Le vraquier aux cales chargées de pauvres hères entassés comme du bétail depuis plus d'une semaine s'était à peine échoué sur la Côte d'Azur, que le cri du coeur du très humaniste parti socialiste français ne s'est pas fait attendre : "on n'en veut pas !". Aux déclarations de François Hollande "il faut accueillir humainement ces exilés, mais ne pas leur donner l'illusion et l'espoir d'une intégration dans notre pays", enchérissait un Bertrand Delanoë : "le meilleur moyen de lutter contre ces trafics de personnes, c'est de ne pas considérer, à priori, que tout le monde pourra rester sur le territoire français". Quant au gouvernement de la gauche plurielle, il n'avait, de toutes façons, pas attendu les déclarations de ces dignes représentants du PS, pour prendre immédiatement des mesures coercitives conformes à de tels états d'âme : le parquage policier des 910 Kurdes dans une "zone d'attente", créée à la hâte sur une base militaire, dont le rôle consiste, comme pour celles qui existent dans tous les aéroports, à faciliter le "retour à l'envoyeur", avant qu'ils n'aient foulé le territoire français, des exilés dont la demande d'asile est jugée "manifestement infondée".
Cette réaction "réaliste" était encore appuyée par le bon "French doctor" Kouchner qui, en spécialiste reconnu de la misère du monde, déclarait à son tour doctement "Tant que les problèmes politiques du peuple kurde ne sont pas réglés, nous devons, nous les Européens, continuer à faire la différence entre les réfugiés politiques -et c'est peut-être leur cas- et les migrants économiques qui ne risquent, en rentrant chez eux, que de reprendre leur vie misérable", avant de renvoyer à une "mondialisation de la réponse qui viendra autant de ceux qui ont été à Davos que de ceux qui ont été à Porto Alegre".
Période électorale oblige, la droite, une fois n'est pas coutume, en a profité pour essayer de "doubler" le PS sur le terrain de l'humanitarisme, Devedjian appelant à "accueillir naturellement ces réfugiés qui ont été rejetés par les pays où ils vivent" et Seguin, ajoutant à son tour "nous n'allons pas nous mettre au niveau des négriers en renvoyant tout ce petit monde à Saddam Hussein".
Pour ne pas être en reste -et pour des motifs bien entendu tout aussi intéressés que les susdits- le gouvernement s'est du coup senti obligé de faire machine arrière. Cela l'aurait fichu trop mal à quelques semaines des élections de renvoyer directement, ne serait-ce qu'une partie des familles, en Irak. Alors on a décidé d'ouvrir les grilles de la zone d'attente de Frejus et d'envoyer les réfugiés, munis d'un sauf-conduit de huit jours, tenter individuellement leur chance dans la longue procédure de "demande d'asile politique".
L'exploitation des réfugiés à des fins électorales, voilà qui est déjà pas mal dans le domaine du cynisme. Mais ce n'est pas tout. Car le droit qui leur a été royalement accordé d'aller déposer "librement" une demande d'asile est tout aussi cynique. Chacun d'eux va pouvoir faire l'expérience de ce que veut dire l'hypocrite règle de la fameuse "convention de Genève" dont se réclame la prétendue "terre d'asile" qu'est la France. Celle-ci exige qu'on n'octroie pas d'asile aux membres de groupes de réfugiés tant que chacun n'apporte pas la preuve :
La différence, sur le fond, entre ce geste "généreux" et le discours du premier jour est donc bien mince : il n'est pas question de donner à ces près de mille réfugiés la possibilité de s'installer en France. Les mieux lotis, auront peut-être un jour les fameux papiers de "réfugiés politiques". Les autres sont condamnés à rester dans l'illégalité, sans statut ni possibilité de travailler décemment. Il leur restera à choisir entre se terrer pour échapper aux contrôles policiers et à la menace permanente d'expulsion, ou tenter à nouveau leur chance pour se glisser dans d'autres pays d'Europe en confiant à nouveau leur sort aux filières clandestines de passeurs.
Quant aux justifications qui consistent à marquer du sceau de l'infamie ceux qui ne sont que de vulgaires "réfugiés économiques", elles sont vraiment à vomir. D'abord, dans le cas de l'Irak, elles font semblant d'ignorer que ce que fuient principalement les boat people, c'est la misère effroyable qui règne dans toutes les régions de ce pays, qu'ils s'agisse aussi bien de la région kurdophone du nord que de celle de Bagdad, misère dont les conséquences de la guerre du Golfe puis l'embargo imposé à l'Irak depuis dix ans sont les premières responsables. On nous dira que, justement, la France s'oppose depuis quelques années à la poursuite de cet embargo (pour le très bon motif des intérêts commerciaux et impérialistes bien compris du capital français n'en doutons pas), mais on négligera de nous rappeler que la France n'avait pas autant d'états d'âme pour la population d'Irak quand elle participait au déluge de fer et de feu qui s'est abattu sur elle il y a dix ans.
Autre hypocrisie : les grands discours "anti-négriers" qui déclarent la chasse ouverte aux filières d'immigration clandestine. C'est le comble du cynisme de la part de tous les gouvernements de droite comme de gauche de s'offusquer à bon compte de ce que "le trafic d'êtres humains est un des secteurs en développement de la criminalité organisée" (Libération du 20 février) ! Et pour cause. Non seulement les grandes puissances occidentales portent une lourde responsabilité dans l'enfer grandissant que vivent les populations du tiers monde, mais une des raisons, et non des moindres, du caractère particulièrement lucratif, pour les mafias, du trafic d'émigrants, c'est la quasi-interdiction de l'immigration légale pour les prolétaires des pays pauvres. Ceux-ci n'ont donc guère le choix que de s'en remettre aux trafiquants de chair humaine illégaux qui les entassent dans des cales de navire ou dans des containers (comme les 58 chinois trouvés morts asphyxiés dans un container à Douvres l'été dernier).
Mais l'hypocrisie va plus loin. Tout d'abord, les Etats ferment volontiers les yeux sur les filières de passeurs, ne serait-ce que lorsque celles-ci agissent au sein des frontières de l'Europe et qu'elles sont un moyen, bien commode, de "laisser filer" les réfugiés atterris sur leur sol vers les pays voisins (par exemple, la Grande-Bretagne protestait récemment contre la mauvaise volonté mise par l'Etat français pour mettre fin aux filières de Calais qui font passer régulièrement des clandestins vers l'Angleterre).
Par ailleurs, le fameux distinguo entre réfugiés "politiques" et "économiques" prend racine dans la profonde nature des rapports capitalistes. Ceux qui ont une chance d'être classés dans la première catégorie, opposants aux régimes en place qui les pourchassent, sont le plus souvent des intellectuels issus de l'élite locale, bref la bourgeoisie occidentale sait y reconnaître sa propre classe. Les autres, qui affluent vers les pays riches dans l'espoir d'y trouver les moyens de vivre, ne sont "que" de la main-d'oeuvre, à la recherche d'un acheteur de leur force de travail, ce sont des membres du prolétariat, cette classe dépossédée de tout moyen de production et de toute "terre" et qui, de tous temps a dû s'exiler, émigrer "ailleurs", pour trouver un capital qui l'emploie. A ce titre, ils ne sont qu'une marchandise, la marchandise force de travail. Avant les trafiquants de chair humaine dénoncés ces jours-ci dans les médias, c'est d'abord le capital qui a toujours considéré les prolétaires comme une marchandise. Et, la force de travail étant une marchandise, la classe bourgeoise la traite comme tel, c'est-à-dire qu'elle se donne les moyens d'en "contrôler" le marché, comme on contrôle, par des quotas ou droits de douane, celui des céréales ou de l'acier.
Malgré les airs "dégoûtés" affichés par les gouvernements pour les "migrants économiques", ils savent très bien qu'aujourd'hui, comme hier, l'immigration constitue une des conditions de la bonne marche du capitalisme. Ces derniers temps notamment, les "experts" les plus sérieux des milieux patronaux ou de l'OMC, n'arrêtent pas de dire que les pays avancés, et notamment ceux d'Europe occidentale, auraient besoin qu'on "ouvre" un peu plus la porte à l'immigration venue des pays les plus pauvres. La main-d'oeuvre immigrée est en effet très avantageuse, justement parce qu'elle fournit une armée de réserve pour des emplois temporaires et précaires, et chose qu'on dit moins ouvertement, parce qu'elle est prête à travailler pour des salaires que les ouvriers de souche n'accepteraient pas.
Le subtil dosage entre le taux d'immigration "légale" et la "tolérance" de fait des Etats pour l'immigration clandestine, fait partie de la bonne gestion de la marchandise force de travail pour les besoins du capital. Les immigrés clandestins sont encore plus corvéables à merci que les "réguliers". Dépourvus de tout recours auprès des autorités contre les abus de leur patron, obligés de rester enfermés la plupart du temps pour éviter de se faire prendre par la police, n'ayant absolument aucune couverture sociale, les travailleurs clandestins sont réduits à une condition proche de l'esclavage et comparable à la condition ouvrière des premiers temps du capitalisme. C'est là une classe ouvrière comme l'aiment non seulement les patrons qui l'exploitent, mais l'ensemble de la bourgeoisie nationale de chaque pays puisque les très bas salaires qui lui sont versés permettent de réduire les coûts de l'ensemble de la production nationale face à la concurrence des autres pays.
C'est pour cela que les gouvernements, s'ils ne cessent de persécuter les immigrés clandestins, ne font pas grand chose pour lutter contre les patrons qui les emploient ni contre les mafias qui contrôlent les filières d'immigration. N'en doutons pas, les négriers qui emploient la main-d'oeuvre clandestine, les mafias et les Etats ont partie liée ; ils se partagent le travail au bénéfice du capitalisme.
P. (25 février)Après Seattle, Prague et Nice, nous avons déjà
largement dénoncé dans notre presse 1 [3]
le piège des manifestations anti-mondialistes. Le premier
"forum social mondial" de Porto Alegre qui s'est tenu au
Brésil du 25 au 30 janvier a été présenté
comme une nouvelle étape de ce type de rassemblements. Mais
pour la première fois, ceux qui prétendent occuper le
terrain d'un anti-capitalisme radical ont montré le plus
crûment leur vrai visage, celui du réformisme le plus
classique et le plus vulgaire. Porto Alegre a en effet tout pour
dissiper les illusions de ceux qui voyaient encore dans ce genre de
"lutte" des ferments de lutte anticapitaliste et des
potentialités révolutionnaires.
Ce nouveau
rendez-vous contestataire rassemblait plus de 12 000 participants
représentant près d'un millier d'organisations les plus
diverses et 120 pays face au sommet économique de Davos qui se
tenait au même moment en Suisse. Mais la publicité
médiatique faite autour de ce "forum social" n'a pas
seulement été liée à une nouvelle
contestation folklorique, carnavalesque et hétéroclite.
On nous a présenté
Porto Alegre et Davos comme étant directement opposés
en racontant que Porto Alegre était un contrepoids par rapport
à Davos. On nous a dit que l'un était un sommet
économique des gouvernants et des plus grands patrons
capitalistes de la planète, l'autre un forum social ouvert et
démocratique. On nous a raconté que l'un n'était
qu'un cénacle non représentatif, sinon de l'élite
du monde, "du pognon" et des décideurs, alors que
l'autre était l'expression d'un "nouveau mouvement
social" représentant l'ensemble des citoyens du monde.
En
réalité, quels ont été les animateurs de
Porto Alegre censés être représentatifs de ce
"nouveau mouvement social" ? Une majorité
foisonnante de représentants des ONG à couverture
"humanitaire" qui se font les meilleurs porte-paroles des
"citoyens" de la "société civile",
des syndicalistes bon teint, surtout paysans de la même
mouvance que la Confédération paysanne de José
Bové et des "personnalités" politiques des
partis de gauche comme Chevènement 2 [4]
ou "Lula" 3 [5].
Ce qui s'est traduit aussi par la participation officielle de deux
secrétaires d'Etat du gouvernement Jospin. On avait là
en fait une belle brochette de partis de gouvernement, de vieux
routiers du syndicalisme et de représentants de la
social-démocratie la plus classique.
On a aussi clamé
bien fort qu'à Porto Alegre, face aux effets destructeurs de
la mondialisation, à la dictature des marchés, de la
pensée unique et aux abus de la dictature libérale, ont
été posées les bases majeures de la construction
d'une alternative politique et d'un véritable contre-pouvoir
planétaire des "citoyens".
Cependant, même
un sociologue bourgeois patenté nommé Guy Groux
interrogé sur ce "forum social" a dû le
reconnaître dans une interview parue dans Libération
du 26 janvier avec une certaine pertinence : "Les mouvements
sociaux d'aujourd'hui ont l'apparence de la radicalité, mais
au fond leur position ne l'est pas. Ce qu'ils veulent, c'est
davantage de régulation. Ils ne demandent pas la mise à
mort d'un modèle, mais son amendement. (...) Nous sommes
passés d'un modèle d'utopie qui voulait changer la
société à une pratique réaliste, qui ne
prétend pas à une nouvelle société. C'est
un réformisme radical ." C'est là le fond de
la question car avec la mise en avant d'une fausse opposition entre
libéralisme et régulation du marché mondial, les
partisans réformistes de Porto Alegre tentent de faire croire
que les inégalités sociales proviennent d'un manque de
réglementation juridique pour encadrer la concurrence
capitaliste. Ainsi une plus grande intervention législative
des Etats serait au service du prolétariat et des exploités
alors que cette régulation est bel et bien omniprésente
et c'est même la raison d'être des organismes
internationaux comme l'OMC ou les banques centrales, produits de la
coopération entre Etats qui sont justement la cible favorite
des antilibéraux. En fait, leur grande entreprise, derrière
l'image anticapitaliste qu'ils cherchent à se donner, c'est
uniquement de redorer le blason du réformisme et des partis
sociaux-démocrates qui sont largement mouillés là
dedans.
Le président d'Attac, Bernard Cassen, écrivait
dans Le Monde Diplomatique de janvier 2001 : "Il
appartiendra ensuite (après Porto Alegre) aux différents
mouvements, syndicats et élus de décliner, pays par
pays, et en fonction des rapports de forces locaux, la traduction de
ces premières alternatives globales. C'est donc bien un nouvel
internationalisme qui se met en place." Cette référence
à l'internationalisme largement reprise par les médias
et les participants à Porto Alegre qui parlent de la
construction d'une "Internationale des citoyens du monde"
signifie que la bourgeoisie ne peut plus se contenter aujourd'hui
d'enfermer la population en général et les prolétaires
en particulier avec l'idéologie de la seule défense du
capital national. Elle a besoin d'occuper le terrain social avec un
réformisme plus radical et un langage internationaliste parce
qu'elle sait bien que c'est de cette voie de l'internationalisme que
vient le danger de remise en cause de son système
d'exploitation. Voilà pourquoi elle prétend construire
une "nouvelle Internationale" social-démocrate
gauchisante. Mais ce leurre édifié au nom du peuple, de
la démocratie et des droits des citoyens à l'échelle
de la planète ne peut pas revendiquer autre chose que le
programme politique d'une révolution bourgeoise déjà
réalisée depuis plus de deux siècles. C'est
parce que cette idéologie "citoyenne" est
précisément indissociable de la domination du
capitalisme, que prétendre s'opposer au capitalisme par la
citoyenneté est un complet non-sens. C'est une impasse pour
les prolétaires et les exploités.
En fait
d'alternative politique radicale, ce n'est pas pour rien que le
gouvernement français avait un pied à Davos et l'autre
à Porto Alegre et que Fabius déclarait depuis la Suisse
: "Je suis frappé par le malentendu. J'entends des
contestataires dire qu'à Davos, nous ne serions pas légitimes
et représentatifs. Tout cela est de la caricature. La
globalisation et les efforts nationaux vont dans le même sens"
(Le Monde du 31 janvier) tandis qu'un représentant
d'une ONG à Porto Alegre assurait de son côté :
"Le ministre Laurent Fabius et moi-même parlons d'une
même voix ... On peut dire oui aux bénéfices de
l'échange et de l'ouverture commerciale mais en donnant à
la mondialisation des règles" (Ibid.). Cette même
voix dont ils parlent, c'est celle de la bourgeoisie.
On nous a aussi et surtout présenté Porto
Alegre comme un "véritable laboratoire" contre les
inégalités sociales engendrées par les excès
du capitalisme. Ce modèle a été vanté
avec un zèle extasié par un Ignacio Ramonet, rédacteur
en chef du Monde Diplomatique dans son éditorial de
janvier dernier : "Pourquoi précisément là
? Parce que Porto Alegre est devenue depuis quelques années,
une cité emblématique (...) une sorte de laboratoire
social que des observateurs internationaux regardent avec une
certaine fascination. Gouvernée de manière originale,
depuis douze ans , par une coalition de gauche conduite par le Parti
des Travailleurs (PT), cette ville a connu dans maints domaines (...)
un développement spectaculaire. Le secret de cette réussite
? Le budget participatif, soit la possibilité pour les
habitants des différents quartiers de définir très
concrètement et très démocratiquement
l'affectation des fonds municipaux.(...) Aucun détournement de
fonds, aucun abus n'est ainsi possible, et les investissements
correspondent exactement aux souhaits majoritaires de la population
des quartiers." Les habitants peuvent ainsi décider
des priorités des investissements à réaliser par
la municipalité et même suivre l'évolution des
chantiers votés. Merveilleux, n'est-ce pas ? Sauf que cette
"démocratie participative" n'est qu'une resucée
des mystifications autogestionnaires dont les ouvriers ont rapidement
fait l'expérience, aussi bien sous le régime de Tito
dans l'ex-Yougoslavie qu'en Europe occidentale dans les luttes
proposées un temps pour modèle dans les années
1973/74 (comme Lip en France) "pour sauver leur entreprise",
que la seule gestion qu'ils avaient, c'était gérer leur
propre exploitation. A Porto Alegre cela revient à une gestion
de la misère et de la pénurie. La fixation de
l'enveloppe budgétaire des crédits d'investissements
(les seuls qui soient autogérés) reste, elle, bien sûr
dans d'autres mains et ce budget disponible n'est évidemment
pas augmenté d'un centime. On veut ainsi une nouvelle fois
nous faire prendre des vessies capitalistes pour des lanternes
socialistes. En fait, cela ne sert précisément que de
cache-misère. Et c'est pour cela que 200 villes brésiliennes
pratiquent aujourd'hui cette "démocratie participative"
qui nous est présentée comme un nouveau modèle
social. Mieux, ce sont des propositions de ce type ou d'autres
recettes démagogiques plus ou moins réalisables à
l'intérieur de l'exploitation capitaliste comme la taxation
par l'Etat des transactions financières (la fameuse "taxe
Tobin" qui, appliquée unilatéralement à
tous ne changerait strictement rien aux rapports de concurrence entre
capitalistes) 4 [6]
ou l'interdiction des "paradis fiscaux" qu'on nous présente
comme les prémices de leur prétendue "Internationale
citoyenne et démocratique". Celle-ci n'a rien à
voir avec les intérêts de la classe ouvrière et
elle n'a rien à voir avec l'internationalisme prolétarien.
Elle est une véritable parodie qui, pour tenter d'exorciser le
mouvement ouvrier, affiche de dérisoires prétentions à
se substituer au terrain de classe, à l'internationalisme
prolétarien en mettant en avant le ridicule modèle
social de la "démocratie participative" du PT
brésilien. En fait, cette nouvelle manoeuvre grossière
de notre ennemi de classe n'est que de la poudre aux yeux balancée
par la social-démocratie et ses alliés pour brouiller
les pistes trop évidentes sur ses états de service
purement capitalistes et tenter de ravaler sa façade politique
à moindre frais.
CB
1 [7] Voir notamment les articles "Mensonges autour du sommet de l'OMC à Seattle : on ne peut pas réformer le capitalisme, il faut le détruire" (RI n° 297, janvier 2000) et "De Seattle à Nice, le piège des mobilisations 'antimondialistes'" (RI n° 308, janvier 2001).
2 [8] Présent comme emblématique président du Mouvement des Citoyens mais surtout célèbre en tant qu'ancien ministre de l'intérieur champion de l'expulsion des travailleurs sans-papiers.
3 [9] Luis Ignacio Lula da Silva, dit "Lula", président du PT (parti de gauche rassemblant sociaux-démocrates, divers courants trotskisants, syndicalistes et "chrétiens de gauche") devenu une sorte de Walesa à la brésilienne qui s'est illustré au cours des grèves ouvrières au milieu des années 1970 pour avoir poussé le gouvernement à officialiser le syndicalisme alors illégal et qui a été depuis lors candidat à l'élection présidentielle à trois reprises.
4 [10] Voir RI n° 293, sept. 1999, l'article "Taxe Tobin : une fausse réponse à la crise du capitalisme, une vraie mystification antiouvrière". Le milliardaire spéculateur Georges Soros a lui même récemment déclaré qu'il était favorable à l'institution de la taxe Tobin...
Il y a 80 ans, en mars 1921, moins de quatre ans après la
prise du pouvoir par la classe ouvrière lors de la révolution
d'octobre 1917 en Russie, le parti bolchevik met fin par la force à
l'insurrection de la garnison de Kronstadt sur la petite île de
Kotline dans le Golfe de Finlande, à 30 kilomètres de
Petrograd.
La Russie des soviets avait dû mener durant
plusieurs années un combat sanglant dans la guerre civile
contre les menées contre-révolutionnaires des armées
blanches soutenues par les armées étrangères.
Mais la révolte de la garnison de Kronstadt ne fait pas partie
de ces tentatives contre-révolutionnaires : c'est une révolte
au sein même des partisans ouvriers du régime des
soviets qui avaient été à l'avant garde de la
révolution d'Octobre. Ces ouvriers mettent en avant des
revendications en vue de corriger les nombreux abus et les déviations
intolérables du nouveau pouvoir. Et sa répression
sanglante a constitué une tragédie pour le mouvement
ouvrier dans son ensemble.
Octobre 1917 en Russie a été
une révolution prolétarienne, le premier épisode
victorieux dans le déroulement de la révolution
prolétarienne mondiale qui était la réponse de
la classe ouvrière internationale à la guerre
impérialiste de 1914-18. L'insurrection d'Octobre faisait
partie d'un processus de destruction de l'Etat bourgeois et
d'établissement de la dictature du prolétariat et,
comme les bolcheviks l'ont passionnément défendu, sa
signification profonde était qu'elle devait marquer le premier
moment décisif de la révolution prolétarienne
mondiale, de la guerre de classe du prolétariat mondial contre
la bourgeoisie.
La
révolution commencée en Russie 1917 n'a pas réussi
à s'étendre internationalement malgré les
nombreuses tentatives de la classe ouvrière dans toute
l'Europe.
La Russie elle-même avait été
déchirée par une longue et sanglante guerre civile qui
avait dévasté l'économie et fragmenté le
prolétariat industriel, colonne vertébrale du pouvoir
des soviets.
L'élimination des comités d'usine, la
subordination progressive des soviets à l'appareil d'Etat, le
démantèlement des milices ouvrières, la
militarisation croissante de la vie sociale, résultats des
périodes de tension durant la guerre civile, la création
de commissions bureaucratiques, étaient toutes des
manifestations extrêmement significatives du processus de
dégénérescence de la révolution en
Russie. Bien que certains de ces faits datent d'avant même la
période de guerre civile, c'est cette dernière qui voit
le plein épanouissement de ce processus. De plus en plus, la
direction du Parti-Etat développait des arguments montrant que
l'auto-organisation de la classe ouvrière était
excellente en principe, mais que, dans l'instant présent, tout
devait être subordonné à la lutte militaire. Une
doctrine de "l'efficacité" commençait à
saper les principes essentiels de la démocratie prolétarienne.
Sous le couvert de cette doctrine, l'Etat commença à
instituer une militarisation du travail, qui soumettait les ouvriers
à des méthodes de surveillance et d'exploitation
extrêmement sévères. Ayant émasculé
les comités d'usine, la voie était libre pour que
l'Etat introduise la "direction d'un seul" et le système
de Taylor d'exploitation sur les lieux de production, le même
système que Lénine lui-même avait dénoncé
comme l'asservissement de l'homme à la machine. Les ravages de
l'économie de guerre et le blocus mettaient le pays tout
entier au bord de la famine, et les travailleurs devaient se
contenter des rations les plus maigres, souvent distribuées
très irrégulièrement. De larges secteurs de
l'industrie cessèrent de fonctionner, et des milliers
d'ouvriers furent contraints à la débrouille
individuelle pour survivre. La réaction naturelle de beaucoup
d'entre eux fut de quitter complètement les villes et de
chercher quelques moyens de subsistance à la campagne.
Tant
que durait la guerre civile, l'Etat des soviets conservait l'appui de
la majorité de la population car il était identifié
au combat contre les anciennes classes possédantes. Les
privations très dures de la guerre civile avaient été
supportées avec une bonne volonté relative par les
travailleurs, les ouvriers et les petits paysans. Mais après
la défaite des armées blanches, beaucoup commençaient
à espérer que les conditions de vie seraient moins
sévères et que le régime relâcherait un
peu son emprise sur la vie économique et sociale. La direction
bolchevique, toutefois, confrontée aux ravages de la
production causés par la guerre, était assez réticente
à permettre quelque relâchement dans le contrôle
étatique sur la vie sociale.
A la fin de 1920, des soulèvements paysans
s'étendent à travers la province de Tambov, la moyenne
Volga, l'Ukraine, la Sibérie occidentale et d'autres régions.
La démobilisation rapide de l'Armée Rouge met de
l'huile sur le feu avec le retour dans leurs villages des paysans en
uniforme. La revendication centrale de ces révoltes porte sur
l'arrêt des réquisitions de blé et sur le droit
des paysans à disposer de leurs produits. Au début de
1921, l'esprit de révolte s'est étendu aux ouvriers des
villes qui avaient été l'avant-garde de l'insurrection
d'Octobre : Petrograd, Moscou et Kronstadt.
Petrograd connut une
série de grèves spontanées importantes. Aux
assemblées d'usine et dans les manifestations, des résolutions
qui réclamaient une augmentation des rations de nourriture et
de vêtements, étaient adoptées, car la plupart
des ouvriers avaient faim et froid. Allant de pair avec ces
revendications économiques, d'autres plus politiques,
apparaissaient aussi : les ouvriers voulaient la fin des restrictions
sur les déplacements en dehors des villes, la libération
des prisonniers de la classe ouvrière, la liberté
d'expression, etc. Sans aucun doute, quelques éléments
contre-révolutionnaires comme les mencheviks ou les
socialistes-révolutionnaires (SR) jouaient un rôle dans
ces événements, mais le mouvement de grève de
Pétrograd était essentiellement une réponse
prolétarienne spontanée aux conditions de vie
intolérables. Les autorités bolchéviques,
cependant , ne pouvaient admettre que les ouvriers puissent se mettre
en grève contre l'Etat post-insurrectionnel qualifié
"d'Etat ouvrier", et taxaient les grévistes de
provocateurs, de paresseux et d'individualistes.
Ce sont les
troubles sociaux en Russie, et surtout à Pétrograd, qui
vont servir de détonateur à la révolte des
marins de Kronstadt. Avant que n'éclatent les grèves de
Pétrograd, les marins de Kronstadt (que Trotsky qualifiait
comme étant la "gloire et l'honneur de la révolution")
avaient déjà entamé une lutte de résistance
contre les tendances bureaucratiques et le renforcement de la
discipline militaire au sein de la Flotte Rouge, mais quand arrivent
les nouvelles de Pétrograd et de la déclaration de la
loi martiale, immédiatement les marins se mobilisent et
envoient le 28 février une délégation aux usines
de Pétrograd. Le même jour, l'équipage du
croiseur Petropavlovsk se réunit et vote une résolution
qui va devenir le programme des insurgés de Kronstadt. Cette
résolution met en avant des revendications économiques
et politiques, réclamant notamment la fin des mesures
draconniennes du "communisme de guerre" et la régénération
du pouvoir des soviets avec liberté d'expression, liberté
de la presse, droit d'expression de tous les partis politiques.
Le
1er mars, deux délégués du parti bolchévik
rencontrent l'équipage du Petropavlovsk et dénoncent
cette résolution en brandissant immédiatement la menace
de répression si les marins ne reculent pas. Cette attitude
arrogante et provocatrice des autorités bolchéviques va
mettre le feu aux poudres et galvaniser la colère des
matelots. Le 2 mars, jour de la réélection du soviet de
Kronstadt, la résolution du Petropavlovsk est votée par
300 délégués qui adoptent une motion pour la
"reconstitution pacifique du régime des soviets".
Les délégués forment un "Comité
Révolutionnaire Provisoire" (CRP) chargé de
l'administration de la ville et d'organiser sa défense contre
toute intervention armée du gouvernement. A partir de ce jour
est née la commune de Kronstadt qui publie ses propres
Izvestia dont le premier numéro déclarait : "Le
parti communiste, maître de cet Etat, s'est déclaré
incapable de sortir le pays du chaos. D'innombrables incidents se
sont produits récemment à Moscou et à Pétrograd,
qui montrent clairement que le parti a perdu la confiance des masses
ouvrières. Le parti néglige les besoins de la classe
ouvrière parce qu'il croit que ces revendications sont le
fruit d'activités contre-révolutionnaires. En cela, le
parti commet une profonde erreur."
Cependant, la révolte
de la Commune de Kronstadt est restée totalement isolée.
L'appel des insurgés à l'extension de ce qu'ils
appelaient la "Troisième révolution" est
restée sans écho. A Pétrograd, malgré
l'envoi d'une délégation aux usines, malgré la
diffusion de tracts et de la résolution du Pétropavlovsk,
l'appel de la Flotte Rouge n'a pas réussi à mobiliser
la classe ouvrière de toute la Russie qui pourtant se
reconnaissait entièrement dans le programme des insurgés
et soutenait pleinement la révolte. Les ouvriers de Pétrograd
ont mis fin à leurs mouvements de grèves et ont repris
le travail soumis à la loi martiale car la classe ouvrière
en Russie avait été brisée, démoralisée,
éparpillée par la guerre civile.
La réponse immédiate du
gouvernement bolchevik à la rébellion a été
de la dénoncer comme une partie de la conspiration
contre-révolutionnaire contre le pouvoir des soviets. Bien
sûr, tous les charognards de la contre-révolution,
depuis les gardes blancs jusqu'aux SR tentèrent de récupérer
la rébellion et lui offrirent leur appui. Mais excepté
l'aide humanitaire par le canal de la Croix-Rouge russe contrôlée
par les émigrés, le CRP rejeta toutes les avances
faites par les forces de la réaction. Il proclamait qu'il ne
luttait pas pour le retour de l'autocratie, ou de l'Assemblée
Constituante (où s'étaient rassemblés, début
1918, les ennemis de la révolution) mais pour une régénération
du pouvoir des soviets libéré de la domination
bureaucratique : "Ce sont les soviets et non l'assemblée
constituante qui sont le rempart des travailleurs" déclaraient
les Izvestia de Kronstadt. "A Kronstadt, le pouvoir est entre
les mains des marins, des soldats rouges et des travailleurs
révolutionnaires. Il n'est pas dans les mains des gardes
blancs commandés par le général Kozlovsky, comme
l'affirme mensongèrement radio Moscou"
On ne peut pas
nier qu'il y ait eu des éléments petits-bourgeois dans
le programme et l'idéologie des insurgés et dans le
personnel de la flotte et des armées. En fait, c'était
l'occasion pour ces éléments, qui étaient
hostiles au parti bolchévik parce qu'il avait été
à la tête de la révolution de 1917, de manifester
cette hostilité. Mais la présence de ces éléments
ne changeait absolument pas la nature du mouvement lui-même.
La
direction bolchevique a réagi avec une extrême fermeté
à la rébellion de Kronstadt. Son attitude
intransigeante élimina rapidement toute possibilité de
compromis ou de discussion. Pendant l'assaut militaire lui-même
de la forteresse, les unités de l'Armée Rouge envoyées
pour écraser la rébellion étaient constamment au
bord de la démoralisation. Quelques unes fraternisèrent
même avec les insurgés. Pour s'assurer de la loyauté
de l'armée, d'éminents dirigeants bolcheviks furent
envoyés du 10e congrès du parti, alors en session à
Moscou. En même temps, les fusils de la Tcheka étaient
braqués sur le dos des soldats pour s'assurer doublement
qu'aucune démoralisation ne pouvait se propager. Quand la
forteresse tomba enfin, des centaines d'insurgés furent
massacrés, exécutés sommairement ou rapidement
condamnés à mort par la Tcheka. Les autres furent
envoyés en camp de concentration. La répression fut
systématique et sans merci.
Au moment des événements,
c'est la peur accablante du danger que les gardes blancs n'exploitent
la révolte de Kronstadt pour régler leur compte aux
bolcheviks, qui a amené bien des voix les plus critiques du
pouvoir bolchevik à soutenir la répression.
En effet, s'il est une
chose que les antiléninistes de tous poils se sont efforcés
en permanence de masquer, c'est que cette erreur du parti bolchévik
a été partagée par l'ensemble du mouvement
ouvrier de l'époque, y compris par les fractions et courants
de la gauche communistes qui avaient été exclus de
l'Internationale.
Ainsi, l'Opposition Ouvrière, fraction
critique à la direction bolchévique, a apporté
son plein soutien à la répression et Alexandra
Kollontaï (qui était à la tête de cette
fraction oppositionnelle) ira même jusqu'à affirmer que
les membres de son Opposition seraient les premiers à se
porter volontaires pour écraser la rébellion.
Les
fractions de la Gauche germano-hollandaise, bien qu'elles se soient
clairement démarquées de la position jusqu'au-boutiste
de Kollontaï, n'ont pas condamné ni même critiqué
la politique du parti bolchévik. Ainsi, le KAPD 1 [12],
au moment des événements, avait défendu la thèse
suivant laquelle la révolte de Kronstadt était un
complot contre-révolutionnaire contre la Russie des soviets,
ce qui l'a conduit à ne pas condamner la répression.
Görter,
au sein de la Gauche hollandaise, a affirmé que les mesures
prises par les bolchéviks étaient "nécessaires"
face à la révolte de Kronstadt car il fallait écraser
cette insurrection contre-révolutionnaire dont il estimait
qu'elle venait de la paysannerie.
Au sein-même du parti
bolchévik, Victor Serge, bien qu'ayant affirmé son
refus de prendre les armes contre les marins de la Flotte Rouge, n'a
pas protesté contre la répression par fidélité
au parti.
Ainsi, il est clair que cette erreur tragique n'a pas
été commise par le seul parti bolchévik et
encore moins par sa seule direction. En réalité, les
bolchéviks ont été les acteurs d'une erreur et
des incompréhensions de tout le mouvement ouvrier de l'époque
qui n'a pas vu que la contre-révolution pouvait venir de
l'intérieur de l'Etat post-insurrectionnel, non pas parce que
le "ver était déjà dans le fruit" dès
1917 (selon la thèse des anarchistes pour qui l'existence d'un
parti de classe est un danger pour le prolétariat), mais parce
que, du fait de l'isolement international de la révolution
russe, le parti bolchévik a été absorbé
par l'Etat, s'est identifié à cet appareil d'Etat
contre la classe ouvrière. L'erreur de l'ensemble du mouvement
ouvrier était contenue dans les confusions générales
sur l'idée suivant laquelle l'Etat qui a surgi après la
révolution d'Octobre 17 était un "Etat
prolétarien".
B et C
1 [13] Parti Communiste Ouvrier d'Allemagne exclu en 1920 de l'Internationale Communiste à cause de ses positions critiques, notamment contre la politique de «Front unique» de l'IC.
Le seul courant qui, tout en défendant la révolution
d'Octobre, ait rejeté et condamné la répression
de la forteresse de Kronstadt était le courant anarchiste, au
sein duquel il convient d'ailleurs de distinguer les différentes
composantes. Certains anarchistes, notamment les anarchistes immigrés
tels Emma Goldman et Alexandre Berkman étaient très
proches du parti bolchévik (et leur avaient apporté
leur plein soutien en octobre 17 contrairement à d'autres
anarchistes appartenant à l'intelligentsia ou aux éléments
déclassés et dont l'anti-bolchévisme exprimaient
clairement les conceptions de la petite-bourgeoisie
réactionnaire).
Il ne fait aucun doute que de nombreux
anarchistes avaient raison dans leurs critiques envers la Tcheka (le
police politique du parti) et l'écrasement de Kronstadt. Le
problème, c'est que l'anarchisme n'offre aucun cadre pour
comprendre la signification historique de tels événements,
comme en témoigne l'analyse de Voline :
"Kronstadt
est un phare lumineux qui éclaire la bonne route (?) Une fois
l'entière liberté de discussion, d'organisation et
d'action définitivement acquise par les masses laborieuses
elles-mêmes, une fois le vrai chemin de l'activité
populaire indépendante entrepris, le reste viendra s'enchaîner
automatiquement." (Voline, La Révolution
inconnue.)
Ainsi, selon Voline, il suffisait que la révolte
de Kronstadt ait été victorieuse pour que le reste
vienne "s'enchaîner automatiquement". Or, même
si la révolte s'était étendue à toute le
Russie, même si Kronstadt avait gagné, cela n'aurait en
rien résolu le problème crucial de l'époque :
celui de l'isolement international du bastion soviétique (mais
il est vrai que dans la logique des anarchistes, comme on a pu le
voir par la suite dans leur analyse de la "révolution
prolétarienne" en Espagne en 1936, l'analyse marxiste
suivant laquelle le communisme ne peut s'établir qu'à
l'échelle internationale est tout à fait secondaire).
Une telle sous-estimation des difficultés et de la nécessité
de l'extension rapide du processus révolutionnaire est un
véritable poison pour la conscience du prolétariat qui
lui masque le premier des enseignements de Kronstadt, à savoir
que toute révolution qui reste isolée dans un seul pays
est irrémédiablement vouée à l'échec.
La révolution prolétarienne peut seulement
réussir à l'échelle mondiale. Il est impossible
d'abolir le capitalisme ou de "construire le socialisme"
dans un seul pays, mais seulement par l'extension du pouvoir
politique prolétarien sur toute la planète. Sans cette
extension, la dégénérescence de la révolution
est inévitable, quels que soient les changements apportés
dans l'économie. C'est justement ce que Lénine avait
clairement mis en avant lorsqu'il affirmait dès 1918 que le
prolétariat russe attend avec impatience l'extension de la
révolution en Europe, car si le prolétariat d'Europe
occidentale ne venait pas rapidement au secours de la Russie des
soviets (qui commençait à être asphyxiée
par le blocus économique de toute la bourgeoise mondiale),
celle-ci était condamnée.
Pour les anarchistes, les
bolcheviks ont fini par écraser les ouvriers et les marins
parce qu'ils étaient, selon les termes de Voline, "marxistes,
autoritaires et étatistes". En réalité, ce
que Voline et tout le courant anarchiste n'ont jamais compris, c'est
que la disparition de la démocratie ouvrière qui a vidé
les soviets de toute vie prolétarienne est la conséquence
directe de l'impasse tragique dans laquelle se trouvait la révolution
russe. Et c'est à partir de cette incompréhension du
mouvement réel et de la dynamique générale du
prolétariat mondial que les anarchistes ont pu réécrire
et interpréter l'histoire à leur façon avec
comme seul "cadre théorique" la vieille thèse
libertaire anti-marxiste, anti-parti et "anti-autoritaire".
Ce faisant, l'idéologie des anarchistes apporte aujourd'hui
encore de l'eau au moulin des campagnes anti-communistes de la
bourgeoisie, lesquelles ont pour objectif de perpétuer l'idée
mensongère consistant à faire croire aux prolétaires
qu'il existerait une prétendue "continuité
théorique, pratique et historique" entre Lénine et
Staline, entre la révolution d'Octobre 1917 et la
contre-révolution stalinienne.
Parce que le marxisme défend
la formation d'un parti politique prolétarien, appelle à
la centralisation des forces du prolétariat et reconnaît
l'inévitabilité de l'Etat de la période de
transition vers le communisme, il est condamné, selon les
anarchistes, à finir comme exécuteur des masses. De
telles "vérités éternelles" n'ont
aucune utilité pour la compréhension des processus
historiques réels et pour en tirer des leçons sur
lesquelles devra s'appuyer le futur mouvement
révolutionnaire.
Quelles sont les véritables leçons
de la tragédie de Kronstadt que la Gauche communiste a su
tirer ? 1 [15]
La
violence révolutionnaire est une arme que le prolétariat
est forcé d'utiliser dans son combat contre la classe
capitaliste. A l'intérieur même du prolétariat,
elle ne doit avoir aucune place car elle ne peut alors que détruire
son unité, sa solidarité, sa cohésion et
engendrer la démoralisation, le désespoir.
Sous
aucun prétexte la violence ne saurait servir de critère
ni d'instrument au sein de la classe ouvrière parce qu'elle
n'est pas un moyen de sa prise de conscience. Cette prise de
conscience, le prolétariat ne peut l'acquérir que par
sa propre expérience et l'examen critique constant de cette
expérience. C'est pourquoi la violence au sein de la classe
ouvrière, quelle que soit sa motivation immédiate, ne
peut qu'empêcher l'activité propre des masses et
finalement être la plus grande entrave à sa prise de
conscience qui est la condition indispensable au triomphe du
communisme.
En ce sens, même si des fractions de la classe
ouvrière ont manifestement tort, la "ligne juste" ne
peut pas leur être imposée par la force des armes par
une autre fraction, qu'elle soit majoritaire ou non. Le soulèvement
de Kronstadt a constitué un affaiblissement du bastion
prolétarien, sur le plan de sa cohésion. Sa répression
a constitué un affaiblissement encore plus important en hâtant
la dégénérescence de la révolution.
La
tragédie de la révolution russe, et en particulier le
massacre de Kronstadt, a été que l'ensemble du
mouvement ouvrier de l'époque n'était pas clair sur le
rôle du parti dans l'exercice du pouvoir prolétarien. En
effet, au sein du mouvement ouvrier existait encore l'idée
que, comme dans la révolution bourgeoise, c'est le parti qui
devait exercer la dictature du prolétariat au nom de la classe
ouvrière. Contrairement aux autres révolutions dans
l'histoire, la révolution prolétarienne exige la
participation active et constante de toute la classe ouvrière.
Ce qui signifie qu'à aucun moment, elle ne doit tolérer,
sous peine d'ouvrir immédiatement un cours de dégénérescence,
ni la "délégation" du pouvoir à un
parti, ni la substitution d'un corps spécialisé ou
d'une fraction de la classe ouvrière, aussi révolutionnaires
soient-ils, à l'ensemble du prolétariat. C'est
également pour cette raison que, quand l'Etat se dresse contre
la classe ouvrière, comme ce fut le cas à Kronstadt, le
rôle du parti, en tant qu'émanation et avant-garde du
prolétariat, n'est pas de défendre l'Etat contre la
classe ouvrière, mais de mener le combat aux côtés
de celle-ci contre l'Etat.
Au moment de la révolution russe, il
existait une confusion générale dans le mouvement
ouvrier, qui identifiait la dictature du prolétariat à
l'Etat apparu après le renversement du régime tsariste,
c'est-à-dire le congrès des délégués
de toutes les Russies des Soviets, des travailleurs, soldats et
paysans. Le pouvoir prolétarien, au lieu de se manifester par
le canal des organes spécifiques de la classe ouvrière
(assemblées d'usines et conseils ouvriers), a été
identifié à l'appareil d'Etat (soviets territoriaux,
émanation de toutes les couches non exploiteuses).
Or,
comme l'a clairement mis en avant la Gauche communiste d'Italie à
la fin des années 30 et la Gauche communiste de France par la
suite, tirant les leçons de la dégénérescence
de la révolution russe, l'autonomie du prolétariat
signifie que, sous aucun prétexte, les organisations unitaires
et politiques de la classe ouvrière ne doivent se subordonner
aux institutions étatiques, car cela reviendrait à
dissoudre ces organismes du prolétariat et amènerait
celui-ci à abdiquer de son programme communiste dont lui seul
est l'unique sujet. Compte tenu des conceptions qui existaient à
l'époque dans le mouvement ouvrier (l'idée d'un Etat
"prolétarien"), toute résistance à
l'Etat de la part des travailleurs ne pouvait être considéré
que comme contre-révolutionnaire. A aucun moment, la vigilance
du prolétariat vis-à-vis de l'appareil d'Etat ne peut
se relâcher, parce que l'expérience russe et les
événements de Kronstadt en particulier, ont montré
que la contre-révolution peut très bien se manifester
par le canal de l'Etat post-insurrectionnel et pas seulement à
travers une agression bourgeoise "extérieure".
Pour
tragiques qu'aient été les erreurs commises par les
bolcheviks, ce ne sont pas elles mais bien l'isolement de la
révolution russe qui est à la base de sa
dégénérescence. Si la révolution s'était
étendue, en particulier à travers une insurrection
victorieuse en Allemagne, il est fort probable que ces erreurs
auraient pu être corrigées au cours-même du
processus révolutionnaire en développement, comme en
témoigne les positions défendues par Lénine dans
le débat en 1920-1921 qui l'avait opposé à
Trotsky sur la question des syndicats (débat qui s'est
également mené au 10e congrès du parti qui s'est
tenu au moment-même où se déroulaient les
événements de Kronstadt). Ainsi, alors que Trotsky
défendait l'idée que les syndicats devaient constituer
un appareil d'encadrement par l'Etat "prolétarien"
de la classe ouvrière, Lénine, en désaccord avec
cette analyse, avait mis en avant que les ouvriers doivent se
défendre eux-mêmes contre "leur" Etat,
particulièrement dans la mesure où le régime des
soviets était, selon lui, non plus un Etat prolétarien
mais un "Etat des ouvriers et des payans" avec de
"profondes déformations bureaucratiques".
Par
ailleurs, en 1922, dans un rapport présenté au comité
central du parti, c'est en ces termes que Lénine commence à
percevoir que la contre-révolution s'est installée en
Russie-même et que l'appareil du parti bureaucratisé ne
va pas dans le sens des intérêts du prolétariat :
"La machine est en train d'échapper des mains de ceux
qui la conduisent : en fait, on dirait qu'il y a quelqu'un aux
commandes qui dirige cette machine, mais celle-ci suit une autre
direction que celle qui est voulue, conduite par une main cachée
(...) Dieu seul sait à qui elle appartient, peut-être à
un spéculateur ou à un capitaliste privé, ou aux
deux à la fois. Le fait est que la machine ne va pas dans la
direction voulue par ceux qui sont censés la conduire et,
quelquefois, elle prend tout à fait la direction opposée."
B et C
Links
[1] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/immigration
[3] https://fr.internationalism.org/ri310/fsm.html#sdfootnote1sym
[4] https://fr.internationalism.org/ri310/fsm.html#sdfootnote2sym
[5] https://fr.internationalism.org/ri310/fsm.html#sdfootnote3sym
[6] https://fr.internationalism.org/ri310/fsm.html#sdfootnote4sym
[7] https://fr.internationalism.org/ri310/fsm.html#sdfootnote1anc
[8] https://fr.internationalism.org/ri310/fsm.html#sdfootnote2anc
[9] https://fr.internationalism.org/ri310/fsm.html#sdfootnote3anc
[10] https://fr.internationalism.org/ri310/fsm.html#sdfootnote4anc
[11] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/anti-globalisation
[12] https://fr.internationalism.org/ri310/kronstadt.html#sdfootnote1sym
[13] https://fr.internationalism.org/ri310/kronstadt.html#sdfootnote1anc
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-russe
[15] https://fr.internationalism.org/ri310/anars.html#sdfootnote1sym
[16] https://fr.internationalism.org/ri310/anars.html#sdfootnote1anc
[17] https://fr.internationalism.org/french/rint/100_communisme_ideal
[18] https://fr.internationalism.org/rinte104/cronstadt.htm
[19] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/anarchisme-officiel