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Revue Internationale no 83 - 4e trimestre 1995

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Ex-YOUGOSLAVIE : un nouveau cran dans l’escalade guerriere

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Face à l’anarchie et au chaos  grandissant qui caractérisent les rap­ports de la bourgeoisie au niveau in­ternational depuis l’effondrement du bloc de l’Est il y a six ans, on as­siste à une nouvelle pression très forte des Etats-Unis, comme lors de la guerre du Golfe, pour réaffirmer leur leader­ship menacé et leur rôle de gen­darme du « nouvel ordre mondial ». Parmi les expressions les plus signi­ficatives de cette pression, le Proche-Orient reste un terrain privilégié des manoeuvres de la bourgeoisie améri­caine. Les Etats-Unis profitent à la fois de leur solide tutelle sur un Etat israélien isolé dans la région, obligé de marcher derrière eux, et de la si­tuation de dé­pendance d’Arafat, placé sur un siège éjectable, pour accélérer le processus de « pax americana » et renforcer leur contrôle et leur mainmise sur cette zone stra­tégique essentielle, plus que jamais soumise à des convulsions.

De même, le régime affaibli de Sad­dam Hussein se retrouve la cible fa­vorite des manoeuvres de la Maison Blanche. La bourgeoisie américaine se prépare également à accroître sa pression militaire sur « le boucher de Bagdad » au moment où les rats quittent le navire pour rallier la Jor­danie (autre solide base des intérêts américains au Moyen-Orient), en particulier deux de ses gendres dont l’un était le responsable des pro­grammes militaires irakiens. Ce ral­liement permet aux Etats-Unis de ra­viver le souvenir de sa démons­tra­tion de force dans la guerre du Golfe et de justifier le renfort de troupes américaines massées à la frontière koweïtienne, en relançant les ru­meurs d’arsenaux d’armes bac­tério­logiques et de préparatifs d’invasion par l’Irak du Koweït et de l’Arabie Saoudite. Mais la principale réaffir­mation de cette pression reste, après trois ans d’échecs, le rétablis­sement spectaculaire de la situation améri­caine dans l’ex-Yougoslavie, zone centrale de conflits où la pre­mière puissance impérialiste ne peut se permettre d’être absente.

En fait, la multiplication et l’ampleur grandissante de ces opérations de police ne sont que l’expression d’une fuite en avant dans la militarisation du système capitaliste tout entier et de son enfoncement dans la barba­rie guerrière.


Le mythe que la guerre et la barbarie qui se déchaînent dans l’ex-Yougoslavie depuis quatre ans serait une simple affaire d’affrontements interethniques entre cliques nationalistes locales est démenti de façon cinglante par la réalité.

Le nombre de frappes aériennes contre les positions serbes autour de Sarajevo et des autres « zones de sécurité », près de 3 500 « actions » en douze jours d’une opération baptisée « Deliberate Force », fait de cette opération le plus important engagement mi­litaire de l’OTAN depuis sa création en 1949.

Les grandes puissances sont les vrais responsables du déchaînement de la barbarie

Ce sont les mêmes puissances qui n’ont cessé de pousser depuis quatre ans leurs pions les uns contre les autres sur l’échiquier yougoslave. Il n’y a qu’à remar­quer la composition du « groupe de con­tact » qui prétend chercher les moyens de mettre un terme au conflit : les Etats-Unis, l’Allemagne, la Russie, la Grande-Bretagne et la France, pour constater que c’est tout le gratin des grandes puissances impérialistes de la planète (à l’exception du Japon et de la Chine, trop éloignés du théâtre des opéra­tions) qui y sont représentés.

Comme nous l’avons déjà mis en évidence, « c’est l’Allemagne, en poussant la Slovénie et la Croatie à proclamer leur indépendance vis-à-vis de l’ancienne confédération you­goslave, qui a fait éclater ce pays et joué un rôle primordial dans le déclenchement de la guerre en 1991. Face à cette poussée de l’impérialisme allemand, ce sont les quatre autres puissances qui ont soutenu et encou­ragé le gouvernement de Belgrade à mener une contre-offensive (...) particulièrement meurtrière ». Ce sont « la France et la Grande-Bretagne, sous couvert de l’ONU, qui ont alors envoyé les plus importants contingents de Casques bleus et, sous pré­texte d’empêcher les affrontements, se sont systématiquement employés à assurer le maintien du statu quo en faveur de l’armée serbe. En 1992, c’est “ le gouvernement des Etats-Unis qui s’est prononcé pour l’indépendance de la Bosnie-Herzegovine et a soutenu le secteur musulman de cette province, dans une guerre contre l’armée croate (toujours soutenue par l’Allemagne) et l’armée serbe (soutenue par la Grande-Bretagne, la France et la Russie). En 1994, c’est l’administration de Clinton qui est parvenue à imposer un accord pour la constitution d’une fédération entre la Bos­nie et la Croatie contre la Serbie. A la fin de l’année, c’est sous l’égide de l’ex-président Carter, qu’a été obtenue la signature d’une trêve entre la Bosnie et la Serbie (...) Mais malgré des négociations où l’on a retrouvé tous les différends entre grandes puissances, aucun accord n’a été atteint. Ce qui ne pou­vait être obtenu par la négociation, devait donc l’être par la force militaire. Il est clair que l’invasion d’une partie de la Krajina occidentale par la Croatie, au début du mois de mai, ainsi que la reprise des com­bats en divers points du front ou le déclen­chement au même moment d’une offensive de l’armée bosniaque ont été entreprises avec l’accord et à l’initiative des gouvernements américain et allemand. » ([1] [1]). La réaction du camp adverse n’est pas moins significative de l’engagement des autres puissances.

Nous avons largement développé, dans les colonnes de notre précédente revue (1), le contenu et le sens de la manoeuvre franco-britannique de concert avec les forces serbes qui avaient abouti à la création de la FRR et à l’expédition sur place, sous couleur natio­nale, de troupes de ces deux puissances. Cette manoeuvre, à travers une opération de sabotage des forces de l’OTAN, représentait un cinglant camouflet pour la puissance im­périaliste qui prétend jouer le rôle de gen­darme du monde.

Les Etats-Unis avaient besoin de frapper un grand coup pour rétablir la situation à leur profit. Pour cela, ils ont utilisé les popula­tions civiles avec le même cynisme que leurs adversaires.

Tous ces brigands impérialistes se combat­tent les uns les autres, par cliques slaves in­terposées, et poursuivent, chacun de leur cô­té, la défense de leurs sordides intérêts par­ticuliers, au détriment direct des popula­tions, partout transformées en otages perma­nents, en victimes de leurs règlements de compte.

Ce sont en effet les grandes puissances qui sont les véritables responsables des massa­cres et d’un exode qui, depuis 1991, a pré­cipité plus de 4 millions et demi de réfugiés en de longs cortèges d’hommes , de femmes, de vieillards et d’enfants hagards, démunis, ballottés le long des routes, de zones de combat en zones de combat. Ce sont les grandes puissances capitalistes, à travers leurs sanglantes rivalités impérialistes, qui ont encouragé, chacune de leur côté, les opé­rations de « nettoyage » et de « purification ethnique » pratiquées par les cliques natio­nalistes rivales sur le terrain.

C’est ainsi que la Forpronu, sous l’égide de la France et de la Grande-Bretagne, a donné son aval aux Serbes de Bosnie pour éliminer les poches de Srebrenica et de Zepa en juillet 1995. Tandis que ces deux puissances polarisaient l’attention sur leur « mission de protection » autour de Gorazde et de Sarajevo, la Forpronu prêtait main-forte aux Serbes pour vider les enclaves de leurs oc­cupants. Sans cette aide, l’éjection de tous ces réfugiés n’aurait jamais été possible. De fait, la « protection » ces enclaves par l'ONU avait permis aux Serbes de porter leurs efforts militaires sur des zones de con­frontation plus vitales. Et pour que ces en­claves puissent être récupérées par les forces serbes au moment le plus opportun, l’ONU avait même préalablement désarmé leur po­pulation, bien entendu sous couvert de « sa mission pour la paix ». Le gouvernement bosniaque lui-même s’est fait le complice de ce forfait, démontrant le peu de cas qu’il fai­sait aussi de sa chair à canon, en parquant les populations déplacées à l’intérieur des zones de combat.

La bourgeoisie américaine a recouru aux mêmes méthodes crapuleuses. C’est ainsi que, pour couvrir l’offensive croate en Krajina, les Etats-Unis inondaient au même moment les médias de photos prises par sa­tellite montrant de la terre fraîchement re­muée supposés révéler l’existence de char­niers oeuvre des troupes serbes dans la ré­gion de Srebrenica. Ce sont encore les ima­ges d’horreur venant des obus tirés sur le marché de Sarajevo qui ont justifié la riposte de l’OTAN. Le prétexte de la réponse mili­taire apparaît cousue de fil blanc. Il est en effet peu probable que Karadzic ait été assez fou pour aller s’exposer à des lourdes repré­sailles en tirant des obus sur le marché de Sarajevo qui ont fait 37 morts et une cen­taine de blessés. Quand on sait que ces tirs ont été effectués juste sur la ligne de front séparant les armées serbes et bosniaques (chaque camp a rejeté la responsabilité de ce massacre sur l’autre), on peut supposer qu’il s’agissait d’une « provocation » montée de toutes pièces. Une opération de l’envergure des bombardements de l’OTAN ne s’improvise pas et cela servait trop bien les intérêts de la Maison Blanche. Ce ne serait pas la première fois que la première puis­sance impérialiste mondiale organise une telle mise en scène. Il faut se rappeler, entre autres exemples, que le président Lyndon Johnson avait prétexté l’attaque d’un navire américain par un bateau nord-viêtnamien pour déclencher la guerre du Vietnam. On devait apprendre quelques années plus tard qu’il n’en était rien et que l’opération avait été montée entièrement par le Pentagone. Il est donc tout à fait dans les méthodes de gangsters des grandes puissances de créer de toutes pièces de semblables prétextes pour justifier leurs actions.

A la provocation franco-britannique, dont les prétentions de « trouble fête » arrogants et l’ardeur belliqueuse grandissante, deve­naient de plus en plus intolérables, il s’agissait de répliquer par d’autres manoeu­vres, de tendre d’autres pièges, démontrant une capacité impérialiste supérieure, une véritable suprématie militaire.

Face à son échec et à l’enlisement de la si­tuation en Bosnie depuis trois ans, la bour­geoisie américaine était placée devant la né­cessité de réaffirmer son leadership à l’échelle mondiale.

Il ne pouvait être admissible pour la pre­mière puissance mondiale ayant longtemps misé sur le soutien à la fraction musulmane qui s’est révèlée être la plus faible, d’être mise hors jeu dans un conflit primordial, si­tué sur le sol européen et un des plus cru­ciaux pour affirmer son hégémonie.

Cependant, les Etats-Unis sont confrontés à une difficulté majeure qui souligne la fai­blesse fondamentale de leur situation en Yougoslavie. Le recours à des changements de tactique succsssifs qui s’est traduit par leur soutien à la Serbie en 1991, à la Bosnie en 1992 et à la Croatie en 1994 (sous condi­tion de collaboration de celle-ci avec les for­ces bosniaques) démontre qu’ils ne peuvent disposer d’alliés attitrés dans la région.

Derrière l’offensive croate, l’action conjuguée des Etats-Unis et de l'Allemagne

Dans un première phase, elle s’est retrouvée contrainte, pour sortir de l’impasse et se re­mettre en selle au centre du jeu impérialiste, en conservant un rôle de premier plan, de s’appuyer sur la partie la plus forte, la Croatie et d'abandonner son allié d’hier, la Bosnie. La Maison Blanche a utilisé la fédé­ration croato-musulmane et la confédération de cette dernière avec la Croatie qu’elle avait supervisée au printemps 1994. Leur rôle et l’appui logistique du Pentagone ont été déterminants pour assurer le succès de la « guerre éclair » en trois jours de l’armée croate en Krajina (grâce à la localisation précise par satellite des positions serbes). Les Etats-Unis ont d’ailleurs été les seuls à saluer publiquement le succès de l’offensive croate. Ainsi, l’offensive croate dans la Krajina a-t-elle été préparée à l'avance, or­ganisée et dirigée avec maestria à la fois par l’Allemagne et par les Etats-Unis. Car, pour cela, la bourgeoisie américaine a accepté de pactiser paradoxalement avec le « diable » en s’alliant conjoncturellement avec son plus dangereux grand adversaire impéria­liste, l’Allemagne, en favorisant les intérêts les plus véritablement antagoniques à ceux des Etats-Unis.

La constitution d’une véritable armée croate (100 000 hommes pour  investir la Krajina) a été puissamment aidée par l’Allemagne, qui lui a manifesté un soutien discret mais constant et efficace, notamment à travers la livraison de matériel militaire lourd en pro­venance de l’ex-RDA, via la Hongrie. La re­conquête de la Krajina correspond à un suc­cès et à une avancée indiscutables pour l’Allemagne. Elle permet en priorité à la bourgeoisie germanique de faire un grand pas dans la direction de son objectif straté­gique essentiel : l’accès aux ports dalmates sur toute la côte adriatique qui lui libèrent un débouché en eau profonde vers la Médi­terranée. La libération de la Krajina, et de Knin en particulier, ouvre en même temps à la Croatie et à sa vieille alliée, l’Allemagne un carrefour routier comme ferroviaire, re­liant le sud et le nord de la Dalmatie. La bourgeoisie allemande était de même parti­culièrement intéressée comme la Croatie par l’élimination de la menace serbe pesant sur la poche de Bihac, faisant office de verrou à toute la côte dalmate.

En infligeant une première défaite aux trou­pes serbes ([2] [2]), cette stratégie était fonda­mentalement dirigée contre les « seconds couteaux » français et britanniques.). La FRR s’est ridiculisée et son utilité est appa­rue d’autant plus dérisoire qu’elle s’occupait à percer inutilement une étroite voie d’accès vers Sarajevo pendant que le bulldozer croate abattait le mur serbe dans la Krajina. Coincée sur le mont Igman autour de la pseudo-défense de Sarajevo, elle se retrou­vait non seulement momentanément discré­ditée sur la scène internationale, mais aussi auprès des Serbes eux-mêmes, ce qui ne pouvait profiter qu’à un autre rival, la Rus­sie qui se confirmait ainsi dès lors comme un bien meilleur et plus sûr allié à leurs yeux.

Derrière les frappes anti-serbe, le bras-de-fer des Etats-Unis envers les autres puissances impé­rialistes

Dans une autre étape, la réponse de la bour­geoisie américaine s’inscrivait dans un scé­nario qui rappelle la guerre du Golfe. Tou­jours dirigé contre les positions serbes, le bombardement intensif de l’OTAN réaffir­mait la suprématie américaine en s’adressant encore plus directement à toutes les autres grandes puissances.

Il fallait en particulier mettre un terme à tous les stratagèmes guerriers ([3] [3]) et toutes les manigances diplomatiques avec la Serbie du couple franco-anglais.

Cependant, en passant à la deuxième phase de leur initiative, les Etats-Unis prenaient un nouveau risque de se déconsidérer. Le plan de paix, sur lequel débouchait l’offensive en Krajina apparaissait ouverte­ment comme une « trahison de la cause bosniaque », en consacrant le dépeçage du territoire bosniaque avec l’octroi de 49 % aux conquêtes militaires de la Serbie et 51 % à la confédération croato-musulmane qui relègue de fait avec l’aide germano-américaine le reste de la Bosnie au rang de quasi-protectorat de la Croatie. Ce plan, vé­ritable poignard planté dans le dos par ses alliés, ne pouvait que susciter l’hostilité du président bosniaque Izetbegovic. Alors que l’émissaire américain court-circuitait la France et la Grande-Bretagne, seuls interlo­cuteurs accrédités par la Serbie parmi les puissances occidentales depuis trois ans, en allant négocier directement à Belgrade, c’est avec un culot monstre pour des alliés paten­tés de Milosevic ([4] [4]), que la France et la Grande-Bretagne ont cru pouvoir saisir l’occasion de prendre les Etats-Unis à con­tre-pied en se présentent comme les grands et indéfectibles défenseurs de la cause bos­niaque et de la population assiégée de Sara­jevo ([5] [5]). C’est ainsi que le gouvernement français a tenté de se présenter comme un allié inconditionnel d’Izetbegovic en le rece­vant à Paris. Mais c’était là sauter à pieds joints dans un piège tendu par les Etats-Unis pour donner à ces deux larrons une leçon magistrale. En utilisant le prétexte des obus tirés sur le marché de Sarajevo, les Etats-Unis ont immédiatement mobilisé les forces de l’OTAN et ont mis au pied du mur le couple franco-britannique en lui déclarant en substance très probablement  : « Vous voulez aider les Bosniaques ? Très bien. Nous aussi. Alors vous nous suivez, nous sommes les seuls à avoir les moyens de le faire, nous sommes les seuls à pouvoir imposer un rap­port de force efficace aux Serbes. Nous l’avons déjà prouvé en réalisant en trois jours le dégagement de la poche de Bihac, à travers la reconquête de la Krajina, ce que vous n’avez pu accomplir pendant trois ans. Nous allons le prouver encore en libérant Sarajevo de l’étau serbe, ce que votre FRR n’a pas réussi non plus à faire. Si vous vous dégonflez, si vous ne nous suivez pas, vous démontrerez que vous ne faites que du bluff avec vos rodomontades guerrières, que vous n’êtes que des braillards incapables et vous perdrez tout le crédit qui vous reste encore sur la scène internationale. » Ce chantage ne laissait plus le moindre choix au tandem franco-britannique, que de participer à l’opération en étant contraint de bombarder ses alliés serbes, tout en replaçant la FRR sous le patronage direct de l’OTAN. Tout en évitant l’une et l’autre de causer des pertes importantes ou irréparables à leurs alliés serbes, chacune des deux  puissances réagit alors à sa manière. Alors que la Grande-Bre­tagne se fait discrète, la France, au con­traire, ne peut s’empêcher de continuer à jouer les fiers-à-bras militaristes et cherche désormais à se présenter, en faisant de la surenchère antiserbe verbale, comme le plus résolu partisan de la manière forte, le meilleur lieutenant des Etats-Unis et le plus fidèle comme indispensable allié de la Bosnie. Cette forfanterie qui va même jusqu’à se targuer d’être l’artisan essentiel du « plan de paix » ne change rien au fait que le gouvernement français s’est fait pro­prement « moucher » et a dû rentrer dans le rang.

De fait, pour cette deuxième partie de l’opération, les Etats-Unis ont agi pour leur propre compte en contraignant tous ses con­currents impérialistes à se plier à leur vo­lonté. Si l’aviation germanique a participé pour la première fois à une action de l’OTAN, c’est sans enthousiasme et en fai­sant grise mine. Placée devant le fait ac­compli du cavalier seul américain, la bour­geoisie allemande ne pouvait que suivre une action qui ne servait en rien ses projets. De même, la Russie, principal soutien des Ser­bes, malgré ses bruyants renâclements et ses gesticulations (saisie du conseil de sécurité de l’ONU) face à la poursuite des bombar­dements de l’OTAN apparaît comme im­puissante face à la situation qui lui est im­posée.

A travers cette entreprise, les Etats-Unis ont marqué un point important. Ils sont parvenus à réaffirmer leur suprématie impérialiste en affichant leur supériorité militaire écrasante. Ils ont montré une fois de plus que la force de leur diplomatie reposait sur la force de leurs armes. Ils ont démontré qu’ils étaient les seuls à pouvoir imposer une véritable négociation parce qu’ils étaient capables de mettre sur la balance des tractations la me­nace de leurs armes, avec un impressionnant arsenal guerrier derrière eux.

Ce que confirme cette situation, c’est que, dans la logique de l’impérialisme, la seule force réelle se trouve sur le terrain militaire. Quand le gendarme intervient, il ne peut le faire qu’en frappant encore plus fort que les autres puissances impérialistes ne peuvent le faire.

Cependant, cette offensive se heurte à plu­sieurs obstacles et la force de frappe de l’OTAN n’apparaît plus que comme une pâle réplique de la guerre du Golfe.

- L’efficacité des raids aériens ne peut être que limitée et a permis aux troupes serbes d’enterrer sans trop de dommages la ma­jeure partie de leur artillerie. Dans la guerre moderne, l'aviation est une arme décisive, mais elle ne peut permettre, à elle seule, de gagner la guerre. L'utilisation des blindés et de l'infanterie reste indis­pensable.

- La stratégie américaine elle-même est limi­tée : les Etats-Unis ne sont nullement inté­ressés à anéantir les forces serbes en leur livrant une guerre totale, dans la mesure où elle entend préserver le potentiel mili­taire de la Serbie pour pouvoir l’utiliser et se retourner ultérieurement contre la Croatie, dans l’optique de son antagonisme fondamental avec l’Allemagne. De plus, une guerre à outrance contre la Serbie comporterait le risque d’envenimer les frictions avec la Russie et de compromettre leur alliance privilégiée avec le gouverne­ment d’Eltsine.

Ces limites favorisent les manoeuvres de sa­botage des « alliés » contraints et forcés de marcher dans les raids américains, manoeu­vres qui se révèlent quatre jours à peine après l’accord de Genève, qui aurait dû constituer le couronnement de l’habilité di­plomatique américaine.

D’une part, la bourgeoisie française s'est re­trouvée en première ligne de ceux qui de­mandaient l’arrêt des bombardements de l’OTAN « pour permettre l’évacuation des armes lourdes par les Serbes », alors que l’ultimatum américain exige précisément l’inverse : l’arrêt des bombardements con­ditionné par le retrait des armes lourdes des abords immédiats de Sarajevo. D’autre part, alors que les Etats-Unis cherchaient à passer à un degré plus élevé de pression sur les Serbes de Bosnie en bombardant le quartier général de Karadzic à Pale, c’est la Forpronu qui lui a mis des bâtons dans les roues en manifestant des états d’âme et en s’opposant au déclenchement de bombarde­ment prenant pour cible des « objectifs ci­vils » ([6] [6]).

L’accord de Genève signé le 8 septembre par les belligérants, sous l’égide de la bour­geoisie américaine et en présence de tous les membres du « groupe de contact », ne constitue donc nullement un « premier pas vers la paix », contrairement à ce que pro­clamait le diplomate américain Holbrooke. Il ne fait que sanctionner un moment d’un rapport de forces qui, de fait, constitue un pas supplémentaire vers le déchaînement d’une barbarie dont les populations locales vont faire atrocement les frais. Ce sont elles qui paient la note de l’opération par de nou­veaux massacres.

Comme lors de la guerre du Golfe, les mé­dias osent nous parler cyniquement de guerre propre, de « frappes chirurgicales ». Odieux mensonges ! Il faudra des mois ou des années pour lever un coin du voile sur l’ampleur et l’horreur que représentent pour la population ces nouveaux massacres perpé­trés par les nations les plus « démocratiques » et « civilisées ».

Dans leur affrontement, chaque grande puis­sance alimente aussi crapuleusement l’une que l’autre sa propagande belliciste sur la Yougoslavie En Allemagne, de virulentes campagnes anti-serbe sont organisées évo­quant les atrocités commises par les parti­sans tchechniks. En France, au milieu d’une odieuse campagne belliciste à géométrie va­riable, et ailleurs, selon le camp soutenu, tantôt on ne perd pas jamais une occasion de rappeler le rôle joué par les « oustachis » croates aux côtés des forces nazies dans la seconde guerre mondiale, tantôt on évoque la folie sanguinaire des Serbes de Bosnie ou tantôt on vilipende le fanatisme musulman des combattants bosniaques..

L’hypocrite concert international des pleu­reuses et des intellectuels de tout poil qui n’ont cessé de jouer de la corde humanitaire pour réclamer « des armes pour la Bosnie » ne sert qu’à faire avaliser dans la population occidentale la politique impérialiste de leur bourgeoisie nationale. Ce sont ces laquais de la bourgeoisie qui peuvent maintenant se féliciter à travers les bombardements de l’OTAN « d’ajouter la paix à la guerre », selon l’expression du mitterrandien amiral Sanguinetti. Venant renforcer les campagnes médiatiques montrant à la une les images des carnages les plus horribles dans la popu­lation civile, ces bonnes âmes volant au se­cours de la veuve et de l’orphelin ne sont que de vulgaires sergents-recruteurs pour la guerre. Ce sont les plus dangereux rabat­teurs de la bourgeoisie. Ils sont de la même espèce que les antifascistes de 1936 qui en­rôlaient les ouvriers pour la guerre d’Espagne. L’histoire a démontré leur fonc­tion réelle : celle de pourvoyeurs de chair à canon dans la préparation de la guerre im­périaliste.

Une expression de l’enfoncement du capitalisme dans sa décomposition

La situation actuelle est devenue un vérita­ble détonateur qui risque de mettre le feu aux poudres dans les Balkans.

Jamais, avec l’intervention de l’OTAN, l’accumulation et la concentration d’engins de mort n’ont été aussi impressionnantes sur le sol yougoslave.

La nouvelle perspective est celle d’un af­frontement direct des armées serbes et croa­tes et plus seulement de milices formées de bric et de broc.

La poursuite des opérations militaires par les armées croates, bosniaques et serbes le prouve déjà, l’accord de Genève comme ses conséquences ne font qu’aviver et relancer les tensions entre les belligérants qui enten­dent chacun modifier la nouvelle donne à leur profit, en particulier :

- alors que les bombardements massifs et meurtriers de l’OTAN visaient à réduire les ambitions des forces serbes, celles-ci vont chercher à résister au recul qu’elles ont subi et se préparent à disputer de plus belle le sort non réglé des enclaves de Sarajevo, de Gorazde ou du corridor de Brcko ;

- les nationalistes croates, encouragés par leurs succès militaires antérieurs et pous­sés par l’Allemagne, ne peuvent que cher­cher à affirmer leurs visées pour re­con­quérir la riche Slavonie orientale, région située au contact de la Serbie ;

- les forces bosniaques vont tout faire pour ne pas être les laissés pour compte du « plan de paix » et poursuivre leur offen­sive en cours dans le nord de la Bosnie vers la région serbe de Banja Luka.

L’afflux de réfugiés de toutes sortes consti­tue un risque majeur d’entraîner d’autres régions, comme surtout le Kosovo ou la Ma­cédoine, dans l’embrasement guerrier mais aussi d’autres nations sur le sol européen, de l’Albanie à la Roumanie, en passant par la Hongrie.

Par effet de « boule de neige », la situation est porteuse d’une implica­tion impérialiste plus importante des grandes puissances eu­ropéennes, y compris de la part de voisins d’une importance stratégiques majeure, comme surtout la Turquie et l’Italie ([7] [7]).

La France et la Grande-Bretagne, puissances réduites à jouer pour l’heure les mouches du coche, ne peuvent que multiplier les tentati­ves pour mettre des bâtons dans les roues des autres protagonistes, en particulier vis-à-vis des Etats-Unis ([8] [8]).

C’est un nouveau cran qui est franchi dans l’escalade de la barbarie. Loin de s’orienter vers un règlement du conflit, ce sont au con­traire vers des désordres de plus en plus guerriers et sanglants que se dirige l’ex-Yougoslavie, sous l’action « musclée » des grandes puissances. Tous ces éléments con­firment la prépondérance et l’accélération de la dynamique du « chacun pour soi » à l’oeuvre depuis la dissolution des blocs im­périalistes et ils traduisent en même temps une accélération de la dynamique impéria­liste et une fuite en avant dans l’aventure guerrière.

La prolifération, le développement multi­forme de toutes ces entreprises guerrières est le pur produit de la décomposition du capitalisme, comme les métastases d’un cancer généralisé qui gangrène d’abord les organes les plus faibles de la société, là où le prolétariat n’a pas de moyens suffisants pour s’opposer au déchaînement du nationa­lisme le plus abject et hystérique. La bour­geoisie des pays avancés cherche à profiter de l’imbroglio yougoslave, de la brume « humanitaire » dans laquelle elle enrobe son implication pour distiller une atmo­sphère d'union sacrée. Pour la classe ou­vrière, il doit être clair qu’il n’y a pas à choisir, ni se laisser entraîner sur ce terrain pourri.

La prise de conscience par les prolétaires des pays centraux de la responsabilité pri­mordiale des grandes puissances, de leur propre bourgeoisie dans le déchaînement de cette barbarie guerrière, qu’il s’agit d’un règlement de compte entre brigands impé­rialistes est une condition indispensable pour comprendre leurs propres responsabili­tés historiques. C’est bien parce que c’est la même bourgeoisie qui, d’un côté, pousse les populations à s’exterminer entre elles, et qui, de l’autre, précipite la classe ouvrière vers le chômage, la misère ou un seuil d’exploitation insupportable, que seul le dé­veloppement des luttes ouvrières sur leur propre terrain de classe, sur le terrain de l’internationalisme prolétarien peut en même temps s’opposer aux attaques de la bourgeoisie et à ses menées guerrières.

CB, 14 septembre 95.



[1] [9]. Voir Revue Internationale n° 82, 3e trimestre 1995, l’article « Plus les grandes puissances parlent de paix, plus elles sèment la guerre ».

 

[2] [10]. Milosevic a préféré laisser l’armée croate investir la Krajina sans réagir pour pouvoir tenter de mar­chander avec les Etats-Unis l’enclave de Gorazde et surtout négocier la levée des sanctions économi­ques qui pèsent sur Belgrade.

 

[3] [11]. Outre le simulacre de « kidnapping » de soldats et d’observateurs de l’ONU, opération montée début juin par la France et la Grande-Bretagne avec la Serbie, il faut interpréter le bombardement français sur Pale, fief des Serbes de Bosnie, en juillet comme des représailles bidon pour masquer l’action réelle de la FRR, quand on sait que ce bombardement ne visait aucun objectif stratégique et ne gênait nulle­ment les opérations militaires de la Serbie. Au contraire, il devenait un prétexte justifiant le coup de force serbe sur les enclaves de Srebrenica et de Zepa.

 

[4] [12]. Le couple franco-britannique s’est trouvé aux cô­tés de Milosevic pour tenter d’exploiter les dissen­sions qui sont apparues dans le camp des Serbes de Bosnie : leur soutien ouvert au général Mladic face au  « président » Karadzic et la pression qu’ils ont exercée sur celui-ci n’avait pas d’autre sens que de lui signifier que les véritables adversaires de la Serbie n’étaient plus les Bosniaques mais les Croa­tes.

 

[5] [13]. Fait édifiant : c’est un journal anglais, le Times qui a dévoilé, lors de la Conférence de Londres, l’existence du fameux croquis du Croate Tudjman partageant le territoire bosniaque entre la Serbie et la Croatie, excitant ainsi la fureur du camp bosniaque.

 

[6] [14]. Comme le notait Le Monde du 14 septembre, avec de délicats euphémismes : « Les forces de l’ONU, composées essentiellement de troupes françaises, ont le sensation, jour après jour, que les opérations leur échappent au profit de l’OTAN. L’Alliance atlantique mène , certes, des raids aériens sur des cibles déterminées conjointement avc l’ONU. Mais les détails des opérations sont planifiés par les bases de l’OTAN en Italie et par le Pentagone. L’utilisation, dimanche dernier, de missiles Tomahawk contre des installations serbes, dans la région de Banja Luka (sans passer par une consultation préalable de l’ONU ni des autres gouvernements des puissances associées aux raids, NDLR) n’a fait que renforcer ces craintes. »

[7] [15] Il est particulièrement significatif de voir l’Italie réclamer une part plus importante dans la gestion du conflit bosniaque et refuser d’accueillir sur son territoire où sont installées les bases de l’OTAN les bombardiers furtifs F-117 américains pour protester contre sa mise à l’écart du « groupe de contact » et des instances décisionnelles de l’OTAN.

 

[8] [16] En tout premier lieu, pour être capable de riposter à l’offensive américaine au niveau requis, sous peine d’être évincé de cette région, le couple actuel franco-britannique ne peut qu’être poussé dans cet engre­nage guerrier, à renforcer son engagement militaire dans le conflit.

 

 

Géographique: 

  • Europe [17]

Questions théoriques: 

  • Décomposition [18]
  • Impérialisme [19]

50 ans après : Hiroshima, Nagasaki, ou les mensonges de la bourgeoisie

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  • Avec le cinquantième anniversaire des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki, la bourgeoisie franchit un nouveau som­met dans le cynisme et le mensonge. Car ce summum de la barbarie ne fut pas perpétré par un dictateur ou un fou sanguinaire, mais par la « très ver­tueuse démocratie » américaine. Pour justifier ce crime monstrueux, l’ensemble de la bourgeoisie mondiale a répété sans vergogne le mensonge col­porté à l’époque de ces sinistres évènements, selon lequel la bombe at­omique n’aurait été utilisée que pour abréger et limiter les souffrances causées par la poursuite de la guerre avec le Japon. La bourgeoisie améri­caine a même récemment poussé le cynisme jusqu’à vouloir faire éditer un timbre anniversaire ainsi légendé : « les bombes atomiques ont accéléré la fin de la guerre. Août 1945 ». Même si au Japon cet anniversaire fut une occasion supplémentaire pour marquer l’opposi­tion croissante à l’ex-parrain US, le premier ministre a cependant apporté sa contribution précieuse au mensonge de la nécessité de la bombe pour que triomphent la paix et la démocratie, en présentant et ce, pour la première fois, les excuses du Japon pour les crimes commis durant la seconde guerre mon­diale. Ainsi, vainqueurs et vaincus se retrouvent unis pour développer cette campagne répugnante visant à justifier un des plus grands crimes de l’histoire.   

LA JUSTIFICATION D’HIROSHIMA ET NAGASAKI : UN GROSSIER MENSONGE

 Les deux bombes atomiques lâchées sur le Japon en août 1945 firent, au total, 522 000 victimes. De nombreux cancers du poumon et de la thyroïde ne se déclarèrent que dans les années 1950 et 1960 et, aujourd’hui, les effets de l’irradiation continuent encore de faire des victimes : les leucémies sont dix fois plus nombreuses à Hiroshima que dans le reste du Japon ! 

Pour justifier un tel crime et répondre au choc légitime provoqué par l’horreur des ef­fets de la bombe, Truman, le président américain qui ordonna l’holocauste nu­cléaire, ainsi que son complice Winston Churchill répandirent une fable aussi cynique que mensongère. A les en croire, l’emploi de l’arme atomique aurait épargné la vie d’environ un million de vies hu­maines, pertes qu’aurait selon eux néces­sairement entraîné l’invasion du Japon par les troupes US. En somme, malgré les ap­parences, les bombes qui ont ravagé Hiroshima et Nagasaki et qui continuent en­core cinquante ans après à dispenser la mort, seraient des bombes pacifistes ! Or, ce men­songe particulièrement odieux est totalement démenti par de nombreuses études histori­ques émanant de la bourgeoisie elle-même.

Lorsqu’on examine la situation militaire du Japon au moment où l’Allemagne capitule, on constate que celui-ci est déjà totalement vaincu. L’aviation, arme essentielle de la seconde guerre mondiale, y est exsangue, réduite à un petit nombre d’appareils généralement pilotés par une poignée d’adolescents aussi fanatisés qu’inexpérimentés. La marine, tant mar­chande que militaire, est pratiquement détruite. La défense antiaérienne n’est plus qu’une gigantesque passoire, ce qui expli­que que les B 29 US aient pu se livrer à des milliers de raids durant tout le printemps 1945 sans pratiquement essuyer de pertes. Et cela, c’est Churchill lui-même qui le souligne dans le tome 12 de ses mémoires ! 

 Une étude des services secrets US de 1945, publiée par le New York Times en 1989, révèle quant à elle que : « Conscient de la défaite, l’empereur du Japon avait décidé dès le 20 juin 1945 de cesser toute hostilité et d’entamer à partir du 11 juillet des pour­parlers en vue de la cessation des hos­tilités »[1] [20]. 

Or, bien que parfaitement au courant de cette réalité, Truman, après avoir été in­formé du succès du premier tir expérimental nucléaire dans les sables du désert du nou­veau Mexique en Juillet 1945[2] [21], et ce au moment même où se tient la conférence de Potsdam entre lui-même, Churchill et Staline[3] [22], décide alors d’utiliser l’arme at­omique contre les villes japonaises. Qu’une telle décision ne soit en aucune façon mo­tivée par la volonté de précipiter la fin de la guerre avec le Japon est également attesté par une conversation entre le physicien Léo Szilard, l’un des pères de la bombe, et le se­crétaire d’Etat américain, J. Byrnes. A Szilard qui s’inquiétait des dangers de l’utilisation de l’arme atomique, J. Byrnes répond qu’il « ne prétendait pas qu’il était nécessaire d’utiliser la bombe pour gagner la guerre. Son idée était que la possession et l’utilisation de la bombe rendraient la Russie plus contrôlable ».1

Et s’il était encore besoin d’une argumenta­tion supplémentaire, laissons parler certains des plus hauts dirigeants de l’armée améri­caine elle-même. Pour l’amiral W. Leahy, chef d’état major, « Les japonais étaient déjà battus et prêts à capituler. L’usage de cette arme barbare n’a apporté aucune contribution matérielle à notre combat contre le Japon. »1 C'est un avis que partageait aussi Eisenhower.

La thèse de l’utilisation de l’arme atomique pour forcer le Japon à capituler et stopper la boucherie ne correspond à aucune réalité. C’est un mensonge forgé de toutes pièces pour les besoins de la propagande guerrière de la bourgeoisie, un des fleurons du gigan­tesque bourrage de crâne qu’a nécessité la justification idéologique de ce plus grand massacre de l’histoire que fut la guerre de 1939-45, de même que la préparation idéologique de la guerre froide. 

Et il convient de souligner que, quels que soient les états d’âme de certains membres de la classe dominante, devant l’utilisation de cette arme terrifiante qu’est la bombe nucléaire, la décision du président Truman, est tout sauf celle d’un fou ou d’un individu isolé. Elle est au contraire l’expression d’une logique implacable, celle de l’impérialisme, celle de tous les impérialis­mes, et cette logique signifie la mort et la destruction de l’humanité pour que survive une classe, la bourgeoisie, confrontée à la crise historique de son système d’exploitation et à sa décadence irréversible. 

L’OBJECTIF RÉEL DES BOMBES D’HIROSHIMA ET NAGASAKI 

A l’opposé des tombereaux de mensonges colportés depuis 1945 sur la prétendue vic­toire de la Démocratie synonyme de paix, la seconde boucherie mondiale est à peine terminée que se dessine déjà la nouvelle ligne d’affrontement impérialiste qui va en­sanglanter la planète. De la même façon que dans le traité de Versailles de 1919 était in­scrite l’inéluctabilité d’une nouvelle guerre mondiale, Yalta contenait la fracture im­périaliste majeure entre le grand vainqueur de 1945, les Etats-Unis, et son challenger russe. Puissance économique mineure, la Russie peut accéder, grâce à la seconde guerre mondiale, à un rang impérialiste de dimension mondiale, ce qui ne peut que menacer la super puissance américaine. Dès le printemps 1945, l’URSS utilise sa force militaire pour se constituer un bloc dans l’Est de l’Europe. Yalta n’avait fait que sanctionner le rapport de forces existant en­tre les principaux requins impérialistes qui étaient sortis vainqueurs du plus grand car­nage de l’histoire. Ce qu’un rapport de forces avait instauré, un autre pouvait le défaire. Ainsi, à l’été 1945, la véritable ques­tion qui se pose à l’Etat américain n’est pas de faire capituler le Japon le plus vite pos­sible comme on nous l’enseigne dans les manuels scolaires, mais bien de s’opposer et de contenir la poussée impérial­iste du « grand allié russe » ! 

W. Churchill, le véritable dirigeant de la seconde guerre mondiale, du côté des« Alliés », a pris très vite la mesure du nouveau front en train de s’ouvrir et va ex­horter sans relâche les Etats-Unis à y faire face. Il écrit dans ses mémoires : « Plus une guerre menée par une coalition approche de sa fin, plus les aspects politiques prennent d’importance. A Washington surtout on aurait du voir plus grand et plus loin... La destruction de la puissance militaire de l’Allemagne avait provoqué une transfor­mation radicale des rapports entre la Russie communiste et les démocraties occidentales. Elles avaient perdu l’ennemi commun qui était à peu près leur seul trait d’union. » Et il en conclut que : « la Russie soviétique était devenue un danger mortel pour le monde libre, qu’il fallait créer sans retard un nouveau front pour arrêter sa marche en avant et qu’en Europe ce front devait se trouver le plus à l’Est possible »[4] [23]. On ne saurait être plus clair : par ces mots, Churchill analyse fort lucidement que, alors que la seconde guerre mondiale n’est pas encore terminée, une nouvelle guerre est d’ores et déjà en train de commencer ! 

Dès le printemps 1945, Churchill fait tout pour s’opposer aux avancées de l’armée russe en Europe de l'est (en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Yougoslavie, etc.). Il cherche avec obstination à faire adhérer à ses vues le nouveau président américain, Truman, lequel, après certaines hésitations[5] [24] se ralliera pleinement à la thèse de Churchill selon laquelle « la menace so­viétique avait déjà remplacé l’ennemi nazi » (Ibid.). 

On comprend dès lors aisément le total soutien que Churchill et son gouvernement unanime apportèrent à la décision de Truman de faire procéder à des bombarde­ments atomiques sur les villes japonaises. Churchill écrivait le 22 Juillet 1945 : « [avec la bombe] nous avons désormais en mains quelque chose qui rétablira l’équilibre avec les russes. Le secret de cet explosif et la ca­pacité de l’utiliser modifieront complète­ment l’équilibre diplomatique qui était à la dérive depuis la défaite de l’Allemagne ». Que cela entraîne la mort, dans d’atroces souffrances, de centaines de milliers d’êtres humains laissait de marbre ce « grand défenseur du monde libre », ce « sauveur de la démocratie ». Lorsqu’il apprit la nouvelle de l’explosion d’Hiroshima, il... sauta de joie et l’un de ses conseillers, Lord Alan Brooke, précise même : « Churchill fut en­thousiaste et se voyait déjà en mesure d’éliminer tous les centres industriels de la Russie et toutes les zones à forte concentra­tion de population »[6] [25]. Voilà ce que pen­sait ce défenseur de la civilisation et des ir­remplaçables valeurs humanistes à l’issue d’une boucherie ayant fait 50 millions de morts ! 

L’holocauste nucléaire qui s’est abattu sur le Japon en août 1945, cette manifestation ter­rifiante de la barbarie absolue qu’est de­venue la guerre dans la décadence du capi­talisme, ne fut donc en aucune façon per­pétrée par la « blanche démocratie » améri­caine pour limiter les souffrances dues à la poursuite de la guerre avec le Japon, pas plus qu’elle ne correspondait à un besoin militaire. Son véritable objectif était d’adresser un message de terreur à l’URSS pour forcer cette dernière à limiter ses prétentions impérialistes et à accepter les conditions de la « pax americana ». Plus concrètement, il fallait immédiatement sig­nifier à l'URSS qui, conformément aux ac­cords de Yalta, déclarait au même moment la guerre au Japon, qu'il était hors de ques­tion pour elle de tenter de participer à l'occupation de ce pays, contrairement au cas de l'Allemagne. Et c’est pour que ce mes­sage soit suffisamment fort que l’Etat américain lança une deuxième bombe contre une ville d’importance mineure sur le plan militaire, à savoir Nagasaki, où l’explosion anéantit le principal quartier ouvrier ! C’est aussi la raison du refus de Truman de se ranger à l’avis de certains de ses conseillers pour lesquels l’explosion d’une bombe nu­cléaire sur une zone peu peuplée du Japon eut été amplement suffisante pour amener le Japon à capituler. Non, dans la logique meurtrière de l’impérialisme, la vitrification nucléaire de deux villes était nécessaire pour intimider Staline, pour rabattre les ambitions impérialistes de l’ex-allié so­viétique. 

LES LECONS DE CES TERRIBLES EVENEMENTS 

Quelles leçons la classe ouvrière doit-elle tirer de cette terrible tragédie et de sa répugnante utilisation par la bourgeoisie ?  

En premier lieu, que ce déchaînement inouï de la barbarie capitaliste est tout sauf une fatalité, dont l’humanité serait la victime impuissante. L’organisation scientifique d’un tel carnage n’a été possible que parce que le prolétariat était vaincu à l’échelle mondiale par la contre-révolution la plus terrible et la plus implacable de toute son histoire. Brisé par la terreur stalinienne et fasciste, totalement déboussolé par l’énorme et monstrueux mensonge identifiant sta­linisme et communisme, il s’est laissé fi­nalement embrigader dans le piège mortel de la défense de la démocratie avec la complicité aussi active qu’irremplaçable des staliniens. Cela jusqu’à finir transformé en une gigantesque masse de chair à canon que la bourgeoisie pouvait utiliser à merci. Aujourd’hui, quelles que soient les dif­ficultés que connaît le prolétariat pour ap­profondir son combat, la situation est tout autre. Dans les grandes concentrations prolétariennes, ce qui est à l'ordre du jour, en effet, ce n'est pas, comme au cours des années 30, l’union sacrée avec les exploi­teurs, mais bel et bien l’élargissement et l’approfondissement de la lutte de classe. 

A l’opposé du grand mensonge développé jusqu’à l’écoeurement par la bourgeoisie, lequel présente la guerre inter-impérialiste de 1939-45 comme une guerre entre deux « systèmes », l’un fasciste, l’autre démocra­tique, les cinquante millions de victimes de cet immense carnage ne sont autres que celles du système capitaliste comme un tout. La barbarie, les crimes contre l’humanité n’ont pas été l’apanage du seul camp fas­ciste. Les prétendus « défenseurs de la civi­lisation » rassemblés sous la bannière de la Démocratie, à savoir nos fameux « Alliés » ont les mains tout aussi souillées de sang que celles des « puissances de l’Axe » et le déchaînement du feu nucléaire en août 1945, même s’il est particulièrement atroce, n’est qu’un des nombreux crimes perpétrés tout au long de la guerre par ces « chevaliers blancs de la démocratie »[7] [26]. 

L’horreur d’Hiroshima signifie aussi le début d’une nouvelle période dans l’enfoncement du capitalisme dans sa déca­dence. Elle exprime que désormais la guerre permanente est devenue le mode de vie quotidien du capitalisme. Si le traité de Versailles annonçait la prochaine guerre mondiale, la bombe sur Hiroshima marquait, quant à elle, le réel début de ce qu’on a ap­pelé « la guerre froide » mettant aux prises l’URSS et les Etats-Unis et qui allait en­sanglanter les quatre coins de la planète pendant plus de 40 ans. C’est pourquoi les lendemains de 1945, contrairement aux an­nées qui suivirent 1918, ne voient aucun désarmement mais au contraire un accrois­sement gigantesque des dépenses d’armement chez tous les vainqueurs du conflit (dès 1949, l’URSS se dote de sa première bombe atomique). Dans ce cadre, l’ensemble de l’économie, sous la houlette du capitalisme d’Etat - quelles que soient les formes revêtues par ce dernier - est mise au service de la guerre. Et contrairement, là aussi, à la période qui suit la fin du premier conflit mondial le capitalisme d’Etat ne va cesser partout de se renforcer et d’exercer son emprise totalitaire sur l’ensemble de la société. Seul l’Etat peut en effet mobiliser les gigantesques ressources nécessaires pour notamment développer l’arsenal nucléaire. Ainsi le projet Manhattan ne fut que le premier d’une longue et funeste série condu­isant à la plus folle et gigantesque course aux armements de l’histoire. 

Loin de sanctionner l’avènement d’une ère de paix, 1945 ouvre au contraire une période de barbarie exacerbée par la menace con­stante d’une destruction nucléaire de la planète. Si Hiroshima et Nagasaki hantent toujours aujourd’hui la mémoire de l’humanité, c’est parce qu’ils symbolisent, ô combien tragiquement, comment et en quoi, la survie du capitalisme décadent menace directement jusqu’à la survie même de l’espèce humaine. 

Cette terrible épée de Damoclès suspendue sur la tête de l’humanité confère donc au prolétariat, seule force capable de s’opposer réellement à la barbarie guerrière du capital­isme, une immense responsabilité. Car, bien que cette menace se soit momentanément éloignée avec la fin des blocs russe et américain, cette responsabilité reste entière et le prolétariat ne doit en aucune façon baisser la garde. En effet, la guerre n’a ja­mais été aussi présente qu’aujourd’hui, que ce soit en Afrique, en Asie, aux confins de l’ex-URSS ou à travers le conflit sanglant qui en déchirant la Yougoslavie porte la guerre en Europe, et, ce, pour la première fois depuis 1945[8] [27] ! Et il n’est que de con­stater l’acharnement de la bourgeoisie à justifier l’emploi de la bombe en août 1945 pour comprendre que lorsqu’un Clinton déclare « si c’était à refaire, nous le referi­ons »[9] [28], il n’exprime ici rien d’autre que le sentiment de l’ensemble de sa classe. Derrière les dis­cours hypocrites sur le dan­ger de la pro­lifération nucléaire, chaque Etat met tout en oeuvre, qui, pour se doter d’un tel arsenal, qui, pour perfectionner l’arsenal existant. Plus encore, les recher­ches en vue d’une miniaturisation de l’arme atomique et donc de la banalisation de son usage, ne cessent de se multiplier. Pour preuve cet extrait d’un article paru dans Libération du 5 août 1995 : « Les réflexions des états-majors occidentaux autour de la riposte "du fort au fou" remettent en selle l’idée d’un usage tactique, limité du nu­cléaire. Après Hiroshima, le passage à l’acte devenait tabou. Après la guerre froi­de, l’absolu du tabou vacille. » 

L’horreur de l’utilisation de l’arme nu­cléaire n’appartient donc pas à un passé révolu, mais représente au contraire, si le prolétariat laissait faire, le futur que réserve le capitalisme en décomposition à l’humanité. La décomposition ne supprime ni n’atténue l’omniprésence de la guerre. Elle ne fait que rendre son danger plus incontrôlable de par le chaos et le « tous con­tre tous » que génère la décomposition. Partout déjà on voit les grandes puissances impérialistes attiser le chaos pour défendre leurs sordides intérêts impérialistes, et l’on peut être sûr que si la classe ouvrière ne s’oppose pas à leurs actions criminelles, elles n’hésiteront pas à utiliser toutes les armes dont elles disposent, des bombes à fragmentation (elles ont été largement em­ployées contre l’Irak) aux armes chimiques et nucléaires. Face à la seule perspective qu’offre le capitalisme en décomposition, celle de la destruction morceau par morceau de la planète et de ses habitants, le prolétariat ne doit céder ni à l’appel des sirènes du pacifisme, ni à celles de la défense de la démocratie au nom de laquelle furent vitrifiées les villes d’Hiroshima et de Nagasaki. Il doit au contraire rester ferme­ment sur son terrain de classe : celui de la lutte contre le système d’exploitation et de mort qu’est le capitalisme. Du spectacle des horreurs, des atrocités présentes et passées que les médias étalent aujourd'hui complais­amment, qu'il provienne des images d'archives de la guerre mondiale ou de celles tirées des conflits actuels, le classe ouvrière ne doit pas tirer un sentiment d'impuissance. C'est ce que veulent justement la bourgeoi­sie avec cet étalage : terroriser les prolétaires, leur communiquer l'idée qu'ils ne peuvent rien faire à cela, que l'Etat capi­taliste, avec ses énormes moyens de de­struction, est de toutes façons le plus fort, que lui seul peut apporter la paix puis­qu'aussi bien il commande à la guerre. Tout au contraire, le tableau de la barbarie que déchaîne le capitalisme doit servir à la classe ouvrière pour renforcer, dans ses lut­tes, sa conscience et sa volonté d'en finir avec ce système. 

RN, 24 août 95.

[1] [29] Le Monde Diplomatique, août 1990.

[2] [30] Pour la mise au point de la bombe atomique, l’Etat américain a mobilisé toutes les ressources de la science et les a mises au  service de l’armée. Deux  milliards de dollars de l'époque furent consacrés au projet « Manhattan » mis sur pied par ce grand hu­maniste qu'était Roosevelt. Toutes les universités du pays apportèrent leur concours. Y participèrent di­rectement ou indirectement les plus grands physi­ciens, de Einstein à Oppenheimer. Six prix Nobel travaillèrent à l’élaboration de la bombe. Cette gi­gantesque  mobilisation de toutes les ressources scientifiques pour la guerre exprime un trait général de la décadence du capitalisme. Le capitalisme d’Etat, qu’il soit ouvertement totalitaire ou qu’il revête les oripeaux démocratiques, colonise et mili­tarise toute la science. Sous son règne, cette dernière ne se développe et ne vit que par et pour la guerre. Depuis 1945, cette réalité n’a cessé de s’exacerber.

[3] [31] Cette conférence avait pour but essentiel, notam­ment pour Churchill, qui en fut le véritable initi­ateur, de signifier à l’URSS de Staline qu’elle devait réfréner ses ambitions impérialistes et qu’il y avait des limites à ne pas franchir.

[4] [32]  Mémoires, Tome 12, Mai 1945.

[5] [33] Pendant tout le printemps 1945, Churchill ne cesse de tempêter face à ce qu’il appelle la mollesse américaine devant le grignotage de tout l’Est de l’Europe par les troupes russes. Si cette hésitation du gouvernement US à s’opposer frontalement aux ap­pétits impérialistes de l’Etat russe traduit la relative inexpérience de la bourgeoisie américaine dans ses nouveaux habits de superpuissance mondiale, alors que la bourgeoisie britannique disposait sur ce plan d’une expérience séculaire, elle est aussi l’expression d’arrière-pensées pas très amicales à l’égard du « frère » britannique. Le fait que la Grande-Bretagne sorte très affaiblie de la guerre et que ses positions en Europe soient menacées par « l’ours russe » ne peut que la rendre plus docile face aux diktats que l’Oncle Sam ne vas pas tarder à imposer, y compris à ses plus proches alliés. C’est un exemple supplémentaire des rapports « francs et harmo­nieux » régnant entre les différents requins impérial­istes.

[6] [34] Le Monde Diplomatique, août 1990.

[7] [35] Voir Revue internationale n° 66, « Les crimes des grandes démocraties ».

[8] [36] Au lendemain de 1945, la bourgeoisie a présenté la « guerre froide » comme une guerre entre deux systèmes de nature différentes : la démocratie face au communisme totalitaire. Par ce mensonge, elle continuait à gravement déboussoler la classe ou­vrière tout en dissimulant la nature classiquement et sordidement impérialiste de la nouvelle guerre op­posant les alliés d’hier. D’une certaine façon, elle a refait le coup en 1989 en clamant qu’avec la « chute du communisme » la paix allait enfin pouvoir régner. Or, depuis lors, du Golfe à la Yougoslavie, on a vu ce que valait cette promesse des Bush, Gorbatchev et consorts.

[9] [37] Libération, 11 avril 1995.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Géographique: 

  • Japon [38]

Questions théoriques: 

  • Guerre [39]

FRIEDRICH ENGELS : il y a cent ans disparaissait un « grand forgeron du socialisme »

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« Friedrich Engels s'est éteint à Londres le 5 août 1895. Après son ami Karl Marx (mort en 1883), [...] Marx et Engels ont été les premiers à montrer que la classe ou­vrière et ses revendications sont un produit nécessaire du régime économique actuel qui crée et organise inéluctablement le proléta­riat en même temps que la bourgeoisie ; ils ont montré que ce ne sont pas les tentatives bien intentionnées d'hommes au coeur géné­reux qui délivreront l'humanité des maux qui l'accablent aujourd'hui, mais la lutte de classe du prolétariat organisé. Marx et Engels ont été les premiers à expliquer, dans leurs oeuvres scientifiques, que le so­cialisme n'est pas une chimère, mais le but final et le résultat nécessaire du développe­ment des forces productives de la société actuelle. »

C'est par ces lignes que Lénine commençait, un mois après le décès du compagnon de Marx, une courte biographie d'un des meilleurs militants du combat communiste.

Un combattant exemplaire du prolétariat

Engels, né à Barmen en 1820 dans la pro­vince rhénane de la Prusse, fut en effet un exemple de militant dévoué toute sa vie au combat de la classe ouvrière. Issu d'une famille d'industriels il aurait pu vivre riche­ment et confortablement sans se soucier du combat politique. Or, comme Marx et beau­coup de jeunes étudiants révoltés par la mi­sère du monde dans lequel ils vivaient, il va très jeune acquérir une maturité politique exceptionnelle au contact de la lutte des ou­vriers en Angleterre, en France puis en Allemagne. Il était inévitable que dans la période historique où le prolétariat se consti­tuait en classe, développait son combat po­litique il attirât un certain nombre d'élé­ments intellectuels dans ses rangs.

Engels fut toujours modeste sur sa trajec­toire individuelle, ne manquant jamais de saluer l'apport considérable de son ami Marx. Cependant, à peine âgé de 25 ans, il agit en précurseur. Il est témoin en Angleterre de la marche catastrophique de l'industrialisation et du paupérisme. Il per­çoit les promesses, en même temps que les faiblesses, du mouvement ouvrier dans ses balbutiements (le Chartisme). Il prend con­science que « l'énigme de l'histoire » réside dans ce prolétariat méprisé et méconnu, il fréquente les meetings ouvriers à Manchester où il voit les prolétaires s'atta­quer franchement au christianisme et pré­tendre s'occuper de leur avenir.

En 1844, Engels écrit un article, Contribution à la critique de l'économie politique, pour les Annales franco-alleman­des, revue publiée en commun à Paris par Arnold Ruge, un jeune démocrate, et par Marx qui, à ce moment-là, se situe encore sur le terrain de la lutte pour la conquête de la démocratie contre l'absolutisme prussien. C'est ce texte qui ouvre véritablement les yeux à Marx sur la nature profonde de l'éco­nomie capitaliste. Puis, l'ouvrage d'Engels, La condition de la classe laborieuse en Angleterre, publié en 1845, devient un livre de référence pour toute une génération de révolutionnaires. Comme l'écrit Lénine, Engels fut donc le premier à déclarer que le prolétariat « n'est pas seulement » une classe qui souffre, mais que la situation économi­que intolérable où il se trouve le pousse ir­résistiblement en avant et l'oblige à lutter pour son émancipation finale. Deux ans plus tard, c'est aussi Engels qui rédige sous forme de questionnaire Les principes du commu­nisme qui servira de canevas à la rédaction du mondialement connu Manifeste commu­niste, signé par Marx et Engels.

En fait, l'essentiel de l'immense contribution que Engels a faite au mouvement ouvrier est le fruit d'une étroite collaboration avec Marx, et réciproquement. Ils font véritable­ment connaissance à Paris durant l'été 1844. Dès lors commencera un travail commun pour toute une vie, une confiance réciproque rare, mais qui ne reposera pas simplement sur une amitié hors du commun, mais sur une communion d'idées, une conviction par­tagée du rôle historique du prolétariat et un combat constant pour l'esprit de parti, pour gagner de plus en plus d'éléments au combat révolutionnaire.

Ensemble, dès leur rencontre, Marx et Engels vont très vite dépasser leurs visions philosophiques du monde pour se consacrer à cet événement sans précédent dans l'his­toire, le développement d'une classe, le pro­létariat, à la fois exploitée et révolution­naire. Une classe d'autant plus révolution­naire qu'elle a cette particularité d'acquérir une claire « conscience de classe » débarras­sée des préjugés et des auto-mystifications qui pesaient sur les classes révolutionnaires du passé, telle la bourgeoisie. De cette ré­flexion commune sortiront deux livres : La Sainte Famille publié en 1844 et L'idéologie allemande écrit entre 1844 et 1846, mais qui ne sera publié qu'au 20e siècle. Dans ces li­vres, Marx et Engels règlent leur compte aux conceptions philosophiques des « jeunes hégéliens », leurs premiers compagnons de combat, qui n'ont pas su dépasser une vision bourgeoise ou petite bourgeoise du monde. En même temps, ils y font l'exposé d'une vi­sion matérialiste et dialectique de l'histoire, une vision qui rompt avec l'idéalisme (qui considère que « ce sont les idées qui gou­vernent le monde ») mais aussi avec le ma­térialisme vulgaire qui ne reconnaît aucun rôle actif à la conscience. Pour leur part, Marx et Engels considèrent que « quand la théorie s'empare des masses, elle devient force matérielle ». C'est ainsi que les deux amis, totalement convaincus de cette unité entre l'être et la conscience, ne vont jamais séparer le combat théorique du prolétariat de son combat pratique, ni leur propre partici­pation à ces deux formes du combat.

En effet, contrairement à l'image que la bourgeoisie en a souvent donnée, Marx et Engels ne furent jamais des « savants en chambre », coupés des réalités et des com­bats pratiques. En 1847, le Manifeste qu'ils rédigent ensemble s'appelle en réalité Manifeste du Parti communiste et doit servir de programme à la « Ligue des Communistes », une organisation qui s'ap­prête à prendre part aux combats qui s'an­noncent. En 1848, lorsqu'éclate une série de révolutions bourgeoises sur le continent eu­ropéen, Marx et Engels y participent acti­vement afin de contribuer à l'éclosion des conditions qui permettront le développement économique et politique du prolétariat. Rentrés en Allemagne, ils publient un quo­tidien, La Nouvelle Gazette Rhénane qui devient un instrument de combat. Plus con­crètement encore, Engels s'engage dans les troupes révolutionnaires qui mènent le com­bat dans le pays de Bade.

Après l'échec et la défaite de cette vague ré­volutionnaire européenne, la participation à celle-ci vaudra à Engels, aussi bien qu'à Marx, d'être poursuivis par toutes les polices du continent, ce qui les contraint de s'exiler en Angleterre. Marx s'installe définitivement à Londres alors qu'Engels va travailler jus­qu'en 1870 dans l'usine de sa famille à Manchester. L'exil ne paralyse nullement leur participation aux combats de la classe. Ils poursuivent leur activité au sein de la Ligue des communistes jusqu'en 1852, date à laquelle, pour éviter à celle-ci une dégéné­rescence suite au reflux des luttes, ils se prononcent pour sa dissolution.

En 1864, lorsque se constitue, dans la foulée d'une reprise internationale des combats ou­vriers, l'Association internationale des tra­vailleurs, ils y participent activement. Marx devient membre du Conseil général de l'AIT et Engels l'y rejoint en 1870 lorsqu'il peut enfin se libérer de son travail à Manchester. C'est un moment crucial dans la vie de l'AIT et c'est côte à côte que les deux amis vont participer aux combats que mène l'Internationale : la Commune de Paris de 1871, la solidarité aux réfugiés après celle-ci (au Conseil Général, c'est Engels qui anime le service d'aide matérielle aux com­munards émigrés à Londres) et surtout la dé­fense de l'AIT contre les menées de l'Alliance de la Démocratie socialiste ani­mée par Bakounine. Marx et Engels sont présents, en septembre 1872, au Congrès de La Haye qui barre la route de l'Alliance et c'est Engels qui rédige la plus grande partie du rapport, confié par le Congrès au Conseil général, sur les intrigues des bakouninistes.

L'écrasement de la Commune a porté un coup très brutal au prolétariat européen et l'AIT, la « vieille internationale » comme l'appelleront désormais Marx et Engels, s'éteint en 1876. Les deux compagnons ne cessent pas pour autant le combat politique. Ils suivent de très près les partis socialistes qui se constituent et se développent dans la plupart des pays d'Europe, une activité que Engels poursuivra énergiquement après la mort de Marx en 1883. Ils sont particuliè­rement attentifs au mouvement qui se déve­loppe en Allemagne et qui devient le phare du prolétariat mondial. Ils y interviennent pour combattre toutes les confusions qui pè­sent sur le Parti social-démocrate comme en témoignent la Critique du Programme de Gotha (rédigée par Marx en 1875) et la Critique du Programme d'Erfurt (Engels, 1891).

Ainsi, Engels, tout comme Marx, fut avant tout un militant du prolétariat, partie pre­nante des différents combats menés par ce­lui-ci. Au soir de sa vie, Engels confia que rien n'avait été plus passionnant que le com­bat de propagande militante. Il évoquait, en particulier sa joie de collaborer à une presse quotidienne dans l'illégalité, avec La Nouvelle Gazette Rhénane en 1848, puis avec le Sozialdemocrat dans les années 1880, lorsque le parti subissait les rigueurs de la loi de Bismark contre les socialistes.

La collaboration d'Engels et de Marx fut particulièrement féconde ; même éloignés l'un de l'autre, ou lorsque leurs organisations étaient dissoutes, ils continuèrent à lutter, entourés de compagnons fidèles eux aussi au travail de fraction indispensable dans les périodes de reflux, maintenant cette activité de minorité par de multiples correspondan­ces.

C'est à cette collaboration également qu'on doit les ouvrages théoriques majeurs rédigés aussi bien par Engels que par Marx. Ceux écrits par Engels résultaient grandement de l'échange permanent d'idées et de réflexions qu'il avait avec Marx. Il en est ainsi de L'Anti-Dühring (publié en 1878 et qui a constitué un des instruments essentiels de la formation des militants socialistes d'Allemagne) comme de L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat (1884) qui expose le plus précisément la conception communiste de l'Etat sur laquelle se baseront par la suite les révolutionnaires (notamment Lénine dans L'Etat et la révo­lution). Même Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, pu­blié après la mort de Marx, n'a pu être écrit qu'à la suite de la réflexion menée en com­mun, depuis leur jeunesse, par les deux amis.

Réciproquement, sans la contribution d'Engels, l'ouvrage majeur de Marx, Le Capital, n'aurait jamais vu le jour. Déjà, c'est Engels, comme on l'a vu, qui en 1844 avait fait comprendre à Marx la nécessité de s'attaquer à une critique de l'économie poli­tique. Par la suite, toutes les avancées, tou­tes les hypothèses contenues dans Le Capital ont fait l'objet de longues corres­pondances : c'est ainsi par exemple qu'Engels, directement impliqué dans la fonctionnement d'une entreprise capitaliste, a pu fournir des informations de première main sur ce fonctionnement. De même, les encouragements et les conseils permanents d'Engels ont contribué beaucoup à ce que le premier livre de l'ouvrage soit publié en 1867. Enfin, alors que Marx avait laissé à sa mort une masse considérable de brouillons, c'est Engels qui les a mis en forme pour en faire les livres II et III du Capital (publiés en 1885 et 1894).

Engels et la 2e Internationale

Ainsi, Engels, qui n'a jamais prétendu qu'au rôle de « second violon », a laissé cependant au prolétariat une oeuvre à la fois profonde et d'une grande lisibilité. Mais il a aussi et surtout permis, après la mort de Marx, que soient légués un « esprit de parti », une ex­périence et des principes organisationnels qui on valeur de continuité et qui ont été transmis jusqu'à la IIIe Internationale.

Engels avait participé à la fondation, en 1847, de la Ligue des Communistes puis de l'AIT en 1864. Après la dissolution de la 1ère Internationale, Engels joua un rôle im­portant dans le maintien des principes lors de la reconstitution d'une deuxième Internationale à laquelle il ne ménagea ja­mais ses conseils. Il avait estimé prématurée la fondation de cette nouvelle Internationale, mais pour combattre la réapparition d'intri­gants comme Lassalle ou la résurgence de l'opportunisme anarchisant, il avait mis tout son poids pour vaincre l'opportunisme au congrès international de fondation à Paris en 1889. En fait, jusqu'à sa mort, Engels s'ef­forcera de lutter contre l'opportunisme qui ressurgira, notamment dans la social-démo­cratie allemande, contre la veulerie de l'in­fluence petite-bourgeoise, contre l'élément anarchiste destructeur de toute vie organisa­tionnelle et contre l'aile réformiste de plus en plus séduite par les chants de sirène de la démocratie bourgeoise.

A la fin du siècle dernier, la bourgeoisie avait toléré le développement du suffrage universel. En Allemagne, en particulier, le nombre d'élus socialistes put donner une impression de force dans le cadre de la lé­galité aux éléments réformistes et opportu­nistes du parti. L'historiographie bourgeoise et les ennemis du marxisme se sont servis de déclarations d'Engels, en partie justifiées, contre les vieilleries barricadières, pour lais­ser croire que le vieux militant était devenu un pacifiste réformiste lui aussi ([1] [40]). En par­ticulier, la préface qu'il écrivit, en 1895, au texte de Marx sur Les luttes de classe en France, était invoquée comme démonstra­tion qu'Engels jugeait périmé le temps des révolutions. C'est vrai que cette introduction contenait des formulations fausses (2), [41] mais le texte publié n'avait presque plus rien à voir avec l'original. En effet, ce document avait été tronqué une première fois par Kautsky pour éviter des poursuites judiciai­res, puis, une autre fois, le texte avait été vraiment expurgé par Wilhem Liebknecht. Engels écrivit à Kautsky pour exprimer son indignation de trouver dans le Vorwärts un extrait de son introduction qui le faisait « apparaître comme un partisan à tout prix de la légalité » (1er avril 1895). Deux jours après, il se plaignait également à Lafargue : « Liebknecht vient de me jouer un joli tour. Il a pris de mon introduction aux articles de Marx sur la France de 1848-1850 tout ce qui a pu lui servir pour soutenir la tactique à tout prix paisible et antiviolente qu'il lui plaît de prêcher depuis quelques temps. »

Malgré les multiples mises en garde d'Engels, l'inféodation à l'opportunisme des Bernstein, Kautsky et compagnie allait dé­boucher sur l'éclatement de la deuxième Internationale en 1914 contre la vague so­cial-chauviniste. Mais, cette internationale avait bien été un lieu du combat révolution­naire contrairement aux dénégations des modernes conteurs d'histoire à la GCI (3). [42] Ses acquis politiques, l'internationalisme qu'elle avait affirmé à ses congrès (notamment ceux de 1907 à Stuttgart et de 1912 à Bâle), les principes organisationnels (défense de la centralisation, combat contre les intrigants et les jeunes arrivistes, etc.) n'étaient pas perdus pour l'aile gauche de l'Internationale d'Engels, puisque les Lénine, Rosa Luxemburg, Pannekoek et Bordiga, parmi tant d'autres, allaient reprendre l'éten­dard révolutionnaire farouchement défendu par le vieux combattant  jusqu'au bout.

oOo

La fille de Marx, Eleanor, dans un article que lui avait demandé une revue socialiste allemande pour les 70 ans d'Engels, a rendu un hommage mérité à l'homme et au mili­tant : « Il n'y a qu'une chose qu'Engels n'a jamais pardonné - la fausseté. Un homme qui n'est pas vrai envers lui, plus encore celui qui n'est pas fidèle à son parti, ne trouve aucune pitié auprès d'Engels. Ce sont, pour lui, des péchés impardonnables. Engels ne connaît pas d'autres péchés... Engels, qui est l'homme le plus exact du monde, qui a plus que n'importe qui, un sentiment très vif du devoir et surtout de la discipline envers le parti, n'est pas le moins du monde un puritain. Personne, comme lui, n'est capable de tout comprendre, et, par­tant, personne ne pardonne aussi aisément nos petites faiblesses ». En republiant ce texte, la presse socialiste de l'époque (numéro d'août 1895 du Devenir social), presse socialiste de l'époque salua la mé­moire du grand combattant : « Un homme est mort qui s'est volontaire­ment maintenu au second plan, pouvant être au premier. L'idée, son idée, est debout, partout vivante, plus vivante que jamais, et défiant toutes les attaques, grâce aux armes qu'il a, avec Marx, contribué à lui fournir. On n'enten­dra plus retentir sur l'enclume le marteau de ce vaillant forgeron ; le bon ou­vrier est tombé ; le marteau échappé de ses mains puissantes est à terre et y restera peut-être longtemps ; mais les armes qu'il a forgées sont toujours là, solides et brillan­tes. S'il n'est pas donné à beaucoup d'en pouvoir forger de nouvelles, ce que, du moins, nous pouvons tous faire, ce que nous devons faire, c'est de ne pas laisser rouiller celles qui nous ont été livrées ; et, à cette condi­tion, elles nous gagneront la victoire pour laquelle elles ont été faites ».

F. Médéric



[43]([1]) L'historiographie bourgeoise n'est pas seule à s'être efforcée de faire croire à un avilissement politique d'Engels à la fin de sa vie. Nos « marxolo­gues » modernes, à la Maximilien Rubel, le traitent à la fois de déformateur et d'idolâtre de Marx. Toutes ces diffamations ont pour résultat, sinon pour but, d'étouffer la voix d'Engels, pour ce qu'elle représente : la fidélité au combat révolutionnaire.

 

(2)  [44]C'est avec raison que Rosa Luxemburg, lors de la fondation du parti communiste d'Allemagne, le 31 décembre 1918, critiquait ces formulations d'Engels et indiquait comment elles avaient été pain béni pour les réformistes dans leur travail d'avilissement du marxisme. Mais en même temps, elle tenait à préciser que : « Engels n'a plus vécu assez longtemps pour voir les résultats, les conséquences pratiques de l'utilisation que l'on fit de sa préface (...) Mais je suis sûre d'une chose : quand on connaît les oeuvres de Marx et d'Engels, quand on connaît l'esprit révolutionnaire vivant, authentique, inaltéré qui se dégage de leurs écrits, de tous leurs enseignements, on est convaincu qu'Engels aurait été le premier à protester contre les excès qui ont résulté du parlementarisme pur et simple (...) Engels et même Marx, s'il avait vécu, auraient été les premiers à s'insurger violemment contre cela, à retenir, à freiner brutalement le véhicule pour empêcher qu'il ne s'enlise dans la boue » (Rosa Luxemburg, « Discours sur le programme »). A ce moment là, Rosa ne savait pas que Engels avait déjà protesté énergiquement à propos de sa préface. Par ailleurs, à ceux qui se plaisent à opposer Engels à Marx, on peut signaler que celui-ci également a émis des jugements qui ont été amplement exploités par les réformistes. C'est ainsi que moins de deux ans après la Commune de Paris il pouvait déclarer : « (...) nous ne nions pas qu'il existe des pays comme l'Amérique, l'Angleterre, et si je connaissais mieux vos institutions, j'ajouterais la Hollande, où les travailleurs peuvent arriver à leur but par des moyens pacifiques (...) » (Discours au meeting de cloture du Congrès de La Haye de l'AIT, 8 septembre 1872). Tous les révolutionnaires, même les plus grands, ont pu commettre des erreurs. S'il est normal que les falsificateurs social-démocrates, staliniens ou trotskystes élèvent en dogme, de façon intéressée, ces erreurs, il appartient aux communistes de savoir les reconnaître en s'inspirant de la globalité de l'oeuvre de leurs prédécesseurs.

 

(3)  [45]Sur la défense du caractère prolétarien de la deuxième internationale, voir notre article « La continuité des organisations politiques du prolétariat : la nature de classe de la social-démocratie », Revue Internationale n° 50.

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [46]

REVOLUTION ALLEMANDE (III) : l'insurrection prématurée

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Ce troisième article consacré aux luttes révolutionnaires en Allemagne de 1918-1919 ([1] [47]) aborde une des questions les plus délicates du combat prolétarien : les conditions et l’opportunité de l’insurrection. L’expérience allemande, pour négative qu’elle fut, constitue dans ce domaine une très riche source d’enseignements pour les combats révo­lutionnaires à venir.

 En novembre 1918, en se soulevant, la classe ouvrière contraint la bourgeoisie en Allemagne à mettre fin à la guerre. Pour sa­boter la radicalisation du mou­vement et la répétition des “ événements de Russie ”, la classe capitaliste utilise, au sein des luttes le SPD ([2] [48]) comme fer de lance contre la classe ouvrière. Grâce à une politique de sabotage particulièrement habile, le SPD, avec l'aide des syndicats, a tout fait pour saper la force des conseils ou­vriers.

Face au développement explosif du mouve­ment, voyant partout des mutine­ries de sol­dats et le passage de ceux-ci du côté des ou­vriers en insurrection, il est impossible, à la bourgeoisie, d'envi­sager une politique de répression im­médiate. Elle se doit d'abord d'agir poli­tiquement contre la classe ou­vrière pour ensuite obtenir la victoire mili­taire. Nous avons analysé en détails dans la Revue internationale n° 82 le sabotage poli­tique qu'elle a accompli. Nous voulons abor­der ici son action au niveau de l'insur­rection ouvrière.

Les préparatifs en vue d'une action militaire sont engagés depuis le premier jour. Ce ne sont pas les partis de droite de la bourgeoi­sie qui organisent cette répression mais celui qui passe encore pour “ le grand parti du prolétariat ”, le SPD, et cela en étroite col­laboration avec l'armée. Ce sont ces “ démocrates ” tant célébrés qui entrent en action comme dernière ligne de défense du capitalisme. Ce sont eux qui se révèlent le rempart le plus efficace du capital. Le SPD commence par mettre sys­tématiquement sur pieds des corps-francs dans la mesure où les unités des troupes régulières infestées par le “ virus des luttes ouvrières ” suivent de moins en moins le gouvernement bourgeois. Ainsi des unités de volontaires, bénéficiant de soldes spéciales, vont servir d'auxiliaires à la répression.

Les provocations militaires des 6 et 24 décembre 1918

Le 6 décembre, juste un mois après le début des luttes, le SPD donne l'ordre à ses sbires d'entrer en force dans les locaux du journal de Spartakus, Die Rote Fahne. K. Liebknecht, R. Luxemburg, quelques au­tres Spartakistes, mais aussi des membres du Conseil exécutif de Berlin sont arrêtés. Simultanément, les troupes loyales au gou­vernement attaquent une manifestation de soldats démobilisés et de déserteurs ; qua­torze manifestants sont tués. En réaction plusieurs usines entrent en grève le 7 décembre ; partout des assem­blées géné­rales se tiennent dans les usines. Le 8 décembre se produit pour le première fois une manifestation d'ouvriers et de sol­dats en armes rassemblant plus de 150 000 par­ticipants. Dans des villes de la Ruhr, comme à Mülheim, les ouvriers et les sol­dats arrê­tent des patrons de l'industrie.

Face aux provocations du gouvernement les révolutionnaires ne poussent pas à l'insur­rection immédiate mais appellent à la mobi­lisation massive des ouvriers. Les Spartakistes analysent, en effet, que les conditions nécessaires au renversement du gouvernement bourgeois ne sont pas encore réunies notamment au niveau des capacités de la classe ouvrière. ([3] [49])

Le Congrès national des conseils qui se tient à la mi-décembre 1918 illustre cette situa­tion et la bourgeoisie va en tirer profit (voir le dernier article dans la Revue internatio­nale n° 82). Lors de ce Congrès, les délé­gués décident de soumettre leurs déci­sions à une Assemblée nationale qu'il faut élire. Simultanément est mis en place un “ Conseil central ” (Zentralrat) composé exclusivement de membres du SPD préten­dant parler au nom des conseils d’ouvriers et de soldats d'Allemagne. Après ce congrès la bourgeoisie se rend compte qu'elle peut uti­liser immédiatement cette faiblesse poli­ti­que de la classe ouvrière en déclenchant une seconde provocation militaire : les corps-francs et les troupes gouvernementa­les pas­sent à l'offensive le 24 décembre. Onze ma­rins et plusieurs soldats sont tués. De nou­veau une grande indignation s'élève parmi les ouvriers. Ceux de la “ Société des mo­teurs Daimler ” et de nombreuses autres usines berlinoises réclament la formation d'une Garde Rouge. Le 25 décembre ont lieu de puissantes manifestations en riposte à cette attaque. Le gouvernement est contraint de reculer. Suite au discrédit grandissant qui frappe l'équipe au pouvoir, l'USPD ([4] [50]), qui en faisait partie jusqu'alors aux côtés du SPD, se retire.

Cependant la bourgeoisie ne lâche pas pied. Elle continue à vouloir procéder au désar­mement du prolétariat à Berlin et se prépare à lui porter un coup dé­cisif.

Le SPD appelle au meurtre des communistes

Afin de dresser la population contre le mou­vement de la classe ouvrière, le SPD se fait le porte-voix d'une ignoble et puissante campagne de calomnie contre les révolu­tionnaires et va même jusqu'à appeler au meurtre des Spartakistes : “ Vous voulez la paix ? Alors chacun doit faire en sorte que la tyrannie des gens de Spartakus prenne fin ! Vous voulez la liberté ? Alors mettez les fainéants armés de Liebknecht hors d'état de nuire ! Vous voulez la famine ? Alors suivez Liebknecht ! Vous voulez deve­nir les esclaves de l'Entente ? Liebknecht s'en occupe ! A bas la dictature des anar­chistes de Spartakus ! Seule la violence peut être opposée à la violence brutale de cette bande de crimi­nels ! ” (Tract du conseil municipal du Grand-Berlin du 29 décembre 1918)

“ Les agissements honteux de Liebknecht et de Rosa Luxemburg salissent la révolution et mettent en péril toutes ses conquêtes. Les masses ne doivent plus tolérer une minute de plus que ces tyrans et leurs partisans para­lysent ainsi les instances de la République. (...) C'est par le mensonge, la calomnie et la violence qu'ils renverseront et abattront tout obstacle qui osera s'opposer à eux.

Nous avons fait la révolution pour mettre fin à la guerre ! Spartakus veut une nouvelle révolution pour commencer une nouvelle guerre. ” (tract du SPD, janvier 1919)

Fin décembre, le groupe Spartakus quitte l'USPD et s'unit aux IKD ([5] [51]) pour former le KPD. La classe ouvrière dispose ainsi d'un Parti communiste qui est né en plein mou­vement et qui, d'emblée, est la cible des at­taques du SPD, le principal défenseur du capital.

Pour le KPD c'est l'activité des masses ou­vrières les plus larges qui est indispensable pour s'opposer à cette tactique du capital. “ Après la première phase de la révolution, celle de la lutte essentiellement politique, s'ouvre la phase de la lutte renforcée, in­tensifiée et principalement économique. ” (R. Luxemburg au Congrès de fondation du KPD). Le gouvernement SPD “ ne viendra pas à bout des flammes de la lutte de classe économique. ” (Ibid.) C'est pourquoi le capi­tal, avec le SPD à sa tête, va tout faire pour empêcher tout élargisse­ment des luttes sur ce terrain en provoquant des soulèvements armés prématurés des ouvriers et en les ré­primant. Il s'agit, pour lui, dans un premier temps d'affaiblir le mouvement en son cen­tre, à Berlin, pour ensuite s'attaquer au reste de la classe ou­vrière.

Le piège de l'insurrection prématurée à Berlin

En janvier la bourgeoisie réorganise les troupes stationnées à Berlin. En tout, elle masse plus de 80 000 soldats autour de la ville dont 10 000 forment des troupes de choc. Au début du mois, elle lance une nou­velle provocation contre les ouvriers afin de les amener à en découdre militairement. Le 4 janvier, en effet, le préfet de police de Berlin, Eichhorn, est démis de ses fonctions par le gouvernement bourgeois. Ceci est aussitôt ressenti comme une agres­sion par la classe ouvrière. Le soir du 4 janvier, les “ hommes de confiance révolutionnaires ” ([6] [52]) se réunissent en une séance à laquelle par­ticipent Liebknecht et Pieck au nom du KPD, fondé quelques jours auparavant. Un “ Comité révolutionnaire provisoire ”, qui s'appuie sur le cercle des “ hommes de con­fiance ”, est créé. Mais dans le même temps le Comité exécutif des conseils de Berlin (Vollzugsrat) et le Comité central (Zentralrat) nommé par le congrès national des conseils -tous deux dominés par le SPD- continuent d'exister et d'agir au sein de la classe.

Le Comité d'action révolutionnaire appelle à un rassemblement de protestation pour le dimanche 5 janvier. Environ 150 000 ou­vriers s'y rendent après une manifestation devant la préfecture de police. Le soir du 5 janvier quelques manifestants occupent les locaux du journal du SPD Vorwærts et d'au­tres maisons d'édition. Ces actions sont pro­bablement suscitées par des agents provoca­teurs, en tout cas elles se produisent sans que le Comité n'en ait connaissance et sans son approbation.

Mais les conditions pour le renversement du gouvernement ne sont pas réunies et c'est ce que met en évidence le KPD dans un tract au tout début du mois de janvier :

“ Si les ouvriers de Berlin dispersaient au­jourd'hui l'Assemblée nationale, s'ils je­taient en prison les Ebert-Scheidemann alors que les ouvriers de la Ruhr, de Haute-Silésie et les ouvriers agricoles des pays de l'est de l'Elbe restent calmes, les capitalistes seraient alors en mesure de soumettre Berlin dés le lendemain en l'affamant. L'offensive de la classe ouvrière contre la bourgeoisie, le combat pour la prise du pouvoir par les conseils d’ouvriers et de soldats doivent être l'oeuvre de l'ensemble du peuple travailleur dans tout le Reich. Seule la lutte des ou­vriers des villes et des campagnes en tout lieu et en permanence, s'accélérant et allant croissant, à condition qu'elle se transforme en un flot puissant traversant toute l'Allemagne à grand fracas, seule la vague initiée par les victimes de l'exploitation et de l'oppression, submergeant tout le pays, per­mettront de faire éclater le gouvernement du capitalisme, de disperser l'Assemblée natio­nale et d'installer sur leurs ruines le pouvoir de la classe ouvrière qui conduira le prolé­tariat à la complète victoire dans la lutte ultérieure contre la bourgeoisie. (...)

Ouvriers et ouvrières, soldats et marins ! Convoquez partout des assemblées et éclai­rez les masses sur le bluff de l'Assemblée nationale. Dans chaque atelier, dans cha­que unité de troupe, dans chaque ville, voyez et examinez si votre conseil d’ouvriers et de soldats a vraiment été élu, s'il ne com­porte pas en son sein des représentants du système capitaliste, des traîtres à la classe ouvrière comme les hommes de Scheidemann, ou des éléments inconsistants et oscillants comme les Indépendants. Convainquez alors les ouvriers et faites élire des communistes. (...) Là où vous pos­sédez la majorité dans les conseils ouvriers, faites que ces conseils ouvriers établissent immédiatement des liaisons avec les autres conseils ouvriers de la région. (...) Si ce programme est réalisé (...) l'Allemagne de la république des conseils aux côtés de la ré­publique des conseils des ouvriers russes entraînera les ouvriers d'Angleterre, de France, d'Italie sous le drapeau de la révo­lution... ”. Cette analyse montre que le KPD voit clairement que le renversement de la classe capitaliste n'est pas encore possible dans l'immédiat et que l'insurrection n'est pas encore à l'ordre du jour.

Après la gigantesque manifestation de masse du 5 janvier, se tient à nouveau le soir même une séance des “ hommes de confiance ” avec la partici­pation de délégués du KPD et de l'USPD ainsi que de représentants des troupes de la garnison. Marqués par l'im­pression laissée par la puissante manifesta­tion de la journée, les présents élisent un comité d'action (Aktionsauschuß) compre­nant 33 membres à la tête duquel sont pla­cés Ledebour comme président, Scholze pour les “ hommes de confiance révolution­naires ” et K. Liebknecht pour le KPD. Pour le lendemain 6 janvier la grève générale et une nouvelle manifestation sont décidés.

Le Comité d'action distribue un tract d'appel à l'insurrection avec le mot d'ordre : “ Luttons pour le pouvoir du prolétariat ré­volutionnaire ! A bas le gouvernement Ebert-Scheidemann ! ”

Des soldats viennent proclamer leur solida­rité au Comité d'action. Une délégation de soldats assure qu'elle se mettra du côté de la révolution dès la déclaration de la destitu­tion de l'actuel gouvernement Ebert-Scheidemann. Là-dessus, K. Liebknecht pour le KPD, Scholze pour les “ hommes de confiance révolutionnaires ” signent un dé­cret procla­mant cette destitution et la prise en charge des affaires gouvernementales par un comité révolutionnaire. Le 6 janvier, en­viron 500 000 personnes manifestent dans la rue. Dans tous les quartiers de la ville ont lieu des manifestations et des rassemble­ments ; les ouvriers du Grand-Berlin récla­ment des armes. Le KPD exige l'armement du prolé­tariat et le désarmement des contre-révolu­tionnaires. Alors que le mot d'ordre “ A bas le gouvernement ! ” a été donné par le Comité d'action, celui-ci ne prend aucune initiative sérieuse pour réaliser cette orien­tation. Dans les usines, aucune troupe de combat n'est or­ganisée, aucune tentative n'est faite pour prendre en mains les affaires de l'Etat et pour paralyser l'ancien gouver­nement. Non seulement le Comité d'action ne possède aucun plan d'action, mais le 6 janvier il est lui même mis en demeure, par des soldats de la marine, de quitter le bâtiment où il siège, ce qu'il fait effective­ment !

Les masses d'ouvriers en manifestation at­tendent des directives dans les rues pendant que les dirigeants siègent désemparés. Alors que la direction du prolétariat demeure dans l'ex­pectative, hésite, ne possède même au­cun plan, la gouvernement mené par le SPD, de son côté, se remet rapidement du choc causé par cette première offensive ouvrière. De toutes parts se rassemblent autour de lui des forces qui lui viennent en aide. Le SPD ap­pelle à des grèves et à des manifestations de soutien en faveur du gouvernement. Une campagne acharnée et perfide est lancée contre les communistes : “ Là où règne Spartakus, toute liberté et sécurité indivi­duelle sont abolies. Les périls les plus gra­ves menacent le peuple allemand et en parti­cu­lier la classe ouvrière allemande. Nous ne voulons pas nous laisser terroriser plus longtemps par ces criminels à l'esprit égaré. L'ordre doit enfin être établi à Berlin et la construction paisible d'une Allemagne révo­lu­tionnaire nouvelle doit être garantie. Nous vous convions à cesser le travail en protes­tation contre les brutalités des ban­des spar­takistes et à vous rassembler im­médiatement devant l'hôtel du gouvernement du Reich. ” (...)

“ Nous ne devons pas trouver le repos tant que l'ordre n'est pas rétabli à Berlin et tant que la jouissance des conquêtes révolution­naires n'est pas garantie à l'ensemble du peuple allemand. A bas les meurtriers et les criminels ! Vive la république socialiste ! ” (Comité exécutif du SPD, 6 janvier 1919)

La cellule de travail des étudiants berlinois écrit : “ Vous, citoyens, sortez de vos de­meures et mettez vous aux côtés des socialis­tes majo­ritaires ! La plus grande hâte est néces­saire ! ” (Tract du 7-8 janvier 1919).

De son côté Noske déclare avec cynisme le 11 janvier : “ Le gouvernement du Reich m'a transmis le commandement des soldats ré­publicains. Un ouvrier se trouve donc à la direction des forces de la République socia­liste. Vous me connaissez, moi et mon passé dans le Parti. Je me porte garant qu'aucun sang inutile ne sera versé. Je veux assainir, non anéantir. L'unité de la classe ouvrière doit être faite contre Spartakus pour que la démocratie et le socialisme ne sombrent pas. ”

 Le Comité central (Zentralrat), “ nommé ” par le Congrès national des conseils et sur­tout dominé par le SPD, proclame : “ ... une petite minorité aspire à l'instauration d'une tyrannie brutale. Les agissements criminels de bandes armées mettant en danger toutes les conquêtes de la révolution, nous con­traignent à conférer les pleins pouvoirs ex­traordinaires au gouvernement du Reich afin que l'ordre (...) soit enfin ré­tabli dans Berlin. Toutes les divergences d'opinions doivent s'effacer devant le but (...) de pré­server l'ensemble du peuple travailleur d'un nouveau et terrible malheur. Il est du devoir de tous les conseils d'ouvriers et de soldats de nous soutenir dans notre action, nous et le gouvernement du Reich, par tous les moyens (...) ” (Edition spéciale du Vorwærts, 6 janvier 1919).

Ainsi, c'est au nom de la révolution et des intérêts du prolétariat que le SPD (avec ses complices) se prépare à massacrer les révo­lutionnaires du KPD. C'est avec la plus ignoble duplicité qu'il appelle les conseils à se ranger derrière le gouvernement pour agir contre ce qu'il nomme “ les bandes ar­mées ”. Le SPD fournit même une section militaire qui reçoit des armes dans les ca­sernes et Noske est placé à la tête des trou­pes de répression : “ Il faut un chien san­glant, je ne recule pas devant cette respon­sabilité. ”

Dés le 6 janvier se produisent des combats isolés. Tandis que le gouvernement ne cesse de masser des troupes autour de Berlin, le soir du 6, siège l'Exécutif des conseils de Berlin. Celui-ci, dominé par le SPD et l'USPD, propose au Comité d'action révolu­tionnaire des négociations entre les “ hommes de confiance révolutionnaires ” et le gouver­nement, au renversement du­quel le Comité révolutionnaire vient juste­ment d'appeler. L’Exécutif des conseils joue le rôle de “ conciliateur ” en proposant de concilier l'inconciliable. Cette attitude dé­boussole les ouvriers et en par­ticulier les soldats déjà hésitants. C'est ainsi que les marins décident d'adopter une politi­que de “ neutralité ”. Dans les situations d'affron­tement direct entre les classes, toute indéci­sion peut rapidement conduire la classe ou­vrière à une perte de confiance dans ses pro­pres capacités et à adopter une attitude de méfiance vis à vis de ses organi­sations po­litiques. Le SPD, en jouant cette carte, con­tribue à affaiblir le prolétariat de façon dra­matique. Simultanément, par l'in­termé­diaire d'agents provocateurs (comme cela se­ra révélé par la suite), il pousse les ou­vriers à l’affrontement. C'est ainsi que le 7 janvier, ceux-ci occupent par la force les locaux de plusieurs journaux.

Face à cette situation, la direction du KPD, contrairement au Comité d'action révolution­naire, a une position très claire : se basant sur l'analyse de la situation faite au cours de son congrès de fondation, elle considère l'in­surrection comme prématurée.

Le 8 janvier Die Rote Fahne écrit : “ Il s'agit aujourd'hui de procéder à la réélec­tion des conseils d’ouvriers et de soldats, de reprendre l'Exécutif des conseils de Berlin sous le mot d'ordre : dehors les Ebert et consorts ! Il s'agit aujourd'hui de tirer les leçons des expériences des huit dernières semaines dans les conseils d’ouvriers et de soldats et d'élire des conseils qui corres­pondent aux conceptions, aux buts et aux aspirations des masses. Il s'agit en un mot de battre les Ebert-Scheidemann dans ce qui forme les fondements de la révolution, les conseils d'ouvriers et de soldats. Ensuite, mais seulement ensuite, les masses de Berlin et aussi de l'ensemble du Reich auront dans les conseils d’ouvriers et de soldats de véri­tables organes révolutionnaires qui leur donneront, dans tous les moments décisifs, de véritables dirigeants, de véritables cen­tres pour l'action, pour les luttes et pour la victoire. ”

Les Spartakistes appellent ainsi la classe ouvrière à se renforcer d'abord au niveau des conseils en développant les luttes sur son propre terrain de classe, dans les usines, et en en délogeant les Ebert, Scheidemann et Cie. C'est par l'intensification de sa pression, à travers ses conseils, qu'elle pourra donner une nouvelle impulsion à son mouvement pour ensuite se lancer dans la bataille de la prise du pouvoir politique.

Ce jour même, R. Luxemburg et L. Jogisches critiquent violemment le mot d'ordre de renversement immédiat du gou­vernement lancé par le Comité d'action mais aussi et surtout le fait que celui-ci, par son attitude hésitante voire capitularde, se mon­tre incapable de diriger le mouvement de la classe. Ils reprochent plus particulièrement à K. Liebknecht d'agir de sa propre autorité, de se laisser entraîner par son enthousiasme et son impatience au lieu d'en référer à la di­rection du Parti et de prendre appui sur le programme et les analyses du KPD.

Cette situation montre que ce n'est ni le pro­gramme ni les analyses politiques de la si­tuation qui font défaut mais la capacité du parti, en tant qu'organisation, à jouer son rôle de direction politique du prolétariat. Fondé depuis quelques jours seulement, le KPD n'a pas l'influence dans la classe ni en­core moins la solidité et la cohésion or­gani­sationnelles qu'avait notamment le parti bol­chevik un an auparavant en Russie. Cette immaturité du parti communiste en Allemagne est à la base de la dispersion qui existe dans ses rangs, laquelle va peser lourdement et de façon dramatique dans la suite des événements.

Dans la nuit du 8 au 9 janvier, les troupes gouvernementales se lancent à l'assaut. Le Comité d'action qui n'analyse toujours pas correctement le rapport de forces, pousse à agir contre le gouvernement : “ Grève géné­rale ! Aux armes ! Il n'y a pas le choix ! Il faut combattre jusqu'au dernier. ” De nom­breux ouvriers suivent l'appel, mais à nou­veau, ils attendent des directives précises du Comité. En vain. En effet, rien n'est fait pour organiser les masses, pour provoquer la fra­ternisation entre les ouvriers révolution­nai­res et les soldats... C'est ainsi que les trou­pes gouvernementales entrent dans Berlin et livrent pendant plusieurs jours de violents combats de rue contre les ouvriers armés. Nombre d'entre eux sont tués et bles­sés dans des affrontements qui ont lieu, de façon dispersée, dans diffé­rents quartiers de Berlin. Le 13 janvier la direction de l'USPD proclame la fin de la grève générale et le 15 janvier Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont assassi­nés par les sbires du régime dirigé par les Social-démocrates ! La campagne criminelle lancée par le SPD sur le thème “ Tuez Liebknecht ! ” se conclut sur un succès de la bourgeoisie. Le KPD est, à ce moment-là, privé de ses plus importants dirigeants.

Alors que le KPD fraîchement fondé a cor­rectement analysé le rapport de forces et a mis en garde contre une insurrection préma­turée, produit d'une provocation de l'ennemi, le Comité d'action dominé par les “ hommes de confiance révolutionnaires ” a une ap­pré­ciation fausse de la situation. C'est fal­sifier l'histoire que de parler d'une prétendue “ semaine de Spartakus ”. Les Spartakistes se sont au contraire prononcé contre toute précipitation. La rupture de la discipline de parti par Liebknecht et Pieck en est la preuve à contrario. C'est l'attitude précipitée des “ hommes de confiance dés révolution­naires ”, brûlant d'impatience et en défini­tive manquant de réflexion, qui est à l'ori­gine de cette défaite sanglante. Le KPD, quant à lui, ne possède pas, à ce moment-là, la force de retenir le mouvement comme les Bolcheviks étaient parvenus à le faire en juillet 1917. Comme l'avouera le social-dé­mocrate Ernst, nouveau Préfet de police qui a remplacé Eichorn démis de ses fonctions : “ Tout succès des gens de Spartakus était dés le départ exclu compte tenu que par nos préparatifs nous les avions contraints à frapper prématuré­ment. Leurs cartes furent découvertes plus tôt qu'ils ne le souhaitaient et c'est pourquoi nous étions en mesure de les combattre. ”

La bourgeoisie, suite à ce succès militaire, comprend immédiatement qu'elle doit accen­tuer son avantage. Elle lance une vague de répression sanglante où des milliers d'ou­vriers berlinois ainsi que de communistes sont assassinés, suppliciés et jetés en pri­sons. Le meurtre perpétré contre R. Luxemburg et K. Liebknecht n'est pas une exception mais révèle la détermination bestiale de la bourgeoisie à éliminer ses en­nemis mortels, les révolutionnaires.

Le 19 janvier, la “ démocratie ” triomphe : les élections à l'Assemblée nationale ont lieu. Sous la pression des luttes ouvrières, le gou­vernement a, entre temps, transféré son siège à Weimar. La république de Weimar s'instaure ainsi sur des milliers de cadavres ouvriers

L'insurrection est-elle l'affaire du parti ?

Sur cette question de l'insurrection le KPD s'appuie clairement sur les positions du marxisme et particulièrement sur ce qu'avait écrit Engels après l'expérience des luttes de 1848 :

“ L'insurrection est un art. C'est une équa­tion aux données les plus incertaines, dont les valeurs peuvent changer à tout moment ; les forces de l'adversaire ont de leur côté tous les avantages de l'organisation, de la discipline et de l'autorité ; dés que l'on n'est plus en mesure de s'opposer à elles en posi­tion de forte supériorité, on est battu et anéanti. Deuxièmement, dés que l'on s'est engagé sur le chemin de l'insurrection, il faut agir avec la plus grande détermination et passer à l'offensive. La défensive est la mort de toute insurrection armée ; l'issue est perdue avant même de s'être mesuré à l'en­nemi. Prends ton adversaire en défaut tant que ses forces sont dispersées ; fais en sorte d'obtenir quotidiennement de nouvelles vic­toires, si menues soient-elles ; conserve toi la suprématie morale que t'a créée la pre­mière victoire du soulèvement ; attire à toi les éléments hésitants qui suivent tou­jours l'élan le plus fort et se mettent tou­jours du côté le plus sûr ; contraint tes en­nemis à la retraite avant même qu'ils ne soient en me­sure de rassembler leurs forces contre toi... ” (Révolution et contre-révolu­tion en Allemagne)

Les spartakistes utilisent la même démarche vis à vis de la question de l'insur­rection que Lénine en avril 1917 :

“ Pour réussir, l'insurrection doit s'appuyer non pas sur un complot, non pas sur un parti, mais sur la classe d'avant-garde. Voilà le premier point. L'insurrection doit s'appuyer sur l'élan révolutionnaire du peuple. Voilà le second point. L'insurrection doit surgir à un tournant de l'histoire de la révolution ascendante où l'activité de l'avant-garde du peuple est la plus forte, où les hésitations sont fortes dans les rangs de l'ennemi et faibles dans ceux des amis de la révolution. Voilà le troisième point. Telles sont les trois conditions qui font que, dans la façon de poser la question de l'insurrec­tion, le marxisme se distingue du blan­quisme. ” (Lettre au comité central du POSDR, septembre 1917)

Qu'en est-il concrètement en janvier 1919 sur cette question fondamentale ?

L'insurrection s'appuie sur l'élan révolutionnaire de la classe

La position du KPD lors de son congrès de fondation est que la classe n'est pas encore mûre pour l'insurrection. En effet, après le mouvement dominé au départ par les sol­dats, une nouvelle impulsion provenant des usines, des assemblées et des manifestations est indispensable. C'est la condition pour que la classe acquière, dans son mouvement, plus de force et plus de confiance en elle-même. C'est la condition pour que l'insur­rection ne soit pas l'affaire d'une minorité, l'affaire de quelques éléments désespérés et impatients, mais au contraire qu'elle puisse s'appuyer sur “ l'élan révolutionnaire ” de l'immense majorité des ouvriers.

De plus, en janvier, les conseils ouvriers n'exercent pas un réel double pouvoir dans la mesure où le SPD a réussi à les saboter de l'intérieur. Comme nous l'avons présenté dans le dernier numéro, le Congrès national des conseils à la mi-décembre a été une victoire pour la bourgeoisie et malheureu­sement aucune nouvelle stimulation des conseils ne s'est produite depuis. L'appréciation qu'a le KPD du mouvement de la classe et du rapport de forces est par­faitement lucide et réaliste.

Pour certains, c'est le parti qui prend le pou­voir. Alors, il faut expliquer comment une organisation révolutionnaire, aussi forte soit-elle, pourrait le faire alors que la grande majorité de la classe ouvrière n'a pas encore développé suffisamment sa conscience de classe, hésite et oscille, alors qu'elle n'a pas été capable de se doter de conseils ouvriers suffisamment puissants pour s'opposer au régime bour­geois. Développer une telle position c'est totalement méconnaître les ca­ractéristiques fondamentales de la révolution prolétarienne et de l'insurrection que souli­gnait en premier Lénine : “ L'insurrection doit s'appuyer non pas sur un parti, mais sur la classe d'avant-garde. ” Même en oc­tobre 1917 les Bolcheviks tenaient particu­lièrement à ce que ce ne soit pas le parti bolchevik qui prenne le pouvoir mais le Soviet de Pétrograd.

L'insurrection prolétarienne ne peut “ se dé­créter d'en haut ”. Elle est, au contraire, une action consciente des masses qui doi­vent auparavant développer leur propre initiative et la maîtrise de leurs luttes. C'est sur cette base que les directives et orientations don­nées par les conseils et le parti seront sui­vies.

L'insurrection prolétarienne ne peut être un putsch, comme essaient de le faire croire les idéologues bourgeois. Elle est l'oeuvre de l'ensemble de la classe ouvrière. Pour se­couer le joug du capitalisme, la seule vo­lonté de quelques-uns, même s'il s'agit des éléments les plus clairs et déterminés de la classe, ne suffit pas. “ (...) le prolétariat in­surgé ne peut compter que sur son nombre, sur sa cohésion, sur ses cadres, sur son état-major. ” (Trotsky, Histoire de la Révolution Russe, “ L'art de l'insurrec­tion ”)

Ce degré de maturité n'avait pas été atteint, en janvier, dans la classe ouvrière en Allemagne.

Le rôle des communistes est central

Le KPD est conscient, à ce moment-là, que sa responsabilité essentielle est de pousser au renforcement de la classe ouvrière et en particulier au développement de sa con­science de la même manière que Lénine l'a fait auparavant en Russie dans ses “ Thèses d'Avril ” :

“ Travail de propagande 'et rien de plus', semblerait-il. C'est en réalité un travail ré­volutionnaire éminemment pratique ; car on ne saurait faire progresser une révolution qui s'est arrêtée, grisée de phrases, et qui 'marque le pas' non point à cause d'obsta­cles extérieurs, non point à cause de la vio­lence qu'exercerait la bourgeoisie (...), mais à cause de l'aveugle crédulité des masses.

C'est uniquement en combattant cette aveu­gle crédulité (...) que nous pouvons nous dégager de l'emprise de la phraséolo­gie révolutionnaire déchaînée et stimuler réel­lement aussi bien la conscience prolé­ta­rienne que la conscience des masses, leur initiative audacieuse et décidée (...). ” (Lénine, “ Les tâches du prolétariat dans notre révolution ”, point 7, avril 1917)

Lorsque le point d'ébullition est atteint, le parti doit justement “ au moment oppor­tun surprendre l'insurrection qui monte ”, pour permettre à la classe de passer à l'insurrec­tion au bon moment. Le prolétariat doit sen­tir “ au dessus de lui une direction perspi­cace, ferme et audacieuse ” sous la forme du parti. (Trotsky, Histoire de la Révolution Russe, “ L'art de l'insurrection ”)

Mais à la différence des Bolcheviks en juillet 1917, le KPD, en janvier 1919, ne possède pas encore suffisamment de poids pour être en mesure de peser de façon déci­sive sur le cours des luttes. Il ne suffit pas, en effet, que le parti ait une position juste, encore faut-il qu’il est une influence impor­tante dans la classe. Et ce n'est pas le mou­vement insurrectionnel prématuré à Berlin ni encore moins la défaite sanglante qui s'en est suivie qui vont permettre à celle-ci de se développer. La bourgeoisie, au contraire, réussit à affaiblir de façon dramatique l'avant-garde révolutionnaire en éliminant ses meilleurs militants mais également en faisant interdire son principal outil d'inter­vention dans la classe, Die Rote Fahne. Dans une situation où l'intervention la plus large du parti est absolument indispensable, le KPD se retrouve, pendant des semaines entières, sans pouvoir disposer de son or­gane de presse.

Le drame des luttes dispersées

Au cours de ses semaines, au niveau inter­national, la classe ouvrière dans plusieurs pays affronte le capital. Alors qu'en Russie l'offensive des troupes blanches contre-révo­lutionnaires se renforce contre le pouvoir ouvrier, la fin de la guerre entraîne une cer­taine accalmie sur le front social dans les “ pays vainqueurs ”. En Angleterre et en France il y a une série de grèves, mais les luttes ne prennent pas la même orientation radicale qu'en Russie et en Allemagne. Les luttes en Allemagne et en Europe centrale restent ainsi relativement isolées de celles des autres centres industriels européens. En mars les ouvriers de Hongrie établissent une république des conseils qui est rapidement écrasée dans le sang par les troupes contre-révolutionnaires, grâce, ici encore à l’habile travail de la Social-démocratie locale.

A Berlin, après avoir défait l'insurrection ouvrière, la bourgeoisie poursuit une politi­que en vue de dissoudre les conseils de sol­dats et de créer une armée destinée à la guerre civile. Par ailleurs, elle s'attaque au désarmement systématique du prolétariat. Mais la combativité ouvrière continue de s'exprimer un peu partout dans le pays. Le centre de gravité du combat, au cours des mois qui suivent, va se déplacer à travers l'Allemagne. Dans presque toutes les gran­des villes vont se produire des affrontements extrêmement violents entre la bourgeoisie et le prolétariat mais malheureusement isolés les uns des autres.

Brême en janvier...

Le 10 janvier, par solidarité avec les ou­vriers berlinois, le conseil d’ouvriers et de sol­dats de Brême proclame l'instauration de la République des conseils. Il décide l'évic­tion des membres du SPD de son sein, l'ar­me­ment des ouvriers et le désarmement des éléments contre-révolutionnaires. Il nomme un gouvernement des conseils responsable devant lui. Le 4 février le gouvernement du Reich rassemble des troupes autour de Brême et passe à l'offensive contre la ville insurgée, restée isolée. Le jour même, Brême tombe aux mains des chiens san­glants.

La Ruhr en février...

Dans la Ruhr, la plus grande concentration ouvrière, la combativité n'a cessé de s'ex­primer depuis la fin de la guerre. Déjà avant la guerre, il y avait eu, en 1912, une longue vague de grèves. En juillet 1916, en janvier 1917, en janvier 1918, en août 1918 les ou­vriers réagissent contre la guerre par d'im­por­tants mouvements de luttes. En novem­bre 1918, les conseils d'ouvriers et de sol­dats se trouvent pour la plupart sous l'in­fluence du SPD. A partir de janvier et fé­vrier 1919, de nombreuses grèves sauvages éclatent. Les mineurs en lutte se rendent dans les puits voisins pour élargir et unifier le mouvement. Souvent des oppositions violentes se produi­sent entre les ouvriers en lutte et les conseils encore dominés, par des membres du SPD. Le KPD intervient :

“ La prise du pouvoir par le prolétariat et l'accomplissement du socialisme ont pour présupposé que la grande majorité du pro­lé­tariat s'élève à la volonté d'exercer la dictature. Nous ne pensons pas que ce mo­ment soit déjà arrivé. Nous pensons que le développement des prochaines semaines et des prochains mois fera mûrir dans l’ensemble du prolétariat la conviction que c'est seulement dans sa dictature que réside son salut. Le gouvernement Ebert-Scheidemann épie la moindre occasion pour étouffer dans le sang ce développement. Comme à Berlin, comme à Brême il va ten­ter d'étouffer isolément les foyers de la révo­lution, pour ainsi éviter la révolution géné­rale. Le prolétariat a le devoir de faire échouer ces provocations en évitant de s'of­frir de plein gré en sacrifice aux bour­reaux dans des soulèvements armés. Il s'agit bien plus, jusqu'au moment de la prise du pou­voir, d'élever à son plus haut point l'énergie révolutionnaire des masses grâce aux mani­festations, aux rassemblements, à la propa­gande, à l'agitation et à l'organisa­tion, de gagner les masses dans une propor­tion de plus en plus importante et de prépa­rer les esprits pour l'heure venue. Surtout il faut partout pousser à la réélection des conseils ouvriers sous le mot d'ordre :

Les Ebert-Scheidemann hors des conseils !

Dehors les bourreaux ! ”

(Appel de la Centrale du KPD du 3 février pour la réélection des conseils ouvriers)

Le 6 février, 109 délégués des conseils siè­gent et réclament la socialisation des moyens de production. Derrière cette re­vendication, il y a la reconnaissance crois­sante par les ouvriers que le contrôle des moyens de production ne doit pas rester aux mains du capital. Mais, tant que le proléta­riat ne détient pas le pouvoir politique, tant qu'il n'a pas renversé le gouvernement bour­geois, cette revendica­tion peut se retourner contre lui. Toutes les mesures de socialisa­tion sans disposer du pouvoir politique ne sont pas seulement de la poudre aux yeux mais aussi un moyen que peut utiliser la classe dominante pour étrangler la lutte. C'est ainsi que le SPD promet une loi de socialisation qui prévoit une “ participation ” et un pseudo-contrôle de la classe ouvrière sur l'Etat. “ Les con­seils ouvriers sont constitutionnellement recon­nus comme représentation d'intérêts et de participation économique et sont ancrés dans la Constitution. Leur élection et leurs prérogatives seront réglementées par une loi spéciale qui prendra effet immédiatement. ”

Il est prévu que les conseils soient transfor­més en “ comités d'entreprise ” (Betribräte) et qu'ils aient pour fonction de participer au processus économique par la cogestion. Le but premier de cette proposition est de déna­turer les conseils et de les intégrer dans l'Etat. Ils ne sont plus ainsi des organes de double pouvoir contre l'Etat bourgeois mais au contraire servent à la régulation de la production capitaliste. De plus, cette mysti­fication entretient l'illusion d'une transfor­mation immédiate de l'économie dans “ sa propre usine ” et les ouvriers sont ainsi faci­lement enfermés dans une lutte locale et spécifique au lieu de s'engager dans un mouvement d'extension et d'unification du combat. Cette tactique, utilisée pour la première fois par la bourgeoisie en Allemagne, s'illustre à travers quelques oc­cupations d'usines. Dans les luttes en Italie de 1919-1920 elle sera appliquée par la classe dominante avec grand succès.

A partir du 10 février, les troupes responsa­bles des bains de sang de Brême et de Berlin marchent sur la Ruhr. Les conseils d'ouvriers et de soldats de l'en­semble du bassin décident la grève générale et appel­lent à la lutte armée contre les corps-francs. De partout s'élève l'appel “ Sortez des usi­nes ! ” Un nombre très im­portant d'affron­tements armés a lieu et toujours sur le même schéma. La rage des ouvriers est telle que les locaux du SPD sont souvent attaqués, comme le 22 février à Mülheim-Ruhr où une réunion social-démo­crate est mitraillée. A Gelsenkirchen, Dortmund, Bochum, Duisburg, Oberhausen, Wuppertal, Mülheim-Ruhr et Düsseldorf des milliers d'ouvriers sont en armes. Mais là aussi, comme à Berlin, l'organisation du mouve­ment fait cruellement défaut, il n'y a pas de direction unie pour orienter la force de la classe ouvrière, alors que l'Etat capita­liste, avec le SPD à sa tête, agit de façon organi­sée et centralisée.

Jusqu'au 20 février, 150 000 ouvriers sont en grève. Le 25 février, la reprise du travail est décidée et la lutte armée est suspendue. La bourgeoisie peut à nouveau déchaîner sa ré­pression et les corps-francs investissent la Ruhr ville par ville. Cependant, début avril, une nouvelle vague de grèves reprend : le 1er, il y a 150 000 grévistes ; le 10, 300 000 et à la fin du mois leur nombre re­tombe à 130 000. A la mi-avril, à nouveau, la ré­pression et la chasse aux communistes se déchaînent. Le rétablissement de l'ordre dans la Ruhr devient une priorité pour la bourgeoisie car simultanément à Brunswick, Berlin, Francfort, Dantzig et en Allemagne centrale d'importantes masses entrent en grève.

l'Allemagne centrale en février et en mars...

A la fin février, au moment où le mouve­ment se termine dans la Ruhr écrasé par l’armée, le prolétariat d'Allemagne centrale entre en scène. Alors que le mou­vement dans la Ruhr s'est cantonné aux secteurs du charbon et de l'acier, ici il con­cerne tous les ouvriers de l'industrie et des transports. Dans presque toutes les villes et les grosses usines les ouvriers se joignent au mouve­ment.

Le 24 février la grève générale est procla­mée. Les conseils d'ouvriers et de soldats lancent immédiatement un appel à ceux de Berlin pour unifier le mouvement. Une fois encore, le KPD met en garde contre toute action précipitée : “ Tant que la révolution n'a pas ses organes d'action centraux, nous devons opposer l'action d'organisation des conseils qui se développe localement en mille endroits. ” (Tract de la Centrale du KPD). Il s'agit de renforcer la pression à partir des usines, d'intensifier les luttes éco­nomiques et de renouveler les conseils ! Aucun mot d'ordre appelant au renversement du gouvernement n'est formulé.

Grâce à un accord sur la socialisation, la bourgeoisie parvient, ici aussi, à bri­ser le mouvement. Les 6 et 7 mars le travail re­prend. Et à nouveau la même action com­mune entre l'armée et le SPD se met en place : “ Pour toutes les opérations militai­res (...) il est opportun de prendre contact avec les membres dirigeants du SPD fidèles au gouvernement. ” (Märcker, dirigeant militaire de la répression en Allemagne cen­trale). La vague de grève ayant débordé sur la Saxe, la Thüringe et l'Anhalt, les sbires de la bourgeoisie exercent leur répression jus­qu'en mai.

Berlin, à nouveau, en mars...

Le mouvement dans la Ruhr et en Allemagne centrale touchant à sa fin, le prolétariat de Berlin entre à nouveau en lutte le 3 mars. Ses principales orientations sont : le renforcement des conseils d’ouvriers et de soldats, la libération de tous les pri­sonniers politiques, la formation d'une garde ouvrière révolutionnaire et l'établissement de contacts avec la Russie. La dégradation rapide de la situation de la population après la guerre, l'explosion des prix, le dévelop­pement du chômage massif suite à la dé­mobilisation, poussent les ou­vriers à déve­lopper des luttes revendicati­ves. A Berlin, les communistes réclament de nouvelles élections aux conseils ouvriers pour accen­tuer la pression sur le gouverne­ment. La direction du KPD de la circons­cription du Grand-Berlin écrit : “ Croyez vous atteindre vos objectifs révolutionnaires grâce au bulletin de vote ? (...) Si vous vou­lez faire progresser la révolution, alors en­gagez toutes vos forces dans le travail au sein des conseils d’ouvriers et de soldats. Faites en sorte qu'ils deviennent de vérita­bles instru­ments de la révolution. Procédez à de nou­velles élections aux conseils d’ouvriers et de soldats. ”

Le SPD, de son côté, se prononce contre un tel mot d'ordre. Encore une fois, il se livre au sabotage du mouvement au niveau politi­que mais aussi, comme nous le verrons, au niveau répressif. Lorsque les ouvriers berli­nois entrent en grève début mars, le conseil exécutif composé de délégués du SPD et de l'USPD prend la direction de la grève. Le KPD, lui, refuse d'y siéger : “ Accepter les représentants de cette politique dans le comité de grève signifie la trahison de la grève générale et de la révolution. ”

Comme le font aujourd'hui les socialistes, staliniens et autres représentants de la gau­che du capital, le SPD a réussi à investir le comité de grève grâce à la crédulité d'une partie des ouvriers mais surtout grâce à tou­tes sortes de manoeuvres, magouilles et du­peries. C'est pour ne pas avoir les mains liées que les spartakistes refusent, à ce mo­ment-là, de siéger aux côtés de ces bour­reaux de la classe ouvrière.

Le gouvernement fait interdire Die Rote Fahne alors que le SPD arrive à faire im­primer son journal. Les con­tre-révolution­naires peuvent ainsi dévelop­per leur propa­gande répugnante tandis que les révolution­naires sont condamnés au silence. Avant d'être interdit, Die Rote Fahne met en garde les ouvriers :

“ Cessez le travail ! Restez pour l'instant dans les usines. Rassemblez vous dans les usines. Convainquez les hésitants et ceux qui traînent. Ne vous laissez pas entraîner dans d'inutiles fusillades que guette Noske pour faire à nouveau couler le sang ”.

Rapidement, en effet, la bourgeoisie suscite des pillages, grâce à ses agents provoca­teurs, qui servent de justification officielle à l'engagement de l'armée. Les soldats de Noske détruisent en tout premier lieu les lo­caux de la rédaction de Die Rote Fahne. Les principaux membres du KPD sont à nouveau jetés en prison. Léo Jogisches est fusillé. C'est justement parce que Die Rote Fahne a mis en garde la classe ouvrière contre les provocations de la bourgeoisie, qu'il est la cible immédiate des troupes con­tre-révolu­tionnaires.

La répression à Berlin commence le 4 mars. Environ 1 200 ouvriers sont passés par les armes. Pendant des semaines la Sprée re­jette des cadavres sur ses rives. Quiconque se trouve en possession d'un portrait de Karl et de Rosa est arrêté. Nous le répétons : ce ne sont pas les fascistes qui sont responsa­bles de cette répression sanglante mais le SPD !

Alors que le 6 mars la grève générale est brisée en Allemagne centrale, celle de Berlin prend fin le 8.

En Saxe, en Bade et en Bavière aussi il y a, durant ces mêmes semaines, des luttes im­portantes mais jamais le lien ne réussit à se faire entre ces différents mouvements.

La république des conseils de Bavière en avril 1919

En Bavière aussi la classe ouvrière est en lutte. Le 7 avril le SPD et l'USPD, cherchant “ à regagner la faveur des masses par une action pseudo-révolutionnaire ” (Léviné), proclament la République des conseils. Comme en janvier à Berlin, le KPD constate que le rapport de forces n'est pas favorable aux ouvriers et prend position contre l'ins­tauration de cette République. Pourtant les communistes de Bavière appellent les ou­vriers à élire un “ conseil véritablement ré­volutionnaire ” en vue de la mise en place d'une véritable République des conseils communiste. E. Léviné se retrouve, le 13 avril, à la tête d'un nouveau gouverne­ment qui prend, sur les plans économique, politique et militaire, des mesures énergi­ques contre la bourgeoisie. Malgré cela, cette initiative est une lourde erreur des ré­volutionnaires de Bavière qui agissent à l'encon­tre des analyses et orientations du Parti.

Maintenu dans un total isolement par rap­port au reste de l'Allemagne, le mouvement voit se développer une contre-offensive d'ampleur de la part de la bourgeoisie. Munich est affamée et 100 000 soldats s'amassent dans ses alentours. Le 27 avril le Conseil exécutif de Munich est renversé. De nouveau le bras de la répression sanglante s'abat et frappe : des milliers d'ouvriers sont fusillés ou tués dans les combats ; les com­munistes sont pourchassés et Léviné est condamné à mort.

oOo

Les générations actuelles du prolétariat ont du mal à imaginer ce que peut représenter la puissance d'une vague de luttes quasi-simul­tanées dans les grandes concentrations du capitalisme et la pression gigantesque que cela exerce sur la classe dominante.

A travers son mouvement révolutionnaire en Allemagne, la classe ouvrière a prouvé qu'elle est en mesure, face à une bourgeoisie parmi les plus expérimentées, d'établir un rapport de force qui aurait pu conduire au renversement du capitalisme. Cette expé­rience montre que le mouvement révolution­naire du début du siècle n'était pas réservé au prolétariat de “ pays arriérés ” comme la Russie mais qu'il a impliqué massivement les ouvriers du pays le plus développé indus­triellement d'alors.

Mais la vague révolutionnaire, de janvier à avril 1919, s'est développée dans la disper­sion. Ces forces, concentrées et unies, au­raient suffi au renversement du pouvoir bourgeois. Elles se sont au contraire épar­pillées et le gouvernement est ainsi parvenu à les affronter et à les anéantir paquet par paquet. L'action de celui-ci, dès janvier à Berlin, avait décapité et brisé les reins de la révolution.

Richard Müller, l'un des dirigeants des “ hommes de confiance révolutionnaires ”, qui se sont caractérisés pendant longtemps par leurs grande hésitation, ne peut s'empê­cher de constater : “ Si la répression des luttes de janvier à Berlin ne s'était pas pro­duite, alors le mouvement aurait pu obtenir plus d'élan ailleurs au printemps et la ques­tion du pouvoir se serait posée plus préci­sément dans toute sa portée. Mais la provo­cation militaire avait en quelque sorte coupé l'herbe sous le pied du mouvement. L'action de janvier avait fourni des argu­ments pour les campagnes de calomnies, le harcèlement et la création d'une atmosphère de guerre civile. ”

Sans cette défaite, le prolétariat de Berlin aurait pu opportunément soutenir les luttes qui se sont développées dans les autres ré­gions d'Allemagne. Par contre, cet affaiblis­sement du bataillon central de la révolution a permis aux forces du capital de passer à l'offensive et d'entraîner partout les ouvriers dans des affrontements militaires prématu­rés et dispersés. La classe ouvrière, en effet, n'est pas parvenue à mettre sur pied un mouvement large, uni et centralisé. Elle n'a pas été capable d'imposer un double pouvoir dans tout le pays à travers le renforcement des conseils et de leur centralisation.

Seul l'établissement d'un tel rapport de force peut permettre de se lancer dans une action insur­rectionnelle, celle-ci exigeant la plus grande conviction et coordination dans l’action. Et cette dynamique ne peut se déve­lopper sans l'intervention claire et dé­terminée d’un parti politique au sein du mouve­ment. C'est ainsi que le prolétariat peut se sortir victorieusement de son combat histo­rique.

La défaite de la révolution en Allemagne du­rant les premiers mois de l'an­née 1919 n'est pas seulement le fait de l'habileté de la bourgeoisie autochtone. Elle est aussi le ré­sultat de l'action concertée de la classe capi­taliste internationale. Cette der­nière qui, pendant 4 années, s'est entre-dé­chirée avec la plus extrême violence, a dé­passé ses pro­fondes divisions et retrouvé une unité pour faire face au prolétariat révo­lutionnaire. Lénine le met clairement en évidence quand il affirme que tout a été

Alors que la classe ouvrière en Allemagne offre des luttes dispersées, les ouvriers en Hongrie en mars se dressent contre le capital dans des affrontements révolution­naires. Le 21 mars 1919 la République des conseils est proclamée en Hongrie mais elle est cepen­dant écrasée dans l'été par les troupes con­tre-révolutionnaires.

La classe capitaliste internationale se tenait unie derrière la bourgeoisie en Allemagne. Alors que pendant quatre années auparavant elle s'était entre-déchirée le plus violem­ment, elle s'affrontait unie à la classe ou­vrière. Lénine pensait que tout avait été “ fait pour s'entendre avec les conciliateurs allemands afin d'étouffer la révolution alle­mande. ” (Rapport du Comité central pour le 9e Congrès du PCR). C'est une leçon que la classe ouvrière doit retenir : chaque fois qu'elle met en danger le capitalisme, elle trouve face à elle non pas une classe domi­nante divisée mais des forces du capital unies internationalement.

Cependant si le prolétariat en Allemagne avait pris le pouvoir, le front capitaliste au­rait été enfoncé et la révolution russe ne se­rait pas restée isolée.

Lorsque la 3e Internationale est fondée à Moscou en mars 1919, pendant que se déve­loppent encore les luttes en Allemagne, cette perspective semble à portée de main à l'ens­emble des communistes. Mais la défaite ou­vrière en Allemagne va entamer le déclin de la vague révolutionnaire internationale et notamment celui de la révolution russe. C'est l'action de la bourgeoisie, avec le SPD comme tête de pont qui va permettre l'iso­lement puis la dégénérescence de la révolu­tion bolchevik et accoucher ultérieurement du stalinisme.

***

Dans le prochain article on abordera l'inter­vention des révolutionnaires dans les luttes depuis 1914 et on examinera à nouveau la question si l'échec de la révolution doit ex­clusivement être mis au compte de la fai­blesse ou de l'absence d'un parti.

DV.




[1] [53]. Voir dans les deux précédents numéros de cette revue les articles : “ Les révolutionnaires en Allemagne pendant la première guerre mondiale ” et “ Les débuts de la révolution ”.

 

[2] [54]  Parti social-démocrate d’Allemagne, le plus grand parti ouvrier avant 1914, date à laquelle sa direc­tion, groupe parlementaire et directions syndicales en tête, trahit tous les engagements  internationalistes du parti et se range armes et bagages aux côtés de sa bourgeoisie nationale comme sergent-recruteur de la boucherie impérialiste.

 

[3] [55]. La CWO a montré en 1980 à quelle attitude ir­responsable une organisation révolutionnaire, sans analyses claires, peut être amenée. En effet, au mo­ment des luttes de masse en Pologne elle appela à la révolution immédiatement (“ Revolution now ”).

 

[4] [56]. Parti socialiste indépendant d’Allemagne, scission “ centriste ” du SPD, rejette les aspects les plus ouvertement bourgeois de ce dernier, sans pour au­tant se situer sur les positions révolutionnaires des communistes internationalistes. La Ligue Spartakus s’y intègre en 1917 en vue d’élargir son influence parmi les travailleurs de plus en plus écoeurés par la politique du SPD.

 

[5] [57] Communistes internationalistes d’Allemagne, Socialistes internationalistes d’Allemagne avant le 23 novembre 1918, date à la quelle, à Brême, ils décident de remplacer le mot de Socialiste par celui de Communiste dans leur sigle. Moins nombreux et influents que le groupe Spartakus, ils partagent avec ces derniers le même internationalisme révolution­naire. Membres de la Gauche zimmerwaldienne, ils sont très liés à la Gauche communiste internationale, en particulier la gauche hollandaise (Pannekoek et Gorter comptent parmi leurs théoriciens avant la guerre) et russe (Radek travaille dans leurs rangs). Leur position de rejet des syndicats et du parlemen­tarisme sera majoritaire au congrès de constitution du KPD, contre la position de Rosa Luxemburg.

 

[6] [58]. Les “ hommes de confiance révolutionnaires ”, Revolutionnäre Obleute (RO), sont constitués, à l’origine, essentiellement de délégués syndicaux élus dans les usines, mais qui ont rompu avec les direc­tions social-chauvines des centrales syndicales. Ils sont le produit direct de la résistance de la classe ouvrière contre la guerre et contre la trahison des partis ouvriers et des syndicats. Malheureusement, la révolte contre la direction syndicale, les conduit sou­vent à être rétifs à l’idée de centralisation et à déve­lopper un point de vue trop localiste, voire usiniste. Ils seront toujours mal à l’aise dans les questions politiques générales et souvent une proie facile pour la politique de l’USPD.

Géographique: 

  • Allemagne [59]

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Allemande [60]

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Germano-Hollandaise [61]

Approfondir: 

  • Révolution Allemande [62]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La Révolution prolétarienne [63]

Réponse au BIPR [2° partie] : Les théories sur la crise historique du capitalisme

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Dans l’Internationalist Communist Review n° 13, le BIPR répond à notre article de polémique "La conception du BIPR sur la décadence du capitalisme" paru dans le n° 79 de la Revue Internationale. Dans la Revue Internationale n° 82 nous avons publié la 1re partie de cet article, montrant les implications négatives qu'a la conception du BIPR sur le. guerre impérialiste comme moyen de dévalorisation du capital et de renaissance des cycles d'accumulation. Dans cette 2e partie, nous allons analyser la théorie économique qui sous-tend cette conception : la théorie de la baisse tendancielle du taux de profit.

L'explication de la crise historique du capitalisme dans le mouvement marxiste,

Les économistes bourgeois, depuis les classiques (Smith, Ricardo, etc.), s'appuient sur deux dogmes intangibles :

1. L'ouvrier est un citoyen libre qui vend sa force de travail en échange d'un salaire. Le salaire est sa participation à la rente sociale, au même titre que le bénéfice qui rémunère l'entrepreneur.

2. Le capitalisme est un système éternel. Ses crises sont temporaires ou conjoncturelles, et proviennent des disproportions entre les différentes branches de production, des déséquilibres dans la distribution ou d'une mauvaise gestion. Cependant, à la longue, le capitalisme n'a pas de problème de réalisation des marchandises : la production trouve toujours son marché, atteignant l'équilibre entre l'offre (la production) et la demande (la consommation).

Marx a combattu à mort ces dogmes de l'économie bourgeoise. 11 a démontré que le capitalisme n'est pas un système éternel : "Dans le cours de leur développement, les forces productives de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété dans lesquels elles se sont mues jusqu'alors. De forme de développement des forces productives qu'ils étaient, ces rapports se transforment en frein de ces forces. Alors s'ouvre une période de révolution sociale. " (Préface à la Contribution à la critique de l'économie politique). Cette période de crise historique, de décadence irréversible du capitalisme, s'est ouverte avec la première guerre mondiale. Depuis lors, une fois vaincue la tentative révolutionnaire mondiale du prolétariat de 1917-23, la survie du capitalisme coûte à l'humanité des océans de sang (100 millions de morts dans des guerres impérialistes entre 1914 et 1968), de sueur (accroissement brutal de l'exploitation de la classe ouvrière) et de larmes (la terreur du chômage, les barbaries de toutes sortes, la déshumanisation des rapports sociaux).

Cependant cette analyse fondamentale, patrimoine commun de la Gauche communiste, n'est pas expliquée de la même manière au sein du milieu politique révolutionnaire actuel. Il existe deux théories pour expliquer la décadence du capitalisme, la théorie de la baisse tendancielle du taux de profit et celle que l'on appelle la "théorie des marchés", basée essentiellement sur la contribution de Rosa Luxemburg.

Le BIPR adhère à la première théorie, tandis que nous nous revendiquons de la seconde ([1] [64]). Pour que la polémique entre les deux théories soit fructueuse, il est nécessaire de la baser sur une compréhension de l'évolution du débat au sein du mouvement marxiste.

Marx vivait à l'époque de l'apogée du capitalisme. Bien qu'à cette époque la crise historique du système ne se posait pas de ma­nière aussi dramatique qu'aujourd'hui, il fut capable de voir dans les crises cycliques de croissance qui secouaient périodiquement le capitalisme une manifestation de ses contradictions et l'annonce des convulsions qui le conduiraient à la ruine.

"(...) Marx a mis en évidence deux contradictions fondamentales qui se trouvaient à la base des crises de croissance que le capitalisme a traversées au 19e siècle, et qui allaient, à un moment donné, pousser le capitalisme dans une phase de déclin historique, le plonger dans une crise mortelle qui mettrait la révolution communiste à l'ordre du jour. Ces deux contradictions sont : 1) la tendance du taux de profit à baisser, avec l'inévitabilité de l'élévation constante de la composition organique du capital, et 2) le problème de la surproduction, une maladie innée du système capitaliste qui produit plus que le marché ne peut absorber. " ([2] [65])

Comme nous verrons plus loin, "Bien que Marx ait élaboré un cadre dans lequel ces deux phénomènes sont intimement liés, il n'a jamais terminé son examen du système capitaliste de sorte que, selon ses différents écrits, il donne plus ou moins d'importance à l'un ou l'autre phénomène comme cause fondamentale de la crise (...) C'est le caractère inachevé de la pensée de Marx sur ce sujet crucial - qui n'est pas déterminé par l'incapacité personnelle de Marx à achever Le Capital mais, comme nous l'avons dit, par les limites de la période historique dans laquelle il écrivait - qui a amené la controverse au sein du mouvement ouvrier sur les fondements économiques du déclin du capitalisme. " ([3] [66])

A la fin du siècle dernier, les conditions du capitalisme commencèrent à changer : l'impérialisme comme politique de rapine et d'affrontement entre puissances se développait à pas de géant et, d'autre part, le capitalisme montrait des signes croissants de maladie (inflation, développement du militarisme dans les pays "arrivés trop tard" tels l'Allemagne ou la Russie) qui venaient contrecarrer fortement une croissance et une prospérité ininterrompues depuis la décennie 1870. Dans ce contexte apparût, au sein de la 2e Internationale, un courant opportuniste qui mettait en question la thèse marxiste de l'effondrement du capitalisme et misait sur une transition graduelle vers le socialisme à travers des réformes successives d'un capitalisme dont "les contradictions s'amenuisaient". Les théoriciens de ce courant concentraient leur artillerie, précisément contre la deuxième des contradictions relevées par Marx : la tendance à la surproduction. Ainsi Bernstein disait : "Marx se contredit en reconnaissant que la cause ultime des crises est la limitation de la consommation des masses. En réalité, la théorie de Marx sur la crise ne diffère pas beaucoup du sous-consumérisme de Rodbertus. " ([4] [67])

En 1902, Tugan-Baranovski, un révisionniste russe, attaqua la théorie de Marx sur la crise du capitalisme, niant que celui-ci puisse rencontrer un problème de marché et affirmant que les crises se produisent en conséquence "disproportion" entre les différents secteurs.

Tugan-Baranovski alla même plus loin que ses collègues révisionnistes allemands (Bernstein, Schmidt, Vollmar, etc.).Il revint aux dogmes de l'économie bourgeoise, reprit concrètement l'idée de Say (amplement critiquée par Marx), basée sur la thèse selon laquelle "le capitalisme n'a aucun problème de réalisation si ce n'est quelques troubles conjoncturels " ([5] [68]). Il y eut une réponse très ferme de la 2e Internationale par Kautsky, qui alors se situait encore dans les rangs révolutionnaires : "Les capitalistes et les ouvriers qu'ils exploitent constituent un marché pour les moyens de consommation produits par l'industrie, marché qui s'agrandit avec l'accroissement de la richesse des premiers et le nombre des seconds, mais moins vite cependant que l'accumulation du capital et que la productivité du travail, et qui ne suffit pas à lui seul pour absorber les moyens de consommation produits par la grande industrie capitaliste. L'industrie doit chercher des débouchés supplémentaires à l'extérieur de sa sphère dans les professions et les nations qui ne produisent pas encore selon le mode capitaliste. (...) Ces débouchés supplémentaires ne possèdent pas, et de loin, l'élasticité et la capacité d'extension de la production capitaliste... Telle est, en quelques mots, la théorie des crises adoptée généralement, pour autant que nous le sa­chions, par les "marxistes orthodoxes" et fondée par Marx. " ([6] [69])

Cependant, la polémique s'est radicalisée quand Rosa Luxemburg a publié L'accumulation du capital. Dans ce livre, Rosa Luxemburg essaie d'expliquer le développement vertigineux de l'impérialisme et la crise toujours plus profonde du capitalisme. Elle démontre que le capitalisme s'est développé historiquement en étendant, à des régions ou secteurs pré-capitalistes, ses rapports de production basés sur le travail salarié et qu'il atteint ses limites historiques quand ces rapports embrassent toute la planète. Dès lors, il n'existe plus de territoires nouveaux correspondant aux nécessités d'expansion qu'imposé la croissance de la productivité du travail et de la composition organique du capital : "Ainsi le capitalisme ne cesse de croître grâce à ses relations avec les couches sociales et les pays non capitalistes, poursuivant l'accumulation à leurs dépens mais en même temps les décomposant et les refoulant pour s'implanter à leur place. Mais à mesure qu'augmenté le nombre des pays capitalistes participant à la chasse aux territoires d'accumulation et à mesure que se rétrécissent les territoires encore disponibles pour l'expansion capitaliste la lutte du capital pour ses territoires d'accumulation devient de plus en plus acharnée et ses campagnes engendrent à travers le monde une série de catastrophes économiques et politiques : crises mondiales, guerres, révolutions. " ([7] [70])

Les critiques de Rosa Luxemburg nient que le capitalisme ait un problème de réalisation, c'est-à-dire oublient cette contradiction du système que Marx a affirmé avec acharnement contre les économistes bourgeois, et qui constitue la base de "¡a théorie de la crise fondée par Marx", comme l'a rappelé, quelques années auparavant, Kautsky contre le révisionniste Tugan-Baranovski.

Les contradicteurs de Rosa Luxemburg s'érigent en défenseurs "orthodoxes et inconditionnels " de Marx et, plus particulièrement, de ses schémas de la reproduction élargie présentés dans le tome II du Capital. C'est-à-dire qu'ils affaiblissent la pensée de Marx en interprétant faussement un aspect du Capital en l'isolant du reste de l'analyse globale ([8] [71]). Leurs arguments sont très variés. Eckstein disait qu'il n'y a pas de problème de réalisation parce que les tableaux de la reproduction élargie de Marx expliquent "parfaitement" qu'il n'y a aucune partie de la production qui ne soit pas vendue. Hilferding ressuscite la théorie de la "proportionnalité entre les secteurs " disant que les crises sont dues à l'anarchie de la production et que la tendance du capitalisme à la concentration réduit cette anarchie et, partant, les crises. Finalement, Bauer dit que Rosa Luxemburg avait signalé un problème réel mais que celui-ci avait une solution dans le capitalisme : l'accumulation suit la croissance de la population.

A cette époque, seul un rédacteur d'un périodique socialiste local opposa à Rosa Luxemburg la théorie de la baisse tendancielle du taux de profit. A ses objections celle-ci répondit ainsi.: "Ou alors, il reste la consolation vague du petit "expert" de la Dresdener Volkszeitung, qui, après avoir exécuté mon livre, déclare que le capitalisme finira par s'effondrer "à cause de la baisse du taux de profit". Comment le brave homme imagine-t-il les choses ? Arrivé à un certain point, la classe capitaliste, désespérée de l'insignifiance du taux de profit se pendra-t-elle collectivement, ou bien déclarera-t-elle que, puisque les affaires vont si mal, il ne vaut pas la peine de s'embarrasser de soucis et de tourments, passera-t-elle la main au prolétariat ? En tout cas cette consolation est réduite à néant par une seule phrase de Marx : "Pour les grands capitalistes, la baisse du taux de profit est compensée par sa masse." // coulera encore de l'eau sous les ponts avant que la baisse du taux de profit ne provoque l'effondrement du capitalisme. " ([9] [72])

Lénine et les bolcheviks ne participaient pas à cette polémique ([10] [73]). Il est certain que Lénine avait combattu la théorie des populistes sur les marchés, une théorie sous-consumériste dans la lignée des erreurs de Sismondi. Pourtant, jamais Lénine n'a nié le problème des marchés : dans son analyse du problème de l'impérialisme, bien qu'il s'appuie principalement sur la théorie de Hilferding sur la concentration du capital financier ([11] [74]), il ne manque pas de reconnaître que celle-ci surgit sous la pression de la saturation générale du marché mondial. Ainsi, dans L'impérialisme stade suprême du capitalisme, il répond à Kautsky en soulignant que "la caractéristique de l'impérialisme est précisément la tendance à l'annexion non seulement des région agraires, mais aussi des plus industrielles, car, la division du monde une fois terminée, oblige à procédera un nouveau partage, à étendre la main sur tout type de territoire. "

Dans la 3e Internationale dégénérescente Boukharine, dans le livre L'impérialisme et l'accumulation du capital, attaque la thèse de Rosa Luxemburg dans le contexte du développement d'une théorie qui ouvrira les portes au triomphe du stalinisme : la théorie de la "stabilisation" du capitalisme (qui présupposait la thèse révisionniste selon laquelle il était capable de dépasser les crises) et de la "nécessité" pour l'URSS de "coexister" pour un temps prolongé avec le système capitaliste. La critique fondamentale de Boukharine à Rosa Luxemburg est que celle-ci se serait limitée à privilégier la contradiction concernant le marché, oubliant toutes les autres, dont celle de la théorie de la baisse tendancielle du taux de profit. ([12] [75])

A la fin des années 1920 et au début des années 1930 "Paul Mattick, qui appartenait au mouvement des Communistes de Conseils, reprenait la critique d’Henrik Grossman à Rosa Luxemburg et l'idée que la crise permanente du capitalisme a lieu lorsque la composition organique du capital atteint une telle ampleur qu'il y a de moins en moins de plus-value pour relancer l'accumulation. Cette idée de base - tout en étant davantage élaborée sur de nombreux points - est aujourd'hui défendue par de nombreux groupes révolutionnaires comme la CWO. Battaglia Comunista et certains des groupes qui surgissent en Scandinavie. " ([13] [76])

La théorie marxiste de la crise ne se base pas uniquement sur la baisse tendancielle du taux de profit.

II doit être clair que la contradiction dont souffre le capitalisme dans la réalisation de la plus-value joue un rôle fondamental dans la théorie marxiste de la crise, et que les tendances révisionnistes attaquent cette thèse avec une rage particulière. Le BIPR prétend le contraire. Ainsi, dans sa Réponse, il nous dit : "Pour Marx, la source de toute crise authentique se trouve au sein même du système capitaliste, dans les rapports entre capitalistes et ouvriers. Il l'a présentée quelques fois comme une crise née de la capacité limitée des ouvriers à consommer le produit de leur propre travail (...) Il continuait en ajoutant que cela n'est pas dû à la surproduction "en soi" (...) Et Marx continue en expliquant que celles-ci sont causées par la chute du taux de profit (...) La crise dévalorise le capital et permet un nouveau cycle d'accumulation. " ([14] [77]). L'assurance du BIPR est telle qu'il se permet d'ajouter que "les "cycles schématiques de l'accumulation" dont nous sommes heureux d'être prisonniers, se produisent exactement comme Marx les avait prévus. " ([15] [78])

C'est une déformation de la pensée de Marx de dire qu'il expliquait la crise historique du capital uniquement par la théorie de la baisse tendancielle du taux de profit. Pour trois raisons fondamentales :

1) Marx mettait l'accent sur les deux contradictions (baisse du taux de profit et surproduction) :

- Il a établi que le processus de production capitaliste comporte deux parties, la production proprement dite et sa réalisation. Dit simplement, le profit inhérent à l'exploitation n'est rien pour le capitaliste individuel ni non plus pour le capitalisme dans sa globalité si les marchandises produites ne sont pas vendues : "La masse totale des marchandises, le produit total, la partie qui représente le capital constant et le capital variable comme celle qui représente la plus-value, doivent être vendues. Si cette vente n'est pas effective ou si elle ne se réalise que de façon partielle ou se fait à des prix inférieurs aux prix de production, l'ouvrier, bien entendu, est exploité, mais le capitaliste ne réalise pas cette exploitation comme telle. " ([16] [79])

- Il a souligné l'importance vitale du marché dans le développement du capitalisme : "// est nécessaire que le marché augmente sans cesse, de façon que ses connexions internes et les conditions qui le régulent acquièrent toujours plus la forme de lois naturelles (...) Cette contradiction interne trouve sa solution dans l'extension du champs extérieur de la production" ([17] [80]). Mais plus loin, il s'interroge : "Comment serait-il possible que la demande de ces marchandises, de celles dont manque la grande masse de la population, soit insuffisante et qu'il faille chercher cette demande à l'étranger, dans des marchés éloignés, pour pouvoir payer aux ouvriers du pays la quantité moyenne de subsistances indispensables ? Parce que le système spécifiquement capitaliste, avec ses interdépendances internes, est le seul où le produit excédentaire acquiert une forme telle que son possesseur ne peut se permettre de le consommer tant qu'il n'est pas transformé en capital. " ([18] [81])

- Il a condamné sans rémission la thèse de Say selon laquelle il n'y aucun problème de réalisation dans le capitalisme : "La conception que Ricardo a repris du vide et insubstantiel Say que la surproduction ou, pour le moins, la saturation générale du marché, est impossible, se base sur le principe que les produits s'échangent toujours contre des produits ou, comme l'a dit Mill, la demande n'est déterminée que par la production. " ([19] [82])

- Il a insisté sur le fait que la surproduction permanente exprime les limites historiques du capitalisme : "Si l'on admet que le marché doit se développer en même temps que la production, on admet, d'un autre côté, la possibilité de surproduction, parce que le marché est extrêmement limité au sens géographique (...) Il est parfaitement possible que les limites du marché ne puissent se développer assez rapidement pour la production ou que les nouveaux marchés puissent être rapidement absorbés par la production de façon que le marché élargi représente une entrave pour la production, comme l'était le marché antérieur plus limité." ([20] [83])

2) Marx a établi l'ensemble des causes qui contrecarrent la baisse tendancielle du taux de profit. Dans le chapitre XTV du Livre 3 du Capital, il analyse les six causes qui contrecarrent cette tendance : augmentation du niveau d'exploitation du travail, réduction du salaire en dessous de sa valeur, réduction du coût du capital constant, surpopulation relative, commerce extérieur, augmentation du capital-actions.

- Il concevait la baisse tendancielle du taux de profit comme une expression de l'augmentation constante de la productivité du travail, tendance que le capitalisme développe à un niveau jamais vu dans les modes de productions antérieurs : "A mesure que diminue progressivement le capital variable relativement au capital constant, la composition organique de l'ensemble du capital s'élève de plus en plus, et la conséquence immédiate de cette tendance c'est que le taux de plus-value se traduit par un taux de profit général en baisse continuelle ... Par conséquent, la tendance progressive à la baisse du taux de profit général est tout simplement une manière, propre au mode de production capitaliste, d'exprimer le progrès de la productivité sociale du travail. " ([21] [84])

- Il a précisé que ce n'est pas une loi absolue, mais une tendance qui contient toute une série d'effets contraires (exposés plus haut) qui naissent de cette tendance même : "Et ainsi donc nous avons vu qu'en général les mêmes causes qui provoquent la baisse du taux de profit général suscitent des effets contraires qui freinent, ralentissent et paralysent partiellement cette baisse. Ils ne suppriment pas la loi, mais en affaiblissent l'effet. Sinon ce n'est pas la baisse du taux de profit général qui serait incompréhensible, mais inversement la lenteur relative de cette baisse. C'est ainsi que la loi n'agit que sous forme de tendance dont l'effet n'apparaît d'une façon frappante que dans des circonstances déterminées et sur de longues périodes de temps. " ([22] [85])

- En rapport avec la baisse tendancielle du taux de profit, Marx souligne l'importance primordiale du "commerce extérieur" et surtout de la recherche continue de nouveaux marchés : "Mais ce même commerce extérieur favorise dans la métropole le développement du mode de production capitaliste et entraîne ainsi la réduction du capital variable par rapport au capital constant ; et d'un autre côté il crée par rapport à l'étranger une surproduction et donc il finirá de nouveau par agir en sens opposé. " ([23] [86])

3) Finalement, au contraire de ce que pense le BIPR, Marx ne voyait pas la dévalorisation de capital comme l'unique moyen dont dispose le capitalisme pour surmonter les crises, il a insisté à plusieurs reprises sur l'autre moyen : la conquête de nouveaux marchés.

"Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle cette crise ? D'une part par la destruction obligée d'une masse de forces productives ; et d'autre part par la conquête de not veaux marchés et l'exploitation plus intensives des précédents. " ([24] [87])

"La production capitaliste est une phase économique de transition pleine de contradictions internes qui ne se développent et deviennent perceptibles que dans le cours de sa propre évolution. Cette tendance à se créer un marché et à l'annuler en même temps est justement une de ces contradictions. Une autre contradiction est la "situation sans issue" à quoi cela conduit, et qui dans un pays sans marché extérieur comme la Russie, survient plus avant que dans des pays qui ont plus ou moins de capacités pour rivaliser sur le marché mondial. Cependant, dans ces derniers pays, cette situation apparemment sans issue trouve un remède dans les moyens héroïques de la politique commerciale; c'est-à-dire, dans l'ouverture violente de nouveaux marchés. Le dernier en date des nouveaux marchés que s'est ouvert de cette façon le commerce anglais et qui s'est montré apte à animer temporairement le dit commerce, est la Chine. " ([25] [88])

Le problème de l'accumulation

Cependant, le BIPR nous donne un autre argument "de poids " : "comme nous l'avons souligné plus haut, cette théorie (il se réfère à celle de Rosa Luxemburg) réduit à un non-sens Le Capital de Marx, puisque celui-ci développe son analyse en considérant un système capitaliste fermé qui n'a pas d"'acheteurs tiers" (et cependant, il fut capable de découvrir le mécanisme de la crise)". ([26] [89])

II est tout à fait certain que Marx soulignait que "l'introduction du commerce extérieur dans l'analyse de la valeur des marchandises annuellement produites ne peut créer que de la confusion, sans apparier aucun élément nouveau ni au problème ni à sa solution " ([27] [90]). Il est vrai que, dans le dernier chapitre du 2e livre, Marx, essayant de comprendre les mécanismes de la reproduction élargie du capitalisme, affirme que l'on doit faire abstraction des "éléments extérieurs ", que l'on doit supposer qu'il n'y a que des capitalistes et des ouvriers et, partant de ces présupposés, il élabore les schémas de la reproduction élargie du capital. Ces fameux schémas ont servi de "bible" aux révisionnistes pour "démontrer" que "Marx donnait dans le 3e Livre du Capital une explication suffisante de l'accumulation, que les schémas prouvaient clairement que le capital peut parfaitement croître et la production s'étendre, sans qu'il y ait dans le monde d'autre mode de production que la production capitaliste ; celle-ci trouve en elle-même, d'après eux, ses propres débouchés ; c'est seulement mon incompréhension absolue des schémas de Marx qui m'a conduite à voir là un problème. " ([28] [91])

Il est absurde de prétendre que l'explication des crises capitalistes est contenue dans les fameux schémas de l'accumulation. Le centre de la critique de Rosa Luxemburg est précisément la supposition sur laquelle elle est élaborée : "la réalisation de la plus-value aux fins d'accumulation est un problème insoluble pour une société qui ne compte que des capitalistes et des ouvriers. " ([29] [92]). Partant de là, elle en démontre l'inconsistance : "Pour qui les capitalistes produisent-ils ce qu'ils ne consomment pas ; ce dont ils se 'privent', c'est-à-dire ce qu'ils accumulent ? Ce ne peut pas être pour l'entretien d'une armée toujours plus importante d'ouvriers, puisqu'en régime capitaliste la consommation des ouvriers est une conséquence de l'accumulation ; jamais son moyen ni sa fin (...) Qui donc réalise la plus-value qui croît constamment ? Le schéma répond : les capitalistes eux-mêmes et seulement eux ([30] [93]). Et que font-ils de leur plus-value croissante ? Le schéma répond ils l'utilisent pour élargir de plus en plus leur production. Ces capitalistes sont fanatiques de la production pour elle-même, ils font construire de nouvelles machines pour construire avec elles, à son tour, de nouvelles machines. Mais ce qui résultera de là n'est pas une accumulation de capital, mais une production croissante de moyens de production sans fin et il faut avoir l'audace de Tugan-Baranovski pour supposer que ce carrousel incessant, dans le vide, peut être un miroir théorique fidèle de la réalité capitaliste et une véritable conscience de la doctrine marxiste. " ([31] [94])

De là, elle conclut que "Marx a exposé de façon très détaillée et claire, sa propre conception du cours caractéristique de l'accumulation capitaliste dans toute son œuvre, en particulier dans le Livre III. Et il a suffisamment approfondi cette conception pour s'apercevoir que les schémas insérés à la fin du Livre II sont insuffisants. Si l'on examine le schéma de la reproduction élargie, du point de vue de la théorie de Marx, on s'aperçoit nécessairement qu'il se trouve en contradiction avec elle sur divers aspects. " ([32] [95])

Le capitalisme dépend, pour son développement historique, d'un milieu ambiant pré capitaliste avec lequel il établit une relation qui comprend, de façon indissociable, trois éléments : échange (acquisition de matières premières en échange de produits manufacturés), destruction de ces formes sociales (destruction de l'économie naturelle de subsistance, séparation des paysans et artisans de leur moyens de travail) et intégration à la production capitaliste (développement du travail salarié et de l'ensemble des institutions capitalistes).

Ces rapports d'échange-destruction-intégration embrasse le long processus de formation (16e et 17e siècles), apogée (19e siècle) et décadence (20e siècle) du système capitaliste et constitue une nécessité vitale pour l'ensemble de ses rapports de production : "le processus d'accumulation du capital est lié, par ses rapports de valeur et de marchandises : capital constant, capital variable et plus-value, à des formes de production non capitalistes. L'accumulation du capital ne peut pas être ignorée sous le prétexte de la domination exclusive et absolue du mode de production capitaliste, puisque, sans le milieu non capitaliste, elle est inconcevable de toute façon. " ([33] [96])

Pour Battaglia Comunista ce processus historique qui se développe au niveau du marché mondial n'est rien d'autre que le reflet d'un processus beaucoup plus profond : "bien qu'on parte du marché et des contradiction qui s'y manifestent (production-circulation, déséquilibre entre l'offre et la demande) il faut revenir aux mécanismes qui règlent l'accumulation pour avoir une vision plus juste du problème. Le capitalisme en tant qu'unité production-circulation nous oblige à considérer ce qui se passe sur le marché comme conscience de la maturation des contradictions qui sont à la base des rapports de production, et non l'inverse. C'est le cycle économique et la nécessité de la valorisation du capital qui conditionnent le marché. Ce n'est qu'en partant des lois contradictoires qui règlent le processus d'accumulation qu'il est possible d'expliquer les lois du marché. " ([34] [97])

La réalisation de la plus-value, le fameux "saut périlleux de la marchandise" dont parlait Marx, constituerait la "surface" du phénomène, la "caisse de résonance" des contradictions de l'accumulation. Cette vision avec ses airs de "profondeur" ne renferme pas autre chose qu'un profond idéalisme : les "lois du marché " seraient le résultat "extérieur" des lois "internes" du processus d'accumulation. Ce n'est pas la vision de Marx, pour qui les deux moments de la production capitaliste (la production et la réalisation) ne sont pas le reflet l'un de l'autre, mais les deux parties inséparables de l'unité globale qu'est l'évolution historique du capitalisme : "la marchandise entre dans le processus de circulation non seulement comme une valeur d'usage particulière, par exemple une tonne de fer, mais aussi comme une valeur d'usage ayant un prix déterminé, supposons une once d'or. Ce prix qui est, pour partie, l'exposant du "quantum" de temps de travail contenu dans le fer, c'est-à-dire de sa quantité de valeur, exprime en même temps la capacité qu'a le fer de se convertir en or (...) Si cette transsubstantiation ne s'opère pas, la tonne de fer non seulement cesse d'être une marchandise, mais aussi un produit, car précisément elle est une marchandise parce qu'elle constitue une non valeur pour son possesseur, ou dit autrement, parce que son travail n'est pas un travail réel tant qu'il n'est pas un travail utile pour les autres (...) La mission du fer ou de son possesseur consiste donc à découvrir dans le monde des marchandises le lieu oit le fer attire l'or. Cette difficulté, le "saut périlleux" de la marchandise, sera vaincue si la vente s'effectue réellement. " ([35] [98])

Toute tentative de séparer la production de la réalisation empêche de comprendre le mouvement historique du capitalisme qui le mène à son apogée (formation du marché mondial) et à sa crise historique (saturation chronique du marché mondial) : "Les capitalistes se voient forcés d'exploiter à une échelle toujours plus élevée les gigantesques moyens de production déjà existants (...) A mesure que croît la masse de production et, par conséquent, la nécessité de marchés plus étendus, le marché mondial se réduit de plus en plus et il reste de moins en moins de marchés nouveaux à exploiter, parce que chaque crise antérieure soumet au marché mondial un nouveau marché non encore conquis ou que le marché exploitait superficiellement. " ([36] [99]) Ce n'est que dans le cadre de cette unité que l'on peut intégrer de façon cohérente la tendance à l'élévation continue de la productivité du travail : "Le capital ne consiste pas à ce que le travail accumulé serve le travail vivant comme moyen pour une nouvelle production. Il consiste à ce que le travail vivant serve au travail accumulé comme moyen pour conserver et augmenter la valeur d'échange. " ([37] [100])

Quand Lénine étudie le développement du capitalisme en Russie, il utilise la même méthode : "L'important c'est que le capitalisme ne peut subsister et se développer sans un accroissement constant de sa sphère de domination, sans coloniser de nouveaux pays et enrôler les vieux pays non capitalistes dans le tourbillon de l'économie mondiale. Et cette particularité du capitalisme s'est manifestée et continue de sa manifester avec une force énorme dans la Russie postérieure à la Réforme. " ([38] [101])

Les limites historiques du capitalisme

Le BIPR pense cependant que Rosa Luxemburg s'est acharnée à chercher des causes "extérieures" à la crise du capitalisme : "à l'origine, Luxemburg défendait l'idée que la cause de la crise devait être cherchée dans les rapports de valeur inhérents au mode de production capitaliste lui-même (...) Mais la lutte contre le révisionnisme au sein de la social-démocratie allemande semble l'avoir conduite, en 1913, à chercher une autre théorie économique avec laquelle contrecarrer l'affirmation révisionniste selon laquelle la baisse tendancielle du taux de profit ne serait pas valide. Dans L'accumulation du capital elle conclut qu'il y a un défaut dans l'analyse de Marx et elle décide que la cause de la crise capitaliste est extérieure aux rapports capitalistes."([39] [102])

Les révisionnistes ont reproché à Rosa Luxemburg d'avoir soulevé un problème inexistant alors que, selon eux, les tableaux de la reproduction élargie de Marx "démontrent" que toute la plus-value se réalise à l'intérieur du capitalisme. Le BIPR n'a pas recours à ces tableaux, mais sa méthode revient au même : pour lui, Marx, avec son schéma des cycles de l'accumulation, avait donné la solution. Le capitalisme se produit et se développe jusqu'à ce que le taux de profit chute et alors le blocage de la production que provoque cette tendance se transforme "objectivement" en une dépréciation massive des capitaux. A travers cette dépréciation, le taux de profit se restaure, le processus reprend, et ainsi de suite. Il est vrai que le BIPR admet que, historiquement, du fait de l'augmentation de la composition organique du capital et de la tendance à la concentration et à la centralisation du capital, l'évolution est beaucoup plus compliquée : au 20e siècle ce processus de concentration fait que les dévalorisations nécessaires de capital ne peuvent plus se limiter à des moyens strictement économiques (fermetures d'entreprises, licenciement d'ouvriers) mais requièrent d'énormes destructions réalisées par la guerre mondiale (voir la première partie de cet article).

Cette explication est, dans le meilleur des cas, une description des mouvements conjoncturels du capital mais ne permet pas de comprendre le mouvement global, historique, du capitalisme. Avec elle, nous avons un thermomètre pas très fiable (nous avons expliqué, en suivant Marx, les causes qui contrarient la loi) des convulsions et de la marche du capitalisme mais on ne comprend pas, ni même on ne commence à présenter, le pourquoi, la cause profonde de la maladie. Avec le fait aggravant que, dans la décadence, l'accumulation est profondément bloquée et ses mécanismes (y compris, par conséquent, la tendance à la baisse du taux de profit) ont été altérés et pervertis par l'intervention massive de l'Etat. ([40] [103])

Le BIPR nous rappelle que, pour Marx, les causes de la crises sont internes au capitalisme.

Le BIPR voit-il quelque chose de "plus interne" au capitalisme que la nécessité impérieuse qu'il a d'élargir constamment la production au-delà des limites du marché ? Le capitalisme n'a pas pour fin la satisfaction des besoins de consommation (au contraire de la féodalité qui avait pour fin de satisfaire les besoins de consommation des nobles et des curés). Ce n'est pas non plus un système de production simple de marchandises (formes que l'on a pu voir dans l'antiquité et, jusqu'à un certain point, au 14e et 15e siècles). Son but est la production d'une plus-value toujours supérieure à partir des rapports de valeur basés sur le travail salarié. Cela l'oblige à chercher constamment de nouveaux marchés. Pourquoi ? Pour établir un régime d'échanges simples de marchandises ? Pour la rapine et l'obtention d'esclaves ? Non, bien que ces formes aient accompagné le développement du capitalisme, elles ne constituent pas son essence interne, laquelle réside dans la nécessité pour lui d'étendre toujours plus les rapports de production basés sur le travail salarié : "le capital, par malheur pour lui, ne peut pas commercer avec des clients non capitalistes sans les ruiner. Qu'il lui vende des biens de consommation, qu'il lui vende des biens de production, il détruit automatiquement l'équilibre précaire de toute économie pré-capitaliste. Introduire des vêtements bon marché, implanter le chemin de fer, installer une usine, suffît à détruire toute la vieille organisation économique. Le capitalisme aime ses clients pré-capitalistes comme l'ogre aime les enfants : en les dévorant. Le travailleur des économies pré-capitalistes qui a la malchance de se voir touché par le commerce avec les capitalistes sait que, tôt ou tard, il finira, dans le meilleur des cas, prolétarisé par le capital et, dans le pire - et c'est ce qui est de plus en plus fréquent depuis que le capitalisme est entré en décadence - dans la misère et l'indigence. " ([41] [104])

Dans la phase ascendante, au 19e siècle, ce problème de la réalisation paraissait secondaire dans la mesure où le capitalisme trouvait toujours de nouvelles aires pré-capitalistes à intégrer dans sa sphère et, par conséquent, à vendre ses marchandises. Cependant, le problème de la réalisation est devenu décisif au 20e siècle, quand les territoires pré-capitalistes sont chaque fois plus insignifiants par rapport à ses nécessités d'expansion. C'est pourquoi nous disons que la théorie de Rosa Luxemburg "fournit une explication des conditions historiques concrètes qui déterminent l'ouverture de la crise permanente du système : plus le capitalisme intègre à lui-même les aires d'économie non-capitalistes restantes, plus il crée un monde à sa propre image, moins il peut étendre son marché de façon permanente et trouver de nouveaux débouchés pour la réalisation de cette partie de la plus-value qui ne peut être réalisée ni par les capitalistes, ni par le prolétariat. L'incapacité du système à continuer de s'étendre comme auparavant a ouvert la nouvelle époque de l’impérialisme et des guerres impérialistes qui ont constitué le signal de la fin de la mission historique progressiste du capitalisme, menaçant l'humanité de retourner dans la barbarie. " ([42] [105])

Nous ne nions pas, quant à nous, la baisse tendancielle du taux de profit, nous voyons son efficience en fonction d'une vision historique de l'évolution du capitalisme. Celui-ci est secoué par toute une série de contradictions ; la contradiction entre le caractère social de la production et le caractère privé de son appropriation, entre l'augmentation incessante de la productivité du travail et la diminution proportionnelle du travail vivant, la baisse tendancielle du taux de profit susmentionnée. Mais ces contradictions purent être un stimulant au développement du capitalisme tant que celui-ci avait la possibilité d'étendre son système de production à l'échelle mondiale. Quand le capitalisme atteignit ses limites historiques, ces contradictions, de stimulantes qu'elles étaient, se transformèrent en entraves pesantes, en facteurs d'accélération des difficultés et convulsions du système.

L'accroissement de la production dans la décadence capitaliste

Le BIPR nous fait une objection réellement choquante : "Si les marchés étaient déjà saturés en 1913, si toutes les possibilités pré capitalistes étaient épuisées et que l'on ne pouvait en créer de nouvelles (à part en allant sur Mars). Si le capitalisme est allé beaucoup plus loin au niveau de la croissanee qu'au siècle précédent ; comment tout cela est-il possible d'après la théorie de Luxemburg ? " ([43] [106])

Quand, dans l'article polémique de la Revue Internationale n° 79, nous mettions en évidence la nature et la composition de "la croissance économique " réalisée après la 2e guerre mondiale, le BIPR nous a critiqué, laissant entendre qu'il y avait eu une "véritable croissance du capitalisme dans la décadence" et, contre notre défense des positions de Rosa Luxemburg, il disait "nous avons déjà vu comment le CCI règle le problème : en niant empiriquement qu'il y avait eu une réelle croissance. " ([44] [107])

Nous ne pouvons pas répéter ici l'analyse de la nature de la "croissance" depuis 1945. Nous invitons les camarades à lire l'article "Le mode de vie du capitalisme dans la décadence ", paru dans la Revue Internationale n° 56, qui montre clairement que "les taux de croissance d'après 1945 (les plus élevés de l'histoire du capitalisme) " [ont été] "un soubresaut drogué qui constitue une fuite en avant d'un système aux abois. Les moyens mis en œuvre (crédits massifs, interventions étatiques, production militaire croissante, frais improductifs, etc.) pour sa réaliser viennent à épuisement. ". Ce que nous voulons aborder est quelque chose d'élémentaire pour le marxisme : la croissance quantitative de la production ne signifie pas nécessairement le développement du capitalisme.

Le problème chronique, sans issue, du capitalisme dans la décadence est l'absence de nouveaux marchés qui soient au niveau de la croissance qu'imposé à la production l'augmentation constante de la productivité du travail et de la composition organique du capital. Cette croissance constante aggrave toujours plus le problème de la surproduction, puisque la proportion de travail accumulé (capital constant) est de plus en plus supérieure au travail vivant (capital varia­ble, moyens de vie des ouvriers).

Toute l'histoire de la survie du capitalisme au 20e siècle depuis la défaite de la vague révolutionnaire de 1917-23, est l'histoire d'un effort désespéré pour manipuler la loi de la valeur, via l'endettement, l'hypertrophie des dépenses improductives, le développement des armements, pour pallier cette absence chronique de nouveaux marchés. Et l'histoire a montré que ces efforts n'ont pas fait autre chose qu'aggraver les problèmes et aviver les tendances du capita­lisme décadent à l'autodestruction : l'aggravation de la crise chronique du capitalisme accentue les tendances permanentes à la guerre impérialiste, à la destruction généra­lisée. ([45] [108])

En réalité, les chiffres de croissance "fabuleux" de la production, qui éblouissent tellement le BIPR, illustrent la contradiction insoluble qu'impliqué, pour le capitalisme, sa tendance à développer la production de façon illimitée, bien au-delà des capacités d'absorption du marché. Ces chiffres, loin de démentir les théories de Rosa Luxemburg, les confirment pleinement. Quand on voit le développement débridé et incontrôlé de la dette, sans comparaison dans l'histoire humaine, quand on le compare à l'existence d'une inflation permanente et structurelle, quand on voit que depuis l'abandon de l'étalon-or le capitalisme a allègrement éliminé toute référence aux monnaies (Actuellement, Fort-Knox ne couvre que 3 % des dollars qui circulent aux Etats-Unis), quand on le compare avec l'intervention massive des Etats pour contrôler artificiellement l'édifice économique (et cela depuis plus de 50 ans), n'importe quel marxiste tant soit peu sérieux doit rejeter cette "fabuleuse croissance" comme fausse monnaie et conclure qu'il s'agit d'une croissance droguée et frauduleuse.

Le BIPR, au lieu de s'affronter à cette réalité, préfère spéculer sur les "nouvelles réalités " du capitalisme. Ainsi, dans sa réponse, il se propose d'aborder : "la restructuration (et, osons le dire, la croissance) de la classe ouvrière, la tendance des Etats capitalistes à être économiquement diminués par le volume du marché mondial et l'augmentation du capital qui est contrôlé par les institu­tions financières (lesquelles sont, au moins, quatre fois supérieures à ce que seraient l'ensemble des Etats) ont produit une exten­sion de l'économie mondiale depuis l'époque de Rosa Luxemburg et Boukharine jusqu'à l'économie globalisée. " ([46] [109])

Quand il y a dans le monde 820 millions de chômeurs (chiffres du BIT, décembre 1994), le BIPR parle de croissance de la classe ouvrière ! Quand le travail précaire croît de façon irréversible, le BIPR, tel un nouveau Don Quichotte, voit les moulins à vent de la "croissance" et de la "restructuration" de la classe ouvrière. Quand le capitalisme se rapproche de plus en plus d'une catastrophe financière aux proportions incalculables, le BIPR spécule allègrement sur "l'économie globale" et le "capital contrôlé par les institutions financières". Une fois de plus, il voit le monde selon ses rêves : sa Dulcinée de Toboso de I"'économie globale" consiste en la prosaïque réalité d'un effort désespéré des ces Etats "toujours plus diminués " pour contrôler l'escalade de la spéculation, provoquée justement par la saturation des marchés ; ses gigantesques constructions d'un "capital contrôlé par les institutions financières" sont des bulles monstrueusement gonflées par la spéculation et qui peuvent déchaîner une catastrophe pour l'économie mondiale.

Le BIPR nous annonce que "tout le passé doit être soumis à une analyse marxiste rigoureuse qui demande du temps pour être développée" ([47] [110]). Ne serait-il pas plus efficace pour le travail de la Gauche Communiste que le BIPR consacre son temps à expliquer les phénomènes qui démontrent la paralysie et la maladie mortelle de l'accumulation tout au long de la décadence capitaliste ? Marx disait que l'erreur n'était pas dans la réponse, mais dans la question elle-même. Se poser la question de "l'économie globale " ou de la "restructuration de la classe ouvrière " c'est s'enfoncer dans les sables mouvants du révisionnisme, alors qu'il y a "d'autres questions ", comme la nature du chômage massif de notre époque, l'endettement, etc., qui permettent d'affronter les problèmes de fond dans le cadre de la compréhension de la dé­cadence capitaliste.

Conclusions militantes

Dans la première partie de cet article, nous avons insisté sur l'importance de ce qui nous unit au BIPR : la défense intransigeante de la position marxiste de la décadence du capitalisme, base de granit de la nécessité de la révolution communiste. Ce qui est fondamental c'est la défense de cette position et la compréhension, jusqu'au bout, de ses implications. Comme nous l'expliquons dans "Marxisme et théorie des crises", on peut défendre la position sur la décadence du capitalisme sans partager pleinement notre théorie de la crise basée sur l'analyse de Rosa Luxemburg ([48] [111]). Cependant, une telle attitude comporte le risque de défendre cette position sans véritable cohérence, de "donner des coups d'épée dans l'eau ". La cible militante de notre polémique est justement celle-là : les inconséquences et les déviations des camarades qui les portent à affaiblir la position de classe sur la décadence du capitalisme.

Avec son rejet viscéral et sectaire de la thèse de Rosa Luxemburg (et de Marx lui-même) sur la question des marchés, le BIPR ouvre la porte de ses analyses aux courants révisionnistes des Tugan-Baranovski et Cie.

Ainsi, il nous dit que "les cycles d'accumulations sont inhérents au capitalisme et il explique pourquoi, aux différents moments, la production capitaliste et la croissance capitaliste peuvent être plus hautes ou plus basses que dans des périodes précédentes. " ([49] [112]). Il reprend là une vieille affirmation de Battaglia Comunista, lors de la Conférence internationale des Groupes de la gauche communiste, selon laquelle "le marché n'est pas une entité physique existant en dehors du système de production capitaliste qui, une fois saturé, arrêterait le mécanisme productif, au contraire, c'est une réalité économique, à l'intérieur et à l'extérieur du système, qui se dilate et se contracte suivant le cours contradictoire du processus d'ac­cumulation. " ([50] [113])

Le BIPR ne se rend-il pas compte qu'avec cette "méthode", il entre de plain-pied dans le monde de Say où, en dehors de différences conjoncturelles, "tout le produit est consommé et tout ce qui est consommé est produit" ? Le BIPR ne comprend-il pas qu'avec cette analyse la seule chose qu'il fait c'est rejoindre la noria de ceux qui "constatent" que le marché "se contracte ou se dilate selon le rythme de l'accumulation", mais qui n'expliquent absolument rien sur l'évolution historique de l'accumulation capitaliste ? Le BIPR ne voit-il pas qu'il est en train de tomber dans les mêmes erreurs que Marx a critiquées : "l'équilibre métaphysique entre les achats et les ventes se réduit à ce que chaque achat est une vente et chaque vente un achat, ce qui est une médiocre consolation pour les possesseurs de marchandises qui ne peuvent pas vendre et, par consé­quent acheter. " ([51] [114])

Cette porte que le BIPR laisse entrouverte aux théories révisionnistes explique la propension qu'il a à se perdre dans des spéculations absurdes et stériles sur la "restructuration de la classe ouvrière" ou "l'économie globale". Cela rend compte aussi de sa tendance à se laisser guider par les chants de sirène de la bourgeoisie : ce fut d'abord la "révolution technologique", puis vint le fabuleux marché des pays de l'Est, plus tard ce fut la guerre yougoslave "négociée". Il est vrai que le BIPR corrige ses erreurs après coup sous la pression des critiques du CCI et de l'écrasante évidence des faits. Cela démontre sa responsabilité et ses liens solides avec la Gauche communiste, mais le BIPR nous accordera que ces erreurs montrent que sa position sur la décadence du capitalisme n'est pas suffisamment consistante, qu'elle aboutit à "donner des coup d'épée dans l'eau" et qu'il doit l'établir sur des bases beaucoup plus solides.

Le BIPR se retrouve avec les révisionnistes adversaires de Rosa Luxemburg dans leur refus de considérer sérieusement le problème de la réalisation, mais il diverge radicalement d'eux dans le rejet de la vision d'une tendance à la diminution des contradictions du capitalisme. Au contraire, à juste titre, le BIPR voit que chaque phase de la crise dans le cycle de l'accumulation suppose une aggravation beaucoup plus importante et plus profonde des contradictions du capitalisme. Le problème concerne précisé­ment les périodes au cours lesquelles, selon lui, l'accumulation capitaliste se rétablit pleinement. Sur ces périodes, en considérant uniquement la tendance la baisse tendan­cielle du taux de profit et en refusant de voir la saturation chronique du système, le BIPR oublie ou relativise la position révolution­naire sur la décadence du capitalisme.

Adalen



[1] [115] .Nous avons développé notre position dans de nombreux articles de la Revue Internationale, en particulier: "Marxisme et théories des crises" (n° 13), "Théories économiques et lutte pour le socialisme" (n° 16), "Les théories des crises depuis Marx jusqu'à l'IC" (n°22), "Critique de Boukharine" (n°29 et 30), la 7e partie de la série "Le communisme n'est pas un bel idéal mais une nécessité matérielle" (n° 76). Le BIPR, dans sa réponse, dit que le CCI ne poursuit pas la critique de ses positions annoncée dans l'article "Marxisme et théories des crises" de la Revue Internationale n° 13. La simple énumération de la liste des articles exposée ci-dessus démontre qu'il se trompe totalement, ce qui réduit à néant son affirmation selon laquelle le CCI n'aurait aucun argument à opposer à ses propres articles.

[2] [116] « Marxisme et théorie des crises », Revue Internationale n° 13.

[3] [117] « Marxisme et théorie des crises », Revue Internationale n° 13

[4] [118] Bernstein, Socialisme théorique et social-démocratie pratique. (Rodbertus était un socialiste bourgeois du milieu du siècle passé qui formula sa "loi" de la part décroissante des salaires. Selon lui, les crises du capitalisme sont dues à cette loi et, pour cette raison, il défend l'intervention de l'Etat pour augmenter les salaires comme remède à la crise. Les révisionnistes de la 3e Internationale accusèrent Marx d'avoir cédé à la thèse de Rodbertus, appelée "sous-consumériste", et ils en vinrent i répéter ces accusations contre Rosa Luxemburg.)

[5] [119] Say était un économiste bourgeois français du début du 19e siècle qui, dans son apologie du capitalisme, insistait sur le fait que celui-ci n'avait aucun problème de marché puisqu'il "crée son propre marché ". Une telle théorie équivaut i poser le capitalisme comme un système éternel sans aucune possibilité de crise autre que des convulsions temporaires provoquées par "la mauvaise gestion" ou par des "disproportions entre les divers secteurs productifs ". Comme on le voit, les campagnes actuelles de la bourgeoisie sur la "reprise" n'ont rien d'original !

[6] [120] Cité par Rosa Luxemburg dans son livre L'accumulation du capital, chapitre "Critique des critiques".

[7] [121] . Idem.

[8] [122] Cette technique de l'opportunisme a été, par la suite, reprise à son compte par le stalinisme et la social-démocratie, puis par les forces de gauche du capital (particulièrement les gauchistes), qui utilisent effrontément tel ou tel passage de Lénine, de Marx, etc., pour justifier des positions qui n'ont rien à voir avec ces derniers.

[9] [123] Rosa Luxemburg, Op. cit.

[10] [124] Il convient de préciser que, dans la polémique suscitée par le livre de Rosa Luxemburg, Pannekoek, qui n'était ni opportuniste ni révision­niste i cette époque, mais au contraire avec la Gauche de la 2e Internationale, a pris parti contre la thèse de Rosa Luxemburg.

[11] [125] . Nous avons expliqué à de nombreuses reprises que Lénine, face au problème de la 1ère guerre mondiale, et en particulier dans son livre L'impérialisme stade suprême du capitalisme, défendait correctement la position révolutionnaire sur la crise historique du capitalisme (il l'appelait crise de décomposi­tion et de parasitisme du capital) et la nécessité de la révolution prolétarienne mondiale. C'est là l'essentiel, même s'il s'appuyait sur les théories erronées sur le capital financier et la "concentration du capital" de Hilferding qui, en particulier par ses épigones, a affaibli la cohérence de sa position contre l'impérialisme. Voir notre critique dans la Revue Internationale n° 19, "A propos de l'impérialisme".

[12] [126] . Pour une critique de Boukharine, voir "Le véritable dépassement du capitalisme c'est l'élimination du salariat" dans la Revue Internationale n° 29 et 30.

[13] [127] . "Marxisme et théories des crises" Revue Internationale n° 13.

[14] [128] . "The Material Basis of Imperialist War, A Brief Reply to the ICC", Internationalist Communist Review, n° 13, p. 32-33.

[15] [129] . Idem, p. 32.

[16] [130] Le Capital, livre III, section 3, chapitre XV

[17] [131] . Idem.

[18] [132] . Idem.

[19] [133] . Marx, Théories sur la plus-value

[20] [134] . Idem.

[21] [135] . Le Capital, Livre III, section 3, chapitre XIII. 1\.Le Capital, Livre III, section 3, Chap.XIV.

[22] [136] Le Capital, Livre III, section 3, chapitre XIII. 1\.Le Capital, Livre III, section 3, Chap.XV.

[23] [137] . Idem.

[24] [138] . Le Manifeste Communiste.

[25] [139] . Lettres de Marx et Engels à Nikolai

[26] [140] . "A Brief Reply to the ICC ", p. 33.

[27] [141] . Le Capital, Livre II, section 3, chapitre XX.

[28] [142] . Rosa Luxemburg, L'Accumulation du capital, chap. "Critique des critiques ".

[29] [143] . Idem.

[30] [144] . Dans le Livre III, Marx souligne que "dire que les capitalistes peuvent échanger et consommer leurs marchandises rien qu'entre eux, c'est oublier complètement qu'il s'agit de valoriser le capital, pas de le consommer. " (section 3, chapitre XV).

[31] [145] . Rosa Luxemburg, L'accumulation du Capital

[32] [146] . Idem.

[33] [147] . Idem.

[34] [148] 2e Conférence Internationale des Groupes de la Gauche Communiste, Textes préparatoires, tome l,p. 7.

[35] [149] . Marx : Contribution à la critique de l'économie politique, chapitre II.

[36] [150] . Marx, Travail salarié et capital

[37] [151] . Idem.

[38] [152] . Lénine, Le développement du capitalisme en Russie

[39] [153] . "A Brief Reply to the ICC", p. 33.

[40] [154] . Voir la Revue Internationale n° 79 et 82

[41] [155] . "Critique de Boukharine", 2e partie, Revue Internationale n° 30.

[42] [156] . "Le capitalisme n'est pas un bel idéal mais une nécessité matérielle" VII, Revue Internationale a" 76.

[43] [157] . "A Brief Reply to the ICC", p. 33.

[44] [158] . Idem.

[45] [159] . Voir la lre partie de cet article dans la Revue Internationale n° 82.

[46] [160] . "A Brief Reply to the ICC", p. 35.

[47] [161] . Idem.

[48] [162] La plate-forme du CCI admet que des camarades défendent l'explication de la crise sur la base de la théorie de la baisse tendancielle du taux de profit.

[49] [163] . "A Brief Reply to the ICC ", p. 31.

[50] [164] 2ème Conférence des Groupes de la Gauche Communiste, Textes préparatoires. Vol. 1.

[51] [165] . Marx, Contribution à la critique de l'économie politique.

Courants politiques: 

  • TCI / BIPR [166]

Approfondir: 

  • Polémique dans le milieu politique : sur la guerre [167]

Questions théoriques: 

  • Guerre [39]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [168]

Parasitisme politique : le “C.B.G” fait le travail de la bourgeoisie

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Dans la Revue Internationale n° 82 et dans sa presse territoriale dans 12 pays, le CCI a publié des articles sur son 11e congrès. Ces articles informent le milieu révolutionnaire et la classe ouvrière de la lutte politique qui a eu lieu récemment dans le CCI pour l'établissement d'un fonctionnement marxiste réel à tous les niveaux de notre vie organi­sationnelle. Au centre de ce combat se si­tuait le dépassement de ce que Lénine appe­lait “l'esprit de cercle”. Cela requiert, en particulier, la liquidation des groupements informels basés sur des fidélités personnel­les et sur l'individualisme petit-bourgeois, ce à quoi Rosa Luxemburg se référait comme des “tribus” ou des “clans”. Les articles que nous avons publiés situaient le combat actuel dans la continuité de ceux menés par les marxistes contre les bakouninistes dans la 1ère Internationale, par les bolchéviks contre le menchévisme dans le Parti russe, mais aussi par le CCI tout au long de son histoire. En particulier, nous affirmions la base anti-organisationnelle petite-bourgeoise des différentes ruptures qui ont eu lieu dans l'histoire du CCI, et qui n'étaient ni motivées ni justifiées par des divergences politiques. Elles étaient le résultat de comportements organisationnels non marxistes, non prolé­tariens, de ce que appelait l'anarchisme de l'intelligentsia et de la bohème littéraire.

UN PROBLEME DE TOUT LE MILIEU POLITIQUE PROLETARIEN

Si nous avons rapporté nos débats internes dans notre presse, ce n'est pas par exhibi­tionnisme, mais parce que nous sommes convaincus que les problèmes que nous avons rencontrés ne sont pas du tout spécifi­ques au CCI. Nous sommes convaincus que le CCI n'aurait pu survivre s'il n'avait éradi­queé de ses rangs des concessions à des idées anarchistes sur les questions organisa­tionnelles. Nous voyons que le même danger menace le milieu révolutionnaire dans son ensemble. Le poids des idées et des compor­tements de la petite-bourgeoisie, la résis­tance à la discipline organisationnelle et aux principes collectifs, ont affecté tous les groupes à un niveau plus ou moins élevé. La rupture de la continuité organique avec les organisations révolutionnaires du passé pen­dant les 50 ans de contre-révolution, l'inter­ruption du processus de transmission de l'expérience organisationnelle inappréciable d'une génération marxiste à la suivante, ont rendu les nouvelles générations de militants prolétariens de l'après-68 particulièrement vulnérables à l'influence de la petite-bour­geoisie révoltée (mouvements étudiants, contestataires, etc).

Aussi, notre lutte actuelle n'est pas une af­faire interne au CCI. Les articles sur le con­grès ont pour but la défense de l'ensemble du milieu prolétarien. Ils constituent un ap­pel à tous les groupes marxistes sérieux pour clarifier la conception prolétarienne du fonctionnement et pour faire connaître les leçons de leur lutte contre la désorganisation petite-bourgeoise. Le milieu révolutionnaire comme un tout a besoin d'être beaucoup plus vigilant vis-à-vis de l'intrusion des modes de comportement étrangers au prolétariat. Il a besoin d'organiser consciemment et ouver­tement sa propre défense.

L'ATTAQUE DU PARASITISME CONTRE LE CAMP PROLETARIEN

La première réaction publique à nos articles sur le 11e congrès est venue, non pas du milieu prolétarien, mais d'un groupe qui lui est ouvertement hostile. Sous le titre “Le CCI atteint Waco”, le soi-disant “Communist Bulletin Group” (CBG), dans son 16e et dernier Bulletin n'a pas honte de dénigrer les organisations marxistes, dans la meilleure tradition bourgeoise.

“Salem ou Waco auraient été des lieux ap­propriés pour ce congrès particulier. Alors qu'il serait tentant de railler ou de ridiculi­ser ce congrès-procès truqué où, entre au­tre, Bakounine et Lassale furent dénoncés comme étant `pas nécessairement' des agents de la police et Martov caractérisé "d'anarchiste", le sentiment dominant est une grande tristesse de voir qu'une organi­sation autrefois dynamique et positive en soit réduite à ce triste état.”

“Dans la meilleure tradition stalinienne, le CCI a alors procédé à la ré-écriture de l'histoire (comme il l'a fait après la scission de 1985), pour montrer que toutes les diver­gences majeures (...) ont été provoquées non pas par des militants ayant des avis diver­gents sur une question, mais par l'intrusion d'idéologies étrangères dans le corps du CCI.”

“Ce que le CCI ne peut pas saisir c'est que c'est sa propre pratique monolithique qui cause problème. Ce qui s'est sans doute passé au 11e congrès est simplement le triomphe bureaucratique d'un clan sur un autre, une empoignade pour le contrôle des organes centraux, ce qui était largement prévisible après la mort de leur membre fondateur MC.”

Pour le CBG, ce qui s'est passé au congrès du CCI a dû être “deux jours, ou plus, de bataille psychologique. Les lecteurs qui ont quelques connaissances sur les techniques de lavage de cerveaux pratiquées par les sectes religieuses comprendront ce proces­sus. Ceux qui ont eu des lectures sur les tortures mentales infligées à ceux qui con­fessaient d'impossibles "crimes" lors des procès spectacles de Moscou saisiront, de même, ce qui s'est passé.”

Et là, le CBG se cite lui-même dans un texte de 1982, après que ses membres eurent quit­té le CCI :

“Pour chaque militant se posera toujours la question : jusqu'où puis-je aller dans la dis­cussion avant d'être condamné comme une force étrangère, une menace, un petit-bour­geois ? Jusqu'où puis-je aller avant d'être considéré avec suspicion ? Jusqu'où avant d'être un agent de la police ?”

Ces citations parlent d'elles-mêmes. Elles révèlent mieux que tout la vraie nature, non pas du CCI, mais du CBG. Leur message est clair : les organisations révolutionnaires sont comme la mafia. Les “luttes de pouvoir” y ont lieu exactement comme dans la bour­geoisie.

La lutte contre les clans, que tout le 11e congrès a unanimement soutenue, est trans­formée par le CBG, “sans aucun doute”, en une lutte entre clans. Les organes centraux sont inévitablement “monolithiques”, l'identification de la pénétration d'influences non-prolétariennes, tâche primordiale des révolutionnaires, est présentée comme un moyen de briser les “opposants”. Les mé­thodes de clarification des organisations prolétariennes - débat ouvert dans toute l'or­ganisation, publication de ses résultats pour informer la classe ouvrière - deviennent la méthode de “lavage du cerveau” des sectes religieuses.

Ce n'est pas seulement l'ensemble du milieu révolutionnaire d'aujourd'hui qui est attaqué ici. C'est toute l'histoire et les traditions du mouvement ouvrier qui sont insultés.

En réalité, les mensonges et les calomnies du CBG sont tout à fait dans la ligne de la campagne de la bourgeoisie mondiale sur la prétendue mort du communisme et du mar­xisme. Au centre de cette propagande, se trouve une seule idée qui porte en elle le plus grand mensonge de l'histoire : la ri­gueur organisationnelle de Lénine et des bolcheviks conduit nécessairement au stali­nisme. Dans la version du CBG de cette propagande c'est le bolchévisme du CCI qui conduit “nécessairement” à son prétendu “stalinisme”. Evidemment, le CBG ne sait ni ce qu'est le milieu révolutionnaire, ni ce qu'il en est du stalinisme.

Ce qui a provoqué la frénésie petite-bour­geoise du CBG c'est, encore une fois, la fa­çon résolue, indubitable avec laquelle le CCI a affirmé sa fidélité à l'approche organi­sationnelle de Lénine. Nous pouvons rassu­rer tous les éléments parasites : plus la bourgeoisie attaque l'histoire de notre classe, plus nous affirmerons fièrement notre fidéli­té au bolchévisme.

En déversant des ordures sur l'avant-garde prolétarienne, le CBG a démontré une fois de plus qu'il ne fait pas partie du milieu ré­volutionnaire, mais qu'il y est opposé. Le fait que le CCI ait mené le combat organisation­nel le plus important de son histoire ne l'in­téresse pas le moins du monde.

En soi, il n'y a rien de nouveau à ce que les révolutionnaires qui défendent la rigueur or­ganisationnelle contre la petite-bourgeoisie soient attaqués, et même dénigrés. Marx devint l'objet d'une campagne de toute la bourgeoisie à cause de sa résistance à l'Alliance de Bakounine. Lénine a été per­sonnellement insulté à cause de son opposi­tion aux menchéviks en 1903 : pas seule­ment par les réformistes et les opportunistes avérés, mais même par des camarades tels que Trotsky. Mais personne, au sein du mouvement ouvrier, ni Trotsky ni même les réformistes, n'a jamais parlé de la lutte de Marx ou de Lénine dans les termes em­ployés par le CBG . La différence est que la “polémique” du CBG a pour but la destruc­tion du milieu révolutionnaire, pas seule­ment du CCI.

LA NATURE DU PARASITISME

Nous allons décevoir le CBG qui déclare que le CCI traite ceux qui sont en désaccord avec lui d'agents de la police. Bien que le CBG soit en “désaccord” avec nous, nous considérons qu'ils ne sont ni des espions ni une organisation bourgeoise. Les gens du CBG n'ont pas une plate-forme politique bourgeoise. Programmatiquement, ils adhè­rent même à certaines positions prolétarien­nes. Ils sont contre les syndicats et le soutien aux luttes de “libération nationale”.

Mais, si leurs positions politiques tendent à leur éviter de rejoindre la bourgeoisie, leur comportement organisationnel leur interdit toute participation dans la vie du prolétariat. Leur activité principale consiste à attaquer les groupes marxistes révolutionnaires. Le Communist Bulletin n° 16 l'illustre parfai­tement. Depuis plusieurs années, le groupe n'a rien publié. L'éditorial du n° 16 nous in­forme : “C'est un secret de polichinelle que depuis au moins deux ans, l'organisation a cessé de fonctionner de façon significative (...) ça n'a de groupe que le nom.”

Le groupe prétend qu'après une telle inacti­vité et une telle insignifiance organisation­nelle, il a tout à coup produit un nouveau “bulletin” dans le but d'informer le monde qu'il avait décidé de... cesser d'exister ! Mais il est clair qu'en réalité, la vraie raison de sa publication était d'attaquer encore une fois le CCI et son congrès. Il est révélateur que le n° 16 ne s'attaque pas à la bourgeoisie : par exemple, il n'y a pas de défense de l'interna­tionalisme prolétarien face à la guerre des Balkans. C'est tout-à-fait dans la lignée des 15 précédents numéros qui étaient aussi es­sentiellement consacrés à calomnier les groupes prolétariens. Et nous sommes sûrs qu'en dépit de leur dissolution annoncée ils continueront à faire de même. En fait, l'abandon de leur prétention à être un groupe politique leur permettra de centrer encore plus exclusivement leur travail nuisible et d'allié objectif de la bourgeoisie sur le déni­grement du camp marxiste.

L'existence de groupes qui, bien que n'étant ni mandatés ni payés par la bourgeoisie, font cependant, de leur plein gré, une partie du travail de la classe dominante, est un phé­nomène hautement significatif. Dans le mouvement marxiste, nous appelons de tels gens des parasites, des vampires vivant sur le dos des forces révolutionnaires. Ils n'atta­quent pas le camp marxiste par allégeance au capital, mais du fait de leur haine aveugle et impuissante du mode de vie de la classe ouvrière, la nature collective et imperson­nelle de cette lutte. De tels éléments petits-bourgeois et déclassés sont motivés par un esprit de vengeance vis-à-vis d'un mouve­ment politique qui ne peut se permettre de faire des concessions à leurs besoins indivi­duels, à leur soif de gloriole, de flatteries et de pompe.

LA TRAJECTOIRE DU “CBG”

Afin de saisir la nature de ce parasitisme (qui n'est pas nouveau dans le mouvement ouvrier) il est nécessaire d'étudier son ori­gine et son développement. Le CBG peut servir d'exemple type. ses origines se situent dans la phase des cercles de la nouvelle gé­nération de révolutionnaires qui se sont dé­veloppés après 1968, donnant naissance à un petit groupe de militants liés par un mélange de fidélités politiques et personnelles. Le groupe informel en question rompît avec la Communist Workers Organisation (CWO) et se rapprocha du CCI vers la fin des années 1970. Dans les discussions à cette époque, nous critiquions le fait qu'ils voulaient entrer dans le CCI “en tant que groupe” plutôt qu'individuellement. Cela présentait le ris­que qu'ils forment une organisation au sein de l'organisation, sur une base non politique, affinitaire et menaçant ainsi l'unité organi­sationnelle prolétarienne. Nous condam­nions aussi le fait que, en quittant la CWO, ils avaient emmené une partie de son maté­riel - en violation des principes révolution­naires.

Au sein du CCI, le groupe essaya de main­tenir son identité informelle séparée, malgré le fait que la pression, au sein d'une organi­sation internationale centralisée, pour sou­mettre chaque partie au tout a été beaucoup plus forte que dans la CWO. Cependant, “l'autonomie” des “amis” qui formeront plus tard le CBG a pu survivre du fait qu'au sein du CCI d'autres regroupements du même type, les restes des cercles à partir desquels le CCI s'était formé, continuaient d'exister. Cela est particulièrement le cas de notre section britannique, World Revolution, que les ex-membres de la CWO ont rejoint, et qui était déjà divisée par l'existence de deux “clans”. Ces clans devinrent rapide­ment un obstacle à l'application pratique des statuts du CCI dans toutes ses parties.

Quand le CCI, aux alentours de cette pé­riode, a été infiltré par un agent de l'Etat, Chénier, membre du parti socialiste français de Mitterrand qui, après son exclusion, du CCI, rejoignit ce parti, la section britannique devint la cible principales de ses manipula­tions. Comme résultat de ces manipulations, et avec la découverte de l'agent Chénier, la moitié de notre section britannique quittaé le CCI. Aucun d'entre eux n'a été exclu, con­trairement aux assertions du CBG. ([1] [169])

Les ex-membres de la CWO, qui démission­nèrent à cette époque, formèrent alors le CBG.

Nous pouvons en tirer les leçons suivantes :

- Bien qu'ils n'aient pas de positions politi­ques particulières les distinguant des au­tres, fondamentalement la même clique est entrée et a quitté à la fois la CWO et le CCI, avant de former le CBG. Cela révèle le refus et l'incapacité de ces gens de s'in­tégrer dans le mouvement ouvrier, de sou­mettre leur identité de petit groupe à quel­que chose de plus grand qu'eux.

- Bien qu'il proclament avoir été exclus du CCI, ou qu'ils ne pouvaient pas y rester à cause de “l'impossibilité de débattre”, en réalité ces gens ont fui le débat politique qui se tenait dans l'organisation. Au nom du “combat contre le sectarisme” ils ont tourné le dos aux deux organisations com­munistes les plus importantes existant en Grande-Bretagne, la CWO et le CCI, mal­gré l'absence de toute divergence politique majeure. C'est la façon dont ils “combattent le sectarisme”.

Le milieu politique ne devrait pas se lais­ser tromper par les phrases vides sur le “monolithisme” et la prétendue “peur du débat” du CCI. Le CCI se situe dans la tradition de la Gauche Italienne et de Bilan, courant qui, pendant la guerre d'Espagne a même refusé d'exclure ou de rompre avec sa minorité qui appelait ouve­rtement à la participation à la guerre im­périaliste dans les milices républicaines, ([2] [170]) parce que la clarification politique doit toujours précéder toute séparation politi­que.

- Ce que le CBG reprochait au CCI, c'était sa méthode prolétarienne rigoureuse dans le débat, par la polémique et la polarisation, où “on appelle un chat un chat” et où les positions petites-bourgeoises ou opportu­nistes sont appelées par leur nom. Une at­mosphère difficilement acceptable pour les cercles et les clans, avec leur double lan­gage et leur fausse diplomatie, leur fidéli­tés et leurs trahisons personnelles. Et qui, certainement, ne plaisait pas aux “copains”, aux lâches petits-bourgeois qui ont fui la confrontation politique et se sont retirés de la vie de la classe.

- Plus grave encore, et pour la deuxième fois, le CBG a participé au vol de matériel de l'organisation en la quittant. Ils l'ont justifié avec la vision du parti marxiste comme étant une société par action : qui­conque investit son temps dans le CCI a le droit de prendre sa part des ressources quand il le quitte. Qui plus est, ils se sont permis de déterminer quelle “part” leur revenait. Il devrait aller sans dire que si de telles méthodes devaient être tolérées, cela signifierait la fin de toute possibilité d'existence pour les organisation marxis­tes. Les principes révolutionnaires sont là remplacés part la loi de la jungle bour­geoise.

- Quand le CCI vint récupérer le matériel volé à l'organisation ces courageux “révolutionnaires” nous menacèrent d'ap­peler la police.

- Les membres du futur CBG étaient les principaux collaborateurs de l'agent provo­cateur Chénier au sein de l'organisation, et ses principaux défenseurs après son ex­clusion. C'est ce qui est derrière les allu­sions à la soit-disant attitude du CCI d'éti­queter ses “dissidents” comme agents de la police. Les CCI est, selon les mensonges du CBG, supposé avoir dénoncé Chénier parce qu'il était en désaccord avec la ma­jorité du CCI sur l'analyse des élections françaises de 1981. Une telle accusation à l'aveuglette est tout autant un crime contre les organisations révolutionnaires que d'envoyer la police contre elles. Dans une telle situation, les révolutionnaires qui sont en désaccord avec un jugement de l'organi­sation et en particulier le militant accusé lui-même, n'ont pas seulement le droit mais le devoir de faire objection à cela s'ils le jugent nécessaire ou illégitime, et même de demander qu'un tribunal d'honneur, avec la participation d'autres groupes révo­lutionnaires, reconsidère une telle accusa­tion. Dans le mouvement ouvrier du passé il aurait été impensable de suggérer qu'une organisation ouvrière soulève de telles ac­cusations contre un individu pour tout autre motif que sa défense contre l'Etat. De telles accusations ne peuvent que détruire la confiance dans l'organisation et ses or­ganes centraux, une confiance indispensable pour la défense contre les infiltrations de l'Etat.

UNE HAINE AVEUGLE ET IMPUISSANTE

C'est cette résistance jusqu'au bout des élé­ments anarchistes petits-bourgeois et déclas­sés contre leur intégration et leur subordi­nation à la grande mission historique et mondiale du prolétariat, bien qu'il y ait de la sympathie pour certaines de ses positions politiques, qui conduit au parasitisme, à la haine ouverte et au sabotage politique du mouvement marxiste.

La réalité sordide et corrosive du CBG lui-même montre le mensonge de ses déclara­tions selon lesquelles il a quitté le CCI “afin de pouvoir discuter”. Là encore, nous lais­serons les parasites parler d'eux-mêmes. D'abord leur abandon de toute fidélité au prolétariat commence à être théorisée ouve­rtement. “Une vision très sombre de la na­ture de la période a commencé à s'expri­mer”, nous disent-ils ; “des éléments au sein du CBG se demandent si la classe pourra maintenant émerger APRES TOUT ?”.

En face du “difficile débat” voilà comment le CBG, ce géant “anti-monolithique”, se “débrouille” avec les “divergences”.

“Nous étions mal armés pour affronter ces questions. Il y avait un silence plus ou moins assourdissant en réponse ... le débat ne tournait pas vraiment en eau de boudin parce qu'il restait largement ignoré. C'était profondément malsain pour l'organisation. Le CBG se flattait d'être ouvert à toute dis­cussion au sein du mouvement révolution­naire, mais là c'était un de ses propres dé­bats, sur un sujet au coeur même de son existence, qui lui bouchait les oreilles et lui fermait la bouche.”

Il est donc tout-à-fait logique que, à la fin de sa croisade contre la conception marxiste de la rigueur organisationnelle et méthodologi­que comme préalable à tout réel débat, le CBG “découvre” que l'organisation elle-même bloque le débat :

“Afin de permettre au débat d'avoir lieu ... nous avons décidé de mettre fin à la vie du CBG.”

L'organisation comme entrave au débat ! Vive l'anarchisme ! Vive le liquidationnisme organisationnel ! Imaginez la gratitude de la classe dominante face à la propagation de tels “principes” au nom du “marxisme” !

LE PARASITISME : FER DE LANCE CONTRE LES FORCES PROLETARIENNES

Bien que la domination de classe de la bour­geoisie ne soit, pour le moment, certaine­ment pas menacée, les aspects essentiels de la situation mondiale actuelle l'obligent à être particulièrement vigilante dans la dé­fense de ses intérêts. L'approfondissement inexorable de sa crise économique, le déve­loppement des tensions impérialistes et la résistance d'une génération d'ouvriers qui n'a pas encore subi de défaite décisive contien­nent la perspective d'une déstabilisation dramatique de la société bourgeoise. Tout cela impose à la bourgeoisie la tâche histo­rique et mondiale de détruire l'avant-garde marxiste révolutionnaire du prolétariat. Aussi insignifiant qu'apparaisse le camp marxiste aujourd'hui, la classe dominante est déjà obligée d'essayer sérieusement d'y se­mer la confusion et de l'affaiblir.

A l'époque de la 1re Internationale, la bour­geoisie se chargea elle-même de la tâche de dénigrer publiquement l'organisation des ré­volutionnaires. Toute la presse de la bour­geoisie calomniait l'Association Internationale des Travailleurs et son Conseil Général, opposant au prétendu “centralisme dictatorial” de Marx les charmes de son propre passé progressiste et révolutionnaire.

Aujourd'hui, au contraire, la bourgeoisie des puissances dominantes n'a pas intérêt à atti­rer l'attention sur les organisations révolu­tionnaires qui sont, pour le moment, si mi­noritaires que même leurs noms sont en gé­néral inconnus des ouvriers. De plus, une at­taque directe de l'Etat contre eux, que ce soit par ses médias ou par ses organes de ré­pression, pourrait provoquer un réflexe de solidarité au sein d'une minorité politique­ment significative d'ouvriers à la conscience de classe plus élevée. Dans cette situation, la bourgeoisie préfère garder un profil bas et laisser le travail de dénigrement aux parasi­tes politiques. Ces parasites, sans le vouloir ni même sans s'en rendre compte, sont inté­grés dans la stratégie anti-prolétarienne de la classe dominante. La bourgeoisie sait très bien que le meilleur moyen, en même temps que le plus efficace, pour détruire le camp révolutionnaire c'est de l'intérieur, en déni­grant, démoralisant et divisant celui-ci. Les parasites accomplissent cette tâche sans même qu'on leur ait demandé. En présentant les groupes marxistes comme staliniens, comme des sectes bourgeoises dominées par les luttes de pouvoir, à l'image de la bour­geoisie elle-même, comme historiquement insignifiants, ils soutiennent l'offensive du capital contre le prolétariat. En détruisant la réputation du milieu, le parasitisme ne con­tribue pas seulement aux attaques des forces prolétariennes d'aujourd'hui - il prépare le terrain pour la répression politique effective du camp marxiste dans l'avenir. Si la bour­geoisie reste à l'arrière-plan aujourd'hui afin de permettre au parasitisme de faire son sale boulot, c'est avec l'intention de sortir de l'ombre demain pour décapiter l'avant-garde révolutionnaire.

L'incapacité de la plupart des groupes révo­lutionnaires de reconnaître le caractère réel des groupes parasites est l'une des plus grandes faiblesses du milieu aujourd'hui. Le CCI est déterminé à assumer ses responsa­bilités en combattant cette faiblesse. Il est grand temps pour les groupes sérieux du milieu politique prolétarien, pour le milieu comme un tout, d'organiser sa propre dé­fense contre les éléments les plus pourris de la petite-bourgeoisie revancharde. Au lieu de flirter avec de tels groupes de façon op­portuniste, il est de la responsabilité du mi­lieu de mener une lutte sans merci et impla­cable contre le parasitisme politique. La formation du futur parti de classe, le succès de la lutte libératrice du prolétariat, dépen­dront à un degré non négligeable de notre capacité à mener ce combat à bonne fin.

KR.




[1] [171]. Contrairement à ce que dit le CBG, de toute l'histoire du CCI, un seul individu a été exclu de notre organisation, Chénier, que nous avons dénoncé dans notre presse comme individu “ trouble et louche ”. Il fallait donc des faits exceptionnels et des arguments sérieux et graves pour prendre une telle décision lourde de conséquences. Indépendamment de son attitude de double langage, de duplicité, de manoeuvres et de création d'une organisation dans l'organisation, Chénier a été et demeure un agent de l'Etat bourgeois : il est aujourd'hui responsable du "secteur social" pour le compte de la Mairie et du Parti socialiste d'une grande ville freançaise, dans des quartiers “ à risques ”, et ce travail sert directement à contrôler d'éventuelles révoltes de jeunes sans travail. Il a été aussi, depuis son exclusion du CCI, un défenseur des syndicats, d'abord à la CGT, d'où il a été exclu, avant d'entrer à la CFDT. Voilà quel aventurier bourgeois préfère encore aujourd'hui défendre le CBG pour, par contre, traîner dans la boue les organisations révolutionnaires dont le CCI ! Mais enfin, on a les amis que l'on mérite ! Nous, nous préférons choisir nos ennemis. Il y a, en effet, une frontière de classe entre le CBG qui patauge avec Chénier dans le marigot pestilentiel des hommes de main “ troubles et louches ” de la bourgeoisie, et le milieu politique prolétarien dont fait pleinement partie le CCI.

 

[2] [172]. Voir La Gauche communiste d'Italie.

Courants politiques: 

  • Aventurisme, parasitisme politiques [173]

Questions théoriques: 

  • Décomposition [18]

Source URL:https://fr.internationalism.org/en/content/revue-internationale-no-83-4e-trimestre-1995

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