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Revue Internationale no 3 - 4e trimestre 1975

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Introduction au texte "les causes économiques, sociales et politiques du fascisme"

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L’article que nous reproduisons à la suite a été publié en novembre 1933 dans le n°11 de "Masses" qui était un mensuel éclectique situé à la gauche de la social-démocratie française. Il a été écrit par A. Lehmann membre des "groupes communistes, ouvriers" allemands héritiers du K.A.P.D. Si nous le republions aujourd'hui, c'est pour permettre à nos lecteurs de situer le degré de clarification à laquelle était parvenue la gauche communiste qui s'est dégagée de la III° Internationale et le recul considérable représenté par les courants "conseillistes" ou "bordiguistes" qui s'en réclament aujourd’hui.

Cet article comporte un certain nombre de faiblesses, qui avaient cours parmi des éléments de la gauche allemande, dans la compréhension du fascisme et qui le conduit à considérer que le fascisme est appelé à s'étendre à tous les pays.  S'il fait ressortir les conditions générales qui permettent le fascisme  (période de déclin du capitalisme, existence d'une crise économique aiguë)  il ne comprend pas les conditions particulières qui l'on fait apparaître  en Italie et en Allemagne et nulle part ailleurs  (défaite brutale de la classe ouvrière après un mouvement puissant, et mauvaise part dans la répartition du gâteau impérialiste).

Bien que moins précise dans la compréhension des conditions générales, la gauche italienne, à la même époque (après la 2° guerre, elle reprend à son compte l'aberration de la "mondialisation du fascisme"), a pu faire une analyse beaucoup plus juste de ces conditions particulières ce qui lui a permis de faire apparaître "l'antifascisme"  comme le grand ennemi  du prolétariat. On ne trouve pas dans ce texte, par contre, de dénonciation du danger antifasciste.

Autre faiblesse est celle de l'analyse de la dégénérescence de la révolution russe et de la IIIe Internationale.

Dans cet article, ces phénomènes sont présentés comme essentiellement  des conséquences de la situation existant en Russie même (arriération, poids de la paysannerie)  et non comme un produit du recul  de la Révolution à l'échelle mondiale.

Malgré ces faiblesses, cet article comporte un nombre important de points forts qui encore aujourd'hui en font une analyse bien plus valable que celles de la plupart des groupes actuels se réclamant de "l’ultragauche", points forts qu'on peut énumérer ainsi :

  • compréhension de la période ouverte par la 1° guerre mondiale comme celle du déclin du mode de production capitaliste lié à la disparition des marchés extra-capitalistes;
  • impossibilité pour la bourgeoisie, dans cette phase de déclin,  d'accorder des réformes réelles au prolétariat ce qui conduit à un renforcement considérable de l'Etat, à l'intégration des syndicats et à la fin de toute utilisation du parlement pour la lutte des travailleurs;
  • transformation de la nature des crises : les crises cycliques laissant la place à la crise permanente dont les phases aiguës conduisent,  en 1'absence de réaction prolétarienne, à la guerre impérialiste;
  • dénonciation de toutes les politiques frontistes et "antifascistes";
  • caractère prolétarien de la Révolution russe ainsi que de la III° Internationale (contrairement aux idées commençant à se développer à l'époque, particulièrement dans la gauche Hollandaise);
  • nature capitaliste (même si ce terme n’est plus utilisé explicitement dans 1'article)  du régime existant en Russie et rejet de toute politique de "défense de l'U.R.S.S." par le prolétariat;
  • caractère nécessairement mondial de la Révolution Prolétarienne;
  • nécessité pour la classe ouvrière de se donner un parti basé sur un programme clair et cohérent, fraction la plus consciente et nécessairement minoritaire de la classe, ne pouvant se substituer à elle dans la prise du pouvoir et ne pouvant être crée qu'au moment d'une montée révolutionnaire de la lutte et non dans "une période de recul,  comme le veut le volontarisme trotskyste et plus tard "bordiguiste".

Ces points constituent l'axe autour duquel s'est constitué aujourd'hui le Courant Communiste International. Il fait apparaître la continuité existant entre le mouvement révolutionnaire qui se développe actuellement et celui du passé,  marquant l'unité historique de la lutte prolétarienne au-delà de la terrible période de contre-révolution dont nous sortons.

Un grand nombre de courants  "modernistes" rejettent cette continuité. Ces courants veulent faire "du neuf" ...

Mais, aujourd'hui, en se refusant tout passé," ils s'interdisent tout avenir" (dans le camp prolétarien tout au moins). Pour notre part, nous savons qu'on ne pourra aller au-delà des acquis de la gauche communiste qu'en partant de ces acquis et non en les rejetant. C'est pourquoi, nous nous réclamons hautement de cette continuité.

LES CAUSES ECONOMIQUES, SOCIALES ET  POLITIQUES   DU  FASCISME, CAUSES  ECONOMIQUES

Pour saisir les causes profondes du fascisme, il faut considérer le changement de structure du capitalisme qui s'est produit dans les dernières décades. Jusque dans les premières années du siècle s’est développé le capitalisme encore progressif où la concurrence jouait entre les éléments capitalistes privés ou les sociétés anonymes, le rôle de moteur du progrès économique. L'accroissement plus ou moins régulier de la productivité était absorbé assez facilement par les nouveaux débouchés ouverts dans la période de la colonisation par les méthodes de l’impérialisme actif. L'organisation politique correspondant à cette structure atomisée du capitalisme, était la démocratie bourgeoise qui donnait aux différentes couches capitalistes le moyen le plus approprié de régler leurs contradictions d’intérêts. La situation prospère du capitalisme permettait d’accorder aux ouvriers certaines concessions politiques et matérielles et créait dans la classe ouvrière les conditions du réformisme et l'illusion que le Parlement était un moyen  de progrès pour la classe ouvrière.

Les possibilités d'une accumulation du capital toujours de plus en plus importante, qui s'étaient manifestées dans cette première phase, trouvèrent leur fin dans la concurrence de plus en plus acharnée des capitalismes nationaux qui se heurtaient dans les dernières tentatives possibles de conquête de nouveaux terrains d’expansion capitaliste., Ces rivalités causées par la restriction des débouchés aboutirent à la guerre mondiale. Les mêmes causes avaient aussi amorcé la transformation de la structure du capitalisme par la concentration progressive du capital avec prépondérance du capital financier. La guerre et ses conséquences accélérèrent ce processus. L’inflation surtout, par la dépossession des classes moyennes permit dans une grande échelle, le développement du capital monopoliste, l’organisation du capital dans de vastes trusts et cartels, horizontalement et verticalement, et qui dépassaient même le cadre national. Les différentes cruches du capitalisme perdirent leur caractère spécial (financier, industriel, etc.) pour se fondre dans une masse d'intérêts de plus en plus uniformisés.

Comme les domaines d'action de ces trusts et cartels dépassaient le cadre des Etats, le capitalisme se trouva dans la nécessité d'influencer la politique économique de l'Etat de la façon la plus rapide. La liaison entre les organes des intérêts économiques capitalistes et l'appareil d'Etat devint donc plus étroite, l'intermédiaire du parlement devint superflu.

Avec une telle structure, le capitalisme n'a plus besoin du parlementarisme qui ne subsiste dans une première période que comme une façade derrière laquelle s'accomplit la dictature de ce capital monopoliste, Cependant, ce parlementarisme a encore pour la bourgeoisie l'utilité de maintenir les masses prolétariennes dans les illusions réformistes formant ainsi pour la dictature du capital, une base politique sur laquelle elle peut s'appuyer. Mais l'aggravation de la crise mondiale, l'impossibilité d'ouvrir de nouveaux débouchés enlèvent peu à peu tout intérêt pour la bourgeoisie dans le maintien de cette façade parlementaire. La dictature directe et avouée du capital monopoliste devient une nécessité pour la bourgeoisie elle-même. Il se montre que le système fasciste est la forme du gouvernement la mieux appropriée aux besoins du capital monopoliste. Son organisation économique est la plus favorable pour la solution des contradictions internes de la bourgeoisie, tandis que son contenu politique permet à la bourgeoisie de s'appuyer sur une nouvelle base qui remplace ainsi le réformisme devenu de plus en plus incapable de maintenir les illusions des masses.

BASES  SOCIALES

L'impossibilité pour la bourgeoisie de conserver le réformisme comme base politique, résulte de l'aggravation considérable des oppositions de classe entre la bourgeoisie et le prolétariat. Depuis la guerre, le réformisme n'était plus en Allemagne qu'un jeu stérile. Chaque jour la classe ouvrière allemande perdait un peu plus de ce qui restait des "conquêtes" du réformisme. Le prestige du réformisme sur les masses ne subsistait que grâce à une puissante organisation bureaucratique. Mais les dernières attaques les plus violentes contre le niveau de vie des ouvriers, jetant ceux-ci dans la misère la plus insupportable sapait rapidement l'influence du réformisme dans les masses ouvrières et mettait à nu les oppositions de classe entre le prolétariat et la bourgeoisie.

Parallèlement à ce processus au sein de la classe ouvrière se produisait dans les différentes couches de la petite bourgeoisie, un processus de radicalisation. Les paysans étaient endettés, réduits à la misère et passaient par endroit à des actions terroristes. Les commerçants ressentaient les contrecoups de l'appauvrissement des masses et de la concurrence des grands magasins et des coopératives. Des intellectuels désorientés par l'incertitude du lendemain, des étudiants sans avenir, des anciens officiers déclassés étaient tournés vers toute possibilité aventurière. Des employés prolétarisés et frappés par le chômage et des fonctionnaires licenciés étaient prêts à se laisser entraîner par une démagogie radicale. Un anticapitalisme vague et utopique se développait dans ces couches hétérogènes dépossédées par la grande bourgeoisie. Leur anticapitalisme était réactionnaire, puisqu'il voulait rétablir une étape périmée du capitalisme. Ainsi, ils devenaient malgré leur radicalisme, un facteur conservateur et avec cela un instrument facile dans les mains du capitalisme monopoliste. En réalité, pour cette masse petite-bourgeoise radicalisée et inconsciente, incapable de jouer un rôle indépendant dans l'économie, placée devant l'antagonisme croissant contre le prolétariat et la bourgeoisie, la question était de faire un choix entre l'un et l'autre. Il lui fallait choisir entre le capital monopoliste -cependant responsable de sa situation désespérée- et le prolétariat facteur révolutionnaire historique. La haine de la révolution prolétarienne qui supprimerait les classes, l'attachement aux privilèges des classes petite-bourgeoises -privilèges qui cependant n'étaient plus qu'un souvenir- jeta ces classes moyennes radicalisées dans les bras du capital monopoliste, fournissant ainsi à celui-ci la base sociale suffisamment large, susceptible de remplacer dans ce rôle le réformisme qui menaçait d'autre part de s'effondrer.

RACINES POLITIQUES

La synthèse de ces deux aspects contradictoires du fascisme : dépendance du capital monopoliste et enrôlement des masses petite-bourgeoises s'opéra sur le plan politique dans le développement du parti national-socialiste. Ce parti se développa grâce à une démagogie effrénée et aux subsides de l’industrie lourde. Sur le plan idéologique, ce parti exprimait le désespoir des masses petite-bourgeoises par un langage radical et révolutionnaire, allant même jusqu'à la propagande pour certaines formes d'expropriations (banques, juifs, grands magasins), sa liaison avec le capital monopoliste s'exprimait par la propagande pour la collaboration des classes, pour l'organisation corporative hiérarchisée contre la lutte de classe et le marxisme.

L'inconsistance du contenu idéologique de la démagogie nazi se manifeste dans la propagande raciste. Le mécontentement des masses était détourné contre le traité de Versailles, bouc émissaire du capitalisme et contre les juifs considérés comme représentants du capital international et comme promoteurs de la lutte de classe. Ce tissu de stupidités incohérentes ne pouvait trouver prise que sur l’esprit des petits bourgeois, que leur rôle secondaire dans l'économie rendait incapable de comprendre la moindre des choses aux faits économiques et aux événements historiques dans lesquels ils étaient plongés.

Les paysans et les petit-bourgeois radicalisés formèrent toujours la grande masse du parti national-socialiste. Ce ne fut qu'à mesure que la subordination au capital monopoliste devint plus claire que la bourgeoisie elle-même vint renforcer les cadres nazis et lui fournit des officiers et des chefs. Mais jusqu’à l'avènement d'Hitler au pouvoir, il fut impossible au parti national-socialiste de mordre sérieusement sur la classe ouvrière, ainsi qu'en témoignent les élections aux conseils d'entreprises. Jusqu'à la fin, les nazis eurent toujours beaucoup de difficultés pour pénétrer dans les bureaux de pointage des chômeurs (Stempelstelle), seulement quelques centaines de milliers de mercenaires purent être recrutés pour les S.A. et les S.S. parmi les employés en chômage et le lumpen prolétariat, cependant qu'il y avait des millions de chômeurs sans aucun moyens d'existence.

Mais si la classe ouvrière ne se laissa pas, ou presque pas, contaminer par la démagogie fasciste, elle n'en fut pas moins incapable de s'opposer au développement du parti national-socialiste. Elle ne réussit pas à dissocier le bloc de classes réactionnaires en formation. Les tentatives des grands partis ouvriers d'utiliser telle ou telle divergence apparente entre le capital monopoliste et les nationaux-socialistes. Surtout le prolétariat ne comprit pas que la partie se jouait non entre la démocratie et le fascisme, mais en réalité entre la révolution prolétarienne et le fascisme. C'est donc l'incapacité révolutionnaire du prolétariat qui permit le développement politique du fascisme et l'avènement d'Hitler.

Pour voir comment cela fut possible, il faut examiner en détails le contenu idéologique et tactique des principales tendances du mouvement ouvrier.

LES  TENDANCES  ET LES  ORGANISATIONS DE LA CLASSE OUVRIERE, LE REFORMISME

Le réformisme s'était développé parmi la classe ouvrière dans la période de montée du capitalisme. Ces racines se trouvaient dans la possibilité pour la bourgeoisie d'accroître rapidement l'appareil de production, cette production accrue étant en général facilement écoulée dans les débouchés nouveaux. Il en résultait pour la classe ouvrière un rapide développement en nombre et en puissance. La bourgeoisie avait besoin pour assurer le développement accru de la production d'une classe ouvrière docile et satisfaite. Elle pouvait facilement obtenir ce résultat en abandonnant à la classe ouvrière une faible partie des profits toujours plus élevés que lui assurait le développement de l'impérialisme. Mais même lorsque la bourgeoisie ne voulut plus -et fut impuissante à accorder à la classe ouvrière une puissance importante- et put remplir son rôle en arrachant à la classe ouvrière tous les avantages accordés autrefois, même alors le réformisme conserva dans la classe ouvrière une puissance importante et put remplir son rôle comme base politique du capitalisme. Cela tient à l'organisation politique syndicale et étatique du réformisme qui s'étant développé pendant les années de prospérité subsista tant qu'elle fut d'un intérêt quelconque pour le capitalisme. L'organisation politique (social-démocratie) avait pour méthode essentielle la pratique parlementaire. Son action avait pour but de faire croire aux ouvriers qu'ils devaient attendre paisiblement, toute amélioration de leur sort qui serait décidée par le parlement, suivant les principes démocratiques. Toutes les fois que la social-démocratie prit la part la plus active dans le massacre des ouvriers révolutionnaires, elle justifia ses trahisons en se présentant comme défenseur de la démocratie. L'organisation syndicale se donnait comme but la discussion avec les entrepreneurs des contrats de tarifs, en utilisant en dernier ressort l'arbitrage de l'Etat. Elle excluait la grève tant qu'elle pouvait le faire et, en cas de grèves spontanées, elle s'efforçait de ramener les ouvriers au travail par toutes les manœuvres possibles, même parfois en s'associant à la direction de la grève. Les bureaucrates syndicaux nombreux, bien payés, embourgeoisés, régnaient sur les ouvriers par le moyen de la gestion des institutions d'assistance de toute sorte (maladie, chômage, etc.). La participation à ces institutions et aux différents avantages syndicaux retenaient les ouvriers dans l'obéissance et permettait la persistance du pouvoir des bureaucrates malgré les trahisons répétées et toujours plus cyniques.

Parallèlement au développement de la bureaucratie syndicale, s'était développée dans l'appareil d'Etat une bureaucratie spéciale pour l'application des lois sociales, de l'assistance, des secours de chômage, etc. Il faut reconnaître dans cet organisme et sa fonction une forme auxiliaire du réformisme, qui d'ailleurs trouvait son origine dans la conjonction du réformisme parlementaire et du réformisme syndical. Ce réformisme étatique contribuait également au même rôle de maintient de la classe ouvrière dans l'ordre, l'obéissance et l'illusion.

Ainsi le réformisme persistait dans son organisation quoique ayant perdu ses racines économiques. L'idéologie du réformisme subsistait dans la classe ouvrière par survivance, mais peu à peu, elle s'effritait sous l'action de l'aggravation de l'exploitation et de la misère du prolétariat. Lorsque le prolétariat se trouva réduit à lutter pour ses intérêts les plus élémentaires, il ne parut plus possible à la bourgeoisie de maintenir cette organisation pratique de la collaboration des classes sur les bases de l'idéologie réformiste. L'organisation pratique devait être maintenue à tout prix, mais l'idéologie avait besoin d'être changée,  la bourgeoisie remplaça alors résolument le réformisme par le fascisme. Les syndicats furent d'abord intégrés purement et simplement dans le fascisme. Il ne pouvait pas être question de résistance de la part des bureaucrates puisque la réalité de l'organisation réformiste de collaboration de classe était conservée : seule était rejetée, comme un oripeau inutilisable l'idéologie réformiste. Le remplacement du réformisme par le fascisme comme soutien, du capitalisme se produisit donc de la façon la plus simple et si la bourgeoisie n'avait pas eu besoin d'hommes nouveaux, elle aurait pu conserver les services des bonzes qui ne demandaient pas mieux.

Il s'est montré dans cette circonstance que les syndicats n'étaient pas une organisation qui puisse être utile à la classe ouvrière et que cela résultait non pas d'une mauvaise direction, mais de la structure et du but même des syndicats comme organes de représentation des intérêts corporatifs dans le cadre du capitalisme; de telles organisations deviennent donc nécessairement un organe du fonctionnement normal du capitalisme et ne peuvent donc pas être utilisés dans des buts révolutionnaires.

LE  BOLCHEVISME

Le développement de la révolution russe depuis octobre 1917 a été conditionné par la contradiction entre un prolétariat très concentré, mais peu nombreux et une immense paysannerie arriéré. L'industrie russe était en général très moderne techniquement, mais sa structure économique présentait des lacunes car elle avait été organisée par le capital étranger pour des buts de guerre ou d’exportation Après l'effondrement du tsarisme, la bourgeoisie ne put pas stabiliser le pouvoir qui lui était tombé dans les mains, ne pouvant trouver aucun appui dans la paysannerie qui voulait la paix et la terre.

Le prolétariat audacieux et conscient s'empara du pouvoir d'état en octobre mais il se trouva devant des difficultés d'organisation énormes, en face d'une paysannerie arriérée et déjà satisfaite, vingt fois plus nombreuse que lui. La collectivisation des entreprises fut poursuivie par les ouvriers sur un rythme gigantesque, mais les tentatives d'organisation communiste de la répartition des produits se heurtèrent à la résistance passive et active de l'immense masse paysanne. La NEP fut un recul du prolétariat amené à composition par la paysannerie; cependant le prolétariat restait encore maître des leviers de commande de l'économie. Mais dans ce régime de compromis entre l'industrie collectivisée et l'agriculture parcellaire, la rivalité masquée, mais réelle, entre le prolétariat et la paysannerie fournit les bases du développement inouï de l'appareil d'Etat, de la spécialisation de cet appareil et de la suppression des pouvoirs des soviets. Les succès de la planification de l'économie accélèrent ce processus de cristallisation de la bureaucratie qui réussit à dominer peu à peu sans contrôle, en imposant des mesures de coercition économique, tant sur le prolétariat (rétablissement du travail aux pièces et de l'autorité des directeurs), que sur la paysannerie (concentration forcée des entreprises paysannes) et des mesures de domination politique (remplacement: des tribunaux populaires par des décisions de la police politique spéciale G.P.U.).

Un processus parallèle se poursuivit à l'intérieur du Parti communiste, organe dirigeant qui devint à la suite de crises successives, l'expression exclusive des nouveaux intérêts de classe de la bureaucratie Avec la disparition du pouvoir politique des soviets ouvriers, était disparu la dictature du Prolétariat à laquelle s'était complètement substituée la dictature de la Bureaucratie en temps que classe en formation.

La III° Internationale et les partis communistes dans tous les pays ont suivis leur structure les répercussions de cette transformation du régime en Russie. En particulier pour le parti allemand, la bureaucratisation et l'absence de démocratie intérieure étaient extrêmes. L'influence des masses ouvrières ne pouvait pas se faire sentir sur la politique du K.P.D. Sa stratégie et sa tactique lui était imposées suivant les intérêts de la bureaucratie soviétique. Jusqu’a la NEP, la politique extérieure soviétique avait été orientée vers la révolution mondiale, quoique avec des erreurs qui, par exemple avec Radek, eurent des conséquences désastreuses sur la révolution allemande. Maintenant la théorie du socialisme dans un seul pays met au premier plan l'édification de l'appareil industriel en Russie (cette édification industrielle étant baptisée socialisme), et par conséquent donne la plus grande importance à la stabilisation et à la politique de paix dans les relations extérieures. Avec la disparition de la dictature du prolétariat en Russie, disparait aussi l'intérêt du prolétariat mondial à considérer les développements de la situation en Russie comme l'axe de la révolution mondiale„

Les Intérêts de classe de la bureaucratie ont engendré la théorie du "parti dirigeant" qui est la négation de la possibilité d’une politique de la classe ouvrière qui soit indépendante des autres classes, en particulier des classes moyennes et, par conséquent, la racine de l’opportunisme. D'autre part, l'utilisation du prolétariat mondial pour les besoins changeants de la diplomatie soviétique engendrait une coupure toujours plus grande entre les masses et le K.P.D.

La conséquence essentielle, qui résume toute l'action de la bureaucratie soviétique a été la dégénérescence du caractère de classe du mouvement révolutionnaire. Au lieu d'une idéologie de classe, le K.P.D. répandait, tant par opportunisme que pour des raisons diplomatiques, une idéologie nationaliste (mot d'ordre de la libération nationale et sociale, théorie de l'oppression de la nation allemande par l'impérialisme). Le K.P.D. croyait en faisant cette manœuvre, introduire le désarroi dans les rangs petit-bourgeois des nationaux-socialistes. La réalité, il introduisit la confusion et le désarroi dans le prolétariat; il ne peut rien opposer idéologiquement au fascisme ascendant, et l'avènement du fascisme entraîna dans les rangs des nationaux-socialistes, des militants du K.P.D. trompés par leur propre mot d'ordre de confusion nationaliste.

L'incohérence des manœuvres bolcheviques (front unique tantôt avec les fascistes, tantôt avec les sociale-démocrates) les prétentions bureaucratiques à la dictature sur les masses, l'absence d'une idéologie prolétarienne condamnaient le K.P.D. a l'impuissance. Après avoir volé de "succès" en "succès" sur le plan électoral, le K.P.D. se trouva complètement isolé des masses quand il aurait voulu agir (manifestation des nazis devant la maison Liebknecht). Il n'est même pas possible de savoir s'il voulait agir vraiment et dans quel sens.

Les racines de cette incapacité sont les mêmes que celle de la social-démocratie. Elles résultent dans les deux cas de la pénétration des idéologies bureaucratiques dans les organisations. Ce sont les idéologies du parlementarisme (mot d'ordre : pour arrêter Hitler, votez pour Thaelmann), du syndicalisme (tentatives de conquête des syndicats) et de l'opportunisme qui consiste dans la pratique de manœuvres entre les classes et entre les différentes couches de la classe ouvrière.

PETITS GROUPEMENTS BOLCHEVIQUES

La théorie du parti dirigeant et la pratique des manœuvres parlementaires syndicales et opportunistes se retrouvent dans les diverses oppositions bolcheviques. La K.P.D. (Brandler), les trotskistes et le S.A.P. ont la même idéologie fondamentale. Ils ne diffèrent que par des détails subtils et d'ailleurs changeants. Pour tous ces groupements, la tactique préconisée contre le fascisme était la même unité pour l'action du réformisme et du bolchévisme. Cette tactique ne fut pas appliquée, mais la classe ouvrière n'avait rien à espérer de 1' unité de l'incapacité avec la trahison.

PERSPECTIVES  DU MOUVEMENT OUVRIER

LES LEÇONS DE L'EXPERIENCE REVOLUTIONNAIRE

Les perspectives ne peuvent se fonder que sur des expériences. Les expériences révolutionnaires sont déjà riches en enseignements depuis la Commune de Paris à la révolution d'octobre russe, en passant par la révolution de 1905 ; ces expériences contredisent formellement la tactique et la stratégie du bolchévisme; elles ont toujours montré que la classe ouvrière était capable dans des situations objectives déterminées, d'agir d'une façon indépendante comme classe, et que dans ces situations elle créait spontanément des organes pour l'expression et l'exercice de sa volonté de classe : conseils ouvriers ou soviets. Il faut voir comment sont nés et se sont développés ces organes en Allemagne. Les premières actions ouvrières surgies en 1917, contre la volonté des bureaucrates syndicaux intégrés dans le régime de guerre, ont engendré les "hommes de confiance révolutionnaires d'entreprise" (Révolutionare Betriebsobleute).

Les conseils d'ouvriers de 1918 furent la suite directe de ce mouvement. L’effondrement militaire de l'Allemagne donne prématurément des possibilités inouïes de développement à ces conseils, mais leur clarté politique n'était pas suffisante. La conscience la plus claire des nécessités révolutionnaires, représentée par le groupe Spartacus, n'était pas encore assez développée pour que le mouvement des conseils ; quelques illusions anarchistes et aussi des habitudes héritées d'une longue pratique réformiste. L'échec du mouvement des conseils en 1919 fut, pour une grande part, le résultat d'une conscience insuffisante de la nécessité de la dictature du prolétariat.

Dans la situation instable du capitalisme qui dura jusqu’à 1923, se manifesta la nécessité pour les ouvriers d'avoir des organisations révolutionnaires sur la base de la production et il naquit un peu partout en Allemagne des organisations d'entreprises, qui formées tout à fait spontanément en s'opposant aux syndicats contre-révolutionnaires, formèrent à ce moment un courant politique très important. Les tentatives révolutionnaires furent terminées en 1923 par l’action brutale de la Reichwehr écrasant les ouvriers déjà démoralisés par la tactique doublement absurde du Parti communiste qui proposait le front unique national aux fascistes de Reventlov contre l'impérialisme français et participait d'autre part, au gouvernement parlementaire de Saxe avec les social-démocrates.

Depuis 1924, la stabilisation passagère du capitalisme et l'absence de perspectives révolutionnaires entraîna la disparition des courants radicaux, permit un nouveau développement du réformisme appuyé sur l'appareil d'Etat et inaugura l'ère des "succès" parlementaires du bolchévisme. Cette consolidation apparente du réformisme et ces succès illusoires du bolchévisme n'empêchèrent pas, avec l'approche et le développement de la crise depuis 1929, la croissance du mouvement fasciste, et l'abaissement du niveau de vie de la classe ouvrière toujours de plus, en plus frappée par un chômage sans issue. Dans les masses naissaient en même temps, qu'une certaine méfiance dans les partis existants. une certaine effervescence tendant au front unique de classe, mais dans l'ensemble subsistait encore l'attente que les grandes organisations pourraient encore agir efficacement. L'avènement du fascisme sans aucune résistance, sonna le glas des illusions dos ouvriers.

VERS L'ORGANISATION DU PROLETARIAT

Ainsi la pression des conditions économiques conduisit la bourgeoisie à détruire des organisations qui, cependant, étaient en fait seulement capables de freiner et de paralyser tout mouvement révolutionnaire de classe. Cet aspect dialectique de l'avènement du fascisme nous fait apercevoir à travers le déchaînement de la terreur et la dispersion de l'ancien mouvement ouvrier, les racines d'un progrès et les bases du mouvement rénové. La destruction des anciennes organisations ouvre de nouvelles perspectives pour un nouveau mouvement de classe. Le prolétariat se trouve débarrassé des partis soi-disant prolétariens, mais effectivement réactionnaires, des illusions paralysantes du réformisme politique et syndical et dû parlementarisme. Aussi les illusions bolcheviques sont ébranlées : la masse des prolétaires révolutionnaires ne croît plus qu'il soit nécessaire que toute son action soit dirigée par un parti de révolutionnaires professionnels au-dessus de la classe ouvrière; elle n'a plus confiance dans les méthodes de bluff de l'agitation bolchevique qui ne conduisent qu'à des actions stériles.

La pratique de la lutte illégale conduit les ouvriers à développer ces nouvelles formes de travail. Les ouvriers révolutionnaires forment à l'usine et dans les bureaux de pointage de petits groupes dans lesquels les provocateurs ne peuvent pas entrer. La diffusion des tracts couverts de mots d'ordre d'agitation et de bluff est remplacée par l'élaboration de matériel de discussion et d'éducation politique prolétarienne. Les bureaucrates du Parti communiste ne peuvent plus imposer des points de vue sans discussion.

Cependant ce travail de groupement et d'éducation de classe se fait encore de façon sporadique et avec une insuffisante clarté politique. Il est pourtant nécessaire que la clarté programmatique la plus grande possible soit le point de départ de tout travail. Les éléments révolutionnaires: des plus conscients, déjà rassemblés dans des noyaux formés par un travail tenace préparatoire, aideront ce processus de clarification et de rassemblement parmi les groupes qui sont nés des débris des anciennes organisations, mais sont encore à la recherche d'une nouvelle idéologie. Les noyaux communistes-ouvriers se sont développés, dans, la période d'aggravation de la crise. Par ces noyaux s'est réalisée la synthèse, de l'expérience de la lutte illégale des ouvriers radicaux  pendant les différentes tentatives révolutionnaire depuis 1917 avec l'ardeur révolutionnaire de jeunes que le développement des événements avait éclairé sur la nécessité de rompre avec les méthodes du réformisme et du bolchévisme. Ils portent dans leur clarté idéologique les leçons du passé et dans leur volonté de lutte les espoirs de l'ouvrier.

Pendant la période précédent la terreur fasciste, dominée par les illusions réformistes et bolcheviques, ces noyaux étaient numériquement faibles en rapport aux grandes organisations de masse, mais ils étalent habitués à l'action de propagande illégale et leurs liaisons étaient solidement établies à travers toute l'Allemagne. Dégagés du sectarisme dans lequel s'étaient éperdus les débris, des organisations radicales depuis 1923, ils ont poursuivi leur action de propagande idéologique parmi les éléments les plus avancés au sein de la classe ouvrière. Grâce à leur habitude du travail illégal ils ont continué leur action malgré la terreur sans aucune interruption et n'ont subi que peu de perte. Sous le régime de terreur, ils se sont accrus de façon considérable, cependant  que les grandes organisations, péniblement reconstituées, piétinent encore. Actuellement, la quantité de matériel diffusé en Allemagne par les noyaux communistes-ouvriers est comparable à celle de n'importe quelle autre organisation.

Ces noyaux qui doivent être l'armature idéologique du prolétariat, devront intégrer de nouveaux éléments pas à pas en évitant de diluer la clarté des principes. Tout nouveau noyau doit être intérieurement ferme et clair afin que n’éclate pas ultérieurement des contradictions masquées.

Dans la phase actuelle du capitalisme, la tactique des communistes est déterminée par son emploi dans une situation prérévolutionnaire ou révolutionnaire. Dans la situation actuelle prérévolutionnaire, la tâche est de créer  les fondements d'un parti communiste révolutionnaire. Les noyaux communistes  en formation doivent agir sur la classe ouvrière pour accélérer le développement des conditions de la lutte révolutionnaire : lutte pour la clarification de la conscience de classe, destruction de la vieille idéologie conservatrice, réformiste (ou bolchevique), compréhension de la nécessité de l'organisation de classe d'après le principe des conseils, propagande des méthodes révolutionnaires de lutte. Cette action au sein de la classe ne deviendra efficace que par la participation permanente à la pratique de la lutte pour l'existence du prolétariat sur tous les terrains, car les ouvriers n'apprennent réellement: que par l'expérience directe.

Dans la situation révolutionnaire le but est la destruction des positions des pouvoirs de la bourgeoisie par des actions de classe, la conquête des moyens de production, l'édification du pouvoir des conseils prolétariens sur les terrains économique et politique, et le commencement de la reconstruction socialiste de la société en général. Tous ces buts ne pourront se réaliser au cours de la révolution que par la liaison la plus étroite de  la classe prolétarienne avec le parti révolutionnaire qui n'est autre que la partie la plus claire et là plus: active de la classe.

Le but du travail du parti ne peut être de s'élever au-dessus de la classe, à titre de chef, comme un Comité Central bolchevique, pour commander la révolution mais le parti révolutionnaire ne peut être qu'un levier du développement de l'activité propre du prolétariat.

Les forces actuelles du communisme de gauche doivent être conscientes qu'elles ne peuvent pas constituer à n'importe quel moment : le parti révolutionnaire, mais que c'est seulement au cours de la lutte révolutionnaire des masses qu'ils veulent développer, dans un nouveau travail de reconstruction, les bases de ce parti, "que la révolution ne peut vaincre sans un grand parti révolutionnaire". Mais inversement, dans une situation "devenant révolutionnaire", ce parti ne peut se développer, et s'ancrer largement dans la classe ouvrière!

La question fondamentale de la tactique révolutionnaire d'un noyau communiste dans la classe n'est pas : comment rassembler le plus, vite possible,  le plus possible de puissance derrière l'organisation pour abattre l'adversaire grâce à l'intelligence supérieure de la direction de l'organisation? Non la question fondamentale est : comment dans chaque étape de la lutte pratique peuvent être développés et poussés en avant la conscience, l'organisation et la capacité d'action de la classe prolétarienne, de telle façon que la classe dans son ensemble puisse, en réciprocité avec le parti communiste révolutionnaire, accomplir sa tâche historique.

La tâche des noyaux communistes révolutionnaires est donc double : d'une part, la clarification idéologique comme fondement du développement du parti révolutionnaire; d'autre part, la préparation des bases des organisations d'entreprise par le rassemblement des ouvriers révolutionnaires de conscience évoluée. L'exploitation capitaliste, de plus en plus aigue obligera les ouvriers à défendre leur existence même, et à entrer dans la lutte, même dans les conditions les plus difficiles. Faute d'organisation, les ouvriers en lutte créeront des organes de direction de lutte comme par exemple, des comités d'action. Le rôle des noyaux d'entreprise sera de participer à ces mouvements, de les clarifier en leur donnant un contenu politique.et dé travailler à leur extension à l'échelle nationale et internationale.

Dans la mesure où ces luttes s'étendront, la classe ouvrière entrera dans la lutte pour le pouvoir politique. Ces organisations de lutte, devenues permanentes, prennent un caractère spécial : elles deviennent des organes pour la conquête du pouvoir prolétarien et enfin les seuls organes de la dictature du prolétariat. Ces conseils -organes issus directement de la base des usines, et des organisations de chômeurs et toujours révocables- auront un rôle double : les conseils politiques devront poursuivre l'écrasement de la bourgeoisie et l'affermissement de la dictature du prolétariat; les conseils économiques la transformation sociale de la production.

PERSPECTIVES DU CAPITALISME

Ces principes d'organisation et ces perspectives de développement de l'activité de classe sont justifiés non seulement par l'expérience historique de  la classe ouvrière, mais aussi par les perspectives du capitalisme.

Les perspectives du capitalisme sont dominées par l'approfondissement et l'élargissement de la crise dans le monde entier, il est maintenant visible pour tout le monde que la crise actuelle est de toute autre portée que les criées cycliques qui faisaient partie du fonctionnement normal du capitalisme. Il est clair que la crise actuelle est devenue une crise du régime même ou plutôt une étape de dégénérescence du capitalisme. Les tentatives faites pour surmonter la crise sont accompagnées à leur début de l'enthousiasme de la bourgeoisie (et de la social-démocratie), mais elles s'effondrent quelques mois après, comme c'est le cas actuellement pour l'expérience Roosevelt. Le capitalisme ne peut plus que modifier la répartition des débouchés, c'est-à-dire remplacer le secteur le plus éprouvé par la crise par tel autre secteur jusqu'alors moins atteint; mais il ne peut pas créer de nouveaux débouchés. Les tentatives de nouvelle répartition des débouchés n'ont finalement pour résultat que d'étendre à tous les pays et à toutes les branches de l'économie, les désastres de la crise, de soumettre les ouvriers du monde entier à une exploitation également aggravée et servir de prélude à l'extension du fascisme à de nouveaux pays.

Les tentatives de répartition nouvelle, des débouchés produisent dans le monde entier des violentes contradictions internationales. Les capitalismes nationaux se heurtent dans la politique douanière et monétaire la plus insensée. Les antagonismes deviennent de plus en plus aigus et les points de friction, les sources de conflit de plus en plus nombreux. Cette aggravation des rapports politiques internationaux réagit à son tour sur les conditions économiques qui l'ont engendrée et rendent ces conditions plus insurmontables. Il en résulte que le fascisme ne peut pas trouver la moindre base économique de stabilisation. C'est pourquoi, pour détourner l'attention des masses de leur propre misère, toujours croissante, il suscite à son tour de nouvelles difficultés internationales.

Ainsi l'impossibilité, pour le capitalisme, de surmonter les difficultés économiques et l'aggravation des contradictions sur le terrain international, ouvrait la voie au fascisme dans tous les pays et, cependant, excluent l'éventualité de la stabilisation du fascisme. La solution de cette contradiction dialectique ne peut être trouvée que dans la révolution prolétarienne. Cependant une solution peut être recherchée par la bourgeoisie dans une nouvelle guerre mondiale si le prolétariat ne prend pas l'initiative de l'action décisive. Mais la guerre mondiale elle-même n'est pas une solution et le dilemme qui se posera inéluctablement est celui prévu par Marx : Communisme ou barbarie.

Les perspectives révolutionnaires doivent donc être envisagées à l'échelle mondiale. Les fluctuations cycliques de la conjoncture, se produisant.sur le champ de la crise permanente du capitalisme dégénérescent, détermineront, dans les années qui viennent, des aggravations encore plus brutales et encore plus insupportables pour la classe ouvrière,

La nécessité, pour la classe ouvrière, de défendre ses intérêts les plus élémentaires produira inéluctablement les conditions d'une nouvelle époque de luttes à l'échelle mondiale.

En présence du développement mondial du fascisme, on ne doit pas considérer la situation des prolétaires d'Allemagne comme une situation spéciale, exigeant principalement des actions de solidarité avec des moyens plus ou moins utopiques; mais la question fondamentale qui se pose pour le prolétariat international est la suivante : comment utiliser au mieux les leçons politiques et organisations de l'expérience allemande pour que, dans une nouvelle époque de lutte, l'adversaire de classe trouve devant lui le prolétariat mondial mieux armé idéologiquement et organisatoirement .

La réponse est claire et découle de ce qui a été dit pour l'action en Allemagne. Les mêmes principes idéologiques et d'organisation doivent être, dès à présent, appliqués dans le monde entier par les communistes révolutionnaires qui ont su tirer les leçons de l'expérience récente de la honteuse trahison du réformisme et de l'effondrement du bolchevisme. Des noyaux de révolutionnaires clairvoyants doivent se constituer et s'attaquer opiniâtrement à la tâche de la clarification idéologique et de l'organisation nouvelle de la classe ouvrière.

Ces organisations nouvelles doivent établir leurs liaisons internationales pour jeter les bases de la formation de la IV° internationale par le même processus de la transformation des noyaux en parti qui doit se produire dans la conjoncture révolutionnaire.

Jeter dès maintenant le mot d'ordre de constitution de la IV° internationale est aussi inconséquent que de préconiser la constitution immédiate du nouveau "véritable parti de la classe ouvrière". En réalité, ce mot d'ordre des Trotskistes et du S.A.P. ne peut aboutir qu'à la reconstitution provisoire du bolchevisme, qu'à une internationale 3 et demi qui sera, comme un appendice honteux de la III° internationale, destinée à sombrer, comme celle-ci, dans le même fiasco.

Le prolétariat a autre chose à faire que de réaliser des caricatures historiques. Sa tâche est de vaincre la bourgeoisie et de réaliser le communisme. A nous de préparer les armes qui lui permettront de vaincre.

A. LEHMANN

Géographique: 

  • Italie [1]

Evènements historiques: 

  • Deuxième guerre mondiale [2]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [3]

La dégénérescence de la révolution russe (Réponses au "Revolutionary Workers’ Group")

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Le second numéro de Forward, la revue du "Revolutionary Workers' Group" (RWG) ([1] [4]), contient une discussion internationale entre notre courant (Internacionalismo): "Défense du caractère prolétarien d'Octobre")  et le RWG ("Les erreurs d'Internacionalismo au sujet de la Révolution russe"). Dans la critique de notre article, le RWG soulève d'importantes questions, mais sans dégager un cadre général permettant la compréhension globale de l'expérience russe.

Les révolutionnaires n'analysent pas l'histoire pour elle-même, ni pour trouver  ce qu'ils auraient fait s'ils avaient étés là mais pour tirer,  avec l'ensemble de la classe, les leçons de l'expérience du mouvement ouvrier afin de mieux comprendre le chemin à suivre dans les luttes de demain.

L'article de notre courant, "Défense du caractère prolétarien d'Octobre", sans avoir la prétention de faire une analyse exhaustive de la question complexe de la révolution russe cherche à clarifier un point essentiel : la révolution russe fut une expérience du prolétariat et non une révolution bourgeoise ; elle était partie intégrante de la vague révolutionnaire qui a secoué le capitalisme mondial de 17 aux années 20. La révolution russe ne fut pas une "action bourgeoise'' que nous pouvons donc tranquillement enterrer et ignorer dans nos analyses actuelles. Bien au contraire, il semble inconcevable que les révolutionnaires d'aujourd'hui, rejetant le stalinisme, rejettent du même coup l'histoire tragique de leur propre classe. Le rejet de tout caractère prolétarien de la révolution d'Octobre, qui souvent trouve ses adeptes chez ceux qui suivent la tradition conseilliste, est autant une mystification cachant là réalité des efforts révolutionnaires de la classe que celle des staliniens et trotskistes s'accrochant au soi-disant "acquis matériels" ou à l'"Etat Ouvrier" pour justifier la défense du capitalisme d'Etat russe.

Avec la reconnaissance du caractère prolétarien d'Octobre, on doit reconnaître que le parti Bolchevik,  aux premiers rangs de la gauche marxiste internationale qui défendait des positions de classe révolutionnaire pendant la première guerre mondiale et en particulier en 17, était un parti prolétarien. Mais lors de la défaite des soulèvements ouvriers internationaux, le bastion russe, isolé, a subi une contre-révolution "de l’intérieur"  ou le parti Bolchevik, de pilier de la gauche communiste internationale en 1919,  a dégénéré en parti du camp bourgeois.

Voilà quelles sont les idées centrales qui ressortent de l’article d'Inter­nacionalismo, malgré la traduction souvent pénible qu'en a fait Forward. Forward ne  veut pas,  en fait,  discuter le problème de la nature prolétarienne d'Octobre, il est d'accord sur ce point, ce qui le préoccupe,  c'est la nature contre-révolutionnaire des événements ultérieurs, bien que Internacionalismo ne traite le sujet que de façon secondaire. Il n'y a d'ailleurs pas d'article dans notre presse qui suffise, à lui seul à traiter tous les, problèmes de l'histoire. Malgré ce malentendu de départ c'est quand même avec étonnement que nous lisons :

 

  • "Pour l.es camarades d'Internacionalismo comme pour les trotkystes et les bordiguistes, il y à une frontière insurmontable entre l'"époque de Lénine" et l'"époque de Staline". Pour eux, le prolétariat ne pouvait pas tomber avant que Lénine ne soit en sécurité dans sa tombe et Staline " clairement installé à la tête du PCR" (Forward, n°2,  p. 42). Nous reconnaissons que cette touchante profession de foi se retrouve chez les différents groupes trotskistes dont viennent les camarades de Forward, mais en aucun cas elle ne fait partie de notre courant ; " Le manque de compréhension qu'avaient les leaders du parti bolchevik du rôle des soviets  (conseils ouvriers)  et leur conception erronée sur le processus de développement de la conscience de classe ont contribué au processus de dégénérescence de la révolution russe. Ce processus a finalement transformé le parti Bolchevik, qui a constitué l'avant-garde authentique du prolétariat russe en 17,  en instrument actif de la contre révolution. Depuis le début de la révolution, la tendance du parti Bolchevik était de transformer les soviets en organe du Parti-Etat". (Déclaration de principe, Internacionalismo). Et ailleurs : " La révolution d'Octobre a rempli la première tâche de la révolution prolétarienne : l'objectif politique. La défaite de la révolution à l'échelle internationale et l'impossibilité de maintenir le socialisme en un seul pays, ont rendu impossible le passage à un niveau supérieur, c’est à dire l'engagement d'un processus de transformation économique. Le parti Bolchevik a joué un rôle actif dans le processus révolutionnaire qui a mené  à Octobre mais il a aussi joué un rôle actif dons la dégénérescence de la révolution et la déroute internationale… En s’identifiant organisâtionnellement et idéologiquement à l'Etat  et en considérant que sa première tâche était la défense de cet Etat,  le parti Bolchevik était voué à devenir - surtout après la " fin de la guerre civile - l'agent de la contre-révolution et du capitalisme d’Etat." (Plateforme,  RI)

 

Ces lignes semblent clairement indiquer que le chemin de la contre-révolution fut un processus dont les bases apparaissent avec l'étouffement du pouvoir des soviets et la suppression de l'activité autonome du prolétariat,  un processus qui amena au massacre par l'Etat d'une partie de la classe ouvrière à Kronstadt. Le tout du vivant de Lénine.

Pourquoi la dégénérescence de la révolution russe a-t-elle eu lieu ? La réponse ne peut pas se trouver dans le cadre d'une nation, dans la seule Russie. De même que la révolution russe fut le premier bastion de la révolution internationale en 17,  le premier d'une série de soulèvements prolétariens internationaux,  de même sa dégénérescence en contre-révolution fut l'expression d'un phénomène international, le résultat de l' échec de l'action d'une classe internationale,  le prolétariat. Dans le passé,  las révolutions bourgeoises ont construit un Etat national,  cadre logique pour le développement du capital, et ces révolutions bourgeoises pouvaient avoir lieu avec un siècle d'écart ou plus entre les différents pays. La révolution prolétarienne, au contraire, est par essence une révolution internationale,  qui doit s'étendre jusqu'à intégrer le monde entier,  ou être condamnée à une mort rapide.

La première guerre mondiale, terme de la période ascendante du capitalisme,  a marqué le point de non-retour absolu pour le mouvement ouvrier du XIX° siècle et ses objectifs immédiats. Le mécontentement populaire contre la guerre a pris rapidement un caractère politique contre l'Etat dans les principaux pays d'Europe. Mais la majorité du prolétariat n'a pas été capable de rompre avec les vestiges du passé  (adhésion à la politique de la II° Internationale qui était alors passée dans le camp de l'ennemi de classe)  et de comprendre complètement toutes les implications de la nouvelle période. Ni le prolétariat dans son ensemble, ni ses organisations politiques, ne comprirent pleinement les impératifs de la lutte de classe dans cette nouvelle période de "guerre ou révolution", de "socialisme ou barbarie". Malgré les luttes héroïques du prolétariat à cette époque,  la vague révolutionnaire fut écrasée par le massacre de la classe ouvrière européenne. La révolution russe était le phare qui guidait toute la classe ouvrière à l'époque,  mais cela n'enlève rien au fait que son isolement constituait un grave danger, même une brèche temporaire entre deux soulèvements révolutionnaires est pleine de dangers. Celle qui s'ouvrait en 1920 devenait un précipice.

Le contexte du reflux international et de l'isolement de la révolution russe garde la plus grande importance. Mais à l'intérieur de ce contexte,  les plus graves erreurs des Bolcheviks ont joué leur rôle. Ces erreurs doivent être mises en relation avec l'expérience et les luttes de la classe ouvrière elle-même. Les erreurs ou les apports positifs d'une organisation de la classe ne tombent pas du ciel ni ne se développent arbitrairement  et par hasard. Ils sont, au sens large du terme,  le reflet de la conscience de classe du prolétariat dans son ensemble.

Le parti Bolchevik fut contraint d’évoluer à la fois théoriquement et politiquement, en relation avec le surgissement du prolétariat russe en 17 et la perspective de mouvements internationaux, en Allemagne et ailleurs. Il a été aussi le reflet de l'isolement et de l’écrasement du prolétariat dans la période où grandissait la victoire de la contre-révolution. Que ce soient les bolcheviks, les spartakistes ou toute autre organisation politique de l'époque;  confrontées aux tâches nouvelles de la période de  décadence qui s’est ouverte avec la première guerre mondiale,  leur compréhension incomplète a servi de base à des erreurs politiques très graves.

Mais le parti du prolétariat n’est pas un simple reflet passif de la conscience : il en est un facteur actif de développement et d’extension. Les bolcheviks, en exprimant clairement les buts de classe dans la période de la première guerre mondiale ("transformer la guerre impérialiste en guerre civile"), et pendant la période révolutionnaire (opposition au gouvernement démocratique bourgeois) "tout le pouvoir aux soviets", formation de l’IC, sur la base d’un programme révolutionnaire) ont contribué à tracer le chemin de la victoire. Malgré cela, les positions prises.par les bolcheviks dans le contacte du déclin de la vague révolutionnaire (alliance avec les fractions centristes à l’échelle internationale, syndicalisme, parlementarisme, tactique de front unique? Kronstadt) ont contribué à accélérer le processus .contre révolutionnaire à. l'échelle internationale autant qu’en Russie. Une fois disparu le creuset de praxis révolutionnaire sous, la contre révolution triomphante en Europe, les erreurs de la révolution russe furent privées do toute possibilité, d’évolution. Le parti Bolchevik était devenu l'instrument de la contre révolution.

Du fait de l'impossibilité de socialisme en un seul pays, la question de la dégénérescence de la révolution russe est avant tout une question de défaite internationale du prolétariat. La contre révolution a triomphé en Europe avant de pénétrer totalement le contexte russe "de l'intérieur". Ceci ne doit pas, répétons le, "excuser" les erreurs de la révolution russe ou du parti bolchevik. Pas ; plus que ces erreurs "n'excusent" le prolétariat de n’avoir pas su faire la révolution en Allemagne ou en Italie par exemple. Les marxistes n 'ont rien à faire d’" excuser" ou de ne pas "excuser" l’histoire Leur tâche est d’expliquer pourquoi ces événements ont eu lieu et d'en tirer les leçons pour la lutte prolétarienne à venir

Ce cadre générai international manque dans l’analyse du RWG qui débat de la "révolution et contre-révolution en Russie" (brochure du RWG)  en termes presque exclusivement russes. Cette démarche peut sembler être une façon utile d’isoler théoriquement un problème particulier. Mais elle n'offre aucun cadre qui permette de comprendre pourquoi ces événements sont arrivés en Russie et elle mène à tourner en rond dans le vide sur le phénomène purement russe qui en ressort. Comme Rosa Luxemburg l’écrivait : "Le problème ne pouvait être que posé en Russie. Il ne pouvait être résolu en Russie".

LES ASPECTS SPECIFIQUES DE LA DEGENERESCENCE DE LA REVOLUTION

Dans les limites de cet article, nous devins nécessairement nous borner à un aperçu d’ensemble du processus de dégénérescence, laissant de côté les détails des divers épisodes.

La révolution russe, fut d’abord et avant tout considérée comme la première victoire de la lutte internationale de la classe ouvrière. En mars 1919 les bolcheviks appelèrent au premier congrès d'une nouvelle Internationale pour marquer la rupture avec la social-démocratie traitre et pour réunir les forces de la révolution pour la lutte à venir. Malheureusement la révolution allemande avait déjà été écrasée en janvier 19,   et la vague révolutionnaire refluait. Pourtant, malgré le blocus presque total de la Russie et les nouvelles déformées qui y parvenait du prolétariat de l'Ouest,  la révolution mit toute son espérance dans la seule sortie possible, l’union internationale des forces révolutionnaire sous un programme qui fixait clairement les buts de classe :

  • "Le système soviétique assure la possibilité d'une démocratie prolétarienne réelle, d'une démocratie pour le prolétariat et à l'intérieur du prolétariat, dirigée contre la bourgeoisie. Dans ce système, la place principale est donnée  prolétariat industriel et c’est à cette classe qu’échoit le rôle de classe dominante, à cause de son organisation et de sa conscience politique, et parce que son hégémonie politique permettra au semi prolétariat et aux paysans pauvres d'accéder graduellement à cette conscience". (Plate-forme de l’IC 1919)
  • "Les conditions indispensables à la victoire de la lutte sont la rupture non seulement avec les valets du capital et les bourreaux de la révolution communiste — l’aile droite des sociaux-démocrates — mais aussi avec le "centre" (le groupe de Kautsky) qui a abandonné le prolétariat au moment critique pour rejoindre l'ennemi de classe. " (Plate-forme)

Toile était la position en 1919 et * non les alliances ultérieures avec les centristes, ouvrant le parti et l’Internationale et finissant "front unique".

"Esclaves des colonies d'Afrique et d'Asie : le jour de la dictature prolétarienne en Europe sonnera pour vous comme le jour de votre délivrance. " (Manifeste de l'Internationale Communiste, 1919)

Et non l'inverse, comme le prônent les gauchistes aujourd'hui suivant, les formules contre-révolutionnaires sur la "libération nationale" issues de la dégénérescence de l'Internationale.

"Nous demandons à tous les ouvriers du monde de s'unir sous la bannière du communisme qui est déjà la bannière des premières victoires pour tous les pays! " (Manifeste)

Et non le socialisme en un seul pays :

  • "Sous la bannière des Conseils Ouvriers, de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir et la dictature du prolétariat, sous la manière de la III° Internationale, ouvriers du monde entier, unissez-vous. " (Manifeste)

Ces positions sont le reflet de l'énorme pas qu’avait franchit le prolétariat dans les années précédentes. Les positions que les bolcheviks mettaient alors en avant et défendaient étaient souvent en rupture nette avec leurs programmes antérieurs et constituaient un appel à la classe ouvrière toute entière, de reconnaître les nouvelles nécessités politiques de la situation révolutionnaire.

Mais en  1920, lors du second congrès de la même Internationale, la direction du parti bolchevik avait fait une volte face, retournant aux "tactiques" du passé. L’espoir de la révolution s’affaiblissait rapidement, et le parti Bolchevik défendait alors les 21 conditions d'admission à l'Internationale, incluant : la reconnaissance  des luttes de libération nationale, de la participation électorale, de l'infiltration dans les syndicats, bref un retour au programme social-démocrate qui était complètement inadapté à la nouvelle situation. Le parti russe devint en effet la direction prépondérante de l’IC, et le bureau d'Amsterdam fut fermé. Et surtout, là direction bolchevik réussit à isoler les communistes de gauche : la gauche italienne avec Bordiga, les camarades anglais autour de Pankurst, et Pannekoek, Gorter et le KAPD (qui f ut exclu on troisième congres). Les bolcheviks et les forces dominantes de l’Internationale œuvraient en faveur d'un rapprochement avec les centristes,   ambigus et traitres qu'ils dénonçaient seulement deux ans auparavant, et ils réussirent effectivement à saborder toute tentative de créer une basé de principes pour la création de partis communistes en Angleterre, en France  ou ailleurs, grâce à leurs manœuvres et à leurs calomnies sur la gauche. Le chemin du "Front Unique" de 1922 au 4° Congrès et enfin de la défense de la patrie russe et du "socialisme en un seul pays" était déjà ouvert par ces actions.

L'affaiblissement de la vague révolutionnaire et le chemin vers la contre révolution est aussi claire vont marquer par la signature du traité secret de Rapallo avec le militarisme allemand. Quelle que soit l'analyse des points positifs et négatifs du traité de Brest-Litovsk par exemple, il fut fait en plein jour, après, un long débat au sein du parti bolchevik et fût présenté eu prolétariat mondial comme une chose imposée par une situation critique. Mais le traité de Rapallo, seulement deux ans après, était une trahison de tout ce qu'avaient défendu les bolcheviks, un traité militaire secret conclu avec l'Etat allemand.

Les germes de la contre-révolution se développaient, avec la rapidité, d'une période de bouleversaient historique, lorsque de très grands changements viennent en quelques années ou même en quelques mois. Et finalement toute vie a quitté le corps de l'Internationale quand La doctrine du "socialisme en un seul pays" fut proclamée.

L'histoire tourmentée de l'IC ne peut être réduite à un plan machiavélique des bolcheviks, qui auraient projeté de trahir la classe ouvrière aussi bien en Russie qu’internationalement. Cette notion infantile ne peut rien expliquer dans l'histoire. Mais la classe ouvrière n’a pas pu réagir pour redresser ses propres organisations à cause de la défaite et du reflux de la vague révolutionnaire; c’est cette même défaite qui a provoqué la dégénérescence définitive de des organisations et de leurs principes révolutionnaires.

Marx et Engels avaient constate qu'un parti ou une internationale ne pouvaient demeurer un instrument de la classe lors­qu'il y avait un cours général de réaction. Cet instrument de la classe ne peut demeurer une unité organisationnelle lors­qu'il n'y a plus de praxis de la classe, il  est pénétré lui-même du reflux ou de la défaite,  et éventuellement sert alors la confusion ou la contre-révolution. C’est pourquoi Marx a dissous la Ligue des Communistes après le reflux de la vague révolutionnaire de 1848 et a sabordé la Première Internationale (en l'envoyant à New-York) après que la défaite de la Commune de Paris ait marqué la fin d’une période. La III° Internationale, malgré son authentique contribution au mouvement ouvrier a souffert d'un long processus de corruption durant la période ascendante du capitalisme, où elle était de plus en plus liée au réformisme et donnait une vision nationale à chaque Parti. Son passage définitif dans le camp bourgeois survint avec la guerre de 1914, lorsqu'elle collabora à l'effort de la guerre impérialiste. Tout au long de cette période de crise pour la clause ouvrière, la tache continuelle d'élaboration théorique- et de développement de la conscience de classe incomba aux "fractions" révolutionnaires de la classe issues des anciennes organisations, qui préparaient le terrain pour la construction d'une nouvelle organisation.

La IIIe Internationale fut construite comme expression de la vague révolutionnaire des années qui suivirent la guerre mondiale, mais la défaite des tentatives révolutionnaires et la victoire de la contre révolution sonna son glas en tant qu'instrument de la classe. Le processus  de contre révolution fut achevé (bien qu'il ait commencé avant) lors de la déclaration du "socialisme en un seul pays" ; la fin définitive de toute possibilité objective pour la subsistance des fractions révolutionnaires dans l'Internationale et la fin de toute une période.

L’idéologie bourgeoise peut pénétrer, dans une période de reflux, la lutte prolétarienne, à cause de la force des idées de la classe dominante dans la-société. Mais lorsqu’une organisation est définitivement passée dans le camp bourgeois, le chemin est fermé à toute possibilité de "régénérescence". De même qu'aucune    fraction vivante exprimant la conscience de classe prolétarienne ne peut surgir d’une organisation bourgeoise, et ceci inclut aujourd'hui les staliniens, les trotskystes et les maoïstes  (même si des individus peuvent être capables de faire la rupture) ; de même l'IC et tous les partis qui sont restés en son sein, furent
irrémédiablement perdus pour le prolétariat.

Ce processus est plus facile à voir avec le recul que nous avons aujourd'hui qu'il ne l'était malheureusement pour l'ensemble de la classe à l'époque,  ou pour beaucoup de ses éléments les plus politises. Le processus de contre-révolution qui a condamné l'IC, a semé une terrible confusion dans le mouvement ouvrier pendant ces cinquante dernières années. Même ceux qui ont poursuivi la tache, d'élaboration théorique dans les sombres années 30 et 40, ceux qui restaient du mouvement de la gauche communiste, mirent longtemps à  voir toutes les implications de la période de défaite. Laissons les modernistes arrogants ([2] [5]) qui ont "tout découvert" dans les années 74-75,  apprendre aux ombres ce que l'histoire aurait du être.

LE CONTEXTE  RUSSE

La politique internationale des bolcheviks, leur rôle dans le processus de contre révolution internationale n'est pratiquement pas discuté dans la brochure de RWG "Révolution et contre révolution en Russie" et n'est que mentionné en passant dans le texte de Forward. Pour ces camarades,  la contre révolution commence essentiellement avec la NEP (Nouvelle Politique Economique). La NSP fut, pour eux, "le tournant de l'histoire de l'Union Soviétique". La même année, le capitalisme fut restauré, la dictature politique vaincue et l'Union Soviétique devint un Etat ouvrier". (Révolution et contre révolution en Russie,  p.7)

D'abord, il faut dire que quels que soient les événements dans le contexte russe, une révolution internationale ou un internationale ne meurent pas à cause d'une mauvaise politique économique dans un pays. Le lecteur cherchera en vain un cadre cohérent qui permette d'analyser la NEP ou les événements ultérieurs en Russie en général.

La dégénérescence de la Révolution sur le sol russe s'exprimait essentiellement par le déclin graduel mais mortel des Soviets et par leur réduction en un simple appendice du Parti-Etat bolchevik. L'activité autonome du prolétariat, la démocratie ouvrière à l'intérieur du système des soviets étaient la base principale de la victoire d'Octobre. Mais dès 1918, il apparaît clairement que le pouvoir politique des Conseils Ouvriers était en train d'être entamé et étouffé par l’appareil d'Etat. Le point culminant de la période de déclin des soviets en Russie fut le massacre d'une partie de la classe ouvrière à Kronstadt. Le RWG fixé sur la NEP, n'a même pas mentionné le massacre de Kronstadt par rapport à l’analyse de l'Etat russe. Ce fait n'est pas si étonnant. Kronstadt n'est mentionné dans aucun des deux textes principaux sur la Russie, pas plus que Rapallo. Il est peut être compréhensible que les camarades du RWG, récemment issus du dogme trotskiste, n’avaient pas encore compris, lorsqu'ils ont écrit ces articles, que Kronstadt n'était pas la "mutinerie contre-révolutionnaire" dont parlaient Lénine et Trotski. Ce qui est moins compréhensible, c'est qu'ils accusent nos camarades d'Internacionalismo de ne pas être capables de voir "la dégénérescence de la révolution du vivant de Lénine".

L’erreur fondement aie du parti Bolchevik en Russie était la conception selon laquelle le pouvoir devait être exercé par une minorité de la classe, le Parti. Ils croyaient que le parti pouvait apporter le socialisme à la classe et ils n'ont pas vu que c'était la classe dans son ensemble organisée en Soviets, qui était le sujet de la transformation socialiste. Cette conception du Parti prenant le pouvoir étatique existait dans toute la gauche,  à un degré ou à un autre,  même chez Rosa Luxemburg,  jusqu'aux écrits du KAPD en 1921. L'expérience russe du parti au pouvoir, que le prolétariat payait de non sang, marque une frontière de classe définitive sur la question de la prise de pouvoir par un parti ou une minorité de la classe, "au nom de la classe ouvrière". A partir de cette expérience, la leçon de la non identification de l'Etat et du parti devint un signe distinctif des fractions révolutionnaires de la classe et encore plus loin que le rôle des organisations politiques de la classe est de contribuer à la conscience de la classe et non de se substituer à l'ensemble de la classe.

Les intérêts historiques de la classe ouvrière en tant que destructeur du capitalisme n'était pas toujours compris dès le départ, et ne pouvait pas l'être, le développement de la conscience politique de la classe étant constamment entravé par l'idéologie bourgeoise dominante. Marx écrivit, le manifeste communiste sans voir que le prolétariat ne pouvait pas s’emparer de l’appareil de l'Etat bourgeois pour s'en servir. L'expérience vivante de la Commune de Paris était nécessaire pour prouver de façon irréfutable que le prolétariat devait détruire l'Etat bourgeois pour pouvoir exercer sa dictature sur la société. De même,  la question du rôle du Parti était en débat dans le mouvement ouvrier jusqu'en 17, mais l'expérience russe marque une frontière de classe sur ce point. Tous ceux qui-répètent ou théorisent la répétition des erreurs des bolcheviks sont de l'autre côté delà frontière de classe.

Ce que l'Etat Busse a détruit en affaiblissant les soviets, c'était la force mène du socialisme. En l'absence de l'activité autonome, organisée, de l'ensemble de la classe, tout espoir de régénération fut progressivement éliminé, la politique économique des bolcheviks était débattue, changée, modifiée, mais leur action politique en Russie fut fondamentalement un processus continu qui a creusé la tombe de .la révolution. Tout ce processus devient encore plus clair quand on lé voit dans le contexte de la défaite internationale du mouvement dont il faisait partie.

LÀ DICTATURE DU PROLETARIAT

Une des premières, des plus importantes leçons qui doivent être tirées de l'expérience révolutionnaire de la période d'après la première guerre est que la lutte prolétarienne est avant tout une lutte internationale et que la dictature du prolétariat (que ce soit dans un secteur ou à l'échelle mondiale) est d'abord et avant tout une question politique.

Le prolétariat, à l'inverse de la bourgeoisie,  est une classe exploitée et non exploiteuse. Elle n'a donc pas de privilège économique sur lequel appuyer son avenir de classe. Les révolutions bourgeoises étaient essentiellement une reconnaissance politique d'un fait économique accompli. La classe capitaliste était devenue la classe économique dominante de la société,  bien avant le moment de sa révolution. La révolution prolétarienne, par contre, entreprend une transformation économique à partir d'un point de départ politique : la dictature du prolétariat. La clause ouvrière n’a aucun privilège économique à défendre dans l'ancienne société comme dans la nouvelle,  et n’a que la capacité de s'organiser et sa conscience de classe,  son pouvoir politique organisé en Conseils Ouvriers pour le guider dans la transformation de la société. La destruction du pouvoir bourgeois et l'expropriation de la bourgeoisie doit être victorieuse à l'échelle mondiale avant que toute transformation sociale réelle puisse être entreprise sous la direction de la dictature du prolétariat.

La loi économique fondamentale de la société capitaliste, la loi de la valeur est la produit de l'ensemble du marché capitaliste mondial et ne peut en aucune façon et par aucun moyen être éliminée dans un seul pays (même dans un des pays, les plus développés) ou dans un ensemble de plusieurs pays, mais seulement à l'échelle mondiale. Il n'existe aucun échappatoire à ce fait même en le reconnaissant pieusement pour ensuite l'ignorer en parlant de possibilités d'abolir tout de suite l'argent et le travail salarié (qui sont corollaires de la loi de la valeur et du système capitaliste dans son ensemble) dans un seul pays. Les seules armes dont dispose le prolétariat pour mener à bien la transformation de la société qui suit et ne précède pas la prise de pouvoir par les Conseils Ouvriers internationalement sont :

 

  • 1- la force organisée et armée pour mener à la victoire de la révolution dans le monde entier.
  • 2- La conscience de son programme communiste, orientation politique pour la transformation économique de la société.

 

 

La victoire du prolétariat ne dépend pas de sa capacité à "gérer" une usine ou même toutes les usines d'un pays. Gérer la production alors que le système capitaliste continue à exister condamne cette "gestion" à être la gestion de la production de plus-value et de l'échange. La première tâche de tout prolétariat vainqueur dans un pays ou un secteur n’est pas de se préoccuper de la façon de créer un "mythique îlot de socialisme" qui est impossible mais de donner toute l'aide possible à son seul espoir —la victoire de la révolution mondiale.

Il est de la plus grande importance de définir des priorités sur ce point. Les mesures économiques que prendra le prolétariat dans un pays, ou dans un secteur,  sont une question secondaire. Dans le meilleur des cas,  ces mesures ne sont que des mesures destinées à parer au pire et tendent à aller dans un sens positif : toute erreur peut être corrigée si la révolution avance. Mais si le prolétariat perd sa cohérence politique, sa force armée, ou si les Conseils Ouvriers perdent leur contrôle politique et leur claire conscience du sens dans lequel aller, alors il n’y a plus d’espoir de corriger les erreurs ou d'instaurer le socialisme. Aujourd'hui, de nombreuses voix s'élèvent contre cette conception; certaines de ces voix proclament qu'enfermer la lutte prolétarien ne sur le terrain politique n'est qu'un non-sens, une vieillerie réactionnaire. En fait, la conception selon laquelle la classe révolutionnaire est une classe définie objectivement, le prolétariat,  est aussi pour eux une vieillerie et devrait céder la place à une "classe universelle" rassemblant tous ceux qui sont "opprimés", tourmentés psychologiquement ou ayant un penchant philosophique pour la révolution.

Les "rapports communistes", ou selon un groupe anglais du même nom la "pratique communiste" peuvent être réalisés immédiatement,  il  suffit que les "gens" le désirent. Pour eux,  le plus important n'est pas la prise de pouvoir du prolétariat à l'échelle internationale et l'élimination de la classe capitaliste, mais l'instauration immédiate des soi-disant "rapports communistes" sous la poussée spontanée des "gens en général".

Les éléments purement abstraits et mythiques qui sous tendent cette théorie n’enlèvent rien au fait qu'elle peut parfaitement servir de couverture à l'idéologie "autogestionnaire". Face à l'accroissement du mécontentement de la classe ouvrière s'exprimant en mouvements de masse avec l'approfondissement de la crise capitaliste, une des réactions de la bourgeoisie pourra être de dire aux ouvriers; vos intérêts ne sont pas de vous lancer dans des problèmes "politiques" comme la destruction de l'Etat (bourgeois, mais de prendre les usines et de les faire marcher "pour vous-même",  dans l'ordre. La bourgeoisie essaiera d'épuiser les ouvriers derrière un programme économique d'autogestion de l'exploitation et pendant ce temps la classe capitaliste et son Etat attendront pour cueillir les fruits. C'est ce qui s'est passé en Italie en 1920, ou "Ordino Nuovo" et Gramsci exaltaient  les possibilités économiques qu'ouvraient les occupations d'usines pendant que la fraction de gauche, avec Bordiga, disaient que les Conseils Ouvriers, bien qu'ils aient leurs racines dans l'usine, doivent mener une attaque frontale contre l'Etat et le système DANS SON ENSEMBLE, ou mourir.

Les camarades du RWG ne rejettent pas la lutte politique. Ils se bornent à dire que le contexte politique et les mesures économiques sont également importants et cruciales. Dans un sens, ils ne font que répéter un truisme marxiste : le prolétariat,  classe exploitée, ne se bat pas pour prendre le pouvoir politique sur la bourgeoisie dans le but de satisfaire une quelconque psychose de pouvoir, mais pour jeter les bases d'une transformation sociale par la lutte de classe et l'activité autonome et organisée de la seule classe révolutionnaire qui, en se libérant de l'exploitation libérera l'humanité toute entière de l'exploitation pour toujours. Mais les camarades du RWG n'ont aucune idée concrète de la façon dont peut se dérouler ce processus de transformation sociale. La révolution est un assaut rapide contre l'Etat, mais la transformation économique de la société est un processus qui se déroule à l'échelle .mondiale et qui est d'une extrême complexité. Pour mener à bien ce processus économique, le cadre politique de la dictature de la classe ouvrière doit être clair. Avant tout, il faut reconnaître que la prise de pouvoir du prolétariat ne veut pas dire que le socialisme peut être instauré par décret. Donc :

  • 1- La transformation économique ne peut que suivre et non pas précéder la révolution prolétarienne (il ne peut y avoir deux "constructions socialiste" au sein du pouvoir de la classe capitaliste). La transformation économique ne  se produit pas non plus simultanément avec la prise de pouvoir de la classe sur la société.
  • 2- Le pouvoir politique du prolétariat ouvre la voie à la transformation socialiste, mais le principal rempart qui protège la marche de la révolution, c'est l’unité et la cohésion de la classe, La classe peut faire des erreurs économiques qui doivent être corrigées, mais si elle laisse le pouvoir à une autre classe ou à un parti ou minorité, toute transformation économique devient par définition impossible»

A partir du fait que nous affirmons que la dictature politique du prolétariat est le cadre et la condition préalable pour la transformation sociale, l’esprit simpliste (RWG)  conclue: il semble qu'Internacionalismo nie la nécessité pour le prolétariat de mener une guerre économique contre le capitalisme" (Forward,  p44)

Contrairement à ce que proclame For­ward,  tout n'est pas immédiatement d'égale importance, ou de mené gravité, pour la lutte révolutionnaire. Dans un pays où la révolution vient juste de triompher, les conseils ouvriers peuvent considérer nécessaire de travailler 10 ou 12 heures par jour pour produire des armes et du matériel à envoyer à leurs frères assiégés d'une autre région. Est-ce le socialisme? Pas si l’on considère que les principes de base du socialisme sont la production pour les besoins humains  (et non pour la destruction)  et la réduction de la journée de travail. Est-ce que cette mesure doit alors être dénoncée comme une proposition contre révolutionnaire? Evidemment non, puisque la première tâche et le premier espoir de salut de la classe ouvrière est d'aider l’extension de la révolution internationale. Ne devons nous pas alors admettre que le programme économique est soumis aux conditions de la lutte de classe et qu'il n’existe pas de moyen de créer un paradis économique ouvrier dans un seul pays? Dans tout ceci, nous devons insister sur le fait que tout affaiblissement politique du pouvoir des Conseils dans les prises de décision et l'orientation de la lutte serait fatal.

Les révolutionnaires mentiraient à leur classe s'ils la berçaient de rêves dorés pleins de lait,  de miel et de miracles économiques, au lieu d'insister sur la lutte à mort et les terribles destructions que nécessite une guerre civile. Ils ne feraient que démoraliser leur classe en déclarant que les inévitables reculs économiques (dans un pays ou plusieurs) signifient la fin de la révolution. En mettant ces questions sur le même plan immédiat que la solidarité politique, la démocratie prolétarienne ou le pouvoir de décision du prolétariat, ils détourneraient la force décisive de la lutte  de classe et compromettraient ainsi le seul espoir d'entamer-une-période de transition au socialisme à l'échelle mondiale.

Le RWG répond que "tout ne peut pas être pareil qu'avant, après la révolution" et met l'accent sur les tragiques conditions des ouvriers en Russie en 1921. Mais ils ne nous disent pas de quelles conditions ils parlent. Est-ce-que c'est que les organisations de masse de la classe ouvrière étaient exclues de toute participation effective à l’Etat Ouvrier"? Qu'on réprimait les ouvriers en grève à Petrograd ? S’ils parlent de ces conditions,  ils touchent là le cœur de la dégénérescence de la révolution. Ou bien parlent-ils simplement de la famine? Ici encore, il  est inutile à nos yeux de prétendre que les difficultés et les dangers de famine ne pourront pas exister après la révolution. Ou bien parlent-ils du fait que les ouvriers avaient encore à travailler dans les usines, que les salaires existaient encore (peut-on les abolir dans un seul pays ?) ainsi que l'échange? Bien que ces pratiques ne soient évidemment pas le socialisme, elles sont cependant inévitables à moins de prétendre pouvoir éliminer la loi de la valeur en un clin d'œil. Comme le dit le KWG, "un trait doit être tiré quelque part". Mais où? En mélangeant l'importance cruciale d'une cohérence politique et le pouvoir de la classe avec les reculs économiques,  les problèmes de la lutte future se réduisent à une espérance de réalisation miraculeuse de nos vœux les plus sincères.

Le socialisme (ou les rapports sociaux communistes, ces termes sont utilisés ici de façon interchangeable)   se définit essentiellement par l'élimination totale de toutes les "lois économiques aveugle" et surtout de la loi de la valeur qui régit la production capitaliste, élimination qui permettra de satisfaire les besoins de l'humanité. Le socialisme est la fin de toutes les classes (l'intégration de tous les secteurs non capitalistes à la production socialisée et le début du travail associé décident de ses propres besoins), la fin de toute exploitation. De toute nécessité d'un Etat (expression d’une société divisée), de l'accumulation du capital avec "son corolaire le travail salarié et de l'économie de marché. C'est la fin de la domination du travail mort (capital)  sur le travail vivant. Donc le socialisme n'est pas une question de création dé nouvelles lois économiques, mais l'élimination des bases des anciennes lois sous l'égide du programme communiste prolétarien.

Le capitalisme n'est pas un méchant bourgeois avec uni gros cigare mais toute l'organisation actuelle du marché mondial, la division du travail à l'échelle mondiale, la propriété privée des moyens de production, y compris celle de la paysannerie, le sous-développement et la misère,  la production pour la destruction,  etc. Tout cela doit être extirpé et éliminé de l'histoire humaine pour toujours. Ceci nécessite un processus de transformation économique et social, à l'échelle mondiale de proportions gigantesques,  qui prendra au moins une génération. Et c'est sur quoi il faut insister, c'est qu'aucun marxiste ne peut prévoir les détails de la nouvelle situation qu'aura à affronter le prolétariat après la révolution mondiale. Marx a toujours évité de "tirer des plans sur la comète" pour le futur et tout ce que peut apporter l'expérience russe c'est des lignes d'orientation très générales pour la transformation économique. Les révolutionnaires manqueraient à leur tâche si leur seule contribution était de rejeter la révolution russe pour n'avoir pris crée le socialisme en seul pays, ou de bâtir des rêvés sur la simultanéité de construction du cadre politique et de la transformation économique.

Le véritable danger du programme économique de la révolution  c'est que les grandes lignes directives ne soient pas claires, qu'on ne sache pas quelles sont les mesures qui vont donner le sens de la destruction des rapports de production capitaliste (et donc vers le capitalisme) qui devront être appliquées dès que possible. C'est une chose de dire que dons certaines conditions ne pourrons être contraints de travailler de longues heures, ou ne pas être capables d'abolir immédiatement l'argent dans un secteur. C'en est une autre de dire que le socialisme signifie travailler plus durement ou encore pire que les nationalisations et le capitalisme d'Etat sont un pas en avant vers le socialisme. Ce n'est pas tant pour avoir mis la NEP en place afin de sortir du chaos du communisme de guerre que les bolcheviques doivent être blâmés mais bien pour avoir présenté les nationalisations ou bien le capitalisme d'Etat comme une aide à la révolution ou avoir prétendît que la "compétition économique avec l'Ouest" prouverait la grandeur de la productivité socialiste, un programme de transformation économique clair est une nécessité absolue, et aujourd'hui, après 50 ans de recul, nous pouvons voir plus clairement la question que les bolcheviks ou toute autre expression politique du prolétariat à l'époque.

La classe ouvrière a besoin d'une orientation claire de son programmé politique clé de la transformation économique, mais non de fausses promesses de remèdes immédiats aux difficultés ou de mystifications sur la possibilité d'éliminer la loi de là voleur sur décret.

LA N E P

Le RWG n'est pas le seul à insister sur la NEP, beaucoup de ceux qui viennent de rompre avec le "gauchisme", et particulièrement avec les diverses variétés trotskystes, font de même. Après  avoir défendu la théorie insensée selon laquelle des "Etats ouvriers" existent aujourd'hui, la collectivisation dans les mains de l'Etat "prouvent" le caractère socialiste de la Russie actuelle, ils cherchent à présent "le point où le changement entre 17 et aujourd'hui a du se produire" (Forward, p.44) en Russie. C'est la question que posent toujours les trotskystes avec satisfaction : " à quel moment le capitalisme est-il donc revenu ?".

La NEP n'était pas une invention produite par le cerveau des leaders bolcheviks. Elle reprend, d'ailleurs, pour une large part, le programme de la révolte de Kronstadt. La révolte de Kronstadt met en avant une revendication politique-clé pour sauver la révolution: la restitution du pouvoir aux Conseils Ouvriers,  la démocratie prolétarienne et la fin de la dictature bolchevik par l'Etat. Mais économiquement;  les ouvriers de Kronstadt,  poussés par la famine vers l'échange individuel avec les paysans pour obtenir de la nourriture,  ont proposé un "programme" qui demandait tout simplement une régularisation de l'échange, placée sous la direction des ouvriers.

— une régularisation du commerce pour en finir avec la famine et la stagnation économique. Les chargements de nourriture envoyés aux villes russes étaient pris d'assaut par la population affamée et devaient être accompagnés par des gardes armés. Les ouvriers étaient souvent réduits à échanger des outils contre de la nourriture aux paysans. La situation était catastrophique et Kronstadt, aussi bien que les bolcheviks, ne pouvait rien proposer d'autre qu'un retour à une sorte de normalisation économique, qui ne pouvait être que le capitalisme.

L'attaque que fait le RWG à la NEP ne tient pas compte du contexte historique dans laquelle elle a été adoptée. Plus encore, il fait des confusions sur certains des points essentiels de la guerre économique contre le capitalisme qu'il prétend défendre.

1- "Si les événements poussaient à la restauration de la propriété capitaliste en Russie,  comme cela était le cas en partie, ..."  (Révolution et contre-révolution en Russie, p. 7) ; "la restauration du capitalisme signifiait la restauration du prolétariat en tant que classe en soi (?)…" (Idem, p. 17) ;"on se demande ce qu'il aurait fallu concéder de plus au capitalisme pour en arriver à sa restauration ?"  (Forward,  p. 46) (Nous soulignons).

Tout ceci est la claire preuve de la confusion qui est faite. La NEP n'était pas la "restauration" du capitalisme, vu que celui-ci n'avait jamais été éliminé en Russie. Le RWG fait plus loin la même confusion en ajoutant : "si la NEP n'était pas la reconnaissance des rapports économiques capitalistes normaux, c'est à dire légaux" (Révolution et contre révolution en Russie, p.7). Voilà qui est encore plus absurde : que les rapports capitalistes soient ou ne soient pas légaux,  c'est à dire que leurs existences soient ou ne soient pas reconnues, n'est qu'une question juridique. Quelle "pureté" gagne-t-on à prétendre que la réalité n'existe pas? De toute façon, qu'elle soit reconnue légalement ou non ne change rien à la réalité économique. Si la NEP marquait un point décisif, ce n'est pas parce qu’elle réintroduisait (ou reconnaissait) l'existence des forces économiques capitalistes ; les lois fondamentales de l'économie capitaliste dominaient le contexte russe pare qu’elles dominaient le marché mondial. ([3] [6])

Ceci peut conduire certains à dire qu'ils savent que la Russie a toujours été capitaliste et que c'est bien la preuve qu'il n'y a pas eu de révolution prolétarienne. Jamais nous ne serons en mesure d'identifier une révolution prolétarienne si nous nous entêtons à la concevoir comme une transformation économique complète du jour au lendemain. Une fois de plus, nous revenons au thème du "socialisme en un seul pays" qui est suspendu, tel un nuage menaçant,  au dessus de l'expérience russe, La NEP, avec ses nationalisations des industries-clés,  fut un pas en avant vers le capitalisme d'Etat, mais elle ne fut pas un revirement fondamental du "socialisme"  (ou d'un système autre que le capitalisme)  vers le capitalisme.

2- "Elle (la NEP) représente réellement une trahison des principes, une trahison programmatique des frontière de classe" (Révolution et contre révolution, p. 7).  Ceci est le cœur de l'argumentation, bien que cet argument  soit la suite naturelle de ce qui précède. Personne n'est assez fou pour prétendre que la classe ouvrière ne peut jamais reculer. Bien que d'une façon générale, la révolution doive avancer ou périr, ceci ne peut jamais être pris unilatéralement  et  signifier que nous puissions avancer en ligne droite et sans problème.

La question qui se pose est alors la suivante : qu'est ce qu'un recul inévitable, qu'est-ce qu'une mise en danger des principes ? Le programme bolchevik, dans sa mesure où il faisait une apologie mystificatrice du capitalisme d'Etat, était un programme anti-prolétarien, mais l'incapacité d'abolir la loi de la valeur ou de l'échange dans un seul pays n'est en rien une "trahison des frontières de classe".  Soit on distingue clairement ceci, soit on doit défendre la position selon laquelle le prolétariat aurait du en arriver au socialisme intégral  en Russie. Ceci étant par définition impossible,  les révolutionnaires n'auraient plus qu’à masquer l'incapacité d'appliquer le programme en mentant sur ce qui aurait réellement du être fait.

Des reculs sur le terrain économique seront certainement inévitables, dans nombre de cas (malgré la nécessité d’une orientation claire), mais un recul  sur le terrain politique signifie la mort pour le prolétariat.  C'est la différence fondamentale qu'il y a entre la NEP et le massacre de Kronstadt,  entre la NEP et le traité de Rapallo ou les tactiques de "front unique".

 

  • "Qu'auraient fait les camarades d'Internacionalismo dans une telle situation? Auraient-ils restauré l'économie marchande ? Auraient-ils décentralisé l'industrie pour la mettre dans les mains des managers ? Auraient-ils réhabilité le rouble ? En bref, auraient-ils pris en charge un "recul" qui en fait était une défaite ?  ... Auraient-ils subordonné les intérêts de la révolution prolétarienne mondiale aux intérêts du capital national russe ?" (Forward, p. 45).

 

Cette approche historique du "qu'auriez vous fait" est stérile par définition, l’histoire ne pouvant être changée ou "jugée" avec notre conscience (ou notre manque de conscience) actuelle. Toutefois, les naïves questions posées par le RWG montrent qu'ils n'ont pas compris la différence entre un recul  et une défaite.

L'économie marchande? Jamais elle n’a été détruite internationalement, seul moyen de la faire disparaître, aussi personne n’a pu la restaurer en Russie —elle y a toujours existé. Le rouble? Encore une question absurde selon les analyses marxistes du capitalisme mondial et du rôle de l’argent, La décentralisation de l’industrie? Cette question politique remet fortement en question le pouvoir des Conseils Ouvriers et appartient à un autre domaine. Défendre les intérêts du capital russe? Ceci était clairement le glas qui sonnait la mort de la révolution elle-même.

" (la transformation économique) ne pouvait être accomplie par décret, mais le décret en est le premier pas". Si le RWG entend par décret le programme de la classe ouvrière, il ne nous reste plus qu’à "décréter" le communisme intégral immédiatement. Et après? Comment y arriverons-nous ? Nous devons : soit abandonner le combat, soit mentir et prétendre qu'il est possible d'arriver au socialisme dans des petites républiques socialistes.

Une révolution dans un pays comme l'Angleterre par exemple (qui est loin d'être un pays avec une économie arriérée, sous-développée comme la Russie), ne pourrait résister que quelques semaines avant d'être étouffée par la famine (dans le cas d'un blocus). Quel sens y aurait-il à parler d'une guerre économique toujours victorieuse contre le capitalisme,  au milieu d'une agonie de famine à court terme ? La seule politique qui protège et défende un bastion révolutionnaire est là lutte révolutionnaire offensive à l'échelle internationale et le seul espoir est la solidarité politique de la classe,  son organisation autonome et la lutte de classe internationale.

QUELQUES MESURES POUR UN PROGRAMME DE TRANSITION.

Le RWG,  avec tous leurs bavardages sur la NEP, n'offre aucune suggestion pour une orientation valable de l'économie dans la lutte de demain. Dans quelle direction devrons nous aller, aussi loin que les circonstances de la lutte de classe nous le permettront ?

  • Socialisation immédiate des larges concentrations capitalistes et des principaux centres d'activité prolétarienne.
  • Planification de la production et de la distribution par les Conseils Ouvriers, d’après le critère du maximum de satisfaction possible des besoins (des travailleurs et de la lutte de classe)  et non pour l' accumulation.
  • Tendance à réduire la journée de travail.
  • Elévation substantielle du niveau de vie des ouvriers, incluant l'organisation immédiate des transports, de l'habitat, des services médicaux gratuits,  le tout pris en charge par les Conseils Ouvriers.
  • Tentatives d'éliminer, dans la mesure du possible, la forme salariale et l'argent, même si cela prend la forme d'un rationnement des biens, s'ils sont en quantité insuffisante, par les Conseils Ouvriers, pour la société toute entière. Ceci sera plus facile dans les secteurs où le prolétariat est fortement concentré et à beaucoup de ressources à sa disposition.
  • Organisation des rapports entre les secteurs socialisés et les secteurs où la production reste individuelle (surtout à la campagne),  orientée vers un échange organisé et collectif;  dans un premier temps à travers les coopératives (amenant éventuellement a l'élimination de la production privée et de l’échange si la lutte des classes est victorieuse à la campagne), mesure qui représente un pas en avant vers la disparition de l’économie de marchés et des échanges individuels.

 

 

 

 

 

Ces points doivent être pris comme des suggestions pour l'orientation future, comme une contribution au débat qui se mène au sein de la classe sur ces questions.

L’OPPOSITION    OUVRIERE

Comme les camarades du RWG ne comprennent pas la situation russe, ils s'y perdent. Ils essaient d’offrir une orientation pour le futur en choisissant certains côtés des différentes fractions qui s'opposaient en Russie.  Tout comme ceux qui rejettent complètement le passé et prétendent que la conscience révolutionnaire est née d'hier (avec eux, bien sûr), le RWG prend apparemment le contre-pied et répond à l'histoire dans ses propres termes. Ceci n'est pas un enrichissement des leçons du passé, mais un désir de le revivre et de "faire mieux",  au lieu d'être une tentative de chercher ce qu'on peut en tirer aujourd’hui.

Le RWG écrit donc : "c'est notre programme, le programme de l'Opposition Ouvrière,  qui prône l'activité autonome de la classe ouvrière contre le bureaucratisme, et les tendances à la restauration du capitale. Ceci révèle un manque de compréhension fondamentale de ce que signifiait réellement l'Opposition Ouvrière dans le contexte des débats en Russie. L'Opposition Ouvrière était un des nombreux groupes qui se sont battus contre l'évolution des événements dans los circonstances de dégénérescence en Russie. Loin de rejeter leurs efforts souvent courageux, il est cependant nécessaire de considérer leur programme.

L'Opposition ouvrière n'était pas contre le "bureaucratisme", mais contre la bureaucratie d'Etat et pour l'utilisation de la bureaucratie syndicale. Les syndicats devaient être l'organe de gestion du capital en Russie et non la machine du parti-Etat. L'Opposition ouvrière pouvait vouloir défendre l'initiative de la classe ouvrière, mais elle ne pouvait l'envisager que dans un contexte syndical. La véritable vie de la classe dans les soviets avait été presque entièrement éliminée en Russie en 1920-21, mais cela ne voulait pas dire que les syndicats,   et non plus les conseils ouvriers,  étaient les instruments de la  dictature du prolétariat. C'est le même genre de raisonnement qui a amené les bolcheviks a conclure à la nécessité de revenir à certains aspects du vieux programme social-démocrate (infiltration dans les syndicats, participation au parlement, alliances avec les centristes,  etc.) du moment que le programme du premier , congrès de l'I.C ne pouvait plus être facilement mis en pratique du fait des défaites en Europe. Même si les soviets étaient écrasés, l'activité autonome de la classe (sans parler de son activité révolutionnaire) ne pouvait plus s'exercer dans les syndicats dans la période de décadence du capitalisme. Tout le débat sur les syndicats reposait sur une fausse base : les syndicats auraient pu être substitués à l'unité de la classe dans les conseils ouvriers. En ce sens, la révolte de Kronstadt,  appelant à la régénération des soviets, était plus claire sur la question. Pendant ce temps l'opposition ouvrière apportait son accord et son soutien à l'écrasement militaire de Kronstadt.

Il faut comprendre historiquement que dans le contexte russe, les arguments de ce débat tournaient autour de la façon de "gérer" la dégénérescence de la révolution, et que ce serait le summum de l'absurdité de faire sien un tel programme aujourd'hui. Plus encore, le RWG affirme : "mais nous sommes sûrs d'une chose : si le programme de l'Opposition Ouvrière avait été adoptée, le programme de l'activité autonome du prolétariat, la dictature prolétarienne en Russie serait morte (si elle était morte) en combattant le capitalisme et non en s'adaptant à lui. Et il y a des chances pour qu'elle ait pu être sauvée par la victoire de l'Ouest. Si ce programme de lutte avait été adopté,  il n’aurait peut-être pas eu de retraite internationale. Il y aurait eu des chances pour que la Gauche Internationale ait prédominé dans l'I.C. " (Forward, p. 48-49)

Ceci prouve seulement qu'il y a une conviction persistante chez le RWG que si la RUSSIE avait fait mieux, tout aurait été différent. Pour eux la Russie est le pivot de tout. Ils prennent aussi sur eux d'affirmer;  comme nous l'avons vu, que si les mesures économiques avaient été différentes,  la trahison politique aurait été évitée, et non le contraire. Mais l'absurdité historique de cette hypothèse est montrée par:  "Il y aurait peut-être eu des chances pour que la gauche internationale ait prédominé dans l'IC"

La Gauche Internationale dont nous présumons qu'ils parlent ne comprenait pas très clairement le programme économique à l'époque. Mais le KAPD, par exemple,  se basait sur le rejet du syndicalisme et de sa bureaucratie. L'Opposition Ouvrière ne trouvait que peu ou rien à redire sur la stratégie bolchevik à l'Ouest,  et servait  toujours de tampon à la politique bolchevik officielle sur la question, y compris sur les 21  conditions du second congrès de l'IC (comme le fit Ossinsky). La vision de l'Opposition Ouvrière devenant le point de ralliement de la Gauche Internationale est une pure invention du RWG, parce qu’ils ne connaissent pas l'histoire dont ils parlent avec tant de légèreté.

Alors que le RWG dit que de "scruter là boule de cristal n'est pas une tâche révolutionnaire"  (Forward, p°48),  ils se perdent seulement quelques lignes avant dans les horizons infinis que l'Opposition Ouvrière aurait ouverts à la classe ouvrière. On pourrit dire qu'en plus d'éviter les boules de cristal,  il serait bon de savoir de quoi on parle.

LES LEÇONS D’OCTOBRE

Notre but essentiel dans cet article n'est pas de polémiquer, encore qu'il soit indubitablement utile de faire la lumière sur certaine points. La tache essentielle des révolutionnaires est de tirer de l'histoire des points pour l'orientation de la lutte future. Le débat qui porte spécifiquement sur la question de savoir quand la révolution russe a dégénéré est moins important que :

 

  • 1. — Voir que cette dégénérescence a eu lie
  • 2. — Discerner pourquoi elle a eu lie
  • 3. — Essayer de contribuer à la prise de conscience de la classe en synthétisant les apports positifs et les apports négatifs de cette époque.

 

 

 

C'est en ce sens que nous aimerions; apporter une contribution à une vision générale de l'héritage essentiel que nous a laissé l'expérience de la vague révolutionnaire d'après-guerre, pour aujourd'hui et pour demain ?

1.     —Là révolution prolétarienne est une révolution internationale, et la première tâche de la classe ouvrière dans un pays est de contribuer à la révolution mondiale.

2.     — Le prolétariat est la seule classe révolutionnaire, le seul sujet de la révolution et de la transformation sociale. Il est clair aujourd'hui que toute alliance "ouvriers-paysans" est à rejeter.

3. —Le prolétariat dans son ensemble, organisé en Conseils Ouvriers,  constitue  la dictature du prolétariat. Le rôle du parti politique de la classe n'est pas de prendre le pouvoir d'Etat, de "diriger au nom de la classe", niais de contribuer à développer et à généraliser la conscience de la classe, à l'intérieur de celle-ci. Aucune minorité politique de la classe ne peut exercer le pouvoir politique à sa place.

4. — Le prolétariat doit diriger son pouvoir armé contre la bourgeoisie. Bien que la principale façon d’unifier la société doive être d'intégrer les éléments non prolétariens et non exploiteurs dans la production socialisée,  la violence contre ces secteurs peut être à certains moments nécessaires, mais elle doit être exclue comme moyen de résoudre les débats à l’intérieur du prolétariat et de ses organisations de classe. Tous les efforts doivent être faits, par le moyen de la démocratie ouvrière, pour renforcer l’unité et la solidarité du prolétariat.

5. — Le capitalisme d'Etat est la tendance dominante de l'organisation capitaliste en période de décadence. Les mesures de capitalisme d'Etat, y compris les nationalisations ne sont en aucune façon un programme pour le socialisme, ni une "étape progressive", ni une politique qui puisse "aider" la marche vers le socialisme.

6. — Les lignes générales des mesures économiques qui tendent à éliminer la loi de la valeur la socialisation de la production industrielle et agricole pour les besoins de l’humanité, mentionnée ci-dessus représentent une contribution à l’élaboration d'une nouvelle orientation économique pour la dictature du prolétariat.

Ces points, rapidement esquissés ici, n’ont pas la prétention de faire le tour de la complexité de l'expérience révolutionnaire, mais peuvent servir de points de repère pour une élaboration future.

Il y a beaucoup de petits groupes qui se développent aujourd'hui, comme le RWG, avec la reprise de la lutte de classe et il est important de comprendre les implications de leur travail et d'encourager les échanges d'idées dans le milieu révolutionnaire. Mais il y a un danger à ce que,  après tout d'années de contre-révolution, ces groupes ne soient pas capables de s'approprier l'héritage du passé révolutionnaire. Comme le RWG, beaucoup de ces groupes pensent qu'ils "découvrent" l'histoire pour la première fois, comme si rien n'avait existé avant eux. Ceci peut amener des aberrations de ce genre : se fixer sur le programme de l'Opposition dans le vide, comme si on "découvrait" chaque jour une "nouvelle pièce du puzzle", sans placer les nouveaux éléments dans un contexte plus large. Sans connaître le travail de la Gauche Communiste (et être critique à son égard) (KAH), Gorter, Gauche Hollandaise, Pannekoek, "Workers Preadnaught", la Gauche italienne, la revue Bilan dans les années trente et Internationalisme dans les années quarante, le Communisme des Conseils et Living Marxisme autant que les Communistes de Gauche russes), et sans, le voir non comme des pièces séparées d'un puzzle, mais en le comprenant dans des termes généraux de développement de la conscience révolutionnaire de la classe, notre travail serait condamné à la stérilité et à l'arrogance du dilettant.

Ceux qui font l'effort indispensable de rompre avec le gauchisme devraient comprendre qu’ils ne sont pas seuls à marcher suit le chemin de la révolution,  que ce soit dans l'histoire ou aujourd'hui.

Judith Allen.


[1] [7] RWG,  PO Box 60161, 1723 V. Devon,  Chicago Illinois, 60660, USA.

[2] [8] Voir WR  n°23,  "From Modernism Into the Void"    

[3] [9] La politique de communisme de guerre dans le pays pendant la guerre civile, tant vantée par le RWG, n'était pas plus "non-capitaliste" que la NEP. L'expropriation violente des biens des paysans, bien qu'étant une mesure nécessaire pour l'offensive prolétarienne de l'époque, ne constituait en rien un "programme" économique (le pillage ?). Il est facile de voir que ces mesures temporaires, agissant par la force sur la production agricole, ne pouvaient durer indéfiniment. Avant, pendant et après le communisme de guerre, la base essentielle de la production restait la propriété privée. Le RWG a raison de souligner l'importance de la lutte de classe des ouvriers agricoles dans le pays, mais cette lutte n'anéantit pas automatiquement et immédiatement la paysannerie et son système de production, même dans le meilleur des cas.

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Russe [10]

Conscience et organisation: 

  • L'Opposition de Gauche [11]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La Révolution prolétarienne [12]

Révolution et contre-révolution en Italie (1919-1922). 2° partie: Face au fascisme.

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La première partie de ce texte a paru dans le n°2 de la Revue Internationale du Courant Communiste International.

LE  KOMINTERN ORGANISE LA DEFAITE

On allait à reculons : ressusciter l'ancienne social-démocratie, telle qu'elle était avant le krach de 14, avec ses révolutionnaires et ses opportunistes.

Il ne s'agissait donc plus d'écarter de l'Internationale les social-bellicistes et les socialistes gouvernementaux de la II° Internationale, adversaires jusqu' au bout de la guerre civile du prolétariat contre ses exploiteurs. En un mot, le Kominterm visait à rejeter par dessus bord 1’enseignement de la guerre impérialiste et de la révolution mondiale : 1'"absolue nécessité d'une scission avec le social-chauvinisme" ([1] [13]).

Or, le Programme d'Action du P.C.I. présenté au IV° Congrès Mondial de 1922 repoussait avec la dernière énergie le projet de fusion organisationnelle avec le P.S.I. que le Kominterm voulait péremptoirement pour le 15 février 23. Son refus reposait sur l'analyse amplement démontrée que la vraie fonction du maximalisme était de détourner, par une habile propagande électorale et syndicaliste, une importante partie des travailleurs de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir politique.

Dans les faits, fusionner signifiait la possibilité pour le P.S.I., dont une fraction les "terzinternazionalisti" se déclarait prête à accepter les conditions d'admission fixées au II° Congrès, primo de se remplumer par une opération d'escamotage de sa fonction, deuxio regagner aux yeux des travailleurs le prestige d’un parti disqualifié à tout jamais par les derniers événements„

A cette méthode de marchandage des principes conquis au feu de la lutte contre la social-démocratie, que le Kominterm préconisait pour attirer les girouettes maximalistes, la délégation italienne opposa qu'il fallait gagner au communisme les effectifs encadrés par l'appareil socialiste, en intervenant au premier rang de chacune des luttes engendrées par la situation économique. De la même manière, il fallait agir pour arracher aux autres partis à étiquette "ouvrière", les meilleurs éléments qui aspiraient à la dictature du prolétariat.

La thèse de travail, juste en partie, s'annihilait d'elle-même puisqu'elle préconisait l'agitation à partir d'organes bourgeois, tels les syndicats, les coopératives et mutuelles. Les motions du Comité Syndical Communiste avaient beau flétrir la "trahison d’Amsterdam", pouvaient rappeler tant et plus à la CGIL ses " devoirs de classe", n'empêche que celle-ci poursuivait sa route dans le sillage du capitalisme.

Le fait que des militants communistes eussent réussi à constituer leurs propres noyaux syndicaux reliés étroitement à la vie du parti ne changeait pas d'un pouce la dure réalité. Ils ne pouvaient arrêter la roue de l'histoire, c'est-à-dire empêcher les syndicats de s'incruster sur le terrain capitaliste, de se mouler dans les plis d'un tricolore indélébile.

Pour expérimenter la tactique de Front Unique Ouvrier, qu'elle accepta par discipline d'appliquer sur le seul terrain des revendications économiques immédiates, la Gauche participa à la grève générale nationale d'août 22, croyant qu'en y intégrant les non-syndiqués, l'Alliance du Travail s'approcherait ainsi de la forme Conseil Ouvrier. Tout cela renforçait, plusieurs types de préjugés que les travailleurs pouvaient avoir dans leur esprit dans un pays où s'enracinaient profondément les mythes soréliens : l'action syndicale, la grève générale et les illusions démocratiques. L'appel à la grève générale lancé par l'Alliance du Travail contenait dans sa proclamation tous les microbes bourgeois connus alors. L'Alliance conviait à la lutte contre la "folie dictatoriale" des fascistes, en insistant auprès des travailleurs contre le danger d'utiliser la violence nuisible "à la solennité de leur manifestation", pour la reconquête de la LI­BERTE, "ce qu'il y a de plus sacré pour tout homme civilisé",

Inutile de préciser que pour le prolétariat italien, déjà si cruellement éprouvé ce fut une défaite supplémentaire qu’il ne pouvait éviter de ce fait que, dans   un cours défavorable, il ne peut se maintenir sans relâche sur des positions de défensive: par rapport à 1920, le nombre de journées de grèves avait diminué de 70 à 80 %,

Dans un enchaînement de zigzags incohérents, le Kominterm tantôt encourageait les "terzini" à sortir du vieux P.S.I., tantôt leur intimait l'ordre brutal de s'y maintenir pour accomplir un travail fractionnel de noyautage. Comme les pourparlers de fusion, devant aboutir à la formation d'un parti portant le nom de "Parti Communiste Unifié d'Italie", traînaient en longueur, le Kominterm mena au pas de charge le procès de 1'"infantilisme de gauche".

La manne bénie tomba du ciel fasciste. En février 23, Mussolini ayant fait procéder à l'arrestation de Bordiga, de Grieco et de nombreux autres dirigeants appartenant à la Gauche, l'Exécutif Elargi de juin 23 pouvait désigner un C.E., provisoire avec Tasca et Graziadei, hommes de toute confiance, lequel ce sera du reste maintenu dans ses fonctions après la libération de l'ancienne direction élue à Livourne et à Rome ([2] [14]),

En Italie, comme en France avec Cachin, l'Internationale allait à la conquête des "masses" en prenant appui sur ces fameuses "planches pourries". Bien entendu, l'acrobatie impliquait la mise à l'écart des communistes, des fondateurs des sections nationales de l'I.C. ; de les traiter d'"opportunistes de gauche" pour leur intransigeance principielle.

Il se jouait, non un sordide jeu de manœuvres diverses pour le pouvoir dans les jeunes partis communistes, mais un drame aux dimensions historiques colossales : dictature de la bourgeoisie ou dictature du prolétariat, communisme ou fascisme. Hélas, le rideau rouge tomba sur la scène historique au désavantage du prolétariat.

La nouvelle ligne de conduite internationale fixée par Zinoviev, préférait voir dans la social-démocratie l'aile droite du prolétariat plutôt que l'aile gauche de la bourgeoisie. Elle passait l'éponge sur ce qui s'était passé : la social-démocratie, à la tête des vieilles organisations de l'époque réformiste avait rassemblé toutes ses forces en un front anti-prolétarien pour sauver le régime bourgeois la nuit du 4 août 14, avait donné à la réaction ses  Noske, Scheidemann, ses Böhm et ses Peild pour l'écrasement de la République Hongroise des Conseils, un chancelier fédéral à l'Autriche en la personne de K,Renner, pour exciter les paysans contre les ouvriers.

Ainsi, le Kominterm finissait de désorienter complètement la classe ouvrière, semant sur son passage la confusion à pleines mains, avec sa tactique de "lettres ouvertes", de "mise au pied du mur", d'invitation à constituer des blocs électoraux de gauche, de fusion…. De son côté, l'ennemi de classe profitant d'un sérieux répit des luttes, arrivait à colmater l'hémorragie  de son appareil.

L’ANTI-FASCISME DE GRAMSCI

Devenu représentant en titre de 1' I.C., dans le parti italien, peu de temps après que l'Exécutif Elargi ait relevé Bordiga de son poste dirigeant, Gramsci prépara la jeune formation communiste à la résistance antifasciste, conformément aux directives de 1'Internationale, Et de commencer à distinguer parmi la bourgeoisie quelles étaient les forces fascistes et les forces hostiles au fascisme, donc intégrables au bloc "historique", car le prolétariat italien pouvait devenir classe "hégémonique", en réussissant à créer un système d'alliance avec d'autres couches non-monopolistiques, (Thèses de Lyon, III° Congrès du P.C.I.).

A la suite du meurtre du député socialiste Matteotti, en juin 24, par les séides fascistes, les députés socialistes et communistes ont pris la "vigoureuse" décision de se retirer sur 1'Aventin. L'analyse, du nouveau groupe dirigeant le P.C.I. développait 1'idée qu'en Italie le parti devait rassembler autour de ses noyaux d’usine les plus larges masses anticapitalistes pour atteindre un objectif intermédiaire : récupérer les libertés fondamentales du citoyen. S 'il était exact d'affirmer que la dictature du prolétariat n'était plus à l'ordre du jour momentanément en Italie, par contre il était mensonger de déclarer que le rétablissement d'un régime de liberté bourgeoise faciliterait le prochain assaut révolutionnaire.

Par leur sortie du Parlement, socialistes et communistes, ceux de la tendance gramscienne surtout, espéraient pouvoir provoquer le renvoi de Mussolini, exactement comme si la présence de représentants d'un parti totalitaire à la Chambre des députés n'était qu'une souillure faite au respectable parlement bourgeois.

Ni plus ni moins, il s'agissait de supprimer toute référence à la notion de dictature du prolétariat pour y substituer le mot d'ordre à caractère transitoire: d'Assemblée Constituante. C'est sinon sur un gouvernement ouvrier identique à celui constitué en Saxe-Thuringe en 23, du moins sur la constitution de l'Assemblée Constituante que débouchait la ligne de Front Unique élaborée par Zinoviev. Avec empressement, s'attela à ce travail le duumvirat Gramsci-Togliatti. Leur analyse-était la suivante : l’"Aventin" qui a vu se constituer l'embryon d'un Etat de type démocratique dans l'Etat fasciste, est tout désigné pour servir de Constituante à une République fédérative des Soviets, à résoudre une politique étroitement nationale : l'unité italienne. Ce leitmotiv tenait une place de choix dans l'analyse de Gramsci, pour lui, le P.C.I. devait devenir ce parti qui, seul, réglerait de façon définitive le problème de l'unité nationale laissé en suspens par trois générations de bourgeois libéraux.

Telle a été la contribution de celui que les épigones autogestionnaires n'hésitent pas à qualifier du "plus radical révolutionnaire italien", lequel entendait d'abord; traduire les leçons de l'Octobre russe à sa façon, dans les conditions strictement italiennes. Ce rétrécissement provincial de la portée universelle de l'expérience du prolétariat international, ce refus de voir que le problème ne pouvait qu’être  tranché par le glaive de la révolution mondiale ; étaient faits pour aligner Gramsci sur les lignes de défense du "socialisme en un seul pays" concocté par celui qui savait si bien préparer les plats épicés : Staline.

La thèse centrale défendue par Gramsci était que le fascisme dérivait de l'histoire italienne, de la structure économique de l'Italie en contraste avec la situation au niveau international. Il ne lui en fallait pas plus pour justifier la Constituante en tant qu'étape intermédiaire entre le capitalisme italien et la dictature du prolétariat. Ne disait-il pas qu’une classe à caractère internationale doit, en un certain sens, se nationaliser.

Il lui fallait une assemblée nationale constituante, où les députés de "toutes les classes démocratiques du pays", élus au scrutin universel, élaboreraient la future constitution italienne. Une Assemblée Constituante où, en compagnie des don Sturzo, le secrétaire du Parti Populaire Ita­lien; des "figures" libérales comme Salvemini et Gobeti, des Turati, ils pourraient appliquer un régime "progressiste" pour la "jeune et libre" Italie.

Devant le V° Congrès mondial, A. Bordiga devait démolir la position adoptée par Gramsci qui voyait dans le fascisme une réaction féodale des propriétaires terriens. En ces termes, il s'adressa à une Internationale en passe d'adopter la théorie de la construction du socialisme en U.R.S.S.

"Nous devons repousser l'illusion selon laquelle un gouvernement de transition pourrait être naïf au point de permettre qu'avec des moyens légaux, des manœuvres parlementaires, des expédients plus  ou moins habiles, on fasse le siège des positions de la bourgeoisie, c'est-à-dire qu’on s’empare légalement de tout son appareil technique et militaire pour distribuer tranquillement les armes aux prolétairee. C'est là une conception véritablement infantile ! Il n'est pas si facile de faire une Révolution !"

De fil en aiguille, sous couvert d'antifascisme, Gramsci amorça le rapprochement avec le Partiti d'Azione, de Guistizia è Liberta et, du Parti Sarde auquel il était lié de longue date, en tant qu’insulaire, depuis son adhésion aux thèses du manifeste antiprotectionniste pour la Sardaigne d'octobre 1913. Pour ne plus commettre ces "lourdes erreurs" de ce qu' ils osaient taxer d’"extrémisme abstrait et verbal" Gramsci-Togliatti rayèrent de la propagande communiste le seul terme résumant la situation avec exactitude : fascisme, eu communisme.

ORIGINE ET NATURE DU FASCISME

Des monceaux de paperasse à prétention scientifique se sont accumulés sur les bureaux des historiens, pour décrire l'originalité du phénomène fasciste. En elle-même, l'arrivée du fascisme au pouvoir, voilà un demi-siècle, n'a même pas droit au nom de coup d1Etat, idée brandie sans lésiner par le stalinisme et son antichambre gauchiste.

Le Parti National Fasciste entra au Parlement bourgeois grâce aux élections de mai 21, autrement dit par la voie la plus légale au monde. Il eut l'appui du très démocratique Giolitti qui, le 7 avril venait de dissoudre la précédente Chambre. Sur son ordre, les tracasseries .administratives et les poursuites judiciaires, visant des gens qu'il protégeait, cessèrent de suivre leur cours. Les fascistes purent alors agir à visage découvert, sûrs de l'impunité en hauts lieux. Ainsi, Mussolini siégeant à l’extrême-droite avec 34 autres députés fascistes disposait d'une tribune parlementaire. Le 21/06/21, il déclara rompre avec l'homme qui lui avait mis le pied sur l'étrier électoral, Giolitti. Or, l'homme du Dronnero restait, par l'intermédiaire du préfet de Milan, Lusignoli, en contacts étroits, avec le groupe parlementaire du P.N.F. De surcroît, cette connivence était double : Nitti ne craignant point, de recevoir, au vu et au su de chacun, le baron. Avezzana que lui envoyait Mussolini dans la perspective de former ensemble un grand ministère.

Ce qui est dit ici par L. Trotski : '' Le programme avec lequel le national-socialisme est arrivé au pouvoir -hélas!- rappelle beaucoup les grands magasins juifs dans une province perdue. Que n'y trouve-t-on pas?"([3] [15]) ; colle très bien au fascisme italien. A ce moment-là, le fascisme est un invraisemblable pot-pourri empruntent à droite et à gauche des idées absolument traditionnelles en Italie. Les parties constitutives de son programme étaient :

— l'anticléricalisme axé sur la confiscation des biens des congrégations religieuses. Au 1°Congrès des Fasci, à Florence le 9 oct.19, Marinetti avait proposé la dévaticanisation du pays dans des termes identiques, ou presque, à ceux tenus par Cavour quelque 34 ans plus tôt.

— Le syndicalisme d'inspiration sorélienne, vibrant d'exaltation débridée pour la "morale du producteur". Instruits de l'expérience des occupations, les fasci sentaient qu'il fallait, coûte que coûte, associer les syndicats ouvriers au fonctionnement technique et administratif de l'industrie.

—    l'idéal d'une République éclairée, basant sa légitimité sur le suffrage universel avec scrutin de liste régional et représentation proportionnelles droit de vote et éligibilité pour les femmes et, rendant un culte bassement intéressé à la jeunesse, le fascisme réclamait l'abaissement de la limite d'âge à 18 ans pour les électeurs, à 25 pour les députés.

—   l'antiploutocratisme menaçant de frapper le capital d'un impôt progressif (ce qu'il appelait "authentique expropriation partielle")? de réviser tous les contrats de fournitures de guerre et, de confisquer 85% des bénéfices acquis pendant celle-ci.

Plus un programme social est éclectique et riche en promesses, plus nombreux sont ses supporteurs. Dans les fasci commencèrent à affluer et y grouiller des gens de toutes espèces : arditti, francs-maçons, futuristes , anarcho-syndicalistes… Tous se trouvent un dénominateur commun dans le refus réactionnaire du capitalisme et de la décadence  des institutions parlementaires» Dans la salle du San Sepolcro, mise à la disposition des fascistes par le Cercle des Intérêts Industriels et Commerciaux, le discours de Mussolini fera retentir cette formule : "Nous les fascistes, nous n'avons pas de doctrine préétablies, notre doctrine c'est le fait" (23/3/19).

Sur le plan électoral, le fascisme adopte, avec une évidente souplesse les tactiques les plus variées. À Rome, il présente un candidat sur la liste de l'Allianza Nazionale; proclame l'abstention à Vérone et à Padoue; compose le Bloc National à Ferrare et à Rovigo; s’allie aux anciens combattants à Trévise; à Milan il se paye le luxe de dénoncer la revendication de la "reconnaissance juridique des organisations ouvrières" dont les groupements de gauche ont fait leur cheval de bataille parce que, dit-il, il conduirait à leur "étranglement".

Tel était le premier fascisme qui ne pouvait prétendre, en quoi que ce soit, être une force politique indépendante sur des objectifs propres. Devant le P.N.F. se dressait une exigence de taillé : se débarrasser des thèmes qui ne conviennent plus du tout aux industriels et, que la classe dominante trouvait pour le moins déplacés dans la propagande d'un-parti qui aspirait à lui garantir l'ordre social. Elle avait tout lieu de se méfier d'un mouvement qui, pour s'attirer la masse des travailleurs et des paysans, faisait montre d’un spectaculaire mépris pour le conformisme social. Le fascisme devait muer et, il obtempéra aux ordres du capitalisme.

Ainsi, cet anticléricalisme ordurier, hier encore virulent dans ses attaques d'athéisme, fera bénir dans la nef de la cathédrale de Milan ses bannières par le cardinal Ritti, futur pape Pie XI ([4] [16]). Dès lors, il n'y eut plus aucune commémoration fasciste, aucune manifestation publique du fascisme qui ne reçut ses gouttes d'eau bénite. Apaisés par le Pacte de Latran (1929) par lequel le régime reconnaît au St. Siège la pleine propriété de ses biens et le dédommage par une indemnité de 750 millions de lires, plus des titres de rente à 5% d'intérêt pour un capital de 1 milliard de lires, les catholiques seront gré au fascisme d'avoir réintégré l'enseignement religieux dans les écoles publiques et feront de Mussolini, qui avait mis une sourdine à sa furia anticléricale, 1'"homme des destinées divines". Dans toutes les églises d'Italie, monteront les Te Deum pour le succès de l'entreprise de salut national fasciste.

Ce républicanisme ralliera la Couronne et la Monarchie; offrira le 9 mai 36 au Roi et à ses descendants le titre d'Empereur d'Ethiopie; donnera des postes officiels dans la diplomatie aux représentants de la dynastie régnante,

Cet antiparti anarchisant deviendra le Parti National Fasciste avec sa rigoureuse pyramide de quadrumvirs, de hiérarques et de podestats, comblera d'honneurs les dignitaires de l'Etat; enflera la bureaucratie d'Etat de nouveaux mercenaires et parasites.

Cet antiétatisme qui à sa première heure proclame l'incapacité de l'Etat à gérer les affaires nationales et les services publics, déclarera par la suite que tout est dans l'Etat. Le célèbre :

"Nous en avons assez de l'Etat cheminot, de l'Etat postier, de l'Etat assureur. Nous en avons assez de l'Etat exerçant ses fonctions aux frais de tous les contribuables italiens et aggravant l'épuisement des finances" du discours prononcé à Udine devant le Congrès des Fascistes du Frioul, le 20/ 9/22, laissera place au :

"Pour le fasciste, tout est dans l'Etat, et rien d'humain ou de spirituel n'existe, et à fortiori, n'a de valeur en dehors de l'Etat" de l'Encyclopédie Italienne.

Ce pseudo-ennemi des grosses fortunes des bénéfices de guerre et des affaires louches, particulièrement florissantes sous l'ère giolittienne, sera équipé de pieds en cap par les commandators de l'industrie et de l'agriculture et ce,  bien avant la fameuse "marche sur Rome". Dès son lancement, la propagande du "Popolo d'Italie" fut régulièrement subventionnée par les grandes firmes de l'industrie d'armement et de fournitures de guerre intéressées à voir l'Italie basculer dans le camp interventiste : FIAT, ANSALDO, EDISON. Les chèques patriotiques versés par l'émissaire du ministère Guesde, M. Cachin, aidèrent eux aussi à sortir les premiers numéros du journal francophile.

Certes, au sein du P.N.F. naissaient des conflits allant, parfois, jusqu'à la dissidence comme ce fut le cas -provisoire- de certains faisceaux de province, notamment ceux conduits par les triunvirum Gran­di et Baldo commandités, en partie, par la Confragricultura. Emboîtant le pas au président de l'I.C. -Zinoviev- Gramsci situera le fascisme : réaction des grands féodaux. D'abord apparu dans les grands centres urbains hautement industrialisés, c'est seulement ensuite que le fascisme a pu faire son entrée dans les campagnes sous la forme d'un syndicalisme rural d'allure plé­béienne. Ses expéditions punitives partent bien des villes pour se porter dans les villages dont les squadristes se rendent maîtres après une lutte toujours sanglante. La vérité oblige à dire que ces luttes intestines entre fascistes exprimaient la contradiction entre les composantes petite-bourgeoises et anarchisantes du fascisme ruinées par la guerre et, la concentration économique dans les griffes de l'Etat, réponse adéquate aux intérêts généraux de la classe dominante.

Aussi, ceux parmi les "camarades" de la première heure qui se montrèrent uniquement capables de se vautrer dans les délices de Capoue ou de donner à tout venant du gourdin, ils goûtèrent, à leur tour, de la férule paternelle. Qui aime bien, châtie bien; et, après avoir tapé à gauche,  le fascisme tapera à droite sur les têtes brûlées qui ne comprennent pas que le mouvement perdra les bénéfices de sa victoire s'il perd le sens de la mesure. Et la mesure ici, ce n'était rien d'autre que le taux de profit du capital.

Par-dessus la légende démocratique demeure le fait irréfragable que le fascisme n'a pas été une contre-révolution préventive faite avec l'intention consciente d'écraser un prolétariat qui tendait à démolir le système d'exploitation capitaliste. En Italie, ce ne sont pas les chemises noires qui mettent fin à la révolutions c'est 1'échec de la classe ouvrière internationale qui impulse jusqu'à la victoire du fascisme, non seulement en Italie, mais encore en Allemagne et en Hongrie, C'est seulement après l'échec du mouvement des occupations d'usines de l'automne 20 que la répression s'abat sur la classe ouvrière italienne, laquelle répression eut deux ailes marchantes : et les forces légalement constituées de l'Etat démocratique et, les squadres fascistes, fusionnant en un bloc monolithique, pratiquement toutes les ligues antibolchevistes et patriotiques.

C'est seulement après la défaite de la classe ouvrière que les faisceaux peuvent se développer pleinement grâce aux largesses du patronat et des facilités rencontrées auprès des autorités publique. Si à la fin de 19, les Fasci sont sur le point de sombrer dans le néant (30 fasci et un peu moins d'un millier d'adhérents), dans les derniers six mois de 20, ils s'enflent jusqu'à atteindre le nombre de 3200 fasci avec 300.000 inscrits.

C'est bien sur Mussolini que se portèrent le choix de la Confindustria et de la Confragricultura, de l'Associa­tion Bancaire, des députés et des deux gloires nationales, le général Diaz et l'amiral Thaon di Revel. C'est bien lui que le grand capital met en selle et non un d'Annunzio dont la bourgeoisie, unanime, annihilera la tentative nationaliste de Fiume à la Noël 20. Le poète des "Odes Navales" -Arme de proue et cingle vers le monde- reçut pour tout salaire celui de chanter en termes lyriques les médiocres conquêtes italiennes en terre africaine, entretenir la flamme nationaliste, et non pour finir de massacrer les travailleurs, A Mussolini ex-athée, ex-libertaire, ex intransigeant de Gauche, ex-directeur de l’Avanti, reviendra ce rôle.

Ainsi, pour le marxisme le fascisme ne recèle aucun mystère qu'il ne sa saurait pénétrer et dénoncer devant la classe.

LES  SYNDICATS DE LA PERIODE FASCISTE

A partir des dernières semaines de 1920, l'offensive fasciste en direction des organisations et associations sous le contrôle du PSI redouble d'intensité,, De nouveau, la chasse aux bolcheviks fait, rage, les dirigeants socialistes sont molestés et, en cas de résistance, sont lâchement assassinés et  les sièges des journaux socialistes, les Chambres du travail, les bâtiments des coopératives et des Ligues Paysannes sont incendiés, mis à sac, toujours avec le concours direct de l'Etat démocratique qui protège de ses propres fusils et mitrailleuses les escouades fascistes.

Investissant l'Etat, le fascisme conquiert du coup les rouages indispensables à cet Etat, il s'empare, si besoin est par la force, d'institutions étatiques qui précédemment ont satisfait pleinement la politique de la bourgeoisie impérialiste italienne.

Le fascisme marquera ostensiblement l'intérêt réel, qu'il porte aux syndicats en signant le 2 août 21, le Pacte de Pacification. Ce jour-là, il y avait réunis à Rome, les représentants du Conseil des Faisceaux, du P.S.I., des groupes parlementaires fasciste et socialiste, de la C.G.I.L., enfin De Nicola président de la Chambre, pour tomber d' accord pour ne plus livrer la rue aux "déchaînements de la violence, ni exciter les passions partisanes extrémistes" (art. 2). Les deux parties en présence s'"engagent réciproquement au respect des organisations économiques" (art. 4). Chacune reconnaît dans l'adversaire une force vive de la Nation avec laquelle il faut compter ;  chacun convient d'en passer par là.

En avalisant le pacte de Pacification, toutes les forces politiques de la bourgeoisie, droite comme gauche, ressentent la nécessité d'enterrer définitivement la classe ouvrière sous un traité de paix civile. Pas encore tout à fait écrasée, celle-ci refluait sur des positions défensives, mais la résistance des masses travailleuses devenait au fil des jours, plus difficile. Malgré des conditions maintenant défavorables, le prolétariat italien continuait à se battre pied à pied contre une double réaction, légale et "illégale".

Turati, continuant à placer ses espoirs en un proche gouvernement de coalition soutenu par les "réformistes" se justifiait : "Il faut avoir le courage d'être un lâche! ". Le 10 août, la direction du P.S.I., celle-là même qui sera pressenti pour renforcer les rangs de la révolution par le Kominterm, approuvait officiellement le Pacte de Pacification. Alors, le lecteur du très anticlérical "Aventi" eut droit à un original feuilleton, "La Vie de Jésus" selon Pappini, pour faire passer la pilule.

Lé scénario de la comedia dell’ar­te se distribuait de la façon suivante: les premiers acteurs usent ouvertement de la force militaire contre un prolétariat affaibli et en retrait; les seconds exhortent celui-ci à ne rien faire qui puisse exciter l'adversaire, à ne rien entreprendre d'illicite qui serve de prétexte à de nouvelles attaques, et plus violentes, des fascistes. Combien de grèves suspendues par la C.G.I.L. en accord avec les instances du P.S.I. ? Impossible à dénombrer. Face à une offensive militaire et patronale faite à coups de licenciements et de réduction des salaires, choses allant de soi pour la F.I.O.M., soucieuse de plier les revendications à l’état objectif de la situation financière des entreprises, -tactique dite de 1'"articulation"- la gauche continuait son travail de sabotage des luttes.

Même cette Alliance du Travail portant haut les espoirs du P.C.I. acceptait le programma de sauvetage de l'économie capitaliste; déroutait les grèves, mettait un terme rapide aux agitations, ce que devait reconnaître et dénoncer vigoureusement les militants de la gauche.

Que doit faire alors le prolétariat? La réponse qui vient des organisations sociale-démocrates est simple, évidente : se rassembler une énième fois sur le terrain électoral, infliger la défaite des urnes aux fascistes, toutes choses permettant la formation d'un gouvernement antifasciste dans lequel pourraient entrer quelques chefs du P.S.I., Assuré d'obtenir un  gros succès, Mussolini en personne réclamait cette "pacifique" confrontation :

"Ce spectre des élections est plus que suffisant pour aveugler les vieux parlementaires qui sont déjà en campagne pour obtenir notre alliance. Avec cet appât, nous ferons d'eux ce que nous voudrons. Nous sommes nés  d'hier, mais nous sommes plus intelligents qu'eux" (Journal).

LA MARCHE SUR ROME

Tout était préparé de longue main pour une  passation en douceur du pouvoir à Mussolini sous les auspices royaux vers la fin d'octobre 22. Dans la pantalonnade de la Marche sur Rome en wagons-lits, marche annoncée depuis les premiers jours de septembre par les meetings et défilés de chemises noires à Crémone, Mérano et Trente, les squadristes furent salués dans les gares par les représentants officiels de l'Etat. A Trieste, Padoue et Venise les autorités marchent au coude à coude avec les fascistes, à Rome l'intendance militaire ravitaille et héberge les chemises noires dans les casernes.

Installé, le fascisme demandera la collaboration loyale de la C.G.I.L. Le puissant syndicat des cheminots, bientôt suivi par d'autres fédérations, sera le premier à accepter l'appel à la trêve lancé par les fascistes. Ainsi, sans avoir eu recours à une insurrection armée, le fascisme put occuper les postes dans l'appareil d'Etat : Mussolini à la présidence du Conseil détient, en outre, les portefeuilles de l'Intérieur et des Affaires Etrangères; ses proches compagnons d'armes les autres importants ministères de la Justice, des Finances et des Terres Libérées.

Changement du personnel bourgeois dirigeant l'Etat, le fascisme put continuer de plus belle à donner des litres d'huile de ricin et du "manganello" aux cafones et ouvriers, matraque que les socialistes avaient tressée de leurs propres mains. L'Etat fasciste n'est donc que l'organisation que la bourgeoisie se donne pour maintenir les conditions de 1’accumulation face à une situation devenue telle que, sans une dictature ouverte, il n'y a plus guère d'espoir de gouverner par les moyens du parlementarisme.

ECONOMIE DE LA PERIODE FASCISTE

Qu'a fait le fascisme sinon accélérer un processus objectif rapprochant et fusionnant les organisations syndicales avec le pouvoir d'Etat bourgeois? Tant pour les syndicalistes et social-démocrates que pour les fascistes, la lutte de classe n'était-elle pas une lourde entrave à ceux qui recherchaient de solutionner les problèmes de l'économie nationale? Aussi le fascisme met les associations syndicales au service entier de la Nation comme elles-mêmes l'avaient fait de leur propre initiative lors de la récession économique d'après guerre. L'évangile social de solidarité entre les classes, c'étaient aussi bien les fascistes que les syndicats qui le professaient.

Formellement, l'économie à l'époque fasciste se fonde sur le principe corporatiste pour lequel les intérêts particuliers doivent se subordonner à l'intérêt général. A la lutte de classe, le corporatisme substitue l'union des classes et le bloc national de tous les fils de la patrie. Il essaie d'amener les travailleurs à se dépenser sans compter pour les intérêts suprêmes de 1'Italie. La Charte du Travail, adoptée en 27, reconnaît à l'Etat seul la capacité d'élaborer et d'appliquer la politique de main-d'œuvre, toute lutte factionnelle, toute intervention particulière en dehors de l'Etat sont exclues. Désormais, les conditions d'emploi et de salaire sont réglées par le contrat collectif qu'établit la Charte.

Le fascisme voulait bâtir un Parlement Economique dont la composition devait être donnée par élection de membres élus dans les corps de métier. Pour ces motifs, il attira dans sa sphère les principales têtes du syndicalisme d'obédience sorélienne. Dans ce projet, qualifié pour la circonstance d'"audacieux", ils voyaient la justification de leur apolitisme et de l'indépendance syndicale vis à vis de tout parti politique.

Aussi, le corporatisme s'applique en pleine période de crise mondiale en tant qu'intervention directe de l'Etat dans l'activité économique nationale, en même temps qu'il impose soumission et obéissance à la classe ouvrière. Est-ce là "l'unique solution pour développer les forces productives de l'industrie sous la direction des classes dirigeantes traditionnelles" se demandera le non-marxiste Gramsci ([5] [17]). Il échappe totalement à l'auteur de "La révolution contre le capital" que le capitalisme est en décadence, que le fascisme n'est que son mode de survie*

L'année 26 marquera le point de départ des grandes batailles économiques qui se font dans le but avoué de protéger le marché intérieur italien, limiter l'importation de produits alimentaires et d'objets manufacturés, de développer des secteurs jusqu'alors incapables de satisfaire les besoins intérieurs. Or, les résultats sont largement éclipsés par les conséquences négatives des prix supérieurs à ceux du marché mondial. Ainsi, recourir à des manipulations étatiques ne résolvait aucun des problèmes économiques d'un pays pauvre en ressources naturelles et, n'ayant participé à la curée impérialiste que pour en obtenir des territoires qui n’étaient ni des débouchés commerciaux ni le moyen de se débarrasser de son trop-plein de main-d’œuvre.

Le renforcement des droits douaniers, le contrôle draconien des changes, l'octroi de subventions, les commandes de l'Etat et, corrélativement le blocage des salaires, poursuivent la tendance prise durant la guerre. Alors, poussé par les nécessités, l’Etat était devenu bâtisseur d'usines, fournisseur de matières premières, distributeur de marchés d'après un plan général, acheteur unique de la production que dans certains cas il payait d'avance. Sous la pression des contingences, il était devenu le centre de gravité de cet énorme appareil productif impersonnel devant qui s'effacèrent les individus attachés aux règles de la libre-concurrence, l'esprit créateur des capitaines d'industrie. Pour ces raisons, les habitudes de la vie ''libérale", les pratiques "démocratiques" furent subjuguées par l'activité de cet Etat. De ces prémices pouvait éclore le fascisme.

Y a-t-il une entreprise sur laquelle plane l'ombre obscursissante de la faillite? L'Etat rachète la totalité des actions. Y a-t-il un secteur à développer plutôt qu'un autre? L'Etat donne ses directives impérieuses. Faut-il freiner les importations de blé? L'Etat oblige de fabriquer un type de pain unique dont il fixe le pourcentage de froment. Faut-il une lire surévaluée? L'Etat la met à la parité du franc malgré les avertissements des financiers. Il stimule la concentration des entreprises, il rend obligatoire la concentration dans la sidérurgie, il est propriétaire,  il bloque l'immigration, il fixe les colons là où il entend "créer un système nouveau, organique et puissant de colonisation démographique en transportant tout l'équipement de (sa) civilisation"([6] [18]), il monopolise  le commerce extérieur„

A la fin de 26, la plus importante partie de l'économie italienne va se retrouver entre les mains d'organismes étatiques ou paraétatiques: Istituto per la Ricostruzione (I.R.I.), Consiglio Nazionale delle Richerche (C.N.R.), Istitito Cotonière,  Ente Nazionale per la Cellulosa, A Ziende Gé­nérale Italiane Petroli (A.Z.G.I.P.). Nombre de ces organismes ont donc pour raison d'être d'obtenir pour l'Italie des produits de remplacement : laine synthétique, soie artificielle, coton, etc. Tout ce programme d'autarcie économique, sur lequel s'extasièrent les beaux esprits, préparait l'Italie à la II° Guerre mondiale.

L'IMPERIALISME ITALIEN

Le capitalisme décadent, l'impérialisme qui ravage l'humanité ne peut, par une logique implacable, que produire des crises et des guerres, comme explosion des contradictions croissantes au sein du système capitaliste. Il suppose donc une bourgeoisie armée jusqu'aux dents. L'Italie fasciste ne pouvait pas renoncer à se jeter dans l'engrenage de la course aux armements sous peine de devoir renoncer à faire triompher ses "droits" impérialiste dans l'arène mondiale. Et ses "droits" forment un épais catalogue de revendications. Dans le droit fil de ses prédécesseurs, Mussolini veut faire de l'Italie une puissance redoutée dans le bassin méditerranéen, s'étendre toujours plus à l’Est vers les Balkans et 1'Anatolie.

L'armement que les E.U., la G.B. ou la France intensifiaient, tout en arborant le rameau d'olivier ; le souci majeur de se repartager le monde tout en donnant le change par de mielleuses paroles de "sécurité des nations d'arbitrage international" sous les auspices de la S.D.N., l'Italie fasciste ne craint pas d'annoncer, pour sa part, ce qu'ils seront la mobilisation de "huit millions de baïonnettes", de "beaucoup d'ailes et de beaucoup de torpilles".

"Le devoir précis et fondamental de l'Italie fasciste est précisément de préparer toutes ses forces armées de terre, de mer et d'air.

Alors quand -entre 1935 et 1940- nous aurons atteint un moment suprême dans l'histoire de l'Europe, nous serons en mesure de faire entendre notre voix et de voir nos droits finalement reconnus". Discours à la Chambre le 27 mai  1927 de Mussolini

Impérialiste elle-même, l'Italie savait de quoi il ressortait lorsque les autres membres de la S.D.N. s'engageaient "solennellement" à réduire leurs armements sous un contrôle international, quand le gouvernement des Etats-Unis essayait d'obtenir que tous les pays condamnent la guerre comme…illégale et s'engageassent à y renoncer pour régler leurs litiges (Pacte Kellog du 27/8/27). Pour Rome, tout ce pathos n'était que de la foutaise démocratique; la réalité est différente : le monde entier s'arme, et, nous aussi nous nous armons pour affronter la tempête qui couve sous les cendres de  la première conflagration mondiale.

Les problèmes desquels dépend la vie d'une nation, le fascisme n'ignorait pas qu'ils sont des problèmes de force et non de justice; qu'ils se dénouent sous  le fracas des armes et non par la grâce mythologique que prêtaient certains respectables idéalistes à la doctrine wilsonienne. Sur le "décalogue" qui leur étais remis, les jeunes miliciens pouvaient lire à la première phrase : "Qu'on sache bien qu'un véritable fasciste, particulièrement un milicien, ne doit pas croire à la paix perpétuelle". Dans les journaux, au cinéma, à une remise des diplômes universitaires, dans les concours sportifs se proclamait qu'après avoir gagné la bataille de 14-18, l'Italie devait reprendre sa marche .en avant.

Si l'importance du pouvoir d'Etat se place au centre de toute la vie sociale, le développement de ses bases guerrières (armée, flotte et aviation) s'accuse tout particulièrement à la veille de la seconde guerre. Même si on tient compte de la dévaluation de la lire, en 1939, l'Italie dépense deux fois plus qu'à la veille de la guerre d'Ethiopie ([7] [19]). Le Duce a prévenu toute la nation italienne de l’inéluctabilité de la guerre, de l'aggravation des conditions de vie du prolétariat. En sanctionnant d'un embargo commercial l'Italie pour avoir transgressé, dans l'agression de l'Abyssinie, les sacro-saints principes de l'institution genevoise, les 51 nations "démocratiques" permirent à Mussolini d'intensifier sa propre croisade contre les nations "nanties". A une hypocrite application des sanctions ne s'interdisant pas le commerce avec l'Italie du charbon, acier, pétrole et fer, c'est-à-dire tout ce qui était précisément indispensable à l'économie d'armements, le fascisme put répondre par la mobilisation facilitée des ouvriers autour de son programme ([8] [20]).

R.C. (à suivre)



[1] [21] Lénine "L'Impérialisme et la scission du socialisme" dans "Contre le Courant" T.II p.262 Bureau d'Editions.

[2] [22] Trotski qui écrivait : "Les Comités Centraux de gauche dans de nombreux partis furent détrônés aussi abusivement qu'ils avaient été installés avant le V° Congrès" dans 1'"Internationale Communiste après Lénine" aurait dû tourner 7 fois son stylo dans sa main".

[3] [23] "Qu'est-ce que le National-socialisme?" Trotski 10 juin 1933, T. III des "Ecrits" Suppléments à la Quatrième Internationale, 1959, P.397.

[4] [24] Elu par le conclave du 6-02-22, Pie XI sera tout à son affaire. Nonce apostolique en Pologne en 1913-21, donc pendant la guerre civile et l'offensive victorieuse de l'Armée Rouge, il vouait une haine inextinguible au prolétariat qui avait porté la main sacrilège sur cet Etat crée, le 11 nov. 1919 par Versailles, pour séparer la Russie des Soviets de la Révolution allemande.

[5] [25] "Il matérialismo storico e la filosofïa di B. Croce".

[6] [26] Plan du 17 mai 1938, Dès la fin de cette même année 20 000 paysans des Pouilles, de Sicile et de Sardaigne travaillent en Lybie sur 1880 entrepri­ses rurales groupant 54000 HA en culture. En Lybie, le nombre total des Italiens atteint 120000; 93550 en Ethiopie etc., "L'Impérialisme colonial italien de 1870 à nos jours", J.L. Miège, S.E.D.E.S. 1968, p.250.

[7] [27] Budget Militaire en Millions de Lires : (J.L. Miège, S.E.D.E.S. 1968, p.250)

1933 :      4822

1934 :      5590

1935 :      12624

1936 :      16357

1937 :      13370

1938 :      15030

[8] [28] "Les ouvriers italiens sont donc mis devant le choix de l'impérialisme italien ou de celui de l'Angleterre qui essaie de se dissimuler au travers de la S.D.N. Ce n'est pas un dilemme qu'il pourrait enfourcher malgré les terribles difficultés actuelles, mais un dilemme entre deux forces  impérialistes et, il n'est nullement étonnant qu'empêché du fait de la politique contre-révolutionnaire de ces deux partis, (partis "centristes" comme en disait alors dans la Gauche pour désigner le stalinisme et "socialiste") d'entrevoir leur chemin propre, forcés de faire un choix, ils se dirigent vers l'impérialisme italien, car dans la défaite de ce dernier, ils voient compromises leurs vies, la vie de leurs familles aussi bien d'ailleurs qu'ils voient s'accentuer le danger d'une plus forte aggravation de leurs conditions de vie". "Un mois; après l'application des sanctions" BILAN.

Géographique: 

  • Italie [1]

Conscience et organisation: 

  • Troisième Internationale [29]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Capitalisme d'Etat [30]

Les leçons de Kronstadt

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Cet article constitue une tentative d’analyse des événements de Kronstadt et des leçons à en tirer pour le mouvement ouvrier d’aujourd’hui et de demain, faite par un camarade du CCI. L’analyse se situe dans le cadre de l’orientation générale de notre courant. Les points essentiels pour comprendre l’héritage des événements de Kronstadt y sont donnés et peuvent se résumer ainsi :

1. – La révolution prolétarienne est, de par sa nature historique, une révolution internationale. Tant qu’elle est enfermée dans le cadre d’un ou même de plusieurs pays isolés, elle se heurte à des difficultés absolument insurmontables et est fatalement amenée à dépérir à plus ou moins brève échéance,

2. – Contrairement aux autres révolutions dans l’histoire, la révolution prolétarienne exige la participation directe, constante et active de l’ensemble de la classe. Cela veut dire qu’à aucun moment elle ne saurait supporter, sous peine d’ouvrir immédiatement un cours de dégénérescence, ni la “délégation” du pouvoir à un parti, ni la substitution d’un corps spécialisé ou d’une fraction de la classe, pour aussi révolutionnaires qu’ils soient, à l’ensemble de la classe.

3. – La classe ouvrière est la seule classe révolutionnaire, non seulement dans la société capitaliste, mais également dans toute la période de transition, tant que subsistent encore des classes dans la société à l’échelle mondiale. C’est pourquoi l’autonomie totale du prolétariat par rapport aux autres classes et couches sociales demeure la condition fondamentale lui permettant d’assurer son hégémonie et sa dictature de classe en vue de l’instauration de la société communiste.

4. – L’autonomie du prolétariat – signifie que, sous aucun prétexte, les organisations unitaires et politiques de la classe ne sauraient se subordonner aux institutions étatiques, car ceci reviendrait à dissoudre ces organismes de la classe et amènerait le prolétariat à abdiquer de son programme communiste dont lui seul est l’unique sujet.

5. – La marche ascendante de la révolution prolétarienne n’est pas donnée par telle ou telle mesure économique partielle, pour importante qu’elle soit. Seul l’ensemble du programme, la vision et l’action politique et totale du prolétariat constituent cette garantie et incluent dans cette globalité les mesures économiques immédiatement possibles allant dans ce sens.

6. – La violence révolutionnaire est une arme du prolétariat face et contre les autres classes. Sous aucun prétexte, la violence ne saurait servir de critère ni d’instrument, au sein de la classe parce qu’elle n’est pas un moyen de la prise de conscience. Cette prise de conscience, le prolétariat ne peut l’acquérir que par sa propre expérience et l’examen critique constant de cette expérience. C’est pourquoi la violence au sein de la classe, quelle que soit sa motivation et possible justification immédiate, ne peut qu’empêcher l’activité propre des masses et finalement être la plus grande entrave à sa prise de conscience condition indispensable du triomphe du communisme.

Les grandes leçons de Kronstadt

Le soulèvement de Kronstadt en 1921 est une pierre de touche qui sépare ceux qui peuvent comprendre le processus et l’évolution de la révolution prolétarienne, grâce à leurs positions de classe, de ceux pour qui la révolution reste un livre fermé. Il met en relief de façon tragique quelques unes des leçons les plus importantes de toute la révolution russe, leçons que le prolétariat ne peut se permettre d’ignorer au moment où il prépare son prochain grand soulèvement révolutionnaire contre le capital.

Une approche marxiste du problème de Kronstadt ne peut que partir de l’affirmation qu’Octobre 1917 en Russie a été une révolution prolétarienne, un moment dans le déroulement de la révolution prolétarienne mondiale qui était la réponse de la classe ouvrière internationale à la guerre impérialiste de 1914-18. Cette guerre avait marqué l’entrée définitive du capitalisme mondial dans son ère de déclin historique irréversible, faisant par là de la révolution prolétarienne une nécessité matérielle dans tous les pays. On doit affirmer aussi que le parti bolchevik, qui était à la tête de l’insurrection d’Octobre, était un parti communiste prolétarien, une force vitale dans la gauche internationale après la trahison de la IIe internationale en 1914, et qu’il a continué à défendre les positions de classe du prolétariat pendant la Première Guerre mondiale et la période suivante.

Contre ceux qui décrivent l’insurrection d’Octobre comme un simple “coup d’État”, un putsch réalisé par une élite de conspirateurs, nous répétons que l’insurrection était le point culminant d’un long processus de lutte de classe et de maturation de la conscience de la classe ouvrière, que cela représentait la prise du pouvoir politique consciente par la classe ouvrière organisée dans les Soviets, ses comités d’usine et ses gardes rouges. L’insurrection faisait partie d’un processus de destruction de l’État bourgeois et d’établissement de la dictature du prolétariat ; et comme les bolcheviks l’ont passionnément défendu, sa signification profonde était qu’elle devait marquer le premier moment décisif de la révolution prolétarienne mondiale, de la guerre civile mondiale contre la bourgeoisie. L’idée que l’insurrection avait pour but la construction “du socialisme dans la seule Russie” était loin de l’esprit des bolcheviks à ce moment-là, en dépit de nombre d’erreurs et de confusions en ce qui concernait le programme économique immédiat de la révolution, erreurs qu’ils partageaient alors avec le mouvement ouvrier tout entier.

C’est seulement dans ce cadre que l’on peut espérer comprendre la dégénérescence ultérieure de la révolution russe. Comme cette question est abordée dans un autre texte de la Revue du CCI (“La Dégénérescence de la Révolution russe”, (1) dans ce même numéro), nous nous limiterons ici à quelques remarques générales. La révolution commencée en 1917 n’a pas réussi à s’étendre internationalement, malgré les nombreuses tentatives de la classe dans toute l’Europe. La Russie elle-même était déchirée par une longue et sanglante guerre civile qui avait dévasté l’économie et fragmenté la classe ouvrière industrielle, colonne vertébrale du pouvoir des Soviets. Dans ce contexte d’isolement et de chaos interne, les erreurs idéologiques des bolcheviks ont commencé à exercer un poids matériel contre l’hégémonie politique de la classe ouvrière, presque aussitôt qu’ils eurent pris le pouvoir. C’était cependant un processus irrégulier. Les bolcheviks, qui recouraient à des mesures de plus en plus bureaucratiques en Russie même, pendant les années 1918-20, pouvaient encore contribuer à fonder l’Internationale Communiste en 1919, avec pour unique et clair objectif d’accélérer la révolution prolétarienne mondiale.

La délégation du pouvoir à un parti, l’élimination des comités d’usine, la subordination progressive des Soviets à l’appareil d’État, le démantèlement des milices ouvrières, la façon “militariste” toujours plus accentuée de faire face aux difficultés, résultats des périodes de tension de la période de guerre civile, la création de commissions bureaucratiques, étaient toutes des manifestations extrêmement significatives du processus de dégénérescence de la révolution en Russie.

Ces faits ne sont pas les seuls signes de l’affaiblissement du pouvoir politique de la classe ouvrière en Russie avant 1921, mais ce sont sûrement les plus importants. Bien que quelques-uns datent même d’avant la période de communisme de guerre, c’est la période de guerre civile qui voit le plein épanouissement de ce processus. Comme la rébellion de Kronstadt a été sous beaucoup d’aspects une réaction aux rigueurs du communisme de guerre, il est nécessaire d’être tout à fait clair sur la signification réelle de cette période pour le prolétariat russe.

La nature du communisme de guerre

Comme le souligne l’article sur La dégénérescence de la révolution russe, nous ne pouvons plus désormais entretenir les illusions des communistes de gauche de cette époque qui, pour la plupart, voyaient dans le communisme de guerre une “véritable” politique socialiste, contre la “restauration du capitalisme” établie ensuite par la NEP. La disparition quasi-totale de l’argent et des salaires, la réquisition des céréales chez les paysans ne représentaient pas l’abolition des rapports sociaux capitalistes, mais étaient simplement des mesures d’urgence imposées par le blocus économique capitaliste contre la république des Soviets, et par les nécessités de la guerre civile. En ce qui concerne le pouvoir politique réel de la classe ouvrière, nous avons vu que cette période était marquée par un affaiblissement progressif des organes de la dictature du prolétariat et par le développement des tendances et des institutions bureaucratiques. De plus en plus, la direction du Parti-État développait des arguments montrant que l’organisation de la classe était excellente en principe, mais que, dans l’instant présent, tout devait être subordonné à la lutte militaire. Une doctrine de l’“efficacité” commençait à saper les principes essentiels de la vie prolétarienne. Sous le couvert de cette doctrine, l’État commença à instituer une militarisation du travail, qui soumettait, les travailleurs à des méthodes de surveillance et d’exploitation extrêmement sévères. “En janvier 1920, le conseil des commissaires du peuple, principalement à l’instigation de Trotski, a décrété l’obligation générale pour tous les adultes valides de “travailler, et, en même temps, a autorisé” l’affectation de personnel militaire inemployé à des travaux civils”. (Paul Avrich, Kronstadt 1921, édition en anglais, Princeton 1970, pp. 26-27).

En même temps, la discipline du travail dans les usines était renforcée par la présence des troupes de l’Armée rouge. Ayant émasculé les comités d’usine, la voie était libre pour que l’État introduise la direction personnalisée et le système tayloriste d’exploitation sur les lieux de production, le même système que Lénine lui-même dénonçait comme “l’asservissement de l’homme à la machine”. Pour Trotski, “la militarisation de travail est l’indispensable méthode de base pour l’organisation de notre main-d’œuvre” (Rapport du IIIe Congrès des syndicats de toutes les Russies, Moscou 1920). Le fait que l’État était alors un “État ouvrier” signifiait pour lui que les travailleurs ne pouvaient faire aucune objection à leur soumission complète à l’État.

Les dures conditions de travail dans les usines n’étaient pas compensées par des salaires élevés ou un accès facile aux “valeurs d’usage”. Au contraire, les ravages de l’économie par la guerre et le blocus mettaient le pays tout entier au bord de la famine, et les travailleurs devaient se contenter des rations les plus maigres, souvent distribuées très irrégulièrement. De larges secteurs de l’industrie cessèrent de fonctionner, et des milliers d’ouvriers furent contraints de se débrouiller pour survivre. La réaction naturelle de beaucoup d’entre eux fut de quitter complètement les villes et de chercher quelques moyens de subsistance dans la campagne ; des milliers essayèrent de survivre en commerçant directement avec les paysans, troquant souvent des outils volés dans les usines contre de la nourriture. Quand le régime du communisme de guerre se mit à interdire l’échange individuel, chargeant l’État de la réquisition et de la distribution des biens essentiels, beaucoup de gens ne survécurent que grâce au marché noir qui fleurissait partout. Pour lutter contre celui-ci, le gouvernement établit des barrages armés sur les routes pour contrôler tous les voyageurs qui entraient ou sortaient des villes, pendant que les activités de la Tcheka pour renforcer les décrets du gouvernement se faisaient de plus en plus énergiques. Cette “Commission extraordinaire” établie en 1918 pour combattre la contre-révolution se comportait de façon plus ou moins incontrôlée, employant des méthodes impitoyables qui lui valurent la haine générale de tous les secteurs de la population.

Le traitement sommaire infligé aux paysans ne gagna pas non plus l’approbation universelle des ouvriers. Les rapports familiaux et personnels étroits entre beaucoup de secteurs de la classe ouvrière russe et la paysannerie tendaient à rendre les ouvriers sensibles aux plaintes des paysans sur les méthodes qu’utilisaient souvent les détachements armés envoyés pour la réquisition des céréales, surtout quand le détachement prenait plus que l’excédent des paysans et les laissait sans moyens de subvenir à leurs propres besoins, En réaction contre ces méthodes, les paysans cachaient ou détruisaient fréquemment leur récolte, venant par là aggraver la pauvreté et la pénurie dans tout le pays. L’impopularité générale de ces mesures de coercition économique allait être exprimée clairement dans le programme des insurgés de Kronstadt, comme nous allons le voir.

Si des révolutionnaires, comme Trotski, avaient tendance à faire des nécessités (imposées par la période) vertu, et à glorifier la militarisation de la vie économique et sociale, d’autres, et Lénine lui-même parmi eux, étaient plus prudents. Lénine ne dissimulait pas le fait que les Soviets ne fonctionnaient plus comme des organes du pouvoir prolétarien direct, et pendant le débat sur la question des syndicats en 1921 avec Trotski, il défendit l’idée que les travailleurs doivent se défendre eux-mêmes contre “leur” État, particulièrement depuis que la république des Soviets était selon Lénine, non plus seulement un “État prolétarien”, mais un “État des ouvriers et paysans” avec de profondes “déformations bureaucratiques”. L’Opposition Ouvrière et les autres groupes de gauche bien sûr, allèrent plus loin dans la dénonciation de ces déformations bureaucratiques que l’État avait subies dans la période 1918-21. Mais la majorité des bolcheviks croyaient fermement et sincèrement que tant qu’ils (comme parti du prolétariat) contrôleraient l’appareil d’État, la dictature du prolétariat existerait encore, mène si les masses laborieuses elles-.même semblaient temporairement être absentes de la scène politique. Cette position, fondamentalement fausse, devait inévitablement provoquer des conséquences désastreuses.

La crise de 1921

Tant que durait la guerre civile, l’État des Soviets conservait l’appui de la majorité de la population car il était identifié au combat contre les anciennes classes possédantes et capitalistes. Les privations très dures de la guerre civile avaient été supportées avec une bonne volonté relative par les travailleurs et les petits paysans. Mais après la défaite des armées impérialistes, beaucoup commençaient à espérer que les conditions de vie seraient moins sévères et que le régime relâcherait un peu son emprise sur la vie économique et sociale.

La direction bolchevique, toutefois, confrontée aux ravages de la production causés par la guerre, était assez réticente à permettre quelque relâchement dans le contrôle étatique centralisé. Quelques bolcheviks de gauche, comme Ossinsky, soutenaient le maintien et même le renforcement du communisme de guerre, surtout dans les campagnes. Il proposa un plan pour 1’"organisation obligatoire des masses pour la production”, (N. Ossinsky, Gosudarstvennca regulizovanie, Krest'ianskogo Khoziastva, Moscou 1920, pp. 8/9) sous la direction du gouvernement, pour la formation de “comités de semailles” locaux pour élargir la production collectivisée et pour des dépôts communs de semences dans lesquels les paysans seraient obligés de rassembler leurs “graines”, le gouvernement se chargeant de là distribution générale de ces graines. Toutes ces mesures – prévoyait-il – conduirait naturellement à l’économie “socialiste” en Russie.

Les autres bolcheviks, comme Lénine, commençaient à voir la nécessité d’un adoucissement, spécialement pour les paysans, mais dans l’ensemble, le parti défendait farouchement les méthodes du communisme de guerre. Le résultat fut que la patience des paysans commença à s’épuiser. Pendant l’hiver 1920-21, toute une série de soulèvements paysans s’étendit dans le pays. Dans la province de Tanbow, la région de la moyenne Volga, 1'Ukraine, la Sibérie occidentale et beaucoup d’autres régions, les paysans s’organisaient en bandes sommairement armées, pour lutter contre les détachements de ravitaillement et la Tcheka. Bien souvent, leurs rangs grouillaient de soldats de l’Armée rouge récemment démobilisés, qui apportaient un certain savoir-faire militaire. Dans certaines régions, d’énormes armées rebelles se formèrent, moitié forces de guérilla, moitié hordes de bandits. A Tanbow, par exemple l’armée de guérilla de A.S. Antonov comptait jusqu’à 50 000 hommes. Ces forces avaient peu de motivations idéologiques, si ce n’est leur ressentiment traditionnel de paysans contre la ville, contre le gouvernement centralisé et les rêves traditionnels de la petite bourgeoise rurale d’indépendance et d’autosubsistance. Ayant déjà affronté les armées paysannes de Makhno en Ukraine, les bolcheviks étaient hantés par la possibilité d’une jacquerie généralisée contre le pouvoir des Soviets. C’est pourquoi il n’est pas autrement surprenant qu’ils aient assimilés la révolte de Kronstadt à cette menace qui venait de la paysannerie. C’est sûrement l’une des raisons de la sauvagerie avec laquelle le soulèvement de Kronstadt fut réprimé.

Presque immédiatement après, une série de grèves sauvages beaucoup plus importantes se développa à Petrograd. Débutant à l’usine métallurgique Troubochny, la grève s’étendit rapidement, à beaucoup des plus grandes entreprises industrielles de la ville. Aux assemblées d’usine et dans les manifestations, des résolutions qui réclamaient une augmentation des rations de nourriture et de vêtements étaient adoptées, car la plupart des ouvriers avaient faim et froid. Allant de pair avec ces revendications économiques, d’autres, plus politiques, apparaissaient aussi : les ouvriers voulaient la fin des restrictions sur les déplacements en dehors des villes, la libération des prisonniers de la classe ouvrière, la liberté d’expression, etc. Les autorités soviétiques de la ville, Zinoviev à leur tête, répondirent en dénonçant les grèves comme “faisant le jeu de la contre-révolution” et placèrent la ville sous contrôle militaire direct, interdisant les assemblées dans les rues, et imposant un couvre-feu à 23 h. Sans aucun doute, quelques éléments contre-révolutionnaires comme les mencheviks ou les socialistes-révolutionnaires jouaient un rôle dans ces événements avec leurs propres visées politiques contre les bolcheviks dans leur soutien, mais le mouvement de grève de Petrograd était essentiellement une réponse prolétarienne spontanée aux conditions de vie intolérables. Les autorités bolcheviques, cependant, ne pouvaient admettre que les ouvriers puissent se mettre en grève contre l'"État ouvrier”, et taxaient les grévistes de provocateurs, de paresseux et d’individualistes. Elles cherchèrent aussi à briser la grève par des lock-out, des privations de rations, et l’arrestation, des porte-paroles des plus en vue et des “meneurs” par la Tcheka locale. Ces mesures répressives se combinaient avec des concessions : Zinoviev annonçait la fin du blocus des routes autour de la ville, l’achat de charbon à l’étranger pour faire face à la pénurie de combustible et faisait le projet de mettre fin aux réquisitions de céréales. Ce mélange de répression et de conciliation a conduit la plupart des travailleurs déjà affaiblis et épuisés à abandonner leur lutte dans l’espoir d’un futur meilleur.

Mais l’impact le plus important que le mouvement de grève de Petrograd devait avoir, fut celui qu’il eut sur la forteresse voisine, Kronstadt. La garnison de Kronstadt, un des principaux bastions de la révolution d’Octobre, avait déjà engagé une lutte contre la bureaucratisation avant les grèves de Petrograd. Pendant l’année 1920 et début 1921, les matelots de la flotte rouge dans la Baltique avaient combattu les tendances disciplinaires des officiers et les penchants bureaucratiques du POUBALT (section politique de la flotte de la Baltique – l’organe du Parti qui dominait la structure soviétique dans la marine). Des motions étaient votées par des assemblées de marins en février 21, déclarant “que le POUBALT ne s’est pas seulement séparé des masses, mais aussi des fonctionnaires actifs. Il est devenu un organe bureaucratique, ne disposant d’aucune autorité parmi les marins” (Ida Mett, La Commune de Kronstadt, p. 3).

Aussi, quand arrivèrent les nouvelles des grèves de Petrograd et de la déclaration de la loi martiale par les autorités, il y avait déjà un état de fermentation de révolte chez les marins. Le 28 février, ils envoyaient une délégation aux usines de Petrograd pour savoir ce qui se passait. Le même jour, l’équipage du croiseur Petropavlovsk se rassembla pour discuter de la situation et adopter la résolution suivante :

“Ayant entendu les représentants des équipages délégués par l’Assemblée générale des bâtiments pour se rendre compte de la situation à Petrograd, les matelots décident :

1- Etant donné que les soviets actuels n’expriment pas la volonté des ouvriers et des paysans, d’organiser immédiatement des réélections aux soviets par bulletins secrets, en ayant soin d’organiser une libre propagande électorale ;

2 – D’exiger la liberté de parole et de la presse pour les ouvriers et les paysans, les anarchistes et les partis socialistes de gauche ;

3 – D’exiger la liberté de réunion et la liberté des organisations syndicales et des organisations paysannes ;

4 – D’organiser au plus tard pour le 10 mars 1921 une conférence des ouvriers sans parti, soldats et matelots de Petrograd, de Kronstadt et du département de Petrograd ;

5 – De libérer tous les prisonniers politiques des partis socialistes, ainsi que tous les ouvriers et paysans, soldats rouges et marins emprisonnés des différents mouvements ouvriers et paysans ;

6 – D’élire une commission pour la révision des dossiers des détenus des prisons et des camps disciplinaires ;

7 – De supprimer tous les Politotdiel (sections politiques) car aucun parti ne doit avoir de privilèges pour la propagande de ces idées ni recevoir de l’État de ressources dans ce but. A leur place, doivent être créés des cercles culturels élus bénéficiant des ressources provenant de l’État ;

8 – De supprimer immédiatement tous les détachements de barrage ;

9 – D’égaliser la ration pour tous les travailleurs, excepté dans les corps de métiers insalubres et dangereux ;

10 – De supprimer les détachements de combat communistes dans les unités militaires et faire disparaître le service de garde communiste dans les usines et fabriques. En cas de besoin de ces services de garde, de les désigner par compagnie dans chaque unité militaire en tenant compte de 1’avis des ouvriers ;

11 – De donner aux paysans la liberté d’action complète sur leur terre ainsi que le droit d’avoir du bétail qu’ils devront soigner eux-mêmes et sans utiliser le travail des salariés ;

12 – De demander à toutes les unités militaires ainsi qu’aux camarades Koursantys de s’associer à notre résolution ;

13 – Exiger qu’on donne dans la presse une large publicité à toutes les résolutions ;

14 – Désigner un bureau de contrôle mobile ;

15 – Autoriser la production artisanale libre n’utilisant pas de travail salarié”.

Cette résolution devint rapidement le programme de la révolte de Kronstadt. Le 1er mars, une assemblée de masse de 16 000 personnes se déroula dans la garnison, officiellement prévue comme une assemblée des premières et deuxièmes sections de croiseurs, et à laquelle assistait Kalinine, président de l’exécutif des soviets de toutes les Russies, et Kouzmine commissaire politique de la flotte de la Baltique. Bien que Kalinine ait été accueilli avec de la musique et des drapeaux, lui et Kousmine se retrouvèrent bientôt complètement isolés, dans l’assemblée. L’assemblée entière adopta la résolution du Petropavlovsk, à l’exception de Kalinine et de Kouzmine qui prirent la parole sur un ton très provocateur pour dénoncer les initiatives de “ceux” de Kronstadt, et se firent huer.

Le jour suivant, le 2 mars, était le jour où le Soviet de Kronstadt devait être réélu. L’assemblée du 1er mars convoqua en conséquence une réunion des délégués des navires, des unités de l’Armée rouge des usines et autres, pour discuter de la reconstitution du Soviet. 300 délégués se rencontrèrent donc le 2 mars à la maison de la Culture. La résolution de Petropavlovsk fut de nouveau adoptée et des projets pour les élections du nouveau soviet présentés dans une motion avec l’orientation vers “une reconstruction pacifique du régime des Soviets” (Ida Mett, op. cité). En même temps, les délégués formèrent un comité révolutionnaire provisoire (CRP), chargé de 1'administration de la ville et de l’organisation de la défense contre toute intervention du gouvernement. Cette dernière tâche était considérée comme tout à fait urgente du fait de rumeurs à propos d’une attaque immédiate par des détachements bolcheviques, et à cause des violentes menaces de Kalinine et Kouzmine. Ces derniers se montraient si intraitables qu’ils furent arrêtés en même temps que deux autres personnages officiels, Cet acte marquait une étape décisive vers la mutinerie déclarée, et fut interprété comme tel par le gouvernement.

Le CRP assuma rapidement ses tâches. Il commença à publier ses propres Izvestia, dont le premier numéro déclarait :

“Le parti communiste, maître de cet État, s’est séparé des masses. Il s’est montré incapable de sortir le pays du chaos. D’innombrables incidents se sont produits récemment à Moscou et à Petrograd, qui montrent clairement que le Parti a perdu la confiance des masses ouvrières. Le Parti néglige les besoins de la classe ouvrière, parce qu’il croit que ces revendications sont le fruit d’activités contre-révolutionnaires. En cela, le Parti commet une profonde erreur” (Izvestia du CRP, 3 mars 1921).

La nature de classe de la révolte de Kronstadt

La réponse immédiate du gouvernement bolchevique à la rébellion a été de la dénoncer comme une partie de la conspiration contre-révolutionnaire contre le pouvoir des Soviets. Radio Moscou l’appelait “complot de la Garde blanche” et proclamait qu’il avait des preuves que toute l’affaire avait été organisée par les cercles émigrés â Paris, et par les espions de l’Entente. Bien que ces falsifications soient encore utilisées aujourd’hui, cette interprétation des événements n’a plus grand crédit de nos jours, même chez les historiens semi-trotskystes, comme Deutscher, qui admet que ces accusations n’ont aucun fondement dans la réalité. Bien sûr, tous les charognards de la contre-révolution, depuis les Gardes blancs jusqu’aux socialistes-révolutionnaires tentèrent de récupérer la rébellion et lui offrirent leur appui. Mais, excepté l’aide “humanitaire” par le canal de la Croix-Rouge russe contrôlée, par les émigrés, le C.R.P. rejeta toutes les avances faites par les forces de la réaction. Il proclamait qu’il ne luttait pas pour le retour de l’autocratie ou de l’Assemblée constituante, mais pour une régénération du pouvoir des Soviets, libéré de la domination bureaucratique : “Ce sont les Soviets et non l’Assemblée constituante, qui sont le rempart des travailleurs”, déclarait les Izvestia de Kronstadt. “A Kronstadt, le pouvoir est entre les mains des marins, des soldats rouges et des travailleurs révolutionnaires. Il n’est pas dans les mains des gardes blancs commandés par le général Kozlovsky, comme l’affirme mensongèrement Radio Moscou” (Appel du CRP, cité par Ida Mett, p. 22-23.).

Quand l’idée d’un simple complot se révéla être une fiction, des excuses plus élaborées furent avancées pour justifier la répression de Kronstadt qui suivit, par ceux qui s’identifient de façon non critique avec la dégénérescence du bolchevisme. Dans un texte “Hue and Cry over Kronstadt” (New Internationale, avril 1938), Trotski a présenté l’argumentation suivante : c’est vrai, Kronstadt a été un des bastions de la révolution prolétarienne en 1917. Mais pendant la guerre civile, les éléments prolétariens révolutionnaires de la garnison ont été dispersés et remplacés par des éléments paysans empreints de l’idéologie petite-bourgeoise réactionnaire. Ces éléments ne pouvaient absolument pas s’accommoder des rigueurs de la dictature du prolétariat et de la guerre civile, c’est pourquoi ils se révoltèrent pour affaiblir la dictature et s’octroyer des rations privilégiées. Le soulèvement de Kronstadt n’était rien de plus qu’une réaction armée de la petite bourgeoisie contre les épreuves de la révolution sociale et l’austérité de la dictature du prolétariat. Il poursuit en disant que les travailleurs de Petrograd, qui contrairement aux dandys de Kronstadt supportaient ces épreuves sans se plaindre, avaient été “dégoûtés” par la rébellion, sentant que les “mutins de Kronstadt étaient de l’autre côté des barricades” et c’est ainsi “qu’ils ont apporté leur soutien au pouvoir des Soviets”.

Nous ne voulons pas passer trop de temps à examiner ces arguments : nous avons déjà cité assez de faits pour les discréditer. L’affirmation que les insurgés de Kronstadt réclamaient des rations privilégiées pour eux-mêmes, peut être démentie simplement par le rappel du point 9 de la résolution du Pétropavlovsk, qui demandait des rations égales pour tous. De la même manière, le portrait des ouvriers de Petrograd apportant docilement leur soutien à la répression est complètement démenti par la réalité des vagues de grèves qui ont précédé la révolte. Bien que ce mouvement soit en grande partie retombé au moment où a éclaté la révolte de Kronstadt, des fractions importantes du prolétariat de Petrograd continuèrent à apporter un soutien actif aux insurgés. Le 7 mars, le jour où commença le bombardement de Kronstadt, les travailleurs de l’Arsenal tinrent un meeting qui élut une commission chargée de lancer une grève générale pour soutenir la rébellion. Les grèves continuaient à Poutilov, Battisky, Oboukov et dans les principales autres entreprises.

D’un autre côté, nous ne nierons pas qu’il y avait des éléments petit-bourgeois dans le programme et l’idéologie des insurgés et dans le personnel de la flotte et des armées. Mais tous les soulèvements prolétariens s’accompagnent de toute une quantité d’éléments petit-bourgeois et réactionnaires qui ne changent pas le caractère fondamentalement ouvrier du mouvement. Ce fut sûrement le cas lors de l’insurrection d’Octobre elle-même, qui avait le soutien et la participation active d’éléments paysans dans les forces armées et dans les campagnes. Le fait que les insurgés de Kronstadt avaient une large base ouvrière peut être prouvé par la composition de 1'assemblée de délégués du 2 mars, qui étaient, en grande partie, des prolétaires des usines, des unités de marine de la garnison, et de l’ensemble du CRP élu par cette assemblée, qui lui, était constitué de travailleurs et de marins de longue date qui avaient pris part au mouvement révolutionnaire au moins depuis 17 (voir la brochure d’Ida Mett pour la liste des membres de ce comité). Mais ces faits sont moins importants que le contexte général de la révolte ; celle-ci s’est produite dans le cours d’un mouvement de lutte de la classe ouvrière contre la bureaucratisation du régime, elle s’identifiait à cette lutte et se voyait comme un moment dans sa généralisation.

“Que les travailleurs du monde entier sachent que nous, les défenseurs du pouvoir des Soviets, protégeons les conquêtes de la révolution sociales Nous vaincrons ou nous périrons sur les ruines de Kronstadt, en nous battant pour… la juste cause “des masses prolétariennes” (Pravda de Kronstadt, p. 82)

En dépit du fait que les idéologues de la petite bourgeoisie, les anarchistes parlent de Kronstadt comme étant l’expression de leur révolte, malgré le fait que des influences anarchistes aient sans aucun doute existé dans le programme des insurgés et dans leur phraséologie, les revendications des insurgés n’étaient pas simplement anarchistes. Ils ne réclamaient pas une abolition abstraite de l’État, mais la régénération du pouvoir des Soviets. Ils ne voulaient pas non plus abolir les “partis” en tant que tels. Bien que beaucoup parmi les insurgés aient abandonné le parti bolchevik à cette époque, et quoiqu’ils aient publié beaucoup de résolutions confuses sur la “tyrannie communiste”, ils n’ont pas réclamé les “Soviets sans les Communistes”, comme on l’a souvent affirmé. Leur slogan était liberté d’agitation pour les différentes composantes de la classe ouvrière, et “le pouvoir aux Soviets, pas aux partis”. Malgré toutes les ambiguïtés inhérentes à ces mots d’ordre, ils exprimaient un rejet instinctif de l’idée du parti qui se substitue à la classe, ce qui a été un des principaux facteurs contribuant à la dégénérescence du bolchevisme”.

C’est l’un des traits caractéristiques de la rébellion, Elle ne présentait pas une analyse politique claire et cohérente de la dégénérescence de la révolution. De telles analyses cohérentes devraient trouver une expression au sein des minorités communistes, même si dans certaines conjonctures spécifiques, ces minorités peuvent être à la traîne de la conscience spontanée de la classe dans son ensemble. Dans le cas de la Révolution russe, cela a pris des décennies de réflexion ardue dans la Gauche Communiste internationale, pour arriver à une compréhension cohérente de ce qu’était sa dégénérescence. Ce que représentait le soulèvement de Kronstadt, c’était une réaction élémentaire du prolétariat à cette dégénérescence, une des dernières manifestations de masse de la classe ouvrière russe à cette époque. À Moscou, Petrograd et Kronstadt, les travailleurs ont envoyé un SOS désespéré pour sauver la révolution russe qui allait sur son déclin.

Kronstadt et la NEP (Nouvelle Politique Économique)

Nombre de discussions ont eu lieu à propos du rapport entre les revendications des rebelles et la NEP. Pour les staliniens impénitents de l’Organisation Communiste anglaise et irlandaise – B&ICO – (Problème du Communisme, n°3), la rébellion a dû être écrasée parce que son programme économique de troc et de libre échange était une réaction petite-bourgeoise au processus de “construction du socialisme” en Russie – le “socialisme” signifiant bien entendu, la centralisation la plus complète possible dans le cadre du capitalisme d’État. Mais en même temps B&ICO défend la NEP comme étape vers le socialisme ! A l’autre extrémité de l’éventail, 1'anarchiste Murray Bookchin, dans son introduction à l’édition canadienne de “La Commune de Kronstadt” (ed. Black Rose Book, Montréal 1971) dépeint le paradis libertaire qui aurait pu exister si seulement le programme économique des rebelles avait été appliqué :

“Une victoire ces marins de Kronstadt aurait pu ouvrir de nouvelles perspectives pour la Russie : une forme hybride de développement social avec le contrôle ouvrier sur les usines et le commerce libre des produits agricoles, fondé sur-une économie paysanne à petite échelle et des communautés agraires volontaires”.

Bookchin ajoute ensuite, curieusement, qu’une telle société n’aurait pu survivre que si un mouvement révolutionnaire avait abouti en même temps en Occident. Mais on peut se demander en quoi de tels rêves autogestionnaires de petits boutiquiers auraient pu représenter une menace pour le capital mondial !

De toute façon, toute cette controverse a peu d’intérêt pour des communistes. Étant donné l’échec de la vague révolutionnaire, aucune politique économique quelle qu’elle soit, que ce soit le communisme de guerre, les tentatives d’autarcie, la NEP ou le programme de Kronstadt, n’aurait pu sauver la Révolution. D’ailleurs beaucoup de revendications purement économiques présentées par les rebelles étaient plus ou moins incluses dans la NEP. En tant que programmes économiques, tous sont également inadéquats, et il serait absurde pour les révolutionnaires aujourd’hui de revendiquer le troc ou le libre échange corme mesures économiques adéquates pour un bastion prolétarien, même si, dans des circonstances critiques, il peut être impossible de les éliminer. La différence essentielle entre le programme de Kronstadt et la NEP était la suivante : alors, que cette dernière devait être instaurée par le haut, par la bureaucratie d’État naissante, en coopération avec les directions privées et capitalistes restantes, sans aucun rétablissement du pouvoir prolétarien, les insurgés de Kronstadt posaient comme préalable à toute marche en avant de.la révolution, la restauration du pouvoir authentique des soviets et un terme à la dictature étatique du parti bolchevik.

C’est le nœud du problème. Il est vain de discuter aujourd’hui pour savoir quelle politique économique était la plus “socialiste” à ce moment-là. Le socialisme ne pouvait pas être construit en Russie seulement. Les rebelles de Kronstadt le comprenaient peut-être moins que les bolcheviks les plus éclairés. Les insurgés, par exemple, parlaient de 1'établissement d’un “socialisme libre” (indépendant) en Russie, sans mettre 1'accent sur la nécessité de l’extension de la révolution à l’échelle mondiale avant que le socialisme ne puisse être instauré.

“Kronstadt révolutionnaire combat pour une espèce différente de socialisme, pour une république soviétique des travailleurs dans laquelle le producteur sera son propre maître et pourra disposer de son produit comme il lui semble bon” (Pravda de Kronstadt, p. 92).

L’évaluation prudente de Lénine sur les possibilités de progrès “socialistes” en Russie à cette époque, bien que l’ayant amené à des conclusions totalement erronées et lourdes de conséquences, était en fait une approximation plus conforme à la réalité que les espoirs illusoires de ceux de Kronstadt sur le sens révolutionnaire de communes autogérées au sein de la Russie.

Mais Lénine et la direction bolchevique, emprisonnés dans l’appareil d’État n’arrivèrent pas à voir ce que disaient en réalité les insurgés de Kronstadt, en dépit de leurs confusions et de leurs idées mal formulées : la révolution ne peut aller nulle part si les travailleurs ne la dirigent pas. La condition préalable fondamentale pour la défense et l’extension de la révolution en Russie était tout le pouvoir aux Soviets, en d’autres termes, la reconquête de l’hégémonie politique par les masses ouvrières elles-mêmes. Comme il 'est souligné dans le texte sur la “dégénérescence de la Révolution russe”, cette question du pouvoir politique est de loin la plus importante. Le prolétariat au pouvoir peut faire des progrès économiques importants, ou être obligé de supporter des reculs économiques sans que la Révolution soit perdue. Mais une fois que le pouvoir politique de la classe s’effrite, aucune mesure économique, quelle qu’elle soit, ne peut sauver de.la révolution. C’est parce que les rebelles de Kronstadt luttaient pour la reconquête de cet indispensable pouvoir politique prolétarien que les révolutionnaires d’aujourd’hui doivent reconnaître dans la lutte de Kronstadt une défense fondamentale des positions de classe.

L’écrasement de la révolte

La direction. bolchevique a réagi avec extrême hostilité à la rébellion de Kronstadt. Nous avons déjà évoqué le comportement provocateur de Kouzmine et Kalinine face à la garnison elle-même, les mensonges répandus par Radio Moscou qui disait que c’était une tentative contre-révolutionnaire de la Garde blanche. L’attitude intransigeante du gouvernement bolchevique élimina rapidement toute possibilité de compromis ou de discussion. L’avertissement péremptoire adressé par Trotski à la garnison demandait uniquement la réddition sans condition, et ne faisait aucune offre de concessions aux revendications des insurgés. L’appel à Kronstadt émis par Zinoviev et le comité de défense de Petrograd (l’organe qui avait placé la ville sous la loi martiale après la vague de grèves) est bien connu pour sa cruauté avec son ordre “vous tirez dessus comme sur des perdreaux” si les rebelles persistaient. Zinoviev organisa aussi le prise en otage des familles des insurgés, sous le prétexte de l’arrestation par le CRP d’officiels bolcheviques (aucun ne subit de tort). Ces actions furent dénoncées comme honteuses par les insurgés qui refusèrent de s’abaisser à ce niveau. Pendant l’assaut militaire lui-même de la forteresse, les unités de l’Armée rouge envoyées pour écraser la rébellion étaient constamment au bord de la démoralisation. Quelques-unes fraternisèrent même avec les insurgés. Pour “s’assurer” de la loyauté de l’armée, d’éminents dirigeants bolcheviques furent délégués par le Xe Congrès du parti, alors en session, pour aller conduire le siège, et parmi eux des membres de l’Opposition ouvrière qui tenaient à se démarquer du soulèvement. En même temps, les fusils de la Tcheka étaient braqués sur le dos des soldats pour s’assurer doublement qu’aucune démoralisation ne pouvait se propager.

Quand la forteresse tomba enfin, des centaines d’insurgés furent massacrés, exécutés sommairement ou rapidement condamnés à mort par la Tcheka. Les autres furent envoyés en camp de concentration. La répression fut systématiquement sans merci. Afin d’effacer toutes les traces du soulèvement, la garnison fut placée sous contrôle militaire. Le Soviet fut dissous, et une purge de tous les éléments dissidents s’effectua. Même les soldats qui avaient pris part à la répression de la révolte furent rapidement dispersés dans des unités différentes pour empêcher que les “virus de Kronstadt” ne se propagent. Des mesures analogues furent prises pour les unités “sujettes à caution” dans la marine.

Le développement des événements en Russie dans les années après la révolte rendent absurdes les déclarations disant que la répression de la rébellion était une “nécessité tragique” pour défendre la Révolution. Les Bolcheviques croyaient qu’ils défendaient la révolution contre la menace de la réaction, représentée par la Garde blanche, sur ce port frontalier stratégique. Mais quelles qu’aient pu être les idées des Bolcheviques sur ce qu’ils faisaient, en fait, en attaquant les rebelles, ils attaquaient la seule défense réelle que la révolution pouvait avoir : 1'autonomie de la classe ouvrière et le pouvoir prolétarien direct. En faisant cela, ils se sont comportés eux-mêmes comme des agents de la contre-révolution et ces actes ont servi à déblayer la route du triomphe final de la contre-révolution bourgeoise sous la forme du stalinisme.

La férocité extrême avec laquelle le gouvernement a réprimé le soulèvement avait conduit quelques révolutionnaires à la conclusion que le parti bolchevik était clairement et ouvertement capitaliste en 1921, exactement comme les staliniens et les trotskystes le sont aujourd’hui. Nous ne voulons pas entrer dans une longue discussion sur le moment où le parti est finalement passé irrémédiablement du côté de la bourgeoisie et, en tout cas, nous rejetons la méthode qui essaie d’enfermer la compréhension du processus historique dans un schéma rigide de dates.

Mais dire que le parti bolchevik n’était “rien d’autre que capitaliste” en 1921, c’est dire, en effet que nous n’avons rien à apprendre des événements de Kronstadt, sauf la date de la mort de la révolution. Les capitalistes après tout, répriment toujours les soulèvements ouvriers et nous n’avons pas “à l’apprendre” sans arrêt. Kronstadt peut seulement nous enseigner quelque chose de neuf si nous le reconnaissons comme un chapitre de l’histoire du prolétariat, comme une tragédie dans le camp prolétarien. Le problème réel auquel sont confrontés les révolutionnaires aujourd’hui, c’est comment un parti prolétarien a-t-il pu être amené à agir comme les bolcheviks à Kronstadt en 1921 ? Et comment pouvons-nous nous assurer que de tels événements ne se reproduiront plus jamais ? En somme, quelles sont les leçons de Kronstadt ?

Quelles leçons tirer ?

La révolte de Kronstadt éclaire sous un jour particulièrement dramatique les leçons fondamentales de toute la révolution russe, qui sont les seuls “acquis” de la classe ouvrière qui restent de la révolution d’Octobre aujourd’hui.

I – LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE EST INTERNATIONALE OU N’EST RIEN

La révolution prolétarienne peut seulement réussir à l’échelle mondiale. Il est impossible d’abolir le capitalisme ou de “construire le socialisme” dans un seul pays. La révolution ne sera pas sauvée par des programmes de réorganisation économique dans un pays, mais seulement par l’extension du pouvoir politique prolétarien sur toute la terre. Sans cette extension, la dégénérescence de la révolution est inévitable, quel que soit le nombre de changements apportés dans l’économie. Si la révolution reste isolée, le pouvoir politique du prolétariat sera détruit soit par une invasion de l’extérieur, soit par la violence interne comme à Kronstadt,

II – LA DICTATURE DU PROLÉTARIAT N’EST PAS CELLE D’UN PARTI

La tragédie de la révolution russe, et en particulier le massacre de Kronstadt, a été que le parti du prolétariat, le parti bolchevik a considéré que son rôle était de prendre le pouvoir d’État et la défense de ce pouvoir même contre la classe ouvrière dans son ensemble. C’est pourquoi, quand l’État s’autonomise par rapport à la classe, et se dresse contre elle, comme à Kronstadt, les bolcheviks ont considéré que leur place était dans l’État qui se battait contre la classe, et non avec la classe qui luttait contre la bureaucratisation de l’État.

Aujourd’hui, les révolutionnaires doivent affirmer comme un principe fondamental que le rôle du parti n’est pas de prendre le pouvoir au nom de la classe. Seule la classe ouvrière dans son ensemble, organisée dans ses comités d’usine, ses milices et ses conseils ouvriers, peut prendre le pouvoir politique et entreprendre la transformation communiste de la société. Le parti doit être un facteur actif dans le développement de la conscience prolétarienne, mais il ne peut pas créer le communisme “au nom” de la classe. Une telle prétention peut seulement conduire, comme cela a été le cas en Russie, à la dictature du parti sur la classe, à la suppression de l’activité du prolétariat par lui-même sous le prétexte que le “parti est mieux” ou plus clairvoyant.

En même temps, l’identification du parti à l’État, chose naturelle pour le parti bourgeois, ne peut qu’entraîner les partis prolétariens dans la corruption et la trahison. Un parti du prolétariat doit constituer la fraction la plus radicale et la plus avancée de la classe qui est elle-même la classe la plus dynamique de 1'histoire. Charger le parti du fardeau de l’administration des affaires de l’État, qui par définition peut seulement avoir une fonction conservatrice, c’est nier tout le rôle du parti et étrangler sa créativité révolutionnaire. La bureaucratisation progressive du parti bolchevik, son incapacité croissante à séparer les intérêts de classe révolutionnaire de ceux de l’État des soviets, sa dégénérescence en machine administrative, tout ceci est le prix payé par le parti lui-même pour ses conceptions erronées du parti qui exerce le pouvoir d’État.

III – PAS DE RAPPORT DE FORCE A L’INTÉRIEUR DE LA CLASSE OUVRIÈRE

Le principe qu’aucune minorité, aussi éclairée soit-elle, ne peut prendre le pouvoir sur la classe ouvrière, va de pair avec celui qu’il ne peut y avoir aucun rapport de force ou de violence au sein même de la classe ouvrière. La démocratie prolétarienne n’est pas un luxe dont on peut se dispenser au nom de “l’efficacité”, mais la seule garantie de la bonne marche de la révolution et de la possibilité pour la classe de tirer des enseignements à travers sa propre expérience. Même si des fractions de la classe ont manifestement tort, la “ligne juste” ne peut pas leur être imposée par une autre fraction, qu’elle soit majoritaire ou non. Seule une liberté totale de dialogue à l’intérieur des organes autonomes de la classe (assemblées, conseils, parti) peut résoudre les conflits et les problèmes de la classe. Ceci implique aussi que la classe entière puisse avoir accès aux moyens de communication (presse, radio, TV, etc.), garder le droit de grève et remettre en question les directives issues des organes étatiques.

Même si les marins de Kronstadt n’avaient pas compris certains aspects de la situation, la dureté des mesures prises par le gouvernement bolchevik a été totalement injustifiée. De telles actions peuvent détruire la solidarité et la cohésion à l’intérieur de la classe et engendrer la démoralisation et le désespoir. La violence révolutionnaire est une arme que le prolétariat est forcé d’utiliser dans son combat contre la classe capitaliste. Son usage contre les autres classes non exploiteuses doit être réduit au minimum, autant qu’il est possible, mais à l’intérieur même du prolétariat, elle ne doit avoir aucune place.

IV – LA DICTATURE DU PROLÉTARIAT N’EST PAS L’ÉTAT

Au moment de la révolution russe, il y avait une confusion fondamentale dans le mouvement ouvrier, qui identifiait la dictature du prolétariat à l’État qui est apparu après le renversement du régime tsariste, c’est-à-dire le Congrès des délégués de toutes les Russies des Soviets, des travailleurs, soldats et paysans.

Mais la dictature du prolétariat, fonctionnant à travers les organes spécifiques de la classe ouvrière, comme les assemblées d’usine et les conseils ouvriers, n’est pas une institution mais un état de fait, un mouvement réel de la classe toute entière. Le but de la dictature prolétarienne n’est pas celui d’un État dans, le sens où l’entendent les marxistes ; l’État est cet organe de superstructure issu de la société de classes, dont la fonction est de préserver les relations sociales dominantes, le statu quo entre classes. La dictature du prolétariat au contraire a comme but unique la transformation des rapports sociaux et l’abolition des classes. En même temps, les marxistes ont toujours affirmé la nécessité de l’État dans une période de transition au communisme, après l’abolition du pouvoir politique bourgeois. C’est pourquoi, l’État russe soviétique, comme la Commune de Paris a été un produit inévitable de la société de classes qui existait en Russie après 1917.

Certains révolutionnaires rependent l’idée que le seul État qui puisse exister après la destruction du pouvoir bourgeois, sont les conseils ouvriers eux-mêmes. Il est vrai que les conseils ouvriers ont à assurer la fonction qui a toujours été une des principales caractéristiques de l’État, l’exercice du monopole de la violence. Mais appeler les conseils ouvriers à s’identifier à l’État à cause de cela, c’est réduire le rôle de l’État à celui d’un simple organe de violence et rien d’autre. Alors, avec de telles conceptions, l’État bourgeois aujourd’hui serait seulement composé de la police et de l’armée et pas du parlement, des municipalités, des syndicats et des innombrables autres institutions qui maintiennent l’ordre capitaliste sans usage immédiat de la répression. Ces institutions sont des organes de l’État car.ils servent à maintenir l’ordre social existant, les antagonismes de classe au sein d’un cadre acceptable. Les conseils ouvriers, au contraire, représentent la négation active de cette fonction de l’État, en ce qu’ils sont d’abord et avant tout des organes de transformation sociale radicale, pas des organes de statu quo.

Mais plus que cela, c’est un vœu pieu d’attendre que les seules institutions qui existeront dans la période de transition soient uniquement les conseils ouvriers. Une révolution ne suit pas les prévisions simplistes de certains révolutionnaires. L’immense bouleversement social de la révolution engendre toutes sortes d’institutions, pas seulement de la classe ouvrière sur les lieux de production, mais de la population toute entière qui était opprimée par la classe capitaliste. En Russie, les soviets et les autres structures d’organisation sociale de la population apparurent non seulement dans les usines mais partout, dans l’armée, la marine, les villages, les quartiers des villes. Ce n’était pas seulement le fait que “les bolcheviks commençaient à construire un État qui avait une existence séparée de l’organisation de masse de la classe” (Workers’ Voice n° 14). Il est vrai que les bolcheviks ont contribué activement à la bureaucratisation de l’État, en abandonnant le principe des élections et en instituant d’innombrables commissions en dehors des Soviets. Mais les bolcheviks eux-mêmes ne créèrent pas 1’“État soviétique”. C’était quelque chose qui est né du terrain même de la société russe après Octobre ; il est arrivé parce que la société devait donner naissance à une institution capable de contenir ses antagonismes de classe profonds. Dire que seuls les conseils ouvriers peuvent exister, c’est prêcher la guerre civile permanente, non seulement entre la classe ouvrière et la bourgeoisie (qui est bien sûr nécessaire) mais aussi entre la classe ouvrière et toutes les autres couches non exploiteuses aurait signifié une guerre entre les soviets d’ouvriers et ceux de soldats et paysans. Ceci aurait été évidemment une terrible perte d’énergie et une déviation par rapport à la tâche primordiale de la révolution : l’extension de la révolution mondiale contre la classe capitaliste. (2)

Mais si cet état des soviets était à un certain point de vue le produit inévitable de la société post-insurrectionnelle, nous pouvons mettre en évidence un grand nombre de graves défauts dans ses structures et son fonctionnement, après l’insurrection d’Octobre, tout à fait en dehors du fait qu’il était contrôlé par le parti.

a – Dans le fonctionnement réel de l’État, il y avait un abandon continuel des principes fondamentaux établis d’après les expériences de la Commune en 1871 et réaffirmés par Lénine dans L’État et la Révolution en 1917 : tous les fonctionnaires sont élus et révocables à tout instant, la rémunération des fonctionnaires de l’État égale à celle des ouvriers, l’armement permanent du prolétariat. De plus en plus de commissions et de bureaux sur lesquels la classe ouvrière n’aurait aucun contrôle sont apparus (conseils économiques, Tcheka, etc.). Les élections étaient sans arrêt remises, retardées ou truquées. Les privilèges pour les personnes officielles de l’État étaient progressivement devenus un lieu commun. Les milices ouvrières ont été-dissoutes dans l’Armée rouge, qui n’était elle-même., ni sous le contrôle des conseils ouvriers, ni des soldats du rang.

b – Les conseils ouvriers, les comités d’usine et les autres organes du prolétariat, représentaient une partie de l’appareil d’État parmi les autres (bien que les travailleurs eussent un droit de vote préférentiel). Au lieu d’avoir la garantie de l’autonomie et de l’hégémonie sur toutes les autres institutions sociales, ces organes tendaient de plus en plus, non seulement à être intégrés dans 1'appareil général de l’État, mais à lui être subordonnés.

Le pouvoir prolétarien, au lieu de se manifester par le canal des organes spécifiques de la classe, a été identifié à l’appareil d’État. Bien plus, le postulat spécieux qu’il était un État “prolétarien”, “socialiste”, a amené les bolcheviks à soutenir que les travailleurs ne pouvaient avoir aucun droit ou intérêt différent de ceux de l’État. En conséquence de quoi, toute résistance à l’État de la part des travailleurs ne pouvait être que contre-révolutionnaire. Cette conception profondément erronée a été au cœur de la réaction des bolcheviks vis-à-vis des grèves de Petrograd, et du soulèvement de Kronstadt.

A l’avenir, les principes de la Commune, de l’autonomie de la classe ouvrière ne doivent pas être posés que sur le papier, mais défendus comme condition fondamentale du pouvoir prolétarien sur l’État. À aucun moment, la vigilance du prolétariat vis-à-vis de l’appareil d’État ne peut se relâcher, parce que l’expérience russe et les événements de Kronstadt en particulier, ont montré que la contre-révolution peut très bien se manifester par le canal de l’État post-insurrectionnel et pas seulement par celui d’une agression bourgeoise “extérieure”.

En conséquence, afin de s’assurer que 1'État-commune reste un instrument de 1'autorité prolétarienne, la classe ouvrière ne peut identifier sa dictature à cet appareil ambigu et sujet à caution, mais seulement à ses organes de classe autonomes. Ces organes doivent sans relâche contrôler le travail de l’État à tous les niveaux, en exigeant le maximum de représentation de délégués des conseils ouvriers dans les congrès généraux des soviets, 1'unification autonome permanente de la classe ouvrière au sein de ces conseils et le pouvoir décisionnel des conseils ouvriers sur toutes les mesures préconisées et planifiées par l’État. Les travailleurs doivent par-dessus tout, empêcher l’État d’interférer politiquement ou militairement avec ses propres organes de classe ; mais, d’un autre côté, la classe ouvrière doit maintenir sa capacité à exercer sa dictature sur et contre l’État, par la violence si besoin en est. Cela signifie que la classe ouvrière doit garantir son autonomie de classe, grâce à l’armement général du prolétariat. Si pendant la guerre civile, il devient nécessaire de créer une “Armée rouge” régulière, cette force doit être complètement subordonnée politiquement aux Conseils ouvriers et dissoute dès que la bourgeoisie a été militairement vaincue. Et, à aucun moment, les milices prolétariennes dans les usines ne peuvent être dissoutes.

L’identification du parti et de l’État, de l’État et de la classe a trouvé sa conclusion logique à Kronstadt, quand le parti s’est mis du côté de l’État contre la classe. L’isolement de la révolution russe qui est devenu en 1921 un facteur dramatiquement déterminant de l’évolution de la situation en Russie, a rendu l’État, par définition, gardien du statu quo, celui de la stabilisation du capital et de 1'asservissement des travailleurs. Malgré toutes ses bonnes intentions, la direction bolchevique qui a continué à espérer l’aube salvatrice de la Révolution mondiale pendant plusieurs années encore, a été forcée d’agir, par son implication dans la machine de l’État, comme un obstacle à la révolution mondiale, et a été entraînée vers le triomphe final de la contre-révolution stalinienne. Quelques-uns parmi les bolcheviks les plus lucides commençaient à voir que ce n’était pas le parti qui contrôlait l’État, mais l’État qui contrôlait le parti. Comme disait Lénine lui-même :

“La machine est en train d’échapper aux mains de ceux qui la conduisent : on dirait qu’il y a quelqu’un aux commandes qui dirige cette machine, mais celle-ci suit une autre direction que celle qui est voulue, conduite par une main cachée.. Dieu seul sait à qui elle appartient, peut-être à un spéculateur ou à un capitaliste privé, ou aux deux à la fois. Le fait est que la machine ne va pas dans la direction voulue par ceux qui sont censés la conduire et quelquefois, elle prend tout à fait la direction opposée”. (Rapport Politique du Comité Central du Parti en 1922).

Les dernières années de la vie de Lénine virent sa lutte sans espoir contre la bureaucratie naissante, avec des projets dérisoires comme celui d’une “Inspection des travailleurs et paysans” dans lequel la bureaucratie aurait été sous la surveillance d’une nouvelle commission bureaucratique ! Ce qu’il ne pouvait pas admettre, ou qu’il ne pouvait pas voir, c’était que le soi-disant “État prolétarien” était devenu purement et simplement une machine bourgeoise, un appareil de réglementation des rapports sociaux capitalistes et ne pouvait, en conséquence, n’être que fondamentalement inaccessible aux besoins de la classe ouvrière. Le triomphe du stalinisme n’était que la reconnaissance cynique de ce fait, l’adaptation finale et définitive du parti à son rôle de contremaître de l’État capitaliste,. Cela a été la signification réelle de la déclaration du “socialisme en un seul pays” en 1924.

Le soulèvement de Kronstadt a mis le parti devant un choix historique extrêmement grave : soit continuer à diriger cette machine bourgeoise et finir de cette façon comme un parti du capital, soit se séparer de l’État et être aux côtés de la classe ouvrière entière dans son combat contre cette machine, cette personnification du capital. En choisissant la première voie, les bolcheviks ont, en fait, signé leur arrêt de mort en tant que parti du prolétariat et ont donné de l’élan au processus contre-révolutionnaire qui s’est manifeste ouvertement en 1924. Après 1921, seules les fractions bolcheviques qui avaient commencé à comprendre la nécessité de s’identifier directement à la lutte des ouvriers contre l’État, pouvaient rester révolutionnaires et capables de participer au combat international des communistes de gauche contre la dégénérescence de la IIIe Internationale. Ainsi, par exemple, le “groupe ouvrier” de Miasnikov a pu jouer un rôle actif dans la grève sauvage qui s’étendit en Russie en août et septembre 1923. Ceci contrairement à l’Opposition de gauche, dirigée par Trotski, dont la lutte contre la fraction stalinienne se situait toujours à l’intérieur de la bureaucratie et ne faisait aucune tentative pour essayer de se rattacher à la lutte ouvrière contre ce que les trotskystes définissent comme un “État ouvrier” et une “économie ouvrière”. Leur incapacité initiale à se détacher de la machine État-Parti laissait prévoir l’évolution ultérieure du trotskysme en appendice “critique” à la contre-révolution stalinienne.

Mais les choix “historiques” sont rarement clairs au moment où ils doivent être faits. Les hommes font leur histoire dans dès conditions objectives définies et les traditions des générations passées pèsent “comme un cauchemar sur les cerveaux des vivants” (Marx). Ce poids cauchemardesque du passé écrasait les bolcheviks et seul le triomphe révolutionnaire du prolétariat occidental aurait pu rendre possible la suppression de ce poids et permettre aux bolcheviks, ou au moins à une fraction appréciable du parti, de réaliser quelles étaient leurs erreurs, et d’être régénérés par la créativité inépuisable du mouvement prolétarien international.

Les traditions de la social-démocratie, l’arriération de la Russie, en plus de tous les fardeaux du pouvoir d’État dans le contexte d’une vague révolutionnaire en reflux, tous ces facteurs devaient contribuer à faire prendre aux bolcheviks la position qu’ils ont eue à Kronstadt. Mais il n’y a pas que la direction bolchevique qui a été incapable de comprendre ce qui se passait à Kronstadt. Comme nous l’avons vu, l’Opposition ouvrière dans le parti s’était dépêchée dé se désolidariser des soulèvements et de participer à l’assaut de la garnison. Même quand 1'ultra-gauche russe alla au-delà des timides protestations de l’Opposition ouvrière et rentra dans la clandestinité, elle ne réussit pas à tirer les leçons du soulèvement et fit très peu de références à lui dans ses critiques au régime.

Le KAPD a critiqué la répression du soulèvement de façon incomplète et n’a pas cherché à soutenir la rébellion elle-même. En bref, peu de communistes comprirent alors la signification profonde du soulèvement et en tirèrent les leçons essentielles. Tout ceci témoigne du fait que le prolétariat n’apprend pas les leçons fondamentales de la lutte de classe d’un seul coup, mais seulement au travers d’une accumulation d’expériences douloureuses, de luttes sanglantes et d’intenses réflexions théoriques. Ce n’est pas la tâche des révolutionnaires aujourd’hui d’émettre des jugements moraux abstraits sur le mouvement ouvrier passé, mais de le voir comme un produit de ce mouvement, un produit capable de faire une critique impitoyable de toutes les erreurs du mouvement, mais un produit tout de même. Autrement, la critique du passé par les révolutionnaires actuels n’aurait aucune assise dans la lutte réelle de la classe ouvrière. Ce n’est qu’en voyant les protagonistes qui se faisaient face à Kronstadt comme les acteurs tragiques de notre classe, de notre propre histoire, que les communistes peuvent aujourd’hui prétendre au droit de dénoncer 1'action des bolcheviks et déclarer leur solidarité avec les insurgés. C’est seulement en comprenant les évènements de Kronstadt comme un moment du mouvement historique de.la classe qu’on peut espérer comprendre les leçons de cette expérience afin qu’elles soient appliquées dans la pratique présente et à venir de la classe. Alors seulement, nous pourrons assurer qu’il n’y aura plus jamais d’autre Kronstadt.

CDW, août 1975

1“La dégénérescence de la révolution russe (Réponses au Revolutionary Workers Group) [31]”, Revue Internationale n° 3, 4e trimestre 1975.

2Ceci n’implique pas que nous partagions la vision tant des bolcheviks que des insurgés de Kronstadt, du “pouvoir des ouvriers et des paysans”. La classe ouvrière, lors de la prochaine vague révolutionnaire, devra affirmer qu’elle est la seule classe révolutionnaire. C’est pourquoi, elle doit s’assurer qu’elle est la seule classe à s’organiser en tant que classe pendant la période de transition, dissolvant toute institution qui prétend défendre les intérêts spécifiques de toute autre classe. Le reste de la population aura le droit de s’organiser dans les limites de la dictature du prolétariat et sera représente au sein de l’État seulement en tant que “citoyens” par le canal des soviets élus territorialement. D’accorder des droits civils et le vote à ces couches ne leur attribue pas plus de pouvoir politique en tant que classe, que la bourgeoisie ne donne de pouvoir à la classe ouvrière en lui permettant de voter aux élections municipales et parlementaires.

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Russe [10]

Conscience et organisation: 

  • L'Opposition de Gauche [11]

Evènements historiques: 

  • Kronstadt [32]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La Révolution prolétarienne [12]

Source URL:https://fr.internationalism.org/en/content/revue-internationale-no-3-4e-trimestre-1975

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