France – au bout du tunnel : le prolétariat

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"Nous commençons à voir le bout du tunnel."(CHIRAC)

Confrontées à la "plus grande secousse que l'économie mondiale ait connue en temps de paix depuis 45 ans" -comme le disait Giscard d'Estaing lui-même dans son dernier "discours au coin du feu"-, toutes les fractions nationales de l'appareil politique de la bourgeoisie mettent autant d'acharnement à se démarquer les unes des autres, qu'à tenter de persuader (et de se persuader) qu'il y a des solutions dans le cadre du système. En fait, pour la bourgeoisie, faire croire qu'IL Y A UNE SOLUTION devient une nécessité d'autant plus vitale que la lutte de classe la menace, en même temps que la crise, dans ses fondements mêmes. La bourgeoisie des pays autrefois les plus prospères brandit ses plans de relance, aussi bien aux Etats-Unis, qu'en Grande-Bretagne, au Japon ou en Allemagne, mais, devant le scepticisme général, ravale très vite ces mêmes plans en modestes "plans de soutien" pour conserver, malgré tout, une certaine crédibilité.

UNE SOLUTION DE LA BOURGEOISIE AU POUVOIR : LE PLAN ET LE CONTRE-PLAN

Dans l'incertitude, la bourgeoisie ne s'aventure plus sur les plans à long terme, elle navigue "au jugé" dans la brume épaisse de la crise mondiale, attendant que son plan soit efficace dans quelques mois, que la "reprise économique" vienne des pays partenaires ou d'un développement économique intérieur des plus hypothétique. En fait, en présentant le contre-plan de septembre 1975 comme une solution pour l'avenir, la bourgeoisie ne fait qu'agiter vainement un épouvantail à lutte de classe: il y aurait une solution SI, entre autre considérations, la classe ouvrière acceptait les quelques généreux 5 milliards de francs "d'aide à la consommation" en attendant patiemment des jours meilleurs.

Le plan anti-inflation de 1974, avait, lui aussi, été présenté comme une recette magique A CONDITION QUE la consommation soit limitée, tout comme les investissements et les crédits. Pour tous les pays, la solution était alors la même : importer peu, exporter plus, et le cercle se refermait, chaque pays cherchant à écouler ses stocks tout en achetant moins. Ce fut l'escalade diplomatique des commis-voyageurs, tous aussi célèbres les uns que les autres, de Chirac à Kissinger, et la mise aux enchères de "marchés du siècle" d’autant plus spectaculaires qu'ils étaient plus futiles par rapport aux stocks existants. Il fallait montrer que la bourgeoisie cherchait des solutions et qu'elle les connaissait, que les échecs ne pouvaient venir que d'accidents commerciaux : le pragmatisme devenait la méthode de gestion courante de ces temps d'incertitude.

Mais, bientôt, la bourgeoisie dut se rendre à l'évidence : l'inflation avait légèrement baissé, certes -et pour des raisons surtout conjoncturelles- mais au prix d'une récession de plus en plus forte: la production industrielle a chuté de 13 % entre juillet-74 et juillet-75, tandis que le chômage atteignait le chiffre de 1,200,000 le 1er août-75. C'est l'escalade du chômage partiel, des licenciements collectifs et des dépôts de bilan : Boussac, Idéal-Standard, les conserveries Blanchard, Sacilor-Sollac, Foclain et bien d'autres sont atteints.

Le gouvernement "trouve" alors UNE AUTRE SOLUTION : le contre-plan Giscard de septembre 75, plan anti-récession, dit "plan de relance" et plus tard, plus modestement, "plan de soutien" : il s'agit d'injecter 30 milliards de francs dans une économie atteinte d'une maladie chronique... La majeure partie de ce financement va aux entreprises pour leur faire continuer la politique qu'elles ont tout naturellement tendance à suivre : celle de produire, toujours plus, toujours en moins de temps. Prise dans le rouage de la productivité qui lui est naturelle, l'économie décadente est bientôt prise de vertige : produire pour qui ? Les pays dits partenaires -de qui est attendu le miracle d'écouler la surproduction- sont dans la même situation : ils veulent vendre leurs stocks, mais ne pas acheter. Produire pour produire, la bourgeoisie le peut pratiquement avec les seules limites des matières premières utilisables : mais elle se heurte bien vite à ses propres contradictions : la plus-value à réaliser, c'est-à-dire le profit sous forme de marchandises qu'il s'agit de transformer en argent, puis en nouveaux moyens d'exploitation, est de plus en plus importante, la plus-value réalisée de plus en plus faible. Jouissant de possibilités productives gigantesques, le capitalisme est contraint de diminuer ensuite volontairement sa production : ainsi, le potentiel industriel ne fonctionne déjà plus qu'à 70 % de sa capacité productive. Le meilleur exemple de l'absurdité des contradictions de cette période de décadence est celui de Fos-sur-Mer le "plan de relance" se propose d'entamer la deuxième tranche du projet, donc de terminer la construction de l'ensemble prévu. Or, sur les deux hauts-fourneaux existants, un seul peut fonctionner, l'autre est éteint faute de débouchés pour sa production.

Ainsi, au moment même où elle prétend se moderniser, où elle prétend développer sa productivité, la bourgeoisie ne fait que creuser davantage sa propre tombe:

  • la récession provisoirement ralentie du fait de l'injection fictive de capitaux ne va pas pour autant empêcher le déficit de 40 milliards de francs prévue pour 75 et la continuation du chômage ; ainsi, Ceyrac, président du CNPF, le disait lui-même, et dès les premiers jours du plan : "De nouveaux licenciements seront indispensables";
  • le développement du crédit occasionné par le plan de relance, en faisant de la planche à billets une technique courante de la politique économique, va faire de l'inflation une réalité tous les jours plus pesante : les prévisions la voient déjà atteindre les 15 % après être passée de 13,5% à 10% sous l'effet du précédent plan. Les prix vont eux-aussi augmenter en même temps que 1'inflation, et l'actuelle augmentation ne donne qu'une idée bien pâle de ce qu'elle sera dans quelques mois : en effet, ils ont augmenté de 15,2% de juillet 74 à juillet 75 tandis que le SMIC n'augmentait que de 8,6%.

Entrée dans le tunnel de la crise dès les années 66-67, la bourgeoisie française le voit de plus en plus se refermer sur lui-même : le plan anti-inflation n'a fait que provoquer la récession sans résorber l'inflation. Le plan anti-récession ne fera que développer l'inflation sans freiner la récession. "Solution" d'autant plus stérile qu'elle ne résout rien du point de vue du capitalisme et ne s'assure pas la neutralité de la classe ouvrière. De cette faille du régime actuel surgissent les solutions de rechange qui, si elles ne sont pas plus efficaces du point de vue du capitalisme, tendent au moins à résoudre la deuxième question : la nécessité de tenir en main la classe ouvrière.

"LA SOLUTION" DE LA GAUCHE: UN CAPITALISME D'ETAT "SOCIAL" *

Devant le "plan de relance" de Giscard d'Estaing, le PC a sorti son "programme du 8 août" issu du "programme commun de la gauche" et qui ressemble étrangement au plan gouvernemental, avec, toutefois, une différence d'accent...

L'intervention de l'Etat prendrait, sous la direction de la gauche, non plus seulement la forme d'intervention de l'Etat dans le capitalisme privé : elle adopterait même la forme juridique du capitalisme d'Etat. En effet, la gauche pousserait la hardiesse jusqu'à nationaliser formellement des entreprises qui ne doivent déjà leur survie qu'à l'aide financière de l'Etat ; Citroën par exemple, a bénéficié d'une imposante somme de l'Etat pour ne pas être obligé de fermer ses portes et de mettre en chômage plusieurs dizaines de milliers d'ouvriers. Sa nationalisation ne fera que rendre officiel ce qui existe déjà.

L'intérêt de ces nationalisations, pour le capital, ne se situe pas tant dans la tentative de résoudre le problème de la crise dans ses contours économiques que dans la manière de présenter cette opération à la classe ouvrière : les nationalisations sont présentées comme une lutte contre les monopoles assimilés pour la circonstance en lutte contre le capitalisme, elles sont présentées comme des mesures socialistes ouvrières nécessaires à un "gouvernement des travailleurs". Les nationalisations deviennent alors PLUS QU'UNE SOLUTION A LA CRISE: le moyen pour amener la classe ouvrière à se fourvoyer dans une voie qui n'est pas la sienne.

Après les échecs des deux dernières grandes grèves du prolétariat français -les PTT en oct.-nov. 74, Renault en 75-, la gauche éprouve sans cesse le besoin de maintenir son influencé sur la classe ouvrière. Ceci d'autant plus que le chômage chronique et l'augmentation des prix constituent une véritable poudrière.

Les contre-plans de la gauche sont un prétexte comme un autre pour se démarquer de la politique gouvernementale actuelle et présenter par ce fait même, sa candidature au pouvoir tout en souhaitant retarder le moment de reprendre en main une situation en aussi mauvais état. La gauche reproche à ce plan d’être anti-ouvrier puisqu'il favorise les grandes entreprises, elle lui oppose une espèce de contre- plan qui se veut pour "la relance de la consommation populaire", pour le développement de l'activité économique et la défense de l'emploi, pour le blocage des prix à la production de la grande industrie, pour quelques suppressions de TVA, pour le contrôle de l'exportation des capitaux et pour les nationalisations. Sauf quelques fragments nouveaux -mais qui sont irréalisables donc uniquement démagogiques et que la gauche rangerait bien vite dans ses tiroirs si elle était au pouvoir-, le contre-plan de la gauche n'est qu'une réédition un peu plus sophistiquée du "plan Giscard" sans les contraintes imposées par le libéralisme à celui-ci.

Le but que recherche la gauche réside dans le fait de présenter le programme commun comme - l'assise économique d'un éventuel pouvoir de la classe ouvrière, de se présenter comme des gérants efficaces de ce pouvoir. Se déclarer seule détentrice des clés de la crise ne saurait lui suffire ; il lui faut encore fignoler son rôle d'opposition conséquente au régime: se montrer victime du régime actuel, refuser avec hauteur toute proposition gouvernementale de discussion.

"Victime" Marchais lui-même, en visite dans les entreprises avec une délégation de choc du PCF et refoulé chaque fois par la police. C'était la première partie de la mise en scène.

La deuxième partie se situe le jour de la discussion du "plan de relance", où des manifestations de travailleurs sont arrêtées devant les portes de l'Assemblée Nationale. Les députés communistes sortent ostensiblement pour "discuter" avec eux, prendre leurs pétitions et reviennent tout aussi ostensiblement s'asseoir sur les bancs du Parlement. Et le député communiste Ducoloné de conclure : "Dans les usines, on veut empêcher les députés communistes de s'entretenir avec les travailleurs ; à l'Assemblée Nationale, on empêche les travailleurs de venir parler aux députés", (L'Humanité du 10 septembre 75).

"Intransigeant", un PC qui se dit lui-même "champion" de l'Union de la Gauche, qui a refusé le premier les propositions gouvernementales et qui ne fait pas de la visite de Fabre à Giscard d'Estaing une occasion pour se distinguer des radicaux de gauche. "Le problème de l'Union ne se pose pas en termes de confiance entre dirigeants des partis de gauche. Nous regrettons la démarche de R. Fabre, cela pose un problème sérieux, mais nous ne pensons pas pour autant que l'Union de la Gauche soit dans la situation extrêmement difficile que prétendent les adversaires de 1'Union".(Conférence de presse de Marchais, le 19 septembre).

De manquement à la discipline d'Union de gauche, la discussion de Fabre avec Giscard d'Estaing devient un instrument de la politique de cette union:

  • c'est un moyen pour réaffirmer, après les polémiques autour du Portugal, l'union de la gauche contre le gouvernement;
  • c'est un moyen de sonder, par personne interposée et sans compromettre les leaders PS et PC de l'Union, les possibilités de collaboration avec le gouvernement. Marchais n'a pas caché son espoir que Fabre puisse rendre compte de sa visite : "Nous sommes toujours disponibles pour des rencontres entre les partis de gauche, y compris au sommet. Je doute qu'après une rencontre avec Giscard d'Estaing, Robert Fabre éprouve le besoin d'une telle réunion pour faire le bilan." (Conférence de presse du 19 septembre).

Test pour la gauche cette visite l'est aussi pour le gouvernement désireux d'utiliser, une force tampon entre la droite et la gauche avant une éventuelle collaboration. Même si s'ébauche ainsi une possibilité de participation au gouvernement, la gauche reste prudente: la situation de la classe ouvrière va empirer de jour en jour et provoquera une reprise inévitable de la lutte de classe, la situation économique ne pourra que continuer à se détériorer, avec ou sans la gauche au pouvoir, avec un plan ou un contre-plan ou un contre-contre- plan. .. La gauche présentera sa participation au gouvernement ou sa "prise de pouvoir" comme une "victoire des travailleurs" ; elle présentera alors la persistance de la crise, et donc, l'impuissance de son programme comme l'héritage d’une mauvaise gestion dont les "travailleurs au pouvoir" continueraient de faire les frais, rétrospectivement. Ainsi, la "solution" de la gauche se réduit à ce qu'elle est : UNE MANIERE DE FAIRE ACCEPTER LA CRISE PAR LA CLASSE OUVRIERE.

La bourgeoisie, en tant que classe exploiteuse, ne se maintient au pouvoir, même émoussé, que par l’éventualité d'une relève de gauche toujours possible, et d'autant plus "à gauche" que la classe ouvrière est plus combative. Ainsi, Fabre est à Giscard d'Estaing ce que le PS et le PC sont à Fabre, ce que les gauchistes -et notamment les trotskystes- sont au PC : un gouvernement de rechange, dont les "solutions" ne font que changer de nom. Ainsi, au programme commun s'oppose le programme de transition des trotskystes, et des gauchistes dans les faits, UNE AUTRE MANIERE DE FAIRE ACCEPTER LA CRISE A LA CLASSE OUVRIERE.

"LA SOLUTION" DES GAUCHISTES : LE PROGRAMME DE TRANSITION.

Bien que ne se réclamant pas tous du programme de transition de Trotsky, les gauchistes le suivent tous dans les faits : ils avancent tous la même nécessité de revendications transitoires. Les trotskystes, LO comme Rouge, reprennent textuellement le texte de 1938, l'un avec le populisme démagogique d'une Laguiller :

  • "Au plan de Giscard, il faut que les travailleurs opposent leur propre plan. Un plan qui ne permettrait pas aux capitalistes de maintenir leurs profits, un plan qui permettrait aux travailleurs de ne pas supporter les conséquences de la crise", (LO du 6 septembre).

l'autre avec la pseudo-combativité d'un intellectuel pondéré:

  • "La seule voie qui s'ouvre est donc celle de la lutte. Pour mettre fin au chômage, en imposant une réduction massive du temps de travail sans diminution de salaire ; pour mettre fin à la baisse du niveau de vie, en imposant une augmentation réelle du pouvoir d'achat des salaires", (Rouge du 12 septembre)

Il s'agit de mettre en avant des "solutions" qui leur permettent de "se mettre au niveau de la masse" en lui proposant toutes sortes d'illusions, du style "imposons la fin du chômage", et d'éviter de parler de la nécessité de détruire ce système qui ne donnera que du chômage. . . "Les gens ne comprendraient pas"..., alors, on ment, comme n'importe quel parlementaire en quête de votes. Quelles que soient les élucubrations "tactiques" qui peuplent le cerveau de ces politicards, leur intervention n'aboutit qu'à revendiquer et à créer l'illusion de la possibilité d'un capitalisme sans profits, sans chômage, sans abus-, ... sans exploitation. C'est, en fait, la vieille tromperie réformiste à peine recouverte d'un craquelant vernis de verbiage radical : "imposons..." Dans le programme de transition de 1938, Trotsky présentait ce réformisme déguisé de la façon suivante:

  • "Il faut aider la masse dans le processus de sa lutte quotidienne à trouver le pont entre ses revendications actuelles et le programme de la révolution sociale. Ce pont doit consister en un système de REVENDICATIONS TRANSITOIRES partant des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière et conduisant invariablement à une seule et même conclusion : la conquête du pouvoir par le prolétariat."

Seule une idéologie éloignée de tout processus révolutionnaire, parce qu'elle est, en 1938, le produit de la période la plus noire ' du triomphe de la contre-révolution,-les capitalistes des principales puissances comptent leurs troupes de prolétaires vaincus, atomisés, endoctrinés au fascisme ou à l'antifascisme, prêts à aller s'entre-massacrer au profit de leurs capitaux nationaux- seule une telle pensée peut, en oubliant tout ce que peut être la marche des prolétaires vers la révolution, imaginer le processus révolutionnaire comme un "pont" rectiligne et continu dont les piliers seraient une série de "revendications transitoires", partant des revendications les plus simples et immédiates pour arriver à la revendication du pouvoir.

Certes, la lutte du prolétariat pour la conquête du pouvoir est un aboutissement, conséquence logique de la lutte quotidienne, immédiate, de résistance du prolétariat contre son exploitation. C'est même là une spécificité essentielle de la classe ouvrière : les autres classes exploitées, menacées dans leur existence par le développement du capital lui-même, petits paysans, petits commerçants, etc. n'aboutissent en aucun cas, par leurs luttes quotidiennes à une mise en question réelle du capitalisme et encore moins à une solution de dépassement de celui-ci. Au contraire, lorsque ces luttes dévoilent leur contenu en se généralisant, elles ne parviennent qu'à la revendication d'un maintien de l'ordre social existant ou à un retour en arrière de l'histoire. Seules, les luttes immédiates de la classe ouvrière portent en elles et dans leur développement l'avènement d'une nouvelle société. C'est en celà que ses luttes immédiates contre la dégradation de ses conditions d'existence et sa lutte pour la conquête du pouvoir ne sont que deux moments d'un même combat.

Ainsi, les gauchistes, et plus particulièrement les trotskystes, ne détonnent pas, dans l'arsenal des «solutions" à la crise: ils ont un "plan" tout comme le gouvernement actuel a un "plan de relance" et la Gauche un "programme commun" ou un "programme du 8 août". Ils ont eux aussi des revendications à avancer dans le cadre du système actuel, revendications qui sont, comme celles du PC, plutôt des vœux pieux que des "solutions", mêmes capitalistes. Néanmoins, ils ont une clé : celle qui pourrait assommer la classe ouvrière en l'immobilisant derrière des revendications.

Les sociaux-démocrates avaient un programme minimum et un programme maximum ; refusant plus le manque de lien entre les deux que le fond même de la question, à savoir la perspective de ne plus avoir aujourd'hui de possibilités de programme minimum, les trotskystes ont inventé un lien : le pont des revendications transitaires, et le problème est résolu. Ainsi ne vont-ils pas manquer de retrouver toutes les revendications transitoires du programme de transition de 1938 : celles destinées aux pays arriérés, celles destinées aux pays fascistes, celles réservées à l'URSS... avançant, sans le dire ni le comprendre la possibilité de, mesures communistes avant la révolution : dualité du pouvoir par l'existence du contrôle ouvrier du comité d'usine, etc.

Recettes de la bourgeoisie, les mesures demandées par les trotskystes sont aussi stériles et inefficaces que celles avancées par la bourgeoisie officielle. Dans cette période de décadence, tout programme minimum, y compris le droit au travail, est devenu caduc, et toute tentative d'avancer ce programme sous forme de revendications transitoires n'est pas de la simple démagogie, mais de la mystification.. Quand on demande "pas de chômage", dans le meilleur des cas, c'est un voeu pieux qui nie la réalité de la crise, dans le pire, c'est la négation de l'existence de la crise comme possibilité objective d'amener avec elle la révolution. Quand on parle de "partage du travail entre tous”, d'échelle mobile-des heures de travail comme d'échelle mobile des salaires, on avance la même chose que l'égalité de tous devant l'argent, on propose un programme basé sur l'étalement de la misère dans le cadre du capitalisme. Que chacun ait un peu de travail, un maigre salaire, mais qu'il n'y ait plus de chômeurs, ni de disparités trop criantes entre les salaires. Quand on demande de ne pas faire de "diminution de salaire", on demande à la bourgeoisie de ne pas faire de plus-value, alors que la réduction de la masse salariale a justement pour but de faire conserver à la bourgeoisie un minimum de plus-value potentielle.

Mais c'est absurde de croire que le passage d'un moment à l'autre de cette lutte peut prendre la forme d'un pont de revendications progressives ou transitoires.

Toute l'histoire des processus de luttes qui ont abouti à des tentatives de conquête du pouvoir par le prolétariat le montrent : loin d'être un processus uniforme comme celui des révolutions bourgeoises au XVIIIème et XIXème siècle, celui de la révolution prolétarienne est caractérisé par des sauts brusques, des reculs profonds, un chemin rempli de méandres, de craintes et de témérités. Ce n'est pas une suite de victoires sur des revendications progressives qui mène le prolétariat à détruire l'Etat bourgeois et instaurer sa dictature, mais, au contraire, une suite de défaites matérielles immédiates au cours desquelles il comprend :

  • 1) qu'il ne sert à rien de revendiquer quoi que ce soit d'un Etat qui ne peut rien lui accorder ;
  • 2) que la seule victoire qu'elle acquiert dans ses luttes quotidiennes, c'est l'apprentissage de sa force, de sa capacité à s'organiser comme un seul corps uni, de la conscience des buts et des moyens réels de son combat ;
  • 3) que, ne pouvant plus "revendiquer" de l’Etat bourgeois, il ne lui reste qu'à le détruire.

La prise du pouvoir n'est pas une revendication ultime, mais la fin des revendications.

C'est pourquoi ceux qui prétendent opposer aux plans de sauvetage économique du capital des plans "de transition", des revendications organisées du système, quelque soient leurs illusions de "tactiques révolutionnaires", ne s'inscrivent pas dans le processus de développement des luttes prolétariennes mais dans celui de leur freinage, celui du réformisme. Le prolétariat ne va pas à la révolution inconsciente derrière des carottes transitoires qui lui seraient adroitement et opportunément tendues devant le museau par son avant-garde. Son avant- garde ne peut au contraire que lui montrer la nécessité de faire sienne la conscience de ce qu'il fait, de ce qu'il sera contraint de faire, et, entre autre, de cesser de se faire des illusions sur les possibilités d'obtenir du capital une quelconque amélioration de son sort.

NM & RV