classe-en-soi "dominée par la bourgeoisie", qui attend l'arrivée de Messieurs Healy, Cliff, Mandel, Hansen, Frank et de toute cette cabale de petits Staline.
Entre la conception bourgeoise qu'ont les gauchistes de la classe ouvrière et celle des modernistes, il n'y a qu'une différence de degré.
Il est vrai que les modernistes s'opposent aux tactiques d'avant-garde des staliniens et des trotskystes, et que généralement ils planent au-dessus des anarchistes ignares en jonglant avec les mots. Mais leur vision de la classe est la même. C'est le point de vue Capitaliste de l'intelligentsia gauchiste, couche créée, ordonnée et désintégrée par le développement d'après-guerre du capitalisme décadent. Pour les gauchistes, (staliniens, trotskystes, maoïstes, etc.), la conscience communiste vient de l’"intelligentsia" socialiste scientifique, qui ensuite l'apporte aux ouvriers, comme Prométhée a apporté le feu à l'humanité. De la même manière, les modernistes, la conscience communiste naît des cerveaux des intellectuels "communistes" (c'est à dire d'eux-mêmes). Mais, contrairement aux gauchistes, ces sages s'abstiennent de déverser leur savoir sur les ouvriers. Les prolétaires ne méritent pas une telle "faveur". Après tout quel besoin a une classe capitaliste de la "conscience communiste". Les modernistes tendent à faire circuler leurs textes uniquement entre eux ce qui, il faut le reconnaître, n'est pas une mauvaise chose.
NODENS
Extrait du n*4 de World Révolution.
[1] "Un texte qui n'en est pas un à proprement parler". Janvier-75.
[2] Cité dans : "La vie et l'œuvre de Wilhelm Reich" de Michel Cartier, New York 1973, p. 207.
[3] Critique de l'ouvrage de Bruce Brown par Stanley Aronowitz : "Marx, Freud et la critique de la vie quotidienne", parue chez Télos 18 (p. 180).
[4] Voir sa "critique de la vie quotidienne", Paris 1958 et la "Vie quotidienne* 1 2 3 4 5 6 7 dans le monde moderne" Paris 1968.
[5] Pour une documentation sur l’évolution des situationnistes, voir : "Leaving in the 20th century. The incomplète work of the Situationist International", traduit et édité par l'ex situationniste C. Gray, qui, actuellement, soutient (!)... une campagne de propagande massive afin de faire connaître au public la possibilité d'une révolution... simultanément avec la création de "thérapeutiques de masse11 Londres 1974, p. 167.
[6] Pour un regard critique sur l'origine, les idées et le destin de S ou B, voir les analyses suivantes publiées par nos camarades français :
- - "Lettre d'un camarades de R.I, au groupe de Aberdeen" dans le bulletin d'études et de discussion de RI, n°2, mai 1973, p.29.
- "Une tentative de dépassement du marxisme : S ou B" dans le bulletin d'études et de discussion n° 11, janvier 75, p.2.
[7] Ces idées sont encore très en vogue. Un best-seller relativement récent "The greening of America", de Charles Reich. Cet auteur prôner la "persuasion" et "un changement dans la conscience" par les charades démocratiques bourgeoises. A partir des mêmes prémisses que Marcuse, il arrive à des conclusions plus savoureuses sur les couches moyennes.
[8] Ce joyau fit couler beaucoup d'encre de la part des sectes réactionnaires. Par exemple le Britlsh Solidarity Group (influencé par Cardan) fit une critique de cette brochure en 1970 et dit: "C'est indubitablement la meilleure brochure anarchiste produite depuis des années." Le critique, expert en la matière, conclue : "Inutile de dire que c'est le travail d'un ex-marxiste" (sic). Solidarity, vol.6 n° 5 p.20.
[9] Dans "Le déclin et la chute de l'économie spectaculaire marchande", 1965, les situationnistes ont déjà commencé à parler de l'intégration du prolétariat classique à la "société du spectacle". Les émeutes noires de Watts étaient soi-disant la "négation" de la marchandise, alors que les blancs en étaient esclaves.
Selon Cardan (1964), utiliser le terne de prolétariat c'était... se laisser aller à une sociologie purement descriptive. "Redéfinition de la révolution", Londres 1974,p.9. Cette négation conceptuelle du prolétariat était devenue le label de la "Nouvelle Gauche!' en Europe et aux Etats Unis.
[10] Cardan, sous le nom de Coudray, se situait entièrement dans cette tradition gauchiste quand il écrivit en 1968: "En mime temps il est nécessaire d'appeler les travailleurs à rejoindre la CFDT, sans leut laisser aucune illusion sur le syndicat en tant que tel parce qu'elle est la moins bureaucratisée, la plus perméable à sa base aux idées du mouvement, et qu'elle permet de poser la question de l'autogestion, qui est bonne non seulement en dehors du syndicat, mais aussi pour la section syndicale, le syndicat lui-même, la fédération et la confédération". "La révolution anticipée", mai 68. La Brèche, Paris 68, p. lll et 112.
Les sympathisants anglais de Cardan ont toujours caché soigneusement ces passages, puisque Solidarity se déclare "contre" les syndicats. Mais leur respect pour le "shop-stewardisme" est bien connu. Un autre rejeton de S ou B, la revue française "Lutte de Classe", éprouve une égale fascination pour le shop-stewardisme et donc pour les mystifications capitalistes de l'autogestion.
[11] Or, comme diraient les maoïstes, les ouvriers et les capitalistes progressistes doivent défendre la Chine de Mao. En France, la pernicieuse idéologie maoïste s'est facilement fondue avec des bribes d'anarchisme même avant mai 68. L'interview suivante de D. Cohn Bendit, la prima dona de l'anarchisme en mai 68, est instructive à ce niveau : "Q-: Vous prenez quelques éléments de votre définition du socialisme dans Trotsky et dans Mao? R-: De Mao en fait. Par exemple. Mao rompt avec le léninisme au sens strict du terme quand il fait confiance à une autre classe que la classe ouvrière : la paysannerie. Les communes villageoises sont aussi pour nous une forme d'organisation tout à fait souhaitable." Tiré de "l'anarchisme dans le mouvement de mai 68 en France, Londres 1973, p. 11. Cohn Bendit s'abstient de tout commentaire sur le charme de la "réhabilitation maoïste" dans les camps politiques. Mais en dépit de telles omissions, le journaliste, orateur verbeux,
E. Morin, s'empresse d'applaudir: "sa pensée était plus lucide à cette époque que les plus éminentes figures académiques et politiques." En d'autres termes, il était presque aussi lucide qu'Edgar Morin.