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Révolution Internationale n° 310 - mars 2001

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Réfugiés de l'East Sea : l'ignoble hypocrisie de la bourgeoisie française

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Le vraquier aux cales chargées de pauvres hères entassés comme du bétail depuis plus d'une semaine s'était à peine échoué sur la Côte d'Azur, que le cri du coeur du très humaniste parti socialiste français ne s'est pas fait attendre : "on n'en veut pas !". Aux déclarations de François Hollande "il faut accueillir humainement ces exilés, mais ne pas leur donner l'illusion et l'espoir d'une intégration dans notre pays", enchérissait un Bertrand Delanoë : "le meilleur moyen de lutter contre ces trafics de personnes, c'est de ne pas considérer, à priori, que tout le monde pourra rester sur le territoire français". Quant au gouvernement de la gauche plurielle, il n'avait, de toutes façons, pas attendu les déclarations de ces dignes représentants du PS, pour prendre immédiatement des mesures coercitives conformes à de tels états d'âme : le parquage policier des 910 Kurdes dans une "zone d'attente", créée à la hâte sur une base militaire, dont le rôle consiste, comme pour celles qui existent dans tous les aéroports, à faciliter le "retour à l'envoyeur", avant qu'ils n'aient foulé le territoire français, des exilés dont la demande d'asile est jugée "manifestement infondée".

Cette réaction "réaliste" était encore appuyée par le bon "French doctor" Kouchner qui, en spécialiste reconnu de la misère du monde, déclarait à son tour doctement "Tant que les problèmes politiques du peuple kurde ne sont pas réglés, nous devons, nous les Européens, continuer à faire la différence entre les réfugiés politiques -et c'est peut-être leur cas- et les migrants économiques qui ne risquent, en rentrant chez eux, que de reprendre leur vie misérable", avant de renvoyer à une "mondialisation de la réponse qui viendra autant de ceux qui ont été à Davos que de ceux qui ont été à Porto Alegre".

Période électorale oblige, la droite, une fois n'est pas coutume, en a profité pour essayer de "doubler" le PS sur le terrain de l'humanitarisme, Devedjian appelant à "accueillir naturellement ces réfugiés qui ont été rejetés par les pays où ils vivent" et Seguin, ajoutant à son tour "nous n'allons pas nous mettre au niveau des négriers en renvoyant tout ce petit monde à Saddam Hussein".

Pour ne pas être en reste -et pour des motifs bien entendu tout aussi intéressés que les susdits- le gouvernement s'est du coup senti obligé de faire machine arrière. Cela l'aurait fichu trop mal à quelques semaines des élections de renvoyer directement, ne serait-ce qu'une partie des familles, en Irak. Alors on a décidé d'ouvrir les grilles de la zone d'attente de Frejus et d'envoyer les réfugiés, munis d'un sauf-conduit de huit jours, tenter individuellement leur chance dans la longue procédure de "demande d'asile politique".

L'exploitation des réfugiés à des fins électorales, voilà qui est déjà pas mal dans le domaine du cynisme. Mais ce n'est pas tout. Car le droit qui leur a été royalement accordé d'aller déposer "librement" une demande d'asile est tout aussi cynique. Chacun d'eux va pouvoir faire l'expérience de ce que veut dire l'hypocrite règle de la fameuse "convention de Genève" dont se réclame la prétendue "terre d'asile" qu'est la France. Celle-ci exige qu'on n'octroie pas d'asile aux membres de groupes de réfugiés tant que chacun n'apporte pas la preuve :

  • qu'il n'est pas un "réfugié économique", autrement dit que ce n'est pas la misère qu'il fuyait ;
  • qu'il a eu personnellement à souffrir d'une oppression ou d'une persécution (autre que "économique", évidemment !).

La différence, sur le fond, entre ce geste "généreux" et le discours du premier jour est donc bien mince : il n'est pas question de donner à ces près de mille réfugiés la possibilité de s'installer en France. Les mieux lotis, auront peut-être un jour les fameux papiers de "réfugiés politiques". Les autres sont condamnés à rester dans l'illégalité, sans statut ni possibilité de travailler décemment. Il leur restera à choisir entre se terrer pour échapper aux contrôles policiers et à la menace permanente d'expulsion, ou tenter à nouveau leur chance pour se glisser dans d'autres pays d'Europe en confiant à nouveau leur sort aux filières clandestines de passeurs.

Quant aux justifications qui consistent à marquer du sceau de l'infamie ceux qui ne sont que de vulgaires "réfugiés économiques", elles sont vraiment à vomir. D'abord, dans le cas de l'Irak, elles font semblant d'ignorer que ce que fuient principalement les boat people, c'est la misère effroyable qui règne dans toutes les régions de ce pays, qu'ils s'agisse aussi bien de la région kurdophone du nord que de celle de Bagdad, misère dont les conséquences de la guerre du Golfe puis l'embargo imposé à l'Irak depuis dix ans sont les premières responsables. On nous dira que, justement, la France s'oppose depuis quelques années à la poursuite de cet embargo (pour le très bon motif des intérêts commerciaux et impérialistes bien compris du capital français n'en doutons pas), mais on négligera de nous rappeler que la France n'avait pas autant d'états d'âme pour la population d'Irak quand elle participait au déluge de fer et de feu qui s'est abattu sur elle il y a dix ans.

Autre hypocrisie : les grands discours "anti-négriers" qui déclarent la chasse ouverte aux filières d'immigration clandestine. C'est le comble du cynisme de la part de tous les gouvernements de droite comme de gauche de s'offusquer à bon compte de ce que "le trafic d'êtres humains est un des secteurs en développement de la criminalité organisée" (Libération du 20 février) ! Et pour cause. Non seulement les grandes puissances occidentales portent une lourde responsabilité dans l'enfer grandissant que vivent les populations du tiers monde, mais une des raisons, et non des moindres, du caractère particulièrement lucratif, pour les mafias, du trafic d'émigrants, c'est la quasi-interdiction de l'immigration légale pour les prolétaires des pays pauvres. Ceux-ci n'ont donc guère le choix que de s'en remettre aux trafiquants de chair humaine illégaux qui les entassent dans des cales de navire ou dans des containers (comme les 58 chinois trouvés morts asphyxiés dans un container à Douvres l'été dernier).

Mais l'hypocrisie va plus loin. Tout d'abord, les Etats ferment volontiers les yeux sur les filières de passeurs, ne serait-ce que lorsque celles-ci agissent au sein des frontières de l'Europe et qu'elles sont un moyen, bien commode, de "laisser filer" les réfugiés atterris sur leur sol vers les pays voisins (par exemple, la Grande-Bretagne protestait récemment contre la mauvaise volonté mise par l'Etat français pour mettre fin aux filières de Calais qui font passer régulièrement des clandestins vers l'Angleterre).

Par ailleurs, le fameux distinguo entre réfugiés "politiques" et "économiques" prend racine dans la profonde nature des rapports capitalistes. Ceux qui ont une chance d'être classés dans la première catégorie, opposants aux régimes en place qui les pourchassent, sont le plus souvent des intellectuels issus de l'élite locale, bref la bourgeoisie occidentale sait y reconnaître sa propre classe. Les autres, qui affluent vers les pays riches dans l'espoir d'y trouver les moyens de vivre, ne sont "que" de la main-d'oeuvre, à la recherche d'un acheteur de leur force de travail, ce sont des membres du prolétariat, cette classe dépossédée de tout moyen de production et de toute "terre" et qui, de tous temps a dû s'exiler, émigrer "ailleurs", pour trouver un capital qui l'emploie. A ce titre, ils ne sont qu'une marchandise, la marchandise force de travail. Avant les trafiquants de chair humaine dénoncés ces jours-ci dans les médias, c'est d'abord le capital qui a toujours considéré les prolétaires comme une marchandise. Et, la force de travail étant une marchandise, la classe bourgeoise la traite comme tel, c'est-à-dire qu'elle se donne les moyens d'en "contrôler" le marché, comme on contrôle, par des quotas ou droits de douane, celui des céréales ou de l'acier.

Malgré les airs "dégoûtés" affichés par les gouvernements pour les "migrants économiques", ils savent très bien qu'aujourd'hui, comme hier, l'immigration constitue une des conditions de la bonne marche du capitalisme. Ces derniers temps notamment, les "experts" les plus sérieux des milieux patronaux ou de l'OMC, n'arrêtent pas de dire que les pays avancés, et notamment ceux d'Europe occidentale, auraient besoin qu'on "ouvre" un peu plus la porte à l'immigration venue des pays les plus pauvres. La main-d'oeuvre immigrée est en effet très avantageuse, justement parce qu'elle fournit une armée de réserve pour des emplois temporaires et précaires, et chose qu'on dit moins ouvertement, parce qu'elle est prête à travailler pour des salaires que les ouvriers de souche n'accepteraient pas.

Le subtil dosage entre le taux d'immigration "légale" et la "tolérance" de fait des Etats pour l'immigration clandestine, fait partie de la bonne gestion de la marchandise force de travail pour les besoins du capital. Les immigrés clandestins sont encore plus corvéables à merci que les "réguliers". Dépourvus de tout recours auprès des autorités contre les abus de leur patron, obligés de rester enfermés la plupart du temps pour éviter de se faire prendre par la police, n'ayant absolument aucune couverture sociale, les travailleurs clandestins sont réduits à une condition proche de l'esclavage et comparable à la condition ouvrière des premiers temps du capitalisme. C'est là une classe ouvrière comme l'aiment non seulement les patrons qui l'exploitent, mais l'ensemble de la bourgeoisie nationale de chaque pays puisque les très bas salaires qui lui sont versés permettent de réduire les coûts de l'ensemble de la production nationale face à la concurrence des autres pays.

C'est pour cela que les gouvernements, s'ils ne cessent de persécuter les immigrés clandestins, ne font pas grand chose pour lutter contre les patrons qui les emploient ni contre les mafias qui contrôlent les filières d'immigration. N'en doutons pas, les négriers qui emploient la main-d'oeuvre clandestine, les mafias et les Etats ont partie liée ; ils se partagent le travail au bénéfice du capitalisme.

P. (25 février)

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en France [1]

Récent et en cours: 

  • Immigration [2]

Premier forum social mondial : les défenseurs du capitalisme se retrouvent aussi à Porto Alegre

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Après Seattle, Prague et Nice, nous avons déjà largement dénoncé dans notre presse 1 [3] le piège des manifestations anti-mondialistes. Le premier "forum social mondial" de Porto Alegre qui s'est tenu au Brésil du 25 au 30 janvier a été présenté comme une nouvelle étape de ce type de rassemblements. Mais pour la première fois, ceux qui prétendent occuper le terrain d'un anti-capitalisme radical ont montré le plus crûment leur vrai visage, celui du réformisme le plus classique et le plus vulgaire. Porto Alegre a en effet tout pour dissiper les illusions de ceux qui voyaient encore dans ce genre de "lutte" des ferments de lutte anticapitaliste et des potentialités révolutionnaires.
Ce nouveau rendez-vous contestataire rassemblait plus de 12 000 participants représentant près d'un millier d'organisations les plus diverses et 120 pays face au sommet économique de Davos qui se tenait au même moment en Suisse. Mais la publicité médiatique faite autour de ce "forum social" n'a pas seulement été liée à une nouvelle contestation folklorique, carnavalesque et hétéroclite.

"Alternative au capitalisme" ou entreprise idéologique bourgeoise ?

On nous a présenté Porto Alegre et Davos comme étant directement opposés en racontant que Porto Alegre était un contrepoids par rapport à Davos. On nous a dit que l'un était un sommet économique des gouvernants et des plus grands patrons capitalistes de la planète, l'autre un forum social ouvert et démocratique. On nous a raconté que l'un n'était qu'un cénacle non représentatif, sinon de l'élite du monde, "du pognon" et des décideurs, alors que l'autre était l'expression d'un "nouveau mouvement social" représentant l'ensemble des citoyens du monde.
En réalité, quels ont été les animateurs de Porto Alegre censés être représentatifs de ce "nouveau mouvement social" ? Une majorité foisonnante de représentants des ONG à couverture "humanitaire" qui se font les meilleurs porte-paroles des "citoyens" de la "société civile", des syndicalistes bon teint, surtout paysans de la même mouvance que la Confédération paysanne de José Bové et des "personnalités" politiques des partis de gauche comme Chevènement 2 [4] ou "Lula" 3 [5]. Ce qui s'est traduit aussi par la participation officielle de deux secrétaires d'Etat du gouvernement Jospin. On avait là en fait une belle brochette de partis de gouvernement, de vieux routiers du syndicalisme et de représentants de la social-démocratie la plus classique.
On a aussi clamé bien fort qu'à Porto Alegre, face aux effets destructeurs de la mondialisation, à la dictature des marchés, de la pensée unique et aux abus de la dictature libérale, ont été posées les bases majeures de la construction d'une alternative politique et d'un véritable contre-pouvoir planétaire des "citoyens".
Cependant, même un sociologue bourgeois patenté nommé Guy Groux interrogé sur ce "forum social" a dû le reconnaître dans une interview parue dans Libération du 26 janvier avec une certaine pertinence : "Les mouvements sociaux d'aujourd'hui ont l'apparence de la radicalité, mais au fond leur position ne l'est pas. Ce qu'ils veulent, c'est davantage de régulation. Ils ne demandent pas la mise à mort d'un modèle, mais son amendement. (...) Nous sommes passés d'un modèle d'utopie qui voulait changer la société à une pratique réaliste, qui ne prétend pas à une nouvelle société. C'est un réformisme radical ." C'est là le fond de la question car avec la mise en avant d'une fausse opposition entre libéralisme et régulation du marché mondial, les partisans réformistes de Porto Alegre tentent de faire croire que les inégalités sociales proviennent d'un manque de réglementation juridique pour encadrer la concurrence capitaliste. Ainsi une plus grande intervention législative des Etats serait au service du prolétariat et des exploités alors que cette régulation est bel et bien omniprésente et c'est même la raison d'être des organismes internationaux comme l'OMC ou les banques centrales, produits de la coopération entre Etats qui sont justement la cible favorite des antilibéraux. En fait, leur grande entreprise, derrière l'image anticapitaliste qu'ils cherchent à se donner, c'est uniquement de redorer le blason du réformisme et des partis sociaux-démocrates qui sont largement mouillés là dedans.
Le président d'Attac, Bernard Cassen, écrivait dans Le Monde Diplomatique de janvier 2001 : "Il appartiendra ensuite (après Porto Alegre) aux différents mouvements, syndicats et élus de décliner, pays par pays, et en fonction des rapports de forces locaux, la traduction de ces premières alternatives globales. C'est donc bien un nouvel internationalisme qui se met en place." Cette référence à l'internationalisme largement reprise par les médias et les participants à Porto Alegre qui parlent de la construction d'une "Internationale des citoyens du monde" signifie que la bourgeoisie ne peut plus se contenter aujourd'hui d'enfermer la population en général et les prolétaires en particulier avec l'idéologie de la seule défense du capital national. Elle a besoin d'occuper le terrain social avec un réformisme plus radical et un langage internationaliste parce qu'elle sait bien que c'est de cette voie de l'internationalisme que vient le danger de remise en cause de son système d'exploitation. Voilà pourquoi elle prétend construire une "nouvelle Internationale" social-démocrate gauchisante. Mais ce leurre édifié au nom du peuple, de la démocratie et des droits des citoyens à l'échelle de la planète ne peut pas revendiquer autre chose que le programme politique d'une révolution bourgeoise déjà réalisée depuis plus de deux siècles. C'est parce que cette idéologie "citoyenne" est précisément indissociable de la domination du capitalisme, que prétendre s'opposer au capitalisme par la citoyenneté est un complet non-sens. C'est une impasse pour les prolétaires et les exploités.
En fait d'alternative politique radicale, ce n'est pas pour rien que le gouvernement français avait un pied à Davos et l'autre à Porto Alegre et que Fabius déclarait depuis la Suisse : "Je suis frappé par le malentendu. J'entends des contestataires dire qu'à Davos, nous ne serions pas légitimes et représentatifs. Tout cela est de la caricature. La globalisation et les efforts nationaux vont dans le même sens" (Le Monde du 31 janvier) tandis qu'un représentant d'une ONG à Porto Alegre assurait de son côté : "Le ministre Laurent Fabius et moi-même parlons d'une même voix ... On peut dire oui aux bénéfices de l'échange et de l'ouverture commerciale mais en donnant à la mondialisation des règles" (Ibid.). Cette même voix dont ils parlent, c'est celle de la bourgeoisie.

"Nouveau laboratoire social" ou poursuite de l'exploitation capitaliste ?

On nous a aussi et surtout présenté Porto Alegre comme un "véritable laboratoire" contre les inégalités sociales engendrées par les excès du capitalisme. Ce modèle a été vanté avec un zèle extasié par un Ignacio Ramonet, rédacteur en chef du Monde Diplomatique dans son éditorial de janvier dernier : "Pourquoi précisément là ? Parce que Porto Alegre est devenue depuis quelques années, une cité emblématique (...) une sorte de laboratoire social que des observateurs internationaux regardent avec une certaine fascination. Gouvernée de manière originale, depuis douze ans , par une coalition de gauche conduite par le Parti des Travailleurs (PT), cette ville a connu dans maints domaines (...) un développement spectaculaire. Le secret de cette réussite ? Le budget participatif, soit la possibilité pour les habitants des différents quartiers de définir très concrètement et très démocratiquement l'affectation des fonds municipaux.(...) Aucun détournement de fonds, aucun abus n'est ainsi possible, et les investissements correspondent exactement aux souhaits majoritaires de la population des quartiers." Les habitants peuvent ainsi décider des priorités des investissements à réaliser par la municipalité et même suivre l'évolution des chantiers votés. Merveilleux, n'est-ce pas ? Sauf que cette "démocratie participative" n'est qu'une resucée des mystifications autogestionnaires dont les ouvriers ont rapidement fait l'expérience, aussi bien sous le régime de Tito dans l'ex-Yougoslavie qu'en Europe occidentale dans les luttes proposées un temps pour modèle dans les années 1973/74 (comme Lip en France) "pour sauver leur entreprise", que la seule gestion qu'ils avaient, c'était gérer leur propre exploitation. A Porto Alegre cela revient à une gestion de la misère et de la pénurie. La fixation de l'enveloppe budgétaire des crédits d'investissements (les seuls qui soient autogérés) reste, elle, bien sûr dans d'autres mains et ce budget disponible n'est évidemment pas augmenté d'un centime. On veut ainsi une nouvelle fois nous faire prendre des vessies capitalistes pour des lanternes socialistes. En fait, cela ne sert précisément que de cache-misère. Et c'est pour cela que 200 villes brésiliennes pratiquent aujourd'hui cette "démocratie participative" qui nous est présentée comme un nouveau modèle social. Mieux, ce sont des propositions de ce type ou d'autres recettes démagogiques plus ou moins réalisables à l'intérieur de l'exploitation capitaliste comme la taxation par l'Etat des transactions financières (la fameuse "taxe Tobin" qui, appliquée unilatéralement à tous ne changerait strictement rien aux rapports de concurrence entre capitalistes) 4 [6] ou l'interdiction des "paradis fiscaux" qu'on nous présente comme les prémices de leur prétendue "Internationale citoyenne et démocratique". Celle-ci n'a rien à voir avec les intérêts de la classe ouvrière et elle n'a rien à voir avec l'internationalisme prolétarien. Elle est une véritable parodie qui, pour tenter d'exorciser le mouvement ouvrier, affiche de dérisoires prétentions à se substituer au terrain de classe, à l'internationalisme prolétarien en mettant en avant le ridicule modèle social de la "démocratie participative" du PT brésilien. En fait, cette nouvelle manoeuvre grossière de notre ennemi de classe n'est que de la poudre aux yeux balancée par la social-démocratie et ses alliés pour brouiller les pistes trop évidentes sur ses états de service purement capitalistes et tenter de ravaler sa façade politique à moindre frais.
CB


1 [7] Voir notamment les articles "Mensonges autour du sommet de l'OMC à Seattle : on ne peut pas réformer le capitalisme, il faut le détruire" (RI n° 297, janvier 2000) et "De Seattle à Nice, le piège des mobilisations 'antimondialistes'" (RI n° 308, janvier 2001).

2 [8] Présent comme emblématique président du Mouvement des Citoyens mais surtout célèbre en tant qu'ancien ministre de l'intérieur champion de l'expulsion des travailleurs sans-papiers.

3 [9] Luis Ignacio Lula da Silva, dit "Lula", président du PT (parti de gauche rassemblant sociaux-démocrates, divers courants trotskisants, syndicalistes et "chrétiens de gauche") devenu une sorte de Walesa à la brésilienne qui s'est illustré au cours des grèves ouvrières au milieu des années 1970 pour avoir poussé le gouvernement à officialiser le syndicalisme alors illégal et qui a été depuis lors candidat à l'élection présidentielle à trois reprises.

4 [10] Voir RI n° 293, sept. 1999, l'article "Taxe Tobin : une fausse réponse à la crise du capitalisme, une vraie mystification antiouvrière". Le milliardaire spéculateur Georges Soros a lui même récemment déclaré qu'il était favorable à l'institution de la taxe Tobin...

Courants politiques: 

  • Anti-globalisation [11]

La répression de Kronstadt en mars 1921 : une erreur tragique du mouvement ouvrier

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Il y a 80 ans, en mars 1921, moins de quatre ans après la prise du pouvoir par la classe ouvrière lors de la révolution d'octobre 1917 en Russie, le parti bolchevik met fin par la force à l'insurrection de la garnison de Kronstadt sur la petite île de Kotline dans le Golfe de Finlande, à 30 kilomètres de Petrograd.
La Russie des soviets avait dû mener durant plusieurs années un combat sanglant dans la guerre civile contre les menées contre-révolutionnaires des armées blanches soutenues par les armées étrangères. Mais la révolte de la garnison de Kronstadt ne fait pas partie de ces tentatives contre-révolutionnaires : c'est une révolte au sein même des partisans ouvriers du régime des soviets qui avaient été à l'avant garde de la révolution d'Octobre. Ces ouvriers mettent en avant des revendications en vue de corriger les nombreux abus et les déviations intolérables du nouveau pouvoir. Et sa répression sanglante a constitué une tragédie pour le mouvement ouvrier dans son ensemble.
Octobre 1917 en Russie a été une révolution prolétarienne, le premier épisode victorieux dans le déroulement de la révolution prolétarienne mondiale qui était la réponse de la classe ouvrière internationale à la guerre impérialiste de 1914-18. L'insurrection d'Octobre faisait partie d'un processus de destruction de l'Etat bourgeois et d'établissement de la dictature du prolétariat et, comme les bolcheviks l'ont passionnément défendu, sa signification profonde était qu'elle devait marquer le premier moment décisif de la révolution prolétarienne mondiale, de la guerre de classe du prolétariat mondial contre la bourgeoisie.

L'isolement de la révolution en Russie est la véritable cause de sa dégénérescence

La révolution commencée en Russie 1917 n'a pas réussi à s'étendre internationalement malgré les nombreuses tentatives de la classe ouvrière dans toute l'Europe.
La Russie elle-même avait été déchirée par une longue et sanglante guerre civile qui avait dévasté l'économie et fragmenté le prolétariat industriel, colonne vertébrale du pouvoir des soviets.
L'élimination des comités d'usine, la subordination progressive des soviets à l'appareil d'Etat, le démantèlement des milices ouvrières, la militarisation croissante de la vie sociale, résultats des périodes de tension durant la guerre civile, la création de commissions bureaucratiques, étaient toutes des manifestations extrêmement significatives du processus de dégénérescence de la révolution en Russie. Bien que certains de ces faits datent d'avant même la période de guerre civile, c'est cette dernière qui voit le plein épanouissement de ce processus. De plus en plus, la direction du Parti-Etat développait des arguments montrant que l'auto-organisation de la classe ouvrière était excellente en principe, mais que, dans l'instant présent, tout devait être subordonné à la lutte militaire. Une doctrine de "l'efficacité" commençait à saper les principes essentiels de la démocratie prolétarienne. Sous le couvert de cette doctrine, l'Etat commença à instituer une militarisation du travail, qui soumettait les ouvriers à des méthodes de surveillance et d'exploitation extrêmement sévères. Ayant émasculé les comités d'usine, la voie était libre pour que l'Etat introduise la "direction d'un seul" et le système de Taylor d'exploitation sur les lieux de production, le même système que Lénine lui-même avait dénoncé comme l'asservissement de l'homme à la machine. Les ravages de l'économie de guerre et le blocus mettaient le pays tout entier au bord de la famine, et les travailleurs devaient se contenter des rations les plus maigres, souvent distribuées très irrégulièrement. De larges secteurs de l'industrie cessèrent de fonctionner, et des milliers d'ouvriers furent contraints à la débrouille individuelle pour survivre. La réaction naturelle de beaucoup d'entre eux fut de quitter complètement les villes et de chercher quelques moyens de subsistance à la campagne.
Tant que durait la guerre civile, l'Etat des soviets conservait l'appui de la majorité de la population car il était identifié au combat contre les anciennes classes possédantes. Les privations très dures de la guerre civile avaient été supportées avec une bonne volonté relative par les travailleurs, les ouvriers et les petits paysans. Mais après la défaite des armées blanches, beaucoup commençaient à espérer que les conditions de vie seraient moins sévères et que le régime relâcherait un peu son emprise sur la vie économique et sociale. La direction bolchevique, toutefois, confrontée aux ravages de la production causés par la guerre, était assez réticente à permettre quelque relâchement dans le contrôle étatique sur la vie sociale.

Le soulèvement de Kronstadt

A la fin de 1920, des soulèvements paysans s'étendent à travers la province de Tambov, la moyenne Volga, l'Ukraine, la Sibérie occidentale et d'autres régions. La démobilisation rapide de l'Armée Rouge met de l'huile sur le feu avec le retour dans leurs villages des paysans en uniforme. La revendication centrale de ces révoltes porte sur l'arrêt des réquisitions de blé et sur le droit des paysans à disposer de leurs produits. Au début de 1921, l'esprit de révolte s'est étendu aux ouvriers des villes qui avaient été l'avant-garde de l'insurrection d'Octobre : Petrograd, Moscou et Kronstadt.
Petrograd connut une série de grèves spontanées importantes. Aux assemblées d'usine et dans les manifestations, des résolutions qui réclamaient une augmentation des rations de nourriture et de vêtements, étaient adoptées, car la plupart des ouvriers avaient faim et froid. Allant de pair avec ces revendications économiques, d'autres plus politiques, apparaissaient aussi : les ouvriers voulaient la fin des restrictions sur les déplacements en dehors des villes, la libération des prisonniers de la classe ouvrière, la liberté d'expression, etc. Sans aucun doute, quelques éléments contre-révolutionnaires comme les mencheviks ou les socialistes-révolutionnaires (SR) jouaient un rôle dans ces événements, mais le mouvement de grève de Pétrograd était essentiellement une réponse prolétarienne spontanée aux conditions de vie intolérables. Les autorités bolchéviques, cependant , ne pouvaient admettre que les ouvriers puissent se mettre en grève contre l'Etat post-insurrectionnel qualifié "d'Etat ouvrier", et taxaient les grévistes de provocateurs, de paresseux et d'individualistes.
Ce sont les troubles sociaux en Russie, et surtout à Pétrograd, qui vont servir de détonateur à la révolte des marins de Kronstadt. Avant que n'éclatent les grèves de Pétrograd, les marins de Kronstadt (que Trotsky qualifiait comme étant la "gloire et l'honneur de la révolution") avaient déjà entamé une lutte de résistance contre les tendances bureaucratiques et le renforcement de la discipline militaire au sein de la Flotte Rouge, mais quand arrivent les nouvelles de Pétrograd et de la déclaration de la loi martiale, immédiatement les marins se mobilisent et envoient le 28 février une délégation aux usines de Pétrograd. Le même jour, l'équipage du croiseur Petropavlovsk se réunit et vote une résolution qui va devenir le programme des insurgés de Kronstadt. Cette résolution met en avant des revendications économiques et politiques, réclamant notamment la fin des mesures draconniennes du "communisme de guerre" et la régénération du pouvoir des soviets avec liberté d'expression, liberté de la presse, droit d'expression de tous les partis politiques.
Le 1er mars, deux délégués du parti bolchévik rencontrent l'équipage du Petropavlovsk et dénoncent cette résolution en brandissant immédiatement la menace de répression si les marins ne reculent pas. Cette attitude arrogante et provocatrice des autorités bolchéviques va mettre le feu aux poudres et galvaniser la colère des matelots. Le 2 mars, jour de la réélection du soviet de Kronstadt, la résolution du Petropavlovsk est votée par 300 délégués qui adoptent une motion pour la "reconstitution pacifique du régime des soviets". Les délégués forment un "Comité Révolutionnaire Provisoire" (CRP) chargé de l'administration de la ville et d'organiser sa défense contre toute intervention armée du gouvernement. A partir de ce jour est née la commune de Kronstadt qui publie ses propres Izvestia dont le premier numéro déclarait : "Le parti communiste, maître de cet Etat, s'est déclaré incapable de sortir le pays du chaos. D'innombrables incidents se sont produits récemment à Moscou et à Pétrograd, qui montrent clairement que le parti a perdu la confiance des masses ouvrières. Le parti néglige les besoins de la classe ouvrière parce qu'il croit que ces revendications sont le fruit d'activités contre-révolutionnaires. En cela, le parti commet une profonde erreur."
Cependant, la révolte de la Commune de Kronstadt est restée totalement isolée. L'appel des insurgés à l'extension de ce qu'ils appelaient la "Troisième révolution" est restée sans écho. A Pétrograd, malgré l'envoi d'une délégation aux usines, malgré la diffusion de tracts et de la résolution du Pétropavlovsk, l'appel de la Flotte Rouge n'a pas réussi à mobiliser la classe ouvrière de toute la Russie qui pourtant se reconnaissait entièrement dans le programme des insurgés et soutenait pleinement la révolte. Les ouvriers de Pétrograd ont mis fin à leurs mouvements de grèves et ont repris le travail soumis à la loi martiale car la classe ouvrière en Russie avait été brisée, démoralisée, éparpillée par la guerre civile.

L'écrasement de Kronstadt

La réponse immédiate du gouvernement bolchevik à la rébellion a été de la dénoncer comme une partie de la conspiration contre-révolutionnaire contre le pouvoir des soviets. Bien sûr, tous les charognards de la contre-révolution, depuis les gardes blancs jusqu'aux SR tentèrent de récupérer la rébellion et lui offrirent leur appui. Mais excepté l'aide humanitaire par le canal de la Croix-Rouge russe contrôlée par les émigrés, le CRP rejeta toutes les avances faites par les forces de la réaction. Il proclamait qu'il ne luttait pas pour le retour de l'autocratie, ou de l'Assemblée Constituante (où s'étaient rassemblés, début 1918, les ennemis de la révolution) mais pour une régénération du pouvoir des soviets libéré de la domination bureaucratique : "Ce sont les soviets et non l'assemblée constituante qui sont le rempart des travailleurs" déclaraient les Izvestia de Kronstadt. "A Kronstadt, le pouvoir est entre les mains des marins, des soldats rouges et des travailleurs révolutionnaires. Il n'est pas dans les mains des gardes blancs commandés par le général Kozlovsky, comme l'affirme mensongèrement radio Moscou"
On ne peut pas nier qu'il y ait eu des éléments petits-bourgeois dans le programme et l'idéologie des insurgés et dans le personnel de la flotte et des armées. En fait, c'était l'occasion pour ces éléments, qui étaient hostiles au parti bolchévik parce qu'il avait été à la tête de la révolution de 1917, de manifester cette hostilité. Mais la présence de ces éléments ne changeait absolument pas la nature du mouvement lui-même.
La direction bolchevique a réagi avec une extrême fermeté à la rébellion de Kronstadt. Son attitude intransigeante élimina rapidement toute possibilité de compromis ou de discussion. Pendant l'assaut militaire lui-même de la forteresse, les unités de l'Armée Rouge envoyées pour écraser la rébellion étaient constamment au bord de la démoralisation. Quelques unes fraternisèrent même avec les insurgés. Pour s'assurer de la loyauté de l'armée, d'éminents dirigeants bolcheviks furent envoyés du 10e congrès du parti, alors en session à Moscou. En même temps, les fusils de la Tcheka étaient braqués sur le dos des soldats pour s'assurer doublement qu'aucune démoralisation ne pouvait se propager. Quand la forteresse tomba enfin, des centaines d'insurgés furent massacrés, exécutés sommairement ou rapidement condamnés à mort par la Tcheka. Les autres furent envoyés en camp de concentration. La répression fut systématique et sans merci.
Au moment des événements, c'est la peur accablante du danger que les gardes blancs n'exploitent la révolte de Kronstadt pour régler leur compte aux bolcheviks, qui a amené bien des voix les plus critiques du pouvoir bolchevik à soutenir la répression.

Une erreur de tout le mouvement ouvrier

En effet, s'il est une chose que les antiléninistes de tous poils se sont efforcés en permanence de masquer, c'est que cette erreur du parti bolchévik a été partagée par l'ensemble du mouvement ouvrier de l'époque, y compris par les fractions et courants de la gauche communistes qui avaient été exclus de l'Internationale.
Ainsi, l'Opposition Ouvrière, fraction critique à la direction bolchévique, a apporté son plein soutien à la répression et Alexandra Kollontaï (qui était à la tête de cette fraction oppositionnelle) ira même jusqu'à affirmer que les membres de son Opposition seraient les premiers à se porter volontaires pour écraser la rébellion.
Les fractions de la Gauche germano-hollandaise, bien qu'elles se soient clairement démarquées de la position jusqu'au-boutiste de Kollontaï, n'ont pas condamné ni même critiqué la politique du parti bolchévik. Ainsi, le KAPD 1 [12], au moment des événements, avait défendu la thèse suivant laquelle la révolte de Kronstadt était un complot contre-révolutionnaire contre la Russie des soviets, ce qui l'a conduit à ne pas condamner la répression.
Görter, au sein de la Gauche hollandaise, a affirmé que les mesures prises par les bolchéviks étaient "nécessaires" face à la révolte de Kronstadt car il fallait écraser cette insurrection contre-révolutionnaire dont il estimait qu'elle venait de la paysannerie.
Au sein-même du parti bolchévik, Victor Serge, bien qu'ayant affirmé son refus de prendre les armes contre les marins de la Flotte Rouge, n'a pas protesté contre la répression par fidélité au parti.
Ainsi, il est clair que cette erreur tragique n'a pas été commise par le seul parti bolchévik et encore moins par sa seule direction. En réalité, les bolchéviks ont été les acteurs d'une erreur et des incompréhensions de tout le mouvement ouvrier de l'époque qui n'a pas vu que la contre-révolution pouvait venir de l'intérieur de l'Etat post-insurrectionnel, non pas parce que le "ver était déjà dans le fruit" dès 1917 (selon la thèse des anarchistes pour qui l'existence d'un parti de classe est un danger pour le prolétariat), mais parce que, du fait de l'isolement international de la révolution russe, le parti bolchévik a été absorbé par l'Etat, s'est identifié à cet appareil d'Etat contre la classe ouvrière. L'erreur de l'ensemble du mouvement ouvrier était contenue dans les confusions générales sur l'idée suivant laquelle l'Etat qui a surgi après la révolution d'Octobre 17 était un "Etat prolétarien".

B et C

1 [13] Parti Communiste Ouvrier d'Allemagne exclu en 1920 de l'Internationale Communiste à cause de ses positions critiques, notamment contre la politique de «Front unique» de l'IC.

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Russe [14]

Kronstadt : contre les thèses anarchistes, les leçons tirées par la Gauche communiste

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Le seul courant qui, tout en défendant la révolution d'Octobre, ait rejeté et condamné la répression de la forteresse de Kronstadt était le courant anarchiste, au sein duquel il convient d'ailleurs de distinguer les différentes composantes. Certains anarchistes, notamment les anarchistes immigrés tels Emma Goldman et Alexandre Berkman étaient très proches du parti bolchévik (et leur avaient apporté leur plein soutien en octobre 17 contrairement à d'autres anarchistes appartenant à l'intelligentsia ou aux éléments déclassés et dont l'anti-bolchévisme exprimaient clairement les conceptions de la petite-bourgeoisie réactionnaire).
Il ne fait aucun doute que de nombreux anarchistes avaient raison dans leurs critiques envers la Tcheka (le police politique du parti) et l'écrasement de Kronstadt. Le problème, c'est que l'anarchisme n'offre aucun cadre pour comprendre la signification historique de tels événements, comme en témoigne l'analyse de Voline :
"Kronstadt est un phare lumineux qui éclaire la bonne route (?) Une fois l'entière liberté de discussion, d'organisation et d'action définitivement acquise par les masses laborieuses elles-mêmes, une fois le vrai chemin de l'activité populaire indépendante entrepris, le reste viendra s'enchaîner automatiquement." (Voline, La Révolution inconnue.)
Ainsi, selon Voline, il suffisait que la révolte de Kronstadt ait été victorieuse pour que le reste vienne "s'enchaîner automatiquement". Or, même si la révolte s'était étendue à toute le Russie, même si Kronstadt avait gagné, cela n'aurait en rien résolu le problème crucial de l'époque : celui de l'isolement international du bastion soviétique (mais il est vrai que dans la logique des anarchistes, comme on a pu le voir par la suite dans leur analyse de la "révolution prolétarienne" en Espagne en 1936, l'analyse marxiste suivant laquelle le communisme ne peut s'établir qu'à l'échelle internationale est tout à fait secondaire). Une telle sous-estimation des difficultés et de la nécessité de l'extension rapide du processus révolutionnaire est un véritable poison pour la conscience du prolétariat qui lui masque le premier des enseignements de Kronstadt, à savoir que toute révolution qui reste isolée dans un seul pays est irrémédiablement vouée à l'échec.

La révolution prolétarienne est internationale ou n'est rien

La révolution prolétarienne peut seulement réussir à l'échelle mondiale. Il est impossible d'abolir le capitalisme ou de "construire le socialisme" dans un seul pays, mais seulement par l'extension du pouvoir politique prolétarien sur toute la planète. Sans cette extension, la dégénérescence de la révolution est inévitable, quels que soient les changements apportés dans l'économie. C'est justement ce que Lénine avait clairement mis en avant lorsqu'il affirmait dès 1918 que le prolétariat russe attend avec impatience l'extension de la révolution en Europe, car si le prolétariat d'Europe occidentale ne venait pas rapidement au secours de la Russie des soviets (qui commençait à être asphyxiée par le blocus économique de toute la bourgeoise mondiale), celle-ci était condamnée.
Pour les anarchistes, les bolcheviks ont fini par écraser les ouvriers et les marins parce qu'ils étaient, selon les termes de Voline, "marxistes, autoritaires et étatistes". En réalité, ce que Voline et tout le courant anarchiste n'ont jamais compris, c'est que la disparition de la démocratie ouvrière qui a vidé les soviets de toute vie prolétarienne est la conséquence directe de l'impasse tragique dans laquelle se trouvait la révolution russe. Et c'est à partir de cette incompréhension du mouvement réel et de la dynamique générale du prolétariat mondial que les anarchistes ont pu réécrire et interpréter l'histoire à leur façon avec comme seul "cadre théorique" la vieille thèse libertaire anti-marxiste, anti-parti et "anti-autoritaire". Ce faisant, l'idéologie des anarchistes apporte aujourd'hui encore de l'eau au moulin des campagnes anti-communistes de la bourgeoisie, lesquelles ont pour objectif de perpétuer l'idée mensongère consistant à faire croire aux prolétaires qu'il existerait une prétendue "continuité théorique, pratique et historique" entre Lénine et Staline, entre la révolution d'Octobre 1917 et la contre-révolution stalinienne.
Parce que le marxisme défend la formation d'un parti politique prolétarien, appelle à la centralisation des forces du prolétariat et reconnaît l'inévitabilité de l'Etat de la période de transition vers le communisme, il est condamné, selon les anarchistes, à finir comme exécuteur des masses. De telles "vérités éternelles" n'ont aucune utilité pour la compréhension des processus historiques réels et pour en tirer des leçons sur lesquelles devra s'appuyer le futur mouvement révolutionnaire.
Quelles sont les véritables leçons de la tragédie de Kronstadt que la Gauche communiste a su tirer ? 1 [15]

Pas de rapport de violence au sein de la classe ouvrière

La violence révolutionnaire est une arme que le prolétariat est forcé d'utiliser dans son combat contre la classe capitaliste. A l'intérieur même du prolétariat, elle ne doit avoir aucune place car elle ne peut alors que détruire son unité, sa solidarité, sa cohésion et engendrer la démoralisation, le désespoir.
Sous aucun prétexte la violence ne saurait servir de critère ni d'instrument au sein de la classe ouvrière parce qu'elle n'est pas un moyen de sa prise de conscience. Cette prise de conscience, le prolétariat ne peut l'acquérir que par sa propre expérience et l'examen critique constant de cette expérience. C'est pourquoi la violence au sein de la classe ouvrière, quelle que soit sa motivation immédiate, ne peut qu'empêcher l'activité propre des masses et finalement être la plus grande entrave à sa prise de conscience qui est la condition indispensable au triomphe du communisme.
En ce sens, même si des fractions de la classe ouvrière ont manifestement tort, la "ligne juste" ne peut pas leur être imposée par la force des armes par une autre fraction, qu'elle soit majoritaire ou non. Le soulèvement de Kronstadt a constitué un affaiblissement du bastion prolétarien, sur le plan de sa cohésion. Sa répression a constitué un affaiblissement encore plus important en hâtant la dégénérescence de la révolution.

La dictature du prolétariat n'est pas celle d'un parti

La tragédie de la révolution russe, et en particulier le massacre de Kronstadt, a été que l'ensemble du mouvement ouvrier de l'époque n'était pas clair sur le rôle du parti dans l'exercice du pouvoir prolétarien. En effet, au sein du mouvement ouvrier existait encore l'idée que, comme dans la révolution bourgeoise, c'est le parti qui devait exercer la dictature du prolétariat au nom de la classe ouvrière. Contrairement aux autres révolutions dans l'histoire, la révolution prolétarienne exige la participation active et constante de toute la classe ouvrière. Ce qui signifie qu'à aucun moment, elle ne doit tolérer, sous peine d'ouvrir immédiatement un cours de dégénérescence, ni la "délégation" du pouvoir à un parti, ni la substitution d'un corps spécialisé ou d'une fraction de la classe ouvrière, aussi révolutionnaires soient-ils, à l'ensemble du prolétariat. C'est également pour cette raison que, quand l'Etat se dresse contre la classe ouvrière, comme ce fut le cas à Kronstadt, le rôle du parti, en tant qu'émanation et avant-garde du prolétariat, n'est pas de défendre l'Etat contre la classe ouvrière, mais de mener le combat aux côtés de celle-ci contre l'Etat.

La dictature du prolétariat n'est pas l'Etat

Au moment de la révolution russe, il existait une confusion générale dans le mouvement ouvrier, qui identifiait la dictature du prolétariat à l'Etat apparu après le renversement du régime tsariste, c'est-à-dire le congrès des délégués de toutes les Russies des Soviets, des travailleurs, soldats et paysans. Le pouvoir prolétarien, au lieu de se manifester par le canal des organes spécifiques de la classe ouvrière (assemblées d'usines et conseils ouvriers), a été identifié à l'appareil d'Etat (soviets territoriaux, émanation de toutes les couches non exploiteuses).
Or, comme l'a clairement mis en avant la Gauche communiste d'Italie à la fin des années 30 et la Gauche communiste de France par la suite, tirant les leçons de la dégénérescence de la révolution russe, l'autonomie du prolétariat signifie que, sous aucun prétexte, les organisations unitaires et politiques de la classe ouvrière ne doivent se subordonner aux institutions étatiques, car cela reviendrait à dissoudre ces organismes du prolétariat et amènerait celui-ci à abdiquer de son programme communiste dont lui seul est l'unique sujet. Compte tenu des conceptions qui existaient à l'époque dans le mouvement ouvrier (l'idée d'un Etat "prolétarien"), toute résistance à l'Etat de la part des travailleurs ne pouvait être considéré que comme contre-révolutionnaire. A aucun moment, la vigilance du prolétariat vis-à-vis de l'appareil d'Etat ne peut se relâcher, parce que l'expérience russe et les événements de Kronstadt en particulier, ont montré que la contre-révolution peut très bien se manifester par le canal de l'Etat post-insurrectionnel et pas seulement à travers une agression bourgeoise "extérieure".
Pour tragiques qu'aient été les erreurs commises par les bolcheviks, ce ne sont pas elles mais bien l'isolement de la révolution russe qui est à la base de sa dégénérescence. Si la révolution s'était étendue, en particulier à travers une insurrection victorieuse en Allemagne, il est fort probable que ces erreurs auraient pu être corrigées au cours-même du processus révolutionnaire en développement, comme en témoigne les positions défendues par Lénine dans le débat en 1920-1921 qui l'avait opposé à Trotsky sur la question des syndicats (débat qui s'est également mené au 10e congrès du parti qui s'est tenu au moment-même où se déroulaient les événements de Kronstadt). Ainsi, alors que Trotsky défendait l'idée que les syndicats devaient constituer un appareil d'encadrement par l'Etat "prolétarien" de la classe ouvrière, Lénine, en désaccord avec cette analyse, avait mis en avant que les ouvriers doivent se défendre eux-mêmes contre "leur" Etat, particulièrement dans la mesure où le régime des soviets était, selon lui, non plus un Etat prolétarien mais un "Etat des ouvriers et des payans" avec de "profondes déformations bureaucratiques".
Par ailleurs, en 1922, dans un rapport présenté au comité central du parti, c'est en ces termes que Lénine commence à percevoir que la contre-révolution s'est installée en Russie-même et que l'appareil du parti bureaucratisé ne va pas dans le sens des intérêts du prolétariat : "La machine est en train d'échapper des mains de ceux qui la conduisent : en fait, on dirait qu'il y a quelqu'un aux commandes qui dirige cette machine, mais celle-ci suit une autre direction que celle qui est voulue, conduite par une main cachée (...) Dieu seul sait à qui elle appartient, peut-être à un spéculateur ou à un capitaliste privé, ou aux deux à la fois. Le fait est que la machine ne va pas dans la direction voulue par ceux qui sont censés la conduire et, quelquefois, elle prend tout à fait la direction opposée."


B et C

1 [16] Pour plus de détails, lire nos articles dans la Revue Internationale n° 3, 100 [17] et 104 [18].

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Russe [14]

Courants politiques: 

  • Anarchisme officiel [19]

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Links
[1] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france [2] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/immigration [3] https://fr.internationalism.org/ri310/fsm.html#sdfootnote1sym [4] https://fr.internationalism.org/ri310/fsm.html#sdfootnote2sym [5] https://fr.internationalism.org/ri310/fsm.html#sdfootnote3sym [6] https://fr.internationalism.org/ri310/fsm.html#sdfootnote4sym [7] https://fr.internationalism.org/ri310/fsm.html#sdfootnote1anc [8] https://fr.internationalism.org/ri310/fsm.html#sdfootnote2anc [9] https://fr.internationalism.org/ri310/fsm.html#sdfootnote3anc [10] https://fr.internationalism.org/ri310/fsm.html#sdfootnote4anc [11] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/anti-globalisation [12] https://fr.internationalism.org/ri310/kronstadt.html#sdfootnote1sym [13] https://fr.internationalism.org/ri310/kronstadt.html#sdfootnote1anc [14] https://fr.internationalism.org/en/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-russe [15] https://fr.internationalism.org/ri310/anars.html#sdfootnote1sym [16] https://fr.internationalism.org/ri310/anars.html#sdfootnote1anc [17] https://fr.internationalism.org/french/rint/100_communisme_ideal [18] https://fr.internationalism.org/rinte104/cronstadt.htm [19] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/anarchisme-officiel