A l’heure où nous mettons sous presse, le ballon rond fait la une de l’actualité : la coupe du monde de football (avec la victoire des « Bleus » contre l’équipe du Brésil en quart de finale) occupe tous les esprits. C’est dans une atmosphère de liesse populaire et d’union sacrée derrière le drapeau tricolore que la bourgeoisie a ainsi les coudées franches pour faire passer « en douce » ses nouvelles attaques contre la classe ouvrière. Comme le disait le gouvernement Villepin au lendemain de la crise du CPE, il fallait « tenir jusqu’au Mundial » !
Les propos de Chirac lors de son interview télévisé sur France 2 le 26 juin dernier sont révélateurs de la préoccupation essentielle de toute la bourgeoisie : "Nous n’avons pas les moyens d’abandonner le terrain, de perdre du temps. Le temps perdu ne se rattrape pas (…) Mon obsession, c’est de poursuivre l’action, de ne pas débrayer (…) Le gouvernement a une feuille de route. Il s’y tiendra." Le message martelé par le président de la République est clair : le seul programme qui s’impose à la bourgeoisie, c’est de poursuivre les attaques, c’est de cogner encore et toujours plus fort sur les prolétaires Dès que la lutte contre le CPE a reflué, le gouvernement a pu relancer aussitôt une série d’attaques d’envergure.
Après les "jeunes", la cible désignée est cette fois les "plus âgés". A travers le "plan emploi séniors", les plus de 57 ans se voient désormais "offrir" à leur tour des CDD sous-payés pendant 18 ou 36 mois. Alors que la dette de l’Etat français atteint 66% du PIB, des restrictions budgétaires draconiennes sont prévues. Ainsi, le gouvernement vient d’annoncer la suppression de 15 000 emplois dans la Fonction publique en 2007 (soit 3 fois plus qu’en 2006 !) avec le non remplacement d’un départ à la retraite sur trois. 8700 d’entre eux concernent le seul secteur de l’Education nationale.
Parallèlement, à travers la réforme des primes et de la notation, un "salaire au mérite" s’installe peu à peu chez les fonctionnaires. Dans la foulée, les suppressions d’emploi pleuvent dans le secteur des salariés de la Sécurité sociale : à la Caisse primaire d’assurance maladie, 11 000 postes sur 85 000 doivent être supprimés d’ici deux ans, au nom du regroupement des services et de la centralisation, présentés comme une amélioration de l’efficacité des services publics. Les départs à la retraite à la Caisse d’allocations familiales ne seront plus remplacés. Dans la branche URSSAF (caisses de retraite du secteur privé), d’autres emplois sont supprimés, notamment en Loire Atlantique et dans la région parisienne.
On assiste à de nouvelles fermetures de centres hospitaliers ou d’unités médicales particulières (notamment des maternités) sous prétexte de non-rentabilité ou de normes de sécurité insuffisantes.
En même temps, le gouvernement est en train de peaufiner l’unification des fichiers de l’ANPE et des caisses d’allocations-chômage, réorganisant l’ensemble des services pour permettre de passer tous les chômeurs au crible du flicage.
Sans compter le durcissement de l’appareil répressif et la multiplication des mesures d’expulsion envers les travailleurs clandestins, mises au point par l’éventail des lois Sarkozy ; dans tous les domaines, les conditions de travail et d’exploitation des prolétaires empirent. Les maladies professionnelles ont augmenté de 7% en 2005 par rapport à l’année précédente. Les accidents de travail suivent la même courbe ascensionnelle. Le pouvoir d’achat dégringole : en-dehors même de ceux réduits au chômage, 10% des salariés en activité et leur famille sont d’ores et déjà contraints de recourir aux associations caritatives et aux banques alimentaires pour se nourrir.
Dans le secteur privé, les plans de licenciements tombent à une cadence toujours plus soutenue, touchant aussi bien les travailleurs dans les grandes entreprises ou leurs filiales (d’EADS et Sogerma à Eurodec Industries) que dans d’innombrables PME. L’accélération des attaques anti-ouvrières n’est nullement un phénomène propre au capital français. Il n’est pas davantage lié à des gouvernements de droite : en Allemagne, sous la tutelle d’un gouvernement de large coalition, après les 25 000 licenciements annoncés chez Volkswagen, ce sont 7500 salariés de la compagnie d’assurance Allianz qui vont se retrouver au chômage dans les prochains mois.
Les prolétaires subissent partout les mêmes attaques, y compris dans les pays les plus "riches". Un seul exemple : après les plans de restructuration chez Ford et General Motors au printemps dernier, GM vient d’annoncer une nouvelle charrette concernant 35 000 ouvriers (soit 10% des effectifs de ce géant de l’automobile), négociée avec les syndicats ! Ceci constitue une nouvelle manifestation du caractère universel de la crise du capitalisme qui démontre la faillite de ce système d’exploitation.
Comme tous les ans, la bourgeoisie se prépare de surcroît à profiter de la dispersion de la classe ouvrière pendant les congés d’été pour porter un maximum de nouvelles attaques.
La classe ouvrière n’a absolument rien à attendre des prochaines élections que la bourgeoisie lui fait miroiter. La gauche a exactement le même programme anti-ouvrier que la droite. Si elle gagnait les élections, elle prendrait des mesures dans la plus parfaite continuité de celles prises par le gouvernement actuel, comme elle l’a d’ailleurs toujours fait dans le passé. Les uns et les autres sont et seront les ardents défenseurs de l’ordre capitaliste et la classe ouvrière n’a rien à attendre de tous ceux qui la poussent par tous les moyens à la détourner de ses luttes et à les happer dans le cirque électoral.
Elle n’a rien à attendre non plus de ces organes d’encadrement au service de la bourgeoisie que sont les syndicats. Ces derniers ne sont présents que pour enfermer, cloisonner, diviser, démoraliser les ouvriers, saboter leurs luttes et finalement faire passer les attaques portées par le reste de la bourgeoisie. On l’a vu encore récemment : tandis qu’ils poussaient les ouvriers de GDF à se battre contre la privatisation et contre la fusion avec le groupe Suez, les mêmes syndicats organisaient en même temps une autre manifestation exhortant les 60 000 employés de Suez à réclamer la fusion des deux entreprises.
La mobilisation massive des futurs prolétaires dans les universités et les lycées contre le CPE et la maturité dont ils ont fait preuve au cours de cette lutte (capacité d’organiser des AG ouvertes à tous les ouvriers, prise en charge massive de l’extension du mouvement) ont démontré que la lutte sur un véritable terrain de classe était le seul moyen d’établir un rapport de forces capable de mettre en échec les attaques de la bourgeoisie. A contrario, c’est justement parce que les travailleurs de l’Education nationale ne se sont pas mobilisés massivement contre le CPE, en solidarité avec les étudiants, que le gouvernement met aujourd’hui à profit ces hésitations à engager la lutte pour cogner encore plus fort en annonçant des milliers de suppressions de postes dans ce secteur. Ainsi, moins la classe ouvrière lutte, plus la bourgeoisie a les coudées franches pour asséner de nouvelles attaques. C’est une leçon que toute la classe ouvrière doit encore tirer du mouvement des jeunes générations contre le CPE : seule la lutte solidaire, massive et unie paie et peut obliger le gouvernement et le patronat à reculer.
W (28 juin)
Une fois de plus, le Proche-Orient connaît une escalade guerrière qui ne peut ouvrir que sur un nouvel enfoncement dans la barbarie. L’offensive menée par l’armée israélienne dans la bande de Gaza mercredi 28 juin, en représailles à l’enlèvement d’un soldat israélien, est le commencement d’une épreuve de force dont les populations palestiniennes et israéliennes vont être les véritables otages. Actuellement 5000 soldats de Tsahal et des dizaines de blindés sont massés aux frontières sud et nord de la bande de Gaza, face aux bandes armées palestiniennes, piégeant ainsi les populations civiles dans un étau meurtrier
La situation actuelle au Proche-Orient, ce baril de poudre à ciel ouvert de plus en plus explosif depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, va encore faire la preuve que chaque prétendu "pas en avant" vers la "paix" ne fait que mieux relancer la guerre. A peine une semaine auparavant, le 22 juin, le premier ministre israélien Olmert et le président palestinien Abbas s’étaient rencontrés pour "relancer le processus de paix". Olmert avait d’ailleurs à cette occasion déclaré être "prêt à tout pour un seul objectif : parvenir à la paix, faire des compromis, opérer des retraits de certains territoires". Aujourd’hui, c’est par l'utilisation des "moyens les plus extrêmes" qu’est menacée la population palestinienne. L’aviation israélienne a ainsi bombardé la centrale électrique la plus importante de Gaza, coupant l’alimentation de la majeure partie du territoire palestinien pour au moins six mois. La population fuit tant bien que mal les zones de combat au sud et au nord de cette souricière que constitue la bande de Gaza. En temps "normal", les civils de cette région sont déjà soumis à des raids et des tirs de roquettes incessants, provoquant insomnies, traumatismes psychiques et autres troubles nerveux. C'est une population sinistrée, privée d’eau potable, de vivres, de médicaments ; un million deux cent mille êtres humains dont le seul destin semble être la misère la plus absolue, la folie et la mort. C’est avec le mépris le plus total de la dite "communauté internationale" qu’une telle situation a pu s’installer, communauté internationale qui avait même supprimé son aide "humanitaire" aux Palestiniens suite au succès électoral du Hamas, groupe islamiste ne reconnaissant pas Israël.
Quels que soient le ou les groupes à l’origine de l’enlèvement du jeune soldat israélien, c’est clairement le Hamas et surtout sa branche radicale qui sont visés par Israël. L’arrestation le 29 juin par l’armée israélienne de 90 responsables du gouvernement palestinien en Cisjordanie, dont une dizaine de ministres et une vingtaine de députés, montre la détermination de Tel-Aviv. En quelques jours, on se retrouve bien loin du rapprochement entre Mammoud Abbas et Ehud Olmert, opéré en Jordanie la semaine précédente, et de la perspective d’un référendum qui avait pour but d’entériner les pas importants faits par le Hamas lui-même vers la reconnaissance d’Israël et la reprise de pourparlers avec le gouvernement israélien.
La seule perspective contenue dans la situation actuelle ne peut être que celle d’une aggravation des tensions entre toutes les parties en présence. Malgré les exhortations envers Israël des ministres des Affaires étrangères du G8 réunis à Moscou "à la plus grande retenue" et malgré l’infléchissement des Etats-Unis qui, après avoir soutenu pleinement l’offensive, appellent "à ce qu'il puisse y avoir de nouveau de l'espoir pour le processus de paix", ces évènements sont annonciateurs de nouveaux massacres. Parce que l’attitude du gouvernement israélien, dans la parfaite lignée de celle de Sharon, montre l’irrationalité la plus totale, l’enfoncement irrémédiable et irréfléchi dans la barbarie. Des deux côtés, c’est l’escalade guerrière qui domine. Le Hamas et les factions proches du Fatah qui, récemment, se déchiraient avec une violence effrénée dans les rues de Gaza ont ponctuellement mis de côté leurs différends pour se préparer en commun à mener une défense "en règle" des territoires palestiniens face à l’offensive israélienne. L’armée israélienne opère quant à elle un encerclement de la bande de Gaza, avec tous les risques de débordements et de dérapages que cela implique et, dans le même temps, est en train d’alourdir et d’accélérer le quadrillage de la Cisjordanie.
Mais au-delà de la situation dans les territoires occupés, ce renforcement de la position israélienne signifie aussi une pression grandissante sur le Liban et surtout la Syrie qui soutient en sous-main les groupes islamistes radicaux du Hamas et du Jihad islamique, en attendant de pouvoir montrer une agressivité plus ouverte, d’autant qu’elle n’a pas digéré le revers subi il y a un an et demi avec son retrait du Liban imposé par les grandes puissances, France et Etats-Unis en particulier.
Ce contexte d’aggravation des tensions entre Israël et la Palestine est particulièrement marqué par l’échec des Etats-Unis à imposer la "feuille de route" proposée par Bush en 2004 et par l’échec de leur politique dans tout le Moyen-Orient. L’Irak est un pays à feu et à sang, les attentats se succèdent à un rythme catastrophique, la guérilla anti-américaine ainsi que les luttes de factions entre Chiites, Sunnites et Kurdes s’exacerbent jour après jour, tandis que les Etats-Unis montrent de plus en plus leur impuissance. Après l’Espagne, l’Italie et la Roumanie s’apprêtent "à quitter le navire" en perdition. Washington, dont le nombre de soldats tués atteint les 2500 est d'autant plus devant la nécessité d’un retrait, qui laisserait derrière lui, en lieu et place de la "démocratie prospère" promise en 2003, une terre de désolation et de massacres, avec des cliques n’attendant que son départ pour se lancer dans une guerre à outrance. Le groupe terroriste Al Qaïda, à l’origine de la justification des offensives sur l’Afghanistan et l’Irak, est non seulement loin d’être anéanti, mais connaît une expansion sans pareil. Au point qu’en Irak même il mène une véritable surenchère, comme en témoigne l’exécution filmée et présentée sur internet de quatre diplomates russes le 25 juin dernier.
Mais c’est encore la question de l’Iran qui se trouve être une épine de taille dans le pied du colosse américain et un facteur de premier plan aujourd’hui dans l’aggravation des tensions guerrières. Le refus ouvert et provocateur de Téhéran de revenir sur son programme nucléaire contre les exigences américaines, a aggravé la position de faiblesse de Washington et renforcé celle de l’Iran dans ses velléités de prétendre à jouer les décideurs au Moyen-Orient. La situation de force de la fraction chiite au pouvoir en Irak ne peut que conforter le gouvernement iranien dans cette perspective. D’autant que le rapprochement actuel de l’Iran avec une Russie manifestant de plus en plus fortement ses propres prétentions à revenir sur la scène internationale comme challenger d’une Amérique en perte de vitesse, comme au "bon vieux temps" des blocs impérialistes, ne peut qu’alimenter l’agressivité iranienne.
Ce qui caractérise toute la situation actuelle, c’est le "no future", les destructions 1 [2] toujours plus violentes et sans but. Chaque jour voit un pas en avant de plus vers le néant et montre avec plus d’évidence l’impasse que représente pour l’humanité le système capitaliste en pleine décomposition.
Mulan (30 juin)
1 [3] En 2005, les dépenses militaires ont augmenté de 3,4% par rapport à 2004, et de 34% depuis dix ans ! !
Le 17e congrès de la section du CCI en France s’est tenu au moment précis où se déroulait le mouvement de lutte des jeunes générations ouvrières contre la généralisation de la précarité. Le mouvement des étudiants contre le CPE exprime à ce jour le point le plus haut atteint par la reprise internationale des luttes ouvrières, qui vient de se confirmer à nouveau à Vigo en Espagne (voir Internationalisme n° 326 [6]).
La lutte de classe est entrée maintenant dans une nouvelle période. Face à cette situation, notre organisation se devait, en priorité, d’axer les travaux de ce congrès sur l’analyse et les exigences que posent une situation aussi importante. Le CCI se devait d’en saisir la dimension historique et internationale.
Les travaux de ce congrès se sont ainsi orientés clairement vers la compréhension de toutes les implications que cette lutte pouvait avoir sur notre activité, en particulier sur notre intervention. Dans cette situation, conscient de ses responsabilités, le congrès a pleinement rempli son devoir et ses tâches.
La présence à ce congrès, et sur notre invitation, d’une organisation révolutionnaire venue du Brésil prend alors toute sa signification politique. Il est indéniable que le milieu politique prolétarien est en train d’entrer dans une nouvelle phase de développement après celle que nous avons connue à la fin des années 1960 et au début des années 1970. C’est une donnée essentielle de la nouvelle période historique. Et c’est afin d’être à la hauteur des nécessités de cette nouvelle situation que notre organisation a proposé d’inviter le groupe brésilien Opposition Ouvrière1 [7] (OPOP) à l’ensemble des travaux du congrès.
Dès 2003, nous mettions en relief qu’un tournant s’est effectué dans la lutte de classe internationale. Comme nous l’écrivions à l’époque, "les mobilisations à grande échelle, du printemps 2003 en France et en Autriche représentent un tournant dans la lutte de classe depuis 1989. elles sont un premier pas significatif dans la récupération de la combativité ouvrière après la plus longue période de reflux depuis 1968" (Revue Internationale n°119 [8]). Cette reprise de la lutte de classe s’avérait certes difficile, mais elle vient de connaître avec le mouvement des étudiants en France une avancée politique très importante. A l’issue de longues et riches discussions, le congrès a souligné toute l’importance de ce premier combat des jeunes générations de la classe ouvrière dans un texte rassemblant l’ensemble des caractéristiques et des leçons de ce mouvement. Les "thèses sur le mouvement des étudiants du printemps 2006 en France" furent ainsi adoptées par le 17e congrès de RI. Celles-ci mettent en avant que "Cette classe [la bourgeoisie] ne pourra supprimer toute l’expérience accumulée pendant des semaines par des dizaines de milliers de futurs travailleurs, le réveil politique et leur prise de conscience. C’est un véritable trésor pour les luttes futures du prolétariat, un élément de premier plan de leur capacité à poursuivre leur chemin vers la révolution communiste." ("Thèses" [9] Revue Internationale n° 125). La dimension internationale de ce mouvement a clairement été développée dans les débats du congrès. Il en va de même bien sûr pour les leçons et l’expérience à en tirer. OPOP, pendant le congrès, s’est situé entièrement dans ce cadre : "… [la] préoccupation [de] l'internationalisme prolétarien (…) a été explicite dans la plupart des discussions, vu que la lutte de classe a été abordée, dans la plupart des interventions, sous un prisme internationaliste, même lorsqu'il s'agissait de la situation en France" (prise de position de OPOP sur les travaux du congrès de RI).
Cette capacité à comprendre profondément la signification historique et internationale de la lutte des jeunes générations en France a trouvé également une concrétisation dans le renforcement de la cohésion interne du CCI. Ce congrès a manifesté une volonté profonde de clarification de la part de toutes les délégations du CCI et de tous les militants. Mais cette clarification n’est pas possible sans une vision et une vie prolétarienne interne toujours plus solide, marquée par un esprit profond de camaraderie dans les débats.
La solidarité, la confiance des camarades entre eux et envers l’organisation sont indispensables à une véritable culture prolétarienne des débats. Cette culture du débat, la volonté de confronter les arguments a été, pendant le congrès, tout particulièrement saluée par la délégation d’OPOP qui a pu, grâce à un climat fraternel dans les discussions, s’inscrire tout naturellement dans les débats : "Nous pensons que, suite aux débats qui ont déjà eu lieu entre nos deux organisations tant au Brésil qu'en France, il existe à présent des éléments permettant une activité commune, ou au moins des travaux communs, à chaque fois que cela sera possible et s'inscrira dans le développement de nos deux organisations avec en vue le développement de la conscience et de l'organisation des travailleurs du monde entier."
Une telle capacité de s’inscrire clairement dans l’activité du milieu politique prolétarien, comme on l’a vu au congrès, a été accueillie avec enthousiasme par notre organisation. Il est en effet nécessaire, malgré les désaccords qui peuvent persister entre organisations, que tout groupe du milieu politique prolétarien participe activement à la clarification, à l’élaboration théorique sur les problèmes centraux posés au prolétariat. Comme il est indispensable que doive être développée, face à des situations cruciales pour le prolétariat, une intervention commune. Contre tout sectarisme, immobilisme, opportunisme, et aux côtés du CCI, OPOP a manifesté une compréhension riche de promesses pour l’avenir : "Malgré quelques différences que nous avons perçues, traitées et approfondies dans les discussions et rencontres appropriées, nous tenons à mettre en évidence les points que nous avons en commun : nous sommes deux organisations qui appartiennent au camp du prolétariat, qui ne cherchent pas à disputer l'espace politique bourgeois, qui ne se font pas d'illusions sur les organisations syndicales qui sont enchaînées à l'Etat capitaliste mais qui les combattent." La démarche politique que manifeste OPOP dans ce passage de sa prise de position sur les travaux du congrès est sans équivoque. C’est cette même démarche que nous avons mise en avant depuis la fondation du CCI. C’est encore cette démarche qui, à l’image d’OPOP, va traverser les nouveaux groupes prolétariens , à l’opposé de celle qui a gangrené le milieu issu de la Gauche communiste depuis la reprise historique de la lutte de classe à la fin des années 1960.
Sur la base de ces débats notre organisation, tout en continuant d’être partie prenante du mouvement des jeunes générations contre le CPE, n’a pas manqué de tracer des perspectives d’activité pour l’avenir. Le congrès a clairement affirmé que c’est l’intervention qui doit orienter l’activité du CCI dans la période de remontée de la lutte de classe au niveau international. Mais dans ce domaine tout particulièrement, le présent ne s’oppose pas à l’avenir. La mobilisation intensive de l’organisation pour l’intervention dans les assemblées générales des étudiants comme dans les manifestations, a été un élément déterminant pour inscrire nos perspectives d’activité dans les besoins historiques de la lutte du prolétariat. Comme le démontre concrètement la lutte dans les universités et dans les lycées, les jeunes générations tout en luttant contre la dégradation des conditions de vie de toute la classe ouvrière ont immédiatement et simultanément posé des questions politiques plus larges : quelles perspectives offre le capitalisme à l’humanité ? Pourquoi le monde s’enfonce-t-il dans la misère et la guerre ? Répondre à ce questionnement qui se développe au sein des nouvelles générations doit être une des priorités de l’activité des révolutionnaires. Le congrès s’est fermement inscrit dans cette orientation d’activité. Ce sont ces orientations et ces discussions sur la lutte internationale du prolétariat et ses exigences tant de manière immédiate qu’à plus long terme qui ont été tout particulièrement soulignées par OPOP : " … nous sommes reconnaissants qu'il nous ait été permis de participer à une réunion où les préoccupations et les discussions ont été déterminées par la lutte de classe au niveau international, où s'est vérifié le fait que nous étions, depuis un certain temps déjà, en train de vivre une période historique de reprise du développement de la conscience de la classe ouvrière à l'échelle mondiale, et où enfin a été mise en évidence l'importance du rôle des nouvelles générations, qui n'ont pas été affectées par les faiblesses et les conditionnements politiques des précédentes, dans les luttes futures des travailleurs du monde entier. OPOP partage la vision qu'il existe une dynamique de reprise de la conscience, engendrée par l'aggravation de la crise du capitalisme et par la nécessité de réagir face à la précarisation engendrée par le système et qui est mise massivement en application au moyen des différentes réformes promulguées par l'Etat aux quatre coins de la planète.
Nous nous gardons cependant d'une vision trop optimiste à court terme, laquelle a peut-être existé au sein d'un congrès qui se déroulait à la chaleur de la lutte des étudiants et des travailleurs en France." Il est parfaitement clair qu’OPOP partage avec le CCI la compréhension de la reprise internationale de la lutte de classe amorcée en 2003, comme l’importance grandissante en son sein des jeunes générations. Par contre, nous voulons ici signaler le fait que notre organisation ne partage pas l’idée que le CCI, lors de ce congrès, aurait été trop "optimiste". Nous ne pouvons, dans le cadre de cet article, développer une réelle réponse à la remarque d’OPOP. Nous invitons les camarades à lire attentivement nos thèses qui développent et argumentent largement sur l’importance historique et internationale de ce mouvement à long terme. Cependant, nous voudrions dès à présent attirer l’attention sur la signification politique de la peur qu’a ressentie la bourgeoisie face à la possibilité d’extension du mouvement à l’ensemble de la classe ouvrière courant avril. C’est bien face à ce danger et à l’exemple qu’il pouvait représenter pour le prolétariat dans d’autres pays que la bourgeoisie a développé sa contre-offensive politique. En France, elle a été obligée de retirer le CPE après la grande manifestation du 4 avril. Dans d’autres pays d’Europe telle l’Allemagne, la classe dominante a dû mettre de côté, au moins pour un temps, les projets de lois équivalents au CPE. Cette réalité démontre le contenu hautement prolétarien de ce mouvement, son importance de façon immédiate mais plus encore pour les luttes futures.
Dans ce congrès, une discussion particulière a été développée sur l’évolution dans l’organisation d’un débat interne commencé au niveau international en juin 2004 sur les questions de l’éthique et de la morale prolétarienne. Cette discussion se révèle être cruciale pour le combat de l’ensemble de la classe ouvrière, mais également pour le renforcement de la vie de ses minorités révolutionnaires. Notre organisation, dès sa fondation, s’est préoccupée de ces questions. Mais cette préoccupation s’est manifestée d’une manière plus intuitive que consciemment assumée. Il nous aura fallu être confrontés aux comportements de voyous et de mouchards d’une petite association de malfaiteurs auto-proclamée de façon mensongère "Fraction Interne du CCI" pour que nous comprenions la nécessité de nous affronter théoriquement à la question de l’éthique en lien avec celle du comportement politique des révolutionnaires.
La dégénérescence des moeurs dans la société capitaliste, la montée du chacun pour soi et la décomposition du tissu social ont provoqué un développement indéniable du pessimisme sur les qualités humaines, un rejet, voire même un déni, de l’importance des valeurs morales qui distinguent l’espèce humaine du monde animal. L’Homme aurait toujours été et sera à jamais un loup pour l’Homme selon la célèbre formule de Hobbes. A cette vision nihiliste de la bourgeoisie à propos de la "nature humaine", les révolutionnaires se doivent d’opposer celle du prolétariat. A la vision de la négation de toute morale de la part de ce capitalisme décadent doit être opposée à la morale prolétarienne. C’est pour cela que depuis maintenant deux années, sur ce sujet, notre organisation développe en profondeur une réflexion et un débat théorique. Pour le marxisme, l’origine de la morale réside dans la nature entièrement sociale et collective de l’humanité. Connaître les origines de la morale, son évolution à travers l’Histoire est indispensable pour la capacité du prolétariat à développer la morale prolétarienne sous tous ses aspects. Dans ce sens, il est donc également nécessaire de se réapproprier la lutte du marxisme contre la "morale" bourgeoise.
C’est sur l’avancée de l’approfondissement théorique déjà effectué par l’organisation sur ces questions que le congrès a travaillé. Il a décidé de poursuivre ce débat afin que le fruit de cette élaboration théorique collective puisse être répercuté dans notre presse et transmise à l’ensemble de la classe ouvrière.
L’importance de la question de l’éthique et de la morale prolétarienne pour le combat de classe n’a pas échappé à OPOP. Cette organisation a manifesté pendant le congrès, à travers sa délégation, le désir de participer concrètement à ces discussions. Nous avons accueilli avec le plus grand intérêt cette initiative de OPOP : "Un autre aspect à souligner a été la discussion sur l'éthique. Il est salutaire qu'une organisation du prolétariat se préoccupe et s'implique dans la formation de ses militants, formation politique générale mais également concernant le comportement militant. Bien que nous n'ayons assisté qu'à des discussions relatives à des conclusions partielles d'une discussion qui (comme cela nous a été dit) se développe déjà depuis deux ans, nous avons pu percevoir une tentative d'approfondissement du sujet, qui est néanmoins exposée au risque d'une certaine fragmentation (ceci dit, nous n'avons pas connaissance de l'ensemble des discussions en cours)." OPOP exprime ici dans sa prise de position une compréhension en profondeur de l’importance politique de cette question. Il souligne avec raison qu’il a existé une certaine dispersion dans ce débat sur l’éthique pendant le congrès. Mais ce qui a pu apparaître fragmenté dans cette discussion est en fait le reflet de l’immensité de la tâche théorique à mener. Les questions de l’éthique et de la morale prolétarienne, celles sur la "nature humaine" nécessitent d’investiguer le champ des sciences afin d’en retenir ce qui peut enrichir la vision marxiste. Cela a toujours été une préoccupation du marxisme que de se tenir au courant et d’assimiler les avancées scientifiques et techniques de la civilisation humaine. Le travail d’Engels dans "La dialectique de la nature" en est, entre autres, une claire illustration. C’est ce même type de travail théorique que notre organisation s’est engagée à poursuivre aujourd’hui sur la question de la morale prolétarienne 2 [10].
Les nouveaux groupes prolétariens surgissant dans cette période de remontée des luttes ouvrières exige du CCI qu’il assume pleinement ses responsabilités d’organisation de la Gauche communiste. L’organisation prolétarienne Opposition Ouvrière, qui a surgi dans les années 1980, est portée, dans sa dynamique, dans son ouverture au débat et à la confrontation sérieuse et fraternelle comme dans l’intervention commune des révolutionnaires, par la dynamique profonde de ce nouveau milieu. Face à l’émergence de ce nouveau milieu prolétarien, le CCI continuera à assumer ses responsabilités, dans le même état d’esprit qu’il l’a fait dans ce congrès et que OPOP a salué : "Nous avons eu le très grand honneur de participer, au printemps de cette année, au congrès de la section du CCI en France. Nous avons assisté, en tant que groupe invité, au déroulement des travaux du congrès que nous avons suivis attentivement, avec la possibilité d'intervenir à chaque fois que nous l'avons jugé nécessaire."
Le CCI se doit d’être un élément moteur du pôle de clarification et de regroupement pour les forces révolutionnaires dans l’avenir. L’expérience accumulée par le CCI en matière de conception de l’organisation et de fonctionnement est un élément indispensable aux nouvelles organisations prolétariennes. Un congrès est un moment essentiel de la vie d’une organisation révolutionnaire dans lequel se manifeste concrètement la conception organisationnelle de celle-ci. "A l'ordre du jour du congrès du CCI figurait un bilan de l'activité de l'organisation, discussion grâce à laquelle nous avons pu découvrir grandement le fonctionnement de cette organisation, avec la possibilité d'en retirer des enseignements pour notre propre vie politique, comme la manière dont on traite de la presse révolutionnaire, l'importance et l'utilité d'Internet, un instrument supplémentaire au service de la propagande et d'une intervention réellement prolétarienne" (OPOP). C’est cette expérience de notre vie interne que le congrès s’est efforcé de transmettre à OPOP.
Après plus de dix années de tendance à l’isolement des groupes issus du courant de la Gauche communiste, le développement actuel de la vague internationale de luttes ouvrières ouvre la perspective d’un nouveau pôle de regroupement à l’échelle internationale. La présence d’OPOP au 17e congrès de RI, sa participation fraternelle aux débats, sa volonté de poursuivre la discussion avec le CCI, constituent une claire illustration de la dynamique de remontée de la lutte et de la conscience de classe à l’échelle internationale.
CCI
1 [11] Ce groupe, avec lequel le CCI développe une relation de discussion et collaboration politiques, appartient clairement au camp du prolétariat du fait en particulier de son engagement dans le combat internationaliste en vue de la victoire du communisme. Il démontre par ailleurs une clarté significative concernant la nature des syndicats et la mystification démocratique et électoraliste. Pour consulter son site : opop.sites.uol.com.br
2 [12] Le compte-rendu que nous pouvons faire ici de ces deux années de débat, sur lequel le congrès a fait le point, ne peuvent évidemment pas être développé dans le cadre de cet article. Le CCI publiera très prochainement un texte reflétant les premières avancées de son débat sur cette question.
Lutte Ouvrière a tenu, comme chaque année lors du week-end de Pentecôte, sa grande fête dans le parc de son château. Cet événement est toujours une sorte d’immense kermesse où règnent barbe à papa, chamboule-tout et autres réjouissances. Mais encore une fois, l’attraction principale fut sans conteste les inimitables discours contorsionnistes tenus par LO, maniant d’un côté une phraséologie radicale et combative pour de l’autre saper toute volonté de lutte en rabattant les ouvriers vers les ‘solutions’, en forme d’impasse, de la gauche. Il fallait entendre les envolées made in LO (l’organisation partie prenante de toutes les élections et de tous les combats syndicaux) fustigeant sans pitié PS, PC, Verts et syndicats, dénonçant les élections comme un piège ou applaudissant les “jeunes” qui, dans le mouvement contre le CPE, ont pu faire reculer le gouvernement.
Les centaines de milliers d’étudiants auparavant en lutte étaient évidemment absents de cette fête, témoignant par là même leur indifférence voire leur méfiance à l’égard d’Arlette et de sa bande. Seule une poignée d’étudiants ont participé aux différents débats. La fameuse “Cité politique” était cette année un ghetto relégué aux fins fonds du terrain, bien à l’écart de tous les stands. Quant aux nombres de débats, ils étaient réduits comme peau de chagrin. Cette morosité contrastait ainsi furieusement avec l’effervescence des manifestations et les discussions enflammées des AG qui se tenaient seulement quelques semaines plus tôt dans les universités.
Le résultat de tout son travail de racolage parmi les étudiants est plutôt maigre pour LO qui avait pourtant fait une large publicité dans les facs autour de la présence de la compagnie de théâtre “Jolie Môme” qui est venue donner un spectacle autour de chants révolutionnaires (et gauchistes).. C’est donc avec d’autant plus de véhémence que l’organisation trotskiste a mené une véritable “opération séduction” envers les rares proies venues à elle. Ainsi, lors du forum du dimanche intitulé “Après le mouvement anti-CPE, quel bilan ?” et constituant le débat phare du week-end, LO a salué très chaleureusement la lutte contre le CPE, vantant même l’ingéniosité et la combativité des étudiants. Pas une seule critique ne fut formulée. Le présidium est allé jusqu’à organiser le tour de parole comme le faisaient les étudiants dans leurs AG en donnant 3 minutes à chaque intervenant alors que dans tous les autres forums LO laissait parler et surtout coupait les intervenants… à sa guise. Mais à y regarder de plus près, c’est-à-dire en déchirant ce voile de flagorneries, c’est en fait à une véritable entreprise de démolition de la signification de la lutte des étudiants que LO s’est attelée.
Pas un mot sur les assemblées générales qui ont constitué le poumon du mouvement, le lieu où les étudiants ont pris en main leur lutte, ont discuté et se sont organisés collectivement. Pas un mot sur l’ouverture de ces AG aux travailleurs actifs ou retraités. Pas un mot non plus, sur le choix des revendications communes à tous les ouvriers. LO a donc mis sciemment de côté tout ce qui constituait la force du mouvement contre le CPE. Par contre, le présentateur en a fait des tonnes sur des questions totalement secondaires, focalisant ainsi l’attention, par exemple, sur la tactique du blocage des facultés (question qui, sous la houlette gauchiste, a déjà paralysé des AG durant des heures pendant le mouvement).
L’hypocrisie de LO fut d’ailleurs vite révélée par les interventions des quelques étudiants n’appartenant ni à LO ni à la LCR. Un étudiant qui avait participé à la lutte s’est ainsi fortement étonné d’entendre l’organisation trotskiste soutenir ici en parole la volonté et les tentatives d’extension du mouvement des étudiants aux travailleurs salariés alors que dans les faits cette même organisation s’y était opposée dans certaines universités. Ainsi, cet étudiant nous a appris (ce qui n’était pas pour nous étonner) qu’à la faculté de Jussieu à Paris, une délégation d’étudiants avait en effet pour mandat d’aller chercher la solidarité chez les travailleurs du bâtiment qui travaillaient dans les locaux de la fac. Des militants de LO les ont découragés en s’opposant ouvertement à cette initiative avec l’argument suivant lequel cette lutte n’était pas une grande lutte et qu’elle ne concernait pas toute la classe ouvrière ! Cet exemple de sabotage de l’extension du mouvement aux travailleurs est on ne peut plus parlant et dévoile ouvertement la nature anti-ouvrière et la duplicité de l’organisation d’Arlette Laguiller.
Ce sabotage de l’extension n’est pas une erreur locale ou individuelle, elle résulte de la politique générale et permanente de LO. Cette organisation de l’extrême gauche du capital, malgré ses beaux discours, a toujours cherché à diviser les ouvriers, en les enfermant dans leur secteur ou leur entreprise (comme ce fut le cas par exemple lors de la grève de la SNCF en 1986 ou celle des hôpitaux en 1988). Les forums de boîte organisés lors de cette kermesse annuelle en sont encore une illustration : les “débats” étaient disséminés aux quatre coins de la fête et polarisés sur une entreprise particulière et sur “ses” problèmes particuliers.
Par exemple, lors de la discussion dans le forum de l’usine Citroën d’Aulnay, il n’était absolument plus question du CPE et de la lutte des étudiants. Pourtant les interventions du CCI ont rappelé l’importance de ce mouvement pour toute la classe ouvrière, y compris pour les ouvriers de l’usine Citroën d’Aulnay. La réponse de LO fut intraitable : “Ce qu’ont fait les étudiants c’est très bien, mais ce n’est absolument pas possible pour le reste de la classe ouvrière car les ouvriers ne sont pas prêts à se battre”. Et nous pouvons ajouter : surtout quand il sont encadrés par LO ! Les AG souveraines, la nécessité de se battre de façon unie et solidaire quels que soient les secteurs… tout cela fut rejeté d’un revers de main par les porte-parole de LO. Et notre intervention rappelant la lutte des ouvriers métallurgistes de Vigo, en Espagne, où les travailleurs ont mis en pratique les méthodes de lutte des étudiants en France et sont allés chercher la solidarité par délégations massives de 600 ouvriers auprès de l’usine la plus proche, à savoir Citroën 1 [15] ( !), tout cela fut purement et simplement ignoré comme quantité négligeable par LO. Mieux encore, dans ses interventions suivantes, LO a lourdement insisté sur l’absence de combativité de l’usine Citroën d’Aulnay, et sur les efforts “herculéens” qu’il faut aux syndicats pour simplement réussir à faire débrayer “les gars” une heure. Notons au passage que toutes les actions préconisées dans ce forum de boîte soulignaient la nécessité d’utiliser les syndicats alors qu’une centaine de mètres plus loin, devant les étudiants, LO sortait la version radicale de son discours, allant même jusqu’à affirmer que les syndicats sont des organes réactionnaires appartenant à la bourgeoise et cela… “depuis trois quart de siècle !”. Voilà encore un bel exemple du double langage de LO.
Ne reculant devant aucun mensonge et autre manipulation, LO a sorti la grosse artillerie tant contre l’ensemble de la gauche que sur les élections.
Dans son forum consacré à juin 1936, LO a dénoncé la politique anti-ouvrière des forces de gauche sous le Front populaire, sous Mitterrand, sous Jospin…, affirmant qu’il ne fallait avoir aucune illusion de ce côté pour l’avenir. Rappelons brièvement, et entre autres exemples de collaboration, que LO a appelé à voter Mitterrand en 1974 et en 1981 ! Poussant le bouchon encore un peu plus loin, lors du traditionnel débat de sa kermesse entre LO et la LCR, l’organisation de Laguiller a critiqué avec une grande virulence la participation de la LCR, en pleine lutte contre le CPE, à des meetings unitaires réunissant le PS, le PC, la LCR, les Verts, alors qu’elle-même était présente à cette communion de la gauche “plurielle” comme on a pu le voir par exemple à Toulouse et à Lyon ! 2 [16] C’est preuve à l’appui que nous avons dénoncé ces mensonges éhontés en sortant par deux fois, durant les débats, les affiches de ces fameux meetings au bas desquels le logo “LO” apparaissait au côté de ceux de toutes les autres organisations de gauche et d’extrême gauche .
Quant à la question électorale, l’hebdomadaire de LO vendu à la fête étalait en titre : “Le changement ne viendra pas par les urnes”. Cela prête évidemment à sourire quand on sait que l’icône Arlette est de toutes les élections depuis 1974. Finalement, LO a faite sienne la maxime chiraquienne “plus c’est gros, mieux ça passe”. Le but de ce titre si “radical” est en fait d’emmener les plus sceptiques vers les urnes, mine de rien. Les discours quotidiens de Madame Laguiller lors de cette fête n’ont d’ailleurs cessé de marteler l’objectif de 2007, récolter le plus de voix possible, en maniant à merveille le double langage : “Les élections à venir l’année prochaine, présidentielle et législatives, sont un épiphénomène. Mais c’est une occasion de défendre devant un public large les objectifs politiques qui aujourd’hui correspondent aux exigences et aux aspirations des travailleurs et à leurs intérêts politiques” ou encore “plus ils [les ouvriers] seront nombreux [à voter], plus cela aidera les luttes indispensables”.
Les élections ne sont pas un “épiphénomène” ; elles sont l’instrument majeur de la bourgeoisie pour faire croire à la classe ouvrière que grâce au vote, elle peut s’exprimer et changer les choses. Les élections ne sont pas un moyen pour préparer les luttes, elles en sont au contraire le frein principal. C’est pourquoi la bourgeoisie et son Etat font autant de bruit autour des élections ; c’est pourquoi des pubs passent à la télé proclamant “votez, votez pour n’importe qui, mais votez”. LO participe ici pleinement à cette propagande. Le message qu’elle ne va cesser de marteler durant les 12 mois qui nous séparent de l’élection présidentielle de 2007 sera donc en chuchotant “le changement ne viendra pas par les urnes” pour mieux clamer haut et fort “alors surtout votez” !
Telle est la politique bourgeoise de Lutte Ouvrière. Si cette aile gauche du capital se tape aujourd’hui si fort sur la poitrine en criant “vive la lutte !” devant les éléments les plus combatifs de la classe ouvrière, en particulier les jeunes générations, c’est pour mieux saper la confiance et l’unité de l’ensemble du prolétariat, sur le terrain, en répétant quotidiennement dans les boîtes qu’il ne se passe rien ailleurs, que les “gars” ne sont pas motivés et que finalement, pour rependre LO, “dans ces conditions, il ne reste plus qu’à s’en remettre aux syndicats pour organiser quelques débrayages et aller voter pour se faire entendre”.
Mais la réalité, c’est bien au contraire que la classe ouvrière est en train de retrouver le chemin de sa lutte, que partout sur la planète elle développe sa solidarité et sa combativité, n’en déplaise à LO.
Pawel
1 [17] Lire l’article "Grève dans la métallurgie à Vigo en Espagne [6]"
2 [18] Voir RI 368, mai 2006 [19].
Le dernier film documentaire du réalisateur autrichien Hubert Sauper, Le cauchemar de Darwin, sorti dans les salles de cinéma en 2005, est rapidement devenu un succès international. L’avalanche de prix qu’il a reçue de Chicago à Venise (en passant par Copenhague, Montréal ou Fribourg), ainsi que ses multiples diffusions cette année sur la chaîne Arte, en témoignent.
La raison d’un tel succès est simple à comprendre : pas une seule âme, à moins d’être sèche comme la pierre, ne peut rester insensible devant ce film choc qui nous livre les images brutes et effroyables de Mwanza, petite ville de Tanzanie accrochée sur les bords du lac Victoria. Là-bas, les usines consacrées à l’exploitation industrielle d’un poisson hors normes, la perche du Nil, côtoient une population réduite aux dernières extrémités de la misère. Les ravages causés par la faim et le sida sont tels qu’ils déversent sans tarir des flots d’orphelins dans les rues de la ville ; des mômes qui se bagarrent entre eux jusqu’au sang pour une miraculeuse poignée de riz et se shootent avec la colle récupérée sur des emballages en plastique afin de chasser la peur lorsque tombe la nuit, propice à toutes sortes de violences.
En Afrique, la famine, les épidémies et les guerres semblent s’étendre sans jamais prendre de pause. La mort est certainement la seule à faire ripaille sur ce continent. Cela n’est un secret pour personne… sauf peut-être pour François Garçon, historien du cinéma et l’un des rares critiques à avoir porté une charge virulente, dans la revue Les Temps modernes, contre le documentaire de Sauper. Pour cet hurluberlu, le film est beaucoup trop "catastrophiste" : "Exit les contrastes sociaux intra-africains… les immeubles modernes, tous signes de modernité industrielle qui contrarient la thèse ultra-misérabiliste d’une Afrique scotchée au Malheur, cliché conforme il est vrai à l’attente du spectateur occidental.". Il en est par contre qui, portés par un irrésistible élan négationniste, n’ont pas oublié d’être conformes au cliché de l’imbécile heureux !
Dans le fond, Le cauchemar de Darwin ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà. Mais, ce que l’on sait il nous le montre et cela suffit pour nous glacer le sang. Le cauchemar est bien réel et nous vivons dedans. Mwanza est le reflet de l’Afrique, et l’Afrique en cendres et décharnée, c’est le sort que le capitalisme en faillite réserve à toute l’humanité.
Dans une interview, H. Sauper disait :"Je viens de soulever le couvercle de notre poubelle collective et quand on voit ça, ça pue à mort." Mais, contrairement à ce qu’il semble croire, il n’a pas soulevé le couvercle d’une poubelle planquée dans un débarras, un recoin honteux du capitalisme ; ce qu’il a soulevé, c’est le couvercle posé sur le visage atroce du monde dans lequel nous vivons et l’avenir qu’il prépare. Depuis longtemps, les rives du lac Victoria sont considérées comme étant le berceau de l’humanité ; il est fort probable que sous le règne du capitalisme elles en préfigurent le tombeau.
825 millions de personnes dans le monde sont en état de sous-alimentation et chaque année ce sont 5,6 millions d’enfants qui meurent de dénutrition principalement en Afrique et en Asie du Sud. La main osseuse de la faim frappe impitoyablement et s’abat sur un nombre sans cesse croissant d’êtres humains. En Tanzanie, au Niger et ailleurs, les hommes en sont réduits à creuser les termitières dans le maigre espoir de recueillir les quelques grains de blé ou de mil stockés par les insectes. A part çà… "tout va bien !", si l’on en croit notre critique burlesque F. Garçon mais aussi la délégation de la commission européenne que l’on voit dans le film en visite à Dar-es-Salaam. Cette ribambelle d’ambassadeurs et de représentants d’Etats-membres, en admiration devant les infrastructures industrielles pour l’exploitation de la perche, nous lance, avec un splendide cynisme, un …"c’est vraiment génial !".
Monsieur Garçon disait vouloir du contraste, et pourtant en voilà un qu’il a feint de ne pas voir. Dans Le cauchemar de Darwin, Sauper braque sa caméra sur une usine de découpe et de conditionnement de la perche. Selon le patron de l’usine, Mwanza produit "au minimum" 500 tonnes de poissons par jour. Les avions cargo Iliouchine, affrétés par une compagnie russe, embarquent jusqu’à 55 tonnes de filets de perche vers les marchés européens. Chargés jusqu’à la gueule, ces géants des airs sont parfois même incapables de décoller et s’abîment dans le lac ou se brisent à proximité des habitations. Malgré cette production massive de nourriture, la population de Mwanza et celle de l’arrière-pays crève inexorablement de faim. Les plus "chanceux" d’entre eux pourront toutefois se payer le "luxe" de s’offrir les carcasses de poisson putréfiées qui, une fois passées à la friture, seront consommées. Comme disent Messieurs les ambassadeurs… "c’est vraiment génial !"
François Garçon ne voit toujours pas le problème et pourtant, un enfant de 7 ans saurait voir la terrible contradiction. Dans une interview accordée au site comme au cinéma.com, Sauper dit : "Encore une chose bizarre, dans une région où les gens meurent de faim, où les enfants ont le ventre gonflé par le manque de protéines. J’ai alors posé cette question naïve qui est devenue la base du film : comment se fait-il que cette nourriture s’envole d’un endroit où les gens ne mangent pas ? La réponse était très simple, la bonne nourriture va là où on est capable de payer…".
Quand Sauper fait remarquer au propriétaire de l’usine, d'où sortent des tonnes de filet de poissons chaque jour, qu’il y a une famine en Tanzanie, ce dernier lui répond sans se démonter : "la pluie… il y en a eu peu" et "le riz a besoin de beaucoup d’eau". C’est mot pour mot le discours officiel que nous tient la classe dominante. "Il y a une famine ?...et bien ce doit être la faute à pas de chance", "le sort qui s'acharne", en un mot "la fatalité". Ici, les experts bourgeois nous expliquent "savamment" qu’ "une pluviométrie insuffisante entraîne la sécheresse des sols et au final de mauvaises récoltes, c’est logique"…la belle affaire !
"D’autres fois ce sont les invasions de criquets pèlerins qui dévorent tout sur leur passage". Il fallait oser le dire… la famine à cause des criquets ! ? ! Il ne manque plus que Charlton Heston, les grenouilles et la grêle pour que la bourgeoisie nous rejoue Moïse et les 10 plaies d’Egypte.
Que les récoltes soient abondantes ou non n’a jamais été le problème. Dans l'économie capitaliste, les capacités de production ne sont absolument pas en cause. Le problème c’est qui va pouvoir acheter les marchandises produites, le fruit des récoltes et les tonnes de poissons de Mwanza ?
Le capitalisme a développé à un tel niveau la production industrielle qu’il pose la possibilité technique de produire suffisamment pour répondre aux besoins les plus vitaux de l’humanité. Il a développé ce potentiel mais sa limite historique réside dans le fait qu’il est tout bonnement incapable de le réaliser concrètement, de nourrir toute l’humanité, parce que ce système n’écoule ses marchandises que si on les lui achète, que s’il existe un marché solvable sur lequel il sera possible de réaliser des profits. Et nous sommes là au cœur de ce qui cause la faillite du capitalisme, la crise (inédite dans l’Histoire) de surproduction. "Parce que la société a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d’industrie" 1 [22] par rapport à ce que peuvent contenir ses règles de fonctionnement économique, elle menace de faire sombrer le monde jusqu’au dernier degré de la barbarie et de la misère.
Non seulement le capitalisme en crise emporte tous les jours et par grandes brassées des vies humaines mais en plus il transforme, à petit feu, la planète en une immense plaine brûlée et stérile.
Là aussi, Le cauchemar de Darwin nous donne un exemple édifiant. L’introduction (dans les années 1950) et l’exploitation industrielle de la Perche du Nil se sont faites sans aucune considération quant à la pérennisation des ressources du lac Victoria. Les perches, de nature carnivore, après avoir mangé toutes les autres espèces se mangent désormais entre elles ! Selon les scientifiques de l’International Center for Research in Agroforestry de Nairobi, le lac Victoria, le plus grand lac tropical du monde, deviendra un point d’eau mort avant les années 2050. Mais qu’importe, le capital ne voit que son profit immédiat et pour le reste il se dit "après moi, ça peut bien être le déluge". C’est de cette façon que raisonne le bras droit du patron de l’usine de Mwanza lorsqu’il fait la remarque qu’ "une fois introduite, la perche a dévoré les autres poissons mais économiquement c’est bon". Voilà tout ce qui compte aux yeux du capitalisme…qu’économiquement cela soit bon. "Le capital abhorre l’absence de profits ou un profit minimum comme la nature a horreur du vide. Que le profit soit convenable, et le capital devient courageux : 10% d’assurés, et on peut l’employer partout, 20% il s’échauffe ! 50% il est d’une témérité folle ; à 100% il foule aux pieds toutes les lois humaines ; 300% et il n’est pas de crime qu’il n’ose commettre, même au risque de la potence." (P.J Dunning, cité par Marx dans le Livre I du Capital).
Les conséquences d’une telle logique sont évidemment catastrophiques pour l’environnement. Le capitalisme fait si peu de cas de l’avenir de l’espèce humaine et de son milieu de vie naturel que cette potence qu’il dresse servira avant tout à pendre l’humanité tout entière.
"Montrer sans rien dire", c’est la recette cinématographique des films de Sauper. C’est aussi le meilleur moyen pour ne pas dire d’âneries. Mais tôt ou tard, il faut bien répondre aux interviews et faire des commentaires, et là les choses se gâtent… "tout les débats autour de ce film c’est sur la mondialisation" ; voilà poindre timidement le fond de la critique d’Hubert Sauper. Finalement, son cauchemar, ce n’est pas l’ordre capitaliste mais sa "dérive libérale"… la tarte à la crème préférée de la bourgeoisie pour nous faire gober qu'avec une réforme de-ci de-là, le capitalisme pourrait être un monde meilleur, loin de ce cauchemar quotidien. L’ennui, c’est que ce ne sont pas les bons sentiments qui régissent ce système mais l’intraitable loi du profit et de son accumulation. Changer cette loi implique inévitablement de changer de système.
Mais Sauper est si attaché à l’ordre capitaliste (comme tout altermondialiste qui se respecte) que d’après lui : "L’éternelle question qui consiste à se demander quelle structure sociale et politique est la meilleure pour le monde semble avoir trouvé une réponse. Le capitalisme a gagné. Les sociétés futures seront régies par un ‘système consumériste’ perçu comme ‘civilisé’ et ‘bon’. Dans le sens darwinien le ‘bon système’ a gagné. Il a gagné en convainquant ses ennemis ou en les éliminant."
Cela valait vraiment la peine de faire un film dénonçant les contradictions les plus criantes d’un mode de production qui, contrairement à la perche, n’a ni queue ni tête, pour conclure que ce même système est le nec plus ultra, le produit fini de l’évolution des sociétés humaines.
Le capitalisme serait donc le compétiteur le mieux adapté… oui, mais à quoi ? Parce que s’il existe un système devenu complètement inadapté à l’existence des êtres humains c’est bien le capitalisme.
Dans la longue évolution des sociétés humaines, le mode de production capitaliste a représenté une étape cruciale et décisive car, en décuplant les forces productives par son industrie, il a créé les conditions matérielles pour l’apparition d’une nouvelle société. Une société capable de dépasser toutes les contradictions mortelles du capitalisme parce qu’elle ne produira pas pour réaliser des profits mais pour répondre aux besoins des hommes.
Le capitalisme n’a pas gagné. Loin de là. Chaque jour, il nous montre ses limites et la nécessité de le renverser.
Au beau milieu de ce cauchemar, il y a bel et bien une lueur d’espoir, celle que porte la classe ouvrière au travers de ses luttes : la promesse de cette nouvelle société que sera le communisme.
Azel (21 juin)
1 [23] Manifeste Communiste.
Dubaï, l’un des sept Etats des Emirats Arabes Unis, est un vaste chantier immobilier, alternant constructions d’immeubles de bureau et manufacturiers.
Entre autres "merveilles" du gigantisme architectural capitaliste, c’est là que se construit un des fleurons du capitalisme débridé, la plus grande tour du monde, la Durj Dubaï Tower. Les ouvriers, en leur totalité immigrés et en majorité d’Inde et du Pakistan, qui travaillent dans ce gigantesque chantier permanent y subissent des conditions d’exploitation et de vie effroyables. Sous-payés (70 euros les "bons" mois) quand ils le sont, maltraités par les employeurs, sans jours de congés ni vacances, les accidents de travail y sont particulièrement nombreux et le taux de suicide impressionnant. Malgré la répression, le flicage et l’interdiction de faire grève, ils ont cependant commencé depuis plusieurs mois à se révolter. Ainsi, des grèves sporadiques éclatent régulièrement depuis l’automne dernier. Au mois de mai, cette poussée de la combativité ouvrière a conduit plusieurs milliers d’entre eux à manifester leur colère dans une véritable révolte : les 2500 ouvriers travaillant dans la tour ont affronté pendant deux jours les patrons et la police, ravageant les bureaux et les voitures de chantiers. Le lendemain, dans un mouvement spontané, des milliers d’ouvriers de l’aéroport international de Dubaï, se mettaient en grève en solidarité avec les travailleurs immigrés victimes de la répression.
Cette vague de luttes ouvrières a touché également d’autres pays tel le Bangladesh 1 [27] où 1,8 million d’ouvriers du textile et de la confection, dont 90% de femmes, concentrés dans des zones industrielles et autour de la capitale, Dhaka, se sont engagés dans une série de grèves sauvages massives et simultanées. Du 20 mai au 6 juin, ce sont différents centres industriels qui ont été touchés de façon répétée par cette vague de grèves, qui a pris un caractère de violence permanent du fait de la répression d’une férocité inouïe à laquelle s’est livré le pouvoir bengali. Trois ouvriers ont été tués, trois mille autres blessés par balles, et plusieurs milliers emprisonnés. Des dizaines de milliers d’ouvriers s’étaient mobilisés dans un mouvement de grève qui s’est répandu comme une traînée de poudre pour protester contre les salaires et les conditions de travail : 15 euros mensuels, pas de congés, pas d’hygiène, viols des ouvrières, etc. Partis d’une usine de Sripur, dans la banlieue de la capitale, des émeutes se sont propagées vers Dhaka, entraînant la fermeture de centaines de manufactures. Pour mieux les matraquer, les forces de répression policières, militaires et paramilitaires, ont tenté d’enfermer les ouvriers dans certaines usines (où l’eau potable avait été coupée !). La violence des affrontements entre les ouvriers et les forces de l’ordre a été telle que 14 usines ont été brûlées et plusieurs centaines saccagées.
En refusant de répondre aux revendications des grévistes, le gouvernement, bien qu’il ait essayé de jouer la carte syndicale, n’a pu faire rentrer les ouvriers au travail qu’en déclenchant une répression encore plus sauvage.
Ce qui a caractérisé ce mouvement, comme celui de Dubaï, c’est l’extrême combativité des ouvriers, leur volonté de s’unir le plus largement et le plus massivement possible, contre la répression et l’exploitation, et leur détermination à refuser l’esclavage barbare du capitalisme.
Ces combats, malgré leurs limites dues au manque d’expérience du prolétariat dans les pays périphériques, en annoncent d’autres car, face à l’aggravation de la crise économique mondiale la bourgeoisie ne peut que continuer à sur-exploiter les ouvriers de ces pays et à les enfoncer dans une misère toujours plus grande. C’est justement face cette perspective de développement des luttes ouvrières dans cette région du monde comme dans tous les pays que, au Bangladesh, le gouvernement et les patrons, qui interdisent ordinairement la présence des syndicats quels qu’ils soient dans les entreprises du textile, les ont appelé à la rescousse pour "organiser", c’est-à-dire étouffer, le mouvement.. C’est la même politique que la classe dominante a mise en place à Dubaï, où même un gouvernement aussi réactionnaire que celui des Emirats Arabes Unis a dû proposer un projet de loi pour autoriser la formation de syndicats dans les entreprises afin qu’ils puissent servir de contre-feu dans les inévitables combats de classe à venir.
La répression féroce et tragique des luttes ouvrières dans les pays de la périphérie du capitalisme constituent un appel à la responsabilité des bataillons les plus concentrés et expérimentés du prolétariat mondial, ceux des pays centraux d’Europe occidentale. Les prolétaires de ces pays doivent partout manifester leur solidarité envers leurs frères de classe sauvagement matraqués par la soldatesque de l’Etat capitaliste. Et cette solidarité, ils ne pourront la faire vivre qu’en développant massivement leurs luttes contre les attaques incessantes qu’ils subissent aussi de la part de "leur propre" bourgeoisie nationale et son Etat "démocratique". Ils ne doivent jamais oublier que cet Etat "démocratique" occidental et "civilisé" n’a pas hésité à envoyer ses propres flics, ses CRS et ses gardes mobiles, contre les enfants de la classe ouvrière qui se sont mobilisées en France, à la même période, contre le chômage et la précarité. Le développement massif de cette solidarité de classe dans les pays les plus industrialisés est la seule force qui puisse ouvrir une perspective d’avenir pour toute la classe ouvrière mondiale. Et cette perspective en vue du renversement du capitalisme ne pourra s’affirmer clairement que lorsque la classe ouvrière des pays "démocratiques" sera capable de briser les remparts du capital que sont les appareils syndicaux et leurs appendices gauchistes.
Mulan (30 juin)
1 [28] Voir l’article de notre section en Inde [29], Communist Internationalist (en anglais).
Nous publions ci-dessous, suivi de notre réponse, un extrait d’un courrier de lecteur qui exprime certains désaccords avec notre analyse du mouvement des étudiants contre le CPE.
"Tant que les secteurs centraux de la classe ouvrière ne bougeront pas massivement leur cul en tant que tels, dans les assemblées, dans des meetings, des manifs de rue, sur des mots d’ordre unitaires, politiques donc et internationalistes, il n’y aura de perspective pour personne, pour aucune partie du prolétariat ou assimilée, aussi bien jeune que vieille, et encore moins de la part et pour celles qui sont à la périphérie, c’est-à-dire soit en partie noyées, influencées dans et par la petite bourgeoisie dans les lycées et les universités, soit en partie gangrenées et influencées par les éléments du lumpen prolétariat dans les cités (…) ‘la jeunesse scolarisée et cultivée’, qui à mon sens, a été très bien et très intelligemment encadrée par les syndicats, s’est montrée combative et solidaire, mais aussi plutôt massivement légaliste et démocratique dans ses actes et ses propos (…) ‘cette jeunesse exemplaire’ a été opposée à la ‘jeunesse violente et inculte’ qui a manifesté il y a peu - et manifestera encore – sa révolte, son manque de foi dans le passé, le présent et l’avenir, en brûlant des écoles, des gymnases, des entrepôts, des entreprises (…). Ces deux ‘mobilisations’ étant à mes yeux :
Bien que ce lecteur affirme à la fin de sa lettre que le mouvement des étudiants contre le CPE était anti-capitaliste et de nature ouvrière, il tend néanmoins à en minimiser l’importance du point de vue de la contribution remarquable qu’il a apportée à la dynamique de la lutte de classe.
Notre lecteur affirme à juste raison que la lutte des étudiants et lycéens contre le CPE, tout comme les émeutes des jeunes des banlieues en novembre dernier, étaient "symptomatiques, annonciatrices de grands mouvements". Elles sont avant tout symptomatiques de l’absence de perspective que porte en lui le capitalisme. Elles sont le produit de l’impasse historique d’un système qui n’a aucun avenir à offrir aux enfants de la classe ouvrière. En ce sens, ces "deux mobilisations" étaient tout à fait légitimes. Néanmoins, leur nature de classe ne peut se comprendre à partir d’une démarche sociologique consistant à opposer la jeunesse "scolarisée et cultivée" et la "jeunesse inculte et violente". Le problème ne se situe pas sur le plan du niveau "culturel" des nouvelles générations mais sur le plan des méthodes que ces "deux mobilisations" ont employé pour manifester leur colère contre le "no future" que leur impose le capitalisme. Ainsi, les méthodes utilisées par les jeunes des cités ouvrières consistant à incendier les voitures de leurs voisins, les écoles, les gymnases des quartiers populaires sont une illustration du désespoir dans lequel ils sont plongés, un désespoir qui sape toute prise de conscience d’appartenir à la même classe que ceux qui ont été les principales victimes de leur violence aveugle. Ces émeutes ne pouvaient déboucher sur aucun mouvement de solidarité de la part de la classe ouvrière. Ces explosions de colère n’ont pas été en mesure de créer des lieux de discussion et de réflexion ouverts à toute la classe ouvrière. Au contraire, les méthodes désespérées des jeunes émeutiers ont créé un sentiment de peur et de repli sur soi de la part de la grande majorité des travailleurs. Même si de nombreux ouvriers pouvaient "comprendre" la colère de ces jeunes exclus, à aucun moment, ils ne se sont reconnus dans de telles méthodes parce qu’elles n’appartiennent pas à la lutte de classe. Et c’est bien parce que le mouvement de la jeunesse scolarisée contre le CPE s’est approprié les véritables méthodes de lutte de la classe ouvrière (notamment les assemblées générales et les manifestations de rue) qu’il a pu bénéficier de la sympathie et de la solidarité active d’un nombre croissant de prolétaires. C’est justement parce que le mouvement contre le CPE était basé non pas sur la destruction des quartiers ouvriers mais sur la solidarité entre les générations, entre tous les secteurs de la classe ouvrière contre les attaques de la bourgeoisie qu’il a pu constituer une force sociale capable de faire reculer le gouvernement. En ce sens, si Monsieur Sarkozy a pu affirmer : "je fais une différence entre les étudiants et les émeutiers car ce sont des voyous", ce n’est nullement parce qu’il serait plus sensible au niveau "culturel" de la jeunesse scolarisée (contre laquelle il n’a pas hésité à envoyer ses flics !). C’est uniquement parce qu’il redoutait que les méthodes de lutte utilisées par les étudiants et lycéens ne fassent tache d’huile et ne débouchent sur un gigantesque mouvement de solidarité incontrôlable de toute la classe ouvrière.
En mettant sur le même plan la révolte des jeunes émeutiers et la mobilisation des étudiants et lycéens, notre lecteur tend à sous-estimer la profondeur du mouvement de la jeunesse scolarisée contre le CPE. Son courrier avance plusieurs arguments :
Ces critiques aux limites et faiblesses du mouvement sont pour le moins exagérées et peu conformes à la réalité. Ce que nous avons pu constater, c’est d’abord que les syndicats ont été surpris et débordés par la situation. Ainsi, dès le 7 mars, ce sont les étudiants qui prennent la tête des cortèges dans les manifestations et obligent les syndicats à se mettre à la queue du mouvement. C’est pour cela que les grandes centrales syndicales ont développé toutes sortes de manœuvres pour empêcher les travailleurs de se mobiliser massivement en solidarité avec les étudiants. Ce qu’on a vu également, ce sont des délégations massives d’étudiants qui, face aux tergiversations des syndicats, sont allées elles-mêmes étendre la lutte dans les gares, les bureaux de postes, les entreprises. Et si la bourgeoisie a fini par reculer ce n’est certainement pas grâce aux syndicats (même si ces derniers ont été obligés de radicaliser leurs discours et ont tenté de récupérer le mouvement). C’est justement parce que les syndicats risquaient de perdre le contrôle de la situation, notamment dans les entreprises du secteur privé, que le gouvernement est allé à leur rescousse en retirant le CPE le plus rapidement possible après la grande manifestation du 4 avril.
Ce que révèlent les critiques de notre lecteur aux limites du mouvement, c’est une vision "puriste" de la lutte de classe. Le combat de la classe ouvrière contre la bourgeoisie est un rapport de force permanent. C’est un combat qui se mène sur le long terme contre les institutions de l’Etat démocratique, contre les illusions qui pèsent sur l’ensemble de la classe ouvrière. Parce que les idées dominantes sont celles de la classe dominante, le prolétariat devra, jusqu’à la révolution, mener le combat contre l’idéologie démocratique sous toutes ses formes ("légalistes", réformistes, électoralistes, syndicalistes). Si la classe ouvrière n’a pas encore été capable de renverser le capitalisme, c’est à cause de toutes ses illusions qui pèsent encore sur sa conscience. Et ce n’est qu’à travers la multiplication de ses expériences, dans la lutte elle-même, que la classe ouvrière peut forger ses propres armes en se heurtant à celles de la bourgeoisie (notamment à travers la confrontation répétée aux pièges et aux manoeuvres de sabotage des syndicats). C’est dans et par la lutte que le prolétariat dans son ensemble pourra progressivement prendre confiance en lui-même et briser tout le carcan idéologique qui entrave le développement de ses combats.
On ne peut donc reprocher à la jeunesse scolarisée d’avoir été "massivement légaliste et démocratique". Ce qu’a montré cette première expérience menée par cette nouvelle génération de la classe ouvrière, c’est surtout le rejet massif des lois scélérates de la bourgeoisie telle que la loi sur "l’égalité des chances". Il est évident que ce mouvement a eu ses propres limites et ne pouvait déboucher immédiatement sur l’ouverture d’une période révolutionnaire. Mais il a eu le mérite de dévoiler ouvertement à l’ensemble de la classe ouvrière le vrai visage de l’Etat démocratique avec ses flics armés jusqu’aux dents et ses médias aux ordres. En ce sens, on peut affirmer sans hésitation que le mouvement des étudiants et lycéens a constitué un jalon dans la prise de conscience du prolétariat sur la barbarie de la démocratie capitaliste.
Le scepticisme de notre lecteur s’exprime également à travers l’argument suivant lequel les lycéens et étudiants sont noyés et influencés par la petite bourgeoisie. La première chose que nous devons affirmer, c’est que, avec l’aggravation considérable de la crise économique, il est de plus en plus évident que la perspective du chômage est la principale préoccupation de la jeunesse scolarisée (ce qui n’était pas le cas dans les décennies précédentes où de nombreux étudiants avaient encore l’ illusion de pouvoir trouver un emploi durable à la fin de leurs études). Le mouvement contre le CPE a montré que malgré l’ "influence" de l’idéologie de la petite-bourgeoisie (surtout dans les universités), il a été capable de se situer d’emblée sur un terrain de classe, contre une attaque économique. Ainsi, les étudiants ont montré leur capacité à mettre de côté leurs revendications spécifiques (telle la réforme LMD) au profit de revendications unificatrices dans lesquelles toute la classe ouvrière pouvait se reconnaître. Par ailleurs, on a pu voir dans les manifestations une multitude de banderoles affichant le slogan : " Etudiants, lycéens, chômeurs, travailleurs, précaires, TOUS UNIS contre le CPE !". Et c’est justement ce qui fait la différence entre le mouvement d’aujourd’hui et les mouvements précédents de la jeunesse estudiantine (tel celui contre la loi Devaquet en 1986) marqués par des revendications interclassistes. L’approfondissement de la crise du capitalisme a balayé les illusions sur l’ ""avenir radieux" que nous promettait le capitalisme après l’effondrement des régimes staliniens. C’est pour cela que la grande majorité des étudiants et lycéens, en tant que travailleurs précaires et futurs chômeurs, sont aujourd’hui capables de se reconnaître comme partie intégrante de la classe ouvrière.
En ne voyant que les faiblesses et limites du mouvement, notre lecteur élude la question : pourquoi la bourgeoisie a-t-elle été obligée de reculer ? Il finit par affirmer que ce mouvement contre le CPE ne pouvait pas montrer une perspective puisque les secteurs centraux de la classe ouvrière n’ont pas bougé "massivement leur cul en tant que tels, dans des assemblées, dans des meetings, des manifs de rue…".
Pour notre lecteur, il n’y a aura pas de perspective "tant que le gros des rangs ouvriers ne se bougera pas, ne montrera pas sa force, ne tracera pas une autre voie… quelque part en Europe."
S’il est vrai que lors du mouvement contre le CPE, on n’a pas vu les travailleurs se mobiliser massivement dans les entreprises (du fait du black-out des médias et des manœuvres de sabotage des syndicats), il faut néanmoins reconnaître que de plus en plus de travailleurs se sont "bougé le cul" dans les manifs. C’est justement parce qu’un nombre croissant de travailleurs sont descendus dans la rue en solidarité avec les étudiants que le gouvernement a été obligé de retirer le CPE.
Mais la question la plus fondamentale est celle de la perspective historique qui ne peut se comprendre qu’en examinant la dynamique de la lutte de classe à l’échelle internationale. C’est dans le cadre de la reprise générale des combats de classe (notamment depuis les luttes du printemps 2003) que s’inscrit le mouvement des jeunes générations contre le CPE. Face à l’aggravation du chômage et des licenciements, cette dynamique internationale a été marquée par une tendance croissante vers la recherche de la solidarité entre les différents secteurs de la classe ouvrière et entre les générations. C’est bien ce qu’on a vu dans toutes les luttes qui se sont développées dans les principaux pays industrialisés : à Daimler-Chrysler en Allemagne, à l’aéroport d’Heathrow à Londres, dans les transports de New York, à l’usine Seat de Barcelone, etc. Bien plus que les émeutes des banlieues, tous ces mouvements de la classe ouvrière internationale étaient annonciateurs de grands mouvements tels que celui des étudiants en France qui a constitué une référence pour l’ensemble du prolétariat dans tous les pays. Ainsi, quelques semaines après la fin du mouvement contre le CPE, c’est un des "secteurs centraux" de la classe ouvrière en Europe, celui de la métallurgie en Espagne, qui se mobilisait en reprenant le flambeau de la lutte des étudiants en France. A Vigo, des milliers d’ouvriers sont descendus manifester dans la rue et sont allés chercher la solidarité de toute la classe ouvrière. Ils sont sortis de l’usine pour organiser des assemblées massives dans la rue en invitant toute la population à y participer (voir Internationalisme n° 326 [6]). Et c’est justement parce que la bourgeoisie sait pertinemment que la classe ouvrière mondiale est en train de tracer "une autre voie … quelque part en Europe" (suivant les termes de notre lecteur) qu’elle a fait le black-out total sur la grève des ouvriers métallurgistes de Vigo tout comme elle avait fait le black-out sur les assemblées générales massives des étudiants en France.
La grève des travailleurs de Vigo, leur volonté d’entraîner dans la lutte les autres secteurs de la classe ouvrière à travers la tenue d’assemblées générales ouvertes à tous, est une nouvelle confirmation de la dynamique de la lutte de classe depuis trois ans.
La dynamique de la solidarité au sein de la classe ouvrière a donc ouvert une nouvelle perspective à l’échelle internationale (y compris dans les pays périphériques tels que les Emirats arabes où les ouvriers de l’aéroport de Dubaï se sont mis en grève fin mai en solidarité avec les travailleurs immigrés victimes de la répression de leur mouvement de révolte contre la misère et l’exploitation féroce qu’ils subissent).
Il est vrai que l’ouverture de cette nouvelle perspective n’est pas encore visible pour toute la société en bonne partie du fait du black-out de la bourgeoisie sur les luttes les plus significatives. Et c’est précisément pour cela que le rôle des organisations révolutionnaires consiste aujourd’hui à combattre plus que jamais les mensonges, les falsifications et le silence des médias bourgeois sur la réalité des luttes ouvrières. C’est ce que le CCI, pour sa part, s’est efforcé de faire dans sa presse en rétablissant la vérité sur le mouvement des étudiants en France.
Sofiane
Alors que dans le mouvement du printemps, les jeunes générations commençaient à mettre en question la précarité, circulaient des tracts dénonçant le CPE, "symbole du néo-libéralisme", et affirmant que la "suppression du chômage et de la précarité est possible" (tract d’ATTAC diffusé avant la manifestation du 28 mars). Tandis que ce mouvement a bien souvent été présenté à l’étranger comme une expression de l’arriération du peuple français qui refuserait systématiquement toute adaptation aux nouvelles situations, ATTAC, au contraire, saluait la réaction à la "révolution conservatrice en cours depuis maintenant presque 30 ans" et appelait ses "adhérents et plus largement tous les citoyens à participer massivement aux manifestations". De fait, ATTAC a été très présent dans ce mouvement pour répondre aux questionnements et à l’angoisse des travailleurs devant la dégradation de leurs conditions de vie et l’avenir que nous réserve le capitalisme. "Il n’y a aucune fatalité au chômage et à la précarisation. Dans ce bras de fer contre la tyrannie des marchés, tout est question de mobilisation sociale et de volonté politique". (tract d’ATTAC) Evidemment, ces affirmations ne peuvent que susciter la sympathie et l’intérêt des travailleurs.
En 1999, l’Association pour une Taxation des Transactions Financières pour l’Aide aux Citoyens (ATTAC) est créée par un collège comprenant, entre autres, Le Monde Diplomatique, Alternatives économiques, la FSU, la Confédération paysanne, Artisans du Monde, etc. Cette association est présente dans une cinquantaine de pays et va se faire rapidement connaître, en particulier en transformant de grandes Conférences Internationales en tribune pour la défense des pays défavorisés, comme à Seattle en 1999, et en participant à de nombreux forums sociaux qui se sont tenus dans divers pays (Porto Alegre, Gênes, Paris,etc.).
ATTAC veut se présenter comme une force "alternative", différente des partis politiques traditionnels, avec des commissions qui regroupent des scientifiques, des économistes, autour du slogan "un autre monde est possible". Dans un monde ravagé par la crise économique, ATTAC entend présenter, avec le maximum de sérieux, des solutions pour "changer le monde", le rendre plus "juste". De ce fait, ATTAC a attiré beaucoup de gens sincères qui ne veulent plus faire confiance aux partis de gauche. Selon le journal Libération, ATTAC a "tout pour être une des forces politiques qui devaient façonner le monde de l’après-guerre froide" et, en tant que telle, a été très médiatisée. Il est difficile aujourd’hui de se préoccuper des questions sociales sans être confronté immédiatement aux idées "altermondialistes" dont ATTAC constitue le fleuron.
En France, ATTAC s’est plus récemment illustrée en faisant une campagne active pour le "non" au referendum sur la Constitution Européenne et, tout dernièrement, en étant très présente aussi bien dans les Assemblées Générales que dans les manifestations du mouvement des étudiants contre le CPE.
Voyons donc ce que nous propose ATTAC dans sont tract "Le CPE est un symbole du néolibéralisme". ATTAC nous explique que nous assistons actuellement non pas à une crise du système capitaliste, mais à "une révolution conservatrice" qui serait la cause du chômage et de la précarité. Ce serait, comme le disait ATTAC au moment du referendum, "les orientations politiques ultra-libérales (qui sont) responsables de la dégradation sociale, de la casse des statuts". Ainsi, selon ATTAC, le capitalisme se porte bien ; ce qu’il faut combattre c’est cet "ultralibéralisme" qui pousserait à déréglementer les législations sociales et à abandonner les "acquis ouvriers" alors qu’il "existe des marges de manœuvre importantes pour créer de l’emploi". Autrement dit, il existe d’autres options pour gérer le capitalisme, pour empêcher ce type de dérive et revenir aux jours glorieux d’il y a quelques 30 ans. Il faut donc lutter non pas contre le capitalisme mais contre ce néolibéralisme en proposant des réformes sociales pour "améliorer" un système tout à fait viable.
Dans le tract cité, nous trouvons en condensé une série de mesures préconisées par ATTAC et qui permettraient de combattre efficacement la "fatalité du chômage" :
- la création d’emplois pour répondre aux besoins individuels et collectifs de la population ;
- la réduction du temps de travail, financée par la redistribution des gains de productivité aux salariés ;
- une mise en œuvre de la taxe Tobin pour créer des millions d’emplois à l’échelle européenne.
Que valent ces trois propositions, ces fameuses nouveautés ?
D’abord, on pourrait se demander pourquoi les capitalistes n’avaient pas pensé avant à créer des emplois "pour répondre aux besoins de la population". Mais ATTAC y apporte elle-même sa réponse : alors que "d’immenses besoins existent dans la société, (que) des millions d’emplois peuvent donc être créés pour y répondre (…) les entreprises privées n’embauchent pas en fonction de la nature du contrat de travail mais en fonction des commandes qu’elles ont ou de leurs perspectives". C’est donc bien "la tyrannie des marchés" qu’ATTAC se propose de limiter avec des "politiques budgétaires qui tournent radicalement le dos au carcan néolibéral imposé par l’Europe des Banquiers". En effet, selon ATTAC, "la demande croissante de services collectifs peut être un formidable réservoir d’emplois". Il est surprenant qu’ATTAC ait eu besoin de s’entourer de "penseurs" et d’universitaires pour découvrir qu’avec les politiques "néolibérales", la principale motivation des capitalistes serait de faire du profit… ce qu’ils ont toujours fait depuis que le capitalisme existe ! Le capital a toujours payé sa main d’œuvre le moins cher possible, y compris la partie du salaire gérée en général par l’Etat et qui concerne les aspects de la vie sociale comme l’éducation et la santé. Et aujourd’hui, alors que le monde s’enfonce dans une crise toujours plus profonde, chaque capital national essaie de limiter le nombre de bras dont il a besoin et de les payer encore moins pour résister à la concurrence sur le marché mondial. En appelant à lutter contre les "sirènes néo-libérales", ATTAC passe sous silence la réalité de la société capitaliste, basée sur l’exploitation de la force de travail et la recherche du profit ; c’est la crise de ce système, et non pas de "mauvais" capitalistes envoûtés par les "sirènes néo-libérales", qui révèle de plus en plus l’horreur de l’esclavage salarié.
Quant à "la réduction du temps de travail", c’est une politique de " gauche " que les ouvriers ont expérimentée dans leur chair ! Les 35 heures ont surtout représenté un moyen d’accroître l’exploitation, avec la flexibilité du temps de travail, l’accroissement des cadences et le blocage des salaires.
Enfin, pour ce qui est de la taxe Tobin, elle représente la mystification de prédilection d’ATTAC pour nous faire avaler que dans ce monde dominé par la bourgeoisie, prendre dans la poche des riches pour redonner aux pauvres…"c’est possible !"
Derrière tout ce discours mystificateur, ATTAC veut nous faire croire qu’il existerait un "bon" et un "mauvais" capitalisme, un bon capitalisme qui, tout en exploitant la classe ouvrière, serait "plus humain", plus soucieux d’améliorer la vie des hommes et leur environnement. Sous ses airs sérieux, loin de la "politique politicienne", ATTAC nous ressert ainsi tout le discours de l’aile gauche du capital qui ne se propose absolument pas de changer la société, mais de faire accepter à la classe ouvrière des mesures qui vont dans le sens de la défense du capitalisme et de son Etat.
ATTAC réclame une répartition plus "équitable" des richesses, comme la gauche dans les années 1970, sous la houlette de l’Etat. "le chômage est une arme aux mains des entreprises multinationales pour dégrader la condition salariale… afin de gonfler les profits". Si l’Etat, dans chaque pays, réduit drastiquement les services sociaux, ce n’est pas, comme veulent le faire croire les partis de gauche et ATTAC parce qu’il est sous la coupe des "multinationales" mais parce que la crise de surproduction ne lui permet plus de garantir des minimums sociaux pour obtenir une certaine paix sociale.
La réalité c’est que l’Etat en personne est le fer de lance de l’attaque contre les conditions de vie des ouvriers lorsqu’il fait des coupes dans les budgets sociaux, supprime des emplois, en particulier dans les secteurs de l’enseignement et de la santé ! L’Etat montre d’ailleurs de plus en plus ce qu’il est réellement : un instrument de préservation de l’ordre social existant et de défense des intérêts de la classe exploiteuse.
ATTAC, en reprenant les thèmes qui avaient fait les beaux jours de la gauche du capital, vole donc au secours de la bourgeoisie. Quand le questionnement dans la classe ouvrière porte de plus en plus sur la réalité de la situation mondiale, ce n’est pas un hasard si ATTAC s’active pour offrir des réponses aux travailleurs en lutte contre cette société, et en particulier, aux jeunes générations. Tout cet éventail de "solutions" aux prétendus "dysfonctionnements" du système n’est là que pour cacher la seule perspective capable de mettre fin à la barbarie et à la misère : le renversement du capitalisme.
C’est justement parce que dans le mouvement contre le CPE, les jeunes générations ont commencé à comprendre que le chômage et la précarité généralisée sont une illustration de l’impasse du capitalisme, du "no future" que leur promet ce système, qu’ATTAC a cherché une fois encore à obscurcir la conscience de la classe ouvrière.
Sandrine
Le samedi 21 mai, le CCI a tenu une réunion publique à Paris sur le thème « MOUVEMENT CONTRE LE CPE, une riche expérience pour les luttes futures». Plusieurs dizaines de personnes, salariés, retraités, étudiants de différentes universités parisiennes étaient présents et ont pu participer activement au débat.
L’exposé introductif s’est donné pour objectif de :
- rappeler l’analyse développée dans notre presse sur la signification historique du mouvement des étudiants contre le CPE ;
- souligner ce qui a fait la force de ce mouvement : sa prise en charge par les étudiants eux-mêmes à travers les assemblées générales massives et souveraines, son extension en direction des travailleurs salariés qui a contraint le gouvernement à reculer ;
- tirer les principaux enseignements de cette formidable expérience que viennent de vivre les nouvelles générations de la classe ouvrière ;
- tirer un bilan afin de tracer des perspectives pour les luttes futures.
Le débat qui a suivi la présentation fut très riche et animé. Les étudiants présents dans la salle ont pu non seulement poser des questions mais également apporter des éléments d’information sur la fin du mouvement et les moyens de poursuivre la réflexion au sein des universités. Un étudiant venu pour la première fois à notre réunion publique a exprimé son enthousiasme face à l’intérêt et au soutien que le CCI a apporté au mouvement. Le débat s’est développé principalement autour des questions suivantes :
- Pourquoi le CCI considère-t-il que le mouvement contre le CPE est-il plus mûr que celui de mai 68 alors que les travailleurs ne se sont pas mobilisés massivement comme c’était le cas en 68 où on a vu 9 millions d’ouvriers en grève ?
- Pourquoi n’a-t-on pas vu les chômeurs s’organiser et se mobiliser dans les manifestations ?
- Le CPE était-il une attaque dont la bourgeoisie pouvait se passer ? N’était-ce pas un « test » politique visant à permettre à la bourgeoisie de faire passer par la suite une attaque sur le contrat unique ?
- Quelle est la fonction de l’idéologie altermondialiste véhiculée aujourd’hui par ATTAC ?
- Qu’est-ce qui différencie le CCI des groupes trotskistes, comme LO ou la LCR, qui eux aussi se disent « révolutionnaires » ?
La discussion fut très dynamique car de nombreuses réponses ont été apportées non seulement par le CCI mais également par les participants qui se sont répondus mutuellement avec un état d’esprit très fraternel et dans un souci de convaincre et de clarifier les désaccords. La présence d’étudiants de plusieurs universités qui ont pris la parole pour apporter leurs témoignages et leur point de vue dans le débat a rendu ce dernier très vivant et en prise avec la situation concrète. Mais ce qui a surtout constitué la qualité de cette réunion, c’est le fait que, dans la salle, des éléments de toutes les générations, et de plusieurs pays d’Europe, se sont retrouvés ensemble pour mener le débat. Les participants ont été très émus par la présence de deux sympathisantes du CCI venues d’Allemagne pour apporter leur soutien et leur salut au mouvement des étudiants en France, ce qui a conféré à la discussion une dimension internationale. L’une d’entre elles a commencé son intervention en disant : « En Allemagne, nous ne savions absolument rien de ce qui se passait en réalité en France car la presse et les médias ont fait un black out total. Ils n’ont montré que les affrontements avec les CRS et ont fait croire que le mouvement des étudiants était des émeutes. Lorsque j’ai appris la vérité en lisant les tracts du CCI, j’ai cru que c’était un conte de fées ! » Ces deux sympathisantes du CCI en Allemagne se sont directement adressées aux étudiants présents dans la salle en affirmant : « Votre mouvement, par votre courage, votre sens profond de la solidarité montre l’exemple pour toute la classe ouvrière. La dynamique de vos assemblées générales était une préfiguration des futurs conseils ouvriers. On peut avoir confiance dans les nouvelles générations. C’est votre expérience qui montre partout comment il faut lutter ; votre lutte montre le chemin de l’avenir ».
Suite à ces interventions, des camarades de Belgique se sont inscrits également dans la discussion pour apporter des témoignages du black out des médias et des attaques similaires contre la classe ouvrière de ce pays.
Un étudiant a affirmé à la fin du débat avoir été très heureux d’avoir pu participer à cette réunion car elle lui a permis de comprendre la dimension et les enjeux politiques du mouvement contre le CPE. Un autre étudiant (venu également pour la première fois) a pris la parole à plusieurs reprises pour animer le débat, apporter ses critiques et répondre aux arguments tout en écoutant avec beaucoup d’intérêt notre propre argumentation et celle des autres intervenants. D’autres ont pris la parole également pour mettre en avant que la volonté de poursuivre la réflexion existe dans leur faculté où les étudiants qui ont participé activement au mouvement veulent rester soudés et maintenir des liens avec leurs camarades d’autres universités.
Au cours de la discussion, plusieurs interventions ont exprimé un certain scepticisme sur l’analyse du CCI, suivant laquelle le mouvement contre le CPE était plus mûr que celui de mai 68. En particulier un étudiant a souligné que dans les entreprises les travailleurs ne se sont pas mobilisés massivement comme c’était le cas en mai 68 et que la force de la classe ouvrière réside dans sa capacité à bloquer la production et à paralyser l’économie pour faire pression sur la bourgeoisie.
La discussion a permis de clarifier cette question en soulignant que, contrairement à la situation de la fin des années 1960, les conditions objectives de faillite de l’économie mondiale ont créé les conditions pour une maturation de la conscience au sein de la classe ouvrière. C’est justement cette maturation qu’a exprimé ce premier combat des jeunes générations contre le chômage et la précarité. D’autre part, il a été souligné également que la raison majeure du recul du gouvernement réside dans le fait que de plus en plus de travailleurs salariés, notamment du secteur privé, se sont mobilisés dans les manifestations. Si la bourgeoisie a fini par retirer le CPE, sous la pression du patronat, après la grande manifestation du 4 avril, c’est justement par crainte que ne surgissent des grèves spontanées échappant au contrôle des syndicats dans le secteur privé. Le fait qu’un nombre croissant de travailleurs aient participé aux manifestations et aient boycotté les cortèges syndicaux a constitué un avertissement pour la classe dominante. Ce n’est donc pas le « blocage » des facs qui a obligé la bourgeoisie à reculer, mais bien le fait que certains secteurs de la classe ouvrière parmi les plus directement concernés par les licenciements et la précarité risquaient de partir en lutte spontanément, en dehors des consignes syndicales.
Le débat a permis par ailleurs de rappeler que ce qui a constitué la principale caractéristique du mouvement des étudiants contre le CPE, ce n’est pas la violence comme c’était le cas en mai 68, mais la recherche de la solidarité, le surgissement d’assemblées générales massives au sein desquelles les étudiants ont pu décider collectivement des actions à mener pour étendre la lutte aux travailleurs salariés. C’est aussi le fait que d’emblée les étudiants ont mené leur combat sur un terrain de classe, contre une attaque économique s’inscrivant pleinement dans la lutte de l’ensemble de la classe ouvrière.
Le débat a également mis en évidence que, en mai 68, la bourgeoisie avait été surprise par le resurgissement du prolétariat sur la scène sociale après un demi-siècle de contre-révolution triomphante. C’est justement le manque de préparation de la classe dominante qui avait permis l’explosion d’une grève massive, inédite dans l’histoire, et impliquant 9 millions de travailleurs.
Le scepticisme sur les potentialités de la classe ouvrière s’est exprimé également dans l’intervention d’un participant qui a mis en avant que certains ouvriers de son secteur rêvent de devenir des patrons. Plusieurs interventions ont répondu à cet argument et ont rappelé que la classe ouvrière n’est pas une somme d’individus et que, comme le disait Marx, « Peu importe ce que tel ou tel prolétaire pense à tel ou tel moment. Ce qui importe, c’est ce que le prolétariat sera historiquement contraint de faire. » Il a également été rappelé qu’à la veille de la révolution de 1905 en Russie, les ouvriers défilaient derrière le pope Gapone en brandissant des icônes et en implorant le tsar. Et c’est cette même classe ouvrière qui, pourtant, a été capable de faire surgir les organes de la prise du pouvoir en Russie, les Soviets.
Faute de temps et du fait de la densité des questions soulevées, le débat n’a pu approfondir la question des perspectives. Néanmoins, les participants ont manifesté une volonté de poursuivre la discussion. Les camarades qui sont venus pour la première fois ont particulièrement apprécié l’esprit d’ouverture des interventions du CCI et le caractère fraternel de cette réunion publique. Le fait que plusieurs étudiants de différentes universités soient venus à cette réunion publique du CCI est une confirmation du fait que le mouvement contre le CPE exprime bien une volonté de politisation des jeunes générations de la classe ouvrière.
CCI
A l’automne 2005, nous avons pu assister à des scènes aussi abominables qu’écœurantes sur les frontières Sud de l'Europe. Autour des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, au nord du Maroc, des centaines d’émigrants se lancent par vagues successives dans une course désespérée pour escalader les immenses grilles qui gardent la frontière. On se souvient encore des images de ces êtres humains littéralement empalés sur les grilles barbelées, fauchés par les balles de la police autant espagnole que marocaine, ou largués en plein désert comme des chiens galeux [1] [35].
Aujourd’hui, c’est sur les plages "paradisiaques" des îles Canaries, dans l’ Atlantique, que viennent s’échouer les émigrants qui essayent d’entrer en Espagne pour fuir la misère et la barbarie des conflits guerriers dans leur pays d’origine.
Rien que depuis janvier 2006, plus de 10.000 personnes sont arrivées sur les côtes des Canaries dans des embarcations de (bien mauvaise) fortune. Au mois de mai, ils étaient presque 5.000 et il faut en compter au moins autant qui n’arrivent jamais nulle part, perdus et condamnés à mort au beau milieu de l’océan ; des hommes, des femmes et leurs enfants, sans eau, sans vivres, épuisées par les morsures d’un soleil de plomb.
Début juin, une embarcation à la dérive a été retrouvée à la Barbade, dans les Caraïbes, à plus de 5 000 km des côtes africaines, avec 11 cadavres momifiés. Une soixantaine de sénégalais s’étaient embarqués aux Iles du Cap Vert sur un rafiot affrété par une crapule locale. Après les avoir plumés de 1500 euros par personne, ce rapace mafieux les a purement et simplement abandonné à leur triste sort. Sur le bateau à la dérive, un passager a alors lancé un appel au secours avec un téléphone portable mais le seul "secours" reçu a été celui d’un cargo (sans doute de mèche avec le négrier) qui les a repoussé encore plus vers le large !
Sur 2000 km de côtes, entre le sud du Maroc, la Mauritanie et le Sénégal, ils sont des dizaines de milliers qui attendent qu’un "passeur" vienne leur proposer de les amener au paradis d’occident.
L’Union Européenne, à la rescousse d’un gouvernement espagnol "débordé" par l’afflux de migrants, a organisé une Conférence, avec les pays d’Afrique concernés, pour préparer une réunion euro-africaine, en juillet, sur l’immigration. Lors de cette réunion préparatoire, il a été décidé de faire patrouiller les forces armées espagnoles, appuyées par d’autres pays d’Europe, devant les côtes africaines pour interdire tout départ d’embarcation vers les Canaries. Les Etats africains concernés feront désormais de la "sous-traitance" et l’Europe s’engage de son côté à "financer des centres d'accueil en Mauritanie et au Sénégal". Pour dire les choses plus clairement, les Etats africains seront subventionnés par nos belles et généreuses démocraties occidentales pour faire de la "rétention" dans des camps de type concentrationnaire avant de renvoyer, manu militari, les émigrés à leur pays d’origine. Le message européen est on ne peut plus simple : "il faut prendre exemple sur la politique de la bourgeoisie marocaine à la fin de l’année dernière". Le mot d’ordre est faire peur, harceler, arrêter les émigrants, les tuer ou les larguer au large de l’océan s’il le faut mais surtout s’en débarrasser.
Le document préparatoire de cette Conférence euro-africaine était sans équivoque : il faut "des mesures drastiques contre l’immigration clandestine" (Le Monde du 13 juin 2006). Tout le reste n’est que belles paroles. Personne n’est dupe et le journal Le Monde lui même, dans la même édition, le dit : "Les autres mesures risquent d’apparaître comme un catalogue de vœux pieux : amélioration de la coopération économique, développement du commerce, prévention des conflits’".
Au moment où les vagues de l’immigration sont les plus fortes, partout on entend les mêmes discours qui ne servent qu’à masquer de nouvelles lois encore plus répressives que les précédentes. Derrière les propos lénifiants du genre : "Il faut aider les nations d’où arrivent ces vagues pour fixer la population", la bourgeoisie européenne veut nous faire croire qu’elle peut "aider" les pays d’Afrique "en voie de développement" à mettre fin aux massacres et aux famines. Cela fait plus de 40 ans que la propagande bourgeoise nous bassine avec de tels mensonges. Car dans le capitalisme décadent, la plupart des pays du tiers-monde, et notamment ceux du continent africain, s’enfoncent toujours plus dans le sous-développement, dans le chaos sanglant avec son lot de famines et d’épidémies dont on veut nous faire croire qu’ils seraient les conséquences désastreuses de la "sécheresse". Dans les rapports entre Etats il n’y a ni "aide", ni "amitié " ni "solidarité" pour sauver les populations. Ces rapports sont dictés par les intérêts impérialistes de tous les Etats, petits ou grands. Et à chaque fois que la classe dominante affirme vouloir "s’occuper du mal à la racine", c’est pour mieux masquer aux prolétaires que c’est justement son système en pleine décomposition qui est à la racine de ce "mal". Et le seul "remède" qu’elle est capable d’apporter, c’est encore le racket des ouvriers dans les campagnes "humanitaires" de ses ONG et autres associations caritatives qui visent à culpabiliser les prolétaires en faisant appel à leur "bonne conscience" et à leur "générosité". Tous ces mensonges sont colportés aussi bien par la droite que par la gauche, auxquelles viennent prêter main-forte toute une cohorte d’associations tiers-mondistes et altermondialistes.
Tous ces beaux discours ne peuvent masquer la réalité : pour la bourgeoisie des pays développés, l’heure est à la fermeture des frontières, et les immigrés sans papiers ou "choisis" qui, au terme de leur effroyable périple, arrivent enfin en Europe ou aux Etats-Unis [2] [36], vont subir, s’ils trouvent un travail précaire, une surexploitation accrue et vont être utilisés comme main d’œuvre bon marché pour faire pression sur les salaires des travailleurs autochtones.
Comme nous l’écrivions dans notre article "Le prolétariat : une classe d’immigrés [37]" (voir RI n° 206) : "Ce que la classe dominante cherche aujourd'hui à masquer, c'est son incapacité à offrir la moindre perspective à toute la classe ouvrière. L'exclusion des travailleurs immigrés que le capitalisme condamne à crever de faim "ailleurs", c'est déjà le sort que ce système moribond réserve à des millions de prolétaires autochtones livrés définitivement au chômage".
Sandrine
[1] [38] Voir l’article « Ceuta, Mellila : L'hypocrisie criminelle de la bourgeoisie démocratique [39] » RI 362, 11/2005.
[2] [40] Pour la question de l’immigration aux USA lire l’article “Manifestations de sans papiers aux Etats-Unis: Oui à l'unité de la classe ouvrière! Non à l'unité avec les exploiteurs! [41]”.
De retour sur le sol national, l’équipe de France
de football a reçu une ovation enthousiaste de toute la classe politique.
Jacques Chirac, en chef d’Etat, a ainsi rendu un hommage appuyé aux ‘Bleus’ en
déclarant solennellement : "Vous avez fait à tous égards honneur à la
France". La gauche aussi n’a pas tari d’éloges pour ses ‘héros’. Selon
Ségolène Royal "il faut […] dire merci à l’équipe de France".
Pas une seule voix politique n’a manqué à ce grand "hip hip hip
hourrah" chauvin et surtout pas celle du porte-parole de la Ligue
Communiste Révolutionnaire (LCR), Olivier Besancenot : "Ma génération a
vécu au rythme des matchs de cette équipe de France et aujourd’hui je suis
fier"[1] [44].
Lorsque la classe dominante fait "la ola", la Ligue se lève en rythme
tout naturellement.
En point de mire, il y a bien évidemment les élections présidentielles de 2007.
La LCR se doit donc d’être populaire et médiatique. Tous les moyens sont bons
pour attirer à elle la sympathie et récolter des voix. D’ailleurs, le choix de
mettre en vitrine Olivier Besancenot n’est déjà en lui-même que pure démagogie.
Dans les coulisses de l’organisation, ce jeune militant ‘cool et dynamique’ est
qualifié de "bon produit d’appel", c’est tout dire[2] [45].
Mais au-delà de la volonté de plaire pour faire un bon score électoral, cette
prise de position à la gloire de l’équipe de France révèle une fois encore la
nature profondément bourgeoise de la Ligue qui se prétend pourtant
"communiste" et "révolutionnaire".
En effet, de quoi Olivier Besancenot est-il si fier ? De ‘son’ équipe et de ‘sa
‘ patrie. Le meneur de la LCR est flatté dans son orgueil national. C’est pour
lui un vrai plaisir de voir les ouvriers se regrouper derrière les drapeaux
pour entonner des chants patriotiques. "Dans mon quartier de
Barbès/Château-Rouge, il fallait voir les drapeaux portugais, français même
algériens aux fenêtres, les discussions enflammées dans les troquets…".
Effectivement, il fallait voir partout sur la planète les Etats et leurs médias
exciter les sentiments nationalistes. Il fallait voir, aux quatre coins de
l’hexagone, les drapeaux Bleu-Blanc-Rouge fleurir aux balcons et aux fenêtres,
le maillot national devenir une parure de mode dernier cri ou entendre ses
voisins et leurs amis reprendre en cœur la Marseillaise qui appelle à tuer et à
mourir pour la patrie. Et le plus ignoble dans tout ça c’est que notre jeune
coq tricolore de la LCR ose en plus nous refourguer cette camelote pour une
véritable expression de fraternité internationaliste : "Elle a permis de
faire ressortir des moments de fraternité, d’amitié entre les peuples, une
forme d’internationalisme positif, loin de tout chauvinisme". C'est
chercher à faire prendre "au bon peuple", en général, et aux
prolétaires, en particulier, de France et d'ailleurs, des vessies pour des
lanternes ! "L'internationalisme positif", ce serait de saisir toutes
les occasions de déchaîner l'hystérie nationaliste ! Notre jeune apprenti
présidentiable se pose ainsi en digne héritier du parti stalinien qui proclamait
dans les années 1930 "tout ce qui est national est nôtre". Il
est bien dans la lignée de tous ceux qui, depuis plus de 60 ans, du PCF aux
trotskistes (déjà !) ont toujours appelé au nom de "l'internationalisme
prolétarien" les prolétaires à se laisser entraîner hors de leur terrain
de classe et à s'étriper entre eux derrière toutes les causes
impérialistes !
La courte interview dans Le Parisien[3] [46] du
porte-parole de la LCR est une mine d’or. En moins d'une colonne, il y enfile
les mensonges comme des perles. Ainsi, toujours très fier, il affirme
"cette épopée nous a apporté des pauses dans un monde de brutes".
Mais pour la lutte de classe, il n’y a eu justement aucune pause. Au contraire,
en profitant de cette ‘arme de distraction massive’ que fut le Mondial 2006, la
bourgeoisie a pu placer en catimini certaines de ses attaques. En guise de "pause
dans un monde de brutes", le gouvernement Merkel a pu faire passer, contre
les ouvriers d’Allemagne, une réforme du système de santé comportant notamment
une hausse généralisée des cotisations pour la Sécurité sociale[4] [47].
Finalement, ce n’est pas étonnant d’entendre Olivier Besancenot déclarer
"la génération Zidane, ce n’est pas l’opium du peuple", puisqu’en
réalité non seulement le sport est bien une des drogues idéologiques que
distille la bourgeoisie mais la LCR en est un des dealers.
Alain Krivine peut donc être fier de son poulain : Olivier Besancenot est bien
le digne représentant de la Ligue Cocardière Ramasse-tout.
Pawel, le 14 juillet 2006
Links
[1] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[2] https://fr.internationalism.org/ri370/conflits.html#sdfootnote1sym
[3] https://fr.internationalism.org/ri370/conflits.html#sdfootnote1anc
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/56/moyen-orient
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/guerre-irak
[6] https://fr.internationalism.org/isme/326/vigo
[7] https://fr.internationalism.org/ri370/congres.html#sdfootnote1sym
[8] https://fr.internationalism.org/rinte119/ldc.htm
[9] https://fr.internationalism.org/rint125/france-etudiants
[10] https://fr.internationalism.org/ri370/congres.html#sdfootnote2sym
[11] https://fr.internationalism.org/ri370/congres.html#sdfootnote1anc
[12] https://fr.internationalism.org/ri370/congres.html#sdfootnote2anc
[13] https://fr.internationalism.org/en/tag/conscience-et-organisation/courant-communiste-international
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[15] https://fr.internationalism.org/ri370/LO.html#sdfootnote1sym
[16] https://fr.internationalism.org/ri370/LO.html#sdfootnote2sym
[17] https://fr.internationalism.org/ri370/LO.html#sdfootnote1anc
[18] https://fr.internationalism.org/ri370/LO.html#sdfootnote2anc
[19] https://fr.internationalism.org/ri368/LO.htm
[20] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/trotskysme
[21] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/soi-disant-partis-ouvriers
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[25] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/crise-economique
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[29] https://en.internationalism.org/node/1817
[30] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/119/asie
[31] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[32] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/mouvement-etudiant
[33] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/anti-globalisation
[34] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/36/france
[35] https://fr.internationalism.org/ri370/immigration_canaries.htm#_ftn1
[36] https://fr.internationalism.org/ri370/immigration_canaries.htm#_ftn2
[37] https://fr.internationalism.org/en/ri206/immigration.htm
[38] https://fr.internationalism.org/ri370/immigration_canaries.htm#_ftnref1
[39] https://fr.internationalism.org/en/ri362/immigration_ceuta_mellila.htm
[40] https://fr.internationalism.org/ri370/immigration_canaries.htm#_ftnref2
[41] https://fr.internationalism.org/icconline/2006_sans-papiers-usa
[42] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/41/espagne
[43] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/immigration
[44] https://fr.internationalism.org/ri370/lcr_foot.htm#_ftn1
[45] https://fr.internationalism.org/ri370/lcr_foot.htm#_ftn2
[46] https://fr.internationalism.org/ri370/lcr_foot.htm#_ftn3
[47] https://fr.internationalism.org/ri370/lcr_foot.htm#_ftn4
[48] https://fr.internationalism.org/ri370/lcr_foot.htm#_ftnref1
[49] https://fr.internationalism.org/ri370/lcr_foot.htm#_ftnref2
[50] https://fr.internationalism.org/ri370/lcr_foot.htm#_ftnref3
[51] https://fr.internationalism.org/ri370/lcr_foot.htm#_ftnref4
[52] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/france