Comme disait un haut-fonctionnaire : "Le grand avantage de la démocratie sur le fascisme, c'est que, dans la première, on laisse éclater les scandales qu'on étoufferait dans le dernier."
En fait, il n'en demeure pas moins que le scandale est une forme de vie de la société capitaliste démocratique ou fasciste ; le rationnement, la haute bureaucratisation de l'État, l'existence normale de deux marchés ne peuvent qu'aggraver les scandales, rendre leur détection plus grande et leur imbroglio plus inextricable.
Le premier principe sur lequel s'assoit généralement le scandale est, d'une façon certaine, le désir du commerçant de pallier à la liberté de commerce par l'octroi de priorités, de bons de déblocage au travers de pots de vin touchant le plus de gens possibles en raison de la paperasserie inter-ministérielle. Un bon de déblocage ne dépend pas d'un ministère mais de plusieurs ministères qui, tous, régissent, sous un angle différent, une même activité commerciale.
Ce premier principe se trouve être accru en importance par un deuxième principe contradictoire. Tout en voulant conserver la notion de bénéfice dans le procès de circulation et d'échanges de marchandises, on veut en réglementer les prix. Nous savons où nous mène une telle politique.
Les prix défient la réglementation et chaque scandale permet de consacrer d'une part, de cacher à l'opinion publique d'autre part, la hausse des prix qu'une décision gouvernementale confirme.
Toute l'erreur de la politique actuelle en matière de scandale économique provient d'une façon bien petite-bourgeoise d'envisager le problème. Le principe de la marge bénéficiaire étant, et continuant d'être, admis, même par la CGT et le parti "communiste", ce qu'on veut surtout, ce n'est pas sa suppression mais sa réduction, en imaginant par-là provoquer une baisse qui revaloriserait les salaires.
Seulement la marge bénéficiaire de toute entreprise ne cesse de baisser depuis pas mal d'années -et il ne faut pas se laisser impressionner par la valeur nominale de celle-ci- et le besoin d'économie dans la production se faisant sentir, le salaire subit la même compression en vue de la reproduction élargie.
Ce qui, en définitive, ne nous permet pas de sortir du cercle vicieux qu'est le problème des prix, salaires et production dans un système capitaliste.
Dénoncer les scandales économiques devrait ramener les économistes et les hommes politiques à dénoncer le système de production en vigueur. Et les journaux -qui, par besoin démagogique, réclament des sanctions exemplaires- portent tout l'accent sur les personnalités incriminées et non sur le fond réel du problème.
On se rend bien compte, à ce moment, que cette confusion sciemment organisée et propagée tend à mettre hors de cause le système capitaliste, surtout quand l'État se fait capitaliste et permet aux rivalités politiques de s'abreuver de discussions discriminatrices quand la discrimination sur le plan de classe est inexistante.
Les scandales économiques viennent tenir l'honorabilité non tellement de telle ou telle personnalité mais de tel ou tel parti qui détenait le ministère ou qui en avait profité au travers d'homme de paille ; mais pour mieux alimenter l'atmosphère de pseudo-discussions "élevées", on a recours aux scandales politiques.
Dans l'affaire Hardy, d'un côté les "souteneurs» sont entachés de gestapisme, de l'autre côté les accusateurs sont les "vrais résistants". Dans l'affaire du général Alamichel, le même critère existe. Seulement les rôles sont inversés ; Hardy est accusé par le Parti "communiste" mais Alamichel doit sa promotion à ce même parti ; Frenay du MRP défend Hardy mais accuse Alamichel.
Depreux, dont l'anti-stalinisme est connu, découvre et exploite l'affaire Joanovici et le groupe "Honneur et police" fortement stalinien, pour répondre à l'exploitation du scandale "Gouin-Malafosse".
À cette cadence, tous les partis sont entachés de scandale ; demain, toutes les personnalités représentatives de la France le seront.
Seulement tous les scandales, soit politiques soit économiques, ont débuté sous l'occupation et sont intimement liés à la résistance. Des millions de victimes innocentes sont mortes sans se rendre compte des scandales que leurs chefs préparaient.
Ce n'est pas eux "la glorieuse résistance" car ils n'en ont été que les dupes mêmes, au même titre que les soldats morts dans cette 2ème guerre impérialiste. La vraie "résistance", c'est ces chefs et ses partis bourgeois, des PRL aux staliniens qui ne vivent que par l'exploitation du scandale et par le double-jeu politique.
A tous les partis bourgeois qui ne vivent que par cette démocratie "purifiée", qu'ils sachent que sur leur lutte scandaleuse se forge le pouvoir encore plus scandaleux d'un homme qui s'isole aujourd'hui, espérant mieux sauter demain.
Aux ouvriers, à ceux qui chaque jour n'ont comme maigre pitance que ces scandales, il serait bon qu'ils se demandent si cette démocratie bourgeoise n'est pas aujourd'hui un seul et unique scandale que seule la révolution prolétarienne et la suppression du régime capitaliste peuvent y mettre fin.
Tous ces scandales, toutes les manifestations dans l'ordre républicain pour le salaire minimum vital, pour la réduction des marges bénéficiaires, pour le travail forcé des oisifs ne sont que des décisions servant à cacher le vrai problème de lutte politique de classe, de lutte de sociétés, pour mieux ainsi protéger le règne de l'anarchie capitaliste.
Comprendre ceci, faire comprendre ceci est un premier pas et la seule voie d'un redressement révolutionnaire de la lutte émancipatrice de la classe ouvrière.
L'étape suivante sera immanquablement le détachement effectif et non illusoire de la classe ouvrière des partis socialistes et staliniens ; et c'est à partir de ce point que le problème de la formation du parti révolutionnaire et de la lutte offensive du prolétariat prend son plein essor.
Sur les événements d'Indochine, la presse a donné une assez large audience aux incidents parlementaires qui ont eu lieu à propos d'eux. Il est inutile d'en faire un récapitulatif. Mais un fait reste désormais acquis : c'est le double-jeu des staliniens.
D'une part leur présence au gouvernement leur semble indispensable, soit en raison du noyautage qu'ils font, soit en raison de la Conférence de Moscou, soit surtout en raison de leur nature bourgeoise qui les fait aujourd'hui jouer le rôle de garde-chiourme de l'État capitaliste.
D'autre part leur mainmise sur les masses ouvrières les obligent à des simulacres d'opposition anti-impérialiste. Mais aussi ne faut-il pas trop que cette mise en scène ne dépasse les limites de simple comédie bouffonne.
L'opposition à la politique indochinoise de Moutet s'exprimera non par un vote de défiance net et clair mais par une ambiguïté qui caractérise toujours le parti stalinien.
Le groupe parlementaire stalinien s'abstient de voter les crédits militaires, tandis que les ministres staliniens, pour ne pas rompre la responsabilité collective gouvernementale, les votent.
Et ce double-jeu, dignes des meilleurs "collaborationnistes", permet de rester au gouvernement et de faire figure, pas directement mais au travers de la CGT, de défenseur des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Pour la circonstance, Benoît Frachon n'était pas membre du bureau politique du PC mais secrétaire général de la CGT.
Ce qui devrait faire réfléchir dans cette comédie parlementaire est le fait que Ramadier, intraitable au début de la discussion sur l'Indochine, accepte, en fin de débat, ce compromis. C'est qu'il est fort à croire que, de compromis, il n'y en eut vraiment pas -le rôle de l'assemblée donne libre jeu à la politique (...) avec l'alliance des staliniens- mais une merveilleuse entourloupette avec revendications ouvrières luttant sporadiquement contre la famine.
Ce compromis, digne de la meilleure époque de la 3ème République, s'est fait sur le dos de la classe ouvrière indochinoise et française, en étouffant les problèmes essentiels du moment et en ressoudant à nouveau la classe ouvrière des deux pays à leur bourgeoisie respective.
Cette comédie parlementaire et le discours de Bruneval ne font que renforcer encore la solidité gouvernementale. Demain, aux cris de famine des masse ouvrières, on répondra que la république "une et indivisible" est un danger. Si la classe ouvrière se mêle à ce simulacre de lutte pour la liberté, c'est l'expérience espagnole qui se reproduit, mais avec des conséquences plus néfastes pour le prolétariat.
Sadi
Le fait que nos positions commencent à se répandre dans les milieux de la gauche socialiste, trotskistes et anarchistes nous a valu de nombreuses critiques. Il en est une cependant qui surnage au-dessus, très loin de toutes les autres, qui viennent de tous ces milieux apparemment si différents : nous sommes des pessimistes, nous voyons tout en noir et toutes nos positions politiques, tout notre "sectarisme" sont basés sur ce pessimisme et cette vue en noir.
Que répondre à tous ces "optimistes" ? Ils commencent eux-mêmes à se rendre compte du tragique de la situation, dont nous analysons tous les mois ici l'évolution, depuis bientôt deux ans. Où sont les pessimistes ? Où sont les optimistes ? En réalité c'est sous un angle politique et non sentimental que se résout le problème. Notre objectivisme nous a valu le titre de "pessimistes" ; de même que nos positions, ayant trait à l'activité d'un groupe révolutionnaire dans la période présente, devaient nous valoir le nom de "sectaires". Mais où sont tous les "Z'optimistes" sur commande, les faiseurs de grève générale à la petite semaine, les découvreurs de révolutions, tous les agités, les nerveux ?
Les socialistes de gauche, qui ont enfin compris que la guerre approchait, forment le "3ème front" derrière Marceau Pivert qui a fait ses preuves dans cette guerre-ci, comme soutien moral de la Résistance (voir la lettre de celui-ci à De Gaulle).
Les trotskistes, eux, sont pris d'une vraie panique : ce coup-là, ça y est, la Russie est menacée de mort ! Staline et Molotov "ne font pas appel aux travailleurs du monde entier" pour la défendre ; ils conduisent l'URSS à sa perte, disent les trotskistes ; à nous de la sauver et de la défendre !
Quant aux anarchistes, s’ils voient la situation qui évolue vers la guerre, n'en continuent pas moins à montrer leur impuissance. Cette impuissance de l'anarchisme dans la période actuelle de décadence du capitalisme est caractérisée par des appels à la grève générale, à l'insurrection, appels adressés à un prolétariat qui semble vouloir donner raison au proverbe qui dit que "ventre affamé n'a pas d'oreilles", ou tout au moins qui n'en a pas pour ceux qui l'encasernent. Appels donquichotesques à un prolétariat qui ne répond pas. Battage dans le vide qui conduit à l'illusion qu'un tel battage, que de tels moyens conduisent à la révolution, qu'ils la déterminent.
Nous n'avons cessé de montrer le chemin que prenait la politique mondiale, d'une conférence des grands à une autre conférence (de Postdam à Londres particulièrement), d'un discours à un autre discours (notamment ceux tels celui de Trumann devant la flotte américaine l'année dernière, ceux de Churchill, les réponses de Staline etc.).
De même, dans les événements qui ont successivement agité l'Indonésie, la Chine, l'Inde, l'Iran, la Palestine, l'Indochine, la Grèce et qui plusieurs fois de suite se sont renouvelés, nous avons montré combien ridicules et criminels étaient ceux qui, en partant de ces événements, les prenaient pour des indices d'une montée révolutionnaire, pour des mouvements révolutionnaires et qui, basant leur vie politique sur une telle chimère, sur une telle illusion, participaient à entretenir dans la classe ouvrière ces chimères et ces illusions. Mais ces chimères et ces illusions à propos de luttes qui en réalité opposent différents clans de la bourgeoisie, qui en réalité opposent le bloc anglo-américain et le bloc russe, leurs satellites et acolytes, permettent à ces luttes de se perpétrer sur le terrain-même de luttes d'influences et d'intérêts capitalistes et engagent la classe ouvrière à y participer. La conclusion de ces luttes devant être la guerre entre les deux blocs, l'illusion de la révolution partant de ces luttes conduit directement soit à la participation pure et simple à la guerre (et les trotskistes y vont), soit à l'abandon du mouvement ouvrier ; et l'avant-garde connaît depuis 20 ans cette philosophie du désespoir dont Koestler s'est fait un des chefs de file, philosophie qui la mine et brise ses forces déjà restreintes. C'est la conclusion et les caractéristiques d'une époque historique et des illusions qu'elle produit.
Aujourd'hui, peu à peu les illusions commencent à tomber, mais avec elles disparaissent les apparences révolutionnaires que ces organisations tentaient de conserver. Nous avons vu, dans d'autres articles, où mènent les tendances de la gauche socialiste. Nous voyons le rôle du trotskisme qui mobilise pour défendre l'URSS contre l'impérialisme anglo-américain le peu d'ouvriers qu'il a pu rafler aux staliniens grace à la surenchère dans la lutte économique.
Les uns et les autres sont ennemis à mort, d'un côté (du côté anglo-américain) les socialistes de tout poil, de l'autre les pro-russes (staliniens et trotskistes). Les uns n'ont qu'une critique à sens unique du bolchevisme qui vise la Russie d'aujourd'hui et ses défenseurs, les autres, ici et là, partout où les intérêts du capitalisme anglo-américain entrent en jeu, n'ont d'yeux que pour la trahison de la 2ème Internationale. Les anarchistes appellent à une lutte stérile un prolétariat embrigadé, enrégimenté, exsangue et écœuré, tout en continuant à entretenir des illusions profondément retardataires et devenues contre-révolutionnaires, telles "l'anti-fascisme", "le sabre et le goupillon" et un pacifisme petit-bourgeois qui n'a d'autre effet que d'accepter la guerre quand elle est là, la dénoncer ensuite.
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En fait, la situation mondiale, si elle n'a fait que s'aggraver à chaque étape déjà citée, marque surtout un chaos grandissant.
Les différents faits économiques et politiques, que nous avons voulu relever pour marquer l'évolution de la situation, marquent seulement une réalité, celle du chaos, d'un chaos qui s'accentue chaque jour et qui trouve son expression dans des phénomènes qui sont toujours plus accentués, chaos qui ne peut que s'aggraver tant que le cours historique actuel ne sera pas renversé.
Il n'appartient pas à un groupe de militants, ayant toute la bonne volonté du monde concentrée en lui, de renverser une situation historique. Il ne peut faire qu'une seule chose, c'est lutter contre le courant afin d'être prêt le jour de ce renversement. Toute illusion finit par faire transformer une idée de volonté de transformation en cette transformation elle-même ; et, quand la guerre éclatera, nous verrons les socialistes de gauche jubiler de l'écrasement de la Russie et les trotskistes penser que la révolution est là du côté de la Russie.
Dans la crise actuelle, il convient de noter une aggravation des rapports entre le bloc anglo-américain et le bloc russe. En parallèle à cette aggravation des rapports politiques et diplomatiques, la crise économique mondiale s'accentue.
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L'événement politique marquant le plus proche est la conférence de Moscou. Mais sans parler de la conférence elle-même, il est important de noter quelques faits qui ont un rapport très important avec elle.
Tout autour de la Russie, les américains viennent d'ouvrir une véritable offensive afin de chasser les russes des positions acquises à la faveur de la guerre contre l'Axe, et que les guérillas et les assauts diplomatiques n'avaient pas encore liquidées. La guerre larvée qui couve dans la situation présente prend plusieurs formes. C'est tantôt l'intimidation, le jeu d'influences économiques, tantôt l'emploi direct de la violence. L'impérialisme américain est devenu la vivante figure du capitalisme-militariste qui emploie, là où il faut, l'or et, là où il faut, la poudre.
La Suède avait passé des accords commerciaux avec l'URSS, chez qui les échanges bilatéraux chassaient, pour une grande part, les importations des États-Unis. Ceux-ci, mécontents, ont fait savoir qu'ils ne l'entendaient pas ainsi et, sous prétexte de "liberté des échanges", menacent de couper leur marché à la Suède (c'est-à-dire refus d'acheter et de vendre) si celle-ci ne révise pas son commerce extérieur (c'est-à-dire si elle n'apporte pas des modifications restrictives aux accords commerciaux passés avec la Russie).
En Grèce et en Turquie, Trumann, dans son discours "bombe", a fait entendre au monde entier que "c'est avec l'or, les techniciens et les soldats américains qu'il faudra compter désormais".
Dans le Moyen-Orient, le jeu subtil de la politique anglo-américaine a mis les russes en déroute dans leurs expériences d'Afghanistan et resserre à son profit les liens entre les 7 États arabes.
Aux Indes, c'est sous les cris de "Mort au Pakistan" que se sont faites les dernières manifestations meurtrières. L'espoir russe de voir se constituer, à leurs frontières communes avec les Indes, un État indépendant qui leur serait favorable semble s'exclure de plus en plus et c'est ce qui permet aux anglais d'envisager de quitter l'Inde (quoi que cela ne soit pas encore réalisé).
En Chine enfin, ce sont les bombardiers de l'armée gouvernementale qui résolvent les différends entre les "communistes" et eux, en attaquant Yenan à la bombe, Yenan qui est la capitale des "communistes" chinois. Ajoutez à cela la livraison de leur zone, par les russes, au profit d'avantages économiques et l'on voit le recul que ceux-ci effectuent.
Que ce soit en Grèce ou en Chine, les guerillas soutenues par les russes reçoivent des coups très durs et maintenant, ouvertement, les États-Unis mènent la guerre.
Il n'est personne, jusqu'à la France avec... la Bulgarie, qui n'ait des rapports violents (incidents diplomatiques, gifles et expulsion).
L'ambassadeur des États-Unis en Pologne qui donne sa démission, cela fait bénin et, pourtant, cela montre le caractère et le degré des rapports internationaux au moment de la conférence de préparation à la paix, la 5ème ou 6ème. On croirait que c'est hier quand Chamberlain partait discuter amicalement avec Hitler, pendant que les troupes allemandes se préparaient à envahir la Pologne et quand la mobilisation générale était décrétée en France.
Mais, en fait, l'armée turque est toute entière sur le pied de guerre, l'armée anglaise n'a pu être démobilisée que dans une faible part et l'on sait très bien que l'on ne peut rien savoir d'exact sur l'état des armées russe et yougoslave.
Il s'agit en réalité des préambules à la paix. Il n'y a que quelques malentendus d'ordre tout à fait banal sur les modalités de cette paix.
En réalité la bourgeoisie mondiale est incapable d'assurer la vie de la société et pallie au plus pressé, ayant une seule chose en vue : ses intérêts et ses privilèges. Elle préférera un autre massacre que d'en abandonner un pouce. C'est l'enseignement principal de toute cette série de conférences : l'impuissance sanguinaire des tyrans de ce monde dont la conférence de Moscou est une expression flagrante et une étape vers le conflit armé.
* * *
Les russes reculent, avons-nous dit. Certes, la position des guérillas en Chine et en Grèce est peu favorable. Certes, l'annonce de Trumann semble écarter tout espoir pour la Russie, de faire changer en sa faveur le statut des détroits et d'avoir une influence en Grèce.
Cependant si Trumann a été contraint de "mettre les pieds dans le plat" d'une manière aussi énergique, c'est parce que, pour la première fois, le bloc américain était obligé de marquer des points faibles dans son jeu. Ces points faibles sont constitués d'une part par le renforcement de la politique économique de l'URSS en Europe où elle prend la place que l'Allemagne y occupait et évince le bloc anglo-saxon (notamment au travers de traités commerciaux avec la Finlande, la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Roumanie, la Bulgarie, la Yougoslavie, l'Albanie etc.), grâce au contrôle exclusif de la navigation du Danube et grâce aussi à l'avantage d'échanges entre pays proches, à cause de la pénurie des transports et de l'économie réalisée sur eux. D'autre part le chaînon faible est constitué par la Grande-Bretagne à qui la guerre de 1914 puis celle de 1939 ont porté des coups, sinon mortels comme pour la France, du moins fort néfastes, et dont elle a beaucoup de mal à se relever.
L'Angleterre ne peut plus assurer le contrôle militaire de ses colonies de l'Inde, de la Palestine, de la Grèce et de la Turquie ; elle ne peut plus supporter les frais énormes que cela entraîne ; et elle a besoin, pour son économie défaillante, des hommes qui sont immobilisés dans le monde. Les États-Unis sont là ; ce sont leurs intérêts communs, l'état-major est le même ; il s'agit tout simplement beaucoup plus d'un "choc psychologique" que d'une relève des anglais par les américains. Les dollars ne cessent d'affluer en Turquie, en Chine, en Iran, en Grèce, partout où cela peut être utile au bloc anglo-américain. Les commissions de techniciens et de "conseillers politiques" sillonnent ces pays depuis longtemps déjà. Mais les discours comme celui de Trumann sont plus des sondages de l'opinion publique que la marque d'un "tournant" dans la politique anglo-américaine ; au contraire, il semble tout à fait logique à celui qui suit la politique anglo-américaine depuis la fin de la guerre.
En réalité, à Moscou, chacun vient montrer les dents et tout le monde se retirera sans qu'autre chose que des points d'interrogations restent posés pour ce qui est des problèmes de la paix ; et quels points d'interrogations !
* * *
Au premier plan des préoccupations de la conférence de Moscou, il y a l'Allemagne.
Les "alliés" se penchent avec sollicitude sur le sort futur des allemands. Les russes et les américains, pour des raisons différentes, voudraient une Allemagne centralisée. Les français préconisent le morcellement tel que Jacques Bainville le demandait après l'autre guerre. Les français demandent aussi la déportation d'allemands pour pallier à la surpopulation en Allemagne. Mais tout ceci cache le désarroi profond qui règne dans le camp des impérialistes vainqueurs au sujet de la carcasse du vaincu. Pour un pays qui entreprend une guerre et qui fait des dépenses énormes dans ses armements, il joue sur l'unique possibilité de victoire. Pour lui, la guerre doit être rentable. C'est le but de se payer des frais de guerre sur le dos du vaincu, l'Allemagne et que les "alliés" cherchent une combinaison qui les satisfasse. Inutile de dire que, dans les réparations comme ailleurs, ce sont les plus forts qui se servent d'abord ; aux autres après, s’il en reste.
Pour les américains, une Allemagne démocratique centralisé c'est une Allemagne qui peut se relever économiquement et remplir le double avantage de concurrencer la Russie en Europe centrale et de payer ses dettes de guerre.
Si, pour les américains, la centralisation de l'Allemagne et son relèvement économique conditionnent les prélèvements à titre de réparations, pour les russes leurs réparations passent avant tout parce que, dans le fond, s'ils acceptent le principe de l'unification de l'Allemagne, ils ne sont pas prêts de se retirer de leur zone. Ils n'en partiront qu'après avoir raflé le plus possible et quand il n'y aura plus moyen de faire autrement (il est certain du reste que l'unification de l'Allemagne ne veut pas dire l'abandon de l'occupation militaire, du moins les russes comptent bien l'occuper quelques décades). Toute leur politique consiste à accepter le principe des accords mais à les mettre dans l'impossibilité de se réaliser.
Pour la France il n'y a qu'une seule chose qui puisse à la fois garantir sa sécurité et lui donner des garanties que des réparations économiques lui seront versées, c'est l'occupation de la Ruhr et le monopole sur son industrie et son sous-sol. Mais les anglais ne tiennent pas à perdre la Ruhr. Mais l'Allemagne sans la Ruhr et sans l'Est industriel occupé par les russes n'est plus l'Allemagne rentable que désirent les américains. Et sachant que les russes, en réalité, n'ont pas intérêt à ce que l'état de choses actuel change, on voit que la conférence de Moscou a de grandes chances d'aboutir à une autre conférence qui, elle-même... et puis un beau jour ça se gâtera.
L'Allemagne n'en reste pas moins un fardeau, un problème insoluble. L'administration des zones américaine et anglaise coute. Les américains sont pressés d'arriver à leurs fins de rentabilité de l'économie allemande. Les russes veulent garder ce qu'ils ont et tergiversent. Pendant ce temps-là, et malgré la famine, l'augmentation de la population en Allemagne et le surnombre des femmes (7 millions maximum, 5 millions minimum) posent un problème démographique aigu que la déportation des hommes - préconisée par Bidault et pratiquée, plus que de mesure, par Staline - n'est pas faite pour arranger.
En relation avec la conférence de Moscou, d'importantes manifestations se sont produites dans la Ruhr, groupant plusieurs centaines de milliers d'ouvriers. Au sujet de ces manifestations, on a déjà beaucoup écrit. Il est certain que la situation de famine qui règne n'a pas été créée volontairement par les occupants. Mais il est curieux que ce soit justement à ce moment que le mouvement éclate (d'ailleurs ce ne sont pas les premiers mouvements ; on a beaucoup moins parlé des plus anciens, faits il est vrai sur une échelle moins large ; également la famine n'existe pas d'aujourd'hui, et pas seulement dans la Ruhr mais dans toute l'Allemagne). Il n'en reste pas moins vrai que ces manifestations ont été exploitées par les partis politiques allemands. Il est difficile de dire qu'ils ont été "fomentés", cependant il est si facile de trouver des raisons de mécontentement en Allemagne, dans sa situation actuelle qu'il suffit que, soudain, les partis politiques allemands et les syndicats qui doivent se montrer "bons administrateurs", "capables de gouverner" à la place des "alliés" un jour prochain, pour l'instant en les secondant servilement, aient senti le moment favorable pour laisser la bride sur le cou à leurs administrés, en leur suggérant au besoin ce qu'ils attendaient d'eux ; et voilà que naît un mouvement spontané, mouvement dont tous les politiciens s'emparent : les anglais contre les allemands, les russes contre les anglais, les socialistes allemands pour l'unification de l'Allemagne etc. C'est là que les staliniens se sont employés activement, se servant de leurs postes syndicaux.
Mais le mouvement dépasse les espérances et les gouts des politiciens. Les uns et les autres tentent d'endiguer, en leur faveur, le mouvement le plus important depuis la fin de la guerre.
Une première conclusion s'impose : ils n'y ont pas réussi totalement et ont commencé, depuis le début de la semaine suivante, à lancer leurs appels au calme (si connus chez nous). Les mouvements se sont poursuivis et, laissant de côté les problèmes politiques mis en avant par les politiciens, les ouvriers ont de nouveau posé leurs revendications au sujet d'une amélioration du ravitaillement.
Mais il faut être extrêmement prudent au sujet de ces mouvements. Ils se placent à la pointe extrême de la politique de préparation à la guerre :
- D'une part ils peuvent se développer et s'affranchir de l'emprise des partis politiques allemands, de la politique allemande et devenir un foyer de lutte de classe important, capable de donner une nouvelle orientation au cours historique qui va vers la guerre, et notamment s'appuyer sur un mouvement italien qui pourrait y trouver des raisons de renaître.
- D'autre part ils peuvent au contraire servir aux partis politiques allemands, notamment au parti "communiste" stalinien en faveur de la politique russe, et ne faire qu'accélérer le cours vers la guerre, en donnant aux impérialistes des bases nouvelles de désaccord qu'ils auront un plaisir immense à exploiter.
Inutile de dire que le jeu est extrêmement dangereux. Pour l'instant, puisque nous ne sommes pas des prophètes, bornons-nous d'en marquer l'importance, et surtout l'importance du développement de tels mouvements qui peuvent, dans un sens comme dans un autre, donner une nouvelle tournure à la politique. Cela peut en tous cas reposer bien des problèmes pour la bourgeoisie.
L'avenir de la lutte de classe ne peut qu'y gagner à sentir toute l'importance du développement de la lutte du prolétariat allemand et à la suivre de prés.
* * *
Et c'est la ronde infernale. Le chaos politique et économique à la fin de l'hiver s'est soldé par une famine qui a envahi l'Europe après avoir fait des milliers de morts en Roumanie et dans la partie orientale de la Russie d'Europe. L'Allemagne, l'Espagne et l'Italie, ensuite la France, sont dans une situation catastrophique. C'est chaque jour plus la famine, et l'hiver prochain ne s'annonce pas meilleur, sinon pire. A ces graves situations alimentaires s'ajoute, pour tous ces pays, une situation monétaire catastrophique ; l'inflation accompagne presque toujours la misère et la famine, amenuisant encore le niveau du pouvoir d'achat des classes pauvres.
En France, la situation est très grave. On a voulu y remédier par une série de décrets et de mesures "psychologiques", par un 10% d'impôt de solidarité nationale, peine perdue. Tandis que les ministres passent leur dimanche à parler à la radio pour démontrer que tout va bien (la méthode Coué) et que les finances n'ont jamais été aussi saines, l'institut d'émission tourne à plein rendement, la guerre d'Indochine coute 100 millions par jours, le budget n'est même pas débattu, c'est le chaos dans les affaires et on se dit chaque jour : "Encore un jour de gagné..."
* * *
Oui, encore un jour de gagné... pendant que l'on fait des compromis, que l'on discute en conseils des ministres "restreints", le massacre d'Indochine continue. Tant que les staliniens ne seront pas évincés du Viet-Minh, le gouvernement ne traitera pas.
Le massacre continue en Chine. Les maladies et la famine envahissent l'Europe. Des ouvriers sous-alimentés doivent fournir un travail plus grand, sur un matériel industriel vétuste, pour ne gagner même pas de quoi vivre, pendant que surproduction et chômage guettent les États-Unis, l'Australie et d'autres pays encore.
D'un tel chaos ne peut sortir qu'un chaos encore plus grand. L'offensive que les États-Unis mènent contrer la Russie, sous une forme larvée aujourd'hui, y trouvera demain un terrain favorable.
Dans une telle situation, l'avant-garde révolutionnaire doit resserrer ses liens et ses contacts, lutter contre le courant par tous les moyens possibles. Les camarades doivent à la fois serrer les coudes et faire oeuvre de solidarité révolutionnaire là où c'est nécessaire et prévoir les nécessités futures ; l'avant-garde doit être prête politiquement à jouer le rôle historique qui est le sien contre la guerre impérialiste et se préparer aux luttes que le prolétariat révolutionnaire est susceptible d'engager par la suite. Il s'agit d'être sérieux et réfléchis et non agités et nerveux, enthousiastes à s'essouffler pour rien. Pour nous, il s'agit plus de ne pas courir vite et de savoir partir à point, tout en gardant bien en vue l'état effectif de nos forces, en s'en servant à bon escient et non en s'essoufflant dans un bluff grossier et donquichotesque.
PHILIPPE
Après plus d'un mois de grève, durant laquelle ils semblaient dominer la situation par leur cohésion et leur unanimité, les ouvriers ont décidé brusquement de mettre fin à la grève et de reprendre le travail le 17 mars, sur la base de leurs anciennes conditions.
Ce fait par lui-même suffit déjà à éveiller la méfiance et incite à rechercher, derrière les manifestations apparentes, les dessous réels, où se trouvent les mobiles véritables de ce conflit et de son déroulement.
Il y a évidemment un premier côté, banal celui-ci, d'une demande de réajustement de salaire de la part des ouvriers de la presse ; la légende des hauts salaires mirobolants des ouvriers de la presse ne correspond naturellement à rien. Il y a bien longtemps que cette catégorie d'ouvriers a perdu sa position "privilégiée" d'autrefois. Personne ne songeait à contester la légitimité de leur revendication, ni le syndicat de la presse (patronal), ni la SNEP, ni les imprimeurs, ni même le gouvernement. Tout le monde s'accordait sur la "légitimité" des réclamations des ouvriers, discutant seulement sur le pourcentage de l'augmentation et les modalités dans l'application afin que l'augmentation des salaires ne pèse pas trop lourdement sur la marche commerciale de la presse[1]. De leur côté, les ouvriers très, "compréhensifs", ont accepté immédiatement les propositions patronales et gouvernementales d'aménagement de la production comprenant une augmentation de la production proportionnelle à l'augmentation des salaires. Ainsi, cette "grande" grève de "lutte et d'action directe" a vu s'établir rapidement un accord entre tous les intéressés , arrangeant aussi bien les affaires du patronat tout en accordant satisfaction aux revendications des ouvriers. Il faut encore remarquer que l'on n'a pas assisté cette fois-ci à l'attaque ministérielle contre les ouvriers de la presse, les dénonçant comme "des privilégiés" et "des collaborateurs de la veille" par-dessus le marché, comme ce fut le cas lors de la grève des rotativistes l'année dernière. Pourtant, c'est toujours le même Croizat, communiste et secrétaire général de la fédération des métaux, qui est ministre du travail. Les incidents à l'imprimerie de L'Humanité n'avait pas tant pour fond une manifestation d'hostilité du PCF contre la grève que le désir des communistes dont l'avantage sur les autres est de pouvoir faire paraître leur journal de temps en temps durant la grève.
Si malgré ces conditions, qui devaient plutôt favoriser une solution très rapide, la grève s'est démesurément prolongée, il faut chercher les causes ailleurs que simplement dans une opposition patronat-ouvriers.
Que cela soit ainsi, nous le voyons encore sur les affiches publiées pendant la grève par L'Humanité et son ombre le Franc-Tireur. Dans ces affiches, ces journaux déplorent la prolongation de cette grève qui, parait-il, cause un préjudice financier colossal à la presse de la "Résistance" et dénoncent des machinations ténébreuses du trust Hachette et autres groupements financiers qui tentent, en mettant en difficulté la presse "libre" et républicaine, de reconquérir la haute main sur la presse quotidienne.
Aucun doute, en effet, sur l'existence des intrigues compliquées qui se trament dans les hautes sphères gouvernementales autour de ce secteur décisif de la vie politique du pays. La presse est une arme de propagande redoutable, entre les mains des grands partis gouvernementaux, dans la fabrication de l'opinion publique.
A la libération, les trois grands partis, le MRP, le PS et le PCF, ont réussi à s'emparer de la presque totalité de la presse aux dépens des autres formations et groupes trop faibles pour les en empêcher. Depuis, les autres groupes dépossédés, les anciens potentats n'ont cessé de mener une lutte, tantôt sourde tantôt ouverte, pour récupérer une partie de leurs pertes.
A la tête de cette opposition contre les nouveaux parvenus et "usurpateurs", se trouve le Parti radical-socialiste. Et on se souvient de plusieurs discours de Herriot, dans la Constituante, pour la liberté de la presse et le retrait de "l'autorisation préalable", moyen par lequel les trois partis au gouvernement monopolisent la presse pour leur propre compte.
Ce thème a servi de cheval de bataille aux Radicaux lors des successives et nombreuses consultations du corps électoral : les référendums et les élections.
L'entrée des Radicaux dans le gouvernement s'est faite, entre autres, sur la base de concessions que lui ont fait les autres partis dans le domaine de la presse, à la suite de quoi le gouvernement devait présenter un projet de loi retirant "l'autorisation préalable". Le MRP et le PS devaient d'autant plus être enclin à faire cette concession que, de tous les partis, les communistes avaient la meilleure part, que leur domination de la presse allait en augmentant, ce que le MRP et le PS redoutaient par-dessus tout.
Mais, d'autre part, le processus de concentration de toute la vie économique de la société, la tendance de l'étatisation aux dépens d'un capitalisme libéral, qui est la caractéristique de la période présente ne peut s'accompagner d'une presse plus ou moins indépendante. Le contrôle de l'État, sinon sa totale domination sur la presse, est une nécessité absolue pour le capitalisme moderne.
D'où la position ambivalente du gouvernement français, traduisant la situation particulière du capitalisme français, tant du point de vue de sa structure interne que de la place qu'il occupe sur le plan international.
D'une part la nécessité d'avoir une presse centralisée, entièrement soumise et contrôlée par l'État, d'autre part la division et le fractionnement du capitalisme français dont les intérêts particuliers exercent encore de fortes pressions contradictoires ; d'une part la nécessité d'opposer, face aux autres États, un point de vue "français", d'autre part sa faiblesse réelle qui fait que le capitalisme français ne peut avoir d'autre possibilité que de s'intégrer dans un des deux blocs existants, d'où l'attraction à laquelle est sujet la France, venant tantôt de la part de Moscou, tantôt de la part de Washington et déchirant "l'unité française" en deux courants fondamentaux, s'accommodant parfois mais s'opposant toujours.
Le gouvernement français n'est pas une unité mais un composé, un compromis, un moyen terme, continuellement mis en question. D'où ses continuelles hésitations, ses demi-mesures, le fait qu'à chaque pas qu'il fait dans un sens il fait un demi pas en sens opposé. C'est le prototype d'un pays capitaliste de 3ème ordre.
Dans la question de la presse s'est à nouveau manifesté la nature d'un composé des contradictions du gouvernement français. Intrigues des anciens magnats de la presse pour récupérer leurs positions, volonté farouche des staliniens de garder le monopole de la diffusion au travers de leur Messagerie Nationale de la Presse, intrigues du parti radical sous l'étiquette de la liberté de la presse, nécessité de concentrer entre les mains de l'État la parole imprimée, intrigues des partis cherchant à faire perdre aux staliniens leur place dominante[2], etc.
Tous ces tiraillements ont atteint leur maximum à l'occasion de la grève, expliquent les interventions et l'attitude équivoques et contradictoires du gouvernement dans ce conflit.
D'abord le gouvernement semblait hostile à toute augmentation des salaires parce que contraire à sa politique de baisse des prix ; ensuite il déclarait se désintéresser de cette affaire, laissant ouvriers et patrons se mettre d'accord ; enfin il revenait pour proposer une augmentation des salaires de 17% mais correspondant à une augmentation d'autant de la production ; et finalement, après qu'ouvriers et patrons acceptèrent cette proposition gouvernementale, Croizat, ministre du travail, au nom du gouvernement, revient sur sa propre proposition sans autre explication et déclare s'opposer à tout augmentation.
Il paraît que Croizat aurait menacé le président du conseil, le socialiste Ramadier, de déclencher un mouvement de grève dans la métallurgie (syndicats dirigés par les staliniens) si on accordait satisfaction au syndicat ouvrier de la presse (dirigé par des réformistes anti-staliniens). Il aurait agi ainsi pour sauvegarder le prestige stalinien dans la CGT. Cela est fort possible et ne saurait aucunement nous étonner.
Mais cette manœuvre purement politique ne contredit pas mais viendrait plutôt s'ajouter à tout ce que nous avons dit plus haut sur les intrigues dans les coulisses qui dominaient lors du déroulement du conflit de la presse.
Pour l'instant il ne semble pas que le statut de la presse ait trouvé une solution ; le gouvernement incapable de prendre une position définitive, remettant la solution à un moment ultérieur, s'est décidé à maintenir les choses telles qu'elles sont sur le plan du conflit. Cela signifiait mettre fin à la grève sur la base du statu-quo. Ce qui fut fait.
Si l'attitude gouvernementale, brusquant la fin de la grève, est compréhensible, l'attitude des ouvriers, acceptant de reprendre le travail sur les anciennes conditions, laisse à première vue quelques étonnements.
Il serait absolument stupide de parler de "trahison de chefs" syndicaux, comme ont l'habitude de le faire les trotskistes et autres à chaque nouvelle défaite d'une lutte ouvrière. Cette "explication", s'appliquant à chaque défaite partout et toujours, n'explique finalement rien du tout et, au plus, que les "explicateurs" ne comprennent rien à ce qu'ils veulent expliquer.
Nous avons déjà fait remarquer qu'il y avait une cohésion certaine parmi les ouvriers dans la grève. Ajoutons encore que le syndicat ouvrier de la presse est composé d'ouvriers en majorité anti-staliniens, avec un fort pourcentage d'éléments syndicalistes, anarchistes, gauchistes et même trotskistes. La direction est dans les mains d'anti-staliniens et exprimait, plus ou moins démocratiquement, la mentalité et l'état d'esprit de l'ensemble des ouvriers syndiqués cent pour cent. Il n'y a donc pas de trahison des chefs mais, tout simplement, l'impasse à laquelle est généralement condamnée toutes ces sortes de grèves purement revendicatrices et étroitement corporatistes dans la période actuelle.
La grève fut absolument impopulaire. Elle n'a trouvé aucun écho dans la masse ouvrière. Cela vérifie une fois de plus, comme la grande grève américaine des mineurs, que les luttes menées sur la base corporatiste, de revendications économiques, professionnelles ne sont plus à même de s'élargir, d'entraîner l'ensemble de la classe ouvrière. En restant une lutte pour les intérêts particularistes d'une catégorie, elle ne parvient pas à se hisser à la hauteur d'une lutte historique de la classe. Ce genre de grève particulariste avait une force combattive face à un patronat particulier ; elle ne peut être d'aucune force face à l'État. Face à ce dernier, ne se pose pas et ne peut se poser en opposition quelques revendications économiques d'une catégorie particulière. Seule une lutte sur une base sociale peut servir de lien et de regroupement de l'ensemble des ouvriers, et élever leur lutte à la hauteur d'une lutte de classe, à la hauteur d'une opposition historique du prolétariat contre le capitalisme d'État et l'État capitaliste.
La cohésion des ouvriers de la presse leur faisait tenir tête au patronat ; mais avec la même cohésion, ils ne pouvaient que s'incliner devant les exigences de l'État.
Tant que les luttes des ouvriers se tiendront sur ce même plan étroit des revendications économiques, corporatistes, professionnelles et syndicales, elles seront condamnées à des impasses, à s'effriter et ne mèneront qu'à l'usure des forces du prolétariat, avec pour résultat le renforcement de l'État capitaliste.
Pour terminer, nous voudrions encore insister sur un point. Il était devenu coutumier que "La Vérité" des trotskistes ou "Le Libertaire" des anarchistes se mettent à brailler à chaque grève. Dans ces mouvements isolés - qui sont autant de drames du prolétariat, ne parvenant pas à identifier son ennemi de classe, l'État capitaliste, et à retrouver le chemin de son émancipation révolutionnaire - les anarchistes, trotskistes et autres syndicalistes voyaient de magnifiques manifestations de la combativité révolutionnaire du prolétariat. Nous regrettons que "L'Internationaliste", organe de la Fraction française, soit tombé à ce niveau et ne croit mieux faire qu'emboîter le pas aux trotskistes.
Dans son dernier numéro du mois de mars, il pousse des "Hourra!" sur la combativité magnifique des ouvriers de la presse en grève dans le style de "La Vérité", ne comprenant rien au déroulement de la grève ; il voit, dans son prolongement, une manifestation des grévistes à ne pas céder. "L'Internationaliste" "encourage", à sa façon, les ouvriers en grève et va jusqu'à leur attribuer généreusement le titre de "l'avant-garde des ouvriers".
Pour calmer un peu leur fièvre, pour les inciter, eux et d'autres ouvriers, à réfléchir, nous reproduisons ici des extraits du communiqué que les syndicats ouvriers, en commun avec le patronat, ont publié dans les journaux au moment de mettre, d'un commun accord, fin à la grève :
"Soucieux d'appuyer sans réserve la politique gouvernementale, les syndicats de la presse parisienne, les organisations ouvrières, les imprimeurs spécialistes de la presse et la SNEP ont établi, sur des suggestions publiées du gouvernement, un projet de parution sur 7 jours qui comportait, de la part des organisations ouvrières, une augmentation de production et des réductions d'équipes rigoureusement conformes aux désirs du gouvernement.
Soucieux de ne pas laisser le public parisien sans informations, dans des circonstances extérieures et intérieures auxquelles le pays doit faire face, ils ont donc décidé, d'un commun accord, que les journaux réapparaîtraient le lundi 17 mars aux conditions anciennes.
En demandant au gouvernement de ne pas se renier lui-même et d'approuver le protocole du 13 mars, les syndicats de la presse parisienne et les organisations ouvrières du Livre ont conscience de défendre l'intérêt national.
Ils demandent aux élus du peuple et au peuple français de les soutenir dans cette lutte pour la liberté de la presse" (Il s'agit de la défense de la presse de la résistance).
Voilà un communiqué qui laisse bien songeur quant à "l'esprit révolutionnaire" des grévistes de la presse et qui les placeraient à l'avant-garde du prolétariat.
J. Marcou
[1] Le syndicat ouvrier demandait une augmentation de 25%. Les patrons ont commencé par proposer 12%, proposition qui fut rejetée par les ouvriers ; puis les deux parties se sont mis d'accord sur 17%.
[2] Comme par hasard, un cinquantenaire de la presse lyonnaise coïncidait avec la grève de la presse à Paris. A cette occasion une cérémonie a eu lieu, au cours de laquelle Herriot a prononcé un discours dans lequel il dénonçait le remplacement de "l'autorisation préalable" par d'autres mesures (subvention gouvernementale à une certaine presse, augmentation du prix du papier etc.)
Au moment d'achever notre bulletin nous parviennent des nouvelles sur des convulsions sociales dans la Ruhr.
Nous n'avons plus le temps ni la place pour en faire une étude approfondie mais nous ne saurions passer sous silence ces événements que nous considérons, du point de vue de classe, comme les plus marquants depuis la cessation des hostilités et l'étouffement, par les impérialismes vainqueurs, des premières manifestations de révolte sociale des ouvriers allemands au début de 1945.
Nous avons, à plusieurs reprises, analysé et insisté sur le rôle décisif que joue le prolétariat allemand dans la lutte internationale de classes. Par ses traditions, par son expérience, par sa concentration et sa cohésion, par la situation particulière qu'occupe l'industrie allemande dans l'économie mondiale et de par sa position géographique, le prolétariat allemand est l'axe du mouvement d'émancipation international des ouvriers, le foyer central de la révolution socialiste.
Anéantir toute velléité de lutte, briser toute possibilité d'action de classe, enfermer le prolétariat dans une camisole de force était la préoccupation première des alliés à la veille de l'effondrement du régime hitlérien. En y parvenant, le capitalisme a réussi à écarter la menace de troubles révolutionnaires et à ouvrir largement la voie à l'aggravation du chaos économico-politique dans le monde, à la continuation des massacres et des destructions, sous la forme de guerres localisées, déclarées ou non, en attendant et en préparation de la 3ème guerre généralisée inter-continentale.
Le fait que les masses ouvrières de la Ruhr ont pu se manifester dans des actions d'envergure, par des manifestations spontanées et la grève générale est, pour nous, d'une très haute importance.
Il signifie que les impérialismes vainqueurs n'ont pas réussi à anéantir complètement la force, la volonté et la combativité des ouvriers allemands. Bien sûr, les forces politiques du capitalisme, la social-démocratie et les staliniens, influencent largement les masses ouvrières et leurs actions dans la Ruhr. Cette influence se manifeste dans les revendications sur les "dénazifications", les "démocratisations" et autres slogans mensongers. Mais il faut discerner, dans les manifestations de la Ruhr, l'élément spontané, à un très haut point populaire, débordant la volonté des partis politiques et des directions syndicales.
Les mineurs de la Ruhr ne partent pas avec des revendications corporatistes, économiques, professionnelles. Au contraire, ce sont les revendications essentiellement sociales, le ravitaillement - non le ravitaillement préférentiel dont ils bénéficient mais le ravitaillement général de la population travailleuse - qui est à la base de leur mouvement.
Face à la diminution du ravitaillement (qui est tombé à 700 calories par jour) les ouvriers ripostent en diminuant le rendement du travail qui est à 50% de celui d'avant-guerre. Sans se préoccuper de la possibilité ou non pour les classes dirigeantes d'augmenter le rationnement, ils ripostent à la politique d'affamer les masses ouvrières par la menace d'arrêter la production, la production des pays capitalistes.
Pour toutes ces raisons, les événements de la Ruhr ont une importance autrement significative que les grandes grèves de masses qui ont eu lieu en Amérique. La presse mondiale a ressenti cette importance et les gouvernements s'inquiètent à juste raison.
Rien ne permet de statuer sur le développement ultérieur de ces événements mais, dès maintenant, une attention des plus vigilantes doit être portée sur toute lutte de classe en Allemagne et appeler à la solidarité internationale des ouvriers de tous les pays avec la reprise de lutte des ouvriers d'Allemagne.
J. Marcou
Nous avons reçu une lettre d'un camarade trotskiste suisse. Nous citerons quelques extraits de cette lettre et la partie politique de notre réponse.
Extraits de la lettre :
"4°/ Votre reproche au PCI (d'Italie) de s'être constitué en parti montre une tendance très dangereuse de sectarisme et même de défaitisme. Ce qui est faux c'est la politique générale du PCI (d'Italie), non pas le fait d'avoir constitué un parti car, effectivement, même un adversaire doit avouer qu'en Italie le bordiguisme est un parti.
5°/ Si je ne me trompe, vous appelez la Russie "capitalisme d'État". Avec cette fameuse trouvaille (qui, d'ailleurs, est plus vieille que votre existence) vous faites la fameuse nuit où tous les chats sont gris. Sur ce point tout le nécessaire est dit, d'après mon humble avis, dans le chapitre correspondant de "La révolution trahie". L'autre théorie ultra-gauchiste dans la question russe, celle du "collectivisme bureaucratique", a au moins le mérite d'être quelque chose d'original, de présenter, quoique fausse, un effort de pensée, de donner une réponse neuve à une question non prévue dans nos théories classiques.
6°/ Votre mépris pour le trotskisme -que vous traitez en grands seigneurs d'opportuniste et d'aile gauche de la bourgeoisie- montre que, tout d'abord, la politique doit être une autre manière de rigoler pour vous ; que, d'autre part, en traitant quelqu'un d'opportuniste, cela seul ne dit pas grand-chose (voir les fameuses nuits etc. plus haut) ; ce n'est qu'en spécifiant qu'on rend une réponse concrète.
7°/ Pour me résumer, si vous disiez : l'usage que fait le PCI (de Fr) du mot d'ordre de l'échelle mobile des salaires, en l'isolant du Programme Transitoire (et surtout de son corollaire indispensable : le Contrôle Ouvrier de la Production), en ne l'accompagnant pas de la critique et propagande révolutionnaire indispensable, est d'essence opportuniste car, de fait, la politique pratique du PCI (de Fr) devient centriste, vous auriez raison. En l'appelant l'aile gauche de la bourgeoisie, vous montrez que vous ne savez pas ce que c'est que la bourgeoisie et vous montrez un manque de sérieux étonnant qui est le présage certain que personne ne vous écoutera, même si vous préconisiez, par hasard une fois, une position juste.
Voilà quelques remarques. Je n'ai pas l'intention de vous faire une leçon quelconque mais tout socialiste de bonne foi, qui ne considère pas le sectarisme (c'est-à-dire un opportunisme qui a peur de lui-même) comme le dernier mot du mouvement ouvrier, vous dira à peu près la même chose."
************************
Et voici la partie politique de notre réponse :
Pour en venir à tes "quelques remarques", il apparaît clairement que tu as saisi surtout le petit côté de nos critiques du trotskisme et que tu n'as pas compris le fond de nos positions.
Cela est surtout clair quand tu dis : "En l'appelant l'aile gauche de la bourgeoisie vous montrez que vous ne savez pas ce que c'est que la bourgeoisie etc... (il s'agit du trotskisme)."
Ce qui rattache le trotskisme, qu'il le veuille ou non, à la bourgeoisie, c'est tout un ensemble de positions politiques qui lui permettent, dans la mesure où il peut avoir une influence sur le prolétariat, d'empêcher celui-ci de trouver son chemin de classe, d'entretenir la confusion idéologique créée par les partis ouvriers-traîtres et dont l'aboutissement logique des positions défendues est effectivement sur le terrain de la continuation du régime capitaliste, de la conservation de ce régime et de l'impossibilité pour le trotskisme de jamais se poser sur le terrain de classe du prolétariat.
Dans cet ensemble idéologique sont indissolublement liées les positions telles que par exemple :
Tout est indissolublement lié et un changement de position ou de tactique sur un seul de ces points ne changera pas le fond qui fait du trotskisme effectivement un courant qui, avec un autre courant tout à fait opposé, l'anarchisme, entretient, au sein de la classe ouvrière, des conceptions ou des positions politiques qui l'empêchent de se poser en face du capitalisme, sur son terrain de classe propre.
Pour ce qui est des perspectives, il est évident qu'un jour ou l'autre le prolétariat deviendra révolutionnaire et tentera de renverser l'édifice capitaliste. Mais il s'agit ici des perspectives actuelles, d'une appréciation de la situation actuelle. Or la situation actuelle est une situation réactionnaire, un courant qui, en entrainant de plus en plus le prolétariat hors de ses positions de classe propres, se rattache de plus en plus au char du capitalisme pourrissant, l'embrigade idéologiquement dans le cours de la politique actuelle de ce capitalisme, cours qui évolue vers la guerre impérialiste entre les blocs, anglo-américain d'une part et russe de l'autre, actuellement en train de se constituer et de se renforcer.
Pour les trotskistes la situation importe peu pour la constitution du parti de classe. L'incompréhension totale des conditions historiques nécessaires et propices à la constitution du parti, liée à l'incompréhension de la situation, oblige les trotskistes à se mettre de plus en plus à la portée de l'état d'esprit des masses pour pouvoir les rassembler, alors qu'il s'agit, au contraire, de représenter les positions de classe du prolétariat et que la constitution du parti correspond avec une montée révolutionnaire, période où peu à peu de plus larges couches du prolétariat prennent conscience de la mission historique de leur classe. [Quand nous reprochons au PCI d'Italie de s'être constitué en parti, c'est dans le sens que, dans la situation actuelle, ou bien il n'est pas un parti réel, c'est-à-dire qu'il ne peut avoir une influence réelle sur la lutte de classe en Italie et c'est le cas réellement, ou bien, s'il veut avoir cette influence, il doit progressivement se mettre au niveau du prolétariat et ainsi abandonner peu à peu ses positions révolutionnaires. Donc dans un cas il fait du bluff en s'appelant parti sans en avoir le rôle, et dans l'autre il veut jouer ce rôle et abandonne ses positions de classe ; et c'est ce qui se passe en effet.]
Nous en arrivons donc au cœur du problème, à la situation présente du capitalisme dans sa crise permanente et à celle de la lutte de classe du prolétariat dans cette période. Et tout d'abord deux mots de la Russie. Nous ne cherchons pas à avoir "une position originale" mais à comprendre avec justesse le problème russe.
Aujourd'hui "la position originale" est celle de Burnham et de la "Managerial Society" ou de la société des chefs etc., position pas nouvelle non plus et renouvelée de la "bureaucratie" et de la "technocratie", aujourd'hui embrassée par tous les socialistes "sérieux", comme Léon Blum ou Marceau Pivert en France.
Or, ou bien l'économie russe évolue vers le socialisme et, dans ce cas-là, Staline a raison, ou c'est une économie à caractère capitaliste. En quoi reconnaissons-nous le caractères capitaliste ou socialiste d'un système de production ? En quoi pouvons-nous dire qu'une production reste dans le cadre du capitalisme ou au contraire peut évoluer vers le socialisme ? C'est dans la finalité de la production que nous pensons trouver la clé du problème. Or la finalité de la production capitaliste, malgré son haut degré de développement scientifique, de rationalisation et d'organisation, est une production dont la finalité détruit, par ses contradictions propres, tous les avantages de la science et de la technique.
Produire pour produire, pour détruire demain ; le capitalisme n'est plus capable d'autre chose et il entraîne derrière lui toute la société.
Tant qu'il n'y a pas, dans une société, l'assurance que ce qui est produit (ne serait-ce que quantitativement beaucoup moins) l'est en vue de satisfaire les besoins de l'humanité, on ne peut pas dire que l'on va vers le socialisme.
La finalité essentielle de l'économie capitaliste c'est la production toujours plus grande de plus-value, c'est le réinvestissement ininterrompu de cette plus-value, l'élargissement (en tant que tendance capitaliste) des investissements, l'accumulation élargie des capitaux.
Et ici c'est Rosa Luxemburg qui a raison dans son analyse économique du capitalisme décadent ; et, malgré les critiques de nombreux marxistes, ses théories sont celles qui se rapprochent le plus de la réalité du capitalisme actuel.
Dans ce sens-là, cette crise permanente du capitalisme le plonge dans une guerre permanente d'où il ne peut sortir que devant l'intervention du prolétariat révolutionnaire. C'est donc également dans ce sens-là que l'économie de la Russie actuelle entre pleinement dans le cadre du capitalisme actuel.
Aujourd'hui la lutte du prolétariat doit se poser directement en opposition aux principes fondamentaux du capitalisme actuel. Pour ce faire, toute lutte telle que la guerre d'Indochine, les insurrections en Palestine, les incidents en Grèce, aux Indes, au lieu de permettre au prolétariat international de se détacher des cadres idéologiques du capitalisme, ne font, au contraire, que l'y rattacher et ne lui apportent que des massacres qui l'affaiblissent physiquement et qui, idéologiquement, l'entraînent irrémédiablement derrière un bloc impérialiste ou l'autre, actuellement en constitution.
Les grèves de revendication, de quelque ampleur qu'elles puissent être, ne peuvent plus entraîner le prolétariat dans le sens de sa lutte révolutionnaire. Hier, chaque grève était, pour le prolétariat, une manifestation de classe qui lui permettait de chanter, de crier, de montrer au monde la finalité révolutionnaire de sa lutte ; aujourd'hui, elles ne sont, pour lui, que l'occasion de manifester son attachement au régime qui l'oppresse.
Seule l'insurrection ayant pour but de renverser l'État capitaliste prend et peut prendre, dans la situation actuelle, un caractère révolutionnaire où la finalité de la lutte prolétarienne soit perceptible. Il va sans dire que, par exemple, la lutte de l'État (du gouvernement) vietnamien contre l'État (ou gouvernement) français n'a jamais et ne peut jamais atteindre ce but.
Toute la politique transitoire du trotskisme, sa position de défense de l'URSS, sa non-compréhension de son caractère capitaliste, sa politique de bluff de formation d'une Internationale et de partis, sa participation aux syndicats (rouages de l'État capitaliste), au parlementarisme, des mots d'ordre tels que "gouvernement PS-PC-CGT" (gouvernement où les trotskistes sont prêts à participer le cas échéant), des mots d'ordre tels que "gouvernement ouvrier et paysan", profondément retardataires et souvent appliqués comme un cautère sur une jambe de bois, son agitation pour l'agitation, sa politique de participation à l'anti-fascisme (idéologie foncièrement bourgeoise), sa non-compréhension même des notions de classes, bourgeoisie et prolétariat, car pour eux il s'agit d'"être partout physiquement avec le prolétariat", là où il est, même dans la guerre, rattachent le trotskisme, du point de vue idéologique, au camp de la bourgeoisie.
Eh bien oui, camarade, nous sommes des sectaires et le prolétariat sera sectaire avec nous ou la révolution ne se fera jamais ; il viendra sur nos positions ou le capitalisme entraînera avec lui la société toute entière dans sa destruction et sa barbarie.
Gauche Communiste de France
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Nous publions la lettre d'un camarade anglais qui répond à une lettre que nous avons envoyée aux Partis Socialistes de Grande-Bretagne, du Canada, d'Australie, de Nouvelle Zélande et au Worker Socialist Party des USA - partis qu'ils ne faut pas confondre avec les Travailliste - et publiée en janvier par Internationalisme.
Nous publierons sous peu une deuxième lettre du camarade Harris, abordant et discutant plus profondément les problèmes que nous avions posés dans notre lettre.
Note de la Rédaction
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Le 20 mars 1947
Chers camarades,
Merci pour les numéros d'Internationalisme que vous m'avez envoyés. Je les ai trouvés très intéressants et j'espère que vous pourrez m'en envoyer encore.
Je dois néanmoins faire un commentaire à propos de votre lettre parue dans Internationalisme de janvier. Cette lettre est adressée aux Partis Socialistes de Grande-Bretagne, d'Amérique, d'Australie et de Nouvelle Zélande ; ce titre est très incorrect car le groupe connu sous le nom de "Parti Socialiste d'Amérique" n'est d’aucune façon liée au SPGB, SPA, SPNZ et SP du Canada (dont vous critiquez le Manifeste) et, en fait, s'oppose aux partis sus-mentionnés. Le parti frère américain du SPGB, SPA, SPC et SPNZ est le "Workers Socialist Party des États-Unis". L'organe appelé "International Digest" n'est pas publié par les Partis Socialists frères et n'est pas non plus approuvé par nous, de sorte que nous refusons d'accepter la responsabilité de quelque matériel que ce soit publié par eux.
Vous dites regretter l'omission d'un article sur la révolution russe et l'URSS de la part de notre "Manifeste socialiste" ; mais notre position sur la révolution de 1917 et sur la Russie soviétique est traitée dans "Questions du jour" (SPGB) et, en plus, le SPGB tient, sous forme manuscrite et dans l'attente de le publier, un pamphlet consacré entièrement aux Bolcheviks et à l'Union Soviétique.
Afin de vous informer, je m'en vais, néanmoins, brièvement dresser, dans ses grandes lignes, la position qui est la nôtre sur ces questions.
Nous disons que le socialisme ne peut être introduit qu'à travers l'expropriation totale et immédiate, par la classe ouvrière, de la classe capitaliste ; et ceci d'une façon plus nette, au travers d'une majorité consciente du prolétariat contrôlant la machine d'État.
La perspective et la compréhension du socialisme ne surgissent que dans le contexte d'un capitalisme avancé et la révolution qui introduira le socialisme doit être de caractère international. Ces pré-conditions essentielles étaient-elles présentes dans la Russie de 1917 ? Notre réponse est catégorique : non ; car, en 1917, l'écrasante majorité des paysans et ouvriers en Russie ne comprenait ni ne désirait le socialisme ; seulement voulait-elle "la paix, le pain et la terre" promis par le Parti bolchevik (un parti qui était jacobin en structure et dans son but) et, ainsi que Trotsky l'admet dans sa "Leçon d'Octobre 1917", "le cours entier de la Révolution eut été changé si, au moment de la Révolution, il n'y avait pas eu une armée de plusieurs millions de paysans brisés et mécontents..."
Des soldats "brisés et mécontents" et des paysans et ouvriers las de la guerre, attirés par le slogan "Pain, paix et terre", ne pouvaient pas et ne voulaient pas introduire le socialisme. Certains étaient et sont d'avis que les bolcheviks pouvaient introduire le socialisme en dépit de l'ignorance de la grande masse des ouvriers et paysans ; et Lénine, dans le "New International" de New-York, en avril 1918, soutenait cette position en disant : "De même que 150.000 propriétaires terriens despotiques, sous le tsarisme, dominèrent les 130.000.000 de paysans de Russie, de même les 200.000 membres du Parti bolchevik imposent leur volonté prolétarienne, mais cette fois-ci dans l'intérêt de ces derniers." Combien dangereusement fausse fut cette position et ceci a été démontré par les événements postérieurs en URSS qui, aujourd'hui, est devenue plus totalitaire que ne le fut jamais l'Allemagne nazie.
Fraternellement vôtre,
M.C. Harris
Section de Newport du Socialist Party
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[7] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/alamichel
[8] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/frenay
[9] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/depreux
[10] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/moutet
[11] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/benoitfrachon
[12] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/ramadier
[13] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/marceaupivert
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/degaulle
[15] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/trumann
[16] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/churchill
[17] https://fr.internationalism.org/en/tag/30/369/staline
[18] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/koestler
[19] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/chamberlain
[20] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/hitler
[21] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/imperialisme
[22] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/cours-historique
[23] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[24] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/croizat
[25] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/herriot
[26] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/38/allemagne
[27] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/leonblum
[28] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/rosa-luxemburg
[29] https://fr.internationalism.org/en/tag/30/528/lenine
[30] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/trotski
[31] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/mc-harris
[32] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/trotskysme
[33] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/opportunisme-centrisme
[34] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/stalinisme-bloc-lest
[35] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/lutte-proletarienne