Soumis par CCI le
Cette intervention affirme au contraire la nécessité d’une distinction claire entre les organes révolutionnaires de la classe ouvrière -les conseils ouvriers- et l’État qui reste essentiellement conservateur.
- Quelques remarques sur l’État dans la Période de Transition
1- INTRODUCTION
Ce texte a pour origine le débat qui est en cours dans tout le CCI, et en particulier dans une réunion récente de la section de Londres de “WR” qui a semblé, tout au moins pour l’auteur de ce texte, mettre particulièrement en relief un certain nombre de points de désaccord.
Jusqu’à présent il a été généralement reconnu qu’il y a 2 positions sur l’État : la position “majoritaire” adoptée dans les ré solutions votées aux Congrès de RI, WR et Internationalisme et la position “minoritaire” défendue par S. et M. d’Internationalisme. Cependant depuis la parution du texte de S. et M., avec de plus amples discussions et la publication d’un texte du camarade YB d’Internationalism, il est devenu clair qu’il existe des points de désaccord plus profonds. Alors que S. et M. insistent sur la nature prolétarienne de l’État dans la période de transition (c’est-à-dire que c’est un “État ouvrier”), YB. semble suggérer que les Conseils ouvriers sont les dépositaires du pouvoir d’État lorsqu’il répond “non” à la question “Y a-t-il un État en dehors des Conseils ouvriers” car “le pouvoir dominant dans la société est détenu par le prolétariat, dont le mode d’organisation est les Conseils ouvriers”. Ce sont deux positions apparemment différentes -l’une proclamant la nature prolétarienne de l’État, l’autre proclamant la nature étatique des Conseils- mais en fait elles sont les deux faces de la même médaille. Elles naissent de la même erreur, qui fut si désastreuse en Russie, de confondre le rôle révolutionnaire de transformation des Conseils ouvriers, avec la nature réactionnaire de conservation de l’État de ta période de transition. Ce texte essaiera de considérer le problème sous trois aspects:
- Comparaisons historiques avec les États ayant existé dans le passé.
- Les rapports entre le prolétariat et l’État de la période de transition.
- Les rapports du prolétariat avec les autres classes et couches de la société de transition.
2- Dans quelle mesure peut-on faire des comparaisons théoriques entre l’État de la Période de Transition et les États ayant existé à d’autres époques ?
Une grande partie de la discussion entre la “minorité” et la
“majorité” tourne autour de la question historique de savoir si l’État est par
“nature” réactionnaire ou non. Du point de vue de chacune des positions défendues,
l’autre semblerait adopter un point de vue mécaniste. Ceux qui disent, par exemple,
que l’État “doit être défini concrètement comme l’instrument de la classe
dominante qui est soit progressive, soit réactionnaire selon l’époque
historique” (Internationalism, Toronto) considérant qu’on ne peut voir l’État
comme une “chose en soi”, abstraite, tandis que ceux qui défendent l’idée de la
nature conservatrice inhérente de l’État répondent -tout aussi justement- que
son rapport à la classe dominante n’est pas suffisant pour le rendre
automatiquement “progressif” quand la classe dominante l’est.
Cependant, cette discussion tout en étant intéressante, peut
dégénérer très vite et devenir stérile ; elle ne pourra jamais être résolue,
et en fait, contribue peu à clarifier la nature de l’État de la période de
transition. Nous devons être absolument clairs sur ce point : il n’y a
pas de précédent pour la période de transition, et l’État de cette période sera
fondamentalement différent de tout autre État.
Tout d’abord en ce qui concerne le rapport de l’État avec le
reste de la société. L’État bourgeois trouve ses racines dans la société capitaliste,
et il est en harmonie avec elle. Ce sont les rapports sociaux capitalistes qui
donnent forme et substance à l’État. En ce sens, il est une expression de
l’ensemble de la société, car l’ensemble de la société est organisé autour du
mode de production capitaliste. Comme Inter/Toronto l’a dit “le capitalisme
est un système social d’exploitation qui est fondamentalement violent” et
si l’État bourgeois est essentiellement violent, c’est parce que les rapports
de production du capital sont essentiellement violents. Ce n’est pas le cas
dans la période de transition, à ce moment là les rapports de production, bien
qu’encore dominés par la loi de la valeur au début, ne sont plus soumis à une
classe économiquement dominante. Au contraire, pour la première fois dans
l’histoire, une classe exploitée détient le pouvoir politique, qu’elle
doit imposer constamment, contre la tendance de la loi de la valeur à se
ré-établir. Il y a donc une non-unité fondamentale entre les rapports de
production existants encore marqués par les vestiges de la loi de la valeur et
la classe dominante, comme il n’en a jamais existé dans aucune société du
passé. L’État bourgeois par exemple, n’a pas connu de période de transition ;
la bourgeoisie ne s’est saisie du pouvoir politique que lorsque son pouvoir
économique, son mode de production, était déjà fermement établi.
Étant donné cette non-unité, il est évidemment faux de dire,
comme S. et M. que “Par l’intermédiaire de l’État, une classe déterminée
domine, et s’en sert pour défendre ses intérêts contre les intérêts des autres
classes, en vue d’assurer l’extension, le développement, la conservation de
ses rapports de production particuliers, contre le danger de restauration
des rapports de production précédents, ou la destruction de ses propres rapports
de production” (souligné par nous). La classe ouvrière n’a pas de
rapports de production qui lui soient propres. Au contraire, son seul but est
de détruire complètement les rapports de production qui déterminent sa propre
existence comme classe. Le but des ouvriers, dans une période de transition,
loin d’être de consolider et de figer la société sous sa forme immédiatement
post-révolutionnaire, est en fait de s’engager dans un processus de révolution
permanente contre cette société, de remplacer la domination de la valeur et de
l’échange marchand par la libre association des producteurs dans une société
sans classe. Ainsi, nous pouvons voir aisément qu’il y a une séparation entre
la classe dominante et le reste de la société. Le prolétariat est totalement
opposé à la société sur laquelle il exerce un contrôle politique. Les deux tendances
trouveront leurs formes appropriées dans l’État et les Conseils ouvriers.
3- Les rapports du prolétariat et de l’État
Bien qu’il faille se méfier des comparaisons historiques
simplistes, elles peuvent néanmoins nous donner une idée des fonctions de l’État
dans la période de transition. Fondamentalement, on peut dire que l’État de la
période de transition, comme tous les États, incarnera les rapports sociaux
existant dans une forme juridique concrète. Mais quels sont ces rapports
sociaux ? Immédiatement après la révolution ils seront essentiellement
ceux de la société capitaliste ; c’est certain, la bourgeoisie n’existera
plus comme classe, le prolétariat ne sera plus exploité mais la production sera
encore dominée par l’échange et la loi de la valeur, et d’autres classes existeront
encore, qui ne seront pas encore intégrées dans le procès de production.
Toutes ces forces tendant à ramener la société en arrière dans
le cauchemar du capital trouveront leur expression dans l’État, qui, en vertu
du fait qu’il “légalise” des formes existantes, tendra naturellement à les
préserver et à les renforcer en d’autres termes à retourner au capitalisme d’État.
Tandis que les Conseils ouvriers agiront pour saper le mode de
production capitaliste, pour transmuter sa substance de “plomb en or”
communiste, l’État, par contre, cristallisera les nouvelles avancées sous des
formes légales appropriées. Mais il est clair que tant que le prolétariat sera
capable de maintenir son contrôle politique, il sera toujours en avance sur l’État.
Ainsi la classe se trouvera nécessairement en conflit permanent entre là où
elle est à un moment donné et là ou elle était juste avant :
c’est-à-dire en conflit avec l’État. Puisque les Conseils représentent un
principe diamétralement opposé à celui représenté par l’État, il est confus et
dangereux à l’extrême de parler d’un État “prolétarien” ou d’attribuer les
fonctions juridiques spécifiques de l’État aux Conseils. Cela fige la classe
dans ce qui ne peut être qu’un moment passager, la période de transition est
instable -il est possible d’aller en avant ou en arrière, mais jamais de rester
sur place.
4– Les rapports entre le prolétariat et les autres classes et couches.
Dans beaucoup de textes de la “minorité” les camarades
insistent trop sur le rôle de la violence dans les rapports entre les ouvriers
et les autres classes. Bien que l’ensemble de la société bourgeoise soit basé
sur la violence continuelle des rapports d’exploitation, on ne peut en dire
autant du prolétariat. Son but est d’intégrer l’ensemble de la société dans la
production et ceci ne peut se faire globale ment avec le fusil dans le dos. La
domination politique du prolétariat n’est pas uniquement une question d’armement
(après tout, pendant la guerre civile, les Conseils devront dominer politiquement
un État avec une Armée rouge bien plus puissante que les milices ouvrières),
mais une question de plus grande capacité à envisager et à comprendre le futur
et le présent, et à convaincre les paysans et les petits-bourgeois que leurs
intérêts vont dans le même sens que celui du prolétariat, (bien que ce soit
surtout en tant qu’individus, plutôt que en tant que classes).
Il doit y avoir un endroit où les délégués des Conseils
puissent, pour ainsi dire, rencontrer les délégués des autres couches élus
territorialement. Les délégués territoriaux ne seront pas organisés en tant que
représentants de classes, et l’État ne reconnaîtra pas juridiquement les autres
classes, mais néanmoins, il est évident qu’il y aura la présence de membres
d’autres classes dans l’appareil d’État représentés sur une base géographique
territoriale. Ainsi, malgré la domination des ouvriers sur L’État, encore une
fois ce serait trompeur et dangereux d’attribuer à cet État une étiquette
prolétarienne.
5 Pourquoi le CCI discute-t-il tellement à fond de ce qui, à première vue, ne pourrait sembler être qu’une simple différence sémantique de définition ?
En fin de compte, c’est parce que la question de “l’État ouvrier” a été d’une importance cruciale dans le mouvement ouvrier, et le sera encore dans le futur. La confusion entre l’État et la dictature du prolétariat n’était qu’une partie du désastre horrible du substitutionnisme dont l’autre facette a été l’identification de la dictature du parti avec cette de la classe. Dans les années à venir, nous verrons une propagande gauchiste de plus en plus frénétique en faveur de l’établissement d’un “État ouvrier” pour, en réalité, consolider le contrôle du capital sur les ouvriers. Dans la période de transition, l’idée de l’“État ouvrier” sera utilisée pour justifier toutes les tentatives de soumettre les Conseils à la domination de l’État. Il est vital que le CCI se montre capable de remplir sa tâche de “montrer la direction” en défendant l’idée d’une distinction claire entre les organes révolutionnaires de la classe ouvrière -les Conseils- et l’État qui est essentiellement conservateur, sur lequel les Conseils doivent exercer leur contrôle et dont ils doivent continuellement saper et détruire les bases, jusqu’au dépérissement de l’État