Bilan nos 34 – 35 – 36 – 37 (1936).
Présentation des textes de "Bilan"
En republiant les textes de "Bilan" (organe de la Fraction italien ne de la Gauche communiste) concernant les événements de 1936-39 en Espagne, nous n'entendons pas faire oeuvre d'historiens soucieux de donner des descriptions détaillées et chronologiques de leur déroulement. Il existe aujourd'hui, à ce sujet, des dizaines de livres d'histoire souvent fort bien documentés, que le lecteur à la recherche d'une documentation pourrait largement mettre à profit. Notre objectif est tout autre. Si l'histoire de l'humanité est toujours l'histoire de la lutte des classes, les luttes d'hier ne se présentent pas au prolétariat comme un "passé" figé, mort, mais comme des moments toujours vivants de sa lutte historique pour la transformation révolutionnaire de la société, de sa lutte toujours présente. Non seulement le contenu, le but, de cette lutte demeurent toujours les mêmes mais encore les configurations politiques fondamentales, les forces politiques en présence, leurs poids et les positions qu'elles occupent et défendent ont à peine varié. La compréhension de ses luttes d'hier constitue pour le prolétariat, seule classe révolutionnaire dans la société capitaliste, un effort nécessaire et incessant de connaissance toujours plus approfondie du contenu et des moyens de la lutte qu'il mène; de saisir et de surmonter ses défaillances et ses erreurs, de connaître et éviter les impasses et les déviations, de forger sa conscience et ses armes pour les batailles futures et sa victoire finale.
Les textes de "Bilan" gardent un intérêt énorme et cela, non seulement parce que les positions défendues par la Gauche italienne étaient la seule réponse juste de classe aux problèmes auxquels se heurtait le prolétariat espagnol il y a 40 ans mais encore parce que les mêmes problèmes restent au centre des luttes actuelles du prolétariat espagnol et international. Il ne s'agit pas de distribuer de satisfecit à un groupe révolutionnaire dans le passé dont par ailleurs nul révolutionnaire ne saurait ignorer son apport mais de saisir de ses positions qui ont largement soutenu l'épreuve du feu de l'expérience et qui doivent nous servir de fil conducteur dans les affrontements présents et futurs de la classe ouvrière.
La force de l'analyse que fait "Bilan" sur la situation en Espagne, réside avant tout, dans le fait qu'il place cette situation particulière dans un contexte mondial et historique. Une erreur devenue commune et qu'on retrouve jusque dans les rangs des Communistes de Gauche, consiste à analyser des situations en partant du pays, isolément, en soi. Une telle démarche qui se veut "marxiste", déterministe, concrète, mène inévitablement aux pires aberrations. Le "développement inégal" du capitalisme dont parlait Marx et ses implications sur, 1a lutte de classe avait toute son importance et jouait pleinement au début du capitalisme et dans sa période ascendante. Le capitalisme naît dans une économie régionalisée de laquelle il se dégage lentement. Dans de telles conditions, 1e poids des particularités régionales ou nationales pèse encore d'une façon prépondérante sur l'évolution tant locale que générale. Mais au fur et à mesure que le capitalisme se développe et crée le marché mondial, les spécificités locales, tout en subsistant perdent en importance et cèdent devant les lois générales du capitalisme en tant que système mondial qui impose sa domination à tous les pays et à chaque pays pris isolément. On peut ainsi donner comme formulation générale : plus le capitalisme s'est développé comme système, plus les pays individuels se trouvent dépendants de l'évolution du système comme un tout et moins jouent les caractères particuliers de chaque pays dans l'analyse de leur développement propre.
C’est dans la période de décadence, quand le système capitaliste comme un tout, entre dans le déclin, suite au développement de ses contradictions devenues insurmontables que se manifeste le plus hautement cette unité mondiale du système. Il est alors aberrant, sous prétextes de la loi du "développement inégal", d'axer l'analyse en partant des particularités propres à chaque pays et du degré de développement capitaliste qu'il aurait atteint. Nombreuses sont ces analyses "marxistes" qui partant de l'état arriéré de l'économie russe pris isolement, arrivent à rejeter jusqu'à la possibilité même d'une révolution socialiste, et à nier en conséquence toute signification prolétarienne à la Révolution d’Octobre 1917. C!est là une démarche typiquement menchevik en dernière analyse elle consiste à appliquer à la crise du capitalisme et à la Révolution prolétarienne le schéma et les normes qui présidaient à la Révolution bourgeoise. C’est à ce schéma, que l'Internationale Communiste de Boukharine-Staline se référait pour justifier sa politique de bloc des classes en Chine, en redécouvrant la Révolution bourgeoise-démocratique, 10 ans après la Révolution d'Octobre. Cette démarche sert de plateforme commune, aussi bien à eaux qui combattaient pour la dévolution Prolétarienne en Allemagne mais niaient sa possibilité en Russie, qu'à ceux qui ont inventé une théorie de "Révolution double" (à la fois bourgeoise et prolétarienne), qu'à ceux qui continuent à voir un mouvement progressiste dans les guerres de "libération nationale" et persistent à voir à l'ordre du jour de l'histoire des Révolutions dérnocratico-bourgeoises pour les pays sous-développês et coloniaux en même temps qu'ils bavardent volontiers sur la Révolution prolétarienne dans les pays industrialisés.
La première difficulté, 1e premier obstacle auquel se heurtait "Bilan" à propos des événements en Espagne, consistait dans la démarche de tous ceux qui mettaient en avant le "cas particulier" de l'Espagne, qui parlaient de "féodalisme et de lutte contre le "féodalisme réactionnaire". L'état arriéré de l'économie Espagnole devenant une chose en soi, servait ainsi de justification à toutes les compromissions et ouvrait la porte à toutes les trahisons. Replaçant l'Espagne dans l'économie mondiale, "Bilan" démontrait la nature capitaliste de ce pays, que ce n'est que dans ce cadre, d'une économie capitaliste mondiale en crise que devait et pouvait être comprise la situation de l'Espagne.
Non moins important était de situer la lutte du Prolétariat espagnol dans le contexte de l'évolution générale mondiale de la lutte du Prolétariat. Dans quel cours se trouve le Prolétariat dans la décennie de 1939 : dans un cours de montée de la lutte révolutionnaire ou dans celui, où après avoir subi des défaites profondes , démoralisé , il s'est laissé intégrer dans la défense nationale, au nom de la défense de la démocratie et de 1!antifascisme, débouchant inévitablement dans la guerre impérialiste? Trotsky qui avait vu et dénoncé dans le victoire d'Hitler en Allemagne l'ouverture d'un cours vers la guerre, change complètement de perspective avec l'avènement du Front Populaire en France et en Espagne et annoncera en gros titre en 1936 que "La Révolution a commencé en France". Tout autre sera l'analyse de "Bilan" qui non seulement ne verra pas dans le triomphe du Front populaire un renversement du cours vers la guerre mais au contraire le considérera comme un renforcement de ce cours, une réplique adéquate dans les pays "démocratiques" l'hystérie guerrière de l'Allemagne et de l'Italie, un moyen, et des plus efficaces, pour faire quitter au prolétariat son terrain de classe, pour le mobiliser autour de la défense de la "démocratie" et de l'intérêt national, préparation nécessaire pour le mener à la guerre impérialiste.
Dans un tel contexte quelle pouvait être la perspective des luttes héroïques du prolétariat espagnol? Il est indéniable que le prolétariat d'Espagne donne, dans sa vigoureuse lutte surtout les premiers jours contre le soulèvement des armées de Franco, un magnifique exemple de combativité et de décision. Mais pour si grande que fut sa combativité le développement des événements devait vite démontrer qu'il n'était pas en son pouvoir d'aller seul à la victoire révolutionnaire dans un cours mondial de recul et de démobilisation de la classe ouvrière internationale.
La plupart des groupes communistes qui se situaient à la gauche du trotskysme jugeaient autrement. Rejetant ce qui leur paraissait du "fatalisme" de la part de "Bilan"' et ne se référant comme critère décisif qu'à la combativité des ouvriers d'Espagne, ils croyaient à la possibilité pour le Prolétariat espagnol de renverser le cours général de recul et engager ainsi un nouveau départ pour la Révolution. Entraînés davantage par un sentimentalisme révolutionnaire que par un raisonnement rigoureux, ils ne voient dans les événements d'Espagne une dernière onde de la grande vague révolutionnaire des années 17-20, un dernier soubresaut d'un prolétariat mondial s'engloutissant dans la marée de l'Union nationale et de la guerre, mais l'annonce d'un réveil de la Révolution, rejoignant ainsi la perspective de Trotsky. Rien d'étonnant que, s'accrochant à l'espoir d'un miracle qui ne pouvait venir,ils étaient amenés à voir comme conquête ouvrière ce qui n'était qu'un renforcement du capitalisme, comme les fameuses milices ou la participation au gouvernement, à fermer les yeux sur la réalité tragique dans laquelle le Prolétariat d'Espagne complètement désorienté était livré au pire massacre capitaliste, à se voir eux-mêmes sombrer politiquement et devenir les complices "critiques" et rabatteurs de la guerre, à l'instar des trotskystes et autres poumistes. Des événements tragiques du Prolétariat en Espagne 1936, nous devons retenir cette leçon précieuse : autant Octobre 17 nous montre la possibilité d'une victoire de la Révolution prolétarienne dans un pays capitaliste arriéré parce que portée par une vague générale de la Révolution, ce prolétariat ne fait qu'exprimer et annoncer, autant 1936 en Espagne nous montre qu'il est impossible à un prolétariat d'un pays sous développé quelle que soit sa combativité de renverser un cours général de contre-révolution triomphante. Cela n'a rien à voir avec un fatalisme et un croisement de bras. Comme l'écrira "Bilan" "La tâche de l'heure:était de ne pas trahir". En Espagne 36 ce n'était pas la victoire de la Révolution qui était en question mais essentiellement ne pas laisser le prolétariat se désarçonner, abandonner son terrain de classe et se laisser s’immoler sur l'autel au bénéfice de la contre-révolution, qu'elle se présente sous la forme fasciste ou démocratique. Si le Prolétariat espagnol ne pouvait faire triompher la révolution, il pouvait et devait rester fermement sur son terrain de lutte de classe, rejeter toute alliance et coalition avec des fractions de la bourgeoisie, se refuser aux mensonges d'une guerre antifasciste qui elle, oui contenait la fatalité de son écrasement et servait de prélude à 6 ans de massacres ininterrompus de millions de prolétaires dans la 2ème guerre impérialiste mondiale. Telle était la tâche de l'heure et le devoir premier des révolutionnaires que leur assignait "Bilan" en dénonçant de toutes ses forces cette fausse "solidarité" qui consistait à réclamer et envoyer des armes et des hommes en Espagne et qui ne pouvait avoir d'autre résultat que de prolonger et élargir la guerre au point de transformer la guerre capitaliste locale en guerre impérialiste générale.
La guerre d'Espagne devait encore rajeunir et développer un autre mythe, un autre mensonge. En même temps qu'on substituait à la guerre déclasses du prolétariat contre le capitalisme, la guerre entre "Démocratie et Fascisme, qu'on remplaçait les frontières de classes par des frontières territoriales, on défigurait le contenu même de la Révolution en changeant l'objectif central de la Révolution : Destruction de l'Etat bourgeois et prise du pouvoir politique par le Prolétariat en celui de soi-disantes mesures de socialisation et de gestion ouvrière des usines.
Ce sont surtout les anarchistes et certaines tendances se réclamant du Conseillisme qui se distinguaient à exalter le plus ce mythe, allant jusqu'à voir et proclamer dans cette Espagne républicaine, antifasciste et stalinienne la conquête de positions socialistes bien plus avancées que n'aurait atteint la Révolution d'Octobre.
Il n'est pas de notre intention d'entre ici dans une analyse détaillée de l'importance et de la signification de ces mesures. Le lecteur trouvera dans les textes de "Bilan" que nous publions une réponse suffisamment claire à ces questions. Ce que nous voulons mettre en évidence ici est que ces mesures mêmes si elles auraient été plus radicales qu'elles ne furent en réalité, n’auraient en rien changé le caractère fondamentalement contre-révolutionnaire du déroulement des événements en Espagne. Pour la bourgeoisie comme pour le prolétariat le point central de la révolution ne peut-être que celui de la conservation ou de la destruction de l'Etat capitaliste. Le capitalisme peut non seulement s'accommoder momentanément des mesures d'autogestion ou de soi-disant socialisations (lire mise en coopératives) des exploitations agricoles en attendant la possibilité de les ramener dans l'ordre à la première occasion propice (voir les récentes expériences au Portugal) mais elle peut parfaitement les susciter comme moyens de mystification et de dévoiement des énergies du Prolétariat vers des conquêtes illusoires afin de le détourner de l'objectif central qui est l'enjeu de la Révolution : la destruction de la puissance du Capitalisme, son Etat.
L'exaltation de prétendues mesures sociales comme le summum de la Révolution n'est qu'une radicalité de mots qui recouvre dans le meilleure des cas une même racine du vieux réformisme : 1a marche graduelle de la transformation sociale. Dans la réalité de l'Espagne 36, ce radicalisme de la phrase est plus que cela; elle fait sienne la mystification du capitalisme tendant à détourner le prolétariat de sa lutte révolutionnaire contre l'Etat. Victimes eux-mêmes, dans un premier temps de la mystification et des apparences, ces courants deviennent rapidement des complices de ce détournement, s'employant de leur mieux à brouiller la vision claire de la tâche première du Prolétariat dans la Révolution. A l'encontre de ces radicaux de la phrase et en total accord avec "Bilan" nous affirmons qu'une Révolution qui ne commence pas par la destruction de l'Etat capitaliste peut-être tout ce que l'on veut sauf une Révolution prolétarienne. Les événements d'Espagne 36 n'ont fait que confirmer tragiquement ce postulat révolutionnaire mis en évidence et appliqué en 1917 par le Parti bolchevique et qui était une des conditions décisives de la victoire d'Octobre
En 36 en Espagne le prolétariat a subi une de ses plus sanglantes défaites qui lui a valu 60 ans de répression féroce. Reflet de ce cours de défaites et de réaction triomphante, 1a Gauche Communiste réduite à de petits groupes qui trouvaient leur expression dans Bilan, avait douloureusement conscience de son isolement et de son impuissance dans l'immédiat. Tout comme le Parti Bolchevik et la poignée de révolutionnaires en 1917, elle restait fidèle au communisme en allant à contre-courant. Si la guerre et 40 années de contre-révolution triomphante avaient eu raison matériellement de son organisation, les enseignements du combat et des positions révolutionnaires de la Gauche Communiste des années 30 n'ont pas été perdus. Aujourd'hui avec la reprise de la lutte de classe et la perspective de son développement révolutionnaire, les communistes retrouvent et renouent le fil de cette continuité politique. En republiant les textes de "Bilan", nous entendons en faire des instruments pour un réarmement politique du prolétariat d'aujourd'hui et des leçons de la défaite d'hier forger les armes de la victoire finale de demain.
Au front impérialiste du massacre des ouvriers espagnols il faut opposer le front de classe du prolétariat international.
(Bilan n°34, Août-Septembre 1936)
La simple affirmation générale qu’actuellement, en Espagne, se déroule une bataille sanglante entre la bourgeoisie et le prolétariat, loin de permettre d'établir les positions et les forces politiques pouvant permettre la défense et la victoire du prolétariat, peut conduire au pire désastre et au massacre des travailleurs. Pour arriver à des conclusions positives il faut déterminer tout d'abord si les masses ont occupé leur retranchement spécifique de classe, se trouvent dans la possibilité d'évoluer, de faire sortir de leur sein les forces capables de briser l'attaque ennemie.
Plusieurs alternatives occupent, en ce moment, la scène politique. Commençons par celle soulevée par le Front Populaire et à laquelle les centristes ont donné une consécration "théorique". Il s'agirait d'une lutte à mort des "factieux, des rebelles, des fascistes" contre le "gouvernement légal, défendant le pain et la liberté"; le devoir du prolétariat serait, par conséquent, de défendre le gouvernement qui serait en définitive celui de la bourgeoisie progressive en lutte contre les forces de la féodalité. Les ouvriers qui auraient permis la victoire contre les représentants du régime féodal pourraient, par la suite, passer à la phase supérieure de la lutte pour le socialisme. Dans notre précédent numéro, nous avons mis en évidence que si, en Espagne, le capitalisme se trouvait dans l'impossibilité d'organiser une société du type des autres existantes en Europe, c'est bien une bourgeoisie qui détient le pouvoir et le seul protagoniste de la refonte du mécanisme économique et politique est le prolétariat et lui seul.
Le Front Populaire en Espagne, tout comme d'ailleurs dans les autres pays, se révèle être, même au cours des événements actuels, non pas une force dont les ouvriers pourraient se servir, mais une arme puissante de l'ennemi ayant pour fonction l'écrasement de la classe ouvrière. Qu'il suffise de réfléchir au fait que c'est bien sous son gouvernement qui a pu s'organiser méthodiquement toute l'action de la droite, dont les supports ne consistent pas seulement dans la conjuration (cet aspect le plus théâtral est quand même le moins important), à laquelle toute latitude a été donnée pour se préparer que, dans le domaine social, l'action du gouvernement de Front Populaire avait déterminé la démoralisation des masses paysannes, l'hostilité profonde des ouvriers s'acheminant à nouveau vers l'éclosion de grandes grèves du type de celle de 1931-32 et qui furent écrasées par la terreur dirigée justement par le gouvernement de gauche composé d' une équipe analogue à celle du Front Populaire d'aujourd'hui.
Même au début des événements actuels, l'orientation bien marquée du Front Populaire était celle d'aboutir à un compromis avec la droite, ainsi qu'en témoigne la tentative de constitution du gouvernement Barrios. Aussi Azana peut-il bien s'étonner du fait que Franco, tout en pouvant le faire sans le moindre risque, ne soit pas allé l'arrêter dès le premier jour. C’est qu'une grande inconnue planait sur la situation et le capitalisme tout en ayant décidé une première attaque frontale dans toutes les villes, ne savait point si son aile droite aurait pu obtenir immédiatement une victoire totale. En prévision de cela l'arrestation d’Azana a été réservée, et c'est bien l'action successive du Front Populaire qui a donné les plus grandes chances de succès à l'offensive capitaliste.
A Barcelone en premier lieu et dans les autres centres ouvriers aussi, l'attaque de la droite se heurta à un soulèvement populaire, lequel, parce qu'ils luttaient sans la moindre attache avec la machine étatique capitaliste et affirmaient leur base de classe, purent rapidement désagréger les régiments, où en correspondance avec les événements qui se déroulaient dans les rues, la lutte de classe éclata et les soldats se révoltèrent contre leurs chefs» A ce moment, le prolétariat s'acheminait directement vers un intense armement politique, d'où ne pouvait résulter qu’une offensive dirigée contre la classe capitaliste et vers le triomphe de la révolution communiste.
En conséquence de la riposte véhémente et puissante du prolétariat, le capitalisme sentit qu'il devait abandonner son premier plan d'attaque frontale et uniforme. En face d'ouvriers qui s'étaient insurgés, qui allaient acquérir une puissante conscience de classe, la bourgeoisie sentit qu'il n'y avait d'autre moyen de se sauver et de vaincre, qu'en chargeant le Front Populaire de diriger l'action politique des ouvriers. La tolérance de l'armement des masses s'accompagnait avec son encadrement, que Caballero veut aujourd'hui porter à sa perfection au point de vue technique au travers du "commandement unique", et avec une orientation politique spécifiquement capitaliste. A la première phase du faible armement matériel, mais de l'intense armement politique, succédait l'autre de l'accroissement des instruments techniques à la disposition d'ouvriers qui, progressivement, étaient transportés de leur base primitive de classe vers l'autre opposée et qui est celle de la classe capitaliste.
A Madrid, rapidement, moins facilement aux Asturies, par un procédé bien plus compliqué à Barcelone, le Front Populaire a pu obtenir son succès et les masses se trouvent actuellement englobées sous cette devise centrale : qu'elle soit Sacrée, la machine étatique du capitalisme, qu'elle fonctionne au plus haut rendement pour permettre la victoire contre la droite; l'écrasement des "factieux" étant le suprême devoir du moment.
Le prolétariat a déposé ses armes spécifiques de classe et a consenti au compromis avec son ennemi, au travers du Front Populaire. Aux frontières de classe, les seules qui auraient pu démantibuler les régiments de Franco, redonner confiance aux paysans terrorisés par la droite, d'autres frontières ont surgi, celles spécifiquement capitalistes, et l'Union Sacrée a été réalisée pour le carnage impérialiste, région contre région, ville contre ville en Espagne et, par extension, Etats contre Etats dans les deux blocs démocratique et fasciste. Qu'il n'y ait pas la guerre mondiale, cela ne signifie pas que la mobilisation du prolétariat espagnol et international ne soit pas actuellement achevée, pour son entrégorgement sous le drapeau impérialiste de l'opposition : fascisme-antifascisme.
Après les expériences italienne et allemande, il est extrêmement désolant de voir des prolétaires d'une haute préparation politique qui, en se basant sur le fait que les ouvriers sont armés, en concluent que, bien que le Front Populaire dirige ces armées, les conditions se seraient présentées, sans un bouleversement total de la situation, pour permettre la défense et la victoire de la classe ouvrière. Non, Azana et Caballero sont les dignes frères des socialistes italiens et allemands, ils en sont les émules parce que dans une situation extrêmement tendue ils sont parvenus à trahir les ouvriers, à qui ils ont laissé les armes uniquement parce qu'elles devaient servir une bataille de classe, non contre le capitalisme espagnol et international, mais à une bataille de classe contre la classe ouvrière d'Espagne et du monde entier sur le front de la guerre impérialiste.
A Barcelone la façade offusque la réalité. Parce que la bourgeoisie se retire provisoirement de la scène politique, parce que les bourgeois ne sont plus à la tête de certaines entreprises, l'on en arrive à considérer que le pouvoir bourgeois n'existe plus. Mais si ce dernier est vraiment inexistant, alors c'est l'autre qui aurait dû surgir : celui du prolétariat. Et ici la réponse tragique des événements est cruelle : toutes les formations politiques, mêmes les plus extrêmes, la CNT, proclament ouvertement qu'il ne faut nullement attenter à la machine étatique capitaliste à la tête de laquelle Compagnys serait même d'utilité pour la classe ouvrière. Notre avis à ce sujet est absolument net : deux principes s'opposent, deux classes, deux réalités : celle de la collaboration et de la trahison, l'autre de la lutte. A la tension extrême de la situation, correspondent aussi des forces extrêmes de la collaboration. Si en face d'une conflagration sociale du type de celle de Barcelone les ouvriers sont poussés non vers l'attaque contre la machine étatique capitaliste, mais vers sa sauvegarde, alors c'est la collaboration et non la lutte de classe qui triomphe. La voie pour l'éclosion de la lutte de classe ne se trouve point dans l'élargissement successif des conquêtes matérielles, tout en laissant debout l'instrument de domination de l'ennemi, mais dans la voie opposée qui connaît le déclenchement des mouvements prolétariens. La socialisation d'une entreprise tout en laissant intact l'appareil étatique est un maillon de la chaîne qui bloque le prolétariat derrière son ennemi aussi bien sur le front intérieur que sur le front impérialiste de l'antagonisme fascisme-antifascisme, alors que le déclenchement d’une grève pour la moindre revendication de classe et cela même dans une industrie "socialisée" est un anneau qui peut conduire à la défense et à la victoire du prolétariat espagnol et international.
Il est tout aussi impossible d'opérer un mélange entre le prolétariat et la bourgeoisie qu’il l'est entre les Fronts territoriaux actuels, les armées d'Union Sacrée et les frontières de classe, les armées de classe. La différenciation s'opère sur les questions fondamentales et non sur celles de détail. Il existe actuellement une opposition apparente entre le détail et l'essentiel, entre la composition, l'ardeur, le sacrifice, l'héroïsme des prolétaires enchaînés par le Front Populaire et la force politique, historique que représente ce dernier. Tout comme Lénine en avril 1917, nous devons opérer sur le noeud central du problème et c'est là que la seule différenciation politique "réelle" peut s'opérer. A l'attaque capitaliste on ne peut répondre que sur une base prolétarienne. Ceux qui négligent ce problème central se mettent délibérément de l'autre côté de la barricade et les prétendues réalisations sociales ne sont, en définitive, qu’une maille reliant les ouvriers à la bourgeoisie.
De la situation actuelle où le prolétariat est tenaillé entre deux forces capitalistes, la classe ouvrière ne peut passer à l'autre opposée qu'en empruntant le chemin conduisant à l'insurrection. Il n' y a pas évolution possible des armées actuelles de Catalogne, de Madrid, d'Asturies mais il faut la rupture brutale, sans la moindre équivoque. La condition essentielle pour le sauvetage de la classe ouvrière espagnole réside dans le rétablissement des frontières de classe qui sont opposées à celles territoriales actuelles. En Catalogne surtout, où les énergies prolétariennes sont encore puissantes, ces énergies doivent être mobilisées sur un plan de classe. Il faut faire échec au plan capitaliste qui consiste à écraser par la terreur les masses paysannes et à convoiter, par la corruption politique, les masses paysannes industrielles pour les diriger vers le même front de la victoire du capitalisme espagnol et international. Pas d'Union Sacrée, à aucun échelon de la lutte, à aucun instant de la bataille. Cet acte de la guerre impérialiste peut ne pas se relier avec l'éclosion immédiate de la conflagration mondiale. Dans ce cas, les batailles actuelles en Espagne, faute d'un bouleversement total de la situation, se dirigeront vers la victoire de la droite, car c'est à cette dernière que revient la fonction politique d'écraser par milliers les prolétaires, d'instaurer la terreur générale, totale, du type de celle qui a exterminé le prolétariat italien et allemand. La gauche, le Front Populaire a une fonction capitaliste différente et consistant à faire le lit à la réaction, un lit sanglant où sont déjà couchés des milliers de travailleurs espagnols et d’autres pays.
La classe ouvrière n'a que des forteresses de classes et ne peut vaincre du moment qu'elle est emprisonnée dans les forteresses ennemies que sont actuellement les fronts militaires. Les héroïques défenseurs d'Irun étaient condamnés d'avance, ils avaient été livrés au capitalisme par le Front Populaire qui était parvenu à les extirper de leur terrain de classe et en a fait la proie des armées de Franco.
La lutte armée sur le front impérialiste est la tombe du prolétariat. Il faut y opposer la lutte armée sur le terrain social. A la compétition pour la conquête des régions et des villes, il faut opposer l’attaque contre la machine étatique, et c'est uniquement de cette attaque que peut résulter la désagrégation des régiments de la droite, c'est ainsi seulement que le plan du capitalisme espagnol et international pourra être brisé. Autrement, avec ou sans l'acceptation du plan français de neutralité, avec ou sans le Comité de Coordination composé de fascistes, démocrates et centristes, (tous les pays importants y étant représentés), c'est l'orgie capitaliste qui triomphe et les marchands de canons de France, d'Angleterre, d’Allemagne, d'Italie, l'Etat Soviétique lui-même livreront les munitions aux deux Etats-majors, celui de Franco, l'autre de Caballero pour massacrer les ouvriers et les paysans en Espagne.
Dans tous les pays au mot d'ordre capitaliste, pour ou contre la neutralité, pour ou contre l'envoi de munitions à Franco ou au gouvernement, opposés des manifestations de classe, des grèves contre les transports légaux d'armes, des batailles dirigées contre chaque impérialisme. C'est à cette condition uniquement que la solidarité peut s'affirmer réellement pour la cause du prolétariat espagnol.
L'abattoir des prolétaires en espagne.
Extraits (Bilan n°35, Septembre-Oct. 1936)
Les fascistes attaquent en Espagne. Les traîtres à la classe ouvrière de tous les pays sont à leur place quand ils réclament de leurs gouvernements respectifs des envois d'armes et munitions au gouvernement "légal de la République". Mais autre chose serait de lancer un appel à la classe ouvrière de chaque pays afin qu'elle se mobilise dans une lutte acharnée contre ses capitalismes respectifs. Ce serait là de la lutte de classe, ce serait là la seule solidarité à manifester aux ouvriers espagnols. Une telle action, les traîtres ne pouvaient même pas la concevoir elle conduirait, en effet, à l'affaiblissement du capitalisme dans tous les pays et, par ricochet, arrêterait les chances de succès de l'attaque fasciste en Espagne. Cette directive n'appartient qu'à des groupes restreints de prolétaires qui s'amenuisent d'ailleurs de jour en jour si l'on considère que le parti d'unification marxiste, POUM, la CNT et la FAI s'insurgent contre la mystification du discours de M. Bloum à Luna-Parc et demandent aux ouvriers français, non de déclencher une lutte de classe contre leur impérialisme, mais d'imposer au gouvernement de Front Populaire de lever le blocus, pour neutraliser l'aide apportée par Hitler et Mussolini aux fascistes espagnols.
Si l'on réfléchit à l'opposition criante qui existe entre la première et la deuxième phase des événements, l'on comprend enfin la cruelle logique des situations actuelles. Le 19 juillet, le prolétariat s'insurge contre l'attaque fasciste et déclenche la grève générale. Le prolétariat est debout, le prolétariat est lui-même, il est la classe qui est capable d'arrêter l'offensive des fascistes, il lutte avec son arme spécifique : la grève. Lutte armée, oui, mais au service d'une revendication de classe. Et à ce moment il n'existe pas de gouvernement à côté des ouvriers, pas de républicain pas de séparatistes. Le prolétariat est terriblement fort parce qu'il est terriblement seul. Par après la situation est bouleversée. Autour des ouvriers espagnols il y a le gouvernement de Front Populaire et la sympathie de gouvernements puissants : français, anglais, russe, mais le prolétariat n'existe plus car, sorti de sa base primitive de classe, il a été cloué dans une base qui n'est plus la sienne, qui est le contraire de la sienne, celle de son ennemi de classe.
Et la tragédie commence. Les fascistes se renforcent dans la mesure même où les ouvriers se collent —au travers du gouvernement de Front Populaire- à leur bourgeoisie. A Barcelone la machine étatique capitaliste non seulement est laissée intacte, mais elle est sanctifiée lorsqu'on pousse les ouvriers à la faire fonctionner avec le maximum de rendement pour permettre la guerre militaire. Le renforcement de la machine étatique à Barcelone, à Madrid, à Valence avec son corollaire : le renforcernent de la même machine à Séville et Burgos, détermine des chances toujours plus favorables pour l'attaque fasciste.
Les traîtres dans les différents pays poussent les ouvriers à invoquer l'intervention des gouvernements respectifs. Quel serait le résultat ? Mais la leçon de 1914-18 est là : tragiquement éloquente. A supposer même qu'il ne s'en suivrait pas de conflit mondial, et que de meilleures conditions militaires pour les armées "loyales" permettent la victoire sur les généraux, les ouvriers espagnols qui auraient lutter sous la direction, les objectifs, le contrôle du gouvernement du Front Populaire, se trouveraient demain tout comme les ouvriers français et anglais en 1918 à devoir payer avec le renforcement de leur esclavage le prix de n'avoir pas su déjouer la tromperie ennemie. La manoeuvre du capitalisme, consistant à jeter les travailleurs les uns contre les autres, se serait bornée à l'Espagne, elle n'aurait pas embrasée le monde entier mais cela n’en aurait pas moins pour conséquence que le prolétariat espagnol aurait été le seul à en faire les frais.
Mais cette hypothèse n'est pas celle qui semble correspondre à l’évolution des terribles événements d’Espagne. Nos prévisions primitives semblent se confirmer. Le capitalisme était forcé de procéder à une sanglante conversion de son extrême gauche vers l’extrême droite. Le plan initial n'avait pas abouti : écraser d'un coup les masses dans toute l'Espagne. Pour y arriver la bourgeoisie avait besoin d'une force complémentaire à celle de l'attaque frontale des généraux. Cette force a été représentée par le Front Populaire.
De son front de classe primitif, les batailles de rues contre la bourgeoisie, les ouvriers ont été arrachés par le succès de la manoeuvre du Front Populaire qui les a jetés vers le Front opposé des frontières territoriales. Et progressivement, à chaque défaite sur le front territorial, la manoeuvre capitaliste a gagné de nouvelles forces agissant au sein des masses. La défaite d’Irun correspond à la formation du gouvernement d’extrème-gauche de Caballero, la chute de Tolède à l'entrée du POUM et des anarchistes dans la Généralidad de Barcelone. C'est ainsi que le capitalisme espagnol suffoquait toute réaction de classe.
Les ouvriers espagnols et du monde entier se souviendront de la douloureuse tragédie actuelle, ils l'ajouteront à celle de l'Allemagne, d'Italie, de Russie, des autres pays. L'ennemi capitaliste allonge la file de ses victoires contre le prolétariat, mais sur le terrain historique, il est définitivement condamné : pour se venger de son incapacité de mater l'éclosion des forces de production, il amoncelle des montagnes de cadavres d'ouvriers. De ces innombrables victimes jaillit la force invincible qui construira la société communiste. Les ouvriers d'Espagne se battent comme des lions, mais ils sont battus parce qu'ils sont dirigés par les traîtres dans l'enceinte de la forteresse ennemie sur les Fronts territoriaux. De leur défaite, jaillira la digue de fer de la lutte des classes contre laquelle aucune arme n'aura de puissance car les travailleurs, qui devraient la diriger contre leur frères, sauront s'en servir contre leur ennemi de classe pour la victoire de la révolution.
La consigne de l’heure : ne pas trahir.
Extraits (Bilan, n°36, Nov. 1936).
Une phrase suffit pour détruire de fond en comble notre position : quoi ? Alors que les ouvriers espagnols luttent d'arrache-pied contre l'attaque fasciste, se battent comme des lions contre un ennemi qui reçoit armes et munitions de Hitler et Mussolini avec la complaisance de Blum et de Eden quand ils dressent des barricades avec leurs corps pour arrêter l'avance des hordes fascistes, alors que, dans tous les pays, des centaines et des milliers d'ouvriers s'apprêtent à rejoindre le front de la bataille, votre position consiste à démoraliser les rangs des combattants, à faciliter l'invasion de l'ennemi fasciste, à démanteler les fronts où les prolétaires disputent, mètre par mètre, le terrain à Franco derrière qui se trouvent coalisés, les fascistes de tous les pays.
Seulement cette phrase n'est point un argument et si elle peut facilement, —à cause de son caractère démagogique— avoir raison de nous, elle ne représente guère une manifestation de solidarité aux ouvriers espagnols. Elle n'est, en définitive qu'un anneau de plus enchaînant les prolétaires, livrant ces derniers aux forces qui conduisent à l'échafaud leurs vies, leurs institutions et leur classe. Encore une fois, il ne s'agit pas —au cours des discussions entre les courants qui prétendent oeuvrer pour la libération des ouvriers du joug capitaliste— d'une bataille polémique tendant à écarter et à réduire au silence l'adversaire, ainsi que ses arguments. Il s'agit de présenter des positions politiques, de mobiliser des forces qui puissent déterminer la lutte, la défense et la victoire de la classe ouvrière contre l'ennemi capitaliste. C’est uniquement sur ce terrain que la diversification politique peut correspondre aux intérêts des ouvriers espagnols et de tous les pays : c'est sur ce front seulement que les énergies de la classe ouvrière peuvent se nouer pour construire le barrage de la défense et de la victoire.
Les flots de la démagogie peuvent nous noyer, mais le cruel développement des événements laissera non seulement debout l'ensemble de nos positions politiques, mais donnera la plus tragique des confirmations à ces dernières et cela parce que nous restons inébranlablement ancrés, dans les fondements de classe des masses prolétariennes et uniquement dans ceux-ci. Autant nous serions disposés à détruire jusqu'à la dernière syllabe de nos considérations si cela pouvait apporter une aide aux ouvriers espagnols, autant nous sommes forcés de voir l’opposition enragée des militants qui luttent contre nous, non un élément positif pour la résistance du prolétariat espagnol, mais une nouvelle manifestation de la victoire de la manoeuvre de l'ennemi capitaliste qui ne pouvait gagner cette nouvelle bataille qu'à la condition de pouvoir enchaîner à son char —avec la colossale mystification de l'anti-fascisme qui se révèle être, encore une fois, le lit du fascisme— jusqu'aux secteurs les plus avancés où résistaient les militants révolutionnaires.
C'est la plus tragique des confirmations du marxisme que celle qui se déroule aujourd'hui. Plus encore que dans les situations intermédiaires, dans des situations définitives, le sort de la classe ouvrière ne peut être sauvé que sur le front d'une politique de classe et uniquement d'elle, toutes les autres conduisant au pire massacre des ouvriers. La moindre compromission comporte en contre partie de l'illusion d'un appoint de la lutte, la lugubre certitude de la pénétration dans les rangs des ouvriers de la colonne ennemie qui en prépare méthodiquement la déroute.
Oui! Avant les événements d'Espagne existait une décision ferme, inébranlable: "nous ne marcherons pas, à aucun prix, d’aucune façon, quelle que soit l'embûche que l'on nous présentera. A l'ennemi qui nous appellerait aux armes pour battre le fascisme, nous répondrons par la proclamation de la lutte contre notre propre capitalisme. Les millions d'ouvriers tombés en 1914-18 croyaient combattre pour déraciner, dans le tsarisme ou le prussianisme, l'obstacle principal à l'affranchissement de la classe ouvrière. Mais, en réalité, ils sont tombés pour la sauvegarde du capitalisme, de son régime, pour construire —au travers de cette digue macabre des cadavres des ouvriers des deux camps— la barricade de la bourgeoisie contre l'assaut révolutionnaire des masses. Cet enseignement tragique, nous ne l'oublierons jamais, au grand jamais, et notre devise sera celle de battre chaque secteur du capitalisme pour faire crouler le système dans chaque pays et ,dans le monde entier".
Encore, à l'égard du pouvoir bourgeois la devise était tout autant ferme : "la leçon de 1914 nous a appris que, sous aucun prétexte, il ne faut collaborer avec la bourgeoisie. A l'appât que constitue l'idée de pénétrer dans l'Etat capitaliste afin de la faire servir au socialisme, ou pour repousser l'attaque de la réaction, les millions d'ouvriers tombés dans la lutte pour leur libération sont là pour nous dire que la collaboration avec la bourgeoisie c'est l'emprisonnement des ouvriers, leur perte, leur livraison à l'ennemi".
Les événements d'Espagne sont arrivés. Que reste-t-il des événements tragiques de 1914 ? L'on a commencé à parler de l’ouverture d'une situation révolutionnaire, mais immédiatement après l'on a ajouté que déclencher des luttes de classe?, passer à l'attaque contre l'Etat capitaliste, pour le détruire, pour fonder un pouvoir prolétarien, c'était réaliser, en fait, une condition favorable non pour les ouvriers, mais pour les fascistes qui attaquaient. De deux choses l'une : ou bien la situation révolutionnaire existe et il faut lutter contre le capitalisme, ou bien elle n'existe pas et alors parler de révolution aux ouvriers alors que malheureusement, il ne s'agit que défendre leurs conquêtes partielles, signifie substituer au critère de la nécessité d'une défensive mesurée pour empêcher le succès de l'ennemi, celle qui consiste à lancer les masses dans le gouffre où elles seront écrasées, "Les ouvriers croient lutter pour le socialisme"! Bien sûr, il n'en a jamais été autrement? Il en fut de même en 1914. Mais le devoir des militants est-il de se jeter parmi les ouvriers pour leur dire que le chemin du socialisme est celui qui se dirige vers la destruction du régime capitaliste ou celui qui encastre les ouvriers dans ce régime?
Mais, nous dira-t-on, nous ne sommes pas en 1914. En Espagne, ce ne sont pas deux armées impérialistes au service d' Etats antagonistes qui se heurtent, ou, dans un sens plus limité, ce n'est pas encore cela; actuellement, c'est le fascisme qui attaque, le prolétariat qui se défend. En participant à la lutte armée des ouvriers, en oeuvrant pour la victoire militaire contre le fascisme, nous ne répétons nullement les gestes de ceux qui conduisirent les ouvriers à la boucherie de 1914.
Ah! Oui la leçon de la derrière guerre était trop cruellement vive dans la mémoire des ouvriers ; le traquenard de la guerre sous le drapeau de l'antifascisme ne suffisait plus et les prolétaires, du moment qu'ils auraient vu l’entrée en lice des états capitalistes, auraient vite compris que c'eût été pour les intérêts de leurs ennemis et contre les leurs qu'ils se seraient battus et fait tuer. Avant la dernière guerre, les mouvements nationalistes de chaque pays se dressaient les uns contre les autres alors que le socialisme levait le drapeau de l'unification des peuples pour sauver la paix. Aujourd'hui, les mouvements de droite de tous les pays établissent une sympathie solidaire pour l'écrasement de la classe ouvrière de chaque pays et c'est là une réédition sous d'autres formes, d'une subsistance qui est la même que celle de 1914. Les formes différentes sont à la fois commandées par la tension extrême des situations et des rapports entre les classes, ainsi que par la nécessité où se trouve le capitalisme d'agiter devant les masses, pour les égarer, les tromper et les égorger, une autre enseigne sur le même drapeau, qui reste toujours celui de la sauvegarde et de la défense du régime capitaliste. Mais, nous a-t-on dit si souvent, les événements d'Espagne ne se déroulent pas encore, mais pourraient, demain, se dérouler sur la même ligne que ceux de 1914. Tant qu'ils n’en seront pas là, il faut défendre les territoires que le fascisme menace de sa conquête.
Mais le devenir n'est-il pas le réel. Peut-on demain être autre chose que le développement de ce que l'on est actuellement? Du moment que les ouvriers ont emprunté un certain chemin qui peut conduire à la guerre, ils se sont mis dans le chemin opposé à celui qui leur est propre et sont les victimes de forces qu'ils ne pourront plus déjouer parce qu'ils ont été désarmés politiquement par elles du moment que celles-ci les ont happés. Bien sur, le militant, un groupé déterminé pourraient se laver les mains au moment où plus aucun doute ne serait possible et que les Etats impérialistes antagonistes interviendraient ouvertement, mais la masse des ouvriers comment pourrait elle se désintégrer d'un tourbillon qui l'emporte? Au surplus, dès le premier jour des événements espagnols, n'était-il pas clair quelles différents Etats capitalistes tiraient les ficelles des situations pour permettre l'écrasement des ouvriers espagnols ; tous les Etats, les fascistes comme les démocratiques et l'Etat soviétique. Et, pour déloger ces Etats, y avait-il d'autres directives que celle de la lutte des celasses dans chaque pays ? Lancer le mot d'ordre de là "levée du blocus" n'était-ce pas précipiter le cours se dirigeant, vers la guerre impérialiste? N’était-ce pas suivre les traces de Jouhaux, de la Deuxième, de la Troisième Internationale, qui parviennent —avec succès d' ailleurs à suffoquer les mouvements de classe (les seuls qui puissent apporter une aide solidaire aux ouvriers espagnols). Pour accoupler les ouvriers à l'Etat capitaliste et pousser ce dernier vers ce même débouché de la guerre impérialiste ?
Notre position centrale consiste à faire découler de la thèse —que tout le monde semble admettre comme indiscutable- que le fascisme étant l'expression la plus cruelle du capitalisme, c' est uniquement par une attaque contre ce dernier que le prolétariat peut défendre ses intérêts et briser l'offensive ennemi. Et il est vraiment déconcertant de nous entendre dire que le déclenchement des luttes, de classe dirigées contre le capitalisme puisse favoriser ce dernier, A Barcelone, par rapport à Séville, il est évident que de bien plus amples possibilités existent aujourd'hui pour mener la lutte contre le capitalisme et il est incompréhensible que l'on emploie ces énergies, non pour la lutte contre la bourgeoisie, mais dans la direction opposée d'une intégration du prolétariat dans l'Etat capitaliste. Il nous revient que les anarchistes, pour justifier leur entrée dans le gouvernement Caballero affirment que c'était là le seul moyen pouvant permettre le réel armement des ouvriers saboté dès gouvernements précédents. Tout en devant faire la part de l'affolement dont sont victimes ceux qui se trouvent dans le tourbillon des événements, nous ne pouvons voir, dans cette thèse de la CNT, que la répétition de ce qu'ont toujours dit les réformistes et d'après quoi il fallait entrer dans l’appareil de l'Etat pour éviter qu'il serve aux intérêts du capitalisme : la tragédie espagnole ajoute une nouvelle note lugubre à celle de 1914.
"Le déclenchement des luttes de classe dans les régions non soumises au fascisme, aurait pour résultat de faciliter la chute et l'occupation des territoires par les hordes de Franco", L'on nous riposte cela pour prouver l'impossibilité d'appliquer les positions que nous défendions dès le début des événements. A part le fait que cela n'est nullement prouvé, reste cette autre considération que même si une position de classe peut avoir pour résultat de hâter le dénouement tragique d'événements qui se seraient, par cela même démontrés extrêmement préjugés pour, les ouvriers, au moins alors l'entrée des fascistes se ferait quand les énergies prolétariennes —ou au moins une parti d'entre elles- seraient encore sauvés et l'ennemi: n'aurait pu étrangler —au cours d'une lutte qui ne pouvait qu'aboutir à la défaite— les meilleures forces ouvrières en démoralisant les masses dans leur ensemble.
Immédiatement après que les ouvrirs se soient insurgés le 19 Juillet, le capitalisme espagnol a emprunté un double chemin pour étrangler la lutte de classe du prolétariat : dans les secteurs paysans, au travers de la terreur blanche, dans les centres ouvriers en englobant les masses dans l'appareil de l'Etat et en mettant à leur tête un état major qui devait inévitablement les conduire au massacre. Dès le début des événements, une double directive planait sur la situation d'un côté, celle du capitaliste gagnant chaque jour avantage les forces agissant au sein du prolétariat pour retenir les masses sur les fronts où elles sont massacrées ; de l'autre, celle des ouvriers qui, ayant emprunté leur chemin au cours de la première semaine, en ont été évincés par l'intervention de ceux-là mêmes à qui ils avaient confié leurs intérêts. Chaque, fois que les ouvriers auraient pu se redresser et reprendre leur chemin de classe, lors des défaites militaires, le capitalisme élargissait sa manoeuvre et passait du ministère Giral à celui de Caballero, et, enfin, à celui où se trouvent les anarchistes. Ainsi il agissait afin que le prolétariat ne puisse retirer les enseignements des défaites qu'il subissait et maintiennent sa confiance à ce qui ne pouvait le conduire qu'au massacre car, une fois intégré dans l'appareil de l'ennemi, on oeuvre non pour le prolétariat, mais pour le capitalisme.
Dans la situation extrêmement préjugée d’aujourd'hui, quand les chances de résistance et de victoire deviennent de plus en plus restreintes, les militants qui soulèvent la nécessité de reprendre le chemin de classe et de déclencher des luttes sur ce terrain sont exposés aux coups d'un appareil capitaliste qui à Valence et en Catalogne peut s'appuyer sur toutes les organisations agissant au sein du prolétariat. Les conditions semblent donc être remplies, comme en 1914, plus qu'en 1914, pour éviter que la moindre voir de classe ne s'élève parmi les ouvriers. Notre fraction qui, en Espagne, comme dans les autres pays, n'a négligé aucune possibilités concrètes —si modestes qu'elles pouvaient être- pour défendre ses positions, notre fraction qui s'est toujours laissée guider par la considération que pour mériter la confiance des masses, il faut rester sur le plan de la lutte de classe, que toute autorité conquise sur les ouvriers en entrant dans les fronts où ceux-ci ont été jetés par le capitalisme, est une autorité qui ne peut servir que la manoeuvre ennemie, notre fraction, dans un poignant isolement que les cadavres des ouvriers espagnols illuminent tragiquement, reste persuadée que ce qui ce creuse actuellement, ce n'est pas le tombeau du prolétariat, mais des idéologies et des forces qui, n'étant pas armées —au travers du marxisme— de la théorie de la classe prolétarienne ne pouvaient que conduire au massacre des masses ouvrières.
La hyène fasciste peut cyniquement dire qu’en face de cinquante mille de leurs assassins, les millions d'ouvriers n'ont pu résister et vaincre, mais cette hyène sait bien que cela a été uniquement possible parce que les ouvriers ont été extirpés de leur base de classe, parce que pour diriger leurs combats, se trouvaient les complices directs des Franco, les antifascistes de toutes les gradations.
La condition pour rester sur le chemin des ouvriers, à supposer qu'aucune possibilité n'existe plus pour bouleverser la situation à cause de la supériorité écrasante de l'ennemi, et de ne pas trahir, tout comme le fit Lénine en 1914.
La désertion des fronts militaires en Espagne, comme indication de classe pour l’ensemble des prolétaires, c'est de dissocier du capitalisme, c'est lutter contre lui, c'est se battre pour les ouvriers.
Dans tous les pays, lutter contre chaque capitalisme c'est se battre en solidarité avec les prolétaires espagnols.
Toute autre directive avec n'importe qu'elle étiquette : socialiste, centriste ou anarchiste, conduit à l'écrasement du prolétariat en Espagne et dans tous les autres pays.
La réalité d’un "gouvernement de façade".
Extraits ("Bilan" n° 37, Nov. Dec. 1936)
Combien de fois ne nous l'a-t-on pas dit ? Caballero et Companys ne sont que des façades. En réalité, les ouvriers ont le pouvoir en mains et ils dissimulent la réalité de crainte d'une intervention étrangère. 4 mois déjà que cette rengaine est servie aux prolétaires avec l'accompagnement de cette autre rengaine qu'il s'agit de répéter le schéma de l'affaire Kornilov. Décidément, la démagogie ne désarme jamais et les milliers de cadavres de travailleurs ne sont pas fait pour lui permettre de réfléchir ou de se réfréner.
Companys n'est qu'une façade, Caballero un simple paravent et cela suffirait pour donner l’échange aux Etats capitalistes. Ces messieurs prennent-ils vraiment les ouvriers pour des imbéciles? Car on a peine à croire que les anarchistes, le POUM, les socialo centristes se soient donnés tant de peine pour faire partie des gouvernements si telle avait la réalité. Depuis le plénum national des régionales de la CNT de septembre, celle-ci se démenait pour faire partie d'un gouvernement Caballero (baptisé Conseil), alors que le POUM n'avait de repos avant d'obtenir un portefeuille dans le Conseil de la Généralité de Catalogne.
Mais voyons les choses de plus près encore. La soi-disant façade de Madrid avait-elle oui ou non la direction des forces militaires de la "démocratie"? N'était-ce pas cet élément qui déterminait les anarchistes à demander à corps et à cris leur participation à cette façade ? Drôles de "révolutionnaires" qui disent que la révolution dépend de la guerre et qui donnent la direction de la guerre à M Caballero.
Mais lorsqu'on veut vraiment prouver que les gouvernements bourgeois du Front Populaire sont nuls et sans importance, il faut tout au moins prouver qu'en dehors d’eux existent des gouvernements véritables. Comme cela est quelque peu difficile on recourt à d'autres arguments : l'entrée des organisations ouvrières dans les ministères a modifié l'aspect et la nature de l'Etat. Certes, une apparence subsiste et elle fait ressembler l'Etat ancien à l'Etat nouveau comme une goutte d'eau à une autre. Mais cela n'est que la façade extérieure. Pas autrement résonnaient les réformistes lorsqu'ils participaient à des gouvernements de la bourgeoisie. Seulement le problème est de savoir qui se modifie : l'Etat bourgeois qui reçoit en son sein des "ministres ouvriers" ou ces derniers qui accèdent à des charges étatiques. Un demi-siècle de réformisme a résolu le problème et c'est Lénine qui a eu raison lorsqu’en Octobre 17 il est resté fidèle aux enseignements de Marx prônant la destruction violente et complète de l'Etat capitaliste.
Si l’on reste sur le terrain concret de l'expérience espagnole, il ne sera pas très difficile de prouver que la façade est la réalité de la situation, alors qu’inversement la soi-disant réalité des anarchistes et polémistes n'est qu'une grossière façade.
Que voulait la bourgeoisie espagnole ? En finir pour de longues années avec les mouvements ouvriers, mettant obstacle à la constitution d'un pouvoir stable assurant "pacifiquement" son exploitation sur les ouvriers et les paysans. Elle ne pouvait arriver à ses fins qu'aux travers d'un monstrueux massacre des ouvriers révoltés le 19 juillet, et dans la mesure où ces massacres devenaient une guerre sainte, une croisade anti-fasciste au cours de laquelle les travailleurs auraient cru lutter pour leur révolution.
Une condition essentielle devait être respectée : laisser intact le mécanisme de l'Etat bourgeois et le renforcer par l'apport des organisations ouvrières auxquelles étaient dévolus les rôles de propulsion, de Pierre l'Ermite, dans la guerre antifasciste. Bien sûr, l'on a collectivisé les usines expropriées par les ouvriers, l'on a partagé les grandes terres appartenant à des fascistes, mais toujours en conformité avec le maintien et le renforcement de l’Etat bourgeois qui peut croître et se développer dans une ambiance où les usines collectivisées sont devenues des usines militarisées où le prolétaire doit produire plus et plus qu'avant le 19 juillet et où il ne peut plus émettre la moindre revendication de classe. L'Etat bourgeois vit et se renforcé dans la mesure même où l'on jette une digue militaire pour empêcher les ouvriers de vivre et de se renforcer sur le terrain des luttes sociales. " Tous au front ou à l'usine" voilà la situation qui permet aux organisations bourgeoises et ouvrières de remplacer l'activité spécifique du prolétariat par l'activité spécifique de la bourgeoisie.
Ah! Si la révolution prolétarienne avait grondé en Espagne, les ouvriers auraient vite exigé que la clarté des situations se traduise dans les faits. Comment peut-on agir, appeler les ouvriers des autres pays à la rescousse lorsqu'on farde et dissimule ses gestes? Enfin, le passage du pouvoir des mains d'une classe entre celles d'une autre est la chose la moins conformiste et la moins traditionnelle qu'on puisse s'imaginer. Le problème des "façades" ne se pose pas un seul instant car il s'agit de bouleverser de fond en comble l'ancien état de choses et d’y substituer un nouveau.
La réalité est pourtant bien simple. Ceux qui demandent aux ouvriers d’applaudir la "façade" que seraient Companys et Caballero, sont les mêmes qui pensent que l'on peut faire la révolution prolétarienne avec la permission de la bourgeoisie démocratique et que l'on peut construire un pouvoir prolétarien en réformant l'Etat bourgeois. Ce sont ces intentions que le prolétariat doit considérer et non la réalité : cette vulgaire façade.
Si pourtant les faits ne dégageaient pas souvent de cruelles vérités, tout serait excellent : les ouvriers se feraient tuer sur les fronts, la législation économique et sociale de la "nouvelle société" se développerait petit à petit et Franco progresserait militairement. Mais il y a les faits qui font naître bien des inquiétudes parmi les ouvriers. Ainsi, la bourgeoisie catalane a jeté dernièrement un coup de sonde. Peut-être en proclamant la République indépendante de la Catalogne permettrait-on à Franco d'en finir plus vite avec Madrid. Le "complot" a été découvert : les coupables ont été punis (?) et tout est rentré dans l'ordre car les anarchistes ne veulent pas d'une "république médiévale". D'autre part, l'Avangardia —organe sous l'influence de la Généralité- s'est élevée dans son N° du 2 décembre contre l'indiscipline à l'arriêre garde. Puisque tous les partis et organisations ouvrières sont représentés dans les gouvernements, ceux qui agissent sans représentation au gouvernement doivent être considérés comme des fascistes. L'Etat "façade", comme on voit ne se porte pas trop mal. La bourgeoisie peut lancer des coups de sonde parmi le prolétariat et personne ne peut agir en dehors de l'Etat.
Jusqu'au POUM qui se lamente devant son pseudo "gouvernement ouvrier et petit bourgeois". Les ministres socialistes de Valence prétendent qu'un quart d'heure après avoir pris des décisions, leurs services les transmettent à Franco. Tout l'appareil ancien de la bourgeoisie est resté sur pied. Et quand les Cortes se réuniront à Valence, la stupéfaction sera générale. La C.N.T. décidera que ses ministres ne participeront pas aux discussions peut-être par décence. Mais elle laissera se jouer la comédie parlementaire sans souffler mot. Les anarchistes sont de grands hommes d'Etat qui comprennent la politique extérieure de Caballero et qui, pour rien au monde, ne voudraient l'aggraver. Le POUM permettra au représentant de son aile gauche de bavarder sur l'Etat bourgeois qui subsiste et sur la nécessité de baser la révolution non sur les Cortes mais sur des comités d'ouvriers, de paysans s1assemblant en Congrès, Quatre mois après juillet, il devra écrire que la bourgeoisie émet un geste symbolique qui signifie la préservation de la forme et du fond de l'Etat démocratique bourgeois,
La révolution est bien profonde en Espagne. N'étaient-ce les milliers d'ouvriers et paysans qui se font massacrer, l'on serait tenté de repousser seulement du pied, le verbiage des démagogues. Mais il s'agit de lutter et d'appeler les prolétaires de tous les pays à lutter pour aider à sortir le prolétariat ibérique du massacre. Déjà plus personne n'ose nier que l'intervention de plus en plus active de l'Allemagne, de l’Italie et de la Russie, fait des événements espagnols une phase de la guerre impérialiste. La résistance des républicains autour de Madrid accélère la tension de la situation internationale et clarifie l'aspect réel de la lutte. Seulement, l'intervention des ouvriers de tous les pays engageant la lutte contre leur propre bourgeoisie et l'intervention des ouvriers espagnols retournant leurs armes contre le gouvernement de "façade" de Valence, de Barcelone, comme contre Franco déchaînant leurs batailles revendicatrices, jalons d'une attaque générale contre l'Etat capitaliste, peuvent permettre au prolétariat mondial de retrouver le chemin de la révolution prolétarienne.
L'isolement de notre fraction devant les événements d’Espagne
Extraits ("Bilan" n° 36, OCT. NOV. 36)
A l!heure actuelle, selon l'enseignement des bolcheviks après 1914, nous tentons vainement de repérer les rares îlots marxistes qui devant le déchaînement de la guerre en Espagne, la vague mondiale de trahison et de revirement brusque, tiennent bon et malgré la meute enragée des traîtres d'hier et d'aujourd'hui, continuent à proclamer leur fidélité à l'action d'indépendance du prolétariat pour la réalisation de son idéal de classe.
Combien sont-ils ? Où sont-ils ? C’est là des problèmes auxquels les faits se chargent de répondre avec un laconisme sinistre. Il semble que tout a sombré et que nous vivions une lamentable époque de faillite de tout ce qui subsistait comme éléments révolutionnaires.
Notre isolement n'est pas fortuit : il est la conséquence d'une profonde victoire du capitalisme mondial qui est parvenu à gangrener jusqu'aux groupes de la gauche communiste dont le porte-parole a été jusqu'à ce jour Trotsky. Nous ne poussons pas la prétention jusqu'à affirmer qu'à l'heure actuelle nous restons le seul groupe dont les positions aient été confirmées sur tous les points par la marche des événements, mais ce que nous prétendons catégoriquement c'est que, bien ou mal, nos positions ont été une affirmation permanente de la nécessité d'une action indépendante et de classe du prolétariat. Et c'est sur ce terrain que s'est précisément vérifiée la faillite de tous les groupes trotskystes et semi-trotskys-tes.
A aucun prix et sous aucun prétexte nous ne voulons nous départir d'un critère de principe pour repérer les groupes avec lesquels il faut rechercher un terrain de travail commun et avec lesquels il faut constituer un centre de liaisons internationales en vue de jeter les fondements programmatiques de cette internationale que la vague réellement révolutionnaire de demain nous permettra de fonder. Ce critère consiste à rejeter impitoyablement ceux que les événements eux-mêmes ont liquidé ou qui agissent ouvertement sur le terrain de l'ennemi en tenant bien compte que tout accord avec ces catégories d'opportunistes sur le terrain où le prolétariat doit être d'une intransigeance brutale : le terrain de la formation des partis, peut compromettre pour toujours l'avenir de la classe ouvrière.
Ni en France, ni en Belgique les deux partis trotskystes ne représentent des organismes de la vie et de la lutte du prolétariat. Ici la base programmatique pour le nouveau parti est remplacée par la lutte entre le clan Naville et le clan Molinier et au moment où se déchaîne en France la vague des batailles grévistes de Juin, le nouveau parti se crée sur un compromis et avec des positions où l'aventurisme et la démagogie deviennent programme (armement des ouvriers, création de milices armées etç.) Après ces événements, c'est la liquidation du clan Molinier et ce seront les événements d'Espagne où -malgré l'avertissement de Trotsky traitant Nin de traître- l'on marche à toute peur derrière le POUM.
En Belgique, où le caractère ouvrier des groupes trotskystes est de loin plus accentué qu'en France, sous l'impulsion de Trotsky, c'est la rentrée dans le P.O.B. à laquelle résiste le groupe de Bruxelles, non pour des raisons de principe mais pour des considérations de "tactique" (en France la rentrée était justifiée mais pas en Belgique etc.). Au sein du P.O.B., c'est l'alliance des trotskystes orthodoxes avec l'ex-gauche du Ministre Spaak, décapitée de son chef et remplacé par Walier Bauge. Les circonstances où l'exclusion de "l'Action Socialiste Révolutionnaire" se situe, ne sont pas très brillantes : il s' agit d'une affaire électorale où le P.O.B. décida d'enlever Bauge de la liste de ses candidats à moins que ce dernier veuille n'accepter des conditions qui l'auraient liquidées comme gauchiste. Après des tentatives de marchandages la scission eut lieu et après les élections ce fut la campagne pour la création d'un parti socialiste révolutionnaire qui vient de se fonder avec le groupe Spartacus de Bruxelles. Au sujet de l'Espagne, c'est la même position qu'en France : L'envoi d'armes en Espagne, la lutte contre la neutralité, l'envoi de jeunes ouvriers sur les champs de bataille d'Espagne, etc .... II est donc évident qu'avec les groupes trotskystes le fossé antérieur a été transformé par les événements de l'Espagne en un gouffre qui est en réalité celui qui existe entre ceux qui luttent pour la révolution communiste et ceux qui se sont incorporés des idéologies appartenant au capitalisme.
Mais déjà l'année passée, au Congrès de notre fraction, nous avions exprimé notre inquiétude devant l'isolement de la fraction et avions passé en revue ceux qui auraient pu être sollicités pour un travail commun. Nous avions d'abord rejeté les propositions du groupe américain de la Class Struggle voulant convoquer une Conférence Internationale pour y élaborer, le programme d'une Nouvelle Internationale. Nous y avons opposé la notion plus sérieuse de la constitution d'un centre de liaisons avec ces groupes se revendiquant du deuxième Congrès de l'IC ,ayant rompu avec Trotsky et proclamant la nécessité de passer au crible de la critique tout le bagage de la révolution russe.
Notre proposition n'eut pas de suite et nos rapports restèrent ce qu'ils étaient avec tous les autres groupes. En Belgique les rapports avec la Ligue des Communistes Internationalistes restèrent empreints d'un désir mutuel de discussion et de confrontation et c'est bien là le seul endroit où notre fraction ait rencontré un désir d'oeuvrer dans une direction progressive. Aujourd'hui encore, c'est au sein de la Ligue que s'élèvent les seules voix internationalistes qui osent se faire entendre dans la débâcle espagnole et c'est pour nous une joie réelle de pouvoir saluer publiquement ces camarades qui restent fidèles aux bases mêmes du marxisme.
La majorité des camarades de la Ligue ([1]) ont des divergences profondes avec notre fraction, mais l'entente, y compris pour un centre de liaison, reste toujours du fait que la Ligue comme notre fraction évolue sur le terrain de classes du prolétariat et que dans cette direction aucune rupture ne s'est encore vérifiée dans les documents programmatiques de la Ligue.
En France, il est temps de faire un bilan sommaire de nos tentatives d'arriver à réaliser un accord avec des groupes de militants révolutionnaires.
Si aujourd'hui, se vérifie la faillite de l'Union Communiste ce n'est pas un hasard mais le fait que ce groupement a refusé, malgré nos multiples invitations et nos avertissements, à s'engager dans la voie réelle et historique où se forgent les cadres que le prolétariat aura besoin pour fonder, dans les situations de demain son parti de classe. Conglomérat de tendances opposées, l'Union n'a jamais voulu emprunter la voie de la délimitation idéologique et ses positions politiques n'ont été qu'un éternel compromis entre le trotskysme orthodoxe et des tentatives confuses de se dégager des formules de ce dernier. Au moment des événements de juin, l'Union s'est effondrée et une partie de sas membres a rejoint le parti des trotskystes. A cette époque nous sommes intervenus en France afin de déterminer les camarades de l'Union à faire de cette nouvelle scission le signal d'une délimitation programmatique. A ce moment nous avons proposé l'organisation de réunions de confrontation entre différents tronçons communistes (y compris l'Union) en insistant pour que chacun d'eux envisage d'y apporter sa contribution politique spécifique, justifiant son existence comme groupe indépendant afin de permettre aux ouvriers de s'orienter dans le maquis qu'est aujourd'hui le mouvement ouvrier en France. Ici aussi, nos tentatives se sont heurtées à l'impossibilité pour tous ces groupes de faire le moindre pas et à leur volonté d'exprimer fidèlement le cours de dégénérescence du prolétariat français mais non la réaction de ce dernier. Les événements espagnols ont nettoyés ici également. Ils ont montrés les débris de l'Union Communiste emboîter le pas au POUM et défendre plus ou moins les positions des groupes trotskystes. Nous ne doutons pas un seul instant qu'au sein de ce qui subsiste de l'Union pourraient se trouver des militants qui veulent rester fidèles au marxisme internationaliste. Mais si à la faveur des massacres de la Péninsule Ibérique ils n'arrivent point à se dégager de l'ornière et a préparer leur rupture avec le passé et les bases de leur Union, ils seront perdus pour la cause prolétarienne.
Nous déclarons ouvertement que nous nous sommes trompés sur l'éventualité d’un travail de clarification qui aurait pu être effectué avec l'UNION Communiste. Ses positions plus ou moins déclarées sur l'Espagne nous obligeront à maintenir à son sujet la même attitude qu'en vers d' autres groupements que nous rencontrons.
Il ne serait pas inutile de passer en revue ce qui existe en Espagne comme force de classe du prolétariat. A ce sujet nous refusons d'admettre le POUM autrement que comme un obstacle contre-révolutionnaire de l'évolution de la conscience des travailleurs.
On sait tout d'abord que les trotskystes espagnols refusèrent d'entrer dans le parti socialiste, comme le demandait Trotsky, mais ce fut pour sauter dans le parti opportuniste de Maurin, le Bloc Ouvrier et Paysan. Il convient aussi de reprocher au POUM (résultat de ce mariage politique) son régionalisme catalan qu'il baptise de marxiste au nom du droit d'auto-détermination des peuples. Cela lui a permis d'entrer dans un gouvernement d'Union Sacrée en Catalogne sans même se préoccuper de Madrid (tout comme la CNT d'ailleurs). Enfin, il ne faut pas oublier que le POUM est membre du Bureau de Londres où se trouve l'Indépendant Labour Party; qu'il travaille avec la gauche du parti socialiste français (Pivert, Collinet et cie) : qu'il est en étroite liaison avec les maximalistes italiens de Balabanova et le groupe de Brandier qui, tout en restant pour le redressement de la troisième internationale et la défense de l'URSS, a décidé de donner toute son aide au POUM.
Le POUM ne sait jamais bien dégagé des partis de l'Esquerra Catalane avec lesquels, au nom du front unique avec la petite bourgeoisie, il a fait toutes les compromissions. Dès le 19 juillet le POUM s'est lié à la Généralité comme les autres organisations de la Catalogne et c'est sans heurts qu'il est passé de sa revendication confuse : Assemblée Constituante appuyée sur des Comités d'Ouvriers et de Soldats et pour un gouvernement ouvrier, à la participation du gouvernement de la Généralité qui n'est pas précisément "ouvrier".
Toutes les tendances du POUM, celle de Gorkin (qui n’est que le continuateur de la politique de Maurin), de Nin, d'Andrade, gravitent autour du même axe politique sans s'opposer fondamentalement dans leurs divergences. Nous ont participé à 1étranglement de la bataille de classe des prolétaires espagnols par l'organisation des colonnes militaires et si Andrade s'est différencié dans l'organe du POUM de Madrid par sa phraséologie pseudo-marxiste, en réalité il a soutenu dans ses grandes lignes toute la politique de collaboration de classe de la direction centrale du POUM. Les trotskystes espagnols ont voulu concrétiser la notion "Léniniste" (?) consistant à entrer dans un parti opportuniste afin de le conquérir, à des positions révolutionnaires. Le résultat a été la transformation des dirigeants de l'ancienne gauche communiste en des traîtres avérés à la cause du prolétariat. Ce n'est pas un hasard si M.Nin est aujourd’hui Ministre de la Justice en Catalogne où il appliquera la justice "de classe" sous l'égide de M. Companys. Nin a oublié sa parenthèse "Trotskyste" de la Russie et il est redevenu le bonze de L'I.SR. qu'il était auparavant. Quant à la gauche d'Andrade, ce n'est pas non plus un hasard si elle s'est associée à la campagne militaire du POUM et si elle nous désigne autant que les Nin et Gorkin, comme des contre-révolutionnaires qui osent dénoncer la duperie monstrueuse et criminelle dont les ouvriers espagnols sont les victimes. Le POUM est un terrain où agissent les forces de l'ennemi et aucune tendance révolutionnaire ne peut se développer en son sein. Le même que les prolétaires qui veulent retrouver leur chemin de classe doivent s'orienter vers un bouleversement radical de la situation en Espagne et opposer aux fronts territoriaux leurs fronts de classe, de même, les ouvriers espagnols qui veulent oeuvrer pour jeter les bases d'un parti révolutionnaire, doivent tout d'abord briser avec le POUM et opposer au terrain capitaliste où il agit, le terrain de la lutte spécifique du prolétariat. Les Andrade et Cie représentent ceux qui lient les ouvriers plus avancés à la politique contre-révolutionnaire du POUM et par là même il s'agit non de les accréditer par des appuis politiques, mais il faut les dénoncer avec vigueur.
Il n’entre donc nullement dans les intentions de notre fraction de réaliser le moindre accord politique avec qui que ce soit du POUM (à ce sujet nous rappelons que la minorité de notre organisation se réclame de positions différentes) ou de considérer la nécessité d'appuyer la soi-disant gauche du POUM. Le fait est que le prolétariat de la péninsule ibérique a encore à jeter les fondements pour créer les bases d'un noyau marxiste et ce dernier ne se constituera pas par des manoeuvres "révolutionnaires" avec les opportunistes, mais en appelant les ouvriers à agir sur des bases de classe, indépendamment de toute influence capitaliste, en dehors et contre les partis agissant pour le compte de la bourgeoisie, tels le POUM ou la FAI qui ont réalisé 1!Union Sacrée la plus étroite avec la gauche républicaine et le Front Populaire.
Ainsi, l’on constatera que tant en Espagne, que dans les autres pays ne s'effectue pas un effort politique dans une direction historique analogue à celle que les prolétaires italiens ont tracé au cours de plusieurs années de guerre civile contre le fascisme et que notre fraction, avec ses forces restreintes, voudrait exprimer. Nous sommes profondément conscients de l'impossibilité de bouleverser cette situation internationale, qui n'est que le reflet d'un rapport de force entre les classes défavorables au prolétariat, par des propositions de création d'Internationales ou par des alliances avec des opportunistes du type trotskystes ou poumistes. Si la défense du marxisme révolutionnaire signifie aujourd'hui l'isolement complet, nous devons l'accepter en considérant que nous ne ferons, dans ce cas, qu'exprimer l'isolement terrible du prolétariat, trahi par tous et jeté dans l'anéantissement par tous les partis se réclamant de son émancipation. Nous ne dissimulons pas les dangers qui peuvent découler de cette situation pour notre organisation qui sait parfaitement qu'elle ne possède pas le summum de la connaissance marxiste et que les mouvements sociaux de demain en remettant les prolétaires sur leur terrain de classe, redonneront seulement sa véritable puissance au marxisme révolutionnaire et aux organismes qui s'en réclament, notre fraction y comprise.
Brèves leçons "espagnoles"
Il y a quarante ans, .le 19 juillet .36, les prolétaires espagnols, avec leurs poings nus, se jettent en travers le Pronunciamiento des batailles franquistes. Qu'ils furent capables de cet élan, sans mot d'ordre ni directives des organisations de masse révéla de quel farouche instinct de classe ils étaient capables. Ils constituent alors, une force autonome tendant à se défaire des liens idéologiques avec l'Etat. Au soir de ce jour mémorable, la classe ouvrière créa spontanément ses organes de lutte : la milice Ouvrière englobant en son sein l'ensemble des exploités indépendamment des divisions corporatives et syndicales et de la différence de maturité politique de chaque milicien,, En ce sens elle constitue la seule conquête et l'arme matérielle du prolétariat lors de ces journées qui virent la centrale CNTiste engager les travailleurs à reprendre le travail sous les hospices de la République "sociale", celle la même qui précédemment les avait massacrés et équipés de pieds en cap ces mêmes bataillons de "factieux".
Le prolétariat espagnol s'est montré capable de stopper le soulèvement franquiste mais aussi trop faible pour s'emparer du pouvoir, pour conserver et développer ses propres organes de lutte. Et entre cette impuissance et la situation mondiale existe un intime rapport de cause à effet. En 36, les procès de Moscou jettent les dernières pelletées sur le cercueil, de la révolution mondiale. Les salves des pelotons qui exterminent le dernier carré de bolchevik sont assourdies par les tintamarres antifascistes.
De quelle Révolution sociale s'agit-il quand le critère international fait complètement défaut, quand l'Etat reste debout ? Dans ces conditions c’est répandre le mensonge que d'expliquer l’échec par des références à la "trahison" des dirigeants anarchistes ; à la "non-intervention" de Daladier et de Chamberlain (sic) ou d'accuser le POUM de ne pas avoir été à la hauteur ; seul la lutte ou s’allier avec les fractions de la bourgeoisie. Ici., il prit la seconde voie entraîné par les chefs anarchistes guéris, comme par enchantement, de leur phobie de toute "politique". De guerre de classe contre l'ennemi capitaliste, sa propre lutte se transforma .en conflit mettant aux prises deux fractions de la bourgeoisie : la démocratique et la fasciste. Au lieu de marcher résolu sur le chemin du défaitisme révolutionnaire, à l'exemple de l'Octobre victorieux, il servait de chair à canon aux appétits de Franco ou aux instincts de survie du gouvernement Négrin-Gaballero.
Le militant qui avait avec une petite poignée d'internationalistes, levé le drapeau du défaitisme révolutionnaire dans la première boucherie mondiale, Trotsky, trouvait le chemin du parjure. A ses partisans espagnols, il inculqua les idées de la défense de la démocratie, fut-elle pourrissante, sous couvert que cette dernière conserve sur le fascisme l'avantage de permettre au prolétariat sa liberté de mouvements. Sous la plume des uns et des autres, ce qui revient comme un lancinant leitmotiv c'est le maintien des forces antifascistes pour assurer la victoire militaire du gouvernement légal. Reprenant un par un les numéros de "la Batalla", de "Solidaritad Obrera", de""Mundo Obrero" : il est impossible de les lire sans une nausée de dégoût. Tous en sont venus à conclure une alliance complète avec la bourgeoisie tous se sont mis à plat ventre devant l'Etat militariste. Le "marxisme" d'Union Sacrée, le POUM, ne rougit pas de caractériser le gouvernement républicain comme expression de la volonté de lutte des masses laborieuses ; les anti-étatistes de la CNT-FAI ne rechignent pas à endosser la livrée de domestiques qui fera d-eux l'alter ego du stalinisme : "D' abord la guerre (impérialiste s'entend) ensuite le pain! ". C'est grâce à eux, si l'Etat put rassembler entre ses mains criminelles les fils, un moment rompus, de son contrôle sur la classe et ses organes de lutte.
Mais parce qu’à l’époque de la décadence aucune étape intermédiaire ne peut s'intercaler entre la dictature de la bourgeoisie et celle du prolétariat, durant ce dernier se présente un dilemme insoluble sur le terrain national : ou poursuivre seul la lutte ou s'allier avec les fractions de. la bourgeoisie. Ici., il prit la seconde voie entraîné par les chefs anarchistes guéris, comme par enchantement, de leur phobie de toute "politique". De guerre de classe contre l'ennemi capitaliste, sa propre lutte se transforma en conflit mettant aux prises deux fractions de la bourgeoisie : la démocratique et la fasciste. Au lieu de marcher résolu sur le chemin du défaitisme révolutionnaire, à l'exemple de l'Octobre victorieux, il servait de chair à canon aux appétits de Franco ou aux instincts de survie du gouvernement Négrin-Caballero.
Le militant qui avait, avec une petite poignée d'internationalistes, levé le drapeau du défaitisme révolutionnaire dans la première boucherie mondiale, Trotsky, trouvait le chemin du parjure. A ses partisans espagnols, il inculqua les idées de la défense de la démocratie, fut-elle pourrissante, sous couvert que cette dernière conserve sur le fascisme l'avantage de permettre au prolétariat sa liberté de mouvement. Sous la plume des uns et des autres, ce qui revient comme un lancinant leitmotiv c'est le maintien des forces antifascistes pour assurer la victoire militaire du gouvernement légale Reprenant un par un les numéros, de "la Batalla", de "Solidaritad Obrera" de""Mundo Obrero" : il est impossible de les lire sans une nausée de dégoût. Tous en sont venus à conclure une alliance complète avec la bourgeoisie, tous se sont mis à plat ventre devant l'Etat militariste. Le "marxisme" d'Union Sacrée, le POUM, ne rougit pas de caractériser le gouvernement républicain comme expression de la volonté de lutte des masses laborieuses, les anti-étatistes de la CNT-FAI ne rechignent pas à endosser la livrée de domestiques qui fera d'eux l'alter ego du stalinisme : "D’abord la guerre (impérialiste s'entend) ensuite le pain"? C'est grâce à eux, si l'Etat put rassembler entre ses mains criminelles les fils, un moment rompus, de son contrôle sur la classe et ses organes de lutte.
A partir de l'instant où le prolétariat se laissa tirer hors de son terrain de classe, le capitalisme trouvait la voie libre menant au massacre. Défendait-il des positions fondamentales pour sa montée révolutionnaire ou des conquêtes de carton pâte qu'étaient les réformes agraires et le contrôle ouvrier sur la production ? Tout nous oblige à affirmer qu'en croyant écraser l’hydre fasciste sous la direction d'un gouvernement républicain, les prolétaires espagnols furent rapidement et plus complètement conduits à la défaite. Pendant que, de toutes parts, on courrait sus à la bête fasciste (avait-elle surgie des flans putrides de la bourgeoisie sénile ou du cerveau enfiévré de l'état-major militaire félon?) le capitalisme pouvait célébrer ses noces de sang en dansant la sarabande sur le corps de centaines de milliers de "rouges" et de "hoirs". Franco monta au pouvoir et se tint à l'écart de la deuxième guerre impérialiste dont l'Espagne, comme le conflit sino-japonais et les opérations militaires italiennes d'Abyssinie ne fut qu'un épisode scellé du sang de la multitude. Faites encore une fois au nom des principes humanistes et démocratiques celles-ci devait transformer toute la production du temps de paix en production de cadavres humains comme cela ne s'était encore jamais vu.
La guerre permit, dès que les brigands impérialistes eurent signé l'acte diplomatique mettant fin aux hostilités, à la bourgeoisie d'entreprendre de relever le monde de ses ruines fumantes. Ce fut au prix de la pire exploitation et d'indicibles privations que l'ordre capitaliste put se remettre de sa terrible blessure, toutes choses que la bourgeoisie présenta comme oeuvre humanitaire. Au nom de l'humanité je fais des ruines, au nom de l'humanité je les reconstruis, ainsi vogue la galère capitaliste jusqu'à ce qu'elle se brise sur l'écueil du prolétariat.
En ce moment même, un nouvel acte de la lutte mondiale du prolétariat contre la société capitaliste se joue sur la scène espagnole, et précipite la marche des événements. Loin de pouvoir signifier cette stabilisation du système, la mort de Franco, qui avait pris appui sur l'église comme point le plus stable pour asseoir sa dictature, a ouvert pour l'Espagne une nouvelle ère d'instabilité.
Ces dernières dizaines d'années de reconstruction avaient apporté de profonds changements dans la structure économique espagnole. Profitant des possibilités offertes par une haute conjoncture, la bourgeoisie espagnole développa et concentra son appareil productif. De nouveaux centres, des secteurs flambant neuf ont surgi d'un sol fertilisé par la pluie de monnaies fortes que déversaient généreusement les nations occidentales. Mais à cette haute conjoncture d'après-guerre a succédé la dépression mondiale des activités industrielles et du courant d'échange commercial. Si l'on désire soutenir l'activité industrielle, alors il faut obtenir les marchés indispensables. Or, l'économie mondiale ne vit plus aujourd'hui qu'à l' air vicié du protectionnisme. Pour l'Espagne le retournement de situation se concrétise par une chute des commandes.
Malgré le soutien actif qu'apportent, en premier lieu, la puissance américaine et l'Europe des neuf à l'économie espagnole dans l'attente de l'intégrer complètement dans la communauté atlantique, la bourgeoisie s'avère avec Juan Carlos, incapable d'assumer une transition en douceur vers l'après-franquisme. Par suite, ce même capitalisme assez infatué de sa personne pour croire que certaines de ses usines allaient éclipser les plus proches rivales, françaises et italiennes, se présente au prolétariat sous la réalité hideuse de la faim, de la baisse des salaires, de l'insécurité matérielle et de la violence d'Etat. La fausse perspective de l'amélioration continuelle du niveau de vie des travailleurs en régime capitaliste, la théorie de l'aplanissement des contrastes de classes présentés triomphalement par les "dépasseurs" du marxisme, a vécu.
La classe ouvrière dut payer d'un lourd tribut les progrès d'une industrialisation qui fit enregistrer à l'Espagne des taux de croissance, dans la décennie précédente, supérieurs à 10%, et en outre, se satisfaire de recevoir une part insignifiante de son labeur. Maintenant, elle doit non seulement retrousser ses manches, mais aussi faire sienne la politique de réconciliation nationale.
La vie politique est un marais duquel montent les relents pestilentiels de la décadence. Qui pouvait penser que staliniens et monarchistes s'allieraient un jour ? Qui pouvait prévoir que les fiers rebelles anarchistes rentreraient sans vergogne dans les syndicats verticaux pour pouvoir "faire jouer, le corporatisme en faveur des ouvriers" ? Mais l'étonnement n’est pas de mise chez ceux qui ouvrent les yeux et font parler l'histoire. Toutes les fractions de la bourgeoisie peuvent se rassembler dans une union sacrée pour sauver leur économie, elles ne réussiront pas pour autant à contrôler les antagonismes de classe. Ce dont il est question aujourd'hui, c'est l'épuisement historique de la bourgeoisie, son impuissance à résoudre un problème la dépassant de plusieurs têtes : la contradiction toujours plus explosive entre le développement des forces productives et la forme d'organisation sociale.
La classe ouvrière en Espagne n'a pas voulu se laisser mettre à genou et du coup renoncer à sa lutte. Dès avant même la fin "du prodige espagnol", emporté comme un fétu de paille par le souffle de la crise mondiale, de nombreux foyers d’incendie social se sont allumés dans la plupart des centres économiques du pays. Il était courant de voir cette détermination se matérialiser non seulement par l'arrêt de travail, mais aussi par des émeutes de rues, intrépide comme toujours, bravant les balles de la Guardia Civil, le prolétariat espagnol s'est lancé, vers les années 60, résolument dans la lutte. Ces dernières semaines, des centaines de milliers de grévistes ont marqué d’une empreinte indélébile la vie sociale espagnole. Pour la bourgeoisie, les sacrifices sont difficiles à faire accepter au prolétariat. La grève devait éclater avec un maximum de puissance quand le gouvernement d'Arias Navarro se mit fâcheusement en tête de bloquer les salaires tout en augmentant la durée du travail. A partir de la grève du métro de Madrid, d'anneau en anneau, la chaîne de solidarité de classe s'est forgée au feu de la lutte contre les réquisitions de grévistes et l'intervention de la troupe. Le mouvement, de lui-même, prenait son caractère politique. Les dockers de Barcelone, les électroniciens de la Standard à Madrid, les employés de banque à Valence et Séville n'avaient qu'à se montrer sur leur propre terrain pour causer l'insomnie du gouvernement et de l'opposition qui aspire à s'y installer avec un minimum de remous sociaux.
Sur cette scène politique qui réfracte l'impossible essor du capitalisme dans de violents soubresauts, l'héroïque prolétariat espagnol tient le premier plan. De nouveau lui que les "novateurs" et autres "dépasseurs" du marxisme tenaient pour une classe non révolutionnaire? Lui que le système croyait avoir domestiqué avec les miettes de la fameuse prospérité, se bat.
Cette combativité le place à l'avant-garde du mouvement mondial de la classe. Alors que, du fait de son tragique isolement au point de vue international dans les années 30, chaque bataille du prolétariat en Espagne devenait une hécatombe, cette fois-ci, il constitue le détachement avancé de l'immense armée prolétarienne qui, aussi bien à l'est qu'à l'ouest, a relevé la tête. Représentant l'un des enjeux les plus décisifs pour la lutte de classe dans le monde, la situation en Espagne nous permet de comprendre l'ampleur des efforts faits par la bourgeoisie internationale pour dresser les derniers remparts à son ordre.
Le prolétariat a ressurgi sur un terrain devant lui permettre d'orienter les événements vers leur issue révolutionnaire. Ce terrain, c'est son indépendance de classe, cette issue, c'est la prise du pouvoir politique. De cette capacité à tenir en mains son drapeau arboré depuis ses premiers assauts au ciel dépend la possibilité pour l'humanité toute entière de sortir de l'ornière dans laquelle elle croupit depuis 3/4 de siècle.
Les ennemis et leurs armes
Face aux grèves qui se sont développées comme une traînée de poudre, malgré la ferme vigilance des commissions ouvrières à assurer une paisible transition, les formations de gauche usent toute leur science. Elles essaient de dévier la riposte ouvrière et de faire que celle-ci soit rabaissée à devenir une "force tranquille", tentant de transformer la conscience ouvrière en vulgaire "opinion publique".
Les staliniens, les sociaux-démocrates, avant la victoire militaire de Franco terrorisaient les travailleurs. Donnez-vous corps et âme aux nécessités de la lutte contre le fascisme et nous vous abattrons comme des chiens! Et, ils ne se privèrent pas d'utiliser l'appareil d'Etat contre le prolétariat. En Mai 37 la canaille stalino-réformiste brisa, par les armes, l'ultime bataille livrée par le prolétariat de Barcelone et des banlieues ouvrières, pour lui ôter jusqu'à l'envie de déclencher la grève dans les secteurs présentés comme conquêtes révolutionnaires. A nouveau, ils viennent demander aux travailleurs de se montrer "responsables" dans le respect des lois. Toute volonté de lutte autonome, toute action indépendante de la classe est comme l'intrusion d'un éléphant dans un magasin de porcelaines. La sainte alliance nouée par les vieux chevaux de retour, staliniens, poumistes, socialistes, anarchistes, a pour fonction d'étouffer dans l'oeuf ce qui fait la force du prolétariat.
Chaque mot d'ordre démocratique, chaque revendication transitoire pousse le prolétariat à la soudure avec l'aile gauche de la bourgeoisie espagnole. Les Gauchistes jouent le rôle de la mouche et du coche. Les staliniens respecteront-ils le verdict des urnes quel qu'en soit le résultat, les trotskystes le respecteront aussi pour ne pas se couper des masses. Les staliniens feront-ils rentrer les ouvriers dans les usines qu'ils auront désertées pour descendre dans la rue, les trotskystes appèleront à ne pas donner prise à la "réaction" qui n'attend qu'un prétexte pour réprimer. Dans tous les cas, on marque son intention à garantir à la bourgeoisie la paix sociale par l'encadrement de masses toujours plus grandes de prolétaires en éveil.
Que le capitalisme ne puisse plus gouverner dans le cadre de l’autoritarisme franquiste, c'est ce que nous démontrent l'assouplissement de la procédure "sumarisimo" et les amendements apportés à la loi anti-terroriste de l'été 75. La bourgeoisie espagnole doit aller vers le nécessaire changement politique. L'enveloppe démocratique dans un pays où 3 décennies et un lustre a régné un autocrate à poigne est toute indiquée pour servir de paratonnerre capable de capter l'électricité sociale. Dans ce pays, les sentiments anti-franquistes sont à vif et, les mots d'ordre de "conquête des droits démocratiques" revêtent une importance exceptionnelle pour dupés la masse ouvrière. On légalisera les partis démocratiques, on convertira la CSN en véritables syndicats représentatifs", pour reculer le plus possible l'affrontement direct avec la classe ouvrière.
Que celle-ci ne s'y trompe pas et : prenne garde de tous ceux qui se servent du miroir aux: alouettes démocratique. L'Etat, quel que soit sa constitution restera la machine d'oppression de la classe ouvrière. Lorsque celle-ci franchira une nouvelle étape la conduisant à la prise du pouvoir, cet Etat "épuré" fera couler le sang des ouvriers qui auront su retrouver le chemin de l'insurrection armée.
Les sirènes démocratiques font beaucoup de bruit comme s'il s'agissait d'un véritable embarquement pour cette île où pousse en abondance l'arbre à pain. Cette démocratie formelle n'est rien d'autre que la dictature bourgeoise déguisée. Plus la coquette est décrépite, plus elle use de fards et de maquillage. Ainsi, des mêmes armes séductrices usent la bourgeoisie en pleine décadence. C'est vrai : comme les Thugs indous, Franco pratique largement le meurtre d'Etat par garrottage. Mais la République espagnole que fit-elle pendant son interrègne ?
A chaque dictature, tombât d'elle-même telle un fruit pourri, a correspondu une concentration supérieure des forces de la bourgeoisie pour préparer l'écrasement physique de la classe ouvrière. De 1931 à 36, le gouvernement de la République sociale mitrailla, bombarda, déporta dans ses pénitenciers africains des fournées entières d'ouvriers rebelles. Il conserva quasi intégralement l'héritage policier et l'appareil judiciaire de la dictature de Primo de Rivera. Très vite, la coalition des républicains et socialistes dans le gouvernement d'Azana donna sa pleine mesure. Les 114 députés socialistes aux Cortès Constituantes couvrirent tous les crimes du cannibalisme libéral. De cette interminable série d'assassinats légaux perpétrés au nom de la"démocratie" il y a Arnido et il y a Casas Viejas. Plus horrible encore fut, la répression dans les Asturies. Requêtes, regulores et légionnaires du "Tercio" plongèrent les mineurs d’Ovièdo et les travailleurs de Giron dans un bain de sang avec la bénédiction de l'église. C'est cette république qui donna toute licence à sa soldatesque pour porter la terreur sur les cités ouvrières et c'est elle qu'appellent aujourd'hui tout le ramassis de "gauche" et de "gauchistes".
Quinze ans plus tôt, à son premier Congrès, l'I.C. honorant les victimes de la Terreur Blanche avivée par les campagnes de calomnie des sociaux démocrates contre le pouvoir des Soviets devait déclarer :
"Dans sa lutte pour le maintien de l'ordre capitaliste, la bourgeoisie emploie les méthodes les plus inouïes, devant lesquelles pâlissent toutes les " cruautés du moyen âge, de l'inquisition et de la colonisation."
Héritier au travers des Fractions issues de la Troisième Internationale d'un programme communiste cohérent, le CCI. estime devoir réaffirmer que l'avènement d'une république espagnole élue au suffrage universel ne créera nullement les conditions constitutionnelles favorables au prolétariat. Au contraire, l'érection de celle-ci résultera du besoin d'opérer la répression à l'abri de règles juridiques et de lois"légales" puisque voulues par la majorité du "Peuple". En tant que planche de salut du capitalisme -mais planche pourrie- il est dans la logique que les partis "démocratiques" se présentent avec des paroles endormeuses sur le "compromis nécessaire" et sur "l'unité antifasciste". S’opposer à eux les dénoncer pour ce qu'ils sont des étrangleurs de grèves, des massacreurs de soulèvements ouvriers, voilà une des premières attitudes politiques à adopter.
Le prolétariat en Espagne s'est donné avec fougue à la Révolution, mais la bourgeoisie, elle, a donné le ban et l'arrière ban de ses avocaillons, de ses journaleux, de ses parlementaires et de ses agents autonomistes pour le réduire à l'impuissance.
C'est avec un relief tout particulier que les expériences en Espagne contiennent leurs enseignements politiques. La tragédie espagnole doit guider le combat d'aujourd'hui et servir d'avertissement au prolétariat mondial. La classe doit s’emparer d'abord du pouvoir politique parce que, à l'inverse des autres classes révolutionnaires du passé, elle ne dispose d'aucune assise économique au sein de la société. Telle est la condition "sine qua non" du procès de socialisation des forces productives. Nécessité vitale de la lutte, les grèves ne sont que le point de départ pour affranchir complètement la classe ouvrière la destruction de l'Etat.
R.C
[1] Le courant représenté par le camarade Hénnaut, combat énergiquement nos positions mais sans verser dans un interventionnisme du type trotskyste.
I - "Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde.
Elles ne sont que l'expression générale des conditions réelles d’une lutte de classes existante, d'un mouvement historique qui se déroule sous nos yeux." Marx Engels, Le Manifeste du Parti Communiste, 1847.
II - Depuis plus de 50 ans, sévit la contre-révolution masquant et falsifiant systématiquement toute expression théorique défendant les intérêts historiques du prolétariat. Ce voile de distorsion a évidemment recouvert toutes les questions centrales du marxisme : théorie du devenir historique de la classe ouvrière. La question aussi primordiale, pour les révolutionnaires, du mouvement animant la classe ouvrière et le Parti - organisation des révolutionnaires défendant les positions de classe - s'est vu caricaturé – dénaturé -, soit par la version Léniniste, soit par celle anti-léniniste, méconnaissant toutes deux le fondement même de ce mouvement –classe – parti - : « Le processus de prise de conscience ».
III - La compréhension du « comment la classe ouvrière prend conscience de sa tâche historique », c’est-à-dire, comment le prolétariat se constitue en classe unie, est bien au centre de la compréhension du rôle des révolutionnaires.
IV - Pour nous, marxistes, la conscience du prolétariat est la conscience de « ce qu'il est » dans le mode de production et donc ce qu'il sera contraint d’effectuer : la révolution communiste.
Cette conscience "de ce qu'il est", il ne peut l'obtenir que lui même, au travers de sa lutte de classe quotidienne, au travers de sa praxis.
V – C’est par la place de créateur d'une valeur nouvelle que le prolétariat occupe dans le processus de production capitaliste, qui il est le seul à pouvoir prendre conscience collectivement (en tant que classe) de ses intérêts et de son devenir.
"Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience." Marx, Avant-propos à la Critique de l'économie politique, 1859.
VI - Le processus de prise de conscience de la classe ouvrière - le passage de celle-ci de classe en soi, en classe pour soi – est un processus nécessairement -collectif parce que cette classe effectue dans la production capitaliste un travail associé nécessitant la participation d’une collectivité de travailleurs. Les ouvriers ne peuvent défendre que collectivement leurs intérêts parce que ceux-ci ne sont que des intérêts collectifs.
VII _ La révolution communiste, contrairement à toutes les révolutions antérieures ne peut être accomplie que par une classe hautement consciente de sa tâche historique car la classe ouvrière ne dispose pour cette révolution d'aucune assise économique dans la société capitaliste. Ses seules armes sont sa conscience de classe et l'organisation qu'elle se donne pour réaliser ses buts.
VIII - La constitution du prolétariat en classe consciente et unie est déclenchée par la conjonction d'un certain nombre de facteurs objectifs agissant comme catalyseurs. Parmi eux figure certainement la contrainte économique qui est indispensable mais insuffisante au processus de prise de conscience.
Toute l'histoire du mouvement ouvrier nous montre que si cette contrainte économique est nécessaire, elle doit s'exercer dans le cadre de la période de décadence du système, c'est-à-dire en période où celui-ci peut matériellement être détruit.
IX - L'intervention des révolutionnaires, organisée d'abord en fraction internationale et ensuite en parti mondial a pour rôle de diffuser les expériences passées de la classe ouvrière et de prévoir (à partir de ces expériences et de l’analyse socio-économique) les perspectives futures. Et, par ce rôle, l'intervention des révolutionnaires est, elle aussi, un facteur actif dans le déclenchement du processus de prise de conscience par et pour la classe, ainsi que dans la généralisation de cette conscience (Tâche nécessaire car la conscience de classe n'est jamais un phénomène homogène).
X - Les fractions communistes se situant en accord pratique et théorique avec les positions de classe ("programme communiste") ont la responsabilité devant le prolétariat de tendre à s'organiser à l'image de celui-ci de manière unifiée et centralisée au niveau international en vue de constituer un pôle révolutionnaire cohérent (fraction, courant communiste international).
XI - Une fois ce pôle révolutionnaire constitué, celui-ci doit se transformer en parti communiste mondial. Cette transformation ne peut bien entendu avoir lieu qu'en période de lutte de classe et lorsque la fraction internationale a une influence effective au sein de la classe ouvrière.
XII - Le parti est une expression politique, secrétée par l'expérience même de la classe (la théorie révolutionnaire défendue par ce parti) et qui agit sur celle-ci en favorisant le déclenchement et la généralisation de la prise de conscience de classe produite par et pour le prolétariat lui-même. Il existe donc un lien dialectique entre la classe et le parti qui réside dans le fait que le parti, produit par la classe, devient en même temps facteur actif dans la classe.
XIII - La conception défendue par Lénine dans "Que Faire",1902, qui consiste à prétendre que la constitution du prolétariat en classe n'est pas le produit des luttes quotidiennes mais est produit par l'importation depuis l'extérieur de la "conscience socialiste" correspond à effectuer une scission idéaliste entre l'être et la conscience, l'être brutal, sale, et "ouvrier", et la conscience "tornade blanche" détenue par des intellectuels bourgeois déniant l'apporter à la masse.
Cette dichotomie entre la matière et l'idée qui plane (dans des mains extérieures à la matière) est bien l'expression de l'idéalisme dominant qui prétend qu’une idée supérieure préexiste à la matière et que donc seule une médiation (la religion, la philosophie, le " parti" léniniste...) peut réaliser la rencontre entre l'idée et la matière.
Alors que le mouvement du prolétariat, est avant tout un enchaînement naturel de phénomènes historiques, enchaînement soumis à des lois qui, non seulement sont indépendantes de la volonté, de la conscience et des desseins des prolétaires, mais qui au contraire, détermine leur volonté, leur conscience et leur dessein : "Pour moi (...) le mouvement de la pensée n'est que la réflexion du mouvement réel transporté et transposé dans le cerveau de l'homme", Marx, Le Capital.
XIV - De la même manière, la conception dite "conseilliste", qui consiste à prendre le contre pied de celle du "Que Faire", en revient à faire la même déformation idéaliste mais à l'envers. Pour le "conseillisme", la conscience ne pouvant venir que de la classe elle-même, toute expression théorique des intérêts de la classe par un groupe révolutionnaire devient immanquablement une substitution au mouvement réel. Et ces individus, culpabilisés par les erreurs de Lénine, se refusent à toute intervention, niant de ce fait le processus de la prise de conscience où la théorie révolutionnaire diffusée au sein de la classe ouvrière est, comme nous l'avons vu, un facteur actif.
Refusant leur responsabilité face à la classe, ils acceptent la dichotomie léniniste entre l'être et la conscience mais en plus ils en sont honteux.
XV - "L'effort de prise de conscience de la classe existe constamment depuis ses origines et existera jusqu'à sa disparition dans la société communiste. C'est en ce sens qu'il existe en toute période des minorités révolutionnaires comme expression de cet effort constant."
R.I., N° 17
Marc M.
Les textes que nous publions ci-après sont des contributions à la discussion sur la Période de Transition, question toujours ouverte dans le mouvement ouvrier et sur laquelle les révolutionnaires doivent se pencher sans pour autant faire des "recettes pour les marmites de l 'avenir", simplifier une question aussi complexe ou encore définir des frontières de classe là où l'expérience de la classe elle-même n'a pas tranché par sa pratique.
Le débat au sein du C.C.I. sur cette question a commencé depuis que le C.C.I. existe, et les textes qui suivent s'inscrivent en continuité avec la discussion déjà amorcée dans le n° 1 de la Revue Internationale. Le débat se poursuit au sein du Courant et nous ne sommes pas encore arrivés à une homogénéité, en particulier sur la question de l'Etat de la Période de Transition dont traitent ces textes.
LA PERIODE DE TRANSITION
I – NATURE DES PERIODES DE TRANSITION
L'histoire humaine se compose de différentes sociétés stables liées à un mode de production et donc à des rapports sociaux stables. Ces sociétés sont basées sur des lois économiques dominantes inhérentes à celles-ci, se composent de couches sociales fixes, et s'appuient sur des superstructures appropriées (communisme primitif, mode de production asiatique, antique, féodal, capitaliste).
Tout mode de production possède une phase "ascendante", au cours de laquelle il développe des forces productives, et une phase de "décadence", où il devient un frein à ce développement, où s'accomplissent son épuisement et sa décomposition.
Après une période plus ou moins longue de décadence, peut s'instaurer une période de transition pendant laquelle se développent, au détriment de l'ancien, les germes du nouveau mode de production, permettant de résoudre et dépasser les contradictions anciennes, jusqu'au point de constituer le nouveau mode de production dominant. La période de transition n'a pas de mode de production propre mais un enchevêtrement de deux modes, l'ancien et le nouveau. Elle est une nécessité absolue, car le dépérissement de l'ancienne société n'est pas automatiquement maturation de la nouvelle, mais seulement condition de cette maturation. Ainsi, la tendance du capitalisme était la socialisation mondiale de la production (création d’une communauté matérielle), qui aurait directement fait perdre à l'échange sa raison d'être et directement posé la réalisation du communisme. Mais, avec la création du marché mondial qui met en place les limites définitives de l'accumulation, le capital a sapé les bases de la socialisation complète de l’humanité : il a démantelé les secteurs extra-capitalistes mais ne peut plus les intégrer dans la production.
II - LA SOCIETE COMMUNISTE
Toute période de transition relève de la nature même de la nouvelle société qui va surgir. Pour pouvoir faire ressortir la nature de la période de transition qui va du capitalisme au communisme et ce qui distingue cette période de toutes les précédentes, il faut donc d’abord mettre en relief ce que sera la société communiste, ou plutôt ce qui la distingue de toutes les autres sociétés :
- contrairement aux sociétés antérieures – à l’exception du communisme primitif - divisées en classes, basées sur la propriété et l'exploitation de l'homme par l'homme, le communisme est une société sans classes, sans aucun type de propriété, c'est la communauté humaine unifiée et harmonieuse.
- les autres sociétés de l'histoire ont pour fondement l'insuffisance du développement des forces productives par rapport aux besoins des hommes : ce sont des sociétés de pénurie, dominées par les forces naturelles et économico-sociales aveugles. Le communisme est le plein développement des forces productives par rapport aux besoins des hommes, l’abondance de la production capable de satisfaire les besoins humains : c'est le monde de la liberté, la libération de l'humanité de la domination de la nature et de l'économie.
- Toutes les sociétés traînent avec elles des vestiges anachroniques des systèmes économiques, des rapports sociaux, des idées et des préjugés des sociétés passées, parce qu'elles sont toutes fondées sur la propriété privée et l'exploitation du travail d'autrui. Par contre, rompant avec toutes ces caractéristiques, la société communiste ne peut supporter en son sein aucune survivance de la société antérieure.
- le faible développement des forces productives dans les sociétés antérieures, entraînait un développement inégal de l'évolution de la société enc es différents secteurs : en même temps que fondées sur la division en classes, ces sociétés étaient divisées en régions ou nations. Seules les forces productives développées par le capitalisme depuis son apogée permettent, pour la première fois dans l’histoire, une réelle interdépendance entre les différentes parties du monde. Le communisme, lui, est universel d'emblée ou il ne peut pas être ; il exige une même évolution, dans le temps, dans toutes les parties du monde à la fois.
- le communisme ne connaît ni l'échange, ni la loi de la valeur. Sa production est socialisée dans le plein sens du terme : elle est universellement planifiée selon les besoins des membres de la société et pour leur satisfaction. Une telle production que des valeurs d'usage dont la distribution directe et socialisée exclut l'échange, marché et argent.
- pour être des sociétés divisées en classes et en intérêts antagonistes toutes les sociétés antérieures (à l'exception du communisme primitif) ne peuvent exister et survivre que par la constitution d'un organe spécial, en apparence au dessus des classes, en fait imposant la domination de la classe dominante : l'Etat.
Le communisme, ne connaissant pas de divisions, n'a pas besoin d'Etat. Plus, en tant que communauté humaine, il ne pourrait supporter en son sein un organisme de gouvernement des hommes.
II - CARACTERISTIQUES DE LA PERIODE DE TRANSITION
Les périodes de transition ont eu, jusqu'à présent dans l'histoire, en commun leur déroulement au sein de l'ancienne société. La révolution politique de la nouvelle classe dominante n'était que le couronnement de sa domination économique qui se déroulait progressivement au sein de l'ancienne société. Cette situation provient de ce que la nouvelle, comme l'ancienne société, subit aveuglément les impératifs des lois basées sur la pénurie des forces productives, et donc de ce que la nouvelle classe dominante ne porte simplement une autre forme d'exploitation et de division en classes.
Le communisme, lui, constitue une rupture totale de toute exploitation et de toute division en classes, ainsi qu'une organisation consciente de la production que permet l'abondance des forces productives. C'est pourquoi la période de transition au communisme ne peut s’ouvrir qu'en dehors du capitalisme, après la défaite politique du capitalisme et le triomphe de la domination politique du prolétariat à l'échelle mondiale. La première préoccupation du prolétariat est donc la prise de pouvoir mondiale et la destruction totale des institutions capitalistes : l'Etat, la police, l'armée, la diplomatie...
La période de transition qui s’ouvre alors est un mouvement sans trêve de renversement révolutionnaire de rapports capitalistes en rapports communistes. La période de transition doit abolir tous les rapports capitalistes, car le capital est un procès dont chaque moment est inséparable des autres (vente de la force de travail, extraction et réalisation de la plus-value, capitalisation...) Disparaissent donc échange, marché et argent (donc salariat).
Il est important de voir que toute stagnation dans la transformation révolutionnaire de la société signifie danger de retour au capitalisme. En effet la totalité des rapports marchands ne disparaîtra définitivement que sous le communisme achevé, quand les classes auront cessé d'exister, quand la perpétuation des classes veut dire perpétuation de l’échange. Nous insistons également sur le fait qu'il n'y a pas de mode de production transitoire entre le capitalisme et le communisme. Au cours de la période de transition, "ce à quoi nous avons à faire, c’est une société communiste non pas telle qu’elle s'est développée sur des bases propres mais au contraire telle qu'elle vient de sortir de la société capitaliste. Ce qui veut dire qu'elle est encore à tous égards, économiquement, moralement et intellectuellement, marquée des empreintes de la société dont elle naît. " (Marx, Critique du Programme de Gotha)
IV - REALISATIONS ECONOMIQUES
Quoiqu'il soit difficile de dire précisément quelles seront les mesures économiques prises au cours de la période de transition, nous pouvons nous prononcer en faveur de mesures qui tendent directement à régir la production et la distribution en termes sociaux, collectifs, plutôt que de mesures qui nécessitent le calcul de la distribution de chacun au travail social.
Il faut critiquer le système des "bons de travail" qui perpétue la division de la classe ouvrière en une somme d'individus qui reçoivent de quoi vivre en fonction de leur travail individuel. Avec ce système, chaque travailleur reçoit, en échange d'une heure de travail, un bon représentant une heure de travail, avec lequel il peut puiser dans la masse des produits,' l'équivalent du temps qu'il a fourni. On a une "forme salariale" sans contenu salarial. Peu importe alors le travail concret créé, le temps réel, l'effort cristallisé dans un produit, seul compte le temps de travail abstrait, le temps nécessaire déterminé par la productivité globale de la société ; ce qui divise les ouvriers d'après leur productivité. Mais ce système est surtout irréalisable : en effet, il faut, pour calculer l'heure moyenne, que la productivité soit uniforme dans chaque branche de la production ; et si ceci pouvait être réalisé, il faudrait un calcul planifié mondialement qui suivrait de façon permanente les transformations de la productivité, qui seront continuelles au cours de la période de transition. Il faudrait encore une monstrueuse bureaucratie, inconnue jusqu'à présent dans l'histoire de l'humanité, pour empêcher chaque producteur ou unité de production de "tricher", de déclarer des heures inutiles, etc. Ce système risque aussi de dégénérer facilement en salaires-monnaie à un moment de reflux de la révolution.
L'orientation qui doit guider toutes les mesures prises doit être de tendre vers la production contrôlée collectivement en fonction de la satisfaction des besoins sociaux, en valeurs d'usage et en travail concret ; vers la réduction des heures de travail en assimilant d'autres couches dans le travail associé. Il faut, au plus vite, assurer la gratuité et la collectivisation de tous les biens de consommation nécessaires à la vie d’un homme, surtout dans les secteurs industrialisés où la socialisation peut aller plus vite.
V - LA GUERRE CIVILE REVOLUTIONNAIRE
La nature g1obale du prolétariat et de la bourgeoisie fait que la prise du pouvoir par les ouvriers d'un pays entraîne une guerre civile mondiale contre la bourgeoisie. Jusqu'à ce qu' elle soit victorieuse, jusqu'à ce que le prolétariat ait conquis le pouvoir mondialement, nous ne pouvons parler réellement d'une période de transition, ni d'une transformation communiste.
Pendant la guerre civile mondiale, tout est subordonné à celle-ci : la production n'est pas encore principalement axée sur les besoins humains, ce qui sera le saut de la production communiste, mais sur la nécessité impérieuse d'étendre et d'enraciner la révolution internationale. Même si le prolétariat peut faire disparaître bien des caractéristiques formelles du capitalisme, tout en s'armant et en produisant pour la guerre civile, on ne pourrait appeler communisme une économie orientée vers la guerre. Tant que le capitalisme existera quelque part dans le monde, ses lois continuent à déterminer le contenu réel des rapports de production partout ailleurs. Néanmoins, dès qu'il aura pris le pouvoir en un endroit le prolétariat devra entreprendre l'assaut des rapports capitalistes de production :
1 - parce que toute atteinte au capitalisme, dans un centre important, produira des effets profondément désintégrateurs, sur l'ensemble du capital mondial, ce qui approfondira la lutte de classes mondiale,
2 - pour faciliter la direction politique de la zone qu’il contrôle, car le pouvoir politique des ouvriers dépendra de leur capacité à simplifier et à rationaliser le processus de production et distribution, tâche impossible dans une économie totalement dominée par les rapports marchands.
3 - pour jeter les bases de la transformation sociale qui succèdera à la guerre civile.
De plus, il est important de noter que, si la transformation communiste de la société ne peut être entreprise pleinement qu’une fois assis le pouvoir politique mondial du prolétariat, qu'une fois achevée la guerre civile mondiale, néanmoins les organes de pouvoir du prolétariat sont déjà mis en place, dès la prise de pouvoir à un endroit du globe, avec, en cet endroit, les mêmes caractéristiques que pendant toute la période de transition : il en est ainsi des conseils ouvriers, mais aussi de l'Etat, qui est déjà l'Etat de la période de transition.
VI - ASPECTS PRINCIPAUX DE LA PERIODE DE TRANSITION
Nous ne pouvons nous étendre ici sur les tâches qu'aura à accomplir le prolétariat pendant la période de transition : elles sont gigantesques et multiples. C'est une société dans son intégralité qu'il faudra construire.
1 - La dictature du prolétariat :
Dans la période de transition existe encore plusieurs classes. Mais une seule est intéressée au communisme : le prolétariat. D'autres classes peuvent être entraînées dans la lutte que livre le prolétariat au capitalisme, mais elles ne peuvent jamais, en tant que classe, devenir porteuses du communisme. C'est pourquoi le prolétariat doit constamment se garder de se confondre ou de se dissoudre avec les autres classes. Il ne peut assurer la marche en avant vers la société sans classes uniquement en s'affirmant comme classe autonome et politiquement dominante de la société, car économiquement il reste exploité par le fait que le monde est encore dominé par la loi de la valeur. Il doit conserver entre ses mains toute la force politique et toute sa force armée : c'est la classe ouvrière dans son ensemble qui a le monopole des armes.
Si la classe ouvrière doit tenir compte des autres classes dans la vie économique et administrative, parce que ces classes constitueront au début la majorité de la société, elle ne devra pas leur laisser la possibilité d'une organisation autonome. Ces classes et couches nombreuses seront intégrées dans un système d'administration soviétique territoriale, en tant que citoyens et non en tant que classes. Ces classes seront progressivement dissoutes et intégrées dans la classe ouvrière.
Il s'agit bien sur des classes non exploiteuses; l’ensemble de la classe capitaliste et les anciens dirigeants de la société capitaliste seront directement exclus de la vie politique.
Le prolétariat, pour assurer sa dictature, se donne des structures organisées : les conseils ouvriers et le parti révolutionnaire.
Si, dans toute société divisée en classes, la classe dominante exerce ouvertement ou hypocritement sa dictature sur les autres, la dictature du prolétariat est différente des précédentes :
- à l'opposé des précédentes, elle est uniquement tournée contre les anciennes classes de la société. Elle ne porte pas de nouveaux privilèges, pas de nouvelles exploitations, mais supprime tous les privilèges et toute exploitation. Loin d'être gardienne du statu quo, elle vise une transformation ininterrompue de la société.
- pour cette raison, elle n’a nullement besoin, comme les autres classes, de cacher ses buts, de mystifier les classes opprimées en présentant sa dictature comme le règne de la Liberté, Egalité, Fraternité.
- elle s’applique à faire disparaître toutes les spécialisations et divisions hiérarchiques de la société. Il faudra garantir que la classe dans son ensemble ait le droit de grève, le droit de porter les armes, d’avoir une pleine liberté de réunion et d'expression, etc. Tout rapport de force, toute violence à l'intérieur du camp prolétarien doivent être rejetés.
2 - Les Conseils ouvriers :
Le Conseil Ouvrier est la forme historique de l’auto organisation du prolétariat dans la lutte révolutionnaire ; il est l'organisation autonome regroupant l'ensemble de la classe, le moyen approprié à la dictature du prolétariat. Les conseils sont des assemblées de délégués nommés et révocables à tout instant par les assemblées générales des travailleurs, exécutant les décisions prises par celle-ci.
Les conseils se centralisent mondialement, car ils doivent assurer la dictature mondiale du prolétariat, c'est à dire le pouvoir politique mondial et l'ensemble des transformations révolutionnaires de la société.
- Le pouvoir politique est donc exercé à travers les conseils ouvriers eux-mêmes et non au moyen d'un parti.
- les conseils sont l'organisation autonome de la classe ouvrière. Des deux dangers pouvant surgir dans la constitution des conseils, à savoir l'infiltration d'éléments bourgeois et l'enfermement des ouvriers dans le cadre strict de l'usine, le deuxième s'est révélé le plus grave :
- c'est au nom du danger d'infiltration d'éléments bourgeois que les sociaux démocrates allemands ont interdit à Rosa Luxemburg l'accès aux conseils. Le parti est une fraction de la classe et intervient donc librement dans les conseils.
- les conseils ne sont pas des organes d'autogestion. L'isolement des ouvriers dans des "conseils" composés de simples unités productives ne fait que maintenir les divisions imposées par le capitalisme et amène la défaite certaine de la classe. Les conseils sont avant tout des organes de pouvoir politique centralisé.
- les conseils ne sont pas une fin en soi : ils sont les moyens qu'emploie le prolétariat pour mener à bien la transformation communiste de la société. Si les conseils deviennent une fin en soi, cela veut simplement dire que le processus de révolution sociale s'arrête et qu'on assiste à un début de retour au capitalisme.
3 - Le Parti Révolutionnaire
Le parti révolutionnaire, formé par les fractions révolutionnaires au cours de la période révolutionnaire, est une fraction de la classe qui a la claire vision des buts communistes portés par le prolétariat. Sa seule tâche est la généralisation de la conscience révolutionnaire au sein de la classe. En aucun cas il ne prend le pouvoir "au nom de la classe", ni n’organise la classe.
Le parti aura un rôle actif à jouer au sein de la classe jusqu'au communisme, quand le "programme communiste" sera réalisé pratiquement. Tant que nous serons dans la période de transition, il se maintiendra l'hétérogénéité de la conscience au sein de la classe et continuera à se poser le problème de l'autonomie de la classe, donc se maintiendra la fonction du parti.
4 - L'Etat :
Pour empêcher que les antagonismes de classes qui travaillent la société n'explosent en luttes menaçant l'équilibre, et mettant en péril jusqu'à l'existence même de la société, la bourgeoisie, comme les classes qui l'ont précédée, a été amenée à créer des institutions et une superstructure, dont l'Etat est le couronnement et dont la fonction consiste essentiellement à maintenir ces luttes dans un cadre approprié, et de veiller à conserver et renforcer le cadre de l'organe social donné. C'est pourquoi l'Etat reste en règle générale l'organe par excellence de la classe dominante et s'identifie avec elle.
La Période de Transition est encore une société où subsiste la division en classes. Il surgira donc nécessairement cet organisme super structurel, ce fléau inévitable qu'est l'Etat, pour empêcher que les antagonismes de classes ne fassent voler cette société hybride en éclats. Le prolétariat, en tant que classe politiquement dominante, utilisera l'Etat pour maintenir son pouvoir et défendre les acquis de la transformation communiste. Cet Etat sera différent de tous les Etats du passé. Ce qui en fait un "demi-Etat". Pour la première fois, la classe « n’hérite » pas de l'ancienne machine d'Etat pour s'en servir à ses fins propres, mais renverse, détruit l'Etat bourgeois et construit ses propres organes de pouvoir. Car le prolétariat n'utilise pas l'Etat pour exploiter d'autres classes, mais pour défendre une transformation sociale qui anéantira à jamais l'exploitation, qui abolira tous les antagonismes sociaux, et conduit ainsi à l'extinction de l'Etat.
Mais, puisque le prolétariat continue à être la classe exploitée de la société, que la domination est uniquement politique et non économique, il ne peut pas s'identifier à l’Etat, organisme de conservation sociale qui exprime le frein que constituent les autres classes, vestiges du passé, et qui exprime la division de classes, c'est-à-dire l'exploitation se poursuivant. C'est parce que la fonction et les intérêts de l’Etat bourgeois se confondent avec ceux de la classe économiquement dominante, c’est-à-dire la conservation de l'Etat social existant, que l'Etat bourgeois peut et doit s’identifier avec celle-ci. Rien de tel donc pour le prolétariat, qui ne tend pas à conserver l'état de chose existant, mais à le bouleverser et à le transformer continuellement. C'est pourquoi sa dictature historique ne peut trouver dans une institution conservatrice par excellence, comme l'est l'Etat, son expression authentique. Il n’y a pas et ne peut y avoir d’Etat socialiste ou communiste. Etat et communisme s'excluent par définition, le communisme étant l'intérêt historique du prolétariat, sa substance en développement ; il n'y a pas identification entre l'un et l'autre. En conséquence, dans la mesure où on parle du prolétariat communiste, on ne parle pas "d'Etat ouvrier", d’Etat du prolétariat.
- Identifier le prolétariat à l'Etat, comme l’ont fait les Bolcheviks, amène à un moment de reflux, à la situation désastreuse où 1'Etat, en tant « qu’incarnation » de la classe ouvrière, peut tout se permettre pour maintenir son pouvoir, alors que la classe ouvrière toute entière reste sans défense.
- Le prolétariat n’est qu’une minorité de la population à l’échelle mondiale. La majorité de la population mondiale (paysannerie, artisans, principalement dans le Tiers-Monde), le prolétariat ne peut ni les intégrer dans les conseils ouvriers, ce qui ferait perdre au prolétariat son autonomie, ni les supprimer, ni les ignorer : il devra lui permettre (à l’exclusion de la bourgeoisie) de s'organiser et de former des conseils ouvriers. La violence envers les autres classes que la bourgeoisie, ne devra être employée qu’en dernière instance (exemple négatif de la révolution russe). Bien sûr tout comme ces autres couches ne seront intégrées au travail associé qu'en tant qu'individus, le prolétariat ne leur permet de s'exprimer qu’en tant qu'individus (et non en tant que classe) au sein de la société civile. Ceci implique que les organes représentatifs aux moyens desquels ils s'expriment, à la différence des conseils ouvriers, se fondent sur des unités et des formes d’organisations territoriale.
Tout ceci nous permet de dire que, tout en se servant de l'Etat, le prolétariat exprime sa dictature non pas par l’Etat mais sur l'Etat.
Afin de s’assurer la soumission de cet Etat, un certain nombre de mesures doivent être prises :
- les ouvriers organisés en conseils ont le pouvoir de décision sur toutes les mesures que prend l’Etat ; aucune mesure n'est prise sans leur consentement et leur participation active.
- les ouvriers ont le monopole des armes et sont prêts à s’en servir contre cet Etat si nécessaire.
- les ouvriers sont représentés dans l'Etat dans des proportions maximales (celles que les rapports de force permettent).
- tous les membres de l'Etat sont nommés et révocables à tout instant ; les représentants ouvriers rendent compte aux conseils de toutes les mesures et démarches qu’ils effectuent.
- les conseils décident des changements qui doivent être effectués au sein de l'Etat et de la société même, compte-tenu de l'évolution des rapports de force.
M. LAZARE. (TREIGNES 1975)
ETAT ET DICTATURE
Le texte qui suit a pour but d'énoncer une conception générale de l'Etat et de la dictature sans intention démonstrative. Ceci pour contribuer à la discussion en cours sur la période de transition qui pose la question fondamentale des formes et du contenu de la dictature prolétarienne. De plus amples explications, notamment sur les points d'achoppement feront l'objet d'une contribution ultérieure.
1 - Engels dans les pages désormais classiques de "Origines de la Famille, de la propriété privée et de l'Etat" dégage la signification et le rôle de l'Etat. Celui-ci est un produit de la société à un stade déterminé de son développement. Il est le résultat et la manifestation de contradictions de classes inconciliables. L'Etat surgit afin que les classes aux intérêts économiques opposés ne s'épuisent pas, et avec elles la société, dans une lutte stérile.
2 - Si l'Etat naît pour estomper les conflits de classes, les maintenir dans des limites déterminées, est-il une structure de dialogue entre classes, par l'intermédiaire de laquelle elles arrivent à des compromis ? Est-il un organisme neutre, extérieur à la société, qui arbitre des antagonismes ? Bien évidemment, non ! Encore une fois, l'Etat ne pourrait surgir, ni se maintenir, si la conciliation de classes était possible. On ne peut se demander dès lors quelle fonction, remplit exactement l'Etat ? Les classes opprimées de toutes les époques ont la réponse à cette question imprimée dans leur longue histoire de misère, d'exploitation et de déportation : l'Etat est donc, en règle générale ([1] [7]), l'Etat de la classe la plus puissante, de celle qui s'est imposée politiquement et militairement dans le rapport de force historique. L'Etat est l'instrument que la classe dominante utilise en vue d'instaurer et garantir sa dictature.
3 - Un principe essentiel du marxisme est que le heurt des classes se décide non sur le terrain de droit, mais sur celui de la force. L'Etat est un organe spécial de répression : c'est l'exercice centralisé de la violence par une classe contre une autre. L'Etat politique, même et surtout démocratique et parlementaire, est un outil de domination violente. L'appareil d'Etat utilise en permanence des moyens coercitifs pour mater la classe dominée, même si apparemment ils consistent non dans l'usage implacable d'une force matérielle, policière ou autre, mais dans la simple menace de sanctions violentes, dans un simple article de loi (même non codifié), sans le fracas des armes et sans effusion de sang.
4 - Organe de violence, l'Etat se caractérise par l'institution d'une force publique. Cette force publique particulière est indispensable parce qu'une organisation armée de la population dans son ensemble est devenue impossible depuis la scission en classes. Chaque Etat, dès sa formation, crée une force de coercition, des "détachements spéciaux d'hommes armés" disposant de prisons, etc. Les diverses révolutions nous montrent comment la classe renversée s'efforce de reconstituer ses anciens organismes de domination (ou de les reconquérir) et la force armée lui était arrachée, et comment la classe nouvellement dominante se dote d'une nouvelle organisation de ce genre ou perfectionne l'ancienne afin d'empêcher toute restauration de la classe renversée et toute remise en cause des nouveaux rapports dominants.
5 - Pour synthétiser ce que nous venons de dire : dans toute société divisée en classes, la classe dominante exerce une dictature ouverte ou camouflée sur les autres classes de la société, en vue de préserver ses intérêts de classe et de garantir ou développer les rapports de production qui lui sont liés. Il est nécessaire de bien mettre en évidence le fondement de la dictature ; une classe déterminée domine par son intermédiaire et s'en sert pour défendre ses intérêts contre les intérêts antagoniques des autres classes (déterminisme économique), pour assurer l’extension, le développement, la conservation du rapport de production spécifique contre les dangers de restauration ou de destruction. Il est donc faux de considérer que tout Etat doit être haïs et constitue un "fléau dévastateur" (nous ne sommes pas des petit-bourgeois anarchistes). En effet, même l'Etat bourgeois est, à un moment historique donné, un instrument progressif aux yeux des marxistes : lorsqu'il représente la force organisée contre la réaction féodale intérieure et ses alliés de l'extérieur et favorise la mise en place de structures modernes sur les débris des sociétés pré-capitalistes. Il était non seulement utile mais indispensable que la bourgeoisie, au moyen de décrets étatiques et de l'usage de la violence, abattit les obstacles institutionnels qui retardaient l'apparition de grandes fabriques et d'une méthode plus moderne d'exploitation du sol. Si le marxisme a cette vision DIALECTIQUE de l'Etat, révolutionnaire à certaines époques, conservateur ou contre-révolutionnaire à d’autres, c'est qu'il en fait le PROLONGEMENT et l'INSTRUMENT des classes sociales qui prennent naissance, mûrissent et disparaissent. L'Etat est étroitement lié au cycle de la classe et s'avère donc PROGRESSIF ou CONTRE-REVOLUTIONNAIRE selon l'action historique de la classe sur le développement des forces productives de la société (selon qu'elle concourt à favoriser ou à freiner leur développement).
6 - Nous avons relié l'existence de l'Etat à la division en classes de la société. De la même façon que cette dernière n'est pas la caractéristique immanente des sociétés humaines, l'Etat n'existe pas de toute éternité. Il y eut des formes sociales sans classes et sans Etat, et le développement de la production, auquel l’existence des classes est devenue un obstacle, ôtera à l'Etat toute nécessité et le fera disparaître progressivement. Comme dit Engels: "La société qui réorganisera la production sur la base d'une association libre et égalitaire des producteurs relèguera toute la machine de l'Etat là où sera dorénavant sa place au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze."
Cependant avant la société sans classes et sans Etat, entre capitalisme et communisme s'insère une période de transition, une phase de transformation économique de la société. La société transitoire est encore une société divisée en classes et comme telle, elle fait surgir inévitablement un Etat et une dictature.
7 - L'Etat est l'organisation spéciale d'un pouvoir ; c'est l'organisation de la violence destinée à tenir en laisse une certaine classe. Le prolétariat a besoin de l'Etat pour réprimer la résistance de la bourgeoisie. Or, orienter cette répression, l'effectuer pratiquement, il n'y a que le prolétariat qui puisse le faire, en tant que seule classe révolutionnaire jusqu'au bout, seule classe capable d'unir sous le drapeau de la révolution tous les travailleurs et tous les exploités. L'intelligence de l'action révolutionnaire du prolétariat doit donc aller jusqu'à la reconnaissance de sa domination politique, de sa dictature, c'est-à-dire D'UN POUVOIR QU'IL NE PARTAGE AVEC PERSONNE et qui s'appuie directement sur la force armée de la classe elle-même. La bourgeoisie ne peut être balayée que si le prolétariat est transformé en classe dominante à même de noyer la résistance inévitable des classes possédantes, et d'organiser pour la transformation socialiste de l'économie toutes les masses travailleuses et exploitées. Le prolétariat A BESOIN d'un appareil d'Etat, d'une organisation centralisée de la violence, aussi bien pour REPRIMER la résistance désespérée de la bourgeoisie que pour DIRIGER la grande masse de la population - paysannerie, petite bourgeoisie, "nouvelles couches moyennes", semi-prolétaires - dans la mise en place du communisme.
8 - Si l'Etat est né parce que les contradictions de classes sont inconciliables, s'il est un pouvoir qui est devenu « de plus en plus étranger » à la société, il est clair que l'affranchissement de la classe opprimée est impossible, non seulement sans une révolution violente, mais aussi sans la suppression de l'appareil du pouvoir d'Etat, qui a été créé par la classe dominante et dans lequel est matérialisé ce caractère "étranger". Il en résulte ceci : la lutte prolétarienne n'est pas une lutte à l'intérieur de l'Etat et de ses organismes, mais une lutte extérieure à l'Etat, contre l'Etat, contre toutes ses manifestations et toutes ses formes. La révolution prolétarienne passe par l'anéantissement de l'Etat bourgeois. Cependant, une forme d’Etat politique est nécessaire après cette destruction. C'est une des formes nouvelles de la domination prolétarienne, nécessaire à la classe ouvrière placée devant la nécessité de diriger l'emploi de la violence pour extirper les privilèges de la bourgeoisie et organiser de manière nouvelle les forces de production libérées des entraves capitalistes. La révolution russe a démontré, contre les anarchistes qui, tout en ayant l'indéniable mérite de proposer la destruction de l'Etat bourgeois, s'imaginent pouvoir se passer après cette destruction de toute forme de pouvoir organisé, la nécessité d'un Etat politique, c'est-à-dire d’une structure de violence sociale. Comme la transformation communiste de la société est un processus de longue durée et non une réalisation immédiate, la suppression de la classe non travailleuse et l'intégration à la production socialisée de l'ensemble des classes et couches travailleuses non prolétariennes ne peuvent l'être non plus et on ne peut réaliser cette suppression et cette intégration par l'intermédiaire d'un massacre physique. Dès lors, pendant la période de transition, l'Etat révolutionnaire doit fonctionner, ce qui signifie, comme Lénine eut la franchise de dire aux pacifistes et autres petits bourgeois romantiques nostalgiques de la démocratie, avoir une armée, des forces de police et des prisons. Ce qui exclut bien évidement toute confusion quant à la caractérisation de l'Etat pendant la phase transitoire qui ne peut défendre les intérêts de plusieurs classes, mais d'UNE SEULE, et qui ne peut servir d'instrument à un agrégat indifférencié de classes et couches sociales, mais constitue un outil spécifique d'UNE SEULE CLASSE, de la classe dominante. C'est en ce sens qu'on peut et doit parler d’un Etat prolétarien, ce dernier étant l’UNE DES formes indispensable de la dictature du prolétariat. Avec la réduction progressive du domaine de l'économie privée et mercantile se réduit celui où il est nécessaire d'appliquer la contrainte politique et l'Etat prolétarien tend à disparaître progressivement.
9 - Il reste à examiner les formes déterminées de l'Etat prolétarien. Il se marque certains traits de similitudes entre l'Etat prolétarien et les Etats qui le précèdent dans la suite des époques historiques - traits qui permettent dans divers cas de parler d'Etat - et d'autre part, des traits qui le distinguent où se marque la transition vers la suppression de l'Etat. Nous avons vu que l'Etat prolétarien est l'instrument dont se dote le prolétariat en vue de réprimer la classe antagonique. L'Etat du prolétariat donne également à la société le cadre administratif adéquat dont elle ne peut se doter spontanément du fait de la division en classes. L'Etat révolutionnaire permet encore, d'une manière ou d'une autre qui n'en fasse pas une structure interclassiste, aux classes et couches prolétariennes de la société d'exprimer leurs intérêts immédiats, à l'exclusion de la bourgeoisie privée de tout droit et de tout moyen d'expression. Ces tâches qui supposent l'existence de détachements armés et de fonctionnaires identifient formellement les tâches de l'Etat prolétarien aux tâches des Etats précédents. Cependant, des différences SUBSTANTIELLES distinguent l'Etat du prolétariat des Etats des anciennes sociétés divisées en classes, différences qui résultent de l'action spécifique du prolétariat sur les rapports sociaux. Le prolétariat n’exerce pas sa dictature en vue de bâtir une nouvelle société d'oppression et d'exploitation, dans le but de préserver des privilèges économiques. Le prolétariat n'a pas de privilèges économiques et son seul intérêt de classe est la socialisation réelle de la production et l'avènement du communisme. Ces caractéristiques influent sur la forme et le contenu de l'Etat :
- l'absence d'appui économique dans la société fait du prolétariat "la classe de la conscience". Il est impossible que le prolétariat délègue la responsabilité de la dictature politique à un corps de spécialistes. La classe ouvrière dans son ensemble détient le pouvoir politique (et la puissance militaire: armement du prolétariat) au sein de ses propres organismes de classe, organes centralisés de domination politique : les conseils ouvriers. Le prolétariat exerce donc lui-même en tant que classe une partie des fonctions étatiques. En outre, il modèle son Etat à son image : il supprime tous les privilèges inhérents au fonctionnement des anciens Etats (nivellement des traitements, contrôle rigoureux des fonctionnaires : électivité complète et révocabilité à tout moment) ainsi que la séparation réalisée par le parlementarisme entre organismes représentatifs et exécutifs. Pour toutes les raisons que nous venons de mentionner, action étatique des conseils et contrôle absolu de l'Etat par la classe dans son ensemble, qui suppriment le caractère « étranger » de l'appareil d'Etat, nous pouvons parler de DEMI-ETAT prolétarien.
- dès le début de la période de transition, le prolétariat entame la transformation économique de la société. Il y a corrélation entre le développement du communisme et l'extinction de l'Etat. Engels dit de l'Etat : "Quand il finit par devenir effectivement le représentant de toute la société, il se rend lui-même superflu. Dès qu'il n'y a plus de classe sociale à tenir dans l'oppression, dès que, avec la domination de classe et la lutte pour l’existence individuelle motivée par l'anarchie antérieure de la production, sont éliminés également les collisions et les excès qui en résultent, il n'y a plus rien à réprimer qui rende nécessaire un pouvoir de répression, un Etat (…/…) L'intervention d'un pouvoir d'Etat dans les rapports sociaux devient superflue dans un domaine après l'autre, et entre alors naturellement en sommeil. Le gouvernement des personnes fait place à l'administration des choses et à la direction des opérations de production. "L'ETAT N'EST PAS ABOLI, IL S'ETEINT" ». C'est seulement dans la société communiste, lorsque la résistance des capitalistes est définitivement brisée, que les capitalistes. ont disparu et qu'il n'y a plus de classe (c'est-à-dire de distinctions entre les membres de la société quant à leurs rapports avec les moyens sociaux de production), c'est alors seulement que l'Etat cesse d'exister et qu'il devient possible de parler de liberté. Cependant, le processus d'extinction de l'Etat commence dès que le prolétariat entame l'intégration des autres couches sociales à la production socialisée et la "communisation des rapports sociaux". C'est pourquoi nous pouvons caractériser l'Etat prolétarien de demi-Etat qui s'éteint.
10 - Les cris d'alarme que poussent anarchistes et conseillistes dès qu'ils entendent le mot "Etat", en invoquant une prétendue impossibilité à freiner "l’appétit de pouvoir" et de nouveaux privilèges des fonctionnaires, présentés comme "nouvelle classe dominante", relèvent d'une incompréhension des mécanismes historiques et des phénomènes économiques et sociaux. La société et l'Etat ne sont pas autant d'entités abstraites. Le marxisme démonte magistralement la mystique bourgeoise de l"'essence éternelle" de 1'Etat en analysant cette forme sociale dans le cadre matériel des déterminations économiques et des transformations résultant des confrontations de classes. Ainsi, se dégage une conception dialectique de l'Etat révolutionnaire lorsque la classe qui l'utilise l'est également ; contre-révolutionnaire s'il est l'instrument de préservation d'une classe décadente. L'Etat prolétarien, par sa forme et son contenu, directement déterminés par les tâches et le programme du prolétariat, est essentiellement un organe de la classe dominante qui s'en sert en vue d'abolir les contradictions de classes, et par là l'Etat prolétarien lui-même. Il n'est pas un organisme de statu quo, pas plus qu'une structure visant à concilier des intérêts de classes antagoniques. Il est un instrument de violence sociale utilisé par le prolétariat contre la bourgeoisie et les rapports de production qu'elle personnifie. L'Etat prolétarien est également un organe dont le prolétariat se sert pour diriger l'ensemble des classes et couches exploitées de la société.
11 - Il reste à envisager l'éventuelle dégénérescence de l'Etat. Il est bien évident qu'en dernière instance, aucune mesure formelle ne peut contrer la dégénérescence de l'Etat, ni d'ailleurs de tout autre organe prolétarien. Mais la dégénérescence ne provient jamais de soi disant tares formelles intrinsèques à l'appareil étatique. Une telle conception métaphysique et subjectiviste de l'histoire est étrangère au marxisme. En ce qui concerne la révolution russe, avec les diverses substitutions qui se sont produites au cours d'un processus où s'entrecroisaient étroitement révolution et contre-révolution, les identifications parti-Etat, Etat prolétariat, ne sont pas à l'origine d'une dégénérescence de la révolution, MAIS EN CONSTITUENT LA CONSEQUENCE.
S'il est nécessaire de lutter avec énergie contre toutes les tendances substitutionnistes qui identifient diverses formes de la dictature du prolétariat (qui toutes remplissent des fonctions spécifiques), il serait illusoire de croire éviter par ce biais tout risque de dégénérescence. Le mécanisme des conseils lui-même peut tomber sous des influences contre-révolutionnaires. Il n'existe aucune immunisation formelle ou constitutionnelle contre ce danger, qui se trouve UNIQUEMENT déprendre du développement intérieur et MONDIAL du rapport des forces sociales. La décomposition interne de l'Etat prolétarien suppose qu'au préalable l'organisation centralisée du prolétariat ait commencé à se disloquer et à se vider du contenu révolutionnaire. Ainsi que le CCI le répète inlassablement, la SEULE garantie réelle contre les risques de recul réside dans la conscience de classe prolétarienne, liée aux progrès de la Révolution.
SAM.
CONTRIBUTION A L'ETUDE DE LA QUESTION DE L'ETAT.
Seule l'expérience historique du prolétariat constitue la base réelle sur laquelle les révolutionnaires entendent élaborer le programme communiste. Contre les philistins, les invariants en chambre et les alchimistes de la révolution, ils affirment l'unité fondamentale entre la pratique et la théorie de la classe ouvrière et c'est en se référant aux exemples concrets de la lutte de classe qu'ils peuvent tracer les perspectives plus lointaines du mouvement révolutionnaire, mettre le prolétariat en garde des nombreux pièges qui lui sont tendus, déblayer théoriquement les obstacles qui surgiront sans nul doute sur le chemin de la révolution.
Car si les révolutionnaires n’ont pas à trancher des questions dont le prolétariat n’a pas encore fait l'expérience concrète, ils peuvent néanmoins sur base de 1'acquis historique de la classe ouvrière tenter de jeter les premières bases théoriques dans la compréhension de certains problèmes fondamentaux. La question du programme communiste et des perspectives révolutionnaires, loin de se situer sur un plan mental et purement spéculatif, constitue un problème réel, lié à la prise de conscience du prolétariat - prise de conscience qui n'est que la destruction pratique et théorique des rapports sociaux capitalistes. – C’est pourquoi le travail de théorisation entrepris par les révolutionnaires s'enrichit sans cesse par l'action historique et présente du prolétariat ainsi que par son passé dont ils tirent de précieux enseignements en vue de tracer les perspectives générales, les prévisions du mouvement ouvrier.
« Prévoir n'est donc pas inventer mais dévoiler en allant au-delà des apparences phénoménales le contenu nouveau qui gît dans les entrailles de la vieille société. C'est seulement ainsi que la théorie peut devenir un facteur actif, un guide pour l'action et le socialisme une transformation révolutionnaire consciente de la société. » [Parti de Classe.]
C'est en tirant les leçons de l'expérience de l'insurrection de 1848 et plus encore de la Commune de Paris de 1871 que Marx et Engels ont été amenés à abandonner les perspectives élaborées dans le Manifeste Communiste, perspectives selon lesquelles le prolétariat devait s'emparer de l'Etat bourgeois. De la même manière les révolutionnaires aujourd'hui doivent se pencher sur la grande vague révolutionnaire de 1917-1923 - première tentative réelle du prolétariat de s'affirmer en classe révolutionnaire consciente de son rôle historique : la prise du pouvoir - afin d'en retenir tous les apports en ce qui concerne l'organisation et la prise du pouvoir du prolétariat.
La révolution Russe nous a enseigné la nécessité pour la classe ouvrière d'affirmer son autonomie et de s'organiser en conseils ouvriers. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité les bases concrètes, objectives de la transformation consciente des rapports sociaux capitalistes par une classe révolutionnaire et exploitée étaient posées. Mais encore une fois, il ne suffit pas de se dire que les conditions économiques, matérielles liées à l'entrée du capitalisme dans sa période de déclin "permettent", "déterminent" la révolution prolétarienne.
"Pour accéder au communisme les prémisses économiques objectives sont insuffisantes car le communisme ne peut surgir indépendamment de la prise de conscience du prolétariat et apparaître comme le résultat d'un processus mécanique fatal s'opérant derrière son dos". [Parti de Classe]
La révolution communiste se présente d'emblée comme un processus dialectique conscient balayant les obstacles concrets empêchant le développement des forces productives. C'est pour cette raison que théorie et pratique sont indissociables. Affirmant depuis son apparition même son opposition brutale en tant que classe exploitée à l'existence du capitalisme le prolétariat éprouve depuis toujours la nécessité de se doter des instruments indispensables à sa prise de conscience. La révolution russe confirme d'une manière éclatante cette nécessité pour la classe ouvrière d'accéder à la conscience globale de la société et de sa situation ; Le rôle du Parti Bolchevik, son impossibilité à résoudre une série de problèmes non tranchés par la pratique du prolétariat, sa dégénérescence, sont autant d'éléments fondamentaux pour la compréhension et la clarté de l'engagement des révolutionnaires dans le processus de cette conscience.
Prétendre renouer avec les acquis de la révolution russe et nier le rôle déterminant du Parti Bolchevik dans celle-ci sous prétexte des tendances substitutionnistes et les nombreuses erreurs qu'il sera amené à commettre par la suite, c'est faire preuve d'un purisme inutile, cela revient à tomber dans la sociologie bourgeoise la plus plate. Les révolutionnaires n’ont pas à porter des jugements étiques sur les événements du passé, ni même à les refléter mécaniquement, l'objectivité sociologique n'est pas non plus de leur ressort. Ils théorisent les expériences passées en vue d'un but final ; c'est pour cette raison qu'ils constituent une organisation révolutionnaire intervenant dans le mouvement ouvrier et non pas un groupe de discussion.
« La tâche de la théorie n'est pas de refléter la réalité immédiate (ce qui suppose qu'elle arrive après coup et que donc, elle ne joue aucun rôle actif) mais de prévoir à partir de cette réalité les grandes tendances historiques qui s'en dégagent. » [Parti de Classe]
Seule la vision globale de la révolution russe et de sa dégénérescence vers le capitalisme d'Etat, dans toutes ses implications nous permet de tracer pour la période de transition quelques perspectives générales concernant la dictature du prolétariat et plus spécifiquement le problème de l'Etat. .
LA DICTATURE DU PROLETARIAT ET LE PROBLEME DE L'ETAT DANS LA PERIODE DE TRANSITION
LA DICTATURE DU PROLETARIAT
C'est un acquis fondamental aujourd'hui pour le mouvement révolutionnaire que la dictature du prolétariat doit se faire au travers des conseils ouvriers centralisés au niveau mondial. Déjà le mot d'ordre révolutionnaire "tout le pouvoir aux soviets" exprimait la compréhension des révolutionnaires face à la prise du pouvoir politique par le prolétariat et le refus de toute conciliation interclassiste ou toute forme de compromis avec la bourgeoisie. Mais la dictature du prolétariat ne représente pas une fin en soi, la réponse à tous les problèmes posés par le passage du mode de production capitaliste au mode de production communiste. La dictature prolétarienne représente en fait une condition indispensable à ce passage mais elle ne constitue pas une panacée ; l'action consciente de toute une classe en vue de la transformation des rapports sociaux périmés ne se résume pas à imposer un pouvoir politique face aux autres classes. La dictature du prolétariat ne constitue en fin de compte que la transition vers l'abolition de toutes les classes, l'instauration d'un mode de production sans classe. La mission historique du prolétariat ne saurait s’attacher à la simple domination politique de la société ; classe sociale à la fois révolutionnaire et exploitée sa mission consiste à faire faire à l’humanité le saut "du règne de la nécessité dans le règne de la liberté" et à libérer celle-ci de toute forme d'exploitation quelle qu'elle soit. La dictature du prolétariat ne saurait en elle-même constituer un garant de cette mission, elle ne constitue qu'un simple outil au service d'un processus complexe qui requiert l’intervention consciente de la classe ouvrière. C'est pourquoi la transition du capitalisme vers le socialisme après la prise du pouvoir par le prolétariat ne se fera pas par des décrets mais nécessitera une longue période transitoire pendant laquelle le prolétariat s'attaquera aux vestiges de l'ancienne société, intégrera les autres classes au procès de production, s'attachera à la construction d'une nouvelle société.
Cette période de transition s'échelonnant entre le capitalisme et le communisme lourde de la "tradition de toutes les générations de morts (qui) pèsent comme un cauchemar sur le cerveau des vivants" Marx, porte encore les traces de la société capitaliste. ; "Nous avons affaire, nous dit Marx, à une société non pas telle qu’elle s’est développée sur les bases qui lui sont propres, mais telle qu’elle vient au contraire de sortir de la société capitaliste ; par conséquent une société qui sous tous les rapports : économique, moral, intellectuel, porte encore les stigmates de l'ancienne société des flans de laquelle elle sort".
Ce qui signifie concrètement : subsistance des classes sociales et de leur antagonisme, subsistance de la loi de la valeur (bien qu’elle doive subir de profondes modifications de nature à la faire progressivement disparaître), existence de formes sociales intermédiaires destinées à disparaître mais rendues indispensables au maintien d'une certaine cohérence sociale… C'est ainsi que le prolétariat devra recourir à l'Etat, organisme de contrainte, "fléau dont le prolétariat hérite dans sa lutte pour arriver à sa domination de classe, mais dont il devra, comme l'a fait la Commune et dans la mesure du possible atténuer les plus fâcheux effets jusqu'au jour où une génération élevée dans une société d'hommes libres et égaux pourra se débarrasser de tout ce fatras gouvernemental" (Engels), mal nécessaire rendu inévitable par la subsistance des classes sociales.
L'existence de cet Etat ne doit pourtant en aucune manière représenter un frein à la dictature du prolétariat et plus encore à la transformation consciente de la société ; c'est pourquoi la dictature du prolétariat devra affirmer son autonomie par rapport aux autres classes et s’opposer à toute forme de dictature du Parti ou toute forme de substitution Parti-Etat, Classe-Etat, Parti-Classe. En refusant à une minorité de révolutionnaires « professionnels » d'exercer le pouvoir politique la classe ouvrière et les conseils où elle s'organise, confirment la nécessité à sa place pour la dictature prolétarienne d'être 1’action consciente de l'ensemble de la classe. Quant au Parti révolutionnaire, s’il continue à jouer un rô1e déterminant pendant la période de transition, il n'en reste pas moins distinct des conseils ([2] [8]) et ne s'apprête nullement à exercer un pouvoir quelconque au sein de celle-ci.
« Le futur parti communiste n’aura pas d’autres armes que sa propre clarté théorique et son engagement politique envers le programme communiste. Il ne peut pas rechercher le pouvoir pour lui-même, mais doit lutter au sein de la classe pour l’application de programme communiste. En aucun cas, il ne peut forcer la classe dans son ensemble à mettre ce programme en pratique, pas plus que le mettre en pratique lui-même. Car le communisme n’est créé que par l’activité consciente de la classe dans son ensemble. » (WR, RINT n°1)
LE PROBLEME DE L'ETAT
Le prolétariat une fois victorieux et la révolution étendue à l'ensemble du monde la période de transition entre le capitalisme et le socialisme voit surgir un Etat foncièrement différent de l'Etat bourgeois (dont le prolétariat s'est débarrassé durant la guerre civile) mais qui n’en conserve pas moins le caractère coercitif de tout Etat. Mais comment expliquer dans ce cas la contradiction apparente entre l'existence d'un organe conservateur et la nécessité pour le prolétariat de procéder à la transformation radicale de la société ? La réponse est toute entière contenue dans la nature même de la période de transition et dans le caractère essentiellement ambigu de celle-ci (c'est pourquoi contre cette ambiguïté même le prolétariat n'aura que deux armes à opposer: le pouvoir des conseils ouvriers et sa conscience de classe).
1 - destruction de l’Etat bourgeois"
« Le prolétariat apparaît comme la première classe révolutionnaire dans l'histoire à qui incombe la nécessité d'anéantir la machine bureaucratique et policière, de plus en plus centralisée, dont toutes les classes exploiteuses s'étaient servies jusqu'ici pour écraser les masses exploitées. Dans son « 18 Brumaire », Marx souligna que "toutes les révolutions politiques n'ont fait que perfectionner cette machine au lieu de la briser". Le pouvoir centralisé de l'Etat remontait à la monarchie absolue, la Bourgeoisie naissante s'en servi pour lutter contre la féodalité, la Révolution française ne fit que le débarrasser des dernières entraves féodales et le Premier Empire paracheva l'Etat moderne. La société bourgeoise développée transforma le pouvoir central en une machine d’oppression du prolétariat » (Mitchell, Problèmes de 1a période de transition, in Bilan).
Le prolétariat, première classe révolutionnaire exploitée dans l'histoire, loin de s’attacher à conquérir l'Etat bourgeois devra s'efforcer au contraire de s'attaquer directement à lui, de le détruire entièrement et d'imposer son pouvoir au travers des conseils qui constitueront le prolétariat en armes (c'est la classe dans son ensemble qui sera armée et non une "armée rouge", un corps armé détaché d'elle). Mais cette destruction ne s’attachera pas uniquement à la disparition de l'Etat bourgeois, le prolétariat aura une seconde tâche : celle de détruire progressivement l'Etat rendu nécessaire pendant la période de transition et qui constitue un organe de statu quo par excellence ; la dictature du prolétariat ne consiste donc nullement à prendre en main l'Etat bourgeois ou à détruire celui-ci en vue de la mise en place d'un Etat prolétarien identifié à la classe. Fondamentalement, la révolution prolétarienne est d'ordre politique et affirme le pouvoir d'une classe révolutionnaire consciente dans son ensemble. Mais si la prise du pouvoir politique par le prolétariat ouvre la voie aux bouleversements des rapports sociaux capitalistes et à l'instauration de la société communiste, celle-ci ne surgira pas spontanément et automatiquement des entrailles de l'ancienne société.
"Oui, la classe ouvrière n'est pas séparée de la vieille société bourgeoise par un mur chinois. Lorsque la révolution éclate, les choses ne se passent pas comme à la mort d'un homme où l'on emporte et enterre son cadavre. Au moment où la vieille société périt, on ne peut pas clouer ses restes dans une bière et les mettre dans la tombe. Elle se décompose au milieu de nous, elle pourrit et sa pourriture nous gagne nous-mêmes. Aucune grande révolution au monde ne s'est accomplie autrement et il ne saurait en être autrement. C'est justement ce que nous devons combattre pour sauvegarder et développer les germes du nouveau au milieu de cette atmosphère empestée des miasmes du cadavre en décomposition". (La lutte pour le pain. Discours prononcé par Lénine au C.C.E.)
2 - nécessite d'un Etat pendant la période de transition
Ainsi que nous venons de le voir, les classes ne seront pas entièrement abolies après la prise du pouvoir par le prolétariat. Or, tant que les classes existent, existe, pour contenir les antagonismes de classes et empêcher que la société "ne vole en éclats", un Etat. Le prolétariat, loin d'utiliser cet Etat pour exploiter les autres classes, s'en servira dans le but d'amener petit à petit les autres parties de la société à intégrer le procès de production, il en possède donc le contrôle absolu et s'en sert pour "régulariser ses relations avec les autres classes" ; de là à dire que le prolétariat et l'Etat sont identiques ou que la dictature du prolétariat exercera aussi des fonctions étatiques, il y a un pas vite franchi, mais qu'il faut se garder de faire. Identifier l'Etat au prolétariat revient à mal poser le problème et ne fait qu'embrouiller les choses. Cette confusion classe-Etat révèle, en fait, une incompréhension du caractère profondément politique de la révolution prolétarienne et du moteur objectif essentiel qui l'anime.
La période de transition, nous l'avons vu, est toute entière contenue dans cette contradiction :
a - d'une part, le prolétariat possède le pouvoir politique par l'intermédiaire de ses conseils ouvriers en armes ;
b - d'autre part, les classes subsistent ainsi que la loi de la valeur et le prolétariat reste une classe exploitée, celle qui ne possède aucun pouvoir économique particulier au sein de la société.
C'est cette contradiction apparente qui encourage la dynamique révolutionnaire vers l'abolition des rapports marchands, la socialisation de la production, la mise en place progressive de nouveaux rapports sociaux. Or, cette transformation consciente ne se réalise que si le prolétariat intègre à lui l'ensemble de la société et ce processus se fait non seulement à l'extérieur de l'Etat mais encore lui est profondément "contraire" dans la mesure où il tend à détruire celui-ci, à le rendre de plus en plus inutile. Le prolétariat reste donc une classe exploitée pendant la période de transition et cette exploitation est inversement proportionnelle à la destruction de l'Etat et des classes sociales.
A 1’inverse des révolutions passées qui couronnaient politiquement un pouvoir économique déjà en place, la révolution prolétarienne et le passage du mode de production capitaliste au mode de production communiste implique une conscience globale de ce passage. Alors que l’Etat bourgeois était progressif dans l’histoire en brisant les rapports féodaux et en affirmant les rapports capitalistes, l'Etat dans la période de transition constitue de par sa nature même un mal conservateur mais nécessaire, qui ne met pas la dictature du prolétariat en question mais qui traduit la situation même de la période de transition : période charnière pendant laquelle le prolétariat détruit peu à peu le cadavre capitaliste, les derniers vestiges pourrissant des rapports de production marchands.
c – Le prolétariat doit donc rester autonome par rapport aux autres classes et transformer consciemment la société ; or l'Etat incarne précisément l'existence de classe, il est l'expression concrète d'une nécessité de régulation, d'échange entre le prolétariat et les autres classes subsistantes, il concrétise une nécessité coercitive face aux antagonismes de classe qui restent après la prise du pouvoir par le prolétariat ; dans une certaine mesure, il est la matérialisation super structurelle de l'existence de l'exploitation (liée à l'échange et à la division sociale du travail du prolétariat pendant la période de transition). C'est pourquoi, même si les négociations entre prolétariat et autres classes se feront toujours dans l'intérêt de la classe ouvrière et sous contrôle des conseils, les tâches étatiques pendant la période de transition et la transformation consciente des rapports sociaux bien que relevant d'un-même processus : la dictature du prolétariat représentent deux choses bien distinctes.
« Seul le prolétariat contient en lui-même les bases des rapports sociaux communistes, seul le prolétariat est capable d’entreprendre la transformation communiste. L'Etat peut au mieux aider à conserver les acquis de cette transformation (et au pire y faire obstacle) mais il ne peut en tant qu'Etat se charger de cette transformation. C'est le mouvement social du prolétariat tout entier, par son activité créatrice propre qui anéantira la domination du fétichisme de la marchandise et construira de nouveaux rapports entre les êtres humains. » (W.R, RINT n°1)
Nous nous devons de ne pas confondre l'outil avec celui qui s'en sert.
d - Il est indispensable, dans le processus même de la prise de conscience du prolétariat, que l’Etat soit distinct de la classe, dans la mesure où le prolétariat doit agir en vue de ses intérêts finaux, intérêts qui ne sont pas le maintien de l'exploitation et des classes sociales ni la dictature du prolétariat en elle-même mais qui résident dans l’abolition des classes par le changement conscient des rapports de production. Ces intérêts sont donc en contradiction avec la fonction même de l'Etat et sa nature conservatrice. Un vieux dicton populaire affirme qu’un ennemi connu vaut mieux que trop d’amis inconnus. Le prolétariat, en se distinguant nettement de l'Etat, prend conscience de l'existence de cet « ennemi » utile et sur lequel il peut exercer, un véritable contrôle (on ne contrôle effectivement que ce qui est séparé de soi, sans cela il ne s'agit plus d'un contrôle).
La seule garantie qu'il possède de bouleverser les rapports sociaux d'une manière consciente réside dans la vision globale qu'il doit avoir de ce qui est à détruire et de ce qui est à construire. Ainsi l'Etat constitue bien un organe nécessaire mais à détruire progressivement.
"Ce qui doit retenir notre attention, c’est que le postulat du dépérissement de l'Etat prolétarien est appelé à devenir en quelque sorte la pierre de touche du contenu des révolutions prolétariennes. Nous avons déjà indiqué que celles-ci surgissaient dans un milieu historique obligeant le prolétariat à supporter un Etat, bien que ce ne put être « qu'un Etat, en dépérissement, c'est-à-dire constitué de telle sorte qu'il commence sans délai à dépérir et qu’il ne puisse pas ne point dépérir » (Lénine). (Mitchell, Problèmes de la période de transition in Bilan),
Apparente contradiction entre le caractère essentiellement dynamique de la période de transition, c'est-à-dire de la dictature du prolétariat, et la nécessité de l'Etat maintien d'un statu quo, apparente contradiction entre l'existence de cet Etat et le but du prolétariat qui réside précisément dans la destruction de cet organe conservateur et l'abolition des classes… toutes ces ambiguïtés touchent la nature même de la période de transition et nous révèle le caractère foncièrement difficile et douloureux de cette période et les tâches immenses que la classe ouvrière aura à assumer, la condition sine qua non de sa conscience radicale de ses intérêts ainsi que le danger toujours présent d'un retour au capitalisme parce que les germes du communisme auront à se développer dans l'atmosphère empestée des miasmes du cadavre capitaliste en décomposition.
J.L.
[1] [9] "Exceptionnellement, il se présente pourtant des périodes où les classes en lutte sont si près de s'équilibrer que le pouvoir de l'Etat, comme pseudo-médiateur, garde pour un temps une certaine indépendance vis-à-vis de l'une et de l'autre. (...) Telle la monarchie absolue des XVIIème et XVIIIème siècles, tel le bonapartisme du Premier et du Second Empire en France, tel Bismarck en Allemagne." ENGELS
[2] [10] Et cela même si l’influence des révolutionnaires se fait de plus en plus efficacement ; même si pendant cette période l’unité entre la théorie et la pratique devient telle que le prolétariat reconnaît en l'organisation des révolutionnaires le porteur de ses intérêts finaux.
La section du Courant Communiste International en Grande Bretagne, World Revolution, a tenu son Premier Congrès en Avril de cette année. Le Congrès a été consacré au bilan du travail de la section et, dans le cadre du rapport sur la situation internationale issu du Premier Congrès du CCI (voir Revue Internationale n° 5), a discuté sur les perspectives de la crise et de la lutte de classe en Grande-Bretagne ainsi que sur le rô1e des révolutionnaires et le travail global du CCI.
Le Premier Congrès de World Revolution était, avant tout, un Congrès "de travail" dans la mesure où il a permis à WR de se rendre compte consciemment au sein du CCI de son développement, de sa maturation et de sa capacité à intervenir dans la lutte de classe. C'était également l'occasion de tirer le bilan des origines de WR et de ses activités depuis que la section a contribué à la fondation du CCI.
Le Congrès s'est prononcé pour une publication plus fréquente de WR dans la mesure où nos publications sont à l'heure actuelle notre principal moyen d'intervention, l'instrument essentiel à travers lequel la voix des révolutionnaires se fait entendre. Le Congrès a également accepté des résolutions et documents qui expriment la prise de position du CCI face aux questions vitales posées à la classe ouvrière aujourd'hui. Parmi ces documents, il faut signaler la "Perspective sur la crise et la lutte de classe en Grande Bretagne" et les "Thèses sur la lutte de classe en Grande Bretagne" qui se trouveront dans le n°7 de la revue WR. Dans la décadence du système capitaliste, les conditions de la lutte du prolétariat se sont généralisées partout dans le monde ; les travaux cités ci-dessus représentent un effort pour concrétiser l'analyse de la période actuelle pour l'intervention militante dans le contexte de la Grande Bretagne, pays d'Europe particulièrement frappé par la crise du système.
Dans ce numéro de la Revue Internationale, nous présentons un autre document discuté et approuvé par le Congrès : « l'Adresse aux révolutionnaires en Grande Bretagne ». Cette adresse est une contribution des camarades de WR sur la préoccupation fondamentale de tous les révolutionnaires de notre période : la nécessité d'unifier et de regrouper toutes les forces révolutionnaires autour des positions de classe, des acquis de la lutte historique du prolétariat. Après 50 ans de contre-révolution, cette nécessité est d'autant plus urgente et cruciale que les forces du prolétariat, encore faibles et dispersées, doivent faire face aux tâches immenses de notre époque de crise et de montée de la lutte prolétarienne
L'acquis fondamental de ce congrès de WR, c'est la réaffirmation de l'unité du CCI et le renforcement politique et organisationnel de ses sections afin de pouvoir assumer effectivement les tâches pour lesquelles une organisation des révolutionnaires surgit au sein de la classe ouvrière comme instrument de sa lutte.
ADRESSE AUX REVOLUTIONNAIRES EN GRANDE BRETAGNE
Dans la période actuelle de montée de la lutte de classes, les révolutionnaires du monde entier doivent regrouper leurs forces afin d'être capables d'intervenir efficacement dans le mouvement de la classe qui mène à la révolution. Après cinquante ans de contre révolution triomphante pendant lesquels la continuité organique avec le mouvement ouvrier du passé a été rompue, la constitution du Courant Communiste International comme pôle révolutionnaire clair et cohérent est un moment vital du processus de regroupement international qui aboutira à terme au surgissement du parti communiste mondial.
Cette rupture de la continuité organique est particulièrement évidente en Grande Bretagne où il n'y a pas eu de tradition de communisme de gauche depuis la disparition de Workers ' Dreadnought en 1924. Aujourd’hui le mouvement révolutionnaire en Grande Bretagne est extrêmement restreint et les éléments qui tendent à venir aux idées révolutionnaires doivent encore comprendre la nécessité de rompre radicalement avec l'influence du trotskisme, celle des libertaires, du marginalisme et d'autres idéologies bourgeoises. Tout ceci ne peut que renforcer l'importance de la présence du CCI en Grande Bretagne à travers World Révolution. Au fur et à mesure que la lutte de classe se développera, WR aura une lourde responsabilité en agissant comme pôle de regroupement communiste en Grande Bretagne. Dans ce contexte, ce Congrès
- regrette que d'autres expressions du ressurgissent du mouvement communiste en Grande Bretagne - en particulier les éléments qui constituent aujourd'hui la Communist Workers’ Organisation - n'aient pas réussi à comprendre la nécessité du regroupement et soient tombés dans une attitude sectaire qui ne peut que servir à fragmenter le mouvement révolutionnaire aujourd'hui.
- affirme que la plate forme du CCI exprime les acquis fondamentaux de l'expérience historique du prolétariat.
- appelle tous les révolutionnaires en Grande Bretagne à reconnaître la nécessité de la centralisation et de l'unification de l'activité révolutionnaire, à se regrouper avec le CCI et à participer à en faire un facteur actif et fondamental dans la reconstitution du parti mondial de la révolution communiste.
REVOLUTIONNAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ – VOUS !
Links
[1] https://fr.internationalism.org/content/11344/lecon-des-evenements-despagne-bilan-ndeg36-novembre-1936
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/41/espagne
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/evenements-historiques/espagne-1936
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/approfondir/espagne-1936
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/lorganisation-revolutionnaire
[7] https://fr.internationalism.org/rinte6/transition.htm#_ftn1
[8] https://fr.internationalism.org/rinte6/transition.htm#_ftn2
[9] https://fr.internationalism.org/rinte6/transition.htm#_ftnref1
[10] https://fr.internationalism.org/rinte6/transition.htm#_ftnref2
[11] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/communisme
[12] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/marxisme-theorie-revolution
[13] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/37/grande-bretagne
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/conscience-et-organisation/courant-communiste-international