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Revue Internationale no 69 - 2e trimestre 1992

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Situation internationale : guerres, barbarie, lutte de classe

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La seule solution à la spirale des guerres et de la barbarie est la lutte de classe internationale

Depuis le début de « l'ère de paix et de prospé­rité pour l'humanité » ouverte avec la chute du mur de Berlin, la disparition du bloc de l'Est et l'éclatement de l'URSS, jamais les guerres et conflits locaux n'ont été si nombreux. Jamais le militarisme n'a été si présent, jamais les ventes d'armes de toutes sortes n'ont pris une telle ampleur, jamais la menace de dissémination nucléaire n'a été si dangereuse, jamais les pro­jets, la planification de nouvelles armes, n'ont été aussi loin, y compris dans l'espace. Jamais autant d'êtres humains n'ont souffert de la faim, de la misère, de l'exploitation, des guerres et des massacres, jamais, depuis que le capitalisme existe, une telle proportion de la population mondiale n'a été rejetée de la pro­duction, condamnée définitivement pour sa plus grande part au chômage, à la paupérisa­tion absolue, à la mendicité, aux "petits bou­lots" de survie, souvent aussi à la délinquance, à la guerre et aux massacres nationalistes, interethniques.

La récession économique ouverte s'approfon­dit dans les pays industriels, les grandes puissances mondiales, et tout particulièrement la première d'entre elles les USA, précipitant des centaines de milliers d'ouvriers dans les affres du chômage et dans la misère. Une « ère de paix et de prospérité » promise par le président US Bush, par l'ensemble de la bour­geoisie mondiale, se révèle être l'ère des guerres et de la crise économique.

 

Chaos et anarchie dans tous les coins et recoins de la planète

L'URSS n'est plus. Exit Gorbat­chev. La CEI est mort-née. Les tensions entre Républiques s'aiguisent et prennent chaque jour un tour plus agressif. Les Etats naissants s'arrachent les dépouilles de l'ex-Union. Le principal enjeu : les restes de l'armée rouge, ses armes conventionnelles bien sûr, mais aussi nucléaires (33 000 à 35 000 « têtes » !). Il s'agit de consti­tuer des armées nationales les plus redoutables possibles afin d'assurer les intérêts impéria­listes de chacun contre les voisins. C'est le règne sanglant du chacun pour soi qui domine sans fard dans l'ex-URSS, où le chantage au nu­cléaire est employé à tour de rôle par les uns et les autres : malgré les pressions internationales (occiden­tales), le Kazakhstan se refuse à dire s'il va rendre ou non les armes nucléaires tactiques et surtout stra­tégiques qui sont sur son territoire ; l'Ukraine s'empare d'une division de bombardiers nucléaires (le 17 février) et essaye de garder pour elle la flotte de la mer Noire. La Russie d'Eltsine aux commandes pourtant de l'armée « unifiée » de la CEI, c'est à dire en position de force par rapport aux autres, va même jusqu'à craindre l'éventualité d'un conflit nucléaire avec l'Ukraine dans le futur ([1] [1]) ! C'est dire la nature, l'état des rela­tions, et le rôle joué par le militaire et la force entre les nouveaux Etats : les relations sont impéria­listes et antagoniques ; le rapport de force s'établit sur la puissance militaire et spécialement nucléaire.

Cette situation conflictuelle est d'autant plus aiguë que la situation économique est catastrophique. 90 % de la population russe vit sous le seuil de pauvreté. La famine guette malgré l'aide occidentale. La production industrielle baisse brutalement alors que la libération des prix provoque une inflation à trois chiffres, une inflation à la sud-américaine. Cette faillite complète vient à son tour jeter de l'huile sur le feu des oppositions entre les nouveaux Etats. «La guerre éco­nomique entre les Républiques a déjà commencé» affirme Anatoli Sobtchak, le maire de St. Peters Bourg le 8 janvier dernier.

Cette opposition d'intérêts tant politiques qu'économiques vient accélérer le chaos, et multiplier les tensions, les conflits, les guerres locales et les massacres de populations, entre les différentes nationa­lités composant ce que nous pou­vons déjà appeler Pex-CEI. Les ré­publiques s'opposent sur l'héritage militaire laissé par la défunte URSS. Presque toutes s'affrontent sur le tracé des frontières qui les séparent : l'appartenance de la Crimée à l'Ukraine ou à la Russie, est le cas le plus connu. Chaque république est aux prises avec une ou des minorités nationales qui dé­clarent leur indépendance, par les armes, constituant des milices : le Haut-Karabakh et la minorité ar­ménienne en territoire azéri; les Tchétchènes en Russie qui atta­quent les casernes afin de se procu­rer des armes ; et partout des mino­rités russes qui s'inquiètent, en Moldavie, en Ukraine, dans le Caucase et dans les républiques d'Asie centrale. Et puis la Géorgie déchirée par les combats meur­triers entre partisans du président Gamsakhourdia «démocratique­ment élu» d'un côté, et ses princi­paux ministres et leurs milices ar­mées. Partout des morts, des bles­sés, des massacres de civils, des destructions, la haine et la terreur nationalistes de petites peuplades qui vivaient jusque là ensemble, qui, ensemble, avaient souffert de la terreur du capitalisme d'Etat, version Staline. Aujourd'hui, partout la désolation et le chaos rè­gnent sans partage.

Cette situation d'explosion de l'ex-URSS, cette situation d'anarchie sanglante, a réveillé des appétits impérialistes locaux longtemps contenus par la toute-puissance «soviétique», qui sont porteurs d'affrontements encore plus larges. L'Iran et la Turquie se sont livrés à une véritable course de vitesse pour établir les premiers des am­bassades dans les ex-républiques musulmanes. La presse iranienne accuse la Turquie de vouloir «imposer le modèle occidental» à ces républiques en leur faisant perdre leur «identité musulmane ». La Turquie appuyée par les USA, utilise des nationalités turcophones (Ouzbeks, Kazakhs, Kirghiz, Turkmènes) pour prendre le pas sur l'Iran qui essaye de s'appuyer sur le Pakistan dans cette lutte impéria­liste...

La disparition de la division du monde en deux grands blocs impé­rialistes a signifié la fin de la disci­pline imposée et des règles éta­blies, «stables», qui régissaient les conflits impérialistes locaux. Au­jourd'hui, ils éclatent en tous sens et partout. L'explosion de l'URSS n'a fait qu'aggraver encore ce phé­nomène. Partout, sur tous les continents, de nouveaux conflits éclatent, se développent, alors que les vieux foyers de guerre ne dispa­raissent pas, bien au contraire.

Les Philippines et la Birmanie souffrent de guérillas sanglantes et permanentes (la Chine a vendu pour plus d'un milliard de dollars d'armes à la Birmanie !). L'état d'anarchie se développe en Asie centrale. Les affrontements mili­taires de toutes sortes (Kurdistan, Liban) continuent au Moyen-Orient malgré «l’accalmie » dans la région depuis le terrible écrase­ment de l'Irak lors de la guerre du Golfe.

L'Afrique est un continent à la dé­rive : répressions sanglantes d'émeutes de populations affa­mées, coups d'Etat, guérillas et af­frontements interethniques se mul­tiplient au milieu du désastre éco­nomique. Les tensions impéria­listes s'exacerbent entre l'Egypte et le Soudan. Le chaos social gagne l'Algérie, les combats se poursui­vent au Tchad, Djibouti est gagné par les affrontements entre Afars et Issas.

«L’Afrique n'en finit pas de se débattre avec le spectre de l'insécurité alimentaire. (...) Il faudra des aides d'urgence pour l'Ethiopie, le Sierra Leone et le Libéria, et même pour le Zaïre. Guerres civiles, dé­placements massifs des popula­tions, sécheresse, telles sont les causes invoquées par la FAO »([2] [2]) Est-il besoin de préciser qu'«insécurité alimentaire» évite, avec quelle élégance, l'emploi brutal du mot famine.

L'Amérique Latine semble être un havre de paix en comparaison. Il faut dire qu'elle bénéficie de l'attention particulière du grand voisin du Nord. Le sous-continent reste l'arrière-cour des USA. Pour­tant si les antagonismes, nom­breux, entre l'Argentine et le Chili, entre le Pérou et l'Equateur qui a encore donné lieu à des escar­mouches militaires, pour ne citer que deux des multiples différents frontaliers, sont contenus, le continent n'en est pas moins mar­qué par la violence. Violence des guérillas (Pérou, Colombie, Amé­rique centrale), violence de la ré­pression étatique face à des popu­lations là aussi affamées (émeutes au Venezuela), violence due à la décomposition avancée qui touche ces Etats (guerres des gangs de la drogue en Colombie, au Pérou, au Brésil, en Bolivie ; les assassinats massifs par la police et les milices des gosses des rues, abandonnés par millions (!), souffrant de la faim et de la drogue, livrés à eux-mêmes dans les immenses bidon­villes, véritables cloaques, qui ceinturent les villes).

Cette liste du chaos et des guerres, cette liste des tueries et de la ter­reur sur les populations, ne serait pas complète sans mentionner la Yougoslavie. Cette dernière n'est plus. Elle explose dans un fracas de feu et de sang. Durant des mois, Croates et Serbes se sont entre­tués, et les tensions s'exacerbent entre les trois nationalités diffé­rentes qui composent la Bosnie-Herzégovine. De nouveaux affron­tements se préparent à quelques centaines de kilomètres des grands centres industriels de l'Europe ! Tout comme l'explosion de l'URSS, l'explosion de la Yougoslavie réveille de vieilles tensions, et en crée de nouvelles : la volonté d'indépendance de la Macédoine, par exemple, ravive dange­reusement les antagonismes entre la Grèce et la Bulgarie. Et surtout elle vient accroître encore plus les tensions entre grandes puissances, Allemagne, USA, et au sein de l'Europe.

Voilà en un court raccourci une photo instantanée et incomplète, effroyable et dramatique, du monde (nous excluons pour l'instant la situation dans les grands pays industrialisés, les USA, le Japon et l'Europe occiden­tale, situation sur laquelle nous allons revenir). Voilà en quelques mots la réalité du monde capita­liste. Du monde capitaliste qui pourrit et se décompose. De la so­ciété capitaliste qui n'offre que mi­sère et guerres à l'humanité.

Les ventes d'armes tous azimuts

Douterait-on encore de cette pers­pective guerrière que l'explosion des ventes d'armes finirait par nous convaincre complètement.

Les ventes d'armes de tous ordres, des plus simples jusqu'aux plus so­phistiquées et les plus meurtrières, échappent maintenant à tout contrôle. La planète n'est plus qu'un immense supermarché d'armes où les vendeurs se font une âpre concurrence. La disparition du bloc de l'Est et la catastrophe économique qui touche les pays d'Europe centrale et de la CEI (ex­ URSS) ont jeté sur le marché l'incroyable arsenal militaire de feu le Pacte de Varsovie, cassant ainsi les prix : des centaines de blindés vendus au poids, 10 000 dollars la tonne ! ([3] [3])

En 1991, l'ex-URSS aurait vendu pour 12 milliards de dollars d'armes. La Russie et le Kazakhs­tan ont vendu 1000 tanks T-72 et des sous-marins à l'Iran. «Des in­formations recueillies par les ser­vices occidentaux donnent à croire que la société Glavosmos qui est commune à ces deux Etats, propose à des clients étrangers des propul­seurs de missiles balistiques SS-25, SS-24 et SS-18 pour qu'ils servent, le cas échéant, de lanceurs spa­tiaux. »([4] [4])

La Tchécoslovaquie de F« huma­niste » Vaclav Havel a livré la plus grande partie des 300 tanks vendus à la Syrie. Cette dernière, l'Iran et la Libye achèteraient à la Corée du Nord des missiles Scuds « beaucoup plus précis et efficaces que les mis­siles Scuds soviétiques que l'Irak a lancés durant la guerre du Golfe. »([5] [5])

Bien qu'inquiètes de ces achats massifs et tous azimuts, les grandes puissances participent à cette gi­gantesque braderie. Les Etats-Unis veulent vendre plus de 400 chars à très bas prix à l'Espagne. «L'Allemagne a promis de livrer à la Turquie, pour environ 1 milliard de dollars, des matériels qui pro­viennent des stocks de l'ancienne armée "orientale"».{[6] [6])

Tous les Etats étant impérialistes, les achats par les uns obligent les autres à suivre, renforçant encore plus les tensions: «L'Iran achète au moins deux sous-marins d'attaque neufs construits par les Russes. L'Arabie Saoudite veut acheter 24 avions de chasse F-15E McDonnell Douglas pour transfor­mer ses forces aériennes de façon à pouvoir s'opposer à ces sous-marins iraniens». ([7] [7])

Tous les Etats capitalistes, grands ou petits, puissants ou faibles, sont entraînés dans les rivalités impé­rialistes, dans les tensions crois­santes, dans la course à l'armement, dans le gouffre du mi­litarisme.

Bien que la peur du chaos pousse a l'action commune des grandes puissances derrière les USA ...

Il existe une réelle préoccupation face au chaos croissant qui a gagné le monde capitaliste. Celle-ci pousse les bourgeoisies nationales les plus puissantes à essayer de li­miter l'expression de leurs diffé­rents impérialistes.

Avec l'éclatement du bloc de l'Est, les USA, l'Allemagne, les autres pays européens, ont d'abord pris garde de ne pas accélérer le désordre dans les pays de l'ex-Pacte de Varsovie. En particulier, tous ont soutenu les efforts de Gorbat­chev pour tenter de maintenir l'unité et la stabilité de l'URSS, et pour qu'il se maintienne lui-même au pouvoir. Le pire est pourtant ar­rivé venant confirmer leurs craintes. Leur préoccupation maintenant est le chaos écono­mique et social qui se propage, les conséquences des risques de fa­mines telle l'émigration massive, les risques de dérapages militaires de tous ordres, et, particulière­ment, la question brûlante du contrôle des armes nucléaires tac­tiques et stratégiques. Il y a un risque extrêmement grave de dis­sémination nucléaire. De fait, quatre nouveaux Etats instables, au lieu d'un seul, sont en posses­sion de ces armes de destruction massive. Et s'il est facile pour les USA de surveiller les armes «stratégiques», il n'en va pas de même pour les armes «tactiques». En clair, les «petites» bombes atomiques sont très mobiles, dis­persées, et n'importe qui peut s'en emparer, les utiliser ou les vendre, vu l'état d'anarchie et de chaos qui règne. Voilà le pourquoi des confé­rences d'aide à la CEI, des propo­sitions de démontage des armes nucléaires, des accords entre les USA et l'Allemagne pour assurer l'emploi des savants atomistes de l'ex-URSS : essayer de maintenir un contrôle minimum sur le nu­cléaire et limiter l'extension du chaos.

... les antagonismes impérialistes chaque fois plus forts aiguisent les tensions

Présentant devant le Congrès les scénarios de guerre que les USA pourraient affronter dans l'avenir, le chef du Pentagone, le Général Powell, précise que «la menace réelle à laquelle nous nous confrontons maintenant est la me­nace de l'inconnu, de l'incertain».{[8] [8]) C'est en fonction de cet inconnu que les USA changent de stratégie militaire et mettent en place une version de la guerre des étoiles de Reagan adaptée à la nouvelle donne internationale, et à leur crainte d'éclatement de guerres nu­cléaires surprises et incontrô­lables : le GPALS, «système de protection globale contre les lancements accidentels ou limités» (Global Protection Against Limi­ted Strikes), qui aurait pour but de neutraliser complètement tout lan­cement de missile nucléaire d'où qu'il vienne, et où qu'il aille.

Les USA défendent leur hégémonie

Les USA sont les premiers intéres­sés à la lutte contre le chaos en gé­néral, et contre la dissémination nucléaire et le risque de conflits lo­caux atomiques incontrôlables en particulier, car cela pourrait re­mettre en cause leur position impé­rialiste dominante. Nous l'avions vu lors de la guerre du Golfe([9] [9]), lors des Conférences de paix sur le Moyen-Orient desquelles les pays européens étaient exclus.([10] [10]) Nous venons de le voir encore dernière­ment lors de la Conférence sur l'aide à la CEI réunie à Washing­ton, et où les USA ont tout orga­nisé, dictant les ordres du jour, nommant les commissions et leurs présidences à leur convenance, ré­duisant une fois de plus les autres pays européens, l'Allemagne et surtout la France, au rôle de com­parses impuissants, et ridiculisés lors de la mise en scène médiatique des premiers envois aériens de l'aide alimentaire à la Russie.

Le programme GPALS, qui, soit dit en passant, en dit long sur la croyance qu'a la bourgeoisie mon­diale, américaine en particulier, sur «l'ère de paix» qui devait ré­gner avec le nouvel ordre mondial de Bush, ce nouveau programme de «guerre des étoiles» est aussi la dernière expression, et de taille, de la volonté hégémonique des USA. En effet, il assurerait la «sécurité collective de Vancouver à Vladivos­tok (from V. to V.) ». Traduction : il assurerait, sans doute définitive­ment, en tout cas pour un long moment, la suprématie militaire américaine «de V. à V» sur l'Eu­rope et le Japon.

Quant aux «réductions» des dé­penses d'armement, aux «dividen­des de la paix», pour la bourgeoi­sie américaine, il ne s'agit pas de réduire son effort d'armement et de guerre, mais simplement de mettre au rancart tout ce qui ne sert plus. C'est à dire en gros la partie de l'arsenal qui était braquée sur l'URSS et qui a moins de raison d'être. On va essayer d'en vendre une partie à des prix défiant toute concurrence. Le reste ? Une mon­tagne de ferraille qui a coûté une fortune (la plus grande partie de l'immense déficit américain). Par contre, le budget de programme de guerre des étoiles (SDI) augmente de 31 %. Le coût total du pro­gramme serait de 46 milliards de dollars... La course aux armements continue.

L'Allemagne de plus en plus présente sur la scène impérialiste mondiale

Toute une série d'éléments vien­nent confirmer la tendance, inévi­table à ce que l'Allemagne appa­raisse comme la principale puis­sance impérialiste rivale des USA ([11] [11]). Et la bourgeoisie améri­caine ne s'y trompe pas. Dès le mois de septembre 1991, quelques mois après la démonstration de force US dans le Golfe, le Washington Post relevait les élé­ments de la nouvelle «arrogance» («assertiveness») allemande :

«L'Allemagne menace de recon­naître la Croatie et la Slovénie ; elle amène l'Europe à entériner l'indépendance des Etats baltes; elle fustige ses alliés occidentaux pour leurs hésitations sur la ques­tion de l'aide à l'URSS ; elle ap­pelle à une interdiction rapide des missiles à courte portée, propose que la CSCE crée sa propre force de maintien de la paix, et somme ses alliés de lui donner plus de contrôle sur les troupes stationnées sur son sol.»([12] [12])

«En décembre, l'Allemagne a forcé la main à ses partenaires européens en reconnaissant les deux Répu­bliques à peine un mois après le sommet de Maastricht où le prin­cipe d'une politique étrangère et de défense commune avait été accepté, à la demande de Bonn ; la Bundes­bank a relevé unilatéralement ses taux d'intérêt d'un demi point, dix jours après ce même sommet, où avait été entériné un processus d'union monétaire ; l'Allemagne n'a pas facilité la discussion du GATT, malgré la promesse formu­lée par Helmut Kohl de céder sur les subventions aux agriculteurs. Enfin, les diplomates de RFA adoptent une attitude de plus en plus impérieuse en Europe et aux Etats-Unis : on le sait, Kohl souhaite imposer l'allemand comme langue de travail communautaire... »{[13] [13])

Les bourgeoisies américaine, an­glaise, et française aussi, même si c'est à divers titre, s'offusquent de la nouvelle «assertiveness» alle­mande. Elles n'y étaient plus habi­tuées. L'apparence d'unité qui pré­valait, se lézarde chaque fois un peu plus, l'Allemagne étant inévi­tablement poussée à défendre ses intérêts impérialistes propres, qui sont antagoniques à ceux des USA. En particulier, la révision de la Constitution qui lui interdit d'envoyer des troupes à l'étranger devient urgente : «L'engagement de moyens militaires pour réaliser des objectifs politiques en Europe et dans les régions voisines ne (devrait) pas être exclu.» ([14] [14])

En effet, après la guerre du Golfe, l'Allemagne a aussi révélé ses li­mites actuelles dans l'affaire you­goslave : sans poids militaire, et surtout absente du Conseil de sécu­rité de l’ONU, elle n'a pu aider, comme il aurait été nécessaire, la Croatie. Les USA, paralysant les efforts de cessez-le-feu de la CEE, et retardant la décision d'envoi des casques bleus de l'ONU, ont laissé les mains libres à l'armée fédérale, tenue par la Serbie, pour mener une guerre sanglante et repousser les ambitions territoriales de la Croatie.

L'impérialisme français, entre deux maux, choisit le moindre

La bourgeoisie française qui ne se console pas d'être une puissance de second ordre sur la scène impéria­liste mondiale, se trouve prise entre son désir de s'affranchir de la tu­telle pesante des USA, et sa crainte «éternelle» depuis l'instauration du capitalisme, de la puissance alle­mande.

Elle croit avoir trouvé la solution à son problème dans l'Europe, dans la CEE. Dans le cadre d'une Eu­rope Unie, elle pourrait rivaliser avec les USA, et en même temps, parmi douze nations, elle pourrait juguler et contrôler l'Allemagne.

Pour l'instant, elle joue donc la carte allemande et se fait agui­cheuse : elle propose de mettre sa force nucléaire au service d'une défense européenne. Le ministre des affaires étrangères allemand a réagi avec «intérêt» à cette propo­sition. Alors que les Etats-Unis s'attribuaient tous les bons rôles dans la Conférence sur l'aide à la CEI - que Mitterrand avait jugée superfétatoire - et l'organisation de I’«Opération Espoir» (Provide Hope) d'acheminement de vivres à la Russie, la France proposait que ce soit le G7 qui organise cette opération. Le G7 est actuellement présidé par... l'Allemagne.

Cette dernière ne reste pas insen­sible aux charmes français : après la création de la brigade franco-allemande, des accords de coopé­ration militaire se constituent pour la construction d'un « eurocopter » (militaire évidemment) et l'Allema­gne songe à acheter l'avion de chasse français, le Rafale.

Mais si mariage il doit y avoir, il sera de raison. Il ne s'agit pas d'un coup de foudre comme on a pu le constater dans la question yougo­slave, où la France, «puissance mé­diterranéenne», penchait au début du côté américano-anglais, redou­tant que l'Allemagne gagne les rives de la Méditerranée par Croa­tie interposée et de voir ainsi amoindrie une partie de la valeur de sa dot. Toujours est-il que pour l'instant, l'idylle continue. Mais elle ne va pas sans poser des pro­blèmes à la France.

Les tensions entre USA et Europe s'accentuent

En fait, la France se trouve au centre d'une bataille qui la dé­passe. «Le regain de tension entre la France et les Etats-Unis marque l'avènement d'une nouvelle ère où les anciens alliés semblent s'apprêter, à devenir de nouveaux rivaux dans des domaines tels que le commerce, la stratégie militaire et le nouvel équilibre mondial, selon certains hauts fonctionnaires améri­cains et français.»([15] [15])

Le point faible de l'alliance franco-allemande sur lequel tape la bourgeoisie américaine est bien sûr la France. Elle tape d'autant plus fort que la France pourrait aider l'Allemagne à accéder à l'arme nu­cléaire.

Les événements en Algérie, au Tchad et à Djibouti, l'instabilité sociale et politique de ces pays, sont mis à profit par les USA pour faire pression sur la France, remet­tant en cause la présence de celle-ci dans ses zones d'influence histo­riques, après l'avoir expulsée du Liban. Que se soit le FIS qui est fi­nancé par l'Arabie Saoudite, le gouvernement de Djibouti qui, sous l'influence de l'Arabie Saou­dite, met en question la présence de l'armée française sur son terri­toire, ou Hissene Habré le protégé des américains. La main des USA est présente qui vient s'appuyer sur le chaos effroyable qui prévaut dans ces pays, et du coup l'aggraver encore plus, pour ses in­térêts impérialistes, tout comme la défense des intérêts impérialistes allemands en Yougoslavie n'a fait qu'accroître la décomposition qui régnait.

La pression américaine se fait très forte aussi sur le plan économique dans le cadre des négociations du GATT avec la CEE. Là encore, c'est la France qui est la principale visée sur la questions des subven­tions agricoles. Liant les questions de sécurité, l'engagement améri­cain en Europe, au règlement des différents sur le GATT ([16] [16]), les USA exercent un véritable chantage sur les pays européens visant à les divi­ser. Comme le dit un journal bul­gare, Douma : «alors que l'Europe construit "la maison commune eu­ropéenne de l'Atlantique à l'Oural" brique par brique, les Etats-Unis la détruisent, brique par brique, sous le mot d'ordre "de Vancouver à Vladivostok"» ([17] [17])

Le Japon, autre grande puissance Impérialiste montante

De plus en plus, le Japon joue un rôle politique international qui, certes, n'est pas encore à la hau­teur des ses ambitions, mais qui s'en rapproche petit à petit. Le voyage de Bush en Asie, et au Ja­pon, et qui a eu pour objet fondamental le redéploiement des forces militaires américaines du Pacifique (base militaire à Singapour), a donné suite à des déclarations ré­pétées des dirigeants japonais sur «l'analphabétisme des ouvriers américains» et sur leur «manque d'éthique», suite aux pressions US pour l'ouverture du marché japo­nais aux produits américains. Au delà de ces péripéties secondaires, mais révélatrices du climat et du réveil de 1' «assertiveness» de la bourgeoisie japonaise, le Japon re­vendique de plus en plus de jouer un rôle politique de premier plan sur la scène impérialiste : il pose de plus en plus la question de la re­composition du conseil permanent de l'ONU ; il est à la tête de la force de l'ONU au Cambodge ; il intervient de plus en plus sur le continent asiatique (Chine, Corée) ce qui ne va pas sans inquiéter les USA([18] [18]); et il réclame chaque jour avec plus d'insistance la restitution par la Russie des îles Kouriles (avec le soutien de l'Allemagne).

Le Japon va beaucoup plus vite que l'Allemagne sur les questions mili­taires. La révision de la Constitu­tion limitant l'envoi de forces ar­mées à l'étranger est beaucoup plus avancée. Et surtout, «il amasse d'énormes quantité de plutonium. Une centaine de tonnes. Beaucoup plus qu'il ne peut en consommer dans ses 39 centrales nucléaires actuelles (...). Alors la perspective d'un Japon stable et pacifiste trans­formé en puissance nucléaire n'a à priori rien d'alarmant. Pourtant, le Japon se donne les moyens de fabri­quer des armes nucléaires, et chaque pas de plus peut-être lourd de conséquences internatio­nales» {[19] [19])

Il faut se rendre à l'évidence, le nouvel ordre mondial qui devait apporter la paix à l'humanité, est lourd de menaces. D'un côté le chaos et la décomposition envahis­sent la planète et exacerbent les conflits locaux de toutes sortes, les rivalités et les guerres impérialistes régionales, de l'autre, les antago­nismes impérialistes entre les grandes puissances prennent une tournure chaque fois plus aiguë et tendue. Leur développement, en­core relativement «soft», mesuré, poli, courtois si l'on peut dire, en surface du moins, va s'approfondir et venir accélérer et aggraver les effets de la décomposition du monde capitaliste, le chaos et la catastrophe sociale et écono­mique. Et il les accélère et aggrave déjà.

Une seule alternative a la barbarie capitaliste : le communisme

Face à la barbarie du monde capi­taliste, où le tragique le dispute à l'absurde, la seule force capable d'offrir une alternative à cette im­passe historique subit encore le contrecoup des événements qui ont marqué la fin du bloc de l'Est et de l'URSS. Les campagnes idéologiques internationales que la bourgeoisie a lancées sur «la fin du communisme» (en l'assimilant mensongèrement au stalinisme), sur «la victoire définitive du capita­lisme», ont réussi momentanément à gommer des consciences des grandes masses d'ouvriers toute perspective de possibilité quel­conque d'une autre société, d'une alternative à l'enfer capitaliste.

Ce désarroi qui touche le proléta­riat et la baisse de sa combativité ([20] [20]) sont venus s'ajouter aux difficultés croissantes dues à la décom­position sociale qu'il rencontre. La lumpénisation, le désespoir et le nihilisme qui touchent déjà de grandes fractions du prolétariat mondial (à l'Est), représentent un danger pour les couches d'ouvriers (particulièrement les jeunes) rejetés de la production et au chômage. L'utilisation cynique de ce déses­poir par la bourgeoisie, représente aussi une difficulté supplémen­taire. En particulier, elle déve­loppe et attise des sentiments anti­-immigrés et racistes, ce qui risque d'être encore plus alimenté par les vagues massives d'immigration à venir (spécialement des pays de l'Est). Les fausses oppositions ra­cisme et antiracisme, totalitarisme et démocratie, fascisme et anti­fascisme, sont des tentatives de détourner les ouvriers de leurs luttes, du terrain anti-capitaliste de défense de leurs conditions de vie et d'opposition à l'Etat bourgeois, que les révolutionnaires doivent dénoncer implacablement.

Néanmoins, les temps changent et la crise économique, la récession ouverte qui touche les plus grandes puissances mondiales, USA en tête, reviennent au premier plan des préoccupations ouvrières. Les attaques contre la classe ouvrière sont en train de s'accélérer bruta­lement dans les principaux pays industrialisés. Les salaires sont bloqués depuis longtemps et aux USA «les salaires réels moyens des ouvriers (sont) plus bas qu'il y a 10 ou 15 ans»([21] [21]). Mais surtout, les li­cenciements se multiplient drama­tiquement, et tout particulièrement dans les branches centrales de l'économie mondiale. IBM pour l'informatique a supprimé 30 000 emplois en 1991 et en prévoie au­tant en 1992; General Motors, Ford et Chrysler dans l'automobile ont accumulé les pertes (7 milliards de dollars) et licencient massive­ment ; les industries d'armement (General Dynamic, United Tech­nologies) aussi. Des milliers d'emplois sont supprimés dans ces secteurs. Des milliers d'autres le sont dans les services (banques, as­surances) : «Le nombre de de­mandes d'allocations chômage laisse à penser que 23 millions de personnes ont perdu leur emploi Vannée dernière.»

Sur une population de 250 millions d'habitants aux USA, 9 % de la po­pulation, 23 millions de personnes, vivent des «food stamps», c'est à dire des bons de nourriture. Plus de 30 millions vivent sous le seuil de pauvreté, et, à ce titre, bénéficient d'une protection de santé, le «Medicaid». Mais 37 millions, qui ont un niveau de vie au dessus de ce seuil, ne bénéficient d'aucune cou­verture de santé, qu'ils ne peuvent se payer. Ces gens sont dans l'impossibilité de se soigner... et la moindre maladie se transforme en catastrophe pour ces familles. C'est-à-dire qu'au bas mot 70 mil­lions de personnes vivent dans la misère ! Voilà ce qu'il en est de la «prospérité» tant vantée du «capitalisme triomphant».

Bien évidemment, les licencie­ments massifs ne touchent pas que les ouvriers américains. Les taux de chômage sont particulièrement élevés dans des pays comme l'Espagne, l'Italie, la France, le Canada, la Grande-Bretagne. Par­tout, ils s'envolent dans les secteurs centraux de l'économie, dans l'automobile, dans la sidérurgie, dans les industries d'armement. Même le fleuron de l'industrie al­lemande, Mercedes (tout comme BMW), va licencier.

C'est une attaque terrible que la classe ouvrière des pays industriali­sés commence à subir, une attaque qui vise à ramener ses conditions d'existence au plus bas.

Les licenciements, les baisses de salaires, la détérioration générale des conditions de vie, vont contraindre la classe ouvrière à re­prendre le chemin du combat et des luttes massives. Ces luttes vont devoir de nouveau se confronter aux impasses politiques des partis de gauche et des gauchistes, aux manoeuvres syndicalistes, tel le corporatisme, et rechercher l'extension et l'unification des luttes. Dans ce combat politique, les groupes révolutionnaires et les ouvriers les plus combatifs et conscients auront un rôle crucial d'intervention pour aider au dé­passement des pièges posés par les forces politiques et syndicales de la bourgeoisie.

Parallèlement, ces attaques contre les conditions de vie ouvrière vien­nent démentir le mythe de la pros­périté du capitalisme, et révèlent aux yeux des grandes masses d'ouvriers l'état de faillite du capi­talisme, sa banqueroute historique sur le plan économique. Cette prise de conscience va les pousser à rechercher de nouveau une alterna­tive au capitalisme et gommer ainsi petit à petit les effets des campagnes bourgeoisies sur «la fin du communisme» et accélérer la re­cherche d'une perspective de lutte plus large, plus ample, d'une lutte historique et révolutionnaire. Dans ce processus de prise de conscience, les groupes commu­nistes ont un rôle indispensable de rappel des expériences historiques du passé, de réaffirmation de la perspective du communisme, de sa nécessité et de sa possibilité histo­riques.

Le futur va se jouer dans les affron­tements de classes qui vont inévi­tablement intervenir. Seuls la révolution prolétarienne et la destruction du capitalisme peuvent sortir l'humanité de l'enfer qu'elle subit quotidiennement. Seuls, ils peuvent éviter l'approfondissement de la barbarie capitaliste jusqu'à ses ultimes et dramatiques consé­quences. Seuls, ils peuvent permettre l'établissement d'une communauté humaine où l'exploitation, la misère, les fa­ mines et les guerres seront éradiquées à jamais.

RL, 23/2/92

 

 

« Dans une phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu l'asservissante subordination des individus à la division du travail et, par suite, l'opposition entre travail intellectuel et travail corporel; quand le travail sera devenu non seulement le moyen de vivre, mais encore le premier besoin de la vie; quand avec l'épanouissement universel des individus, les forces productives se seront accrues, et que toutes les sources de la richesse coopérative jailliront avec abondance - alors seulement on pourra s'évader une bonne fois de l'étroit horizon du droit bourgeois, et la société pourra écrire sur ses bannières : "De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins".»

Marx. Critique du Programme de Gotha



[1] [22] Le Monde, 31/1/1992.

[2] [23] Le Monde 19/1/1992.

[3] [24] Selon la presse Tchécoslovaquie traduite dans Courrier International n 66, et Le Monde du 11/2/1992.

[4] [25] Le Monde, 16/2/1992.

[5] [26] International Herald Tribune, 21/2/1992.

[6] [27] Le Monde, 16/2/1992.

[7] [28] Baltimore Sun  repris  par International Herald Tribune du 12/2/1992.

 

[8] [29] International Herald Tribune, 19/2/1992.

[9] [30] Voir Revue Internationale n° 63, 64, 65.

[10] [31] Voir Revue Internationale n° 68.

[11] [32] Voir  "Vers le plus grand chaos de l'histoire, Revue Internationale n° 68.

[12] [33] Washington Post, 18/9/1991, traduit par Courrier International n° 65.

 

[13] [34] Editorial de Courrier International n° 65, 30/1/1992.

[14] [35] Déclaration du Ministre allemand de la Défense, G. Stoltenberg, Le Monde, 18/1/1992.

[15] [36] Washington Post repris par Y International Herald Tribune, 23/1/1992.

[16] [37] Voir les déclarations du vice-président américain, Dan Quayle, Le Monde 11/2/1992.

[17] [38] Cité par Le Monde, idem.

[18] [39] International Herald Tribune, 3/2/1992.

[19] [40] Financial Times,  traduit par Courrier International n° 65.

 

[20] [41] Voir Revue Internationale, n° 67, "Résolution sur la situation internationale" du 9 Congrès du CCI.

[21] [42] International Herald Tribune,

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  • Guerre [44]

Où en est la crise économique ? : Guerre commerciale : l'engrenage infernal de la concurrence capitaliste

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«Guerre», «bataille», «in­vasion»t le langage belli­ciste a envahi la sphère de l'économie et du commerce. Avec la crise économique qui sévit depuis de nom­breuses années, la concur­rence pour des marchés solvables qui rétrécissent comme peau de chagrin se fait de plus en plus âpre, et prend la dimension d'une vé­ritable guerre commerciale.

La concurrence écono­mique est une constante de la vie du capitalisme, un de ses fondements inhérent à son être. Mais il y a une dif­férence fondamentale entre les périodes de prospérité, durant lesquelles les entre­prises capitalistes luttent pour s'ouvrir des marchés et accroître leurs profits, et les périodes de crise aiguë, comme celle que nous tra­versons actuellement, où la question n'est plus tant d'accroître les profits, que de limiter les pertes et d'assurer sa survie dans la bataille économique de plus en plus sévère. Preuve irréfutable de la bagarre économique qui fait rage : le record historique du nombre de faillites dans tous les pays du monde. Celles-ci ont ainsi augmenté de 56 % en 1991 en Grande-Bretagne, de 20 % en France, une hécatombe qui touche tous les secteurs économiques.

Exemple parmi d'autres : le transport aérien

Exemple parmi d'autres, mais par­ticulièrement significatif de la guerre commerciale, le secteur des transports aériens. L'avion est de­venu le symbole du développement du commerce et des échanges mondiaux dans leurs aspects les plus modernes depuis des décen­nies.

De la deuxième guerre mondiale jusqu'au début des années 1970, le boom du développement de ce mode de transport va permettre aux entreprises de ce secteur de se partager un marché en pleine ex­pansion qui laisse à chacune de larges marges de développement dans une situation de faible concurrence. Les plus grandes compagnies grandissent douillet­tement sous la protection des lois et des réglementations mises en place par les Etats qui les parrai­nent. Les faillites sont rares et tou­chent seulement des entreprises d'importance secondaire.

Avec le retour de la crise capitaliste à la fin des années 1960, la concur­rence va se faire plus rude. Le dé­veloppement des compagnies «charters» qui viennent concur­rencer les grandes compagnies sur les lignes les plus rentables et briser ainsi leur monopole, est le signe annonciateur de la crise terrible qui se développe dans les années 1980. Sous la pression accrue de la concurrence, les réglementations qui la limitaient volent en éclat; la dérégulation du marché intérieur américain, au début de la prési­dence Reagan, va sonner le glas de la période de prospérité et de sécu­rité que connaissaient jusque là les grandes compagnies aériennes. En une décennie, le nombre des grandes compagnies intérieures US passe de 20 à 7. Ces dernières an­nées, les plus grands noms du transport aérien américain font un atterrissage brutal dans la banque­route; tout récemment encore TWA vient de déposer son bilan, rejoignant au cimetière des ailes brisées PanAm, Eastern, Braniff, et d'autres.

Les pertes s'accumulent. En 1990, Continental a totalisé 2 343 mil­lions de dollars de pertes; US air 454 millions ; TWA 237 millions. En 1991, la situation est encore pire. United airlines et Delta airlines, qui étaient les seules grandes compagnies américaines à annon­cer un profit en 1990, affichent respectivement 331 millions de dollars de pertes pour l'année et 174 millions pour le premier semestre.

En Europe, la situation des com­pagnies aériennes n'est pas plus florissante. Lufthansa vient d'annoncer 400 millions de Deutschemarks de provision pour perte, Air France annonce des pertes consolidées de 1,15 milliard de francs au premier semestre 1991, SAS accumule 514 millions de couronnes suédoises de pertes pour le premier trimestre 1991, Sabena est à vendre, tandis que c'est l'hécatombe parmi les petites compagnies de transport régional. Quant à la première compagnie aérienne mondiale, officiellement Aeroflot, elle ne trouve plus de ké­rosène pour faire voler ses avions et est menacée d'éclatement avec la disparition de l'URSS.

Ce sombre bilan a d'abord eu son explication officielle toute trouvée dans la guerre du Golfe, qui a, ef­fectivement, fait baisser pendant plusieurs mois la fréquentation des lignes aériennes. Mais, celle-ci terminée, les comptes ne se sont pas redressés, et le mensonge a fait long feu. La récession de l'économie mondiale ne vient pas de la guerre du Golfe et le transport aérien est un parfait résumé de ses effets dévastateurs.

Les lignes les moins rentables sont délaissées et des régions entières du globe, les plus sous-développées, sont de moins en moins bien reliées aux centres industriels du capita­lisme.

La concurrence fait rage sur les trajets les plus rentables. Ainsi, sur l'Atlantique nord, les vols se sont multipliés, aboutissant à une surcapacité et diminuant le coefficient de remplissage des avions, tandis que la guerre des prix aboutit à des tarifs de dumping, détruisant ainsi leur rentabilité.

Depuis des années, pour renforcer leur compétitivité, à un moment où le marché était plus florissant, les compagnies aériennes se sont lancées dans des programmes ambi­tieux d'achats de nouveaux avions, s'endettant très lourdement dans la perspective de lendemains pros­pères. Elles se retrouvent au­jourd'hui avec des avions neufs dont elles n'ont pas l'usage et sont obligées d'annuler leurs com­mandes ou de demander aux constructeurs aéronautiques de re­tarder les livraisons. Les avions ne trouvent plus preneur sur le marché de l'occasion et des dizaines de «jets» se retrouvent immobilisés sur des aéroports-parkings, sans emploi.

Pour restaurer les trésoreries défi­cientes, les compagnies aériennes rognent sur tous les postes de leur budget d'exploitation :

- elles licencient à tour de bras ; de­ puis deux ans, pas une seule com­pagnie qui n'ait pas licencié ; des dizaines de milliers de travailleurs très qualifiés se sont retrouvés au chômage sans possibilité de retrouver un emploi dans un secteur en crise ;

- l'entretien des avions est «allégé » ; ces dernières années, plusieurs compagnies ont été sur­prises à ne pas respecter les règles très strictes de contrôle du bon état des appareils ;

-  les budgets de formation du per­sonnel ont été réduits et les exi­gences de qualification des pilotes et techniciens assouplies ;

-  le personnel navigant est soumis à des conditions d'exploitation plus sévères.

De telles mesures n'ont pour conséquence qu'une dégradation de la sécurité sur les lignes aé­riennes et la multiplication des ac­cidents.

Alors que d'un côté, les compa­gnies sont engagées dans une poli­tique d'économies tous azimuts pour renflouer leurs bilans, de l'autre, les mêmes règles de la concurrence les poussent à des dé­penses massives. Une des lois de la survie, dans une situation de concurrence exacerbée, est la re­cherche de la taille critique par le développement d'alliances com­merciales, de fusions, de rachats d'autres compagnies. Mais si cette politique se traduit à terme par des «économies d'échelle», par une meilleure gestion du matériel vo­lant et du réseau, elle signifie d'abord des investissements lourds. Un exemple parmi d'autres : Air France qui vient de racheter UTA, de fusionner avec Air Inter, de prendre une participation dans la compagnie tchèque, nouvellement privatisée et voudrait bien racheter la Sabena belge, non parce que cette dernière serait particulière­ment intéressante économique­ment, mais surtout parce qu'il s'agit de ne pas laisser la concur­rence s'en emparer. Une telle poli­tique est très dispendieuse et signi­fie d'abord un développement de l'endettement. Dans leur volonté de survie, toutes les compagnies sont engagées dans ce jeu à «qui-perd-gagne», où les victoire sont des victoires à la Pyrrhus qui ne peuvent qu'hypothéquer l'avenir.

La guerre commerciale qui secoue le transport aérien est une illustra­tion de l'absurdité d'un système basé sur la concurrence et les contradictions catastrophiques dans lesquelles plonge le capita­lisme en crise. Cette réalité domine tous les secteurs de l'économie et toutes les entreprises, des plus pe­tites aux plus grandes. Mais elle met aussi a nu une autre vérité, ca­ractéristique du capitalisme dans sa phase de décadence : le rôle do­minant du capitalisme d'Etat.

Les états au coeur de la guerre commerciale

Le secteur du transport aérien est un secteur stratégique essentiel pour tout Etat capitaliste, non seulement sur le strict plan écono­mique, mais aussi sur le plan mili­taire. On voit que, pour le trans­port de troupes, comme lors du conflit dans le Golfe, la réquisition et la mise à disposition de l'armée de l'aviation civile sont néces­saires. Chaque Etat, quand il en a les moyens, se dote d'une compa­gnie aérienne qui porte ses cou­leurs, qui a une position de quasi-monopole sur les lignes intérieures. Toutes les compagnies aériennes un tant soit peu importantes sont sous le contrôle d'un Etat ou d'un autre. Cela est évidemment vrai des compagnies comme Air France qui est directement la propriété de l'Etat français, mais cela est tout aussi vrai des compagnies à statut privé. Celles-ci dépendent totale­ment de tout l'arsenal juridico administratif que chaque Etat a mis en place pour les contrôler étroi­tement. Et ce sont même souvent des liens plus occultes du contrôle du capital qui sont en jeu, comme durant la guerre du Vietnam, où la compagnie Air America s'est en fait révélé appartenir à la CIA.. Derrière la guerre commerciale qui se mène dans le secteur du trans­port aérien, comme dans tous les domaines, ce ne sont pas simple­ment des entreprises qui s'affrontent, mais des Etats.

Le discours offensif du capitalisme américain, qui se drape dans les plis de l'étendard du «libéralisme», de la sacro-sainte «loi du marché» et de la «libre concurrence» est un mensonge. Le protectionnisme éta­tique est la règle générale. Chaque Etat veut protéger son marché inté­rieur, ses entreprises, son écono­mie. Là encore, le marché du transport aérien est un bon exemple. Alors que les USA se font les champions de la dérégulation pour faire jouer la «libre concur­rence», le marché intérieur US est protégé et réservé aux transpor­teurs américains. Chaque Etat édicté un fatras de lois, de règles, de normes dont le but essentiel est de limiter la pénétration de pro­duits étrangers. Le discours sur le libéralisme vise surtout à imposer aux autres Etats l'ouverture de leur marché intérieur. L'Etat est par­tout le principal agent économique et les entreprises ne sont que les champions d'un capitalisme d'Etat ou d'un autre. La forme juridique de propriété, privée ou publique, ne change rien à l'affaire. Le mythe des «multinationales» véhiculé par les gauchistes dans les années 1970 a fait long feu. Ces entreprises ne sont pas indépendantes de l'Etat, elles ne sont que le vecteur de l'impérialisme économique des plus grands Etats du monde.

Les rivalités économiques dans la logique de l'impérialisme

L'effondrement du bloc russe, en mettant fin à la menace militaire de l'armée rouge, a brisé un des ci­ments essentiels qui permettait aux USA d'imposer leur discipline aux pays qui constituaient le bloc occi­dental. Des pays comme l'Allemagne ou le Japon, qui étaient les principaux concurrents économiques des USA, n'en res­taient pas moins des alliés fidèles. En échange de la protection militaire américaine, ils acceptaient la discipline économique que leur imposait leur tuteur. Ce n'est au­jourd'hui plus le cas. La dyna­mique du chacun pour soi, de la guerre commerciale à tout crin, s'en est trouvée relancée. Logi­quement, aux armes de la compéti­tion économique s'associent les moyens de l'impérialisme. C'est cette réalité que vient d'exprimer tout haut Dan Quayle, le vice-pré­sident américain en déclarant en Allemagne, début février : «Il ne faut pas remplacer la guerre froide par la guerre commerciale», ajou­tant pour bien préciser sa pensée : «le commerce est une question de sécurité», et : «Une sécurité na­tionale et internationale exige une coordination entre sécurité politique, militaire et économique »

Dans la bataille économique, les arguments de la propagande idéo­logique sur le «libéralisme» n'ont que peu de lien avec la réalité. La dernière réunion du G7 ([1] [45]) et les né­gociations du GATT ([2] [46]) sont un exemple frappant de la situation présente de guerre économique où, au nom du «libéralisme», ce sont les Etats qui négocient.

Le temps où les Etats-Unis pou­vaient imposer leur loi est révolu. Le G7 n'est parvenu à aucun ac­cord pour tenter une relance mon­diale ordonnée. L'Allemagne oc­cupée à sa réunification fait cava­lier seul en maintenant des taux d'escompte élevés, limitant la ca­pacité des autres pays de baisser les leurs pour favoriser cette hypothé­tique relance. Le voyage du prési­dent Bush au Japon, qui avait pour but explicite d'ouvrir le marché ja­ponais aux exportations améri­caines, a été un fiasco. Les négo­ciations du GATT s'enlisent malgré le forcing des USA qui utilisent tous les atouts de leur puissance économique et impérialiste pour tenter d'imposer des sacrifices économiques à leurs concurrents européens.

De manière significative, ces négo­ciations prennent l'allure d'une foire d'empoigne entre les USA et la CEE. Chacun accuse l'autre de subventionner ses exportations, donc de déroger aux sacro-saintes lois du libre-échange, et tous ont raison. Les Etats européens sub­ventionnent directement le constructeur d'avions Airbus par des aides, des prêts, des garanties de change, tandis que l'Etat améri­cain subventionne indirectement ses constructeurs aéronautiques par des commandes militaires ou des budgets de recherche. En 1990, les pays de l'OCDE ont consacré 600 milliards de dollars à aider leurs industries. Dans le secteur agricole, la même année, les sub­ventions au sein de l'OCDE ont cru de 12%. Un fermier américain bé­néficie en moyenne d'une subven­tion de 22 000 dollars ; pour un fermier japonais celle-ci atteint, toujours en moyenne, 15 000 dol­lars ; et pour un fermier européen 12 000 dollars. Les belles paroles libérales sur la «magie du marché» sont de l'hypocrisie : c'est l'intervention permanente et ren­forcée de l'Etat dans tous les do­maines à laquelle on assiste.

Loin des phrases sur la «libre concurrence», le «libre-échange» et la «lutte contre le protectionnisme», tous les moyens sont bons à chaque capital national pour assurer la survie de son économie et de ses entreprises dans la bagarre sur le marché mondial : subventions, dumping, pots-de-vin sont pra­tiques courantes des entreprises qui agissent sous l'oeil bienveillant de leur Etat protecteur. Et quand cela ne suffit pas, les hommes d'Etat se font représentants de commerce, ajoutant aux arguments économiques ceux de la puissance impérialiste. Sur ce plan les USA donnent l'exemple. Alors que leur économie subit la récession et manque de compétitivité face à ses concurrents, le recours aux argu­ments concrets que lui fournit sa puissance impérialiste, est devenu un moyen essentiel pour lui ouvrir des marchés, moyen que le simple jeu de la concurrence économique ne peut lui permettre de gagner. Et tous les Etats font d'ailleurs de même, dans la mesure de leurs moyens.

Il n'y a plus de loi qui vaille que celle de la survie, tous les moyens sont bons pour gagner la bataille. Telle est la loi de la guerre com­merciale, comme celle de toute guerre. «Exporter ou mourir» disait Hitler : c'est devenu la devise obsédante de tous les Etats du monde. L'anarchie et la pagaille règnent sur le marché mondial, la tension monte et ce n'est pas un accord formel du GATT qui pourra freiner cette dynamique vers le chaos. Alors que, depuis des an­nées, des négociations se mènent à couteaux tirés pour essayer de mettre un peu d'ordre sur le mar­ché, la situation échappe déjà à tout contrôle, les accords de troc se multiplient qui ne rentrent pas dans les réglementations du GATT. Chaque Etat se préoccupe déjà de trouver les moyens de contourner les accords futurs.

La perspective n'est pas à une atté­nuation des tensions.

Plongée dans la récession la guerre commerciale ne peut que s'intensifier

Malgré l'attente et les espoirs des dirigeants du monde entier, l'économie américaine ne parvient pas à sortir de la récession dans la­quelle elle est officiellement plon­gée depuis un an. Les mesures de relance par la baisse du taux d'escompte de la Banque Fédérale, ont tout juste permis de freiner la chute et de limiter les dégâts. Fi­nalement, l'année 1991 se solde par une baisse de 0,7 % du PNB améri­cain. De manière significative, les autres pays industrialisés sont en train de suivre l'économie améri­caine dans sa chute.

Au Japon, la production industrielle a chuté de 4 % durant les douze mois précédant janvier 1992. Sur les trois derniers mois de l'année 1991, la production industrielle a baissé de 4 % dans la partie occidentale de l'Allemagne, de 29,4 % en Suède (!), de 0,9 % en France. En 1991, le PIB de la Grande-Bretagne a diminué de 1,7% par rapport à l'année précédente. La dynamique de récession est généralisée à tous les grands pays industrialisés.

Le récent discours du président Bush sur l'état de l'Union, qui de­vait annoncer des mesures pour sortir l'économie américaine du marasme est une déception. Pour l'essentiel, il s'agit d'un sau­poudrage de recettes qui ont déjà démontré, tout au long de ces der­niers mois, leur inefficacité et qui relèvent en fait plus de la démagogie électoraliste que d'une réelle efficacité économique. Les baisses des impôts vont essentiellement avoir pour effet de creuser encore plus le déficit budgétaire qui a déjà atteint 270 milliards de dollars en 1991 et doit, selon les prévisions officielles, culminer à 399 milliards de dollars en 1992, posant encore plus lourdement le problème de la dette américaine. Quant à la réduc­tion du budget d'armement, les fameux <r dividendes de la paix », il n'aura pour seul résultat que de faire encore plus s'empêtrer l'économie US dans le marasme en diminuant les commandes de l'Etat à un secteur déjà en crise et pour lequel plus de 400 000 licencie­ments sont prévus dans les années qui viennent.

De fait, le seul aspect un tant soit peu positif pour le capital améri­cain en 1991 est le redressement de sa balance commerciale, bien qu'elle soit encore très largement déficitaire. Sur les onze premiers mois de l'année 1991, il atteint 64,7 milliards de dollars, en résorption de 36 % par rapport à la même pé­riode de l'année précédente où il atteignait 101,7 milliards de dol­lars. Cependant ce résultat n'est pas le produit d'une plus grande compétitivité économique, mais de la capacité des USA d'utiliser tous les atouts conjugués, économique et impérialiste, que lui donne son statut de première puissance dans la guerre économique qui se joue sur la scène mondiale. Ce redres­sement de la balance commerciale américaine signifie, avant tout, une dégradation de celle des autres pays concurrents, et donc une ag­gravation de la crise mondiale et une concurrence toujours plus forte sur le marché mondial.

Le mensonge nationaliste, un danger pour la classe ouvrière

Le corollaire de la guerre commer­ciale, c'est le nationalisme écono­mique. Chaque Etat essaie d'embrigader «ses» ouvriers dans la guerre économique, leur deman­dant d'accepter de se serrer la cein­ture au nom de la solidarité autour de la nécessaire défense de l'économie nationale, lançant des campagnes pour encourager l'achat de produits nationaux. «Buy american» est le nouveau slogan des lobbies protectionnistes aux USA.

Depuis des années les prolétaires sont appelés à la sagesse, à la res­ponsabilité, à se soumettre aux me­sures d'austérités pour que demain la situation s'améliore, et depuis des années tout va de mal en pis. Partout, dans tous les pays, la classe ouvrière a été la première victime de la guerre économique. Ses salaires et son pouvoir d'achat ont été amputés au nom de la com­pétitivité économique, les licen­ciements ont été effectués au nom de la survie de l'entreprise. Le pire des pièges serait pour les prolétaires de croire le mensonge du nationalisme économique comme solution, ou moindre mal, face à la crise. Cette propagande nationaliste, martelée aujourd'hui pour que les ouvriers exsudent plus de sueur pour le capital, est la même que celle qui sert à justifier qu'ils donnent leur sang pour la « défense de la patrie».

La guerre commerciale, avec ses ravages sur l'économie mondiale, est l'expression de l'impasse ab­surde dans laquelle s'enfonce le capitalisme mondial en proie à la plus grande crise économique de son histoire. Alors que la pauvreté, la pénurie dominent la majeure partie de la population mondiale, la production chute, les usines fer­ment, les terres sont stérilisées, les travailleurs réduits au chômage, les moyens de production inutilisés. Telle est la logique du capitalisme basé sur la concurrence qui mène au chacun pour soi, à l'affrontement de tous contre tous, à la guerre, vers toujours plus de destructions. Seule la classe ou­vrière, qui n'a pas d'intérêts particuliers à défendre, qu'elle soit d'un pays où d'un autre, elle qui partout subit l'exploitation et la misère, peut, par sa lutte, offrir une autre perspective à l'humanité. En défendant, par delà toutes les divisions et toutes les frontières du capitalisme, son unité et sa soli­darité de classe internationale, elle seule peut permettre une sortie de la tragédie chaque jour plus dramatique dans laquelle le capi­talisme est en train d'entraîner la planète.

JJ, 3/3/92

«La loi selon laquelle une masse toujours plus grande des éléments constituants de la richesse peut, grâce au développement continu des pouvoirs collectifs du travail, être mise en oeuvre avec une dépense de force humaine toujours moindre, cette loi qui met l'homme social à même de produire davantage avec moins de labeur, se tourne dans le milieu capitaliste - où ce ne sont pas les moyens de production qui sont au service du travailleur, mais le travailleur qui est au service des moyens de production - en loi contraire, c'est-à-dire que plus le travail gagne en ressources et en puissance, plus il y a pression des travailleurs sur les moyens d'emploi, plus la condition d'existence des salariés, la vente de sa force de travail devient précaire.»

Marx, Le Capital, livre I, 7e section.



[1] [47] Groupe des sept plus grands pays indus­trialisés qui organisent des réunions régu­lières afin de «tenter» de coordonner leurs politiques économiques pour faire face à la crise mondiale.

[2] [48] General agreement on tarifs and trade : négociations internationales destinées à établir des accords de régulation du marché mondial en «réglementant» les conditions de la concurrence.

 

Récent et en cours: 

  • Crise économique [49]

La plus grave crise économique de l'histoire du capitalisme : l'éclatante vérification du marxisme

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Alors que le capitalisme connaît la plus grave crise économique de son histoire, les défenseurs de l'ordre établi ne cessent de procla­mer la mort du marxisme, c'est à dire de la seule théo­rie qui permet de comprendre la réalité de cette crise, et qui l'a prévue. Usant jusqu'à la corde le vieux et ignoble mensonge qui identifie marxisme et stalinisme, révolution et contre-révolu­tion, la bourgeoisie veut faire passer la faillite du capita­lisme d'Etat stalinien pour la faillite du communisme et de sa théorie, le marxisme. C'est une des plus violentes attaques qu'ait eu à subir,  sur le plan de la conscience, la classe ouvrière depuis des décennies. Mais les exorcismes hystériques de la classe dominante ne peu­ vent rien changer à la réalité crue : les théories bour­geoises s'avèrent totalement incapables d'expliquer l'actuel désastre écono­mique, alors que l'analyse marxiste des crises du ca­pitalisme trouve une écla­tante vérification.

L'impuissance des «théories» bourgeoises

Il est frappant de voir les plus lu­cides des «penseurs et commenta­teurs» de la classe dominante constater l'ampleur du désastre qui bouleverse la planète, sans qu'ils puissent pour autant fournir le moindre début d'explication cohé­rente. Il peuvent se répandre pen­dant des heures à la télévision, remplir des pages entières dans les journaux sur les ravages de la mi­sère et de la maladie en Afrique, sur l'anarchie destructrice qui me­nace de famine l'ancien empire « soviétique », sur la dévastation écologique de la planète qui met en péril la survie même de l'espèce hu­maine, sur les ravages de la drogue devenue un commerce aussi impor­tant que celui du pétrole, sur l'absurdité qui consiste à stériliser des terres cultivables en Europe alors que les famines se multiplient dans le monde, sur le désespoir et la décomposition qui rongent les banlieues des grandes métropoles, sur le manque de perspectives qui envahit toute la société mondiale... ils peuvent multiplier les études «sociologiques» et économiques dans tous les domaines, le pour­quoi de tout cela reste pour eux un mystère.

Les moins stupides perçoivent va­guement qu'à l'origine il y a un problème économique. Sans le dire, ou le savoir, ils se rendent à cette vieille découverte du marxisme qui dit que, jusqu'à pré­sent, l'économie constitue la clé de l'anatomie de la vie sociale. Mais cela ne fait qu'ajouter à leur per­plexité. Car, dans la bouillie qui leur sert de cadre théorique, le blo­cage de l'économie mondiale de­meure le mystère des mystères.

L'idéologie dominante repose sur le mythe de l'éternité des rapports de production capitalistes. En­visager, ne fût-ce qu'un instant, que ces rapports, le salariat, le profit, les nations, la concurrence, ne constituent plus le seul mode d'organisation économique pos­sible, comprendre que ces rapports sont devenus la calamité à la source de tous les fléaux qui frap­pent l'humanité, voilà qui mettrait définitivement à terre les quelques pans qui subsistent de leur édifice philosophique.

Les économistes n'ont cessé d'avancer depuis deux décennies, dans un langage de plus en plus in­compréhensible, des «explica­tions» de la dégradation continue de l'économie mondiale. Ces «explications» ont toutes en com­mun deux caractéristiques : la dé­fense du capitalisme comme seul système possible, et le fait d'avoir été, les unes après les autres, ou­vertement ridiculisées par la réalité peu de temps après avoir été for­mulées. Qu'on se rappelle.

A la fin des années 1960, lorsque la «prospérité», qui avait accompa­gné la reconstruction d'après la seconde guerre mondiale, touchait à sa fin, il y a eu deux récessions : en 1967 et en 1970. Comparées aux se­cousses économiques que nous avons connues depuis, ces réces­sions peuvent aujourd'hui sembler bien insignifiantes ([1] [50]) Mais, à l'époque, elles constituaient un phénomène relativement nouveau. Le spectre de la crise économique, qu'on croyait avoir définitivement enterré depuis la dépression des années 1930, revenait hanter les esprits des économistes bourgeois ([2] [51]). La réalité parlait d'elle même : la reconstruction terminée, le capitalisme plongeait à nouveau dans la crise économique. Le cycle de vie du capitalisme décadent de­puis 1914 se confirmait: crise -guerre - reconstruction - nouvelle crise. Mais les «experts» ont ex­pliqué qu'il n'en était rien. Le capi­talisme était tout simplement à l'aube d'une nouvelle jeunesse et il ne subissait qu'une crise de crois­sance. La raison de ces secousses n'aurait été que «la rigidité du sys­tème monétaire hérité de la se­conde guerre mondiale» - les fa­meux accords de Bretton-Woods qui reposaient sur le dollar comme étalon et un système de taux de change fixe entre les monnaies. On créa donc une nouvelle monnaie in­ternationale, les Droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI et on dé­cida que les taux de change flotte­raient librement.

Mais, quelques années après, deux nouvelles récessions, beaucoup plus profondes, longues et éten­dues géographiquement ont frappé de nouveau le capitalisme mondial, en 1974-75 puis en 1980-82. Les «experts» ont alors trouvé une nouvelle explication : la pénurie de sources d'énergie. On baptisa ces nouvelles convulsions «chocs pé­troliers». Par deux fois encore on expliqua que le système n'était pour rien dans ces difficultés. Il s'agissait seulement des effets de la cupidité des cheiks arabes, voire même de la revanche de certains pays sous-développés producteurs de pétrole. Et, comme pour mieux se convaincre de l'éternelle vitalité du système, la «reprise» écono­mique des années 80 se fit au nom d'un retour à un « capitalisme pur ». Les «reaganomics», re­donnant aux entrepreneurs privés les pouvoirs et la liberté que les Etats leur avaient prétendument confisqués, devaient enfin faire ex­ploser toute la puissance créatrice du système. Privatisations, élimi­nation impitoyable des entreprises déficitaires, généralisation de la précarité de l'emploi pour mieux permettre le jeu du marché au ni­veau de la force de travail, l'affirmation du «capitalisme sau­vage» devait montrer à quel point les fondements du capitalisme res­tent sains et offrent la seule issue possible. Mais dès le début des an­nées 80, les économies des pays du «tiers-monde» s'effondrent. Au milieu des années 80, l'URSS et les pays de l'Est de l'Europe, s'engagent dans une voie «libérale», essayant de s'arracher aux formes les plus rigides de leur capitalisme ultra étatisé. La dé­cennie se termine avec une nouvelle aggravation du désastre : l'ancien bloc soviétique plonge dans un chaos sans précédent.

Dans un premier temps, les idéo­logues des démocraties occiden­tales ont présenté cela comme une confirmation de leur évangile : l'URSS et les pays d'Europe de l'Est s'écroulent parce qu'ils ne parviennent pas encore à devenir réellement capitalistes ; les pays du «tiers-monde» parce qu'ils gèrent mal le capitalisme. Mais au début des années 90, il se confirme que la crise économique frappe violem­ment les pays les plus puissants de la planète. Le coeur du capitalisme «pur et dur». Et, à l'avant-garde de ce nouveau plongeon se trou­vent justement les champions du nouveau libéralisme, les pays qui étaient censés donner au monde entier l'exemple des miracles que peut accomplir «l'économie de marché» : les Etats-Unis et la Grande Bretagne.

Au début de 1992 les plus beaux fleurons du capitalisme occidental, les entreprises les mieux gérées de la planète annoncent que leurs profits s'écroulent et qu'elles s'apprêtent à supprimer des dizaines de milliers de postes de tra­vail : IBM, premier constructeur d'ordinateurs du monde, le modèle des modèles, qui n'avait jamais connu de pertes depuis sa fonda­tion ; General Motors, première entreprise industrielle du monde, dont on résume la puissance par la fameuse formule «Ce qui est bon pour General Motors est bon pour les Etats-Unis» ; United Technolo­gies, un des premiers et plus mo­dernes groupes industriels améri­cains ; Ford ; Mercedes Benz, le symbole de la puissance du capital allemand, qui se flattait d'être le seul constructeur d'automobiles à avoir embauché au cours des an­nées 80 ; Sony, champion du dy­namisme et de l'efficacité du capi­tal japonais... Quant au secteur bancaire et financier mondial, ce­lui qui a connu la plus grande «prospérité» au cours des années 80, profiteur immédiat de cette pé­riode marquée par les plus gigan­tesques spéculations et les endet­tements les plus démentiels de l'histoire, il est frappé de plein fouet par la crise et menace de s'écrouler usé par ses propres abus. Des «abus» que certains écono­mistes semblent découvrir au­jourd'hui, mais qui ont constitué depuis deux décennies la véritable bouée de sauvetage de l'économie mondiale : la fuite en avant dans le crédit. La «machine à repousser les problèmes dans le temps» tombe en morceaux, écrasée par le poids des dettes cumulées pendant des années. ([3] [52])

Que reste-t-il des explications de la crise par «l'excessive rigidité du système monétaire» lorsque l'anarchie des taux de change est devenue un élément de l'instabilité économique mondiale ? Que reste-t-il du bavardage sur les «chocs pé­troliers» lorsque les cours du pé­trole se noient dans la surproduc­tion ? Que reste-t-il des discours sur «le libéralisme» et «les mi­racles de l'économie de marché» lorsque l'effondrement écono­mique se fait dans la plus sauvage des guerres commerciales pour un marché mondial qui se rétrécit à vi­tesse accélérée ? Que valent les ex­plications basées sur une découverte tardive des dangers de l'endettement lorsqu'on ignore que cet endettement suicidaire était le seul moyen de prolonger la survie d'une économie agonisante ?

Ces prêtres de l’absurde que sont devenus les économistes dans le capitalisme décadent, ne parvien­nent pas plus à comprendre le pourquoi de la crise économique, qu'à dessiner une quelconque perspective sérieuse pour le proche ou le moyen avenir([4] [53]). Leur métier de défenseurs du système capita­liste leur interdit, aussi «intelligents» soient-ils, de com­prendre la plus élémentaire réalité : le problème de l'économie mon­diale ne réside pas dans une ques­tion de pays ou de façon de gérer le système capitaliste. C'est le sys­tème mondial, le capitalisme lui même qui est le problème. Leurs «raisonnements», leurs «pensées» resteront certainement dans l'histoire comme un des plus si­nistres exemples de l'aveuglement et de la stupidité de la pensée d'une classe décadente.

Le marxisme, la première conception cohérente de l'histoire

Avant Marx, l'histoire humaine apparaissait généralement comme une suite d'événements plus ou moins disparates, évoluant au gré des batailles militaires ou des convictions idéologiques ou religieuses de tel ou tel puissant de ce monde. En dernière instance, la  seule logique pouvant servir de fil conducteur à cette histoire devait être cherchée en dehors du monde matériel, dans les sphères éthérées de la divine Providence ou, dans le meilleur des cas, dans le développement de l'Idée Absolue de l'Histoire chez Hegel([5] [54]).

Aujourd'hui, les économistes et autres «penseurs» de la classe do­minante en sont restés au même point, le retard en plus. Avec l'effondrement de ce qu'ils consi­dèrent avoir été «le communisme», il en est même qui, reprenant une caricature de la pensée de Hegel, annoncent «la fin de l'histoire» : puisque maintenant tous les pays parviennent à la forme la plus achevée du capitalisme («le libéra­lisme démocratique»), puisqu'il ne peut rien y avoir au delà du capita­lisme, nous serions au bout du chemin. Avec de telles concep­tions, l'actuel chaos, le blocage économique de la société, sa désagrégation généralisée ne peu­vent que demeurer un mystère de la Providence. Pour celui qui croit qu'au delà du capitalisme il ne peut rien exister, le terrifiant constat de faillite au bout de plusieurs siècles de domination capitaliste sur la planète, ne peut provoquer que stupeur, une stupeur à faire déses­pérer de l'humanité.

Pour le marxisme, par contre, il s'agit d'une éclatante confirmation des lois historiques qu'il a décou­vertes et formulées. Du point de vue du prolétariat révolutionnaire, le capitalisme n'est pas plus éternel que ne l'ont été les anciens modes d'exploitation, le féodalisme ou l'esclavagisme antique par exemple. Le marxisme se distingue justement des théories commu­nistes qui l'ont précédé, par le fait qu'il fonde le projet communiste sur une compréhension de la dy­namique de l'histoire : le commu­nisme devient possible histori­quement parce que le capitalisme crée simultanément les conditions matérielles permettant d'accéder à une véritable société d'abondance, et la classe capable d'entreprendre la révolution communiste : le pro­létariat. Il devient une nécessité historique parce que le capitalisme aboutit à une impasse.

Autant l'impasse capitaliste dé­concerte les bourgeois et leurs éco­nomistes, autant elle confirme les marxistes dans leurs convictions révolutionnaires.

Mais, comment les marxistes ex­pliquent-ils cette situation de cul-de-sac historique ? Pourquoi le ca­pitalisme ne peut-il pas se déve­lopper à l'infini ? Une phrase du Manifeste communiste, de Marx et Engels, résume la réponse : «Les institutions bourgeoises sont devenues trop étroites pour contenir la richesse qu'elles ont créée».

Quelle est la signification de cette formulation ? La réalité actuelle la confirme-t-elle ?

«Les institutions bourgeoises»

Un des pièges de l'idéologie bour­geoise, et dont les premières vic­times sont les économistes eux-mêmes, consiste à croire que les rapports capitalistes seraient des rapports «naturels». L'égoïsme, la rapacité, l'hypocrisie et la cynique cruauté de l'exploitation capitaliste ne seraient que la forme la plus raffinée atteinte par une éternelle, et toujours «mauvaise», «nature humaine».

Mais quiconque jette un regard à l'histoire constate immédiatement qu'il n'en est rien. Les rapports so­ciaux actuels ne dominent la vie économique de la société que de­puis 500 ans, si l'on situe, comme Marx, le début de cette domination au 16e siècle, lorsque la découverte de l'Amérique et l'explosion du commerce mondial qui s'ensuit, permettent aux marchands ca­pitalistes de commencer à imposer définitivement leur pouvoir sur la vie économique de la planète. Auparavant, l'humanité a connu d'autres sociétés de classes, comme le féodalisme et l'esclavagisme antique, et avant cela, elle a vécu pendant des millé­naires sous des formes diverses de «communisme primitif», c'est-à-dire dans des sociétés sans classes ni exploitation.

«Dans la production sociale de leur existence, - explique Marx([6] [55])- les hommes nouent des rapports déter­minés, nécessaires, indépendants de leur volonté; ces rapports de production correspondent à un de­gré donné du développement de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports forme la structure économique de la société, la fondation réelle sur laquelle s'élève un édifice juridique et poli­tique, et à quoi répondent des formes déterminées de la conscience sociale.»

Les institutions bourgeoises, les rapports de production capitalistes et leur «édifice juridique et poli­tique», loin de constituer des réali­tés éternelles, ne sont qu'une forme particulière,  momentanée de l'organisation sociale, correspon­dant «à un degré donné du dévelop­pement des forces productives». Marx disait qu'au moulin à bras correspondait l'esclavagisme an­tique, au moulin à eau le féoda­lisme, au moulin à vapeur le capi­talisme.

Mais en quoi consistent ces rapports ? Dans la mythologie qui identifie stalinisme et commu­nisme, il est commun de définir les rapports capitalistes par opposition à ceux qui prédominaient dans les pays soi-disant commu­nistes, tels l'ex-URSS. La question de la propriété des moyens de pro­duction par des capitalistes individuels ou par l'Etat serait le critère déterminant. Mais, commet l'avaient déjà démontré Marx et Engels dans leur combat contre le socialisme étatique de Lassalle, le fait que l'Etat capitaliste possède ; les moyens de production ne fait t que donner à cet Etat le statut de «capitaliste collectif idéal». '

Rosa Luxemburg, une des plus grandes marxistes depuis Marx, in­siste sur deux critères principaux, deux aspects de l'organisation so­ciale pour déterminer les spécifici­tés d'une mode d'exploitation par rapport aux autres : le but de la production et le rapport qui lie l'exploité à ses exploiteurs. Ces cri­tères, définis bien avant la révolu­tion russe et son étouffement, ne laissent d'ailleurs aucun doute sur la nature capitaliste des économies staliniennes. ([7] [56])

Le but de la production

 

Rosa Luxemburg résume la spé­cificité du but de la production ca­pitaliste de la façon suivante : «Le propriétaire d'esclaves achetait des esclaves pour sa commodité et pour son luxe, le seigneur féodal extor­quait des corvées et des redevances au serfs dans le même but: pour vivre largement avec sa parenté. L'entrepreneur moderne ne fait pas produire aux travailleurs des vivres, des vêtements, des objets de luxe pour sa consommation, il leur fait produire des marchandises pour les vendre et en retirer de l'argent.»([8] [57])

 

Le but de la production capitaliste c'est l'accumulation du capital, à tel point que les dépenses de luxe auxquelles se livrent les membres de la classe exploiteuse sont, dans les temps radicaux du capitalisme naissant, condamnées par le puri­tanisme bourgeois. Marx en parle comme d'un «vol du capital».

Les bourgeois-bureaucrates pré­tendent que dans leurs régimes, on ne poursuit pas des objectifs capi­talistes et que le revenu des «responsables» est sous forme de «salaire». Mais le fait que le re­venu soit distribué sous forme de revenu fixe (faussement appelé dans ce cas «salaire») et d'avantages de fonction, au lieu de l'être sous forme de revenus d'actions ou placements indivi­duels, tout cela n'est pas significa­tif lorsqu'il s'agit de déterminer s'il s'agit d'un mode de production capitaliste ([9] [58]). Le revenu des grands i bureaucrates de l'Etat n'en est pas moins fait du sang et de la sueur des prolétaires. La «planification» stalinienne de la production ne poursuit pas d'autres objectifs que les investisseurs de Wall-Street : nourrir le dieu Capital National avec le sur-travail extirpé aux ex­ploités, accroître la puissance du capital et en assurer la défense face aux autres capitaux nationaux. L'aspect «Spartiate» affiché, hy­pocritement, par les bureaucraties staliniennes, surtout lorsqu'elles viennent de s'emparer du pouvoir, n'est qu'une caricature dégénérée du puritanisme de l'accumulation primitive du capital, une caricature rendue difforme par les lèpres du capitalisme décadent : la bureau­cratie et le militarisme.

Le lien exploité-exploiteur

Les spécificités du capitalisme, quant au rapport entre l'exploité et son exploiteur, ne sont pas moins importantes ni moins présentes dans le capitalisme d'Etat stali­nien.

Dans l'esclavagisme antique, l'esclave est nourri tout comme le sont les animaux appartenant au maître. Il reçoit, de la part de son exploiteur, le minimum in­dispensable pour vivre et se repro­duire. Cette quantité est relative­ment indépendante du travail qu'il fournit. Même s'il n'a pas travaillé, même si la récolte est détruite, le maître se doit de le nourrir, sous peine de le perdre, comme on perd un cheval qu'on a négligé d'alimenter.

Dans le servage féodal, le serf par­tage encore avec l'esclave, même si c'est sous des formes plus disten­dues et émancipées, sa condition d'objet personnellement rattaché à son exploiteur ou à une exploita­tion : on cède un château avec ses terres, ses bêtes et ses serfs. Cependant, le revenu du serf n'est plus véritablement indépendant du travail qu'il effectue. Son droit à prélever sur la production est défini comme une partie, un pourcentage de la production réalisée.

Dans le capitalisme, l'exploité, le / prolétaire est «libre». Mais cette «liberté» tant vantée par la propagande bourgeoise, se résume au j fait que l'exploité n'a aucun lien personnel avec son  exploiteur. L'ouvrier n'appartient à personne,  il n'est rattaché à aucune terre ou propriété. Son lien avec son exploi­teur se réduit  à une opération commerciale : il vend, non pas lui même, mais sa force de travail. Sa «liberté» c'est d'avoir été séparé de ses moyens de production. C'est la liberté du capital de l'exploiter en n'importe quel lieu, pour lui faire produire ce que bon lui semble. La part que le prolétaire a le droit de prélever sur le produit social (quand il y a droit) est indé­pendante du produit de son travail. Cette part équivaut au prix de la seule marchandise importante qu'il possède et reproduit : sa force de travail.

«Comme toute autre marchandise, la marchandise "force de travail" a sa valeur déterminée. La valeur de toute marchandise est déterminée par la quantité de travail nécessaire à sa production. Pour produire la marchandise "force de travail", une quantité déterminée de travail est également nécessaire, le travail qui produit la nourriture, les vêtements, etc., pour le travailleur. La force de travail d'un homme vaut ce qu'il faut de travail pour le maintenir en état de travailler, pour entretenir sa force de travail.»([10] [59]}

C'est le salariat.

Les staliniens prétendent que leurs régimes ne  pratiquent pas cette forme d'exploitation car il n'y a pas de chômage. Il est vrai que, de fa­çon générale, dans les régimes staliniens on «fait travailler les chômeurs». Le marché du travail est caractérisé par la situation de monopole de l'Etat qui achète prati­quement tout ce qui se trouve sur le marché, en échange de salaires de misère. Mais l'Etat, ce «capitaliste collectif», n'en est pas moins ache­teur et exploiteur. Pour le prolé­taire, la garantie d'emploi, il doit la payer de l'interdiction absolue de toute revendication et de l'acceptation des conditions de vie les plus misérables. Le stalinisme ce n'est pas la négation du salariat, mais la forme totalitaire de celui-ci.

Aujourd'hui, les économies des pays staliniens ne deviennent pas capitalistes, elles ne font que tenter d'abandonner les formes les plus rigidement étatiques du capitalisme décadent qui les caractérisent.

Production exclusivement en vue de la vente pour l'accumulation de capital, rémunération des travail­leurs par le salariat, cela ne définit évidemment pas toutes les institu­tions bourgeoises, mais met en avant les plus spécifiques. Celles qui permettent de comprendre pourquoi le capitalisme est condamné à l'impasse.

«La richesse qu'elles ont créée... »

Au sortir de la société féodale, les rapports de production capita­listes, les «institutions bourgeoises» ont permis un bond gigantesque des forces productives de la so­ciété. A l'époque où le travail d'un homme permettait à peine de se nourrir lui-même et un autre, lorsque la société était encore mor­celée en une multitude de fiefs qua­siment autonomes les uns par rap­port aux autres, le développement de la «liberté» du salariat et de l'unification de l'économie par le commerce, a constitué un puissant facteur de développement.

 

«La bourgeoisie... a montré ce que l'activité humaine est capable de réaliser. Elle a accompli des mer­veilles qui sont autre chose que les pyramides égyptiennes, les aque­ducs romains, les cathédrales go­thiques... Au cours de sa domina­tion de classe à peine séculaire, la bourgeoisie a créé des forces pro­ductives plus massives et plus colos­sales que ne l'avaient fait dans le passé toutes les générations dans leur ensemble.»([11] [60])

Contrairement aux théories communistes pré-marxistes, qui disaient le communisme possible à tout moment de l'histoire, le marxisme reconnaît que seul le ca­pitalisme crée les moyens matériels d'une telle société. Avant de devenir «trop étroites pour contenir la richesse qu'elles ont créée», les institutions bourgeoises étaient suffisamment larges pour apporter, « dans la boue et dans le sang » deux réalités indispensables à l'instauration d'une véritable so­ciété communiste : la création d'un réseau productif mondial (le mar­ché mondial) et un développement suffisant de la productivité du tra­vail. Deux réalités qui, on le verra, finiront par se transformer en un cauchemar pour la survie du capital.

« La grande industrie a fait naître te marché mondial, que la découverte de l'Amérique avait préparée... – dit le Manifeste communiste. Poussée par le besoin de débouchés toujours plus larges pour ses produits, la bourgeoisie envahit toute la surface du globe. Partout elle doit s'incruster, partout il lui faut bâtir 1 partout elle établit des relations..] Elle contraint toutes les nations\ sous peine de courir à leur perte, d'adopter le mode de production bourgeois; elle les contraint d'importer chez elles ce qui s'appelle la civilisation, autrement dit : elle en fait des nations de bour­ geois. En un mot, elle crée un monde à son image. »([12] [61])

Stimulant et produit de cette unifi­cation de l'économie mondiale, la productivité du travail fait les plus importants progrès de l'histoire. La nature même des rapports capi­talistes, la concurrence à mort dans laquelle vivent les différentes fractions du capital, au niveau national ou international, contraint celles-ci à une course permanente à la productivité. Baisser les coûts de production, pour être plus com­pétitifs, est une condition de survie sur le marché.([13] [62])

Malgré le poids destructif de l'économie de guerre devenue quasi permanente depuis la pre­mière guerre mondiale, malgré les irrationalités introduites par un fonctionnement devenu de plus en plus militarisé, difficile et contra­dictoire depuis la constitution défi­nitive du marché mondial, au dé­but de ce siècle([14] [63]), le capitalisme a poursuivi un développement de la productivité technique du travail. On estime([15] [64]) que vers 1700, un tra­vailleur agricole en France pouvait nourrir 1,7 personne, c'est-à-dire qu'il s'alimentait lui même et four­nissait les trois quarts de l'alimentation d'une autre per­sonne ; en 1975, un travailleur agricole aux Etats-Unis peut nour­rir 74 personnes en plus de lui ! La production d'un quintal de blé coû­tait 253 heures de travail en 1708 en France ; ce coût y est de 4 heures en 1984. Sur le plan industriel, les progrès ne sont pas moins specta­culaires : pour produire une bicy­clette en France en 1891 il fallait 1500 heures de travail ; en 1975 il en fallait 15 aux Etats-Unis. Le temps de travail nécessaire pour produire une ampoule électrique en France a été divisé par plus de 50 entre 1925 et 1982, celui d'un poste de radio par 200. Au cours de la dernière décennie, marquée par une exacerbation sans frein de la guerre commerciale, guerre qui n'a fait que s'aiguiser entre les princi­pales puissances occidentales de­puis l'effondrement du bloc de î'Est([16] [65]), le développement de l'informatique et l'introduction croissante de « robots » dans la production ont donné une nouvelle accélération au développement de cette productivité.([17] [66])

Mais ces conditions qui rendent possible d'organiser consciem­ment, en fonction des besoins hu­mains, la production au niveau mondial, qui permettraient en peu d'années d'éliminer définitivement faim et misère de la planète en fai­sant exploser le développement de la science et des autres forces pro­ductives, bref, ces conditions ma­térielles, qui rendent possible le communisme, se transforment pour la bourgeoisie en un véritable tourment. Et la subsistance des rapports bourgeois se transforme pour l'humanité en un véritable cauchemar.

« Des institutions trop étroites... »

« A un certain degré de leur déve­loppement, les forces productives matérielles de la société entrent en collision avec les rapports de pro­duction existants, ou avec les rap­ports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors, et qui n'en sont que l'expression ju­ridique. Hier encore formes de dé­veloppement des forces productives, ces conditions se changent en de lourdes entraves. » Marx.([18] [67])

Dans le cas des sociétés d'exploitation pré-capitalistes, comme dans celui du capitalisme, cette «collision» entre «le dévelop­pement des forces productives maté­rielles de la société» et «les rap­ports de propriété» se concrétise par une situation de pénurie, de di­sette. Mais, lorsque les rapports de l'esclavagisme antique ou ceux du féodalisme sont devenus «trop étroits», la société s'est trouvée de­vant l'impossibilité matérielle de produire plus, d'extraire suffisam­ment de biens et de nourriture à partir de la terre et du travail. Alors que, dans le cas du capitalisme, nous assistons à un blocage de type particulier : la «surproduction».

«La société se voit rejetée dans un état de barbarie momentanée ; on dirait qu'une famine, une guerre de destruction universelle lui ont coupé les vivres ; l'industrie, le commerce semblent anéantis. Et pourquoi? Parce que la société a trop de civili­sations, trop de vivres, trop d'industrie, trop de commerce » (Manifeste communiste)

Ce que Marx et Engels décrivaient au milieu du 19e siècle, analysant les crises commerciales du capita­lisme historiquement ascendant, est devenu une situation quasi chronique dans le capitalisme dé­cadent. Depuis la première guerre mondiale, la «surproduction» d'armements est devenu une mala­die permanente du système. Les famines se développent dans les pays sous-développés au même moment où le capital américain et le capital «soviétique» rivalisent dans l'espace au moyen des tech­niques les plus coûteuses et sophis­tiquées. Depuis la crise de 1929, le gouvernement américain a, presque chaque année, consacré une partie de ses subventions agri­coles à payer des agriculteurs pour qu'ils ne cultivent pas une partie de leur terre. ([19] [68]) A la fin des années 80, alors que le secrétaire général des Nations Unies annonce plus de 30 millions de morts en Afrique du fait de la faim, aux Etats-Unis près de la moitié de la récolte d'oranges est volontairement détruite par le feu. Au début des années 90, la CEE engage un gigantesque plan de congélation de terres cultivables (15 % des terres consacrées aux cé­réales). La nouvelle récession ou­verte, qui ne constitue qu'une ag­gravation de la crise dans laquelle se débat le système depuis la fin des années 60, frappe tous les secteurs de l'économie, et, dans le monde entier, les fermetures de mines et d'usines font suite à la stérilisation des terres.

 

Entre les besoins de l'humanité et les moyens matériels pour les sa­tisfaire se dresse une «main invi­sible» qui contraint les capitalistes à ne plus produire, à licencier, et les exploités à croupir dans la mi­sère. Cette «main invisible», c'est la «miraculeuse économie de mar­ché», les rapports capitalistes de production devenus «trop étroits».

 

Aussi cynique et impitoyable que puisse être la classe capitaliste, elle n'engendre pas volontairement une telle situation. Elle ne demanderait qu'à faire tourner à pleine produc­tivité son industrie et son agricul­ture, extirper une masse toujours croissante de surtravail aux exploi­tés, vendre sans limites et cumuler du profit à l'infini. Si elle ne le fait pas, c'est parce que les rapports capitalistes qu'elle incarne, le lui interdisent. Comme on l'a vu, le capital ne produit pas pour sa­tisfaire les besoins humains, pas même ceux de la classe dominante. Il produit pour vendre. Or, parce qu'il repose sur le salariat, le capi­talisme est incapable de fournir à ses propres travailleurs, encore moins à ceux qu'il n'exploite pas, les moyens d'acheter toute la pro­duction qu'il est capable de faire réaliser.

Comme on l'a aussi vu, la part de la production qui revient au prolé­taire est déterminée non pas par ce qu'il produit, mais par la valeur de sa force de travail, et, cette valeur, le travail nécessaire pour le nour­rir, le vêtir, etc. ne fait que se ré­duire au même rythme que s'accroît la productivité générale du travail.

L'augmentation de la productivité, en baissant la valeur des marchan­dises, permet à un capitaliste de s'emparer des marchés d'un autre, ou d'empêcher un autre de s'emparer des siens. Mais elle ne crée pas de nouveaux marchés. Au contraire. Elle réduit le marché constitué par les producteurs eux-mêmes.

«Le pouvoir de consommation des travailleurs est limité en partie par les lois du salaire, en partie par le fait qu'ils ne sont employés qu'aussi longtemps que leur emploi est pro­fitable pour la classe capitaliste. La raison unique de toutes les crises réelles, c'est toujours la pauvreté et la   consommation restreinte des masses, face à la tendance de l'économie capitaliste à développer les forces productives comme si elles n'avaient pour limite que le pouvoir de consommation absolu de la so­ciété » Marx.([20] [69])

Telle est la contradiction fonda­mentale qui condamne le capita­lisme à l'impasse. ([21] [70])

Cette contradiction, cette incapa­cité à créer ses propres débouchés commerciaux, le capitalisme la porte en lui depuis sa naissance. Il l'a surmontée à ses débuts par la vente aux secteurs féodaux, puis par la conquête des marchés colo­niaux. C'est à travers la recherche de ces débouchés que la bourgeoi­sie a «envahi toute la planète». C'est cette recherche qui, à partir du moment où le marché mondial était constitué et partagé entre les principales puissances, au début de ce siècle, a conduit à la première, puis à la deuxième guerre mon­diales.

Aujourd'hui, 20 ans après la fin du «répit» donné par la reconstruc­tion des gigantesques destructions de la deuxième guerre, après 20 ans de fuite en avant, repoussant les échéances en s'octroyant crédit sur crédit, le capitalisme se retrouve confronté à sa même vieille et inévitable contradiction : un an et demi de production mondiale de dettes en plus.

L'étroitesse des institutions bour­geoises a fini par faire de la vie économique mondiale une mons­truosité où moins de 10 % de la po­pulation produit plus de 70 % des richesses ! Contrairement aux hymnes de louanges aux futurs « miracles de l'économie de mar­ché» qu'entonne aujourd'hui la bourgeoisie sur les ruines du stali­nisme, la réalité fait apparaître dans toute son horreur le fléau barbare que constitue, pour l'humanité, le maintien de rapports capitalistes. Plus que jamais, la survie même de l'espèce humaine exige l'avènement d'une nouvelle société. Une société qui, pour dé­passer l'impasse capitaliste, devra être fondée sur deux principes es­sentiels :

- la production exclusivement en vue des besoins humains ;

- l'élimination du salariat et l'organisation de la distribution d'abord en fonction des richesses existantes, puis, lorsque l'abondance matérielle sera enfin acquise au niveau mondial, en fonction des besoins de chacun.

Plus que jamais, la lutte pour une société fondée sur le vieux principe communiste : «De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses be­soins», ouvre la seule issue à l'humanité.

L'attachement des économistes au mode d'exploitation capitaliste les aveugle et les empêche de voir et de comprendre la faillite de celui-ci. La révolte contre l'exploitation pousse au contraire le prolétariat à la lucidité historique. C'est en se si­tuant du point de vue de cette classe que Marx, les marxistes, les vrais, ont pu s'élever à une vision historique cohérente. Une vision qui est capable non seulement de cerner ce qui constitue la spécifi­cité du capitalisme par rapport aux autres types de société du passé, mais aussi de comprendre les contradictions qui font de ce sys­tème un mode de production aussi transitoire que les autres du passé. Le marxisme fonde la possibilité et la nécessité du communisme sur une base matérielle scientifique. Et, en ce sens, loin d'être enterré comme en rêvent les défenseurs de l'ordre établi, il demeure plus ac­tuel que jamais.

RV, 6/3/92



[1] [71] En 1967 c'est surtout l'Allemagne qui est frappée. Pour la première fois depuis la guerre, son produit intérieur brut cesse de croître. Le «miracle allemand» cède la place à un recul de -0,1 % du PIB. En 1970 c'est au tour de la première puissance mon­diale, les Etats Unis, de connaître un recul de sa production (-0,3 %).

[2] [72] En 1969, la revue économique française, L'expansion s'interroge en couverture : « 19z9 peut-il recommencer ? »

 

[3] [73] Certaines estimations évaluent l'endettement mondial à 30 000 milliards de dollars (Le monde diplomatique, février 1992). Cela équivaut à sept fois le produit annuel des USA, ou de la CEE, ou encore à près d'un an et demi de travail (dans les conditions actuelles) de toute l'humanité !

[4] [74] En décembre 1991, l'OCDE, une des principales organisations de prévision éco­nomique occidentales, présentait ses Pers­pectives économiques à la presse : celles-ci annonçaient une reprise économique immi­nente, encouragée, entre autre, par la baisse des taux d'intérêt allemands. Le jour même, la Bundesbank décidait une impor­tante hausse de son taux d'intérêt et quelques jours plus tard la même OCDE ré­visait à la baisse ses prévisions, soulignant l'importance des incertitudes qui dominent l'époque...

[5] [75] Voir dans ce numéro l'article « Comment le prolétariat a gagné Marx au commu­nisme ».
 

[6] [76] .«Avant-propos» à la Critique de l’économie politique. Ed. La pléiade.

[7] [77] Les économistes ont du mal à com­prendre que ce soit seulement du point de vue marxiste que l’on puisse réellement comprendre la nature capitaliste de ces économies.

[8] [78] Rosa Luxemburg, Introduction à l'économie politique, chap. 5, «Le travail salarié».

[9] [79] Cette différence est, par contre, impor­tante pour comprendre la différence d'efficacité entre le capitalisme d'Etat stali­nien et celui dit «libéral». Le fait que le re­venu des bureaucrates soit indifférent du ré­sultat de la production dont ils sont censés avoir la responsabilité, fait de ceux-ci des monuments d'irresponsabilité, de corrup­tion et d'inefficacité. (Voir «Thèses sur la crise économique et politique dans les pays de l'est», Revue internationale, n° 60).

[10] [80] Rosa  Luxemburg,  Introduction à l'économie politique, idem.

[11] [81] Manifeste communiste,   «Bourgeois  et prolétaires».

[12] [82] Idem.

[13] [83] Dans le cas de pays comme l'URSS, où la concurrence à l'intérieur de la nation était émoussée par le monopole étatique, c'est au niveau de la concurrence militaire interna­tionale que s'exerçait la pression à l'accroissement continu de la productivité.

[14] [84] Voir notre brochure La décadence du capitalisme.

[15] [85] Les données sur la productivité son ti­rées de divers ouvrages de Jean Fourastié : La productivité (ed.PUF, 1987), Pourquoi les prix baissent (éd. Hachette, 1984) Pou­voir d'achat, prix et salaires (té. Gallimard, 1977).

[16] [86] Voir dans cette revue l'article « Guerre commerciale : l'engrenage infernal de la concurrence capitaliste ».

[17] [87] On peut avoir une idée de l'importance de l'augmentation de la productivité du tra­vail par l'évolution du nombre de personnes « improductives » entretenues par le travail réellement productif (au sens général du terme, c'est-à-dire utile pour la subsistance des hommes). Les agriculteurs, les travail­leurs de l'industrie, des services et du bâti­ment produisant des biens ou services des­tinés a la consommation ou à la production de biens de consommation, permettent à un nombre toujours croissant de personnes de vivre sans fournir un travail réellement pro­ductif : militaires, policiers, travailleurs de toutes les industries produisant des armes ou des fournitures militaires, une grande partie de la bureaucratie étatique, les tra­vailleurs des services financiers et ban­caires, du marketing et de la publicité, etc. La part du travail généralement productif dans la société capitaliste décadente ne cesse de diminuer au profit d'activités, in­dispensables pour la survie de chaque capi­tal national, mais inutile sinon destructrice du point de vue des besoins de l'humanité.

[18] [88] «Avant-propos» à la Critique de l'économie politique.

[19] [89] Du simple point de vue technique, les Etats Unis sont capables de nourrir à eux seuls la planète entière.

[20] [90] Le capital, livre III, 5° section, p. 1206, éd. La Pléiade.

[21] [91] L'analyse marxiste ne décèle pas seule­ment cette contradiction dans les rapports de production capitalistes : la loi de la baisse tendancielle du taux de profit, la contradiction entre la nécessité (ravoir re­cours à des investissements toujours plus importants et les exigences de la rotativité du capital, la contradiction entre le ca­ractère mondial du processus de production capitaliste et la nature nationale de l'appropriation du capital, etc., le marxisme a découvert d'autres contradic­tions essentielles qui sont moteur et impasse de la vie du capital. Mais toutes ces autres contradictions ne se transforment en en­trave effective à la croissance du capital qu'à partir du moment où celui-ci se heurte à «la raison ultime» de ses crises : son incapacité à créer ses propres débouchés.

 

Questions théoriques: 

  • L'économie [92]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [93]

Bilan de 70 années de luttes de « libération nationale » 3e partie

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Des nations mort-nées.

Tout au long du 20e siècle, toutes les « nouvelles nations », à peine nées, sont déjà moribondes.

Au début de ce siècle, il y avait à peine 40 Etats indépen­dants dans le monde. Aujourd'hui, ils sont 169, aux­quels il faut ajouter les quelques 20 nouveaux Etats surgis dernièrement de l'explosion de l'URSS et de la Yougoslavie.

La faillite sans appel de la kyrielle de « nouvelles nations » construites tout au long du 20e siècle, la ruine certaine de celtes qui viennent d'être créées, sont une démonstration évidente de l'échec du capita­lisme. Pour les révolution­naires, depuis le début du 20e siècle, ce qui est à l'ordre du jour n'est pas la constitution de nouvelles frontières, mais leur destruction   par   la   révolution prolétarienne mondiale. C'est l'axe central de cette série d'articles de bilan de 70 ans de luttes de « libération nationale ».

Dans le premier article, nous avons vu comment la « libération nationale » a été un poison mortel pour la première vague révolutionnaire interna­tionale de 1917-23. Dans la se­conde partie, nous avons démontré comment les guerres de « libération nationale » et les nouveaux Etats ont été happées dans un engrenage inséparable des impérialismes et de la guerre impérialiste. Dans cette troisième et dernière partie, nous voulons montrer le tra­gique désastre économique et social auquel aboutit l'existence de ces 150 « nouvelles nations » créées au cours du 20e siècle.

La réalité a réduit en pous­sières tous les discours sur les « pays en voie de développe­ment », qui devaient devenir les nouveaux pôles dynamiques du développement économique. Les bavardages sur les nou­velles « révolutions bour­geoises », qui allaient faire ex­ploser la prospérité à partir des richesses naturelles contenues dans les anciennes colonies, n'annonçaient qu'un gigan­tesque fiasco : celui du capita­lisme, l'incapacité de celui-ci de mettre en valeur les deux tiers de la planète, d'intégrer à la production mondiale les mil­liards de paysans qu'il a ruinés. 

Le contexte dans lequel sont nées les « nouvelles nations » : la décadence du capitalisme

Le critère déterminant pour juger si le prolétariat doit ou ne doit pas appuyer la formation de nouvelles nations a toujours été fonction de la période que traverse le capita­lisme au niveau historique et mondial. Dans une période d'expansion et de développement, comme au 19e siècle, un tel appui pouvait avoir un sens, et encore seulement dans le cas où la forma­tion d'une nation contribuait à accélérer le développement du capi­talisme et la constitution de la classe ouvrière, et à condition que soit maintenue l'autonomie de cette dernière par rapport aux forces progressistes de la bourgeoi­sie. Cet appui n'a plus aucun sens et doit être rejeté catégoriquement dès que le capitalisme entre, avec la première guerre mondiale, dans son époque de décadence mortelle.

«Le programme national n'a joué un rôle historique, en tant qu'expression idéologique de la bourgeoisie montante aspirant au pouvoir dans l'Etat, que jusqu'au moment où la société bourgeoise s'est tant bien que mal installée dans les grands États du centre de l'Europe et y a créé les instruments et les conditions indispensables de sa politique.

Depuis lors, l'impérialisme a com­plètement enterré le vieux pro­gramme bourgeois démocratique : l'expansion au delà des frontières nationales (quelles que soient les conditions nationales des pays annexés) est devenue la plate-forme de la bourgeoisie de tous les pays. Certes, la phase nationale est de­meurée, mais son contenu réel et sa fonction se sont mués en leur contraire. Elle ne sert plus qu'à masquer tant bien que mal les aspi­rations impérialistes, à moins qu'elle ne soit utilisée comme cri de guerre, dans les conflits impéria­listes, seul et ultime moyen idéolo­gique de capter l'adhésion des masses populaires et de leur faire jouer leur rôle de chair à canon dans les guerres impérialistes » ([1] [94]).

Ce critère global et historique est à l'opposé d'un critère basé sur des spéculations abstraites et sur des visions partielles ou contingentes. Ainsi, les staliniens, les trotskystes et même certains groupes proléta­riens ont donné comme argument à l'appui de «l'indépendance nationale » des pays d'Afrique, d'Asie, le fait que ces pays conservaient d'importants vestiges féodaux et précapitalistes : de là, ils dédui­saient que ce qui était à l'ordre du jour dans ces pays, c'était une «  révolution bourgeoise » et non une révolution prolétarienne. Ce que nient ces messieurs, c'est que l'intégration dans le marché mondial de tous les principaux ter­ritoires de la planète ferme les pos­sibilités d'expansion du capitalisme, pousse ce dernier à une crise sans issue, et que cette situation domine la vie de tous ces nouveaux pays : « Et si, se survivant, l'ancienne formation (sociale) res­tée maîtresse des destinées de la so­ciété, continue à agir et à guider la société, non plus vers l'ouverture des champs libres au développement des forces productives, mais d'après sa nouvelle nature désormais réac­tionnaire, elle oeuvre vers leur des­truction. »([2] [95])

Un autre argument invoqué en fa­veur de la constitution de nouvelles nations, c'est qu'elles possèdent d'immenses ressources naturelles qu'elles pourraient et devraient dé­velopper en se libérant de la tutelle étrangère. Cet  argument  tombe comme le précédent, dans une vi­sion abstraite et localiste. Certes, ces énormes potentialités existent, mais justement, elles ne peuvent se développer dans le contexte mondial de crise chronique et de déca­dence qui détermine la vie de toutes les nations.

Depuis ses origines, le capitalisme a été basé sur une concurrence fé­roce, au niveau des entreprises comme des nations. Ceci a produit un développement inégal de la production selon les pays :

« La loi du développement inégal du capitalisme, sur les extrapolations de laquelle Lénine et ses épigones basent leur thèse du "maillon le plus faible", se manifeste dans la pé­riode ascendante du capitalisme par une poussée impérieuse des pays retardataires vers un rattrapage et même un dépassement des pays plus développés. Par contre, ce phéno­mène tend à s'inverser au fur et à mesure que le système, comme un tout, approche de ses limites histo­riques objectives et se trouve dans l'incapacité d'étendre le marché mondial en rapport avec les néces­sités imposées par le développement des forces productives. Ayant atteint ses limites historiques, le système en déclin n'offre plus de possibilité d'une égalisation dans le dévelop­pement, mais au contraire dans la stagnation de tout développement, dans le gaspillage, dans le travail improductif et de destruction. Le seul "rattrapage" dont il peut être question est celui qui conduit les pays les plus développés à la situa­tion qui existait auparavant dans les pays arriérés sur le plan des convul­sions économiques, de la misère, et des mesures de capitalisme d'Etat. Si au 19ème siècle, c'est le pays le plus avancé, l'Angleterre, qui indi­quait ce que serait l'avenir des autres, ce sont aujourd'hui les pays du «tiers-monde» qui indiquent d'une certaine façon de quoi est fait l'avenir des pays les plus dévelop­pés.

Cependant, même dans ces condi­tions, il ne saurait exister de réelle "égalisation" de la situation des dif­férents pays qui composent le monde. Si elle n'épargne aucun pays, la crise mondiale exerce ses effets les plus dévastateurs non dans les pays les plus développés, les plus puissants, mais dans les pays qui sont arrivés trop tard dans l'arène économique mondiale et dont  la route au développement est définiti­vement barrée par les puissances les plus anciennes. »([3] [96])

Tout ceci se concrétise dans le fait que « la loi de l'offre et de la de­mande joue contre tout développement de nouveaux pays. Dans un monde où les marchés sont saturés, l'offre dépasse la demande et les prix sont déterminés par les coûts de production les plus bas. De ce fait, les pays ayant les coûts de produc­tion les plus élevés sont contraints de vendre leurs marchandises avec des profits réduits quand ce n'est pas à perte. Cela ramène leur taux d'accumulation à un niveau extrê­mement bas, et, même avec une main d'oeuvre très bon marché, ils ne parviennent pas à réaliser les investissements nécessaires à l'acquisition massive d'une techno­logie moderne, ce qui a pour résul­tat de creuser encore plus le fossé qui sépare ces pays des grandes puissances industrielles. » ([4] [97])

Pour cela, «La période de déca­dence du capitalisme se caractérise par l'impossibilité de tout surgissement de nouvelles nations indus­trialisées. Les pays qui n'ont pas réussi leur "décollage" industriel avant la première guerre mondiale sont, par la suite, condamnés à sta­gner dans un sous-développement total, ou à conserver une arriération chronique par rapport aux pays qui "tiennent le haut du pavé" ». Dans ce cadre « Les politiques protection­nistes connaissent au 20e siècle une faillite totale. Loin de constituer une possibilité de respiration pour les économies les moins dévelop­pées, elles conduisent à l'asphyxie de l'économie nationale. » ([5] [98])

Guerre et Impérialisme aggravent le retard et le sous-développement

Dans ces conditions économiques globales, la guerre et l'impérialisme, attributs insépa­rables du capitalisme décadent, s'imposent comme une loi impla­cable à tous les pays et pèsent comme une chape de plomb sur l'économie des nouvelles nations. Dans la situation de marasme qui règne sur l'économie mondiale, chaque capital national ne peut survivre qu'en s'armant jusqu'aux dents. En conséquence, chaque Etat national se voit obligé de bouleverser sa propre économie : création d'une industrie lourde, mise en place d'industries dans des zones stratégiques mais qui ont des effets dévastateurs sur la produc­tion globale, soumission des infra­structures et des communications à l'activité militaire, énormes dé­penses pour la «défense». Tout ceci a de très graves répercussions sur l'ensemble de l'économie na­tionale des pays dont le tissu social est sous-développé à tous les ni­veaux (économique, culturel, etc.) :

- l'insertion  artificielle  d'activités technologiquement très avancées provoque un énorme gaspillage de ressources et un déséquilibre de plus en plus accentué de l'activité économique et sociale ;

- le renforcement de l'endettement et l'accroissement permanent de la pression fiscale pour faire face à une spirale de dépenses dont on ne peut jamais sortir : « L'Etat ca­pitaliste, sous l'impérieuse néces­sité d'établir  une  économie  de guerre, est le grand consommateur insatiable, qui crée son pouvoir d'achat au moyen d'emprunts gi­gantesques drainant toute l'épargne nationale, sous le contrôle et avec le concours "rétribuée" du capital financier ; il paie avec des traites d'hypothèques les revenus futurs du prolétariat et des petits paysans. »([6] [99]).

En Oman, le poste de défense absorbe 46% des dépenses publiques, en Corée du Nord rien de moins que 24% du PIB. En Thaïlande, alors que la production chute, quelle n’a augmentée que de 1% dans l’agriculture, en qu’on réduit les dépenses d’éducation, « les militaires ont exprimés leur volonté de faire participer l’Europe et les USA à la modernisation de leur armée, soulignant plus clairement dans le camp occidental, et projetant un porte hélicoptère allemand, plusieurs Linx franco-britannique, une escadrille (12 avions) de bombardiers F-16 et 500 tanks M60-A1 et M48-A5 américains » ([7] [100]). En Birmanie, avec un taux de mortalité infantile de 6,45% (0,9% aux USA), une espérance de vie de 61 ans (75,9 aux USA), avec seulement 673 livres publiés (pour 41 millions d’habitants) : « de 1988 à 1990, l’armée birmane a augmenté de 170 000 à 230 000 hommes. Son armement aussi s’est amélioré. Ainsi en Octobre 1990, la Birmanie a commandé 6 avions G4 à la Yougoslavie et 20 hélicoptères à la Pologne. En Novembre, elle a signé un contrat de 1200 millions de dollars – la dette extérieure est de 4171 millions de dollars – avec la Chine pour acquérir, entre autre, 12 avions F-7, 12 avions F-6 et 60 blindés » ([8] [101])

L'Inde est un cas particulièrement grave. L'énorme effort guerrier de ce pays est en grande partie responsable de ce que « entre 1961 et 1970, le pourcentage de la popula­tion rurale qui vit en dessous du mi­nimum physiologique est passé de 52% à 70%. Alors qu'en 1880 chaque hindou pouvait disposer de 270 kilos de céréales et de légumes secs, cette proportion était tombée à 134 kilos en 1966. » ([9] [102]). « Le budget militaire équivalait à 2% de son PNB en 1960, c'est-à-dire 600 mil­lions de dollars. Pour rénover l'arsenal et le parc militaire, les usines d'armement se sont multi­pliées et ont diversifié leur produc­tion. Dix ans plus tard, le budget militaire s'élevait à 1600 millions de dollars, c'est à dire 3,5% du PNB (...) A tout cela s'est ajoutée une réforme de l'infrastructure, en particulier des routes stratégiques, des bases navales (...) Le troisième programme militaire, qui couvre 1974-1979, va absorber annuelle­ment 2500 millions de dollars. »([10] [103]) Depuis 1973, l'Inde possède la bombe atomique et a développé un programme de recherche nu­cléaire, des centrales pour la fusion du plutonium, etc., qui place le ni­veau de ses dépenses dédiées à la « recherche scientifique» dans les plus hauts du monde : 0,9 % du PNB !

Le militarisme aggrave les désavan­tages des pays neufs par rapport aux pays anciens. Ainsi, le nombre de soldats des 16 plus grands pays du «tiers-monde» (l'Inde, la Chine, le Brésil, la Turquie, le Vietnam, l'Afrique du Sud, etc.) est passé de 7 millions, en 1970, à 9,3 millions en 1990, c'est-à-dire, un accroissement de 32 %. Par contre, le nombre de soldats dans les quatre pays les plus industrialisés (USA, Japon, Allemagne, et France) est passé de 4,4 millions, en 1970, a 3,3 millions en 1990, ce qui signifie une réduction de 26%.([11] [104]) Ce n'est pas que ces der­niers aient relâché leur effort mili­taire, mais c'est qu'il est devenu beaucoup plus productif, leur per­mettant d'économiser sur les dé­penses en hommes. Dans les pays les moins développés, c'est la ten­dance inverse, et de loin, qui do­mine : en plus d'augmenter les investissements en armes sophisti­quées et en technologie, ils doivent augmenter la participation des hommes.

Cette nécessité de donner la prio­rité à l'effort de guerre a de graves conséquences politiques qui aggravent encore plus la faiblesse et le chaos économique et social de ces nations : elle impose l'alliance inévitable, contrainte et forcée, avec tous les restes de secteurs féo­daux ou simplement retardataires, puisqu'il est plus important de maintenir la cohésion nationale, face à la jungle impérialiste mon­diale, que d'assurer la « modernisation » de l'économie, qui passe pour un objectif secon­daire et, en général, utopique, face à l'ampleur des impératifs impé­rialistes.

Ces survivances féodales ou pré­capitalistes expriment le poids du passé colonial ou semi-colonial qui leur a légué une économie spéciali­sée dans la production de matières premières agricoles ou minières, ce qui la déforme monstrueuse­ment mil en découle le phénomène contradictoire par lequel l'impérialisme a exporté le mode de production capitaliste et a détruit systématiquement les formations économiques pré-capitalistes, tout en freinant simultanément le déve­loppement du capital indigène, en pillant impitoyablement les écono­mies coloniales, en subordonnant leur développement industriel aux besoins spécifiques de l'économie des métropoles et en appuyant les éléments les plus réactionnaires et les plus soumis des classes dominantes indigènes (...) Dans les co­lonies et les semi-colonies, il ne devait pas naître de capitaux natio­naux indépendants - pleinement formés avec leur propre révolution bourgeoise et leur base industrielle saine -, mais plutôt des caricatures grossières des capitaux des métro­poles, affaiblies par le poids des vestiges en décomposition des modes de production antérieurs, in­dustrialisées au rabais pour servir les intérêts étrangers, avec des bourgeoises faibles, nées séniles, à la fois au niveau économique et po­litique. » ([12] [105]) 

Pour aggraver encore les pro­blèmes, les anciennes métropoles (France, Grande-Bretagne, etc.), ainsi que d'autres concurrents (USA, l'ancienne URSS, l'Allemagne), ont tissé autour des «nouvelles nations» une toile d'araignée complexe : investisse­ments, crédits, occupations d'enclaves stratégiques, "traités d'assistance, de coopération et de défense mutuelles", intégration dans des organismes internatio­naux de défense, de commerce, etc. Tout cela les tient pieds et poings liés, et constitue un handi­cap particulièrement insurmon­table.

Cette réalité est qualifiée par les trotskystes, les maoïstes et tous les « tiers-mondistes » comme du «néo-colonialisme». Ce terme est un rideau de fumée qui cache l'essentiel : la décadence de tout le capitalisme mondial et l'impossibilité de développement de nouvelles nations. Les pro­blèmes des nations du « tiers-monde», ils les résument à la « domination étrangère ». Il est cer­tain que la domination étrangère fait obstacle au développement des nouvelles nations, mais ce n'est pas le seul facteur et surtout il ne peut être compris que comme une par­tie, un élément constitutif des conditions globales du capitalisme décadent, dominées par le milita­risme, la guerre et la stagnation de la production.

Pour compléter le tableau, les nou­velles nations surgissent avec un péché originel : ce sont des territoires incohérents, formés par un agrégat chaotique de différentes ethnies, religions, économies, cul­tures. Leurs frontières sont pour le moins artificielles et incluent des minorités appartenant aux pays li­mitrophes ; tout cela ne peut que mener à la désagrégation et à des confrontations permanentes.

Un exemple révélateur est l'anarchie gigantesque créée par la coexistence de races, religions et nationalités, dans une région stra­tégique vitale comme le Moyen-Orient. Il y a d'abord les trois religions les plus importantes : le ju­daïsme, le christianisme et l'islamisme. Chacune d'elles est ensuite divisée à son tour en de multiples sectes qui s'affrontent entre elles : la religion chrétienne comporte des minorités maronite, orthodoxe, copte ; la religion mu­sulmane a ses obédiences sunnites, chiites, alaouites, etc. Enfin, « il existe, en plus des minorités eihnico-linguistiques. En Afgha­nistan, les persanophones (Tadjiks) et les turcophones (Ouzbeks, Turk­mènes) ainsi que d'autres groupe­ments. (...) Les turbulences poli­tiques du 20e siècle ont fait de ces minorités des "peuples sans Etats". Ainsi, les 22 millions de Kurdes : 11 millions en Turquie (20% de la population), 6 millions en Iran (12%), 4,5 en Irak (25%), 1 en Syrie (9 %), sans oublier l’existence d'une diaspora kurde au Liban. Il existe aussi une diaspora armé­nienne au Liban et en Syrie. Et, en­fin, les palestiniens constituent un autre "peuple sans Etat" : 5 mil­lions de palestiniens sont répartis entre Israël (2,6 millions), la Jor­danie (1,5 millions), le Liban (400 000), le Koweït (350 000) la Syrie (250 000).» ([13] [106])

 

Dans de telles conditions, les nou­veaux Etats expriment de manière caricaturale la tendance générale au capitalisme d'Etat, lequel ne constitue pas un dépassement des contradictions mortelles du capitalisme décadent, mais une lourde entrave qui augmente encore les problèmes.

« Dans les pays les plus arriérés, la confusion entre l'appareil politique et l'appareil économique permet et engendre le développement d'une bureaucratie entièrement parasi­taire, dont la seule préoccupation est de se remplir les poches, de pil­ler de façon systématique l'économie nationale en vue de se constituer des fortunes colossales : les cas de Batista, Marcos, Duva­lier, Mobutu, sont bien connus, mais ils sont loin d'être les seuls. Le pillage, la corruption et le racket sont des phénomènes généralisés dans les pays sous-développés et qui affectent tous les niveaux de l'Etat et de l'économie. Cette situation constitue évidemment un handicap supplémentaire pour ces économies, qui contribue à les enfoncer toujours plus dans le gouffre. » ([14] [107])
 

Un bilan catastrophique

Ainsi, tout nouvel Etat national, loin de reproduire le développe­ment des jeunes capitalismes du 19e siècle, se confronte dès le dé­part à l'impossibilité d'une accu­mulation réelle et s'enfonce dans le marasme économique, le gaspil­lage et l'anarchie bureaucratique. Loin de fournir un cadre où le prolétariat pourrait améliorer sa situa­tion, il crée, au contraire, un ap­pauvrissement constant, la menace de la famine, la militarisation du travail, les travaux forcés, l'interdiction des grèves, etc.

Pendant les années 1960-70, des politiciens, des experts, des ban­quiers, ont disserté jusqu'à la nau­sée sur le « développement » des pays du «tiers-monde». De pays «sous-développés» ils sont deve­nus «pays en voie de développe­ment». Un des leviers de ce soi-disant « développement » fut l'octroi de crédits massifs qui s'est accéléré surtout avec la récession de 1974-75. Les grandes métropoles industrielles ont concédé à tour de bras des crédits aux nouveaux pays, avec lesquels ces derniers ont acheté des biens d'équipement, des installations « clés-en-mains » pour une production qu'ils n'ont pas pu vendre, victimes de la surproduc­tion généralisée.

Ceci n'a pas entraîné, comme cela est amplement démontré au­jourd'hui, un véritable développe­ment, mais par contre un grave en­dettement des pays neufs qui les a plongés définitivement dans une crise sans issue comme cela s'est vu tout au long de la décennie 1980.

Nos publications ont mis en évi­dence ce désastre généralisé, il suf­fit de rappeler quelques faits : en Amérique Latine, le PIB par habitant a chuté en 1989 au niveau où il était en 1977. Au Pérou, le revenu par habitant était en 1990... le même qu'en 1957 ! Le Brésil, pré­senté dans les années 1970 comme le pays du « miracle économique », a subi, en 1990, une baisse du PNB de 4,5% et une inflation de 1657 % ! La production industrielle de l'Argentine a chuté, en 1990, au niveau de 1975. ([15] [108])

La population, et surtout la classe ouvrière, ont durement souffert de cette situation. En Afrique, 60 % de la population vivait en dessous du minimum vital en 1983 et pour 1995, la Banque Mondiale calcule qu'on arrivera à 80 %. En Amé­rique Latine, il y a 44 % de pauvres. Au Pérou, 12 millions d'habitants (sur une population totale de 21 millions) sont dépourvus de tout. Au Venezuela, un tiers de la popu­lation manque des revenus néces­saires pour acheter les produits de base.

La classe ouvrière s'est vue cruel­lement attaquée : en 1991, le gou­vernement du Pakistan a fermé ou privatisé des entreprises publiques, mettant à la rue 250 000 ouvriers. En Ouganda, un tiers des employés publics a été licencié en 1990. Au Kenya, « le gouvernement a décidé en 1990 de ne pourvoir que 40 % des postes vacants dans la fonction pu­blique, et que les usagers devaient payer les services publics. » ([16] [109]) En Argentine, la part des salariés dans le revenu national est passé de 49 %, en 1975, à 30 %, en 1983.

La manifestation la plus évidente de l'échec total du capitalisme mondial est le désastre agricole que subit l'immense majorité des na­tions qui ont accédé à l'indépendance au 19e siècle : « La décadence du capitalisme n'a fait que pousser à son comble le pro­blème paysan et agraire. Ce n'est pas, si l'on prend un point de vue mondial, le développement de l'agriculture moderne qui s'est réa­lisé, mais son sous-développement. La paysannerie, comme il y a un siècle, constitue toujours la majorité de la population mondiale. » ([17] [110])

Les pays neufs, à travers l'Etat qui a créé une bureaucratie tentaculaire d'organismes de «développement rural», ont étendu les rapports de production capitalistes à la campagne, détrui­sant les anciennes formes d'agriculture de subsistance. Ce­pendant, cela n'a pas produit un quelconque développement, mais au contraire un total désastre. Ces mafias du « développement », aux­quelles se sont unis les caciques, les propriétaires terriens et les usu­riers, ont ruiné les paysans, en les obligeant à introduire des cultures d'exportation qu'ils leur achètent à des prix dérisoires alors qu'ils leur vendent les semences, les ma­chines, à des prix prohibitifs.

Avec la disparition des cultures de subsistance, « les menaces de fa­mine sont aujourd'hui tout aussi réelles qu'elles l’étaient dans les économies antérieures : la produc­tion agricole par habitant est inférieure au niveau de 1940 (voir « Paysans sans terre » de R.Fabre). Signe de l'anarchie totale du sys­tème capitaliste, la plupart des an­ciens pays agricoles producteurs du "tiers-monde" sont devenus depuis la seconde guerre mondiale impor­tateurs : l'Iran, par exemple, im­porte 40% des produits alimen­taires qu'il consomme. » ([18] [111])

Dans un pays comme le Brésil, le plus grand potentiel agricole du monde, « à partir de février 1991, on a pu constater une pénurie de viande, de riz, de haricots, de pro­duits laitiers et d'huile de soja, » ([19] [112]) . L'Egypte, grenier des Empires tout au long de l'histoire, importe au­jourd'hui 60 % des aliments de base. Le Sénégal produit seulement 30 % de sa consommation de cé­réales. En Afrique, la production alimentaire parvient à peine à 100 kilos par an par habitant, alors que le minimum vital est de 145 kilos.

De plus, la canalisation de la pro­duction vers des monocultures des­tinées à l'exportation a coïncidé avec la baisse générale du prix des matières premières, tendance qui ne fait que s'aggraver avec l'approfondissement de la réces­sion économique. En Côte d'Ivoire les rentrées de la vente du cacao et du café ont chuté de 55 % entre 1986 et 1989. Le cours du sucre a baissé dans les pays d'Afrique occidentale  de  80%  entre   1960  et 1985.  Au Sénégal, un producteur de   cacahuètes   gagnait   en   1984 moins qu'en 1919. En Ouganda, la production de café est passée de 186 000 tonnes en 1989 à 138 000 en 1990([20] [113])

Le résultat en est l'anéantissement croissant de l'agriculture, aussi bien de l'agriculture de subsistance que de l'agriculture industrielle d'exportation.

Dans ce contexte, contraints par la chute du prix des matières pre­mières et forcés par le phénoménal endettement dans lequel ils sont piégés depuis le milieu des années 1970, la plupart des pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique, ont étendu encore la part des cul­tures industrielles destinées à l'exportation, ont massacré des fo­rêts, entrepris des travaux de bar­rages pharaoniques, et des ou­vrages d'irrigation très coûteux, en conséquence de quoi, les rende­ments ont décru de plus en plus, et l'épuisement de la terre est presque total. Le désert a avancé. Les res­sources naturelles, si généreuses, ont été anéanties.

La catastrophe est d'une dimension incalculable : le fleuve Sénégal qui avait, en 1960, un débit de 24 000 millions de mètres cubes, avait baissé, en 1983, à seulement 7 000 millions de mètres cubes. La cou­verture végétale du territoire mau­ritanien était de 15 % en 1960, et avait chuté à 5 % en 1986. En Côte d'Ivoire, exportateur de bois pré­cieux, la superficie des forêts est tombée de 15 millions d'hectares, en 1950, à seulement 2 millions, en 1986. Au Niger, 30 % des sols culti­vables ont été abandonnés et le rendement par hectare des cultures de céréales est passé de 600 kilos en 1962 à 350  en 1986. En 1983, l'ONU chiffrait à 150 kilomètres par an l'avancée du désert saharien vers le sud.([21] [114])

Les paysans sont expulsés de leurs régions d'origine et ils s'agglutinent dans les grandes villes dans d'horribles camps de bidon­villes. «Lima, qui fut la cité jardin des années 40, a vu se tarir ses eaux souterraines et est envahie par le dé­sert. De 1940 à 1981 sa population s'est multipliée par 7. Aujourd'hui, avec 400 kilomètres carré de superficie et un tiers de la population pé­ruvienne, l'oasis s'est couverte d'ordures et de béton. (...) Dans la décharge du Callao, des enfants pieds nus et des familles entières travaillent au milieu d'un enfer où l'odeur est insupportable et où pul­lulent des millions de mouches. » ([22] [115])

« Le capital aime ses clients pré-ca­pitalistes comme l'ogre aime les en­fants : en les dévorant. Le travail­leur des économies précapitalistes qui a eu "le malheur de toucher au commerce avec les capitalistes" sait que tôt ou tard, il finira, dans le meilleur des cas, prolétarisé par le capital, dans le pire - et c'est chaque jour le plus fréquent depuis que le capitalisme s'enfonce dans la déca­dence- dans la misère et l'indigence, au milieu des champs stérilisés, ou marginalisés, dans les bidonvilles d'une aggloméra­tion.» ([23] [116])

Cette incapacité à intégrer les masses paysannes dans le travail productif est la manifestation la plus évidente de Péchec du capita­lisme mondial. Son essence même est de généraliser le travail salarié, en arrachant les paysans et les arti­sans à leurs vieilles formes de tra­vail pré-capitalistes et en les trans­formant en ouvriers salariés. Cette capacité de création de nouveaux emplois s'enlise et recule à Péchelle mondiale tout au long du 20e siècle. Ce phénomène se ma­nifeste de façon criante dans les pays neufs : alors qu'au 19e siècle, le chômage moyen était en Europe de 4 à 6 %, et pouvait être résorbé après les crises cycliques, au­jourd'hui, dans les pays du « tiers-monde », le chômage est monté à 20 ou 30 %, il s'est transformé en un phénomène permanent et structu­rel.

Les premières victimes de la décomposition mondiale du capitalisme

Les premières victimes de l'entrée du capitalisme, depuis la fin des années 1970, dans son ultime étape de décomposition mondiale, ont été toute cette chaîne de « jeunes nations», qui, dans les années 1960-70, nous étaient présentées par les champions, « libéraux » ou staliniens, de l’ordre bourgeois comme les « nations du futur ».

L'effondrement des régimes stali­niens depuis 1989 a rejeté au se­cond plan de l'actualité la situation épouvantable dans laquelle s'enfoncent ces « nations du futur ». Les pays qui étaient sous la botte stalinienne appartiennent au pelo­ton des pays arrivés trop tard sur le marché mondial et manifestent les mêmes caractéristiques que les a pays neufs» du 20e siècle, bien que leurs spécificités ([24] [117]) ont rendu leur effondrement beaucoup plus chaotique et lui ont donné une ré­percussion historico-mondiale incalculablement supérieure, surtout au niveau de l'aggravation du chaos impérialiste. ([25] [118])

Pourtant, sans sous-estimer les particularités des pays staliniens, les autres pays sous-développés présentent les mêmes caractéris­tiques de base quant au chaos, à l'anarchie et à la décomposition généralisée.
 

L'explosion des Etats

En Somalie, les chefs tribaux du Nord annonçaient le 24 avril 1991 la partition du pays et la création de l'Etat de « Somaliland». L'Ethiopie est démembrée : le 28 mai, l'Erythrée se déclare souve­raine. Le Tigre, les Oromes, l’Ogaden, échappent totalement au contrôle de l'autorité centrale. L'Afghanistan a été divisé en quatre gouvernements différents, chacun contrôlant ses propres ter­ritoires : celui de Kaboul, l'islamiste radical, l'islamiste mo­déré et le Chiite. Presque deux tiers du territoire péruvien sont dans les mains des gangs du trafic de drogue et des mafias des guérillas du Sentier Lumineux ou de Tupac Amaru. La guerre au Libéria a fait 15 000 morts et provoqué la fuite de plus d'un million de personnes (sur une population totale de 2,5 mil­lions). L'Algérie, avec l'affrontement ouvert entre le FLN et le FIS (qui couvre un affrontement impérialiste entre la France et les USA) plonge dans le chaos.
 

L'effondrement de l’armée

Les révoltes de soldats au Zaïre, l'explosion de l'armée ougandaise en multiples bandes qui terrorisent la population, la gangstérisation généralisée des polices en Asie, en Afrique ou en Amérique du Sud, expriment la même tendance, bien que de manière moins spectacu­laire, que l'actuelle explosion de l'armée de l'ex-URSS.

 

La paralysie générale de l’appareil économique

L'approvisionnement, les trans­ports, les services, s'effondrent to­talement et l'activité économique se réduit à sa plus simple expres­sion : dans la république Centrafri­caine, Bangui, la capitale, « a été complètement isolée du reste du pays, l’ex-métropole coloniale vit des subsides que lui accorde la France et du trafic de diamants. » ([26] [119])

Dans ces conditions, la faim, la misère, la mort se généralisent, la vie ne vaut rien. A Lima des hommes et des femmes de forte corpulence sont séquestrés par des bandes qui les assassinent et vendent leur graisse à des entreprises pharmaceutiques ou cosmétiques américaines ! En Argentine, un demi-million de personnes survit de la vente de foies, reins et autres viscères. Au Caire, un mil­lion de personnes vivent dans les tombes du cimetière copte. Les enfants sont enlevés en Colombie ou au Pérou pour être envoyés dans des mines ou dans des exploitations agricoles où ils travaillent dans des conditions d'esclavage telles qu'ils meurent comme des mouches. La chute du prix des matières premières sur le marché mondial a conduit le capitalisme local à ces pratiques atroces pour compenser la baisse de ses profits. Au Brésil, l'impossibilité d'intégrer les nou­velles générations au travail salarié a développé la sauvagerie de bandes de policiers et de vigiles qui se livrent à l'extermination rémunérée de gosses des rues embriga­dés dans les gangs mafieux de tra­fics de toutes sortes. La Thaïlande est devenue le plus grand bordel du monde, et le SIDA se généralise : 300 000 cas en 1990 ; on en prévoit deux millions pour l'an 2000.

La vague d'émigration qui s'est ac­célérée depuis 1986 en provenance de l'Amérique Latine, de l'Afrique et de l'Asie, sanctionne la faillite historique de ces nations et, à tra­vers elle, la faillite du capitalisme.

La désintégration des structures sociales, nées comme les cellules dégénérées d'un corps mortelle­ment malade, le capitalisme déca­dent, vomit littéralement des masses humaines qui fuient le dé­sastre, affluant vers les vieilles na­tions industrielles, lesquelles, confirmant leur stagnation écono­mique, ont depuis longtemps « affiché complet », et ne tiennent, vis-à-vis de ces masses affamées, que le langage de la répression, de la mort, de la déportation.

 

L'humanité n'a pas besoin de nouvelles frontières, mais de l'abolition de toutes les frontières

Les «nouvelles nations» du 20e siècle n'ont pas grossi les rangs prolétariens, mais, ce qui est le plus dangereux pour la perspective révolutionnaire, elles ont placé le prolétariat de ces pays dans des conditions de fragilité et de fai­blesse extrêmes.

Le prolétariat est une minorité dans l'immense majorité des pays sous-développés : il constitue à peine 10 à 15 % de la population, contre plus de 50 % dans les grands pays industrialisés. De plus, il est très dispersé dans des centres de production éloignés des centres névralgiques du pouvoir politique et économique et n'a pas autant d'expérience politique de la confrontation comme classe à la bourgeoisie que dans les pays les plus développés. Il vit le plus sou­vent immergé dans une masse im­mense de marginalisés et de lumpen très vulnérables aux idéologies les plus réactionnaires et qui in­fluent très négativement sur lui.

D'un autre côté, la forme dans la­quelle se manifeste la faillite du ca­pitalisme de ces pays y rend beaucoup plus difficile la prise de conscience du prolétariat :

-domination irrésistible des grandes puissances impérialistes, ce qui favorise l'influence du nationalisme ;

-corruption généralisée et gaspil­lage invraisemblable des res­sources économiques, ce qui obs­curcit la compréhension des véri­tables racines de la crise capita­liste ;

-domination ouvertement terro­riste de l'Etat capitaliste, même lorsqu'il se donne une façade « démocratique », ce qui donne plus de poids aux mystifications démocratiques et syndicales ;

- formes particulièrement barbares et archaïques d'exploitation du travail, ce qui rend plus forte l'influence du syndicalisme et du réformisme.

Comprendre cette situation ne si­gnifie pas nier que ces ouvriers, comme partie inséparable de la lutte du prolétariat mondial ([27] [120]), ont la force et la potentialité de lutter pour la destruction de l'Etat capitaliste et pour le pouvoir interna­tional des conseils ouvriers : « La force du prolétariat dans un pays capitaliste est infiniment plus grande que sa proportion numérique dans la population. Et il en est ainsi parce que le prolétariat occupe une position clé au coeur de l'économie capitaliste et aussi parce que le prolétariat exprime, dans le do­maine économique et politique, les intérêts réels de l’immense majorité de la population laborieuse sous la domination capitaliste. » (Lénine)

La vraie leçon est que l'existence de ces « nouvelles nations », au lieu d'apporter quelque chose à la cause du socialisme, a eu l'effet exactement inverse : elle a créé de nouveaux obstacles, de nouvelles difficultés pour la lutte révolution­naire du prolétariat.

« On ne peut pas soutenir, comme le font les anarchistes, qu'une pers­pective socialiste restait ouverte quand bien même les forces produc­tives seraient en régression. Le ca­pitalisme représente une étape indispensable et nécessaire pour l'instauration du socialisme dans la mesure où il parvient à développer suffisamment les conditions objec­tives. Mais, de même qu'au stade actuel il devient un frein par rapport au développement des forces productives, de même la prolongation du capitalisme, au delà de ce stade, doit entraîner la disparition des conditions du socialisme C'est en ce sens que se pose aujourd'hui l'alternative historique : socialisme ou barbarie. » ([28] [121])

Les « nouvelles nations » ne favori­sent ni le développement des forces productives, ni la tâche historique du prolétariat, ni la dynamique vers l'unification de l'humanité. Au contraire, elles sont, comme ex­pression organique de l'agonie du capitalisme, une force aveugle qui entraîne la destruction des forces productives, des difficultés pour le prolétariat, la dispersion, la divi­sion et l'atomisation de l'humanité.

Adalen, 8 février 1992.

 



[1] [122] Rosa Luxemburg, La crise de la social-démocratie, chap. 7.

[2] [123] Internationalisme, Rapport sur la situa­tion internationale, juin 1945.

[3] [124] Revue Internationale n° 31, Le prolétariat d'Europe de l'Ouest au coeur de la générali­sation internationale de la lutte de classe.

[4] [125] Revue Internationale n°23,   La lutte  du prolétariat dans la décadence du capita­lisme.

[5] [126] Idem.

[6] [127] Bilan    n°11,    Crise    et    cycles    dans l'économie du capitalisme à l'agonie.

[7] [128] El Estado del mundo, 1992.

[8] [129] Idem.

[9] [130] Révolution Internationale n° 10 : L'Inde : un cimetière à ciel ouvert.

[10] [131] Idem.

[11] [132] Les faits ont été tirés des statistiques sur les armées mentionnées dans la publication annuelle El estado del mundo, 1992. Le choix des pays et le calcul des moyennes sont de notre fait.

[12] [133] Revue Internationale n° 19 : Sur l'impérialisme.

[13] [134] Idem.

[14] [135] Revue Internationale n° 60 : Thèses sur la crise économique et politique des pays de l'Est.

[15] [136] Faits tirés de la publication annuelle El estado del mundo, 1992.

[16] [137] El estado del mundo, 1992.

[17] [138] Revue Internationale n° 24 : Notes sur la question agraire et paysanne.

[18] [139] Idem.

[19] [140] El estado del mundo, 1992.

[20] [141] Faits tirés du livre de  René  Dumont Pour l'Afrique, j'accuse.

[21] [142] Faits tirés du livre de R. Dumont.

[22] [143] De l'article «Le choiera des pauvres» publié par El Pais du 27 mai 1991.

[23] [144] Revue Internationale n° 30 : Critique de Boukharine, 2e partie.

[24] [145] Voir les « Thèses sur la crise économique et politique des pays de l'Est » dans la Revue Internationale n 60.

[25] [146] D'un  autre côté, l'identification stalinisme = communisme   qu'emploie   au­jourd'hui la bourgeoisie pour convaincre les prolétaires qu'il n'y a pas d'alternative à l'ordre capitaliste, est plus persuasive si elle amplifie les phénomènes de l'Est et relati­vise  ou  banalise  ce  qui arrive  dans  les nations du « tiers-monde ».

[26] [147] El estado del Mundo, 1992.

[27] [148] Le centre de la lutte révolutionnaire du prolétariat est constitué par les grandes concentrations ouvrières des pays industrialisés : voir, dans la Revue internationale n°31, « Le prolétariat d'Europe occidentale au centre de la généralisation de la lutte de classe ».

[28] [149] Internationalisme n°45 : L'évolution du capitalisme et la nouvelle perspective.

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [150]

Approfondir: 

  • La question nationale [151]

Questions théoriques: 

  • Impérialisme [152]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La question nationale [153]

Le communisme n'est pas un bel idéal mais une nécessité matérielle [2° partie]

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Comment le prolétariat a gagné Marx au communisme

« Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réfor­mateur du monde.

Elles ne sont que l'expression géné­rale des conditions réelles d'une lutte de classe existante, d'un mou­vement historique qui s'opère sous nos yeux » ([1] [154]).

Dans le premier article de cette sé­rie, nous avons tenté de combattre le cliché bourgeois selon lequel « le communisme est un bel idéal mais ça ne marchera jamais », en mon­trant que le communisme n'était pas une « idée » inventée par Marx ou quelque « réformateur du monde », mais qu'il était le produit d'un immense mouvement histo­rique remontant jusqu'aux pre­mières sociétés humaines ; et, surtout, que la revendication d'une société sans classes, sans propriété privée ou étatique avait été mise en avant dans chaque grand soulèvement du prolétariat depuis ses toutes premières origines comme classe sociale.

Il existait un mouvement commu­niste prolétarien avant que Marx ne naisse, et, lorsque le jeune étu­diant Marx ne faisait qu'entrer dans l'arène de la politique démo­cratique radicale en Allemagne, il y avait déjà une pléthore de groupes et de tendances communistes, en particulier en France où le mouvement de la classe ouvrière avait accompli les plus grands pas dans le développement d'une vision communiste. Ainsi, à la fin des années 1830 et au début des années 1840, Paris était le royaume de tels courants comme celui du commu­nisme utopique de Cabet, prolon­gation des points de vue développés par Saint-Simon et Fourier ; il y avait Proudhon et ses adeptes, précurseurs de l'anarchisme mais qui, à cette époque, tentaient, de façon rudimentaire, de critiquer l'économie politique bourgeoise du point de vue des exploités ; il y avait les Blanquistes, plus insurrectionnels, qui avaient dirigé un soulèvement avorté en 1839 et étaient les héritiers de Babeuf et des Égaux de la grande Révolution française. A Paris vivait également tout un milieu d'ouvriers et d'intellectuels allemands exilés. Les ouvriers communistes étaient principalement regroupés dans la Ligue des Justes animée par Weit­ling.

Marx a commencé le combat politique en partant de la philosophie critique. Au cours de ses études universitaires, il est tombé sous le charme de Hegel – en rechignant au début car Marx ne s'est pas engagé à la légère. Hegel, à cette époque, était le « Maître » reconnu en Alle­magne dans le champ de la philosophie, et, plus encore, ses travaux représentaient le sommet même de l'effort philosophique bourgeois car ils constituaient la dernière grande tentative de cette classe de saisir la totalité du mouvement de l'histoire et de la conscience hu­maine et cela, en utilisant la mé­thode dialectique.

Très rapidement cependant, Marx a rejoint les Jeunes Hégéliens (Bruno Bauer, Feuerbach, etc.) qui avaient commencé à voir que les conclusions du Maître n'étaient pas cohérentes avec sa méthode, et même que des éléments clé dans cette méthode étaient très impar­faits. Ainsi, alors que la démarche dialectique de Hegel vis-à-vis de l'histoire montrait que toutes les formes historiques étaient transi­toires, que ce qui était rationnel durant une période était complè­tement irrationnel dans une autre, il aboutissait à poser une « Fin de l'Histoire » en présentant l'État prussien existant comme l'incarnation de la Raison. De même, et là le travail de Feuerbach fut particulièrement important, il était clair pour les Jeunes Hégéliens que tout en ayant effectivement ébranlé, par sa rigueur philosophique, la théologie et la foi irraisonnée, Hegel finissait par rétablir Dieu et la théologie sous la forme de l'Idée Absolue. Le but des Jeunes Hégéliens était, d'abord et avant tout, de mener la dialectique de Hegel jusqu'à sa conclusion lo­gique et d'arriver à une critique convaincue de la théologie et de la religion. Aussi pour Marx et ses compagnons Jeunes Hégéliens, le fait que « la critique de la religion est la présupposition à toute critique » ([2] [155]) était vrai au sens littéral.

Mais les Jeunes Hégéliens vivaient dans un État semi-féodal où la critique de la religion était interdite par la censure ; la critique de la re­ligion se transforma donc très vite en critique de la politique. Ayant laissé tomber tout espoir d'obtenir un poste de professeur à l'université après que Bauer fut démis du sien, Marx se tourna vers le journalisme politique et com­mença rapidement à porter ses at­taques contre la lamentable stupi­dité des Junkers dans le système politique qui prévalait en Alle­magne. Ses sympathies furent im­médiatement républicaines et dé­mocratiques comme on peut le voir dans ses premiers articles pour le Deutsche Jahrbuche et la Reinische Zeitung, mais ceux-ci étaient tou­jours formulés en termes d'opposition radicale bourgeoise au féodalisme et se polarisaient beaucoup sur des sujets concernant « les libertés politiques » telles que la liberté de la presse et le suffrage universel. En fait, Marx résistait explicitement aux attaques de Moses Hess qui défendait déjà ouvertement un point de vue commu­niste, même s'il se présentait dans un genre plutôt sentimental pour pouvoir faire passer des idées communistes dans les pages de la Reinische Zeitung. En réponse à une accusation de la Augsburger Allgemeiner Zeitung selon laquelle le journal de Marx avait adopté le communisme, Marx écrivait que « la Reinische Zeitung qui ne sau­rait accorder aux idées communistes sous leur forme actuelle ne fût-ce qu'une réalité théorique, donc moins encore souhaiter leur réalisa­tion pratique, ou simplement les te­nir pour possibles, soumettra ces idées à une critique sérieuse » ([3] [156]). Plus tard, dans une lettre fameuse et quasi programmatique à Arnold Ruge (septembre 1843), il écrivait que le communisme de Cabet, Weitling, etc., était une « abstraction dogmatique » ([4] [157]).

En fait ces hésitations pour adop­ter une position communiste étaient similaires à celles qu'il avait eues quand il fut confronté, au début, à Hegel. Il était vraiment gagné au communisme mais refusait toute adhésion superficielle et était tout à fait conscient des faiblesses des tendances existant alors. Aussi, dans le même article qui paraît pour rejeter les idées communistes, il poursuit en disant que « des écrits comme ceux de Leroux, Considé­rant et, entre tous, l'ouvrage si pé­nétrant de Proudhon ne peuvent être critiqués au moyen d'arguments su­perficiels inspirés du moment, mais, bien au contraire, seulement après des études longues, persévé­rantes et approfondies. Tout cela, l'Augsbourgeoise le comprendrait si elle était plus exigeante et si elle était capable d'autre chose que faire reluire ses phrases. » ([5] [158]). Et dans la « Lettre à Ruge » mentionnée ci-dessus, il dit clairement que sa réelle objection au communisme de Weitling et de Cabet n'est pas le communisme mais le fait que celui-ci est dogmatique, c'est-à-dire qu'il ne se conçoit pas autrement que comme une belle idée ou un impé­ratif moral qu'un rédempteur supé­rieur devrait apporter aux masses souffrantes. En opposition à cela, Marx met en relief sa propre démarche :

« Rien ne nous empêche de rattacher notre critique à la critique de la politique et de prendre parti dans la politique, donc de participer à des luttes réelles et de nous identifier à elles. Nous ne nous présentons pas alors au monde en doctrinaires avec un nouveau principe : voici la vérité, mettez-vous à genoux ! Nous déve­loppons pour le monde des principes nouveaux que nous tirons des prin­cipes du monde. Nous ne lui disons pas : renonce à tes luttes, ce sont des bêtises, et nous te ferons entendre la vraie devise du combat. Nous ne faisons que montrer au monde pourquoi il lutte en réalité, et la conscience est quelque chose qu'il doit acquérir, quand bien même il s'y refuserait. » ([6] [159])

Ayant rompu avec la mystification hégélienne qui énonçait une auto-conscience éthérée se situant en dehors du monde réel des hommes, Marx n'allait pas reproduire la même erreur théorique au niveau politique. Pour lui, la conscience ne pré-existait pas au mouvement historique ; elle ne pouvait qu'être la prise de conscience du mouvement réel lui-même.

LE PROLÉTARIAT, CLASSE COMMUNISTE

Bien que dans cette lettre, il n'y ait pas de référence explicite au prolétariat et pas d'adoption définie du communisme, nous savons qu'à partir de cette date, Marx était dans un processus de le faire. Les articles écrits dans la période 1842-43 sur les questions sociales - la loi prussienne sur le vol du bois et la situation des vignerons de Moselle - l'avaient amené à reconnaître l'importance fondamentale des fac­teurs économiques et de classe dans les affaires politiques ; en fait, Engels a écrit plus tard qu'« il avait toujours entendu Marx dire que c'était précisément en s'occupant de la loi sur le vol du bois et la situa­tion des vignerons de Moselle qu'il avait été amené à passer de la politique pure aux rapports écono­miques et ainsi au socialisme » ([7] [160]). Et l'article de Marx sur « La Question Juive », également rédigé fin 1843, est communiste en tout sauf de nom puisqu'il cherche une éman­cipation qui va au-delà du domaine purement politique jusqu'à l'émancipation de la société de l'achat et de la vente, de l'égoïsme des individus en concurrence et de la propriété privée.

Mais il ne faut pas croire que Marx a abouti à cette vision simplement grâce à ses propres capacités d'étude et de réflexion, aussi grandes qu'elles aient été. Ce n'était pas un génie isolé qui contemplait le monde d'en haut ; il menait constamment au contraire des discussions avec ses contempo­rains. Dans sa « conversion » au communisme, il reconnaît sa dette envers les écrits contemporains de Weitling, Proudhon, Hess et Engels ; et avec ces deux derniers en particulier, il a mené d'intenses débats face à face alors qu'ils étaient communistes et lui non. Engels avait, par-dessus tout, l'avantage d'avoir été le témoin di­rect du capitalisme le plus avancé d'Angleterre, et avait commencé à développer une théorie du déve­loppement et de la crise capitaliste qui était vitale pour élaborer une critique scientifique de l'économie politique. Engels avait également connu directement le mouvement chartiste en Grande-Bretagne qui n'était plus un petit groupe politique mais constituait un véritable mouvement de masse, ce qui révé­lait, de façon évidente, la capacité du prolétariat à se constituer en force politique indépendante dans la société. Mais peut-être que ce qui, par-dessus tout, a convaincu Marx que le communisme pouvait être plus qu'une simple utopie, c'est son contact direct avec les groupes d'ouvriers communistes à Paris. Les réunions de ces groupes firent une énorme impression sur lui :

« Lorsque les ouvriers communistes se réunissent, leur intention vise d'abord la théorie, la propagande, etc. Mais en même temps ils s'approprient par-là un besoin nou­veau, le besoin de la société toute entière, et ce qui semble n'avoir été qu'un moyen est devenu un but. Ce mouvement pratique, on peut en ob­server les plus brillants résultats lorsqu'on voit s'assembler des ou­vriers socialistes français. Fumer, boire, manger, etc., ne sont plus alors de simples occasions de se réunir, des moyens d'union. La com­pagnie, l'association, la conversa­tion qui vise l'ensemble de la société les comblent ; pour eux la fraternité humaine n'est pas une phrase, mais une vérité, et, de leurs figures endurcies par le travail, la noblesse de l'humanité rayonne vers nous » ([8] [161]).

Nous pouvons pardonner à Marx une certaine exagération dans ce passage ; les associations commu­nistes, les organisations ouvrières ne constituent en fait jamais une fin en elles-mêmes. La véritable ques­tion est ailleurs ; c'est-à-dire qu'en participant au mouvement proléta­rien naissant, Marx fut capable de voir que le communisme, la fraternité concrète et réelle de l'homme, pouvait être autre chose que de nobles phrases mais bien un projet pratique. C'est à Paris en 1844 que pour la première fois, Marx s'est explicitement qualifié de commu­niste.

Ainsi, ce qui, par-dessus tout, permit à Marx de surmonter ses hésita­tions sur le communisme, fut la re­connaissance qu'il existait dans la société une force qui avait un inté­rêt matériel au communisme. Puisque le communisme avait cessé d'être une abstraction dogmatique, un simple bel idéal, le rôle des communistes n'était plus réduit à prêcher contre les maux du capita­lisme et pour les bienfaits du com­munisme. Il signifiait s'identifier aux luttes de la classe ouvrière, montrant au prolétariat « pourquoi il lutte » et comment « il doit acqué­rir la conscience » des buts finaux de sa lutte. L'adhésion de Marx au communisme se confond avec son adhésion à la cause du prolétariat parce que le prolétariat est la classe porteuse du communisme. L'exposé classique de sa position se trouve dans le passage final de la Critique de la Philosophie du Droit de Hegel. Bien que cet article fût consacré à la question de savoir quelle force sociale pouvait permettre à l'Allemagne de s'émanciper de ses chaînes féo­dales, la réponse qu'il donnait était en fait plus appropriée à la ques­tion : comment l'humanité pou­vait-elle s'émanciper du capita­lisme puisqu'il développe que : « la possibilité positive de l'émancipation allemande » réside « dans la formation d'une classe aux chaînes radicales, d'une classe de la société civile qui ne soit pas une classe de la société civile ; d'un ordre qui soit la dissolution de tous les ordres, d'une sphère qui pos­sède, par ses souffrances univer­selles, un caractère universel, qui ne revendique pas un droit particulier parce qu'on n'a pas commis envers elle une injustice particulière mais l'injustice pure et simple, qui ne peut prétendre à un titre historique mais seulement à un titre humain (... ), d'une sphère enfin qui ne peut s'émanciper sans s'émanciper de toutes les autres sphères et par là les émanciper toutes, qu'en un mot, elle soit la perte totale de l'homme et ne puisse se reconquérir qu'à travers la réacquisition complète de l'humanité. Cette dissolution de la société en tant qu'état (classe) par­ticulier, c'est le prolétariat » ([9] [162]).

Malgré le fait que la classe ouvrière fût seulement en train de se former en Allemagne, les relations de Marx avec le mouvement ouvrier plus développé de France et de Grande-Bretagne l'avaient déjà convaincu du potentiel révolution­naire de cette classe. C'était la classe qui personnifiait toutes les souffrances de l'humanité ; en cela, elle n'était pas différente des pré­cédentes classes exploitées de l'histoire bien que la « perte d'humanité » fût poussée à un point encore plus avancé chez elle. Mais à d'autres égards, elle était tout à fait différente des précédentes classes exploitées, ce qui devint clair une fois que le développement de l'industrie moderne eut fait surgir le prolétariat industriel mo­derne. Contrairement aux classes exploitées du passé telles que la paysannerie sous le féodalisme, la classe ouvrière était, d'abord et avant tout, une classe qui travaillait de manière associée. Cela voulait dire, pour commencer, qu'elle ne pouvait défendre ses in­térêts immédiats que par le moyen d'une lutte associée, en unissant ses forces contre toutes les divi­sions imposées par l'ennemi de classe. Mais cela voulait dire éga­lement que la réponse finale à sa condition de classe exploitée ne pouvait résider que dans la créa­tion d'une réelle association hu­maine, d'une société fondée sur la libre coopération et non sur la concurrence et la domination. Et parce qu'une telle association se baserait sur l'énorme progrès de la productivité du travail qu'avait ap­porté l'industrie capitaliste, elle ne reviendrait pas en arrière, vers une forme inférieure, sous la pression de la pénurie, mais constituerait la base de la satisfaction des besoins humains dans l'abondance. Aussi, le prolétariat moderne contenait-il en lui-même, dans son être même, la dissolution de la vieille société, l'abolition de la propriété privée et l'émancipation de toute l'humanité :

« Lorsque le prolétariat annonce la dissolution de l'ordre mondial tra­ditionnel, il traduit seulement le se­cret de sa propre existence immé­diate, car il est la dissolution effec­tive de cet ordre mondial. Lorsque le prolétariat réclame la négation de la propriété privée, il érige seulement en principe de la société ce que la société a déjà érigé en principe du prolétariat, ce qui en lui - en tant que représentant négatif de la société - est déjà personnifié sans qu'il ait rien fait pour cela » ([10] [163]). C'est pourquoi, dans L'Idéologie Allemande, rédigée deux ans plus tard, Marx était capable de définir le communisme comme « le mou­vement réel qui abolit l'état de choses existant » : le communisme n'était rien d'autre que le mouve­ment réel du prolétariat, conduit par sa nature inhérente, ses intérêts matériels les plus pratiques pour revendiquer l'appropriation de toute la richesse sociale.

A de tels arguments, les Philistins de l'époque répondaient de la même façon que ceux d'aujourd'hui :

« Combien d'ouvriers connaissez-vous qui veulent une révolution communiste ? La grande majorité d'entre eux semble tout à fait rési­gnée à son lot dans le capitalisme » Mais Marx avait sa réponse prête dans La Sainte Famille (1844) : « Peu importe ce que tel ou tel pro­létaire, ou même le prolétariat tout entier imagine momentanément comme but. Seul importe ce qu'il est et ce qu'il sera historiquement contraint de faire en conformité de cet être » ([11] [164]). Ici, il met en garde contre une vision purement instan­tanée et empirique du prolétariat, représenté par le point de vue d'un ouvrier particulier, ou par la conscience de la vaste majorité de la classe à un moment donné. Au contraire, il faut voir le prolétariat et sa lutte dans un contexte qui contient l'ensemble du mouvement de l'histoire, y compris son futur révolutionnaire. C'est précisément sa capacité à voir le prolétariat dans son cadre historique qui lui a permis de prédire qu'une classe qui, jusqu'alors, n'était encore qu'une minorité de la société qui l'entourait et n'avait troublé l'ordre bourgeois qu'à une échelle locale, serait un jour la force qui ébranlerait l'ensemble du monde capita­liste dans ses fondements mêmes.

« LES PHILOSOPHES N'ONT FAIT QU'INTERPRÉTER LE
MONDE, CE QUI IMPORTE C'EST DE LE TRANSFORMER
»

Dans le même article où il annon­çait sa reconnaissance de la nature révolutionnaire de la classe ou­vrière, Marx avait également la témérité de proclamer que « la philo­sophie trouvait dans le prolétariat ses armes matérielles » ([12] [165]). Pour Marx, Hegel avait atteint le point suprême dans l'évolution histo­rique de la philosophie, non seu­lement de la philosophie bourgeoise, mais de toute la philoso­phie, depuis ses origines dans la Grèce antique. Mais après avoir atteint le sommet, la descente fut très rapide. D'abord il y eut Feuer­bach, matérialiste et humaniste, qui démasqua la Raison Absolue d'Hegel comme la dernière mani­festation de Dieu, et, qui mit à nu Dieu comme étant une projection des pouvoirs supprimés de l'homme, pour élever le culte de l'homme à sa place. C'était déjà le signe que la philosophie en tant que philosophie arrivait à sa fin. Tout ce qui restait à faire à Marx, agissant comme avant-garde du prolétariat, était de délivrer le coup de grâce. Le capitalisme avait établi sa domination effective sur la société ; la philosophie avait dit son dernier mot parce que mainte­nant, la classe ouvrière avait for­mulé (même si c'était de façon plus ou moins rudimentaire) un projet réalisable pour l'émancipation pra­tique de l'humanité des chaînes de tous les âges. A partir de ce mo­ment là, il est parfaitement correct de dire, comme l'a fait Marx que « la philosophie est à l'étude du monde réel ce que l'onanisme est à l'amour sexuel » ([13] [166]). La nullité ultérieure de quasiment toute la « philosophie » bourgeoise après Feuerbach le corrobore ([14] [167]).

Les philosophes avaient fait diffé­rentes interprétations du monde. Dans le champ de la philosophie naturelle, l'étude de l'univers physique, ils avaient déjà dû céder la place aux scientifiques de la bour­geoisie. Et maintenant, avec l'arrivée du prolétariat, ils devaient abandonner leur autorité sur tous les sujets relatifs au monde humain. Ayant trouvé ses armes matérielles dans le prolétariat, la philosophie était dissoute en tant que sphère séparée. En termes pratiques, cela signifiait pour Marx une rupture et avec Bruno Bauer et avec Feuer­bach. Envers Bauer et ses adeptes, qui s'étaient retirés dans une véri­table tour d'ivoire d'autocontem­plation, connue sous le terme grandiose de la Critique critique, Marx était sarcastique à l'extrême : c'était vraiment de la philosophie qui s'auto-abuse. Envers Feuer­bach, Marx avait beaucoup plus de respect et n'oublia jamais la contribution qu'il apporta en « remettant Hegel sur ses pieds ». La critique fondamentale portée à l'humanisme de Feuerbach, c'était que son homme était une créature abstraite, immuable, séparée de la société et de son évolution histo­rique. Pour cette raison, l'humanisme de Feuerbach ne pouvait faire plus que proposer une nouvelle religion de l'unité de l'humanité. Mais comme Marx l'a souligné, l'humanité ne pouvait devenir réellement une unité tant que les divisions de classe n'avaient pas atteint le point ultime de leur antagonisme ; aussi, tout ce que pouvait faire le philosophe honnête à partir de maintenant, c'était de mettre sa destinée aux côtés du prolétariat dans cette société divi­sée.

Mais la totalité de la phrase dit : « De même que la philosophie trouve dans le prolétariat ses armes maté­rielles, le prolétariat trouve dans la philosophie ses armes spirituelles ». La suppression effective de la phi­losophie par le mouvement prolé­tarien ne signifiait pas que ce dernier doive réaliser une décapitation grossière de toute vie intellectuelle. Au contraire, il avait maintenant assimilé le « meilleur » de la philo­sophie, et par extension la sagesse accumulée par la bourgeoisie et les formations sociales antérieures, et s'était engagé dans la tâche de la transformer en une critique scien­tifique des conditions existantes. Marx n'est pas entré les mains vides dans le mouvement proléta­rien. Il a apporté avec lui, en parti­culier, les méthodes et les conclu­sions les plus avancées élaborées par la philosophie allemande ; et, avec Engels, les découvertes des économistes politiques les plus lu­cides de la bourgeoisie : dans ces deux sphères, celles-ci représen­taient l'apogée intellectuelle d'une classe qui non seulement gardait un caractère progressiste, mais ve­nait juste de terminer son héroïque phase révolutionnaire. L'arrivée d'hommes tels que Marx et Engels dans les rangs du mouvement ouvrier a marqué un pas qualitatif dans la clarification ultérieure d'un mouvement parti d'un tâtonnement intuitif, spéculatif, à demi formé théoriquement vers l'étape de l'investigation et de la compréhen­sion scientifiques. En termes orga­nisationnels, ceci fut symbolisé par la transformation de la Ligue des Justes, genre de secte à demi conspiratrice, en Ligue des Com­munistes qui adopta le Manifeste communiste comme programme en 1848.

Mais répétons-le : cela ne signifiait pas que la conscience de classe ait été injectée dans le prolétariat à partir d'un niveau astral supérieur. A la lumière de ce qu'on vient d'écrire, on peut voir plus clairement que la thèse kautskyste selon laquelle la conscience socialiste est apportée à la classe ouvrière par des intellectuels bourgeois, est réellement une continuation de l'erreur des utopistes critiquée par Marx dans les Thèses sur Feuer­bach :

« La doctrine matérialiste de la transformation par le milieu et par l'éducation oublie que le milieu est transformé par les hommes et que l'éducateur doit lui-même être édu­qué. Aussi lui faut-il diviser la so­ciété en deux parties, dont l'une est au-dessus de la société. La coïncidence de la transformation du milieu et de l'activité humaine ou de la transformation de l'homme par lui-même ne peut être saisie et comprise rationnellement que comme praxis révolutionnaire » ([15] [168]).

En d'autres termes : la thèse kauts­kyste - que Lénine a reprise dans Que faire ? puis abandonnée par la suite ([16] [169]) - part d'un matérialisme vulgaire qui voit la classe ouvrière éternellement conditionnée par les circonstances de son exploitation, incapable de devenir consciente de sa situation réelle. Pour rompre ce cercle fermé, le matérialisme vul­gaire se transforme alors, lui-même en idéalisme le plus abject, posant une « conscience socialiste » qui, pour quelque obscure raison, serait inventée... par la bourgeoisie ! Cette démarche renverse complè­tement la façon dont Marx lui-même a posé le problème. Ainsi, dans l'Idéologie allemande, il écri­vait :

« Voici, pour finir, quelques résul­tats que nous obtenons encore de la conception de l'histoire que nous avons exposée : à un certain stade de l'évolution des forces produc­tives, on voit surgir des forces de production et des moyens de com­merce qui, dans les conditions existantes, ne font que causer des malheurs. Ce ne sont plus des forces de production mais des forces de destruction... Autre conséquence, une classe fait son apparition, qui doit supporter toutes les charges de la société sans jouir de ses avan­tages ; une classe qui, jetée hors de la société, est reléguée de force dans l'opposition la plus résolue à toutes les autres classes ; une classe qui constitue la majorité de tous les membres de la société et d'où émane la conscience de la nécessité d'une révolution en profondeur, la conscience communiste, celle-ci pouvant, naturellement, se former parmi les autres classes grâce à l'appréhension du rôle de cette classe » ([17] [170]).

C'est assez clair : la conscience communiste émane du prolétariat, et, comme produit de cela, des élé­ments d'autres classes sont ca­pables d'atteindre la conscience communiste. Mais seulement en rompant avec 1'idéologie de classe dont ils ont « hérité » et en adop­tant le point de vue du prolétariat. Ce dernier point est particulièrement souligné dans un passage du Manifeste Communiste :

« Enfin, au moment où la lutte des classes approche de l'heure déci­sive, le processus de décomposition de la classe dominante, de la vieille société tout entière, prend un ca­ractère si violent et si âpre qu'une petite fraction de la classe domi­nante se détache de celle-ci et se rallie à la classe révolutionnaire, à la classe qui porte en elle l'avenir. De même que, jadis, une partie de la noblesse passa à la bourgeoisie, de nos jours une partie de la bour­geoisie passe au prolétariat, et, notamment, cette partie des idéo­logues bourgeois qui se sont haussés jusqu'à l'intelligence théorique de l'ensemble du mouvement historique » ([18] [171]).

Marx et Engels pouvaient seulement « apporter » au prolétariat ce qu'ils ont apporté en « se détachant de la classe dominante » ; ils ne pouvaient « se hausser à l'intelligence théorique de l'ensemble du mouvement histo­rique » qu'en examinant de manière critique la philosophie et l'économie politique bourgeoises du point de vue de la classe exploi­tée. En fait, une meilleure façon de présenter cela, c'est de dire que le mouvement prolétarien, en ga­gnant à sa cause des gens de l'acabit de Marx et Engels, a ren­forcé sa capacité de s'approprier la richesse intellectuelle de la bour­geoisie et de l'utiliser à ses propres fins. Il n'aurait pas été capable de le faire s'il ne s'était déjà aupara­vant engagé dans la tâche de déve­lopper une théorie communiste. Marx était tout à fait explicite à ce sujet quand il présentait les ou­vriers Proudhon et Weitling comme des théoriciens du proléta­riat. En quelque sorte, la classe ouvrière a utilisé la philosophie et l'économie politique bourgeoises, pour forger une arme indispensable qui porte le nom de marxisme, et qui n'est autre chose que « l'acquis théorique fondamental de la lutte prolétarienne... la seule conception du monde qui se place réellement du point de vue de cette classe » ([19] [172]).

***

Dans la prochaine partie de cette série, nous examinerons les pre­mières descriptions par Marx et Engels de la société communiste, et leurs conceptions initiales de la transformation révolutionnaire qui y mène.



[1] [173] Le Manifeste communiste, Éditions so­ciales.

[2] [174] Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, Écrits de Jeunesse, Éditions Spartacus.

[3] [175] « Le communisme et la Allgemeine Zeitung d'Augsbourg », Oeuvres III, La Pléiade.

[4] [176] « Lettre à Ruge », Écrits de Jeunesse, Éditions Spartacus.

[5] [177] « Le communisme et la Allgemeine Zei­tung d'Augsbourg », Oeuvres III, La Pléiade.

[6] [178] « Lettre à Ruge », Éditions Spartacus.

[7] [179] « Lettre à Ruge », Éditions Spartacus.

[8] [180] Manuscrits philosophiques et écono­miques, Oeuvres II, La Pléiade.

[9] [181] Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, Éditions Spartacus.

[10] [182] Idem.

[11] [183] La Sainte Famille, Oeuvres III, La Pléiade.

[12] [184] Contribution à la critique de la philoso­phie du droit de Hegel, Éditions Spartacus.

[13] [185] L'Idéologie Allemande, Oeuvres III, La Pléiade.

[14] [186] Depuis, seuls les philosophes qui ont reconnu la banqueroute du capitalisme, ont eu quelque chose à dire. Traumatisés par la barbarie croissante du système capitalisme déclinant, mais incapables de concevoir véritablement qu'il puisse exister autre chose que le capitalisme, ils décrètent non seulement que la société présente, mais l'existence elle-même, est une absurdité complète ! Mais le culte du désespoir n'est pas une très bonne publicité pour la santé de la philosophie d'une époque.

[15] [187] Thèses sur Feuerbach, Oeuvres III, La Pléiade.

[16] [188] Voir notre article dans la Revue Interna­tionale n°43, « Réponse à la Communist Workers Organisation (CWO) : sur la matu­ration souterraine de la conscience ». La CWO et le Bureau International pour le Parti révolutionnaire (BIPR) auquel elle est affiliée, continuent à défendre une version légèrement affaiblie de la théorie kautskyste de la conscience de classe.

[17] [189] L'idéologie allemande, Oeuvres III, La Pléiade.

[18] [190] Le Manifeste Communiste, Éditions so­ciales.

[19] [191] Plateforme du CCI, point 1.

Approfondir: 

  • Le communisme : une nécessité matérielle [192]

Questions théoriques: 

  • Communisme [193]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [93]

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