La guerre en Ukraine s’enlise dans la barbarie, une spirale irrationnelle et infernale où s’accumulent les morts et les décombres. La guerre de « haute intensité » s’est bien installée en Europe, donnant un monstrueux coup d’accélérateur à tous les maux qui frappaient déjà le monde avant elle. Le militarisme et les tensions impérialistes ne font que s’accentuer, comme nous avons pu le voir, par exemple, entre la Chine et les États-Unis, cet été, à propos de Taiwan, avec pour corollaire le développement du chaos mondial.
La guerre accentue la fragmentation et la désorganisation de la production mondiale et des échanges, elle alimente fortement l’inflation, génère de nouvelles pénuries. La crise économique, également aggravée par l’accroissement des dépenses militaires, conduit à de nouvelles guerres commerciales entre tous les États, au point où certaines décisions stratégiques, comme l’adoption par les États-Unis d’un programme de 369 milliards de dollars destiné à attirer les entreprises sur son sol, est vécu par les concurrents européens comme un véritable « acte de guerre », une situation qui leur fait craindre la désindustrialisation massive du Vieux Continent. Partout, les pénuries frappent et menacent des secteurs vitaux comme ceux de l’énergie ou des médicaments, voire certaines denrées alimentaires.
L’approfondissement de la crise contribue elle-même à l’aggravation du pillage des ressources et, in fine, à la multiplication des catastrophes « naturelles » ou industrielles. C’est ainsi que les incendies qui ont ravagé des régions entières, les sécheresses et les températures records, les inondations et autres phénomènes climatiques extrêmes viennent empirer l’état de la société toute entière.
La pandémie de Covid s’est en même temps étendue avec le variant Omicron. Elle fait peser la menace de nouvelles mutations venant de Chine où les millions de contaminés et les centaines de milliers de victimes supplémentaires témoignent de l’aggravation des conditions déjà désastreuses d’une économie en crise, plombant plus lourdement des systèmes de santé exsangues.
L’année 2022 n’est pas seulement une confirmation spectaculaire de cette dynamique et de ces miasmes, une simple annus horribilis. Elle marque un pas supplémentaire dans la trajectoire morbide du capitalisme. La société est donc en train de sombrer plus profondément et rapidement dans le chaos à tous les niveaux et personne ne peut plus croire le discours véhiculé par la classe dominante demandant de se serrer davantage la ceinture pour un « avenir meilleur » plus qu’hypothétique.
En réalité, la logique qui génère les catastrophes combinées en une véritable spirale de destructions provient de la crise et des limites historiques du mode de production capitaliste et non de « mauvais dirigeants » en mal de « réformes », pas plus que de la « mauvaise gestion néolibérale », tant dénoncée par les partis de gauche de la bourgeoisie. Elle est le produit des contradictions du capitalisme qui, comme tous les modes de production du passé, est un système transitoire, devenu obsolète. C’est par son déclin irréversible que le capitalisme plonge l’humanité toujours davantage dans l’abîme. Après avoir plongé le continent africain ou le Moyen-Orient dans le chaos et la barbarie, la décomposition du capitalisme vient désormais frapper avec brutalité les pays les plus puissants de la planète.
Sans perspective ni solution autre que de voir son propre système sombrer dans la barbarie, la bourgeoisie ne cultive plus que le désespoir et le chacun pour soi, le repli sur la nation en blindant ses frontières, poussant au rejet des migrants, fustigeant les « superprofits » pour mieux justifier et faire accepter l’exploitation et la paupérisation croissante. Les manifestations populistes, miroir de ces idéologies putréfiées typiques de la période de décomposition du capitalisme, ont poussé les partisans fanatisés de Trump à pénétrer violemment dans le Capitole, il y a deux ans, avec pour seul exutoire le vandalisme à l’état pur. Dernièrement, les meutes bolsonaristes revanchardes au Brésil ont saccagé elles aussi des locaux institutionnels, laissant planer toujours en arrière plan le spectre d’une guerre civile aux conséquences incalculables.
Face à ces fléaux, qui rendent le monde invivable et la classe dominante fébrile, seule la classe ouvrière peut offrir une perspective par le développement de ses luttes contre les attaques du capital et contre ce monde en ruines. Ainsi, les manifestations et grèves qui ont dernièrement surgi un peu partout dans le monde, après des années d’apathie, sont venues rappeler qu’il fallait désormais encore compter sur la lutte de classe. Au Royaume-Uni, avec les multiples grèves massives qui se poursuivent, celles aux États-Unis et en Europe qui se sont déroulées dans de nombreux secteurs, les manifestations monstres qui ont mobilisé entre un et deux millions de personnes, le 19 janvier en France, contre la réforme des retraites, tous ces mouvements montrent le chemin à suivre pour prendre confiance en nos propres forces et tenter de retrouver, à terme ,une identité de classe perdue. (1)
Cependant, ce combat difficile est déjà semé d’embûches. Le prolétariat doit, en effet, se méfier des faux amis que sont les syndicats et les partis de gauche et d’extrême-gauche de la bourgeoisie, forces étatiques destinées à encadrer et à saboter les luttes.
Le long chemin de la riposte de classe met, d’ailleurs, en lumière la responsabilité plus particulière de la fraction la plus expérimentée et concentrée du prolétariat mondial, celle des bastions ouvriers de l’Europe occidentale. La classe ouvrière ne pourra s’affirmer que sur la base de cette expérience historique, celle d’un combat autonome, sur un ferme terrain de classe. Elle ne devra pas se laisser entraîner dans des mouvements stériles, sans perspective et dangereux pour son unité et sa conscience. Elle devra, au contraire, se méfier des révoltes « populaires » ou des luttes interclassistes qui noient les intérêts du prolétariat dans le « peuple national » et le livre pieds et poings liés aux règlements de compte entre fractions de la bourgeoisie. La classe ouvrière doit ainsi se détourner de mouvements comme ceux qui ont touché l’Iran, la Chine, cet automne, et le Pérou plus récemment, des mouvements dans lesquels les prolétaires se trouvent piégés sur le terrain de la bourgeoisie : la défense de la démocratie bourgeoise ou de luttes parcellaires comme le féminisme, c’est-à-dire réclamer à la classe dominante de gentiment bien vouloir « réformer » son système pourri jusqu’à la moelle. Si ces mouvements peuvent exprimer des colères légitimes, comme la situation insupportable des femmes en Iran, ils entraînent néanmoins les ouvriers derrière des idéologies petites-bourgeoises ou derrière une clique bourgeoise quelconque, détournant ainsi le prolétariat de ses luttes autonomes, un aspect essentiel au développement de la conscience de classe.
Les révolutionnaires ont ici une responsabilité énorme et un rôle indispensable pour mettre en garde la classe ouvrière face à ces nombreux pièges et dangers. Ils doivent défendre l’avenir qui n’appartient qu’à la lutte de classe et à ses méthodes spécifiques de combat. Regroupons-nous ! Prenons en main nos luttes par des discussions et des initiatives collectives ! Défendons notre propre autonomie de classe ! Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
WH, 19 janvier 2023
1) Cf. notre tract international : « Comment développer un mouvement massif, uni et solidaire ? », disponible sur le site web du CCI.
« À un moment donné, ça suffit ! », voilà le cri qu’on a pu entendre lors de la première journée de mobilisation du 19 janvier contre la « réforme » des retraites. Ce « ça suffit ! » ne peut que faire écho au « Enough is enough » (« Trop, c’est trop ») qui se propage depuis le mois de juin en Grande-Bretagne, grève après grève.
Depuis plusieurs mois et partout dans le monde, l’inflation atteint des niveaux inédits depuis des décennies. Partout dans le monde, l’augmentation des prix des produits et biens de première nécessité, comme l’alimentation, le gaz, l’électricité ou le logement, touche de plein fouet les exploités dont une partie de plus en plus large n’a plus les moyens de vivre décemment, y compris dans les pays les plus développés. La dégradation accélérée de la situation économique ne peut que déboucher sur des conditions de vie toujours plus difficiles et même misérables pour des millions de personnes.
La colère de plus d’un million de manifestants en France exprimait donc clairement, au-delà de la seule réforme des retraites, un ras-le-bol plus général et la réalité du retour de la combativité des exploités dans de nombreux pays face à l’augmentation du coût de la vie, à la dégradation des conditions de travail, à la précarité. La massivité de cette première journée de mobilisation ne fait que confirmer le changement d’état d’esprit qui s’opère à l’échelle internationale, dont le signal a été donné par les grèves de la classe ouvrière au Royaume-Uni depuis l’été dernier.
Pourquoi, dans ces conditions, la bourgeoisie française entreprend-elle de porter une telle attaque contre la classe ouvrière ? Le retard pris depuis plusieurs années par la bourgeoisie française pour « réformer » le système des retraites demeure une faiblesse de poids vis-à-vis des bourgeoisies concurrentes. Cet impératif s’accroît d’autant plus que l’intensification de l’économie de guerre impose une intensification inexorable de l’exploitation de la force de travail. (1) Après avoir échoué une première fois en 2019, Macron et sa clique font de cette nouvelle tentative un enjeu pour leur crédibilité et leur capacité à jouer pleinement leur rôle dans la défense des intérêts du capital national.
D’abord prévue pour l’été 2023, puis avancée à la fin de l’année 2022 pour ensuite être reportée au mois de janvier 2023, le gouvernement a choisi ce qu’il considérait être le meilleur moment pour porter cette attaque, sachant qu’il peut encore compter sur les multiples « boucliers tarifaires » permettant d’amortir en partie le choc de la crise.
Si la bourgeoisie était déterminée à porter un nouveau coup aux pensions de retraite et à l’allongement de la durée du travail, elle sait aussi que la précédente tentative, en 2019-2020, s’était soldée par des manifestations massives pendant presque deux mois. Et si la colère et la combativité exprimées alors furent stoppées net par le surgissement de la pandémie de Covid-19, cela n’a pas été vécu comme une « défaite » aux yeux de la classe ouvrière. Bien plus, dans l’intervalle, la colère et la volonté de lutter sont restées intactes. Cette nouvelle attaque sur les retraites en France avait donc toutes les chances de mobiliser une large partie de la classe ouvrière dans la rue et lors de grèves. Et ce fut le cas ! C’est, en effet, une attaque directe, plus dure socialement, et qui touche l’ensemble de la classe ouvrière.
Par conséquent, bien que la bourgeoisie soit parfaitement consciente de cette situation et surtout de la combativité s’exprimant à l’échelle internationale (outre-Manche et ailleurs), la réussite de l’attaque portée pourrait s’avérer plus délicate que prévue. C’est pourquoi, depuis des mois, les réunions entre le gouvernement et les syndicats se sont enchaînées, et ce, pour mettre au point la stratégie la plus efficace permettant de s’adapter et de répondre à la réaction ouvrière prévisible.
Après la manifestation interprofessionnelle très suivie du 29 septembre, les syndicats n’ont pas cessé d’enchaîner et de multiplier les journées de grèves, secteur par secteur. Durant l’automne, l’action concertée du gouvernement, des partis de gauche et d’extrême-gauche comme des syndicats, n’avait pas d’autre but que de fragiliser et empêcher autant que possible, aussi longtemps que possible, toute unité réelle, toute solidarité dans les différents secteurs de la classe ouvrière. Ce fut, par exemple, le cas en octobre 2022, au moment de la grève dans les raffineries : en vantant les mérites d’une véritable négociation, les « partenaires sociaux », saboteurs en chef des luttes, permettaient à l’État d’apparaître comme un arbitre responsable face au patronat, et à la CGT et FO d’être présentées par les médias comme déterminées, radicales, inflexibles, donc crédibles pour la lutte… alors que ces officines sont elles-mêmes des organes d’État, parfaitement institutionnalisés. (2)
Alors que les possibilités de solidarité dans la lutte se font jour de plus en plus, les syndicats ont entre leurs mains l’organisation de mouvements qu’ils éparpillent et séparent en autant de corporations, de secteurs et de revendications spécifiques jouant ainsi sur toutes les divisions possibles pour entraver les luttes et enrayer leur développement.
Cette volonté de contrecarrer toute poussée de la classe s’est vérifiée lors de la grève des contrôleurs de la SNCF de décembre dernier. Face à l’arrêt du travail de plus de la moitié des contrôleurs, les syndicats ont tout fait pour que le mouvement se termine le plus vite possible. Ce qui a abouti à des négociations avec la direction de la SNCF et à la satisfaction d’une partie des revendications, cela afin de lever le préavis de grève du week-end du jour de l’An. Les syndicats ont donc oeuvré pour empêcher toute tentative de lutte autonome. Nous avions vu la même chose en 1986 dans la lutte à la SNCF où la naissance de coordinations indépendantes des centrales syndicales avait amené la CGT à créer, au tout début du mouvement, des piquets « anti-grève », s’opposant physiquement aux grévistes, pour finalement retourner sa veste dans un second temps. Ces coordinations, aussi « radicales » furent-elles, n’avaient pu dépasser un corporatisme étroit, celui des conducteurs de train à l’époque, fermement appuyés par l’organisation trotskiste Lutte Ouvrière. Aujourd’hui, malgré une certaine méfiance vis-à-vis des directions syndicales, le poids du corporatisme a maintenu les contrôleurs et cheminots très vulnérables face à d’autres formes syndicales plus « radicales », plus « officieuses », comme le « Collectif National des Agents du Service Commercial Train » (CNASCT), mais tout autant corporatistes.
Depuis le 10 janvier, date de l’annonce de la réforme des retraites, sur tous les plateaux de télévision et les radios, les syndicalistes se relayaient pour appeler « à tous descendre dans la rue », en claironnant « l’unité syndicale », symbole prétendu de leur volonté de repousser l’attaque. C’est, en réalité, les signes indubitables de leur volonté de contenir la colère qui devait s’exprimer dans la rue. Ainsi, à côté de leurs discours mensongers, les syndicats avaient entrepris tout un travail d’émiettement des luttes et de division :
– Appel à la grève et à une mobilisation spécifique d’un secteur important de la classe ouvrière, l’Éducation… mais le 17 janvier, soit deux jours avant la journée d’action du 19, pour mieux démobiliser ce secteur ce jour-là !
– Grève appelée dans les hôpitaux dès le 10 janvier !
– Grève à la RATP le 13 janvier…
– Grève dans le secteur pétrolier fin janvier, puis début février…
– « Journée noire » organisée dans les transports en commun parisiens pour la journée du 19 janvier, à l’appel des syndicats, pour empêcher de nombreuses personnes de se rendre sur les lieux de manifestations.
Après ça, les sonos syndicales eurent beau jeu de hurler un hypocrite : « Tous ensemble, tous ensemble », le 19 janvier !
À cela s’ajoutait, sur les mêmes plateaux de télévision et les mêmes émissions radio, un « débat » assourdissant sur l’injustice de la réforme pour telle ou telle catégorie de la population. Il faudrait la rendre plus juste en intégrant mieux les profils particuliers des apprentis, de certains travailleurs manuels, des femmes, mieux prendre en compte les carrières longues, etc. Bref, toujours le même piège, pousser à ce que chacun se préoccupe de sa propre situation, tout en mettant uniquement en avant le sort des « catégories » les plus défavorisées face à cette attaque !
Mais au final, tous ces contre-feux, mis en place durant les trois dernières semaines, n’ont pas fonctionné. Et la combativité exprimée par un à deux millions de manifestants impose désormais aux syndicats de s’adapter à la situation. D’où le décalage de la prochaine journée de mobilisation du 26 au 31 janvier. Si les « partenaires sociaux » de la bourgeoisie justifient ce changement par la nécessité « d’inscrire le mouvement dans la durée », en réalité, il s’agit pour eux de se donner du temps afin de poursuivre l’entreprise de division et de sabotage de la lutte. D’ailleurs, dès le 20 janvier, ils se sont empressés d’appeler les « bases à s’organiser » en lançant des appels à des méthodes de lutte totalement stériles telles que « aller devant une préfecture faire du bruit », « couper le courant des permanences des députés » ou « aller manifester sa mauvaise humeur devant celles-ci ». Tout cela sans oublier d’isoler les secteurs les uns des autres en appelant, par exemple, à une journée de grève dans les raffineries pour le 26 janvier. Autant de gesticulations qui ne visent qu’à tenter d’organiser la dispersion, d’épuiser et d’amoindrir le rapport de force d’ici le 31 janvier. Nul doute que les mobilisations secteur par secteur vont également se multiplier d’ici là.
Comment, à l’inverse de ce travail de sabotage préventif des luttes, créer un rapport de force permettant de résister aux attaques contre les conditions de vie et de travail ?
– Par la recherche du soutien et de la solidarité au-delà de sa corporation, de son entreprise, de son secteur d’activité, de sa ville, de sa région, de son pays.
– En s’organisant de façon autonome, à travers des assemblées générales notamment, sans en laisser le contrôle aux syndicats.
– Par la discussion la plus large possible sur les besoins généraux de la lutte, sur les leçons à tirer des combats et aussi des défaites. Car il y aura des défaites, mais la plus grande défaite serait de subir les attaques sans réagir.
L’entrée en lutte est la première victoire des exploités. L’autonomie, la solidarité et l’unité sont les jalons indispensables à la préparation des luttes de demain. Car les luttes actuelles ne sont pas seulement des expressions de résistance contre la dégradation des conditions de vie et de travail. Elles sont également la seule voie vers la reconquête de la conscience d’appartenir à une seule et même classe. Elles forment le principal sillon à travers lequel le prolétariat pourra entrevoir une alternative à la société capitaliste : le communisme.
Stopio, 21 janvier 2023
1) À l’image de ses homologues étrangers, Macron vient d’annoncer une augmentation considérable des budgets alloués à l’armement.
2) Cf. « Grèves dans les raffineries françaises et ailleurs… La solidarité dans la lutte, c’est la force de notre classe ! », Révolution internationale n° 495.
« “Enough is enough”, “trop c’est trop”. Voilà le cri qui s’est propagé d’écho en écho, de grève en grève, ces dernières semaines au Royaume-Uni ». Cet extrait de notre tract diffusé fin août 2022 ne s’est pas démenti. Depuis lors, et malgré la pandémie, la guerre en Ukraine et le battage nationaliste après la mort de la reine, la classe ouvrière a poursuivi ses luttes durant l’hiver, refusant les licenciements, la précarité, la dégradation des conditions de travail et l’énorme accroissement du coût de la vie.
Cette longue vague de luttes, dans un pays où le prolétariat semblait fortement résigné depuis les années Thatcher, presque apathique, exprime une véritable rupture, un changement d’état d’esprit au sein de la classe ouvrière, non seulement au Royaume-Uni, mais aussi au niveau international. Ces luttes montrent que face à l’approfondissement considérable de la crise, les exploités ne sont pas prêts à se laisser faire.
Après la chute des salaires de 20 % depuis 2010, 47 000 postes non pourvus et l’effondrement du système de soins britannique, les soignants n’avaient pas connu pareille mobilisation depuis plus d’un siècle. C’est dire l’immensité de la colère ! Mais, au-delà du secteur médical, avec une inflation à plus de 11 % et l’annonce d’un budget de rigueur par le gouvernement de Rishi Sunak, les grèves se sont succédé dans presque tous les secteurs ! Le secteur des transports (trains, bus, métro, aéroports) et celui de la santé, les postiers du Royal Mail, les fonctionnaires du département de l’environnement, de l’alimentation et des affaires rurales, les employés d’Amazon, ceux des écoles en Écosse, les ouvriers du pétrole de la Mer du Nord et bien d’autres employés du privé et du public ont fait grève et sont, parfois, descendus par milliers dans les rues. Les mobilisations sont telles que le gouvernement cherche même à imposer un « service minimum » dans les « secteurs critiques » comme ceux du rail ou de la santé.
Après six mois de grèves soigneusement dispersées par les syndicats, la lassitude pourrait finalement gagner les rangs ouvriers. Aucun nouveau secteur important de la classe n’est, en effet, entré en lutte depuis que les infirmières et les ambulanciers ont débuté leur grève à la mi-décembre. Les cheminots et les postiers commencent à être épuisés et de plus en plus démoralisés par l’interminable série de grèves d’un ou deux jours. Mais il est encore trop tôt, à l’heure où nous écrivons ces lignes, pour déterminer avec certitude l’évolution des luttes. Les enseignants pourraient, en effet, entrer à leur tour en grève. Surtout, les manifestations contre la réforme des retraites en France pourraient donner un nouveau souffle aux revendications des ouvriers au Royaume-Uni.
Quoi qu’il en soit, parce qu’elles ont massivement ouvert la voie, cet été, et fait preuve d’une immense détermination, ces grèves sont l’expression la plus significative de la combativité retrouvée du prolétariat à l’échelle internationale. Face à l’ampleur sans précédent des attaques, la colère et la combativité n’ont, en effet, cessé de croître ces derniers mois, partout dans le monde, particulièrement en Europe :
– en Espagne, où les médecins et les pédiatres de la région de Madrid se sont mis en grève fin novembre, tout comme le secteur aérien et celui du ferroviaire en décembre.
– En Allemagne, où la flambée des prix fait craindre au patronat d’avoir à affronter les conséquences d’une crise énergétique sans précédent. Le vaste secteur de la métallurgie et de l’électro-industrie a ainsi connu plusieurs semaines de grèves au mois de novembre.
– En Italie, mi-octobre, grève du contrôle aérien s’ajoutant à celle des pilotes de la compagnie EasyJet. Le gouvernement a même interdit toute grève les jours de fête.
– Grève nationale en Belgique le 9 novembre et le 16 décembre.
– En Grèce, à Athènes, une manifestation a rassemblé des dizaines de milliers de salariés du privé scandant : « La cherté de la vie est insupportable ! ».
– En France, c’est une multiplicité de luttes et de grèves qui se sont succédé tout le long de l’automne dans les transports en commun et qui vont continuer les unes après les autres à la SNCF, à Air France… Grèves également dans les cantines scolaires. Tout en sachant que la réforme des retraites, que le gouvernement veut faire passer au plus vite, reste une potentielle bombe à retardement.
– Au Portugal, les ouvriers réclament un salaire minimum à 800 euros contre 705 actuellement. Le 18 novembre, c’est la fonction publique qui était en grève. Au mois de décembre, le secteur des transports s’est également mobilisé.
– Aux États-Unis, les élus de la Chambre des représentants sont intervenus pour débloquer un conflit social et éviter une grève du fret ferroviaire. Mais en ce début d’année 2023, 7 000 soignants dénonçant le manque d’effectifs sont entrés en grève dans deux grands hôpitaux privés de New York.
Partout, les ouvriers relèvent la tête et refusent de payer le prix de la crise, avec une volonté grandissante de lutter ensemble ; cela, même si le poids du corporatisme reste encore dominant et s’avère un frein puissant. Au Royaume-Uni, sur plusieurs piquets de grève, le sentiment d’être impliqué dans quelque chose de plus large que son entreprise, son administration, son secteur était cependant palpable, avec une atmosphère d’ouverture et des travailleurs se questionnant parfois sur la « tactique » des syndicats consistant à lancer des appels dispersés à la grève entre les différents secteurs. Les syndicats ont même été contraints de « durcir » leur discours pour coller aux aspirations des ouvriers, avec des appels hypocrites à « l’unité des luttes ». Ce besoin encore embryonnaire d’unité et de solidarité est un pas, certes minime, mais bien réel pour retrouver le chemin de l’identité de classe, c’est-à-dire la conscience que les travailleurs salariés de tous les secteurs, de toutes les nations, au chômage ou au travail, avec ou sans diplôme, en activité ou à la retraite, forment une seule et même classe, la classe ouvrière, seule à même de faire reculer la bourgeoisie et ses attaques.
La bourgeoisie ne craint rien de plus que la réponse unitaire et massive de la classe ouvrière. C’est la raison pour laquelle elle fait son possible pour enfermer les travailleurs dans leur corporation en exploitant leurs préjugés et la faiblesse de la conscience de classe, pour diviser les ouvriers entre catégories, boîtes, secteur public et secteur privé, entre jeunes et vieux, en pointant du doigt les « privilégiés », les « profiteurs »…
Pour effectuer ce sale travail de sape, elle s’appuie sur les syndicats, ces organes de la classe dominante chargés par l’État capitaliste de garder les luttes sous contrôle et de les saboter. De fait, malgré une énorme combativité, les luttes sont restées, pendant six mois, largement séparées les unes des autres. Chacun derrière son piquet et sa journée de mobilisation. Les syndicats ont évité d’appeler à des manifestations de grande envergure (à l’exception d’une en juin) pour empêcher les travailleurs de se rassembler. Le Communication Workers Union (CWU), syndicat des postes et télécommunications, est même allé jusqu’à appeler séparément à la grève les différentes parties du Royal Mail (les conducteurs de fourgons un jour, les postiers le lendemain, etc.) en prétendant faire ainsi pression sur la direction. En France, en 2018, la CGT avait également isolé les cheminots dans une « grève perlée » épuisante et joue sur la dispersion aujourd’hui.
Les syndicats britanniques n’ont d’ailleurs pas hésité à contrefaire les aspirations à l’unité dans des parodies de solidarité ouvrière. L’University and College Union a, par exemple, invité les dirigeants d’un certain nombre d’autres syndicats impliqués dans les grèves à prendre la parole lors d’un rassemblement. C’est le bon vieux coup de la « convergence des luttes », où les travailleurs sont bien saucissonnés, secteur par secteur, entreprise par entreprise, derrière les banderoles syndicales unies, sans discussion ni réflexion. On est loin de la solidarité active, de l’extension des luttes, des délégations massives et des assemblées souveraines dont a tant besoin le prolétariat pour étendre ses luttes.
Dans les années 1980, avec les mêmes recettes corporatistes, le gouvernement de Thatcher et les syndicats avaient porté un immense coup sur la tête à des ouvriers, pourtant très combatifs et massivement mobilisés. Pendant plus d’un an, les mineurs étaient restés enfermés dans les puits pour empêcher la sortie du charbon prétendument « stratégique », se retrouvant totalement isolés des autres secteurs du prolétariat. Cette défaite a marqué un tournant, celui du reflux de la combativité ouvrière au Royaume-Uni pendant plusieurs décennies. Elle annonçait même le reflux général de la combativité ouvrière au plan international.
Aujourd’hui, malgré son immense détermination, le prolétariat est confronté au même danger, celui de l’enfermement corporatiste que les syndicats n’ont cessé de faire peser, pendant six mois, sur chacune des grèves. Quels que soient les prétextes, les « tactiques » corporatistes des syndicats sont un piège destiné à détourner les ouvriers de leur seule force : la recherche de leur unité à travers l’extension massive et active des luttes ! La bourgeoisie fera toujours son possible pour empêcher une telle extension et la concrétisation d’une solidarité réelle, afin d’éviter que soient semés les germes pour que la classe ouvrière se reconnaisse comme telle, comme une force collective, internationale, capable de défendre ses propres intérêts de classe.
Stopio et EG, 14 janvier 2023
La détérioration de la crise sanitaire et le fort ralentissement économique en Chine ont provoqué une explosion du mécontentement populaire, mais aussi l’apparition d’importants mouvements de la classe ouvrière. Après les manifestations de milliers d’acheteurs dupés par l’explosion de la bulle de l’immobilier et l’effondrement de divers grands promoteurs (comme le groupe Evergrande), la poursuite des confinements massifs de centaines de milliers de gens dans toutes les régions de Chine, avec la détérioration épouvantable des conditions de vie qu’elles impliquent, a été l’étincelle qui a fait exploser le ras-le-bol. Il y a d’abord eu la mort, le 18 septembre 2022, de 27 personnes dans un bus de quarantaine dans la région de Guizhou, puis les protestations massives des 200 000 ouvriers de l’immense usine du géant taïwanais Foxconn qui assemble les iPhone d’Apple, protestant contre les confinements inhumains et le non-paiement des salaires, et la mort dans un incendie à Urumqui (Xinjiang) de 10 personnes parce que les conditions de confinement avaient empêché les pompiers d’agir. Dans la continuité de ces protestations, des manifestations ont éclaté à Pékin, Canton, Nankin, Wuhan, Chengdu, Chongqing et aussi Shanghai. Dans la capitale économique de la Chine, une foule compacte s’est réunie dimanche 27 novembre aux cris de « Xi Jinping démission ! PCC démission ! ».
– ces mobilisations ont eu lieu dans un grand nombre de villes chinoises ; cependant, les médias ne font état que de « centaines » de personnes, ce qui laisse penser que, face à la répression et aux menaces policières, il existe effectivement une grande agitation, mais que la participation aux manifestations reste encore relativement limitée ;
– elles sont un mélange, d’une part, de véritables actions de lutte des travailleurs, par exemple à Foxconn, où se sont manifestés de claires revendications salariales et un combat contre les conditions de travail inhumaines, et, d’autre part, des mobilisations étudiantes ou citoyennes protestant contre les mesures scandaleuses d’enfermement et exigeant la fin des contrôles et de la censure ;
– la dynamique qui domine et unifie ces rassemblements n’est pas celle d’un développement massif de la mobilisation et de la solidarité ouvrière, mais celle du rejet du régime stalinien et de la défense d’une alternative démocratique, cela en continuité avec les émeutes de Hong Kong en 2019 ou encore celles de Pékin en 1989.
Il faut donc constater que la perspective ouverte par cette soudaine explosion de manifestations n’est pas celle d’un développement des luttes ouvrières mais bien celle d’une mobilisation sur le terrain bourgeois de la lutte pour des réformes démocratiques (même si des exceptions ponctuelles existent). Certes, ces mouvements posent de sérieux problèmes à la bourgeoisie chinoise : dans la plus grande précipitation, cette dernière a été obligée d’abandonner en quelques jours la politique « zéro Covid » qu’elle maintenait contre vents et marées. Cependant, ils ne présentent en aucun cas une perspective pour le prolétariat. Celui-ci risque au contraire d’être détourné de son terrain de classe et englouti, soit dans un mouvement citoyen désespéré contre le parti stalinien et pour des réformes démocratiques, soit dans une lutte entre fractions bourgeoises au sein du PCC.
La situation des ouvriers chinois est, toute proportion gardée, comparable à ce qui se passe depuis plusieurs mois en Iran, où le meurtre d’une jeune fille par la police des mœurs a provoqué un raz-de-marée d’émeutes, de manifestations et aussi de nombreuses grèves ouvrières. Malgré le caractère très combatif de la classe ouvrière iranienne, la dissolution des luttes ouvrières dans le mouvement populaire contre l’autocratie religieuse et pour les réformes démocratiques est une menace imminente et constante. De fait, l’utilisation des prolétaires comme masse de manœuvre dans la lutte entre fractions bourgeoises (démocrates, religieuses « éclairées », régionales) ou même entre impérialismes (kurde, turc, arabe…) est un danger mortel et il est de la responsabilité des révolutionnaires d’en avertir la classe.
Or, c’est fondamentalement au même danger de dissolution de ses luttes dans des révoltes populaires qu’est confrontée la classe ouvrière en Chine. Il est donc important d’abord de prévenir les ouvriers chinois contre les chants de sirène des révoltes populaires pour plus de démocratie, mais aussi et surtout de les armer contre « l’idée que “tout est possible à tout moment, en tout lieu”, dès que surgissent à la périphérie du capitalisme des affrontements de classe aigus, laquelle idée repose sur l’identification entre combativité et maturation de la conscience de classe ». (1)
En Chine, tous les éléments de la situation laissent présager le début d’une déstabilisation du régime. Même si l’État parvient momentanément à ramener la situation à la normale, la mèche de nouvelles protestations restera allumée. Dans ce contexte, même si le prolétariat chinois développe sa combativité et acquiert un poids dans la situation, son terrible retard politique et sa vulnérabilité aux mystifications démocratiques constituent une entrave considérable. Aussi, il faut être clair sur les perspectives qui s’y présentent pour la classe ouvrière : « Le CCI rejette la conception naïvement égalitariste suivant laquelle n’importe quel pays pourrait être le point de départ de la dynamique révolutionnaire. Cette conception repose sur la croyance anarchiste que tous les pays (à l’exemple de la grève générale révolutionnaire) pourraient simultanément initier un processus révolutionnaire ». (2)
De fait, malgré sa combativité, la classe ouvrière en Chine, comme en Iran ou dans d’autres parties du monde, aura du mal à renforcer ses luttes sur son terrain de classe et développer sa conscience tant que le prolétariat des pays occidentaux ne montrera pas le chemin. Car si toutes les fractions du prolétariat mondial peuvent et doivent apporter leur contribution dans la lutte contre le capitalisme, celles d’Europe occidentale, par leur expérience de la lutte mais aussi des mystifications démocratiques et syndicales de la bourgeoisie, ont une importance déterminante pour le processus révolutionnaire. Cela ne fait que souligner la responsabilité décisive du prolétariat de l’Europe de l’Ouest.
R.H., 14 janvier 2023
1) « Résolution sur la critique de la théorie du maillon faible, adoptée en janvier 1983 par l’organe central du CCI », Revue internationale n° 37 (1984).
2) Idem.
Alors que de nombreux observateurs affirmaient, il y a deux ans, que la Chine était la grande gagnante de la crise du Covid, les événements récents soulignent qu’elle est au contraire confrontée à la persistance de la pandémie, au ralentissement significatif de la croissance économique, à la bulle de l’immobilier, aux obstacles majeurs entravant le développement de la « nouvelle route de la soie », à une forte pression impérialiste de la part des États-Unis, bref à la perspective de turbulences majeures.
Depuis fin 2019, la Chine subit la crise pandémique qui paralyse largement sa population et son économie. Depuis 3 ans, la politique de « zéro Covid », prônée par le président Xi, a provoqué de gigantesques et d’interminables confinements, comme encore en novembre 2022 où pas moins de 412 millions de Chinois étaient enfermés sous des conditions terribles dans diverses régions de Chine, souvent pendant plusieurs mois. En affirmant que la Chine serait la première à dompter la pandémie par sa politique « zéro Covid », Xi et le PCC ont rejeté les stratégies anti-Covid et les recherches médicales sur le plan international. En conséquence, ils se sont retrouvés coincés dans une logique catastrophique du point de vue économique et social, et ceci sans véritable alternative : les vaccins chinois sont largement inopérants, le système hospitalier est incapable d’absorber la vague d’infections résultant d’une politique moins restrictive (Cuba a quatre fois plus de médecins et de lits d’hôpitaux par habitant que la Chine), d’autant plus que la corruption de l’administration politique des provinces ne permet pas d’obtenir des données fiables sur l’évolution de la pandémie (tendance à maquiller les chiffres pour éviter la disgrâce politique).
Les autorités chinoises allaient donc dans le mur. Confrontées à une contestation sociale qui explosait face à l’inhumanité horrible des confinements massifs, elles ont abandonné abruptement la politique « zéro Covid » sans pouvoir proposer la moindre alternative, sans immunité construite, sans vaccins efficaces ou stocks de médicaments suffisants, sans politique de vaccination des plus vulnérables, sans système hospitalier capable d’absorber le choc, et la catastrophe irrémédiable a effectivement eu lieu : des malades font la file pour pouvoir entrer dans des hôpitaux débordés et les cadavres s’accumulent devant les crématoriums surchargés, des dizaines de milliers de personnes mourant à la maison, les morgues débordent de cadavres, les autorités sont totalement dépassées et incapables de faire face à la déferlante : les projections prévoient 1,7 million de morts et des dizaines de millions de personnes lourdement affectées par le raz-de-marée actuel du virus.
Depuis plusieurs années, la Chine subit des pressions économiques et militaires intenses de la part des États-Unis, que ce soit de manière directe à Taiwan ou à travers la constitution de l’alliance AUKUS, mais aussi de manière indirecte en Ukraine. En effet, plus la guerre en Ukraine s’éternise, plus la Chine subit des dégâts importants à travers la déchéance de son principal partenaire sur la scène impérialiste, la Russie, mais surtout à cause de la perturbation des voies européennes du projet de « nouvelle route de la soie ». Par ailleurs, l’explosion du chaos et du chacun pour soi, intensifiés par la politique agressive des États-Unis, pèse aussi lourdement, comme le montre la plongée de l’Éthiopie, un des principaux pivots de la Chine en Afrique, dans la guerre civile. Les projets d’expansion de la « nouvelle route de la soie » sont également en difficulté à cause de l’aggravation de la crise économique : près de 60 % de la dette envers la Chine est aujourd’hui due par des pays en difficulté financière, alors qu’elle n’était que de 5 % en 2010. De plus, la pression économique des États-Unis s’intensifie, avec en particulier les « Inflation Reduction Act » et « Chips in USA Act », des décrets qui soumettent les exportations de produits technologiques de diverses firmes technologiques chinoises (par exemple, Huawei) vers les États-Unis à de lourdes restrictions sur le plan de tarifs douaniers protectionnistes, de sanctions contre la concurrence déloyale, mais surtout du blocage du transfert de technologie et de la recherche.
Les confinements à répétition puis le tsunami des infections menant au chaos dans le système de santé, la bulle de l’immobilier et le blocage de différents itinéraires des « routes de la soie » par des conflits armés ou le chaos ambiant ont provoqué un très fort ralentissement de l’économie chinoise. La croissance au cours du premier semestre de cette année était de 2,5 %, ce qui rend l’objectif de 5 % de cette année inatteignable. Pour la première fois en trente ans, la croissance économique de la Chine sera inférieure à celle des autres pays asiatiques. De grandes entreprises technologiques ou commerciales telles Alibaba, Tencent, JD.com et iQiyi ont licencié entre 10 et 30 % de leur personnel. Les jeunes ressentent tout particulièrement cette détérioration de la situation, avec un taux de chômage estimé à 20 % parmi les étudiants universitaires à la recherche d’un emploi.
Face aux difficultés économiques et sanitaires, la politique de Xi Jinping avait été de revenir aux recettes classiques du stalinisme :
– sur le plan économique, depuis la gouvernance de Deng Xiao Ping, la bourgeoisie chinoise avait créé un mécanisme fragile et complexe pour maintenir un parti unique tout-puissant cohabitant avec une bourgeoisie privée, stimulée directement par l’État. Or, « à la fin de 2021, l’ère des réformes et de l’ouverture de Deng Xiaoping est de toute évidence révolue, et remplacée par une nouvelle orthodoxie économique étatiste ». (1) La faction dominante derrière Xi Jinping tend donc à renforcer le contrôle absolu de l’État sur l’économie et à clore la perspective d’un renouveau économique et de l’ouverture relative de l’économie aux capitaux privés.
Sur le plan social, avec la politique « zéro Covid », Xi s’assurait non seulement d’un contrôle étatique impitoyable sur la population, mais imposait aussi ce contrôle sur les autorités régionales et locales, qui avaient démontré leur manque de fiabilité et d’efficacité au début de la pandémie. Encore dernièrement en automne, il envoyait des unités de police de l’État central à Shanghai pour rappeler à l’ordre les autorités locales qui libéralisaient les mesures de contrôle.
Cependant, alors que la politique de l’État chinois a été depuis 1989 d’éviter à tout prix toute turbulence sociale de grande ampleur, les mouvements d’acheteurs dupés par les difficultés et faillites des géants de l’immobilier, mais surtout les manifestations et émeutes généralisées dans de nombreuses villes chinoises, exprimant le ras-le-bol de la population face à la politique de « zéro Covid », ont donné des sueurs froides à Xi et ses partisans. Le régime a été obligé de reculer dans la plus grande précipitation face au grondement des troubles sociaux et d’abandonner en quelques jours la politique qu’il maintenait depuis trois ans contre vents et marées. Aujourd’hui, les limites de la politique de Xi Jinping, de retour aux recettes classiques du stalinisme, apparaissent à tous les niveaux : sanitaire, économique et social, alors que celui qui l’imposait, le même Xi Jinping, vient d’être réélu pour un troisième mandat après des tractations complexes en coulisses entre fractions au sein du PCC.
En conclusion, il apparaît aujourd’hui que si le capitalisme d’État chinois a pu profiter des opportunités présentées par son passage du bloc « soviétique » au bloc américain dans les années 1970, par l’implosion du bloc « soviétique » et la mondialisation de l‘économie prônée par les États-Unis et les principales puissances occidentales, les faiblesses congénitales de sa structure étatique de type stalinien constituent aujourd’hui un handicap majeur face aux problèmes économiques, sanitaires et sociaux auxquels le pays est confronté et à la pression agressive de l’impérialisme américain qu’il subit.
La situation en Chine est une des expressions les plus caractéristiques de « l’effet tourbillon » de la concaténation et de la combinaison de crises qui marquent les années 20 du XXIe siècle. Ce « tourbillon » de bouleversements et de déstabilisations instille une lourde pression, non seulement sur Xi et ses partisans au sein du PCC, mais plus généralement aussi sur la politique impérialiste de la Chine. Une déstabilisation du capitalisme chinois entraînerait des conséquences imprévisibles pour le capitalisme mondial.
R. Havanais, 15 janvier 2023
1) « Foreign Affairs », repris par Courrier international n° 1674.
Presque un an de guerre en Ukraine… La Russie est bel et bien enlisée, prise au piège. (1) Absorbé par l’engrenage du militarisme, face à une armée ukrainienne préparée à l’avance et à des puissances occidentales qui avaient anticipé, non le moment, mais les visées du Kremlin acculé, l’impérialisme russe aux abois s’est embarqué dans une aventure « spéciale » suicidaire. Il se retrouve aujourd’hui sonné et très affaibli par un conflit qui ne pouvait que l’entraîner sous les décombres.
L’objectif à peine voilé des États-Unis et de l’OTAN, en poussant habilement Moscou au crime, était de briser le fragile lien entre la Russie et la Chine, d’affaiblir et d’isoler davantage Poutine sur la scène internationale. Tout cela, au prix d’une politique de la terre brûlée dont les puissances occidentales sont nettement complices, armant et poussant leur allié ukrainien dans une résistance sanglante, installés dans un chaos dont les conséquences imprévisibles sont potentiellement cataclysmiques.
Dès juillet, les troupes russes ont marqué le pas, laissant paraître des signes d’usure, ne parvenant plus à progresser face à l’armée ukrainienne renforcée par une artillerie dont les armes sophistiquées proviennent largement des alliés occidentaux. Une nouvelle étape est venue accentuer la déconfiture de l’armée russe, lorsqu’en septembre, les troupes ukrainiennes ont obtenu une victoire spectaculaire dans la province de Kharkiv et au nord de Sloviansk. Ce revirement s’est confirmé dès que l’armée ukrainienne s’est emparée de Kherson ; une ville déclarée « russe pour toujours » à peine un mois plus tôt par Poutine, abandonnée ensuite sans résistance.
Aujourd’hui, le bilan de toute cette guerre est effroyable. Début décembre, les belligérants ont tué ou blessé 200 000 personnes. 40 000 civils sont morts en Ukraine et près de 8 millions de réfugiés ont été comptabilisés. (2) Malheureusement, civils et soldats sont d’ores et déjà condamnés a d’autres deuils, d’autres souffrances, aux violences physiques et psychologiques des deux camps : déportations, tortures, viols, exécutions sommaires, bombardements aveugles (en particulier des bombes à sous-munitions très meurtrières). S’ajoutent encore la misère, la faim et le froid au quotidien, la terreur générée par l’État ukrainien, son union patriotique, avec ses contrôles, les quadrillages policiers assurés par ses sbires zélés.
Cherchant désespérément à briser le moral de la population ukrainienne, l’armée russe multiplie, quant à elle, les exactions et les bombardements, privant déjà les habitants de chauffage, d’eau et d’électricité pour l’hiver. L’Ukraine est devenue un charnier et un véritable champ de ruines, un concentré des haines. Une ville comme Marioupol, par exemple, rasée à 90 %, en est un tragique symbole. Des quartiers entiers, des milliers d’écoles, des centaines d’hôpitaux et d’usines sont endommagés ou détruits dans de nombreuses villes, comme celles de Kiev, la capitale, mais également Lviv, Dnipro et Ternopil, en représailles de la destruction du pont de Crimée. Les destructions sont telles qu’il faudrait au minimum 350 milliards de dollars pour reconstruire tout le pays. (3) Le Premier ministre ukrainien, Denys Shmygal, annonce même 750 milliards de dollars. Mais ce zèle patriotique et l’estimation de tels chiffres n’empêcheront nullement l’issue faite de cendres, ruines et cadavres !
Un puissant accélérateur de la décomposition du capitalisme
Alors que la pandémie de Covid-19 est venue torpiller depuis trois ans l’économie mondiale, dont les signaux étaient déjà au rouge, la guerre en Ukraine donne un immense coup d’accélérateur au marasme planétaire, accentuant fortement tous les phénomènes de la décomposition du système capitaliste déjà précipités dans un véritable tourbillon destructeur. Un impact direct sur la situation mondiale qui se manifeste déjà à différents niveaux dans un scénario noir totalement inédit. En premier lieu, par la subite poussée d’une inflation mondiale liée, non seulement à un endettement colossal et à une crise financière, mais aussi et surtout à l’explosion des dépenses militaires destinées au conflit et à de futurs combats de « haute intensité ».
Outre les faillites industrielles en Russie, le bond des dépenses propres à chaque État depuis le début de la guerre, les budgets militaires et civils en soutien à l’Ukraine sont devenus un véritable gouffre financier : « Entre le 24 février et le 3 août, au moins 84,2 milliards d’euros ont été dépensés par quarante et un pays, essentiellement occidentaux ». Les États-Unis ont versé, à eux seuls, 44,5 milliards d’euros (soit près du tiers du PIB ukrainien de 2020). (4)
Bien entendu, cela n’empêche nullement la pauvreté d’exploser dans ce pays en guerre, passant de 2 à 21 % de la population. Une telle situation nécessite des attaques contre tous les ouvriers, générant une paupérisation croissante qui s’installe partout, même dans les pays les plus riches de la planète. Les denrées alimentaires, tout comme les énergies indispensables à la vie courante, sont devenues parfois inaccessibles, de véritables armes de guerre entre voyous au mépris des populations qui doivent péniblement se nourrir et se chauffer. Ainsi, des récoltes de blé en Ukraine, dont les prix explosent, ont été détruites délibérément par l’armée russe. Le marché mondial tend d’ailleurs à davantage se fragmenter, dans une crise qui affecte le commerce et les bases mêmes de la production.
Cette crise et cette guerre alimentent, en plus, la catastrophe climatique et environnementale. L’impact est déjà bien visible en Ukraine. Les véhicules militaires, les bombardements sur les bâtiments civils et industriels, les incendies criminels, ont généré des pollutions très graves : fortes émissions de gaz en tous genres, d’amiante, de métaux lourds et autres produits toxiques. Des rivières sont fortement polluées, comme l’Ikva, contaminée à l’ammoniac. La faune et la flore sont très gravement touchées : « 900 zones naturelles protégées d’Ukraine ont été affectées par les activités militaires de la Russie, soit environ 30 % de l’ensemble des espaces protégés du pays ». Et « près d’un tiers des cultures ukrainiennes pourraient être inexploitables après la guerre ». (5) Le scandale du sabotage des gazoducs russes en mer Baltique révèle, à lui seul, que : « les infrastructures ont relâché environ 70 000 tonnes de méthane, un puissant gaz à effet de serre, soit l’équivalent des émissions de Paris pendant un an ». (6) Les menaces d’une catastrophe nucléaire par les tirs et les frappes des deux camps à Zaporijjia viennent encore assombrir ce sinistre tableau pourtant loin d’être complet.
Même si, en général, les militaires peuvent faire preuve d’expertises indéniables, les États d’habiletés reconnues, même s’ils sont en capacité de marquer des points diplomatiques à tel ou tel moment avec des vues d’ensemble ingénieuses pour défendre leurs propres intérêts, tous leurs savants calculs sont au service d’intérêts étroits, marqués par un mode de production à l’agonie, où la logique du profit et l’économie sont phagocytés par les besoins absurdes de la guerre.
Cette spirale, totalement irrationnelle, de barbarie militaire froidement planifiée par les États, est parfaitement illustrée par les intentions autour de la guerre en Ukraine. Elle confirme pleinement le fait de l’absence de toute motivation ou avantage économique possible : « le croulement du monde capitaliste ayant épuisé historiquement toutes les possibilités de développement, trouve dans la guerre moderne, la guerre impérialiste, l’expression de ce croulement qui, sans ouvrir aucune possibilité de développement ultérieur pour la production, ne fait qu’engouffrer dans l’abîme les forces productives et accumuler à un rythme accéléré ruines sur ruines ». (7) Ainsi, il est désormais parfaitement clair que « la guerre en Ukraine illustre de manière éclatante combien la guerre a perdu non seulement toute fonction économique mais même ses avantages sur un plan stratégique : la Russie s’est lancée dans une guerre au nom de la défense des populations russophones mais elle massacre des dizaines de milliers de civils dans les régions essentiellement russophones tout en transformant ces villes et régions en champs de ruines et en subissant elle-même des pertes matérielles et infrastructurelles considérables. Si dans le meilleur cas, au terme de cette guerre, elle s’empare du Donbass et du Sud-Est de l’Ukraine, elle aura conquis un champ de ruines, une population la haïssant et subi un recul stratégique conséquent au niveau de ses ambitions de grande puissance. Quant aux États-Unis, dans leur politique de ciblage de la Chine, ils sont amenés ici à mener (littéralement même) une politique de la “terre brûlée”, sans gains économiques ou stratégiques autres qu’une explosion incommensurable du chaos sur les plans économique, politique et militaire. L’irrationalité de la guerre n’a jamais été aussi éclatante ». (8)
Face à la débâcle militaire de la Russie, il a existé des signaux diplomatiques discrets qui ont été interprétés comme une disposition de Poutine à peut-être vouloir « négocier ». De même, les occidentaux, en premier lieu les États-Unis, se préoccupent de l’issue d’un conflit qui pourrait, laissé à son libre cours, potentiellement aboutir à une implosion catastrophique de la Russie. Mais quelles que soient les intentions ou la politique des uns et des autres, quelle que soit la durée de cette guerre dont nous ignorons encore l’issue ou les ravages à venir, une chose est certaine : la dynamique d’accélération du chacun pour soi et du chaos, du militarisme, ne pourront que s’exacerber. Seule la révolution mondiale du prolétariat pourra mettre fin à cette folie du capital qui prend désormais les allures de l’apocalypse.
WH, 20 décembre 2022
1) Cf. « Signification et impact de la guerre en Ukraine », Revue internationale n° 168, (Rapport adopté en mai 2022).
2) Mark A. Milley, chef d’État-major américain, cité par Courrier international : « Selon les États-Unis, la guerre en Ukraine a fait 200 000 victimes chez les soldats » (10 novembre 2022).
3) « Ukraine : la reconstruction coûtera au moins 350 milliards de dollars », La Tribune (10 septembre 2022).
4) « Guerre en Ukraine : six mois de conflit résumés en neuf chiffres clés », Les Échos (24 août 2022).
5) « Pourquoi la guerre en Ukraine est aussi un désastre écologique », BFMTV.com (30 octobre 2022).
6) « Les fuites de méthane des gazoducs Nord Stream sont moins importantes qu’annoncé », Le Monde (6 octobre 2022).
7) Rapport à la Conférence de juillet 1945 de la Gauche Communiste de France, repris dans le « Rapport sur le Cours Historique » adopté au 3e congrès du CCI, Revue internationale n° 18 (1979).
8) Cf. « Signification et impact de la guerre en Ukraine », Revue Internationale n° 168, (Rapport adopté en mai 2022).
Nous publions ci-dessous un extrait d’un courrier adressé par un de nos lecteurs, Robert, suite à une permanence en ligne à laquelle il a assisté, suivi de notre réponse.
Concernant les luttes des prolétaires : les révolutionnaires doivent-ils dénoncer les luttes des prolétaires qui se trompent, utilisent des méthodes qui ne sont pas les siennes ou juste faire la critique ? Car à mon avis, il y a une différence entre dénoncer et critiquer. Dénoncer : veut dire signaler comme coupable. Signaler publiquement les pratiques malhonnêtes, immorales ou illégitimes. Condamner : « déclarer (quelqu’un) coupable », « blâmer quelque chose », « Fermer, empêcher », « interdire ». Critiquer : « capable de discernement, de jugement », « séparer », « choisir », « décider », « passer au tamis »)
Si on regarde ces trois définitions, à mon avis, il faut condamner et dénoncer les organisations bourgeoises et petites-bourgeoises qui désorientent le prolétariat. Mais il faut critiquer un mouvement mené par les prolétaires pour plus de clarification, dans un but de le soustraire à l’influence bourgeoise et petite-bourgeoise. Si on dénonce une lutte du prolétariat, on la dénonce auprès de qui ? De la police, de la justice ? De l’Etat en général ? Ou bien dénoncer des prolétaires auprès d’autres prolétaires ? Par exemple, dénoncer les prolétaires noirs, sous prétexte que leur mouvement est embrigadé par les organisations bourgeoises, auprès des prolétaires blancs ? Dire aux prolétaires blancs qu’il faut soutenir vos frères noirs mais sur des bases de classe ? Ou leur dire non, c’est un mouvement interclassiste, il faut le dénoncer ??? Critiquer, c’est passer au tamis une lutte afin de voir les forces et les faiblesses.
Voyons ce que dit Marx à ce propos, et je souligne que c’est le CCI qui m’a appris cette phrase, pour critiquer le PCInt, que je trouve juste. Marx dit : « Par conséquent, rien ne nous empêche de relier notre critique à la critique de la politique, à la prise de partie en la politique, donc à des luttes réelles, et de nous identifier à ces luttes. Nous ne nous présentons pas alors au monde en doctrinaires armés d’un nouveau principe : voici la vérité, agenouille-toi ! Nous développons pour le monde des principes nouveaux que nous tirons des principes mêmes du monde. Nous ne lui disons pas : “renonce à tes luttes, ce sont des enfantillages ; c’est à nous de te faire entendre la vraie devise du combat”. Tout ce que nous faisons, c’est montrer au monde pourquoi il lutte en réalité, et la conscience est une chose qu’il doit faire sienne, même contre son gré ».
Lorsque Marx dit que nous ne lui disons pas : « renonce à tes luttes, ce sont des enfantillages ; c’est à nous de te faire entendre la vraie devise du combat ». Cela veut dire, à mon avis que Marx ne dénonce pas et même ne condamne pas les luttes des prolétaires, même si les prolétaires se trompent. Mais Marx rajoute : « Tout ce que nous faisons, c’est montrer au monde pourquoi il lutte en réalité, et la conscience est une chose qu’il doit faire sienne, même contre son gré ». Cela veut dire, à mon avis que les révolutionnaires doivent faire la critique des luttes des prolétaires et faire en sorte à l’orienter vers des buts de classe, vers le but final qui est la dictature du prolétariat.
Pour les luttes parcellaires et le rôle des révolutionnaires : « Pas plus qu’on ne juge un individu sur l’idée qu’il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de bouleversement sur sa conscience de soi ; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives sociales et les rapports de production » (Karl Marx). Ce que j’ai compris de cette phrase, c’est que les révolutionnaires ne doivent pas se limiter à la façade des luttes, mais à chercher les causes qui poussent les prolétaires à s’engager dans des luttes inter-classistes. Car la signification que donnent les organisations bourgeoises, petites-bourgeoises et les prolétaires à des slogans n’est pas la même. Les prolétaires lorsqu’ils parlent de liberté, égalité, fraternité, cela veut dire dignité, pain, paix… Même si les mots sont ambigus.
Robert
Pour commencer, nous voulons saluer le courrier du camarade qui a souhaité poursuivre le débat et apporter d’autres arguments à ceux développés dans la discussion lors de la permanence. Nous ne pouvons qu’encourager ce type d’initiative et c’est dans cette démarche que nous inscrivons la réponse que nous faisons ici au camarade.
Les questions que soulève le camarade sont d’une grande importance : il s’agit, en effet, de déterminer comment les révolutionnaires doivent orienter leur intervention face à des mouvements de protestation de toutes sortes. La première chose que nous devons mettre en avant ici, c’est la question du terrain de classe.
La société capitaliste offre un nombre considérable de possibilités d’indignation, de colère, de protestation, tellement les horreurs, les violences et la misère qu’elle propage sont innombrables. Ceci entraîne toute une série de mouvements épars dans lesquelles peuvent se retrouver des prolétaires refusant d’accepter sans broncher toutes ces expressions de barbarie. Il arrive aussi que des prolétaires, sincèrement indignés, soutiennent et participent à des mouvements revendiquant des droits et une législation pour des catégories opprimées (les femmes, les minorités ethniques, les homosexuels, etc.). Mais il s’agit là de véritables pièges tendus par la bourgeoisie, bien souvent par ses associations et partis de gauche qui instrumentalisent le dégoût évident que suscitent, par exemple, la situation des Noirs aux États-Unis ou les violences à l’encontre des femmes. Ces prolétaires se retrouvent donc englués dans des mouvements parcellaires, et par conséquent embrigadés derrière des revendications purement bourgeoises.
Deux exemples peuvent illustrer ces situations. Beaucoup de prolétaires sont inquiets pour l’avenir de la planète face au réchauffement climatique, à la multiplication des catastrophes dites « naturelles ». Mais en s’impliquant dans des luttes pour une meilleure action des États dans le respect de la nature, ces ouvriers s’allient avec toutes les couches de la société dans l’illusion que des améliorations au sein du capitalisme sont possibles. Ils passent ainsi à côté du seul combat efficace pour sauver la planète : la lutte pour la destruction du capitalisme ! Un combat que seule la classe ouvrière peut mener.
De même, les violences policières dans beaucoup de pays développés, fortement médiatisées pour certaines, ont profondément indigné nombre de prolétaires ! Mais en allant lutter pour que des lois et des procédures viennent garantir une intervention policière plus « respectueuse des droits individuels », les ouvriers se mettent tout simplement à la merci de la bourgeoisie et de ses États en oubliant que les forces de police sont toujours le bras armé de l’État bourgeois dans la répression des luttes du prolétariat, comme l’histoire du mouvement ouvrier l’a démontré à de très nombreuses reprises.
On ne peut donc pas caractériser un mouvement par le fait sociologique que des prolétaires y participent. En tant qu’individus, les prolétaires sont potentiellement sensibles à toutes les causes et ne représentent rien en termes de force sociale. La seule force sociale capable de combattre le capitalisme, c’est la classe ouvrière et cette classe n’est pas la simple somme des individus qui la composent, elle n’est pas une entité sociologique qui n’existerait qu’à travers les individus qui la composent. La classe ouvrière existe à travers ses dimensions économique et politique au sein du capitalisme, à travers sa lutte contre l’exploitation de sa force de travail par le salariat. Autrement dit, en tant que classe exploitée et classe révolutionnaire. Elle trouve sa force dans son histoire, ses luttes, son caractère international. Par conséquent, c’est en tant que force collective, dont le ciment est la solidarité de classe internationale, qu’elle peut véritablement instaurer un rapport de force avec la bourgeoisie.
De même, les révolutionnaires ne sont pas des missionnaires qui interviennent auprès d’individus prolétaires pour les sauver de l’idéologie dominante, ce serait de toute façon impossible, aucun individu ne pouvant seul résister au rouleau compresseur de l’idéologie dominante. Les révolutionnaires sont la partie la plus décidée et consciente de la classe ouvrière. Ils représentent, de façon organisée, son bras armé pour développer sa conscience de classe et permettre au prolétariat de prendre le chemin de l’affrontement au capitalisme.
Dans ce cadre, l’intervention des révolutionnaires ne peut s’entendre que comme s’adressant à la classe ouvrière en tant que telle. C’est quand la classe ouvrière lutte en tant que classe qu’elle peut le mieux entendre et assimiler ce que les révolutionnaires ont à lui dire, notamment dénoncer les pièges que lui tend la bourgeoisie pour l’amener à la défaite. Mais aussi lui rappeler les outils et méthodes qu’elle a développés dans toute son histoire pour mener ses combats, en particulier le fait que, de manière consciente, seules son unité et son autonomie peuvent la préserver des pièges de la bourgeoisie et générer un rapport de force en sa faveur.
De ce fait, nous devons caractériser un mouvement d’abord par ses revendications et ses méthodes de lutte. Cela ne signifie nullement d’attendre patiemment un mouvement « pur » mais de déceler deux choses nécessaires pour orienter l’intervention :
– sur quel terrain se situe la lutte ?
– dans un mouvement, est-ce la classe ouvrière qui est mobilisée ou des individus indifférenciés et mêlés à d’autres couches sociales de la société ?
À l’heure actuelle, la plus grande majorité des luttes ouvrières sont organisées par les syndicats. Ces derniers, conformément à leur fonction au sein de l’État, n’ont de cesse de diviser les prolétaires afin de conduire la classe ouvrière à la défaite. Si les syndicats se placent aux avant-postes, c’est parce que la bourgeoisie perçoit la colère et la combativité qui s’éveillent. Ainsi, au cours des grèves ou dans les manifestations, sont reprises des revendications qui appartiennent à la classe ouvrière comme de meilleures rémunérations ou de meilleures conditions de travail. C’est en reprenant des revendications se situant sur le terrain de la classe ouvrière que les syndicats parviennent à se présenter comme les professionnels de la lutte et à en garder le contrôle. Il incombe donc aux révolutionnaires de dénoncer ces pratiques de sabotage et de défendre l’auto-organisation de la classe par une véritable prise en main dans des assemblées générales souveraines. En somme, comme le dit le camarade, il s’agit « d’orienter » les luttes vers « des buts de classe » et surtout « vers le but final » qui est le communisme.
Quand, au contraire, des mouvements se situent sur des terrains interclassistes, voire carrément bourgeois, que doivent faire les révolutionnaires ? Ils doivent mettre la classe ouvrière en garde sur la tentation d’y trouver un moyen lui permettant de développer sa lutte et sa conscience. Cela ne veut pas dire, comme le pense le camarade, qu’on « dénonce » ou qu’on attaque nommément les prolétaires qui y participent. Ce qu’on dénonce, ce sont les pratiques menant à des impasses, les revendications qui n’appartiennent pas au terrain de classe du prolétariat. Il ne s’agit pas d’une posture de censeur, il s’agit du seul moyen que nous avons pour faire prendre conscience aux ouvriers déboussolés que la cause qu’ils estiment juste (réclamer des droits à la bourgeoisie) est en fait un piège qui les conduit finalement à défendre le capitalisme (souvent à la remorque de la petite-bourgeoisie). Nous savons aussi que ces mouvements, ne se situant pas sur le terrain de classe, ne permettent pas à la classe ouvrière d’y être présente en tant que classe, du fait qu’elle se retrouve noyée ou diluée, sans force autonome. Notre intervention auprès des prolétaires directement impliqués n’en est que plus inaudible, incompréhensible. Cela signifie que nous devons assumer d’être à contre-courant car les révolutionnaires ont la lourde tâche d’essayer d’orienter la classe ouvrière vers le chemin le plus propice au développement de sa conscience sans jamais perdre de vue le but de la révolution et de la dictature du prolétariat.
Pour autant, la dénonciation de ce type de mouvement, n’exempte pas les révolutionnaires de réfléchir aux raisons pour lesquelles un nombre plus ou moins important d’ouvriers a participé à ces mouvements. C’est notamment ce qu’avait fait le CCI dans son analyse du mouvement des « gilets jaunes » en France.
Bien-sûr, la classe ouvrière n’est pas une entité désincarnée ni, non plus, un être homogène. Elle est traversée de courants, de mouvements, de débats, de réflexions, de combats. En son sein et à chaque période, la propagande des révolutionnaires obtient un écho plus ou moins important sur une partie plus ou moins étendue de la classe. C’est la raison pour laquelle notre intervention doit se concevoir sur une base collective, de classe et non individuelle. Le niveau de conscience de la classe ouvrière à un moment donné n’est pas la somme des consciences individuelles qui la composent mais le résultat de ce bouillonnement permanent de réflexion et de débat qui permet, parfois en quelques semaines comme en 1905 et 1917 en Russie, à des ouvriers analphabètes et sans intérêt pour la politique, de créer les conditions d’une insurrection et inventer les méthodes d’exercice du pouvoir par le prolétariat en faisant surgir des conseils ouvriers.
Il ne s’agit pas d’une science exacte, mais d’une méthodologie pour déterminer la nature de classe d’un mouvement et pour orienter l’intervention des révolutionnaires en son sein. Mais partir de l’individu est, en revanche, une impasse car l’individu sur le plan politique n’existe pas dans le capitalisme. Défendre le contraire reviendrait à nier les conditions réelles de la production capitaliste et donner du crédit à l’idéologie démocratique qui, en partant des votes d’individus dans l’isoloir, construit la légende de la « volonté du peuple ».
Ce qui est le plus important est de partir, au contraire, de la dimension historique et internationale du prolétariat, de déceler en chaque lutte de quelle manière la classe ouvrière s’inscrit dans ce cadre. Dans quelle mesure elle est en capacité de développer sa lutte en défendant ses propres intérêts. Des luttes dont le terrain privilégié reste celui du combat contre l’exploitation capitaliste. Il s’agit de prendre la mesure du développement de la combativité, de la recherche de la solidarité et de l’unité.
GD, 11 novembre 2022
Le vendredi 2 décembre avait lieu à Paris la première réunion en France du comité No war but the class war (NWCW).
L’existence de ces comités dans le monde n’est pas nouvelle, elle a plus de 30 ans. L’idée de créer des groupes NWCW a d’abord surgi dans le milieu anarchiste en Angleterre en réponse à la première guerre du Golfe en 1991. Il s’agissait d’une réaction, d’un refus de participer aux mobilisations « Stop the War » organisées par la gauche du capital et qui avaient pour fonction essentielle de dévoyer le refus de la guerre dans l’impasse du pacifisme. D’ailleurs, le slogan No war but the class war fait référence à une phrase prononcée dans le premier épisode de la série « Days of Hope » en 1975, de Ken Loach, par un soldat socialiste ayant déserté l’armée britannique durant la Première Guerre mondiale : « Je ne suis pas un pacifiste. Je me battrai dans une guerre, mais je me battrai dans la seule guerre qui compte, et c’est la guerre de classe, et elle viendra quand tout ça sera fini ».
De nouveaux groupes NWCW se sont ensuite formés face à la guerre en ex-Yougoslavie en 1993, au Kosovo en 1999, puis lors des invasions de l’Afghanistan et de l’Irak en 2001 et en 2003.
Chaque fois que possible, nous sommes intervenus dans ces comités qui rassemblaient un milieu extrêmement hétérogène, des gauchistes bourgeois aux internationalistes.
Un autre groupe de la Gauche communiste, la Communist Workers Organisation (CWO), qui est aujourd’hui l’organisation en Grande-Bretagne de la Tendance Communiste Internationaliste (TCI), est intervenu à son tour dans les NWCW à partir de 2001. Immédiatement, la CWO est allée plus loin, en participant activement à la création de nouveaux groupes, comme à Sheffield par exemple : « Nous assistons à une reprise significative des actions de grève, y compris celles des pompiers, des cheminots et des actions au-delà des syndicats dans les transports et les hôpitaux de Strathclyde. “No war but the class war” nous donne la possibilité de travailler dans tout le pays avec les forces qui voient un lien entre les deux et souhaitent associer la lutte de classe à la résistance à la guerre impérialiste ». (1)
Quant au CCI, en 2002, nous écrivions : « nous n’avons jamais pensé que NWCW était un signe avant-coureur de la reprise de la lutte de classe ou un mouvement politique de classe clairement identifié que nous devrions “rejoindre”. Il peut au mieux être un point de référence pour une petite minorité qui se poserait des questions sur le militarisme capitaliste et les mensonges pacifistes et idéologiques qui l’accompagnent. Et c’est bien pourquoi nous avons défendu ses positions de classe (bien que limitées) contre les attaques réactionnaires des gauchistes du type Workers Power (dans World revolution n° 250) et insisté depuis le début sur l’importance de ce groupe en tant que forum de discussion, et nous avons mis en garde contre les tendances à “l’action directe” et le fait de rapprocher ce groupe des organisations révolutionnaires ». (2)
C’est pourquoi l’intervention du CCI au sein de ces groupes avait pour objectifs :
– de clarifier les principes de l’internationalisme prolétarien et le besoin d’une claire démarcation de la gauche du capital et du pacifisme ;
– et de se concentrer sur le débat politique et la clarification contre les tendances à l’activisme qui, en pratique, signifiaient se dissoudre dans les manifestations « Stop the War ».
Vingt ans plus tard, face à l’éclatement de la guerre en Ukraine, ces groupes NWCW ont réémergé, d’abord à Glasgow, puis dans plusieurs villes au Royaume-Uni, et aussi dans le monde. Souvent à l’initiative d’organisations anarchistes, certains NWCW ont aussi été lancés parfois directement par la TCI.
Début décembre, nous nous sommes donc rendus à la première réunion de NWCW. Le comité avait lancé un appel authentiquement internationaliste : « Contre la guerre impérialiste, que peuvent les révolutionnaires ? La guerre en Ukraine a bouleversé la situation politique mondiale en alignant, face à face, la Russie d’une part et l’Otan et les États-Unis d’autre part. […] Comme lors des deux autres guerres mondiales, les révolutionnaires internationalistes affirment que la guerre impérialiste et ses fronts doivent être désertés, quels qu’en soient leurs formes. Dans la guerre et le nationalisme, la classe ouvrière a tout à perdre et rien à gagner. Le seul véritable choix qui s’offre à elle reste la transformation de la guerre impérialiste en guerre de classe, en construisant une alternative basée uniquement sur ses propres intérêts immédiats et à plus long terme. Cette alternative implique, d’ores et déjà, le rejet de l’économie de guerre et de l’ensemble des sacrifices qu’il nous faudrait lui consentir ». C’est sur cette base que nous avions encouragé tous nos contacts à venir participer à cette réunion.
En préambule à la discussion, le présidium a annoncé une division de la discussion en deux parties : d’abord l’analyse de la situation impérialiste, ensuite les moyens d’action du Comité.
La première introduction réalisée par le présidium pour lancer le débat a clairement maintenu ce cap de l’internationalisme, sans aucune ambiguïté. Elle a aussi décrit la réalité de la barbarie impérialiste actuelle. Et elle a défendu une perspective que nous ne partageons pas, celle de la généralisation de la guerre, d’un processus en cours vers l’affrontement de blocs dans une guerre mondiale.
Toute la première partie de la discussion a été assez chaotique. Des participants refusaient tout net de discuter de la situation impérialiste, ils rejetaient tout effort d’analyse comme une perte de temps et appelaient à agir ici et maintenant. Ceux-là se sont moqués de toute intervention jugée « théorique », se gaussant de l’âge des intervenants, éclatant de rire à l’évocation de référence historique du siècle dernier, coupant la parole et intervenant par-dessus les autres. Le présidium a dû à maintes reprises en appeler au respect du débat, sans succès. Une partie d’entre eux ont déserté la salle en cours de route.
Au-delà de l’anecdote, cette ambiance et les propos avancés, contre la « théorie » et pour « l’action immédiate », en disent beaucoup sur la composition de l’assemblée, sur qui a répondu à l’appel et pourquoi. Le texte de l’appel finissait par « Débattons ensemble de la situation, réfléchissons aux actions à entreprendre pour intervenir en commun ! Toutes les initiatives internationalistes sont bonnes à envisager et à populariser ! ». En guise d’initiatives bonnes à prendre, nous avons alors eu la proposition d’attaquer la démocratie (comment ? Mystère..), de manifester devant l’ambassade russe, de soutenir financièrement ceux qui résistent en Ukraine, d’héberger les déserteurs russes…
C’est pourquoi, dans notre première intervention, nous avons eu à cœur de défendre que :
– la guerre en Ukraine est de nature entièrement impérialiste. La classe ouvrière ne doit soutenir quelque camp que ce soit dans ce carnage dont elle est la principale victime ;
– la présente période de guerres impérialistes du capitalisme, matérialisée par la guerre en Ukraine, nous rapproche de l’extinction de l’humanité ;
– seul le dépassement du capitalisme peut mettre fin aux guerres impérialistes ;
– Il est donc dangereux de tomber dans l’activisme, illusoire de croire que la situation peut changer par l’action spectaculaire de quelques poignées d’individus ;
– par conséquent, seule l’action consciente et organisée des masses ouvrières peut mettre fin à la barbarie capitaliste. Il s’agit donc pour les révolutionnaires de participer à ce long processus, à cette élévation générale de la conscience de classe, en étant capable de tirer les leçons de l’histoire.
Cette défense intransigeante de l’internationalisme et du rôle des révolutionnaires n’aura certainement pas suffi. Au contraire, ce qui ressort surtout de cette première partie de discussion, c’est la confusion, l’affaiblissement de la défense de l’internationalisme. Car à l’activisme, à l’appel à la résistance est venue encore s’ajouter une intervention en faveur de la possibilité de la lutte ouvrière pour l’autonomie ukrainienne. Le représentant du groupe trotskiste « Matière et Révolution » a en effet défendu cette thèse classique de l’extrême-gauche. Loin de provoquer une réaction extrêmement ferme du présidium, il n’y a pas même eu une remarque. Il a fallu que de la salle, un participant dénonce cette position nationaliste et demande pourquoi le comité avait directement invité ce groupe trotskiste. Pour réponse, l’un des membres du présidium, le militant de la TCI responsable de cette invitation, a fait la moue et prétendu que non, « Matière et Révolution » n’était pas à proprement parler trotskiste. Ce qui a déclenché le cri dudit militant : « Ah, si, je suis trotskiste ! ». Une situation des plus comiques, s’il en est.
Rappelons que l’appel de la TCI, à la source de l’apparition de ces nouveaux comités NWCW, affirme dans son point 11 que cette « initiative internationale […] offre une boussole politique pour les révolutionnaires de différents horizons qui rejettent toutes les politiques social-démocrates, trotskystes et staliniennes consistant, soit à se ranger carrément d’un côté d’un impérialisme ou d’un autre, soit à décider que l’un ou l’autre est un ‘moindre mal’ qu’il faut soutenir, soit à approuver le pacifisme qui rejette la nécessité de transformer la guerre impérialiste en guerre de classe, ce qui sème la confusion et désarme la classe ouvrière pour qu’elle n’entreprenne pas sa propre lutte ».
Nous ne saurions mieux dire à l’égard de cette fameuse « initiative internationale ». Effectivement, elle « sème la confusion et désarme la classe ouvrière » !
Dans notre première intervention, nous avons aussi commencé à exposer notre principal désaccord avec l’initiative NWCW. Comme en 1991, 1993, 1999, 2001, 2003…, il y a l’illusion que face à la guerre peut naître et, même, est en train de naitre une réaction massive de la classe ouvrière, réaction dont ces comités seraient en quelque sorte soit l’expression, soit les prémices. À l’appui de cette thèse, chaque grève actuelle est mise en exergue. Seulement, c’est ici tout mettre la tête en bas.
Au début des années 1990 et des années 2000, la combativité de la classe ouvrière était faible. Il y avait par contre une véritable réflexion face à la barbarie impérialiste dans laquelle les grandes puissances démocratiques étaient toutes directement engagées. C’est pourquoi les fractions de la gauche du capital avaient instauré un contre-feu en organisant de grandes manifestations pacifistes partout en Europe et aux États-Unis. En s’opposant à ce piège, à cette impasse incarnée par le slogan « Stop the War ! », les comités NWCW, au-delà de toutes leurs confusions, représentaient au moins un certain mouvement venu d’éléments qui cherchaient une alternative internationaliste au gauchisme et au pacifisme. C’est cet effort que le CCI essayait de pousser le plus loin possible en intervenant dans ces comités, quand la TCI s’illusionnait sur le potentiel de la classe et de ces comités, et croyait pouvoir étendre son influence sur le prolétariat par l’intermédiaire de ces groupes.
Aujourd’hui, la colère sociale gronde, la combativité de la classe se développe. Les grèves qui ne s’arrêtent plus depuis le mois de juin 2022 au Royaume-Uni sont l’expression la plus claire de la dynamique actuelle de notre classe à l’échelle internationale. Mais le ressort de ces luttes, ce n’est pas la réaction ouvrière face à la guerre. Non, c’est la crise économique, la dégradation des conditions de vie, la hausse des prix et les salaires misérables qui provoquent ces grèves. Il est indéniable que par ces luttes, la classe ouvrière refuse, dans les faits, les sacrifices que la bourgeoisie impose au nom du « soutien à l’Ukraine et à son peuple » ; et ce refus montre que notre classe n’est pas embrigadée, qu’elle n’est justement pas prête à accepter la marche généralisée vers la guerre ; mais elle ne fait pas encore consciemment tous ces liens.
Concrètement, qu’est-ce que la réalité de cette dynamique implique ? Pour le comprendre, il suffit de constater ce qui s’est passé à Paris lors de cette première réunion NWCW.
Ce « comité » n’en a que le nom. Dans la réalité, c’est la TCI qui a constitué ce groupe, épaulé par un groupe parasitaire nommé GIGC. Dans la salle, il y avait presque exclusivement des représentants de groupes et quelques individus politisés qui gravitent autour de ces deux groupes. La CNT-AIT Paris, Robin Goodfellow, Matière et révolution, l’Asap, et donc quelques individus, certains de la mouvance autonome, d’autres de la CGT ou du syndicalisme révolutionnaire. Donc pêle-mêle des militants trotskistes, anarchistes, autonomes, staliniens, et de la Gauche communiste… Le GIGC l’écrit lui-même : « Dès l’Appel de la TCI lancé, ses membres en France et nous-mêmes avons, de fait, constitué un comité dont les premières interventions eurent lieu, par voie de tracts, lors des manifestations de juin dernier à Paris et quelques villes de province ». (3) Il s’agit donc là d’une création totalement artificielle, véritablement hors-sol. Un comité, c’est tout autre chose.
En 1989, nous écrivions : « La période que nous vivons aujourd’hui voit, ici et là, au sein de la classe ouvrière, l’émergence de comités de lutte. Ce phénomène a commencé à se développer, en France au début de 1988 (au lendemain de la grande lutte à la SNCF). Depuis lors, plusieurs comités regroupant des ouvriers combatifs se sont formés dans différents secteurs (PTT, EDF, Enseignement, Santé, Sécurité Sociale, etc.) voire même, et de plus en plus, sur une base inter-sectorielle.
Signe du développement général de la lutte de classe et de la maturation de la prise de conscience qu’il engendre, ces comités correspondent à un besoin (ressenti de plus en plus largement parmi les ouvriers) de se regrouper pour réfléchir (tirer les leçons des luttes ouvrières passées) et agir (participer à toute lutte qui surgit) ensemble, sur leur propre terrain de classe, et cela hors du cadre imposé par la bourgeoisie (partis de gauche, groupes gauchistes et surtout syndicats).
C’est un tel comité (le “Comité pour l’extension des luttes” qui regroupe des ouvriers de différents secteurs de la fonction publique et dans lequel le CCI intervient régulièrement) qui est intervenu à plusieurs reprises dans le mouvement de luttes de l’automne 1988 ».
Il y avait donc, à ce moment là, la vie et l’expérience concrète de la classe. Evidemment, une organisation révolutionnaire doit encourager la création de ces comités, s’y investir, pousser en leur sein pour développer l’organisation et la conscience de la classe, mais elle ne peut les créer artificiellement, sans lien avec la réalité de la dynamique de la classe.
Aujourd’hui, il faut surveiller la situation sociale. La question de la guerre n’est pas le point de départ, le socle sur lequel la classe ouvrière se mobilise, ni ne se rassemble en comités de lutte ; par contre, il est tout à fait envisageable que la possibilité de formation de cercles de discussion ou de comités de lutte mûrisse, compte-tenu du développement en cours de la combativité ouvrière face à l’aggravation de la crise économique et de son cortège d’attaques aux conditions de vie. Et alors, faire le lien avec la guerre, défendre l’internationalisme, sera de la responsabilité des révolutionnaires.
D’ailleurs, c’est ce que font déjà tous les groupes de la Gauche communiste par la diffusion de leur presse et leurs éventuels tracts. Cette voix porterait plus loin, aurait une signification historique bien plus profonde, si tous ces groupes formaient un chœur, en portant ensemble un seul et même appel internationaliste.
Refusant une telle démarche au sein de la Gauche communiste, alors que l’Institut Onorato Damen, Internationalist Voice et le CCI ont été capables de voir qu’au-delà de leurs désaccords, ils portaient le même héritage internationaliste à défendre et à diffuser, la TCI préfère à la place créer, avec l’officine parasitaire du GIGC, des coquilles vides à Toronto, Montréal, Paris… en les appelant « comités ». Elle préfère se regrouper avec des groupes trotskistes, autonomes, anarchistes défendant la résistance et faire croire qu’il s’agit là d’un élargissement de la base internationaliste dans la classe.
La même erreur répétée encore et encore depuis 1991. Marx écrivait que l’histoire se répète, « la première fois comme une tragédie, la seconde fois comme une farce ». D’ailleurs, depuis la salle, un participant a par trois fois demandé quel bilan le comité faisait de l’expérience NWCW depuis 1991. La réponse du membre de la TCI au présidium a été hautement révélatrice : « Il n’y a pas besoin de faire un tel bilan. C’est comme les grèves, cela échoue et cela ne doit pas empêcher de recommencer ». Les révolutionnaires, comme toute la classe, doivent évidemment faire l’exact opposé : toujours débattre pour tirer les leçons des échecs passés. « L’autocritique, une autocritique impitoyable, cruelle, allant jusqu’au fond des choses, voilà l’air et la lumière sans lesquels le mouvement prolétarien ne peut vivre » disait Rosa Luxemburg en 1915. (4) Tirer les leçons des échecs de NWCW permettrait à la TCI de commencer à regarder en face ses errements.
Voilà ce que voulait souligner notre seconde intervention et qu’une participante dans la salle a mal comprise, y voyant une forme de sectarisme, quand il s’agissait de montrer que l’absence de principes dans ce regroupement qui n’a de comité que le nom venait non seulement ternir l’étendard internationaliste de la Gauche communiste mais aussi semer la confusion.
Durant cette réunion, le membre de la TCI au présidium a répété plusieurs fois, pour justifier cet appel au regroupement sans principe ni base réelle, que les forces de la Gauche communiste étaient isolées, se réduisant, selon lui, à « un pelé et trois tondus ». Par conséquent, ces comités permettaient de ne pas être seul et de pouvoir détenir une influence dans la classe.
Au-delà du fait qu’il y a là l’aveu de l’opportunisme le plus épuré, « oui, je m’allie avec n’importe qui et n’importe comment pour étendre mon influence », au-delà du fait que cette « influence » est illusoire, ces propos révèlent surtout la motivation réelle de la création de ces comités par la TCI : s’en servir comme instrument, comme « intermédiaire » entre la classe et elle. C’était déjà le cas en 2001 quand elle avait rejoint les comités NWCW au Royaume-Uni. Déjà en décembre 2001, nous écrivions un article intitulé « En défense des groupes de discussion », (5) pour nous opposer à l’idée développée par le Partito comunista internazionalista (aujourd’hui groupe italien affilié à la TCI), et reprise plus tard par la CWO, des « groupes d’usine », définis comme des « instruments du parti » pour gagner en implantation dans la classe et même pour « organiser » ses luttes. (6) Nous pensons qu’il s’agit d’une régression vers la notion de cellules d’entreprises comme base de l’organisation politique, défendue par l’Internationale communiste dans la phase de « bolchevisation », dans les années 1920, et à laquelle la Gauche communiste d’Italie s’est fortement opposée. La récente transformation de cette idée de groupes d’usine en appel à la constitution de groupes territoriaux, puis de groupes anti-guerre, en a changé la forme, mais pas vraiment le contenu. L’idée de la CWO selon laquelle NWCW pourrait devenir un centre organisé de la résistance de classe contre la guerre contient une certaine incompréhension de comment la conscience de classe se développe dans la période de décadence du capitalisme.
Évidemment, à côté de l’organisation politique proprement dite, il existe une tendance à la formation de groupes plus informels, lesquels se constituent aussi bien lors des luttes sur le lieu de travail qu’en opposition à la guerre capitaliste, mais de tels groupes, qui n’appartiennent pas à l’organisation politique communiste, restent des expressions d’une minorité qui cherche à se clarifier elle-même et à diffuser cette clarification dans la classe, et ne peuvent se substituer ou prétendre être les organisateurs de mouvements plus larges de la classe, un point sur lequel, à notre avis, la TCI reste ambiguë.
Or, la pratique actuelle de la TCI par la création artificielle de ces comités a des conséquences catastrophiques. Elle engendre la confusion sur l’internationalisme défendu par la Gauche communiste, elle brouille les frontières de classe entre les groupes de la Gauche communiste et la gauche du capital et, peut-être surtout, elle dévoie la réflexion et l’énergie des minorités en recherche vers une impasse activiste.
Toutes ces aventures que la TCI accumule, décennie après décennie, ont toujours mené à la catastrophe, celle de décourager ou de gaspiller l’effort actuellement immensément difficile et précieux du prolétariat à secréter des minorités en recherche des positions de classe.
Nous appelons donc encore une fois, publiquement, la TCI à travailler avec tous les autres groupes de la Gauche communiste qui le souhaitent pour brandir ensemble plus haut l’étendard prolétarien, défendre et faire vivre la tradition de la Gauche communiste.
CCI, 11 janvier 2023
1) « Communism Against the War Drive », disponible sur le site web de la TCI.
2) « L’intervention des révolutionnaires et la guerre en Irak » dans World revolution n° 264.
3) « Réunion publique à Paris du comité “pas de guerre, sauf la guerre de classe” », disponible sur le site web du GIGC.
4) La brochure de Junius (1915).
5) World revolution n° 250.
6) Le compte-rendu publié par la TCI de l’action du comité qu’elle a créé, encore avec le GIGC, à Montréal est à ce sujet édifiant.
Les grèves qui ont éclaté sur fond de colère immense en Grande-Bretagne, au mois de juin dernier, après des décennies d’attaques et d’atonie, ont marqué un changement d’état d’esprit très net au sein de la classe ouvrière : « Enough is enough ! » Les manifestations monstres contre la réforme des retraites en France, la multiplication des grèves et manifestations un peu partout dans le monde confirment la réalité d’une véritable rupture : les prolétaires refusent de subir de nouvelles attaques sans broncher ! Face à l’inflation, aux licenciements, aux « réformes », à la précarité, au mépris, à la dégradation continue des conditions de vie et de travail, le prolétariat relève la tête !
En France, croyant enterrer le mouvement rapidement, la bourgeoisie se heurte à une énorme mobilisation, à une colère profonde et durable.
Des rassemblements massifs en Espagne contre l’effondrement du système de soin et la dégradation des conditions de travail, avec des luttes et grèves dans différents secteurs se poursuivent.
En Allemagne, les prolétaires du secteur public et les postiers demandent des hausses de salaires. Le secteur des transports a été paralysé par une mega streik et la situation s’envenime plus largement au vu des négociations en cours entre le patronat et le syndicat IG Mettal qui encadre une colère montante.
En Grèce, la classe ouvrière a exprimé de manière explosive son indignation suite à un accident ferroviaire qui a coûté la vie à 57 personnes, révélant le manque de moyens, de personnels et le cynisme de la bourgeoisie qui voulait faire porter le chapeau à un lampiste pour se dédouaner d’une politique de coupes budgétaires massives et meurtrières.
Au Danemark, des grèves et manifestations ont éclaté contre la suppression d’un jour férié destiné à financer la hausse du budget militaire pour l’effort de guerre en Ukraine.
La liste des conflits sociaux pourrait être bien plus longue tant ils sont étendus et présents sur tous les continents.
Progressivement, le clivage entre exploiteurs et exploités, que la bourgeoisie a prétendu obsolète, réapparaît aux yeux des prolétaires, même si c’est une image encore très confuse et balbutiante. La crise économique qui s’approfondit, dans un monde de plus en plus fragmenté, accroît, en effet, la brutalité de l’exploitation de la force de travail et, en retour, engendre des réactions de luttes poussant à la solidarité et à la réflexion. Face à des conditions de travail dont les injustices criantes deviennent purement et simplement insupportables, les prolétaires, qu’ils soient du public ou du privé, en blouse bleue ou en blouse blanche, derrière une caisse ou un bureau, à l’usine ou au chômage, commencent à se reconnaître comme les victimes d’un même système et comme les acteurs d’un destin commun par la lutte. En somme, les prolétaires font, sans en avoir encore réellement conscience, leurs premiers pas pour se reconnaître comme une classe sociale : la classe ouvrière.
Mieux, encore : les prolétaires commencent à se tendre la main par-delà les frontières, comme on a pu le voir avec la grève des ouvriers d’une raffinerie belge en solidarité avec les travailleurs en France, ou la grève du « Mobilier national » en France, avant la venue (repoussée) de Charles III à Versailles, en solidarité avec « les travailleurs anglais qui sont en grève depuis des semaines pour des augmentations de salaires ». À travers ces expressions encore très embryonnaires de solidarité, les ouvriers commencent à se reconnaître comme une classe internationale : nous sommes tous dans le même bateau !
Mais si de nombreux pays sur tous les continents sont touchés par cette vague de fond, cela reste encore à des degrés très divers, avec des niveaux de fragilité, de mobilisation et de conscience très différents. La situation en cours vient, en fait, confirmer pleinement la distinction que l’on doit faire entre le vieux prolétariat des pays centraux, notamment de l’Europe occidentale, et celui de ses frères de classe dans les pays de la périphérie. Comme on a pu le voir en Chine ou en Iran, le manque d’expérience historique de la lutte, la présence de couches sociales intermédiaires plus importantes, le poids des mystifications démocratiques plus marqué, expose davantage les ouvriers aux risques de se noyer dans la colère de couches intermédiaires petites-bourgeoises et ultra-paupérisées. Voire d’être embrigadés derrière une fraction bourgeoise comme le montre la situation au Pérou.
Si les luttes conduisent à une lente réémergence de l’identité de classe, c’est bien en Europe occidentale qu’elle est le plus apparente, sur un terrain de classe et avec une conscience, certes encore faible, mais plus avancée : par les mots d’ordre, les méthodes de combat, le processus de maturation de la conscience dans des minorités en recherche de positions politiques prolétariennes, par la réflexion qui s’amorce plus largement au sein des masses ouvrières.
Le prolétariat effectue donc ses premiers pas dans une lutte de résistance face à la barbarie croissante et aux attaques brutales du capital. Quels que soient les résultats immédiats de telle ou telle lutte, victoires (toujours provisoires tant que le capitalisme n’aura pas été renversé) ou échecs, la classe ouvrière ouvre aujourd’hui la voie pour d’autres combats partout dans le monde. Aiguillonné par l’approfondissement de la crise du capitalisme et ses conséquences désastreuses, le prolétariat en lutte montre le chemin !
La responsabilité historique de la classe révolutionnaire face aux dangers que le système capitaliste fait peser sur toute l’humanité (climat, guerre, menaces nucléaires, pandémies, paupérisation…) devient plus intense et dramatique. Le monde capitaliste plonge dans un chaos de plus en plus sanglant, et ce processus, non seulement s’accélère fortement, mais s’expose désormais à la vue de tous. (1)
Déjà un an de guerre et de massacres en Ukraine ! Ce conflit barbare et destructeur se poursuit avec des combats interminables, comme le montre la polarisation meurtrière autour de Bakhmout, témoignage d’un tragique enlisement. Accumulant les ruines aux portes de l’Europe, ce conflit a déjà réussi l’exploit de dépasser les pertes humaines des soldats de « l’armée Rouge » tués pendant dix ans de guerre en Afghanistan (de 1979 à 1989) ! Pour les deux camps, les estimations portent déjà le nombre de morts à au moins 300 000 ! (2) La folie meurtrière en Ukraine révèle le visage hideux du capitalisme décadent dont le militarisme imprègne la moindre fibre.
Après la terrible secousse de la pandémie de Covid-19, sur fond de chaos, crise de surproduction, de pénuries et d’endettement massif, la guerre en Ukraine n’a fait que renforcer les pires effets de la décomposition du mode de production capitaliste, débouchant sur une accélération phénoménale du pourrissement de la société.
Guerre et militarisme, crise climatique, catastrophes en tout genre, désorganisation de l’économie mondiale, montée en puissance des idéologies les plus irrationnelles, effondrement des structures étatiques de soin, d’éducation, de transport… cette cascade de phénomènes catastrophiques semble non seulement s’aggraver dramatiquement, mais également s’entretenir, poussant les uns les autres dans une sorte de « tourbillon » mortifère au point de menacer la civilisation de destruction pure et simple.
L’actualité récente ne fait que confirmer davantage cette dynamique : la guerre accentue aussi la crise économique déjà très profonde. À une forte inflation, alimentée par la course aux armements, s’ajoute encore une nouvelle turbulence du secteur bancaire en Europe et aux États-Unis, marquée par la faillite de banques dont celle de la Silicon Valley Bank (SVB) en Californie et le sauvetage du Crédit Suisse avec un rachat forcé par UBS. Le spectre d’une crise financière plane de nouveau sur le monde ; tout cela, sur fond de désordre planétaire accentué, de concurrence effrénée, de guerre commerciale sans merci qui pousse les États à des politiques sans boussole, précipitant la fragmentation et les désastres, dont celui du réchauffement climatique n’est pas des moindres. (3) Ces catastrophes ne peuvent que conduire à de nouvelles convulsions et à une fuite en avant dans la crise, avec des phénomènes imprévisibles.
Tandis que la classe ouvrière s’engage sur le terrain de la lutte de classe, le système capitaliste ne peut que nous plonger dans la faillite et les destructions s’il n’est pas terrassé par le prolétariat. Ces deux pôles de la situation historique vont désormais se heurter et s’affronter davantage dans les années à venir. Cette évolution, malgré sa dynamique complexe, laissera apparaître plus nettement à terme la seule alternative historique possible : communisme ou destruction de l’humanité !
WH, 5 avril 2023
1) Y compris de la bourgeoisie qui, dans le dernier rapport sur les risques mondiaux du forum de Davos, a exposé de façon très lucide la catastrophe dans laquelle le capitalisme nous entraîne.
2) L’ONU a même révélé le fait d’exécutions sommaires dans les deux camps.
3) Dès la fin mars, en Espagne, de nouveaux incendies « typiques de l’été » ont déjà obligé l’évacuation de 1500 personnes !
« Une mobilisation de plus en plus violente » (The Times), « un feu qui fascine et qui détruit » (El pais), « Incendie devant la mairie de Bordeaux » (Der Spiegel)…
Les affrontements entre black-blocs et la police dans les manifestations contre la réforme des retraites ont fait les choux gras de nombreux journaux en Europe et ailleurs. Les médias étrangers ont également relayé les vidéos des poubelles brûlées, des vitrines brisées, des jets de projectiles ou de grenades, mettant habilement en scène un vrai décor d’apocalypse. Alors que, jusqu’à présent, le mouvement contre les retraites en France subissait un véritable black-out à l’international, les médias étrangers aux ordres sont soudainement sortis de leur torpeur pour déformer entièrement ce qui se passe dans les rues de toutes les villes de France depuis le milieu du mois de janvier.
Réduire le mouvement social à des émeutes destructrices, en réalité très minoritaires et marginales, tel a toujours été l’exercice dont se délectent les médias pour tenter de discréditer la lutte. L’écho de la lutte en France auprès de la classe ouvrière en Italie, au Royaume-Uni ou en Allemagne n’a fait qu’accentuer le zèle de la bourgeoisie pour véhiculer de grossiers mensonges.
Très loin des quelques rassemblements « d’incendiaires » (de poubelles...), ce sont pourtant des millions de personnes qui défilent, semaine après semaine, dans des cortèges chaleureux et toujours aussi déterminés à se battre et à repousser cette attaque. L’activation, le 16 mars, par le gouvernement, de l’article 49.3 de la Constitution, permettant l’adoption de la loi sans vote des députés, suivi, quelques jours plus tard, d’une intervention méprisante de Macron comparant les manifestants à des « factieux » semblables aux troupes haineuses et vociférantes de Trump ou Bolsonaro, ont même renforcé encore plus la colère et la volonté de faire reculer le gouvernement.
Lors de la neuvième journée de mobilisation, le 23 mars, de 2 à 3 millions de personnes étaient rassemblés : salariés, retraités, chômeurs, lycéens et étudiants… Tout le monde était dans la rue pour crier le refus toujours intact d’être exploités jusqu’à 64 ans. Les actes de violences aveugles de quelques centaines de black-blocs tournant en boucle sur les chaînes d’infos en continu et relayés à l’international, n’ont en réalité absolument rien à voir avec la nature de ce mouvement.
Ces actes stériles et inutiles servent justement de caution aux CRS, BRAV-M et autres porte-flingues de « l’ordre » des exploiteurs pour réprimer et faire régner la terreur. Tout cela dans le but de dissuader des travailleurs de rejoindre les manifestations et d’empêcher les rassemblements et les discussions.
Pour autant, la stratégie du pourrissement par la violence, sciemment orchestrée par le gouvernement, ne s’est pas avérée payante pour le moment. La massivité et la détermination lors des deux journées de mobilisation suivantes, le 28 mars et le 6 avril, étaient toujours au rendez-vous. Le déchaînement de brutalité de la police sur les manifestants a même amené des parties de la bourgeoisie mondiale, par l’intermédiaire du Conseil de l’Europe ou de l’ONU, à mettre en garde Macron et son gouvernement face à « l’usage excessif de la violence », la mort d’un manifestant pouvant avoir un impact retentissant dans l’ensemble du prolétariat en Europe de l’Ouest.
Ainsi, malgré les provocations, les multiples pièges tendus par le gouvernement, les syndicats et toutes les autres forces de la bourgeoisie, la lutte en France se poursuit ! La massivité, la combativité et la solidarité restent intactes. Ce qui n’est pas sans préoccuper des parties de la bourgeoisie française qui, face à l’isolement et au « jusqu’au boutisme » de Macron et son gouvernement cherchent résolument une porte de sortie. (1)
L’ampleur de ce mouvement est tel qu’il inspire les travailleurs dans plusieurs pays. En Italie, on se demande pourquoi « personne n’a levé le petit doigt » lors du passage de la retraite à 67 ans en 2011 ? Pourquoi n’avons-nous pas refusé de nous faire exploiter davantage comme le font, aujourd’hui, les travailleurs en France ? En Allemagne, les travailleurs des transports en grève ont affirmé ouvertement s’inspirer du mouvement en cours en France. Il en a été de même au Royaume-Uni ou encore en Tchéquie, également à propos des retraites. Ainsi, loin d’être une spécificité de « gaulois réfractaires », la lutte contre la réforme des retraites participe activement au développement de la combativité et de la réflexion de la classe ouvrière au niveau international.
Pourquoi ? Parce que c’est toute la classe ouvrière dans le monde qui est touchée par l’inflation, les attaques des gouvernements, la dégradation des conditions de vie, l’intensification de l’exploitation sur les lieux de travail.
C’est pour cela que le « enough is enough ! » scandé au Royaume-Uni depuis des mois par les travailleurs de nombreux secteurs, le « ça suffit ! » des manifestants en France, la réaction des travailleurs en Grèce suite à un accident ferroviaire … s’inscrivent tous dans le même mouvement de colère et de mécontentement international : Espagne, Allemagne, Grèce, Corée du Sud, Mexique, Chine, Italie… partout des grèves et des manifestations, partout la même lutte pour se défendre contre les pires effets de la crise du capitalisme.
Comme le montre l’écho international de la lutte en France, un embryon de liens naît, peu à peu, entre les travailleurs qui dépasse les frontières. Ces réflexes de solidarité sont l’exact opposé du monde capitaliste divisé en nations concurrentes vantant en permanence le culte de la patrie ! Ils rappellent tout au contraire le cri de ralliement de la classe ouvrière depuis 1848, celui du Manifeste communiste de Marx et Engels : « Les prolétaires n’ont pas de patrie ! Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ».
Ainsi, les luttes actuelles sont le terrain le plus propice à la prise de conscience que « nous sommes tous dans le même wagon » comme le clamaient les manifestants en Grèce, dernièrement. Même si c’est un processus encore très fragile et confus, toutes ces luttes permettent de prendre peu à peu conscience qu’il est possible de lutter comme une force unie et collective, comme une classe, comme la classe ouvrière mondiale !
Si la combativité et la massivité à elles seules n’ont pas été en mesure de faire reculer la bourgeoisie, le seul fait de faire l’expérience de la lutte collective, de mesurer les impasses, se confronter aux pièges tendus par la bourgeoisie et de pouvoir y réfléchir pour en tirer les leçons est déjà une victoire et un pas supplémentaire pour les combats futurs : « Parfois les ouvriers triomphent ; mais c’est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leur lutte est moins le succès immédiat que l’union grandissante des travailleurs ». (2)
Toutes les semaines, dans les cortèges, des slogans sont exprimés tels que « Tu nous mets 64, on te re-Mai 68 », « Mars 2023 is the new Mai 68 ». De même, la lutte contre le CPE en 2006 revient dans toutes les têtes. (3) Ces expériences de l’histoire de la classe ouvrière sont très précieuses pour le développement des luttes. Elles forment une boussole permettant à la classe de trouver le chemin de l’extension et de l’unité de la lutte.
En 1968, le prolétariat en France avait contraint le gouvernement et les syndicats à un accord sur la hausse des salaires grâce à des débrayages massifs et la propagation des assemblées générales dans les usines et d’autres lieux de travail.
En 1969 et 1972, les mineurs au Royaume-Uni étaient également parvenus à créer un rapport de force favorable à la classe ouvrière en étant en mesure de sortir de la logique corporatiste par l’extension de la lutte : par dizaines et par centaines, ils s’étaient rendus dans les ports, les aciéries, les dépôts de charbon, les centrales, pour les bloquer et convaincre les ouvriers sur place de les rejoindre dans la lutte. Cette méthode devenue célèbre sous le nom de flying pickets (piquets volants) exprimait la force collective, celle de la solidarité et de l’unité de la classe ouvrière.
En 1980, la classe ouvrière en Pologne a fait trembler la bourgeoisie de tous les pays en se rassemblant dans d’immenses assemblées générales (les MKS), décidant des revendications et des actions de lutte, en ayant comme souci constant d’étendre la lutte.
En 2006, ce sont les assemblées générales organisées par les étudiants et ouvertes à tous (travailleurs, chômeurs, retraités…) qui étaient le poumon d’une lutte qui, face à sa dynamique d’extension, avait contraint le gouvernement Chirac à retirer le Contrat Première embauche (CPE).
Tous ces mouvements démontrent que la classe ouvrière peut repousser les attaques et faire reculer la classe dominante dès qu’elle est véritablement en mesure de prendre en main ses luttes afin de les étendre et les unifier sur la base de revendications et de moyens d’action communs.
Les black-out médiatiques sur la massivité de la lutte en France comme la diabolisation ultra-médiatisée des violences minoritaires visent justement à empêcher le prolétariat de renouer avec ce passé lui permettant de prendre conscience de ses forces. C’est pour cela qu’aujourd’hui, le développement de véritables lieux de débats, tels que les assemblées générales souveraines et ouvertes à tous, doit être défendu comme moyen d’action, comme le moyen par excellence permettant de réfléchir à comment développer et unifier les luttes. La réappropriation des leçons des luttes du passé est un jalon fondamental de ce processus et, plus largement, de la récupération de la conscience d’appartenir à une seule et même classe portant en elle-même la force de renverser l’ordre capitaliste.
Vincent, 7 avril 2023
1) Depuis des semaines, les syndicats ne cessent de tendre la main au gouvernement pour tenter de calmer le mouvement. Mais ce dernier reste pour le moment « droit dans ses bottes ».
2) Marx et Engels, Manifeste communiste (1848).
3) Bien qu’elle n’ait pas la même signification, ni la même portée historique que Mai 68.
Face à la détermination des ouvriers en France, la bourgeoisie multiplie les chausse-trappes et les pièges : provocations éhontées du gouvernement, fausses espérances dans une « issue institutionnelle » ou le « dialogue social »… de gauche comme de droite, la bourgeoisie fait tout pour conduire la lutte dans une impasse. Ces dernières semaines, c’est la violence décomplexée de la police qui a été surtout utilisée et dont les images ont fait le tour du monde.
La violence et les provocations policières sont de grands classiques du maintien de l’ordre. Après avoir misé, en vain, sur un épuisement provoqué par la perte répétée de journées de salaire, Macron et son gouvernement jouent désormais la carte de l’instrumentalisation de la violence aveugle et stérile des black-blocs. Ce qui leur permet d’orchestrer sciemment une vaste entreprise de provocations policières et de répression sur l’ensemble des manifestants et des travailleurs en grève.
Tout a été fait, par exemple, pour que les manifestations du 28 mars tournent à l’affrontement violent et massif avec les forces de l’ordre. Il y a d’abord eu les provocations verbales de Macron à l’encontre des « factieux », présentant les manifestants comme une horde de voyous. Ensuite, les vidéos et enregistrements très choquants inondant les réseaux sociaux dans lesquels des flics agressent, intimident, humilient des manifestants, notamment les plus jeunes. Enfin, des gamins se retrouvant entre la vie et la mort à Sainte-Soline, blessés par des armes de guerre, après que les secours aient été empêchés d’intervenir par la préfecture. Ces provocations étaient insupportables et le risque devenait grand que le sentiment à l’égard des forces de l’ordre ne s’arrête pas aux slogans : « Tout le monde déteste la police ! » mais qu’il se transforme en batailles de rue chaotiques et barricades incendiaires.
Pourtant, le 28 mars, les manifestations se sont déroulées dans le calme, la colère grondant d’un bout à l’autre des cortèges mais avec des échauffourées ponctuelles et marginales de quelques dizaines de personnes. Même chose, mais plus calme encore, le 6 avril. La classe ouvrière n’est pas tombée dans le piège !
Car il s’agissait bien d’un piège : la bourgeoisie a tout fait pour exacerber la colère de ceux qui se mobilisent dans les mouvements sociaux, laissant ses flics agir impunément et en le faisant savoir : pas de sanctions, pas de suspension, un ministre de l’Intérieur cynique et arrogant dont la morgue n’a guère de concurrence ailleurs qu’à l’Élysée ! Dès lors, le message était clair : la prochaine fois ce sera pire, la prochaine fois ce sera la guerre et on vous aura prévenus !
Les manifestants auraient pu prendre peur massivement, les parents retenir leurs enfants, lycéens ou étudiants, et la bourgeoisie se serait gaussée d’une mobilisation « sur le déclin ». Une partie des manifestants aurait aussi pu se laisser entraîner dans l’affrontement direct avec la police, la bourgeoisie aurait eu une belle occasion de dire que tout mouvement social finit toujours par la destruction et le chaos et que seul l’État et sa police peuvent garantir la « sécurité et la paix ».
La bourgeoisie ne se contente toutefois pas d’exercer la terreur et de pousser aux affrontements stériles, elle a entre les mains une arme très efficace et dangereuse à travers son idéologie « démocratique » et ses syndicats. En effet, ces derniers se présentent comme responsables, comme les garants de manifestations pacifiques et des luttes efficaces. En réalité, non seulement ils collaborent de manière classique en partenariat avec la préfecture et les flics pour préparer les cortèges, mais en plus ils assurent eux-mêmes un service d’ordre, organisent les manifestations de manière à bien les saucissonner, à les segmenter par secteur, profession, catégorie, chacun derrière sa banderole, encadré par son syndicat et ses sonos pour empêcher les discussions et couper court à toutes autres initiatives que celles qu’ils ont orchestrées.
Bien sûr, une autre face de cette médaille est celle des partis de gauche et les médias bourgeois qui cherchent à distiller un poison dans la tête des ouvriers : faire croire qu’il pourrait exister une « police au service du peuple » agissant dans le cadre d’une « déontologie irréprochable ». Ce sont des mensonges !
Les syndicats, comme la police, sont des organes d’État. Ils sont fondamentalement au service du fer de lance de la défense de l’ordre bourgeois et de l’exploitation.
Face à la répression : unité et solidarité !
La lutte de classe n’a rien à voir avec la violence aveugle et minoritaire qui s’exprime actuellement dans les quelques affrontements avec les forces de répression, pas plus qu’elle ne s’inscrit dans les illusions d’un capitalisme plus « humain » et prétendument plus « démocratique ».
La force de la classe ouvrière réside dans sa lutte collective et massive, terreau dans lequel pourra se renforcer sa conscience d’être une classe révolutionnaire, capable d’imposer un réel rapport de force avec la classe dominante, de répondre massivement et solidairement à la répression, pas de brûler des poubelles ou chasser un peloton de CRS d’une avenue.
La bourgeoisie le sait bien et elle cherche par tous les moyens à empêcher ce processus en essayant de provoquer des réactions de colère aveugle qui servent d’exutoires et qu’elle sait parfaitement canaliser.
GD, 4 avril 2023
Le thème de la « taxation des super-profits » s’est glissé dans les discours de nombreux politiciens, dans la presse et même dans la bouche d’économistes médiatiques. Les dividendes des actionnaires du CAC-40 en France, les profits de TotalEnergies, LVMH, Engie, Arcelor Mittal, ceux des grands distributeurs d’énergie en Allemagne, en Italie ou en Grande-Bretagne, comme Shell, BP, British Gas… tous enregistrent des records. Ainsi, TotalEnergie a doublé son bénéfice net au deuxième trimestre 2022. Au Royaume-uni, le groupe Shell a engrangé un bénéfice de 40 milliards de dollars. Les cent plus grandes entreprises allemandes connaissent un revenu record de 1 800 milliards d’euros par rapport à la même période, l’année dernière. Le géant mondial des transports de marchandises CMA CGM a augmenté de 7,2 milliards de dollars le sien pour le premier trimestre 2022, soit une hausse de près de 243 % !
Cette situation, qui accentue les écarts et inégalités sociales, s’accompagne d’une exhibition écœurante de certains revenus alors que les salaires des travailleurs stagnent, quand ils ne régressent pas. La précarité est devenue la norme et l’inflation plonge dans la pauvreté une masse croissante d’ouvriers. (1)
Face à cette situation de dégradation constante, la taxation des super-profits est présentée comme une solution possible ou comme un des moyens pour répondre à la crise. Le Bundestag et d’autres chambres parlementaires en Europe ont ainsi été amenés à prévoir ce type de taxe, principalement sur les profits liés au secteur de l’énergie. Dans ses discours, le Président Macron, préférant bannir toute référence au lexique du gauchisme, évoquait par exemple la possibilité de taxer les « bénéfices indus » des grands énergéticiens. Il s’agissait probablement de rendre moins insupportable aux yeux des ouvriers l’utilisation forcée de leur véhicule, notamment pour les plus précaires, et répondre idéologiquement à ce qui est vécu comme une véritable injustice : « les riches se gavent pendant qu’on peine de plus en plus à faire le plein ».
Une telle propagande, dans la bouche d’autres dirigeants européens du même acabit, en pleine crise économique et dans un contexte de forte poussée inflationniste, témoigne d’ailleurs plus largement de l’inquiétude de la bourgeoisie face à une situation sociale de plus en plus tendue. Du fait de la poussée des luttes dans le monde, la bourgeoisie est obligée d’accorder quelques miettes. Mais ce qu’elle va lâcher d’une main, elle le reprendra aussitôt et inévitablement de l’autre.
Toutefois, au-delà de ces inquiétudes, le danger pour la classe ouvrière est celui d’une mystification en apparence plus radicale portée par la gauche, les syndicats et surtout par les gauchistes, comme les organisations trotskistes. En France, à la fin du mois d’août 2022, la NUPES organisait déjà une pétition intitulée : « taxons les super-profits ». Dans bon nombre de leurs discours, les députés LFI, de Manuel Bompard à François Ruffin, soulignaient la nécessité d’une taxation comme réponse à la crise sociale.
Cette idée était le créneau idéologique quasi exclusif des gauchistes, il y a encore quelques années. Comme ceux de LO (Lutte ouvrière), dont le slogan démagogique se résumait souvent à « faire payer les riches », sorte de variante des discours staliniens du passé qui se présentaient comme les « ennemis des trusts », exploitant au passage le vieux mythe des « 200 familles ». (2) Cette idée ancienne de « prendre aux riches » était aussi véhiculée par d’autres propagandistes, comme ceux d’Attac, qui préconisent toujours une application de la taxe Tobin. (3) En somme, malgré les contradictions irréversibles du capitalisme, sa faillite historique, il serait possible de « soulager les travailleurs » par une « juste redistribution des richesses ».
Mais aujourd’hui, ces anciens discours de l’extrême-gauche, recyclés face à la réflexion au sein de minorités ouvrières plus conscientes et plus combatives, ne suffisent plus. Alors que la gauche classique perpétue son idéologie de « redistribution » et de « régulation » par l’État, les gauchistes s’obligent désormais à parler de la « nécessité de renverser le système ».
Pour LO, cette taxation devient désormais une « supercherie ».Un groupe comme Révolution Permanente, scission du NPA, critique lui aussi ce slogan qui « ne permet pas de s’attaquer à la propriété privée capitaliste ». Sans pour autant abandonner les vieilles platitudes « réformistes » comme l’« indexation des salaires sur l’inflation […] pour unir notre classe » prouvant par là que cette nouvelle boutique gauchiste ne souhaite en aucun cas remettre en cause l’exploitation salariée.
Derrière l’apparente radicalité de ses discours, se cache la défense acharnée du capitalisme d’État sous les traits « d’expropriations » qui permettraient de construire un soi-disant « État ouvrier ». Les organisations gauchistes ne se démarquent absolument pas des conceptions véhiculées par la gauche classique, consistant à entretenir l’illusion de constituer un État « au-dessus des classes », capable de « réguler l’économie au service des travailleurs ». Par conséquent, loin d’être au service de l’émancipation des travailleurs, la gauche et l’extrême-gauche demeureront toujours dans le camp bourgeois au service de la conservation du capitalisme.
Le monde capitaliste s’enfonce inexorablement dans une guerre économique de plus en plus aiguë, sur fond d’endettement massif. Toutes les entreprises et toutes les nations se battent les unes contre les autres pour maintenir leur compétitivité face à une concurrence acharnée. Pour survivre dans cette jungle, il n’y a pas cent chemins : il faut accumuler le maximum de capital en pressurant les travailleurs pour baisser les coûts de production. Contrairement à des mythes tenaces, comme celui des « Trente Glorieuses », le capitalisme n’a jamais et ne pourra jamais « redistribuer justement la richesse », ce serait se vouer à la ruine. Avec la crise généralisée du système, il n’est même pas pensable d’octroyer la moindre réforme en faveur des ouvriers. La seule perspective que peut proposer le capitalisme au prolétariat, c’est une dégradation permanente des conditions de vie et de travail des ouvriers.
Voilà ce que cherche à dissimuler la propagande sur la « taxation des profits » ! Aussi sophistiqué qu’il puisse l’être dans la bouche des économistes « de gauche », ce mensonge n’a pour unique fonction que de bourrer le crâne des ouvriers d’illusions sur la « sortie de la crise ». Le capitalisme n’a aucune vocation philanthropique, il est conforme à sa nature : accumuler du capital et réaliser du profit par la sueur des travailleurs.
L’idée martelée autrefois par les gauchistes, notamment des trotskistes, de « taxer les riches » pour investir un « argent qui dort » et prétendre investir dans l’école, la santé, etc. en vue d’un monde meilleur sous la houlette d’un État démocratiquement contrôlé par les ouvriers est un pur mensonge. Contrairement à ce qu’ils veulent nous faire croire, le capitalisme ne peut nullement surmonter ses contradictions insolubles qui génèrent une crise de surproduction permanente et un endettement devenu abyssal. Le « modèle » de « redistribution » fantasmé, ou celui d’un contrôle étatique assimilé frauduleusement à du « communisme », reste en réalité celui du capitalisme d’État stalinien ! Un « modèle » de gestion capitaliste dont tous les politiciens d’extrême-gauche sont encore porteurs et nostalgiques.
Contrairement à la croyance en la possibilité d’agir pour un État plus « social », la réalité est que l’État représente le fer de lance de la bourgeoisie. La bourgeoisie se plaît à dépeindre des États soumis aux grandes firmes transnationales. Mais le rapport de force entre la bourgeoisie « privée » et l’État est strictement inverse : sans le contrôle étatique étroit de la production et du commerce à tous les niveaux, sans appareil réglementaire sophistiqué (favorisant les passe-droits fiscaux), sans l’armée de fonctionnaires pour former ou soigner les travailleurs, sans l’influence impérialiste des États, les entreprises, petites ou milliardaires, ne seraient rien. Il suffit de voir comment un mégalomane richissime comme Elon Musk est entièrement dépendant des commandes et du bon vouloir de l’État américain pour s’en convaincre.
L’État bourgeois n’est donc pas un lieu neutre de pouvoir à conquérir, c’est l’instrument principal d’exploitation et de la domination de la bourgeoisie sur la société. Il est, à ce titre, le principal ennemi de classe à abattre.
Le mythe de l’État « protecteur » a la vie dure. Fer de lance de toutes les attaques, c’est en son nom que sont menées les « réformes » qui dégradent nos conditions de vie. En réalité, l’État a pour seule fonction de garantir l’ordre qui permet d’exploiter au mieux la force de travail : toute idée de « régulation » de « redistribution » ou de « contrôle ouvrier » n’est qu’un leurre.
Les prolétaires n’ont pas le choix : ils doivent mener le combat le plus unitaire et le plus large possible. Pour cela, ils doivent commencer par rester sourds au vacarme médiatique, mais aussi et surtout à ceux des faux amis que sont les gauchistes et les syndicats qui prétendent qu’il est possible de réformer ou contrôler l’État en faveur des travailleurs. Les plus dangereux ennemis sont ceux qui derrière le masque de la justice, voire celui de la révolution, restent les derniers remparts de l’État bourgeois.
WH, 17 mars 2023
1) Ces bénéfices records ne sont pas pour autant les signes d’une bonne santé de l’économie. Ils s’expliquent essentiellement par la flambée des prix des hydrocarbures, la spéculation et la baisse des coûts de production, en particulier du fait de l’intensification de l’exploitation de la force de travail et des bas salaires maintenus pour l’ensemble des prolétaires.
2) Ce mythe apparaît à la fin du Second Empire, laissant entendre que le pouvoir politique en France et celui de l’argent, via le système bancaire et le crédit, serait aux mains de quelques « 200 familles » extrêmement riches.
3) L’économiste américain, James Tobin, proposait en 1972 une taxation des opérations de change par un prélèvement de l’ordre de 0,05 % à 1 %.
À de multiples occasions, lors de catastrophes climatiques ou industrielles causant de nombreuses victimes, le CCI a systématiquement dénoncé les larmes de crocodile des gouvernants, des responsables politiques ou économiques qui, toujours, invoquent la « fatalité », la faute à pas de chance, des « erreurs humaines », l’ « irresponsabilité » de tel ou tel technicien, salarié ou structure locale en charge de l’entretien, ou encore l’ « imprévisibilité » d’épisodes climatiques…
À chaque fois, face à de telles catastrophes, inondations, feux de forêt gigantesques, effondrement d’un pont, comme à Gênes, chute d’un téléphérique, effondrement d’une usine, coulée de boue, etc. (et ces événements tragiques se sont accélérés au fil des années), l’hypocrisie et le cynisme éhontés de la bourgeoisie sont sans borne. Elle a toujours cherché à désigner un bouc-émissaire idéal, tenté de trouver une explication boiteuse pour justifier l’injustifiable, pour faire oublier qui sont les véritables responsables : les représentants et défenseurs d’un système capitaliste déliquescent, à l’agonie, qui transpire la mort par tous ses pores, partout dans le monde.
Aujourd’hui encore, en Grèce, avec la catastrophe ferroviaire de deux trains se percutant frontalement, gouvernement et sociétés ferroviaires ont tenté de faire porter le chapeau à un chef de gare lampiste, inexpérimenté, qui a fait une erreur fatale qu’il a lui-même reconnue et assumée.
Mais, à la différence d’autres accidents tout aussi dramatiques, y compris en Grèce au moment des incendies gigantesques de 2018 et 2021 ayant occasionné des dizaines de morts, le choc, la douleur et la tristesse de la population, face au décès de ces 57 victimes, ne se sont pas cantonnés au recueillement intime, à des hommages solennels sous l’égide de l’État bourgeois, ne se sont pas retournés contre ce chef de gare désigné « coupable » par le gouvernement et par le premier ministre Mitsotakis.
Refusant la « fatalité », l’indignation et l’immense colère de la majeure partie de la population, surtout de la classe ouvrière, a explosé dans la rue, à Athènes, à Thessalonique, dans les entreprises, dans des manifestations massives regroupant des dizaines de milliers de personnes, par des grèves spontanées chez les cheminots, avec un appel à cesser le travail le mercredi 8 mars dans une grande partie des secteurs public et privé, de la santé aux enseignants, aux marins, aux travailleurs du métro, aux étudiants… du jamais vu depuis plus de dix ans !
Comme en Grande-Bretagne depuis plus de neuf mois, comme en France aujourd’hui face à la réforme des retraites, la classe ouvrière en Grèce crie à son tour : « trop c’est trop ! » La coupe est pleine !
Face à la déliquescence des services publics, suite aux plans d’austérité depuis plus de dix ans, la rue a répondu au pouvoir par ce slogan entendu dans tous les rassemblements : « Ce n’était pas une erreur humaine, ce n’était pas un accident, c’était un crime ». « À bas les gouvernements assassins ! » « Mitsotakis, ministre du crime »… La publication des excuses penaudes du premier ministre Mitsotakis suite à ses minables premières déclarations sur l’ « erreur humaine » du chef de gare, ont été vécues comme une provocation supplémentaire, entraînant spontanément dans la rue plus de 12 000 personnes.
La classe ouvrière en Grèce crie sa solidarité avec toutes les victimes de l’exploitation capitaliste, son refus de payer la crise, son refus des plans d’austérité à répétition, ou de l’allongement de la durée de travail comme en France, son refus de mourir en utilisant les transports du quotidien qui sont devenus des engins de mort : manque de personnel, délabrement des infrastructures, bus ou trains en ruine, systèmes de sécurité absents ou obsolètes, pénurie de matériel… « Cet accident de train, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Rien ne fonctionne en Grèce. L’éducation, le système de santé, les transports publics, tout est en ruine. Ce gouvernement n’a rien fait pour redresser cette situation intolérable dans le secteur public, mais il a dépensé de l’argent pour l’armée et la police ! » (une enseignante grecque).
C’est la réalité quotidienne du monde capitaliste, de l’aggravation de nos conditions de vie, de travail, partout, dans tous les pays !
Cette combativité massive de la classe ouvrière aujourd’hui en Grèce rejoint celle du prolétariat en France, en Grande-Bretagne, qui se bat et se mobilise déjà depuis des semaines, des mois, par des luttes qui expriment une grande colère et détermination.
L’indignation face à l’hypocrisie de l’État, face à la recherche effrénée du profit des entreprises privatisées ou non, exprime la même colère, la même solidarité, le même refus de courber l’échine, de subir encore et encore l’exploitation et payer de sa vie la décomposition au quotidien du système capitaliste putride.
C’est le même « réflexe » de classe qui resurgit ici en Grèce, dans la continuité des autres expressions massives de colère partout dans le monde face à la crise, à la gabegie et l’incurie de l’État. Là aussi, cela faisait des années que la combativité ouvrière en Grèce ne s’était pas exprimée à un tel niveau.
Ce « réflexe » de solidarité dans les rangs ouvriers vient rompre avec des années de repli sur soi, d’apathie ou d’expectative pour la classe ouvrière. Un exemple parlant et hautement significatif : lors de la journée de grève du 8 mars, à Athènes, les salariés des transports publics, en grève, ont décidé de faire fonctionner des bus et lignes de métros quelques heures, afin de faciliter le transport et la participation des manifestants aux rassemblements ! Voilà comment la lutte peut faire vivre la mobilisation, la solidarité, à l’inverse des « blocages » proposés par les syndicats comme en France !
La bourgeoisie, en Grèce, déstabilisée un temps par la réaction massive des ouvriers, tente bien sûr de limiter la mobilisation et la réflexion : elle crie haro sur la corruption, le clientélisme, le recul de l’ « État de droit », l’austérité, appelle à la mobilisation électorale pour les prochaines élections législatives ! Tout est bon pour botter en touche et masquer la réalité de la décomposition du monde capitaliste et sa véritable responsabilité, en Grèce comme partout.
Mais quelle que soit la suite de ce mouvement de lutte, son expression ouverte aujourd’hui, massive, solidaire, est déjà une victoire, une étape, qui participe directement au renouveau de la lutte ouvrière internationale.
Stopio, 10 mars 2023
« […] tant que le capitalisme existe, il y aura des luttes ouvrières. C’était le cas dans la phase ascendante du capitalisme. Et aussi, dans la période de décadence (à partir de 1914 environ, et cela était vrai même pendant la période de la contre-révolution. Et même au début de la période COVID, il y avait des luttes ouvrières, en Italie, aux États-Unis, etc. […]
Alors je me demande : les grèves sont-elles en elles-mêmes, aussi positives soient-elles, l’indice d’une reprise générale de la lutte ouvrière ? Les grèves ne peuvent-elles pas parfois être l’expression du désespoir, du doute ? […] quels sont les critères pour déterminer qu’une lutte ouvrière particulière représente un véritable renouveau de la lutte ouvrière, une lutte qui offre une perspective ? » C.
Le point soulevé par le camarade est crucial pour l’intervention des révolutionnaires dans la lutte de classe : comment identifier la signification d’une lutte, « une lutte qui offre une perspective » ? Certes, il n’existe pas de critères absolus pour déterminer si une grève particulière représente « un véritable renouveau de la lutte ouvrière ». Cependant, il faut se garder d’une appréhension empirique d’un tel mouvement car, dans de nombreux cas, les apparences peuvent être trompeuses. Pour saisir sa signification réelle, l’analyse doit aller au-delà des caractéristiques superficielles et partir d’un cadre d’évaluation qui prend en compte :
– D’abord, les caractéristiques de la période historique dans laquelle il se déroule : expansion ou déclin du capitalisme, certes. Mais, plus important dans le capitalisme décadent actuel, s’agit-il d’une période caractérisée par une tendance globale à la contre-révolution ou au contraire par l’ouverture d’un cours vers d’importants affrontements de classe ?
– Ensuite, l’appréciation du rapport de force entre la bourgeoisie et le prolétariat dans une période historique particulière : quelle est la dynamique de la lutte de classe au niveau de son extension, unification ou politisation ? Quel est l’impact des manœuvres et des obstacles idéologiques mis en place par la bourgeoisie ?
Un tel cadre permet d’estimer l’évolution du facteur subjectif au sein de la classe, d’apprécier le niveau de conscience du prolétariat.
Dans la période présente de décadence du capitalisme, le cours général vers la défaite ou au contraire vers un renforcement du mouvement prolétarien est un point de référence capital pour évaluer les potentialités d’une lutte particulière, quelle que soit son apparence radicale à première vue. Il permet de prendre en compte le niveau de conscience dans les masses ouvrières au-delà de la simple combativité ou même le nombre d’ouvriers en lutte.
Quelques exemples historiques le démontrent. En mai-juin 1936, une immense vague de grèves et d’occupations d’usines déferlait sur la France : deux millions et demi de travailleurs de tous les secteurs, privés et publics, et de toutes les industries et services se mettent en lutte de sorte que Trotsky écrivait le 9 juin 1936 que « la révolution française a commencé ». En réalité, le prolétariat commençait au contraire à être enrôlé derrière l’idéologie bourgeoise de l’antifascisme. Une idéologie qui allait le mener à la défaite et vers la guerre. Ce mouvement se situait dans une dynamique générale du combat défavorable. Après la défaite de la Révolution allemande et d’autres mouvements massifs en Europe occidentale, après la victoire du Stalinisme en Russie, la contre-révolution triomphait et la conscience de classe subissait un recul profond parmi les prolétaires. Dès lors, malgré des gains temporaires tels que des augmentations de salaires, la semaine de 40 heures et les congés payés, le mouvement de 1936 s’est rapidement transformé en hymne nationaliste et en soutien au gouvernement du Front populaire, qui conduira à une mobilisation des travailleurs pour préparer la guerre mondiale.
Le 23 octobre 1956, des étudiants et de jeunes ouvriers organisent une manifestation à Budapest pour exprimer leur solidarité avec un soulèvement ouvrier réprimé dans le sang à Poznan en Pologne. Le 25, les ouvriers de tous les centres industriels de Hongrie rejoignent les protestations, se mettent en grève et forment spontanément des conseils ouvriers : un développement spectaculaire qui semble annoncer le début d’une révolution prolétarienne. Or, dans les années 1950 et 1960, le prolétariat, atomisé par la Seconde Guerre mondiale, restait toujours globalement mobilisé derrière la classe dirigeante démocratique ou stalinienne. Aussi, après les premières mobilisations, la bourgeoisie pouvait bénéficier des illusions démocratiques qui minaient la conscience ouvrière. Elle pouvait ainsi contrôler le mouvement. Le 27, elle installait un gouvernement « progressiste » dirigé par Imre Nagy, qui lança immédiatement une contre-offensive en démantelant la police de sécurité détestée, en promettant des réformes démocratiques et en appelant au rétablissement de l’ordre. Rapidement, les conseils ouvriers baignés d’illusions exprimaient leur soutien au gouvernement Nagy en décidant de mettre fin aux grèves et de reprendre le travail.
Lorsque le mouvement de grève de Mai 68 éclate en France, les conditions historiques ont radicalement changé. Son terreau est constitué par les premiers signes du retour de la crise historique du capitalisme et il est initié par une nouvelle génération de travailleurs, qui n’avait pas subi les événements horribles de la contre-révolution. Ce contexte permet au prolétariat de sortir de la chape de plomb stalinienne et de tenter de renouer à travers le renouveau des luttes avec son expérience passée, en prenant conscience du besoin de la lutte au plan historique. Alors qu’il s’agissait de la plus grande grève de l’histoire du mouvement ouvrier international, impliquant au moins neuf millions de travailleurs, les médias et les intellectuels bourgeois minimisaient son importance et mettaient en exergue la révolte étudiante.
L’apparence moins spectaculaire de la vague de grèves masquait en réalité un événement de la plus haute importance, qui a marqué la fin à la période de contre-révolution, a annoncé la résurgence historique de la lutte des classes à l’échelle mondiale durant les deux décennies suivantes, a amorcé une prise de conscience et a suscité un intérêt massif dans un vaste milieu pour les écrits de militants du mouvement ouvrier révolutionnaire.
Avec les nombreuses luttes dans le prolongement du mouvement de Mai 1968, qui ouvrait la voie à une dynamique vers des affrontements de classe décisifs et un processus conscient, le rapport de force était initialement en faveur du prolétariat et cela a été mis en évidence lorsque les ouvriers de Pologne ont posé la question de la politisation ouverte de la lutte, impliquant une confrontation avec l’État bourgeois.
Cependant, la classe ouvrière, dans les pays centraux du capitalisme en particulier, n’a pas réussi à prendre la question à bras le corps dans les années 1980 en élevant son niveau de conscience de classe. Malgré de nombreuses luttes, elle n’a pas su sortir du cadre syndical et porter sa lutte au niveau d’un affrontement ouvert classe contre classe, perdant dès lors son avantage dans le rapport de force avec la bourgeoisie, tout en empêchant néanmoins par sa combativité cette dernière d’imposer sa solution à la crise, la guerre mondiale.
Cette situation contradictoire aboutit finalement à une impasse, puisque ni la bourgeoisie ni le prolétariat ne réussissaient à imposer leur perspective. Après l’effondrement du bloc de l’Est, la campagne idéologique sur la « mort du communisme » et la « victoire finale de la démocratie », ainsi que l’ouverture de la phase de décomposition avec un pourrissement accéléré de la société ont conduit à un reflux de la lutte des classes, induisant un recul de la conscience dans la classe, un rapport de force devenant défavorable pour le prolétariat : « la décomposition du capitalisme a profondément affecté les dimensions essentielles de la lutte de classe : l’action collective, la solidarité, le besoin d’organisation, les relations qui sous-tendent toute vie en société et qui s’effondrent de plus en plus, la confiance en l’avenir et en ses propres forces, la conscience, la lucidité, la cohérence et l’unité de la pensée, le goût de la théorie ». (1)
Tandis que la tendance existait de sous-estimer l’ampleur de ce reflux et de prédire prématurément, comme en 2003, la fin du recul de la lutte ouvrière, les mouvements prolétariens étaient freinés d’abord par une emprise croissante des syndicats dans les années 1990 et menacés plus généralement par les effets délétères de la pression de l’individualisme et du chacun pour soi ou par leur dissolution dans des révoltes populaires et interclassistes, comme lors du « printemps arabe » en 2010-11 ou avec le mouvement des « gilets jaunes » en 2018-19.
Des manifestations de résistance prolétarienne contre la crise économique ont surgi durant ces années, comme le mouvement anti-CPE en 2006 en France ou le mouvement des Indignados en Espagne (2011), mais ils n’ont pu marquer la fin de la profonde retraite dans la mesure où ils n’étaient pas assez puissants et surtout conscients pour imposer une alternative sur un terrain de classe face aux attaques du capitalisme.
Contrairement aux décennies précédentes, la vague de lutte actuelle, qui a débuté au Royaume-Uni, marque une rupture significative avec les trente années précédentes. Au-delà des expressions immédiates, le contexte dans lequel ces luttes se développent met en évidence leur signification profonde :
– malgré la pression de la décomposition stimulant la recherche de solutions individuelles ou les révoltes interclassistes et populistes,
– malgré les deux années de pandémie de Covid, qui ont rendu plus difficile le rassemblement des travailleurs pour la lutte ;
– malgré le « tourbillon » actuel des effets de la décomposition capitaliste (pandémie, catastrophe écologique, perturbations économiques, etc.), au sein duquel la guerre en Ukraine en particulier tend à amplifier l’impuissance face à la barbarie croissante,
Les travailleurs sont arrivés à la conclusion que « trop c’est trop » et que le seul moyen d’y mettre fin est de se mobiliser sur leur terrain de classe pour défendre leurs conditions de vie et de travail. En fait, l’expansion de cette vague ne peut être comprise que comme la modification de l’état d’esprit dans les masses, comme le résultat d’un long processus de maturation souterraine au sein de la classe, de désillusion et de désengagement vis-à-vis des principaux thèmes de l’idéologie bourgeoise.
Plus particulièrement, il est particulièrement significatif que la classe ouvrière britannique se soit trouvé à l’avant-garde de cette rupture :
– alors que la défaite de la grève des mineurs, en 1984-85, lui avait porté un coup sévère et avait pesé sur sa combativité et fortement sur sa conscience ces dernières décennies,
– alors que la campagne populiste intensive du Brexit, avait créé de profondes divisions dans ses rangs entre « remainers » et « leavers » (pro et anti UE),
le prolétariat d’Angleterre, sous la pression de l’impact généralisé de la crise économique et des lourdes atteintes à ses conditions de vie, a relevé la tête et s’est résolument engagé dans le combat.
À l’instar de Mai 68 (mais dans un contexte différent), l’actuel mouvement international indique une tendance à amorcer une réflexion en profondeur et à retrouver progressivement les repères qui mènent, à terme, au retour de son identité de classe. Il exprime une rupture avec une longue période de reflux, caractérisée par la désorientation, par une réduction de la conscience dans la classe et par des luttes ouvrières bien souvent complètement isolées les unes des autres. Malgré leurs faiblesses, la simultanéité même des luttes actuelles (dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest, mais aussi en Corée ou aux États-Unis) souligne une fois de plus la réalité que, pour qu’une lutte soit couronnée de succès, elle doit se développer en un mouvement commun et uni dans toute la classe. La vague actuelle montre non seulement un développement de la combativité mais aussi un retour de la confiance des ouvriers dans leur propre force en tant que classe et une réflexion en profondeur (même si nous ne sommes qu’au tout début de ce processus difficile).
À travers les exemples de l’histoire du mouvement ouvrier, nous avons voulu montrer :
– l’importance pour les révolutionnaires d’analyser avec précision le contexte de la lutte ouvrière pour pouvoir estimer le niveau de la conscience dans la classe ouvrière.
– qu’un regard superficiel sur les grèves peut être trompeur et conduire à une appréciation erronée et aboutit finalement à une mauvaise orientation de l’intervention des organisations révolutionnaires.
Comme l’écrivait Lénine : « “Notre doctrine n’est pas un dogme, mais un guide pour l’action”, ont toujours dit Marx et Engels, se moquant à juste titre de la méthode qui consiste à apprendre par cœur et à répéter telles quelles des “formules” capables tout au plus d’indiquer les objectifs généraux, nécessairement modifiés par la situation économique et politique concrète à chaque phase particulière de l’histoire ».
Dennis, 24 février 2023
1) « Comment le prolétariat peut-il renverser le capitalisme ? », Revue internationale n° 168 (2022).
Après dix mois de grèves dans de nombreux secteurs, la classe dirigeante, à la fois sur le continent européen et outre-Manche, ne peut plus cacher le fait que la classe ouvrière en Grande-Bretagne a relevé la tête. Les médias bourgeois, d’abord réticents dans leurs reportages, doivent maintenant admettre que les grèves ont battu tous les records : non seulement par le nombre de travailleurs et de secteurs concernés, mais aussi par leur développement en une véritable vague de grève. (1)
La Tendance communiste internationaliste (TCI), un groupe de la Gauche communiste, a pris position sur ces mouvements avec plusieurs articles et tracts. La TCI y défend globalement des positions de classe, insistant sur le fait que le capitalisme n’a aucun moyen de sortir de sa crise qui s’aggrave et qu’il est obligé d’intensifier ses attaques contre les ouvriers, que ces derniers doivent s’échapper de la prison syndicale s’ils veulent surmonter les divisions en prenant en main l’organisation de la lutte.
Mais il ne suffit pas de proposer des positionnements abstraits entrecoupés d’analyses aléatoires. Les organisations révolutionnaires ont la responsabilité d’évaluer avec précision les rapports de forces et le contexte dans lequel les luttes s’inscrivent afin de présenter des perspectives concrètes pour la dynamique du mouvement. À cet égard, l’analyse de la TCI de la signification de ces luttes est extrêmement contradictoire et révèle un cadre d’appréhension incohérent pour saisir le rapport de force entre les classes.
Les premières expressions de la lutte au Royaume-Uni ont d’abord suscité chez la TCI un certain enthousiasme : « les assauts frontaux contre les travailleurs provoquent les prémices d’une nouvelle résistance […] après des décennies de recul de la classe » et « dans la vague actuelle d’actions sauvages, nous voyons déjà la possibilité de dépasser à la fois le cadre syndical et le cadre juridique de l’État capitaliste ». (2)
Mais par la suite, l’enthousiasme de la TCI s’est nettement refroidi : « Nous sommes encore loin du niveau de militantisme des années 1970 », tandis qu’au début 2023, elle estimait que « le danger d’un “militantisme salarial” planait : des secteurs isolés de travailleurs s’épuisant par des grèves assez éreintantes pour se disputer des miettes ». (3)
La TCI renvoie ici à sa position sur les luttes des années 1970, « quand chaque secteur de la classe ouvrière, divisée par les syndicats, revendiquait des pourcentages toujours plus élevés pour une augmentation salariale. Cela non seulement n’a pas conduit à une remise en cause du système salarial mais l’a même renforcé ». (4) Mais surprise, dans l’un de ses articles les plus récents, la TCI s’emballe à nouveau : « Le premier février 2023 a été le plus grand jour de grève depuis plus d’une décennie. Et ce n’est que le début d’une vague de grèves ». (5)
Outre le fait que la bourgeoisie elle-même l’avait constaté bien avant la TCI, on aimerait comprendre le bilan global que la TCI tire des luttes au Royaume-Uni : indiquent-elles « le début d’une vague de grèves » ou s’agit-il seulement de « secteurs isolés de travailleurs s’épuisant dans des grèves assez éreintantes » ? Ce mouvement constitue-t-il « le début d’une nouvelle résistance […] après des décennies de recul de classe » ou a-t-il « même renforcé » le salariat ?
Depuis l’été 2022, l’expansion des luttes ouvrières en Grande-Bretagne a inspiré des mouvements similaires dans d’autres pays. En conséquence, une appréciation correcte de la vague actuelle au Royaume-Uni est impossible en la déconnectant de l’évolution de la lutte des classes au niveau international. Pourtant, la TCI considère les luttes presque exclusivement à travers des lunettes britanniques : les sept articles produits sur les grèves en Grande-Bretagne manquent de référence aux luttes qui se développent ailleurs : c’est comme si chaque secteur national de la classe ouvrière menait sa propre lutte dans son coin et que la lutte mondiale n’était qu’une somme de luttes nationales et non l’expression d’une seule et même dynamique.
Certes, la TCI communique sur des luttes qui se déroulent dans d’autres parties du monde capitaliste, mais elle ne perçoit pas l’importance du mouvement au Royaume-Uni en tant qu’expression d’une tendance internationale du prolétariat à rompre avec la période précédente de faible combativité et de manque de confiance en soi. Elle sait que les luttes au Royaume-Uni et en France se déroulent sur un terrain prolétarien, mais elle ne saisit pas, dans la pratique, la base commune partagée par ces deux fractions de la classe ouvrière.
La vision déformée qu’a la TCI de la dimension internationale de la lutte prolétarienne n’est pas nouvelle. Elle est clairement illustrée, par exemple, dans l’article sur la lutte des travailleurs des télécoms de 2015 en Espagne, dans lequel la TCI écrit qu’« il existe ici des possibilités concrètes d’extension internationale de la lutte car Telefonica opère dans cinq pays ». (6) Ce type d’extension sectorielle « internationale » de la lutte ne fait que renforcer le corporatisme de la classe ouvrière et tend à miner son unification internationale, alors que le besoin réel et immédiat des travailleurs en grève est justement d’entrer en contact direct avec les travailleurs impliqués dans la lutte « dans l’usine, l’hôpital, l’école, l’administration les plus proches ». (7)
Pour apprécier la signification d’un mouvement de classe particulier, il est indispensable de le situer dans un contexte plus historique et global. Ainsi, pour le CCI, les luttes actuelles sont importantes car elles marquent une rupture avec une période de recul qui remonte à la fin des années 1980 et à l’implosion du bloc « communiste », mais aussi parce qu’elles confirment que ce recul n’équivalait pas au type de défaite historique mondiale qu’a connue la classe ouvrière après l’écrasement de son premier assaut révolutionnaire, entre 1917 et 1923, période que la résurgence internationale des luttes en 1968 a close.
Mais, sur ces questions, la TCI confirme son incohérence. Il y a dix ans, elle affirmait carrément que nous vivions encore dans une période contre-révolutionnaire : « La fragmentation et la dispersion de la classe […] a réduit la capacité de la classe ouvrière à riposter et le refrain persistant qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme est une preuve de plus que la classe n’a toujours pas surmonté la lourde défaite des années 1920 ». (8) Cependant, en 2016-2017, elle soutient prudemment que « actuellement, la classe se remet lentement de décennies de recul et de restructuration ». (9) Mais la TCI a retiré très vite cette analyse pour affirmer que « nous nous battons toujours pour redresser le rapport de force que nous avons saisi comme celui d’un recul depuis 40 ans ». (10)
La preuve la plus évidente que la TCI n’arrive pas à appréhender globalement le contexte historique est le fait que sa sous-estimation de la signification des luttes actuelles va de pair avec la forte énergie qu’elle investit dans sa campagne en faveur des comités « No War But The Class War », qui repose sur l’illusion que la classe ouvrière serait déjà capable de mener une lutte directe contre la guerre, sans prendre conscience qu’une telle attente est en complète incohérence avec son idée que le prolétariat est toujours sous le poids d’une défaite historique.
Une incompréhension du processus de prise de conscience dans la classe
Si la TCI est assez cohérente dans sa dénonciation des divisions syndicales, elle a régulièrement tendance à tomber dans le piège des syndicats, lorsque ceux-ci usent d’un langage plus radical et brandissent même l’étendard des « comités de grève » qui correspondent, en réalité, à une adaptation des structures syndicales afin de maintenir leur contrôle sur les travailleurs. Pour la TCI, ces organes syndicaux sont un pas en avant, comme le montre l’exemple du « Bus Workers Combine » mis en place par le syndicat « Unite », « qui est une tentative de coordination de la lutte pour l’amélioration des salaires et des conditions dans les différents dépôts. Différents groupes de travailleurs unissant leurs luttes sont extrêmement importants et constituent notre meilleure chance de succès ». (11)
Cette attitude opportuniste envers le syndicalisme de base est liée à la confusion de la TCI sur le rapport entre lutte économique et lutte politique. La notion de « militantisme salarial » (voir citation ci-dessus dans l’article) exprime en fait une dévalorisation des luttes économiques, une sous-estimation de leur dimension implicitement politique.
Pour le CCI, la lutte sur le terrain économique est une dimension essentielle et incontournable, forgeant les armes de l’assaut révolutionnaire de demain. En d’autres termes, toute lutte prolétarienne « est à la fois pour des revendications immédiates et elle est révolutionnaire. Revendiquer, résister à l’exploitation capitaliste, est la base et le moteur de l’action révolutionnaire entreprise par la classe. […] Dans l’histoire du mouvement ouvrier, il n’y a pas une seule lutte révolutionnaire prolétarienne qui ne soit en même temps une lutte pour des revendications. Et comment pourrait-il en être autrement, puisqu’il s’agit de la lutte révolutionnaire d’une classe, d’un groupe d’hommes caractérisés par leur position économique et unis par leur situation matérielle commune ? ». (12)
Pour la TCI, au contraire, « la lutte économique surgit, produit ce qu’elle peut produire au niveau des revendications, puis décline sans laisser de trace politique. Sauf s’il y a une intervention du parti révolutionnaire ». (13) Les travailleurs ne sont pas capables de politiser leur lutte et cela ne peut se faire que par l’intervention du « parti », qui fonctionne ici comme le deus ex machina nécessaire pour surmonter l’opposition entre les deux dimensions de la lutte.
Bref, face aux mouvements en Grande-Bretagne mais aussi un peu partout en Europe, il est particulièrement préoccupant qu’une organisation qui prétend donner des orientations pour la lutte révolutionnaire du prolétariat soit incapable d’apprécier ces luttes dans leur période historique et d’appréhender leur dimension internationale. Mais pour la TCI, cette responsabilité ne semble pas s’imposer puisque « le parti » surgira, tel Superman, pour tout résoudre d’un coup de baguette magique !
D.&R., 12 avril 2023
1) Par exemple, « The UK is experiencing historic strikes », Washington Post (2 mars 2023).
2) « Wildcat Strikes in the UK : Getting Ready for a Hot Autumn », disponible sur le site web de la TCI (août 2022), ainsi que les références suivantes.
3) « Notes sur la vague de grèves au Royaume-Uni » (janvier 2023).
4) « Unions - Whose Side Are They On ? ».
5) « Unite the Strikes » (mars 2023).
6) « Spanish Telecom Workers on All-Out Strike » (juin 2015).
7) « Partout la même question : Comment développer la lutte ? Comment faire reculer les gouvernements ? », Tract international du CCI (mars 2023).
8) « ICC theses on decomposition » sur le forum de la TCI (septembre 2011).
9) « A Crisis of the Entire System ».
10) « The Party, Fractions and Periodisation » sur le forum de la TCI (février 2019).
11) « Two Comments on Recent Bus Strikes in the UK » (mars 2023).
12) « Pourquoi le prolétariat est la classe révolutionnaire : Notes critiques sur l’article “Leçons de la lutte des ouvriers anglais” (Révolution internationale n° 9) », Revue Internationale n° 170 (2023)
13) « The Question of Consciousness : A Basis for Discussion », traduction de Bilan & Perspectives n° 6 (décembre 2005).
Depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites en France, l’attitude des syndicats est qualifiée d’exemplaire part de larges parties de l’appareil politique et des journalistes. Le plus ancien député de l’Assemblée nationale, Charles de Courson, a même rendu hommage aux syndicats pour être parvenus à « tenir le mouvement ». Alors, pourquoi de si grands éloges de la part de la classe des exploiteurs ?
En se montrant tous unis au sein de l’intersyndicale, inflexibles vis-à-vis de l’âge de départ à 64 ans, les syndicats se présentent, aux yeux d’une grande partie des travailleurs, comme leurs véritables représentants et comme une force indispensable pour faire reculer le gouvernement. Bien sûr, au vu de la colère, de la massivité et de la combativité s’exprimant depuis près de trois mois, ils ne peuvent que continuer à occuper le terrain en appelant toutes les semaines à des journées de mobilisation.
Dans le même temps, ils n’ont de cesse de déplorer l’ignorance du gouvernement à leur égard, eux, les « partenaires sociaux » de l’État qui restent des garants de la « cohésion sociale » (donc de l’ordre capitaliste), comme le soulignait le secrétaire du syndicat UNSA, dernièrement. Depuis des semaines, les syndicats n’ont de cesse de tendre des perches à Macron et son gouvernement pour tenter de calmer la colère et trouver une issue à cette « crise démocratique » (Laurent Berger, secrétaire de la CFDT).
D’ailleurs, comme ils le disent tous, les choses n’en seraient pas arrivées là si un « vrai dialogue » et de « vraies négociations » avaient eu lieu et si « un vrai compromis » avait été trouvé. Comme on pouvait s’en douter, la décision du Conseil constitutionnel, survenue le 14 avril, consistant à valider pour l’essentiel la réforme, n’offre absolument pas de porte de sortie au gouvernement. Cela va toutefois permettre aux partis d’opposition et aux syndicats de continuer à crier au « déni de démocratie » ou encore à appeler, comme LFI, à la formation d’une « nouvelle République ».
De même, les syndicats et les partis de gauche ont sorti dernièrement une autre mystification de leur chapeau : le référendum d’initiative partagée. Cette nouvelle supercherie de la « démocratie directe », consistant à faire croire qu’il serait possible de gagner par l’alliance des « représentants du peuple » et des « citoyens », ne visent ni plus ni moins, qu’à vouloir détourner les travailleurs du terrain de la lutte pour les rabattre sur celui des Institutions républicaines !
C’est donc cette habileté à « tenir le mouvement », à éviter qu’il leur échappe, à essayer de l’enfermer dans le piège de la « démocratie » que saluent ouvertement les fractions de la bourgeoisie soucieuses qu’une issue soit rapidement trouvée.
Si ce coup-ci, les syndicats ne semblent pas en mesure de saper le mouvement par leurs tactiques classiques (telles que l’épuisement des secteurs les plus combatifs ou la division à travers la rupture du front syndical), ils parviennent par d’autres moyens à jouer leur rôle de saboteurs des luttes et de défenseur de la démocratie bourgeoise.
Vincent, 14 avril 2023
Nous avons eu la surprise de voir mentionné notre organisation, au détour d’une phrase, dans la chronique de Gavin Mortimer, publiée le 22 janvier dans le journal britannique The Spectator. Il y a quelques années déjà, le Daily Mail, un tabloïd sensationnaliste, pas tout à fait réputé pour son honnêteté et sa hauteur de vue, avait finement cru déceler dans le CCI le cerveau d’un complot lycéen destiné à saccager un local du parti conservateur au Royaume-Uni. Il s’agissait, ô surprise, d’un grossier mensonge que nous avions dénoncé dans un article de 2010 : « Le “Daily Mail” démasque un complot du CCI [30] ».
Cette fois, rien de tel. Il ne s’agit que d’une brève mention, vaguement moqueuse, dans un très sérieux magazine conservateur. Pas de quoi crier au scandale. Mais, puisque Gavin Mortimer nous tend (involontairement) la perche, profitons de l’occasion pour remettre quelques pendules à l’heure.
Dans sa chronique, Gavin Mortimer présente les récentes manifestations contre la réforme des retraites comme l’expression d’un « art de vivre à la française », une sorte de curiosité nationale que notre tract, entre une poignée de « gilets jaunes » et un vendeur de merguez, serait censé illustrer.
Au risque de décevoir ce cher Gavin, notre tract n’a heureusement rien d’une particularité folklorique pour touriste en mal de sensation forte : le CCI distribue des tracts dans tous les pays où ses militants sont présents, en français, en philippin, en espagnol, en hindi, en italien, en allemand et même… en anglais !
Nous lui conseillons d’ailleurs la lecture de notre tract international sur les luttes au Royaume-Uni : « La bourgeoisie impose de nouveaux sacrifices, la classe ouvrière répond par la lutte [31] », publié en août 2022, et qui a rencontré un succès indéniable sur les piquets de grève de sa « mère patrie ». Neuf mois consécutifs de grèves et des millions d’ouvriers en lutte sur les deux rives de la Manche ont largement confirmé ce que nous y défendions : « Il est impossible de prévoir où et quand la combativité ouvrière va de nouveau se manifester massivement dans l’avenir proche, mais une chose est certaine, l’ampleur de la mobilisation ouvrière actuelle au Royaume-Uni constitue un fait historique majeur : c’en est fini de la passivité, de la soumission. Les nouvelles générations ouvrières relèvent la tête ».
Partout dans le monde, et pas seulement en France, les exploités reprennent, en effet, le chemin de la lutte face à la dégradation inexorable de leurs conditions de travail et d’existence, face à la misère, à la précarité, à l’accroissement du coût de la vie.
Comme le souligne, Gavin Mortimer, à sa manière et avec ses préjugés, dans les manifestations, « il y avait des ouvriers et des cadres, des jeunes comme des vieux, et cette colère couve depuis des années. Le rejet du report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans est certes une cause qui fédère une bonne partie des Français mais leur ras-le-bol est bien plus profond ». En effet, les manifestations en France expriment bien plus qu’un simple rejet de la réforme des retraites. Même si les prolétaires n’en ont pas encore conscience, les luttes en France et au Royaume-Uni sont une réaction à la spirale de chaos et de misère dans laquelle le capitalisme enfonce l’humanité.
Nous ne trouvons d’ailleurs rien de méprisable à voir des « jeunes » se mêler aux « boomers grisonnant ». Car dans ces luttes s’expriment aussi, un début de solidarité entre les différents secteurs de notre classe, entre les « cols bleus » et les « cols blancs », comme entre les générations. C’est parce que « des ouvriers et des cadres, des jeunes comme des vieux » partagent, dans tous les secteurs et dans tous les pays, les mêmes conditions d’exploitation que le combat du prolétariat est fondamentalement international.
C’est pourquoi les révolutionnaires s’efforcent de montrer que chaque lutte doit encourager les autres par-delà les frontières, en dépit du silence de la presse bourgeoise et de la déformation systématique de ce qu’elles représentent. Pour lutter contre ces mensonges, nos tracts, tout comme notre presse, n’ont cessé de montrer le lien qui unit le « Enough is enough ! » des grévistes au Royaume-Uni au « Ça suffit ! » des manifestants en France. Nous avons donc « salué la récente mobilisation des travailleurs britanniques » car, cher Gavin, ces grèves massives sont un appel au combat pour les prolétaires de tous les pays !
EG, 2 février 2023
Du 25 février au 11 mars, l’armée française a mené un exercice militaire d’une ampleur inédite depuis vingt ans : 14 départements concernés, 12 000 militaires engagés, dont plusieurs centaines de parachutistes. Cet exercice baptisé Orion devait simuler une intervention dans un pays frontalier d’un État puissant. Toute ressemblance avec un conflit actuel ne serait évidemment que pure coïncidence ! « Bienvenue dans la guerre », nous dit le général commandant les opérations.
On ne saurait mieux dire : l’armée française « renoue avec les opérations de grande ampleur » et s’entraîne à « un conflit de haute intensité », avec opérations amphibies, aéroportées, aériennes, aéronavales et finalement terrestres.
Mais le but n’est pas uniquement de tester les capacités opérationnelles de ces braves soldats : cet exercice est également « une occasion unique pour la population d’aller à la rencontre de son armée, de découvrir ses matériels et de mieux comprendre son action. [...] Le soutien de la population, portée par une cohésion nationale affirmée et résiliente, est l’une des clés du succès d’une intervention d’ampleur pour protéger notre souveraineté ». C’est donc également une opération de relations publiques pour faire accepter à une population qui a perdu l’habitude de ces déploiements en kaki la possibilité d’un conflit impliquant directement le pays.
Depuis la fin de la Guerre froide, et pour des raisons très matérielles, les grandes nations militaires (à part les États-Unis) ont rogné sur les budgets militaires successifs, jusqu’à un niveau qui préoccupe maintenant tous les gouvernements. Trump avait été le premier à dire aux Européens qu’il fallait qu’ils prennent leur part et augmentent significativement leurs dépenses militaires face à des « menaces » diverses, notamment la Russie et la Chine. L’invasion de l’Ukraine a montré qu’effectivement « le recours à la force n’est désormais plus un tabou et la perspective d’un conflit majeur ne relève plus de la science-fiction ».
Mais après des décennies de coupes budgétaires et de réductions d’effectifs, l’armée française n’est pas en mesure de relever le gant : matériels vieillissants et en disponibilité insuffisante, effectifs et préparation en-dessous des besoins, production et stocks d’armes et de munitions très faibles demandaient une réponse claire de la part de l’État, et Macron a commencé à apporter cette réponse en promettant 413 milliards d’euros aux armées pour les sept ans qui viennent. C’est un tiers de plus que ce qui était initialement prévu. Entre le beurre et les canons, la bourgeoisie effectue toujours les mêmes choix ! Le but est clair : « Nous devons avoir une guerre d’avance » (Macron).
L’irruption de la guerre sur un champ de bataille européen n’est pas une première depuis la fin de la guerre froide (la dislocation de l’ex-Yougoslavie en 1992 avait déjà entraîné un grave conflit sur le continent), mais le niveau de ce conflit et les buts de guerre des belligérants marquent une claire escalade militaire. Les gouvernements des grandes puissances ne s’y sont pas trompés : après les rodomontades militaires de la Chine et l’appel américain à ne pas les sous-estimer, le champ de bataille ukrainien a montré l’impréparation militaire de tous ces pays dans une situation impérialiste profondément belliciste. La période de décomposition que connaît aujourd’hui le capitalisme n’a jamais arrêté l’escalade des oppositions entre États, et les soubresauts économiques de plus en plus marqués depuis la crise du Covid ne pouvaient que laisser augurer d’un retour à l’intensification du militarisme sur le devant de la scène. Les conséquences de la crise économique devenant de plus en plus aiguës, chaque État doit défendre ses intérêts propres, y compris contre ses « alliés » qui sont aussi de féroces concurrents, ce qui attise le chacun-pour-soi et la fragmentation des liens politiques internationaux.
En témoigne le fait que, suite à la « trahison » australienne de l’épisode Aukus, la France a compris qu’elle devait consacrer plus de moyens à défendre ses positions propres sans tenir compte de ses « alliés », par exemple dans la région indo-pacifique et en Afrique : « La future [Loi de Programmation Militaire, ndr] intègre en ce sens le fait que la France puisse avoir à défendre seule ses intérêts à la tête d’une coalition hors de l’Alliance atlantique si les États-Unis regardent ailleurs ». La bourgeoisie française a parfaitement tiré les conclusions de la crise ukrainienne : il lui faut renouveler, moderniser, développer son armée.
Chaque État ne voyant donc que dans le réarmement comme porte de sortie, et ce réarmement devant se faire aux frais du prolétariat, la bourgeoisie doit attaquer les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière. En même temps, ces dépenses d’armement totalement improductives mais de plus en plus monstrueuses attisent toujours plus la crise économique et en particulier l’inflation. C’est donc sur le dos de la classe ouvrière, à travers toujours plus d’attaques contre ses conditions de travail et d’existence que chaque État va continuer à renforcer son arsenal militaire.
Cette spirale infernale ne peut que renforcer un véritable tourbillon de contradictions économiques, politiques et sociales. On comprend mieux pourquoi « le soutien de la population [...] est l’une des clés du succès ». La guerre dans le capitalisme n’est pas une option particulière choisie par des dictateurs plus ou moins paranoïaques : elle est une nécessité du système. Comme le disait Jaurès : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ».
La bourgeoisie française ne peut pas, de but en blanc, annoncer qu’elle prépare une guerre prochaine, ni montrer à quel point cela va être coûteux. L’expédition en Ukraine des armements promis, comme les canons Caesar ou les blindés AMX-10, avec tout ce qui les accompagne (munitions, pièces de rechange, formation des équipages…) ne fait déjà pas l’objet d’une grande publicité, et la bourgeoisie sait parfaitement que le prolétariat en France n’est absolument pas prêt à se sacrifier pour défendre le Capital national.
L’autre souci pour elle est que le coût colossal des équipements militaires pèsera évidemment sur les finances publiques, et par contrecoup sur la bourse des prolétaires. D’ores et déjà, l’augmentation significative du budget de la Défense pour l’année 2023 constitue un poids qui pèsera sur les investissements dans les infrastructures, que ce soit l’Éducation, la Santé ou les services publics. Et ce n’est qu’un début ! La bourgeoisie se prépare à un « conflit de haute intensité » et mettre les moyens pour y embrigader les prolétaires.
C’est de cette façon qu’on peut interpréter la réforme, pour le moment avortée, du Service National Universel (SNU) et de la réserve nationale.La bourgeoisie française aimerait renforcer les « forces morales » et la « résilience » de la société, en ayant en vue le « modèle » que constitue la « résistance ukrainienne ». L’État aimerait doubler la réserve nationale, déjà composée de 40 000 personnes, mais considérée pour l’instant comme « un système qui pompe de l’argent et qui n’est pas très sérieux ».
Du point de vue de l’État, le premier problème avec ces réservistes est qu’ils ne sont pour l’instant pas aptes à soutenir les militaires professionnels en opérations. Et l’autre gros problème est que, pour modifier la doctrine d’emploi de ces réservistes, il faudrait en changer totalement le recrutement et les équiper. Ce qui est coûteux. Mais tout un travail a déjà été mis en place pour rendre plus attractive l’appartenance à cette réserve nationale, notamment auprès des entreprises.
En même temps, la bourgeoisie française tente de promouvoir une réforme du SNU qui lui permettrait d’encadrer et d’exercer plus de poids idéologique sur les jeunes. En 2022, seulement 32 000 jeunes de 15 à 17 ans sur les 800 000 potentiellement concernés se sont engagés dans cette formation idéologique qui comprend port de l’uniforme, lever des couleurs, initiation à l’autodéfense, à « l’engagement civique », aux « questions de mémoire », etc. Il était donc question de rendre ces douze jours de formatage obligatoires pour tous les jeunes, ce qui évidemment pose quelques soucis budgétaires, mais démontre la volonté de l’État capitaliste de s’adresser de façon plus pressante aux jeunes pour leur inculquer quelques principes de civisme et d’éducation à la défense du Capital national…
Pour le prolétariat, tous ces bruits de bottes sont une menace très concrète. La bourgeoisie, pour qui l’intérêt national a toujours été le cœur de ce qu’elle défend, pousse constamment le prolétariat à se sacrifier sur l’autel du Capital national, à défendre la nation et tout ce qu’elle représente : l’État capitaliste, l’exploitation, la répression des mécontents, la division de la société en classes, les privilèges de la classe bourgeoise… Dans la situation actuelle, où chaque nation est de plus en plus amenée à défendre impitoyablement ses intérêts, il est central pour chaque bourgeoisie que « son » prolétariat accepte de les défendre aussi, et par conséquent abdique toute velléité de défendre ses intérêts propres : l’internationalisme, le combat pour une société sans classes, sans exploitation, contre toutes les divisions que le capitalisme génère dans la société. Toute la propagande en faveur de la « défense nationale » n’est qu’une tentative de la bourgeoisie de faire accepter par le prolétariat l’« union sacrée », la guerre, le militarisme, l’inéluctabilité des carnages guerriers que l’on voit se multiplier partout sur terre. La seule alternative à cette politique militariste barbare et à la propagande infâme qui l’accompagne, c’est de refuser, absolument, les sacrifices qu’elle implique, en luttant sur notre terrain de défense de nos intérêts économiques, en opposant à la politique du chacun-pour-soi la solidarité prolétarienne, l’unité de nos luttes contre la bourgeoisie et son État. Les luttes actuelles dans de très nombreux pays (en France, au Royaume-Uni et en Allemagne notamment), les grèves, les manifestations massives sont justement la meilleure des réponses que le prolétariat peut apporter. Elles sont le signe que les exploités ne sont pas prêts à accepter ces fameux sacrifices que chaque État veut lui imposer à tout prix.
HG, 5 avril 2023
Plus d’un an déjà d’un carnage effroyable, des centaines de milliers de soldats massacrés des deux côtés, plus d’un an de bombardements et d’exécutions aveugles, assassinant des dizaines de milliers de civils, plus d’un an de destructions systématiques transformant le pays en un gigantesque champ de ruines, tandis que les populations déplacées se chiffrent en millions, plus d’un an de budgets énormes engloutis des deux côtés à pure perte dans cette boucherie (la Russie engage aujourd’hui environ 5 % du budget de l’État dans la guerre, tandis que l’hypothétique reconstruction de l’Ukraine en ruine demanderait plus de 400 milliards de dollars). Et cette tragédie est loin d’être terminée.
Sur le plan des confrontations impérialistes, le déclenchement de la guerre en Ukraine a également constitué un pas qualitatif important dans l’enfoncement de la société capitaliste dans la guerre et le militarisme. Certes, depuis 1989, diverses entreprises guerrières ont secoué la planète (les guerres au Koweït, en Irak, en Afghanistan, en Syrie…), mais celles-ci n’avaient jamais impliqué un affrontement entre puissances impérialistes majeures. Le conflit ukrainien est la première confrontation militaire de cette ampleur entre États qui se déroule aux portes de l’Europe depuis 1940-45, impliquant les deux pays les plus vastes d’Europe, dont l’un est doté d’armes nucléaires ou d’autres armes de destruction massive et l’autre est soutenu financièrement et militairement par l’OTAN, et qui peut déboucher sur une catastrophe pour l’humanité.
Si de manière immédiate, la Russie a envahi l’Ukraine, une leçon majeure de cette année de guerre est incontestablement que, derrière les protagonistes sur le champ de bataille, l’impérialisme américain est à l’offensive.
Face au déclin de leur hégémonie, Les États-Unis mènent depuis les années 1990 une politique agressive visant à défendre leurs intérêts, en particulier envers l’ancien leader de l’ex-bloc concurrent, la Russie. Malgré l’engagement pris après la désagrégation de l’URSS de ne pas élargir l’OTAN, les Américains ont intégré dans cette alliance tous les pays de l’ex-Pacte de Varsovie. En 2014, la « révolution orange » avait remplacé le régime pro-russe en Ukraine par un gouvernement pro-occidental et une révolte populaire menaçait quelques années plus tard le régime pro-russe en Biélorussie. Confronté à cette stratégie d’encerclement, le régime de Poutine a réagi en employant sa force militaire, le reliquat de son passé de tête de bloc. Après la prise de contrôle de la Crimée et du Donbass en 2014 par Poutine, les États-Unis ont commencé à armer l’Ukraine et à entraîner son armée à l’utilisation des armes plus sophistiquées. Lorsque la Russie a déployé son armée aux frontières de l’Ukraine, ils ont resserré le piège en affirmant que Poutine allait envahir l’Ukraine tout en assurant qu’eux-mêmes n’interviendraient pas sur le terrain. Au moyen de cette stratégie d’encerclement et d’étouffement de la Russie, les États-Unis ont réussi un coup de maître qui vise un objectif bien plus ambitieux qu’un simple coup d’arrêt signifié aux ambitions russes :
– dès à présent, la guerre en Ukraine débouche sur un net affaiblissement de la puissance militaire subsistante de Moscou et à un rabaissement de ses ambitions impérialistes. Elle démontre aussi la supériorité absolue de la technologie militaire américaine, à la base du « miracle » de la « petite Ukraine » qui fait reculer « l’ours russe » ;
– le conflit leur a aussi permis de resserrer les boulons au sein de l’OTAN, les pays européens étant contraints de se ranger derrière la position américaine, surtout la France et l’Allemagne qui développaient leur propre politique envers la Russie, et ignoraient l’OTAN que le président français Macron considérait il y a deux ans encore en « état de mort cérébrale » ;
– l’objectif prioritaire des Américains à travers la leçon administrée à la Russie était incontestablement un avertissement non équivoque adressé à leur challenger principal, la Chine. Depuis une dizaine d’années, les États-Unis orientent la défense de leur leadership contre la montée en puissance du challenger chinois : d’abord à travers une guerre commerciale ouverte lors de la présidence de Trump, mais l’administration Biden a actuellement accentué la pression sur le plan militaire (les tensions autour de Taïwan). Ainsi, le conflit en Ukraine a affaibli le seul allié militaire important de la Chine et met en difficulté le projet de la nouvelle route de la soie, dont un axe passait par l’Ukraine.
Si une polarisation des tensions impérialistes a progressivement émergé entre les États-Unis et la Chine, celle-ci est cependant le produit d’une politique systématique menée par la puissance impérialiste dominante, les États-Unis, pour tenter d’enrayer le déclin irréversible de son leadership. Après la guerre de Bush senior contre l’Irak, la polarisation de Bush junior contre « l’axe du mal » (Irak, Iran, Corée du Nord), l’offensive américaine vise aujourd’hui à empêcher toute émergence de challengers. Trente années d’une telle politique n’ont nullement amené plus de discipline et d’ordre dans les rapports impérialistes mais ont au contraire exacerbé le chacun pour soi, le chaos et la barbarie. Les États-Unis sont aujourd’hui un vecteur majeur de l’expansion terrifiante des confrontations guerrières.
Contrairement aux constats journalistiques superficiels, le développement des événements montre que le conflit en Ukraine n’a nullement abouti à une « rationalisation » des contradictions. Outre les impérialismes majeurs, qui subissent la pression de l’offensive américaine, l’explosion d’une multiplicité d’ambitions et de rivalités accentue le caractère chaotique et irrationnel des rapports impérialistes.
L’accentuation de la pression américaine sur les autres impérialismes majeurs ne peut que les pousser à réagir :
– Pour l’impérialisme russe, c’est une question de survie car il est d’ores et déjà évident que, quelle que soit l’issue du conflit, la Russie sortira nettement diminuée de l’aventure qui a exposé ses limites militaires et économiques. Elle est exsangue sur le plan militaire, ayant perdu deux cent mille soldats, en particulier parmi ses unités d’élite les plus expérimentées, une grande quantité de chars, d’avions, d’hélicoptères modernes. Elle est fortement affaiblie du point de vue économique à cause des coûts énormes de la guerre ainsi que par l’effondrement de l’économie causé par les sanctions occidentales. Si la fraction Poutine tente par tous les moyens de garder le pouvoir, des tensions surgissent au sein de la bourgeoisie russe, surtout avec les fractions les plus nationalistes ou certains « seigneurs de guerre » (Prigojine). Ces conditions militaires défavorables et politiques instables pourraient même amener la Russie à recourir à des armes nucléaires tactiques.
– Les bourgeoisies européennes, surtout la France et l’Allemagne, avaient instamment tenté de convaincre Poutine de ne pas déclencher la guerre et étaient même prêtes, comme l’ont révélé les indiscrétions de Boris Johnson, à entériner une attaque limitée en ampleur et en temps visant à remplacer le régime en place à Kiev. Face à l’échec des forces russes et à la résistance inattendue des Ukrainiens, Macron et Scholz ont dû rejoindre tout penauds la position de l’OTAN, dictée par les États-Unis. Cependant, il n’est pas question de se soumettre à la politique américaine et d’abandonner leurs intérêts impérialistes propres, comme l’illustrent les récents voyages de Scholz et Macron à Pékin. De plus, ces deux pays ont fortement augmenté leur budget militaire en vue d’un réarmement massif de leurs forces armées (un doublement pour l’Allemagne, soit 107 milliards d’euros). Ces initiatives ont d’ailleurs fait surgir des tensions dans le couple franco-allemand, en particulier à propos du développement de programmes d’armement communs et sur la politique économique de l’UE.
– La Chine s’est positionnée avec une grande prudence par rapport au conflit Ukrainien, face aux difficultés de son « allié » russe et aux menaces à peine voilées des États-Unis à son égard. Pour la bourgeoisie chinoise, la leçon est amère : la guerre en Ukraine a démontré que toute ambition impérialiste mondiale est illusoire en l’absence d’une puissance militaire et économique capable de concurrencer la superpuissance américaine. Or aujourd’hui, la Chine, qui n’a pas encore des forces armées à la hauteur et son expansion économique, est vulnérable face aux pressions américaines et au chaos guerrier ambiant. Certes, la bourgeoisie chinoise ne renonce pas à ses ambitions impérialistes, en particulier à la reconquête de Taïwan, mais elle ne peut progresser que dans la durée, en évitant de céder aux nombreuses provocations américaines (ballons « espions », interdiction de l’application TikTok…) et en menant une large offensive de charme diplomatique visant à éviter tout isolement international : réception à Pékin d’un grand nombre de chefs d’État, rapprochement irano-saoudien parrainé par la Chine, proposition d’un plan pour arrêter les combats en Ukraine…
D’autre part, le chacun pour soi impérialiste provoque une explosion du nombre de zones de conflits potentiels. En Europe, la pression sur l’Allemagne mène à des dissensions avec la France et l’UE a réagi de manière ulcérée au protectionnisme de la « Inflation Reduction Act » de Biden, vue comme une vraie déclaration de guerre envers les exportations européennes vers les États-Unis. En Asie centrale, le recul de la puissance russe va de pair avec une rapide expansion de l’influence d’autres puissances, telles la Chine, la Turquie, l’Iran ou les États-Unis dans les républiques de l’ex-URSS. En Extrême-Orient, les risques de conflits persistent entre la Chine d’une part et l’Inde (avec des accrochages réguliers aux frontières) ou le Japon (qui réarme massivement), sans oublier les tensions entre l’Inde et le Pakistan et celles récurrentes entre les deux Corées. Au Moyen-Orient, l’affaiblissement de la Russie, la déstabilisation interne de protagonistes importants comme l’Iran (révoltes populaires, luttes entre fractions et pressions impérialistes) ou la Turquie (situation économique désastreuse) auront un impact majeur sur les rapports impérialistes. En Afrique enfin, tandis que la crise énergétique et alimentaire et des tensions guerrières sévissent dans différentes régions (Éthiopie, Soudan Libye, Sahara Occidental), la concurrence agressive entre vautours impérialistes stimule la déstabilisation et le chaos.
Un an de guerre en Ukraine a souligné avant tout que la décomposition accentue un des aspects les plus pernicieux de la guerre en décadence : son irrationalité. Les effets du militarisme deviennent, en effet, toujours plus imprédictibles et désastreux quelles que soient les ambitions initiales :
– les États-Unis ont mené les deux guerres du Golfe, comme la guerre en Afghanistan, pour maintenir leur leadership sur la planète, mais dans tous les cas, le résultat est une explosion du chaos et d’instabilité, ainsi que des flots de réfugiés ;
– quels qu’aient pu être les objectifs des nombreux vautours impérialistes (russes, turcs, iraniens, israéliens, américains ou européens) qui sont intervenus dans les horribles guerres civiles syrienne ou libyenne, ils ont hérité d’un pays en ruine, morcelé et divisé en clans, avec des millions de réfugiés vers les pays voisins ou fuyant vers les pays industrialisés.
La guerre en Ukraine en est une confirmation exemplaire : quels que soient les objectifs géostratégiques des impérialismes russes ou américains, le résultat est un pays en ruine (l’Ukraine), un pays ruiné économiquement et militairement (la Russie), une situation impérialiste encore plus tendue et chaotique dans le monde et encore des millions de réfugiés.
L’accentuation du militarisme et de l’irrationalité de la guerre implique une expansion terrifiante de la barbarie guerrière sur l’ensemble de la planète. Dans ce contexte, des alliances conjoncturelles peuvent se constituer autour d’objectifs particuliers. Ainsi, la Turquie, membre de l’OTAN, adopte une politique de neutralité envers la Russie en Ukraine en espérant en profiter pour s’allier avec elle en Syrie contre les milices kurdes appuyées par les États-Unis.
Cependant, et contrairement à la propagande bourgeoise, le conflit ukrainien ne mène pas à un regroupement d’impérialismes en blocs et donc n’ouvre pas la dynamique vers une nouvelle guerre mondiale, mais plutôt vers une terrifiante expansion d’un chaos sanglant : des puissances impérialistes importantes comme l’Inde, l’Afrique du Sud, le Brésil et même l’Arabie Saoudite gardent clairement leur autonomie par rapport aux protagonistes, le lien entre la Chine et la Russie ne s’est pas resserré, bien au contraire, et si les États-Unis utilisent la guerre pour imposer leurs vues au sein de l’OTAN, des pays membres comme la Turquie ou la Hongrie font ouvertement cavalier seul tandis que l’Allemagne et la France essaient par tous les moyens de développer leur propre politique. En outre, le chef d’un bloc potentiel doit être capable de générer la confiance des pays adhérents et de garantir la sécurité de ses alliés. Or, la Chine s’est montrée fort frileuse dans son soutien envers son allié russe qu’elle tend plutôt à phagocyter. Quant aux États-Unis, après l’« America first » de Trump, qui avait refroidi les « alliés », Biden mène fondamentalement la même politique : il leur fait payer un prix énergétique fort pour le boycott de l’économie russe, alors que les États-Unis sont autosuffisants sur ce plan et les lois « anti-chinoises » toucheront de plein fouet les importations européennes. C’est d’ailleurs précisément ce manque de garanties concernant sa sécurité qui a amené l’Arabie Saoudite à conclure un accord avec la Chine et l’Iran.
Ce qui rend la situation d’autant plus délicate c’est que la « crise ukrainienne » n’apparaît pas comme un phénomène isolé mais comme une des manifestations de cette « polycrise », (1) l’accumulation et l’interaction des crises sanitaire, économique, écologique, alimentaire, guerrière, qui caractérise les années 20 du XXIe siècle. Et la guerre en Ukraine constitue dans ce contexte un véritable multiplicateur et intensificateur de barbarie et de chaos au niveau mondial : « À propos de cette agrégation de phénomènes destructeurs et de son “effet tourbillon”, il faut souligner le rôle moteur de la guerre en tant qu’action voulue et planifiée par les États capitalistes ». (2) De fait, la guerre en Ukraine a accentué la hausse de l’inflation et la récession dans différentes régions du monde, provoqué une crise alimentaire et énergétique, causé un recul des politiques climatiques (remise en activité des centrales nucléaires et même au charbon) et entraîné un nouvel afflux de réfugiés. Et ceci sans mentionner un risque toujours présent de bombardement de centrales nucléaires, comme on le voit encore autour du site de Zaporijjia, ou d’utilisation d’armes chimiques, bactériologiques ou nucléaires.
Bref, un an de guerre en Ukraine met en évidence combien elle a intensifié « le grand réarmement du monde », symbolisé par le réarmement massif des deux grands vaincus de la Deuxième Guerre mondiale, le Japon qui engage 320 milliards de dollars dans son armée en 5 ans, le plus gros effort d’armement depuis 1945, et surtout l’Allemagne qui augmente également son budget de défense. Ainsi, le conflit ukrainien illustre clairement la faillite de ce système (étant à l’évidence un produit volontaire de la classe dominante). Cependant, l’impuissance et l’horreur que la guerre suscite ne favorisent pas aujourd’hui le développement d’une opposition prolétarienne au conflit. Par contre, l’aggravation sensible de la crise économique et des attaques contre les travailleurs qui en découlent directement, pousse ces derniers à se mobiliser sur leur terrain de classe pour défendre leurs conditions de vie. Dans cette dynamique de reprise des luttes, la barbarie guerrière constituera à terme une source de prise de conscience de la faillite du système, ce qui se limite aujourd’hui encore à de petites minorités de la classe.
R. Havanais, 25 mars 2023
1) Le terme est utilisé par la bourgeoisie elle-même dans le Global Risks Report 2023 présenté au Forum Économique Mondial en janvier 2023 à Davos.
2) « Années 20 du XXIe siècle : L’accélération de la décomposition pose ouvertement la question de la destruction de l’humanité », Revue internationale n° 169 (2022).
La période écoulée confirme la brutale accélération de la décomposition du mode de production capitaliste, à travers la multiplication des tragédies qui frappent le monde, particulièrement du fait de la guerre en Ukraine. Les destructions en cours, comme celle du barrage de Kakhovka, l’action du groupe Wagner en Russie, à mi-chemin entre rébellion et putsch avorté, alimentent une déstabilisation et un chaos accrus.
Désormais au bord de l’implosion, malgré le « retour au calme » à Rostov et à Moscou suite à des négociations ubuesques, le régime de Poutine se trouve fortement affaibli. D’autres seigneurs de guerre ne peuvent que venir, à terme, alimenter l’instabilité inquiétante de cette puissance nucléaire qu’est la Russie, semer le chaos au-delà des marges de l’Europe avec, à la clé, l’éclatement possible de la Fédération de Russie elle-même. Il s’agit là, après l’effondrement de l’URSS en 1991, d’une nouvelle phase dans le processus susceptible d’entraîner le prolétariat en Russie vers des affrontements meurtriers. Ce nouvel épisode désastreux met plus nettement en exergue les dangers croissants que fait peser sur le monde la dynamique mortifère du capitalisme en décomposition. Une dynamique destructrice qui ne cesse de s’amplifier.
La guerre en Ukraine nourrit d’autres événements dramatiques de dimension planétaire :
– Ce conflit accélère la paupérisation massive du prolétariat, y compris dans les pays les plus riches qui doivent financer la guerre et les armements. L’accès à la nourriture, au chauffage, à un logement décent deviennent de plus en plus difficiles pour une partie croissante de la classe ouvrière, particulièrement chez les plus précaires.
– La guerre est aussi un des facteurs aggravant considérablement la dégradation de l’environnement, directement par des destructions à grande échelle (barrage de Kakhovka, dépôts d’armements, usines, etc.), et indirectement par la réticence accrue des gouvernements impliqués dans cette guerre à adopter la moindre mesure contre le changement climatique mettant en péril leur économie exsangue, aiguillée par un besoin croissant d’armement.
Les destructions à grande échelle, les pertes en vies humaines sur les terrains de guerre, la terreur pour des populations livrées à elles-mêmes, que ce soit dans les zones de conflit ou de « paix », s’installent durablement. Fuyant les conflits armés et les régions devenues invivables, les réfugiés, dont le nombre atteint des records, sont transformés en spectres vivants qui viennent croupir dans de nombreux camps inhumains, en proie aux réseaux mafieux et à la brutalité des États.s. D’autres se heurtent aux murs de barbelés ou se noient par milliers dans les eaux du monde entier. Avec la bunkérisation accrue des frontières des États « démocratiques », les cadavres continuent de s’échouer ou de disparaître dans les abysses.
Alors que les pandémies menacent encore, que les États s’avèrent de moins en moins capables de faire face aux catastrophes qui ne cessent de se multiplier, les sécheresses inédites du printemps font désormais place à des incendies monstrueux, comme au Canada où Montréal s’est transformée en ville la plus polluée au monde. Dans d’autres parties du globe, des inondations catastrophiques ont frappé le Népal ou le Chili dernièrement. Les températures records exposent déjà les populations à des coups de chaleur meurtriers (comme en Asie ou en Amérique Latine). Avec les cyclones et les tempêtes qui s’accumulent au sud des États-Unis, la période estivale laisse présager les pires catastrophes.
Tous ces maux sont bien ceux d’une spirale liée au mode de production capitaliste en faillite, ceux d’une société putréfiée, où les producteurs sont acculés à la misère et de plus en plus exposés à la mort, mais où ils sont aussi en proie aux inquiétudes et surtout à une colère légitime.
Cette colère est d’autant plus profonde que la crise économique, amplifiée par l’inflation, est un puissant stimulant pour le développement de la lutte de classe. Comme en témoignent les attaques qui se poursuivent contre la classe ouvrière dans tous les pays, la crise économique prépare le terrain à de nouvelles ripostes du prolétariat. Le développement des luttes massives en Grande-Bretagne a initié un phénomène de « rupture », un changement profond d’état d’esprit et une nouvelle poussée de combativité au sein de la classe ouvrière mondiale. Cette dynamique s’est confirmée par les luttes un peu partout dans le monde et, surtout, par les grandes manifestations contre la réforme des retraites en France. Retrouver sa propre identité de classe dans la lutte, renouer avec ses méthodes de combat, tout cela n’est qu’un premier pas, certes fragile, mais fondamental pour le futur.
Alors que des grèves se poursuivent encore au Royaume-Uni, la fin des manifestations en France ne signifie nullement un abattement quelconque ni un sentiment de défaite. Au contraire, la colère toujours présente alimente aujourd’hui une réflexion dans des minorités ouvrières sur la façon de poursuivre ce combat.
S’il convient aujourd’hui de tirer les premières leçons, c’est pour préparer les nouvelles luttes à venir et faire face à tous les obstacles et difficultés qui s’y opposent, en particulier les risques de s’engager sur le terrain d’une violence stérile, comme celle de l’affrontement avec les forces de l’ordre dans laquelle s’est engagée une partie de la jeunesse précarisée lors des émeutes spectaculaires en France, et qui s’opposent radicalement aux méthodes de lutte du prolétariat. Un autre danger, c’est celui de faire disparaître le combat de la classe ouvrière sur le terrain de la bourgeoisie, celui de la « défense de la démocratie » contre le « fascisme » et les « dérives autoritaires » ou de l’obtention de « droits » illusoires pour telle ou telle minorité ou catégorie opprimées.
Face aux défis mondiaux gigantesques et face à la menace de plus en plus palpable de destruction de l’humanité, ce premier pas nécessaire de la classe ouvrière n’est cependant pas suffisant. Le prolétariat devra développer sa conscience bien au-delà de ce qu’il a pu produire lors des grandes grèves de Mai 68 en France et partout ailleurs dans le monde, bien au-delà de la grève de masse qu’il a été capable d’engager en Pologne en 1980.
Dans ce cadre, les organisations révolutionnaires jouent un rôle essentiel. Elles détiennent les armes politiques pour permettre de féconder la mémoire ouvrière, pour défendre la perspective révolutionnaire et un point de vue internationaliste dans les combats ouvriers face à la propagande nationaliste et à la politique réactionnaire de la bourgeoisie. En s’appuyant solidement sur les acquis de la Gauche communiste, les organisations ouvrières ont la responsabilité de faire vivre et de transmettre l’acquis théorique fondamental de la lutte prolétarienne : le marxisme.
Face aux confusions et aux doutes, face aux campagnes idéologiques de la bourgeoisie qui entravent le processus de prise de conscience de la classe ouvrière, ce combat hérité des traditions du mouvement ouvrier doit permettre de dégager des perspectives concrètes et de défendre de façon intransigeante les principes et méthodes de lutte de la classe ouvrière. À commencer par l’internationalisme prolétarien face à la guerre en Ukraine et à toute la propagande militariste.
Face aux campagnes idéologiques insidieuses sur le thème de la « défense de la démocratie », face à l’exploitation idéologique de l’indignation que suscitent les méthodes des Poutine et autre Prigojine (d’ailleurs similaires à celles des Zelensky et consorts), face à l’exploitation idéologique des récentes émeutes et des comportements ignobles de la police, la vigilance et le combat pour la conscience ouvrière doivent se frayer un chemin difficile. Mais il n’y a pas d’autre issue. Les futures luttes du prolétariat devront donc peu à peu se politiser pour assumer, de manière claire, unitaire et consciente, la perspective de la révolution mondiale : une révolution destinée à renverser le capitalisme et à établir une société sans classes ni guerres : le communisme.
WH, 8 juillet 2023
Les 23 et 24 juin, en pleine contre-offensive ukrainienne, l’une des armées les plus puissantes de la planète et son État ont été menacés par le groupe Wagner, une milice privée composée de mercenaires liés à l’entourage de Poutine lui-même. Toute une division militaire, commandée par Prigojine, s’est dirigée vers Moscou sans rencontrer d’obstacles… De telles situations, qui semblent absurdes, se répètent de plus en plus à mesure que la putréfaction du capitalisme s’accélère. La guerre en Ukraine est devenue, en elle-même, un facteur considérable d’accélération de la décomposition, semant l’instabilité et le chaos dans le monde.
Les États-Unis, qui ont monté un piège consistant à pousser la Russie à la guerre pour affaiblir avant tout la Chine, apparaissent comme des apprentis sorciers. Ils avaient unitialement estimé pouvoir maintenir un certain contrôle sur le conflit, il s’avère désormais qu’ils ne sont pas en mesure d’en contrôler les conséquences à plus long terme. Déjà, lors de la « guerre contre le terrorisme » qui a justifié les invasions de l’Afghanistan (2001) et de l’Irak (2003), par exemple, les États-Unis avaient également provoqué le chaos au Proche et au Moyen-Orient pour maintenir leur leadership mondial. S’ils ont réussi dans une certaine mesure à prendre le contrôle de ces régions et à obliger les puissances européennes à les suivre à contrecœur, ils ont favorisé la déstabilisation et un chaos encore plus grand et irréversible.
En Russie, la rébellion de Wagner, bien qu’elle se soit rapidement arrêtée, a exposé les faiblesses de l’État russe qui menacent de conduire à une fragmentation politique, affectant non seulement la bourgeoisie russe, mais conduisant également à une grande instabilité dans le monde. Des personnages du genre de Prigojine ne vont cesser d’apparaître sur la scène, prêts à disputer le contrôle du pouvoir tout comme, bien évidemment, celui des armes nucléaires.
L’implosion du bloc de l’Est en 1989 a confirmé que le capitalisme entrait dans sa phase de décomposition, caractérisée par un désordre mondial et une lutte de « tous contre tous ». L’effondrement de l’URSS qui s’en est suivi a été principalement causé par la pression de la double faillite économique et politique, découlant d’un enfoncement inéluctable du capitalisme dans la crise, accompagnée de flambées brutales de nationalismes séparatistes dans diverses parties du territoire. Après le coup d’État raté de 1991, ce processus s’est encore accentué, obligeant les puissances occidentales, surtout les États-Unis, à tenter de contenir le cataclysme qui s’abattait sur l’ex-URSS et menaçait de submerger ses frontières. Elles ont offert une aide alimentaire, des facilités de financement par emprunt, etc. Cette « aide » n’était pas faite par altruisme mais, comme toujours, sur la base de calculs impérialistes pour profiter de la nouvelle configuration géopolitique.
Aujourd’hui, une fois de plus, la Russie est au centre des convulsions, mais dans un contexte marqué par l’aggravation de la situation et par des circonstances beaucoup plus sérieuses encore et imprévisibles. L’enfoncement de plus de trente ans du capitalisme dans la décomposition a accentué la tendance au déclin de l’hégémonie des États-Unis, ce qui a exacerbé les ambitions impérialistes de tous les autres pays, ravivant en particulier en Russie la prétention à retrouver une place importante dans l’arène impérialiste.
Mais la prolongation de la guerre conduit la Russie à un affaiblissement de ses forces et à de nouvelles fractures dans l’unité de la bourgeoisie russe, menaçant d’atteindre des niveaux explosifs. Un an avant la mutinerie de Wagner, nous avions prévenu que « l’opération spéciale » en Ukraine risquait « de constituer une seconde déstabilisation profonde après la fragmentation découlant de l’implosion de son bloc (1989-92) : sur le plan militaire, elle perdra probablement son rang de deuxième armée mondiale ; son économie déjà affaiblie tombera encore plus en déliquescence […] les tensions internes entre factions de la bourgeoisie russe ne peuvent que s’intensifier […]. Des membres de la faction dirigeante (cf. Medvedev) avertissent déjà des conséquences : un possible effondrement de la Fédération de Russie et le surgissement de diverses mini Russies avec des dirigeants imprévisibles et des armes nucléaires ». (1)
Au début de la guerre, la bourgeoisie semblait unifiée autour de Poutine, mais à mesure que le conflit s’éternise, des rivalités et des querelles entre les différentes cliques apparaissent. En janvier 2023, certains indices annonçaient des tensions dans le commandement militaire, comme le limogeage de Sergueï Sourovikine qui commandait les troupes russes en Ukraine. Dans le contexte de la décomposition et du chacun pour soi, tout prétexte au déclenchement de rivalités devient rapidement explosif. En ce sens, la mutinerie menée par Prigojine, alors qu’elle pouvait apparaître initialement comme une simple fissure, s’est rapidement amplifiée, montrant la fragile unité au sein de la structure du pouvoir et l’impuissance de l’État à contenir les dynamiques chaotiques. Le professeur et analyste russe Vladimir Gelman, qui a observé le comportement des différents secteurs lors de la soi-disant « marche pour la justice » de Prigojine, note que, si le convoi militaire n’a reçu de soutien explicite d’aucune faction militaire ou civile, il en allait de même pour Poutine : « personne ne s’est manifesté pour le soutenir. Ni les maires ni les dirigeants régionaux n’ont manifesté […]. Ils n’ont fait aucune démarche politique ». Cette expectative pour voir d’où le vent allait souffler souligne la vigilance et la prudence dans lesquelles se trouvent les factions de la bourgeoisie, car la méfiance et les conflits d’intérêts se sont accentués. Si un personnage comme Loukachenko a proposé de négocier avec Prigojine, c’est pour empêcher que, vu la plus grande fragilité du régime en Russie, la guerre s’étende vers la Biélorussie par l’incursion du « bataillon Kalinowski », formé par des opposants au gouvernement Loukachenko et qui combattent aux côtés de l’Ukraine.
Les bourgeoisies des grandes puissances ont exprimé leurs craintes vis-à-vis d’une implosion de l’État russe. Lors de la crise entre le groupe Wagner et l’armée russe, « les responsables américains portaient une attention particulière à l’arsenal nucléaire russe, ils étaient inquiets de l’instabilité d’un pays ayant le pouvoir d’anéantir la majeure partie de la planète ». (2) La bourgeoisie est clairement préoccupée par les difficultés de l’État russe, révélées par la mutinerie de Prigojine, et ceci apparaît dans ses prises de position. Tous les portes-paroles de la bourgeoisie s’accordent à dire qu’ils constatent une grande division et une fragilité en son sein. Zelensky est le premier à affirmer que Poutine est en situation de faiblesse et que son gouvernement « s’effondre ». Antony Blinken, secrétaire d’État américain, tout en affirmant qu’ « il est trop tôt pour savoir comment cela va se terminer », estime que de « vraies fissures » apparaissent dans le régime de Poutine, qui désorientent et divisent la Russie, compliquant la « poursuite de l’agression contre l’Ukraine ». Même Trump, qui s’est présenté comme un « ami » de la Russie, affirme que « Poutine est quelque peu affaibli », et appelle le gouvernement américain à profiter de la situation pour négocier un cessez-le-feu. Seule la Chine évite de mettre en exergue les faiblesses du régime de Poutine et présente la mutinerie de Wagner comme une « affaire intérieure ». La légèreté avec laquelle elle qualifie les événements est plus qu’un acte diplomatique et cache, en réalité, une inquiétude sur les effets qu’aurait un affaiblissement de la Russie sur ses frontières. C’est d’autant plus vrai si se produisait un éclatement de la Fédération de Russie qui constitue, jusqu’à présent, le principal allié de la Chine. De son côté, Poutine assure qu’il maintiendra l’unité de la Fédération et son pouvoir, tout en tentant de fidéliser les différentes forces de répression en promettant plus d’armes et en augmentant les salaires. Mais cela suffira-t-il à éliminer les divisions dans la structure militaire et à rehausser le moral défaillant des troupes ?
Ce qui devient de plus en plus évident, c’est qu’à mesure que la guerre en Ukraine s’éternise, le chaos et la barbarie s’étendent et s’approfondissent, affectant directement la Russie. Mais comme c’est « l’État le plus grand du monde et l’un des plus armés, [sa déstabilisation] aurait des conséquences imprévisibles pour le monde entier ». (3)
Or, de possibles conséquences de la prolongation de la guerre pourraient être :
– une aggravation des fissures au sein de la bourgeoisie, menant à l’éclatement d’une guerre civile, transformant toute la population et particulièrement la classe ouvrière en chair à canon ;
– une action plus irréfléchie et irresponsable de la faction au pouvoir dirigée par Poutine qui, acculée, pourrait faire usage de l’arsenal nucléaire. Pour l’instant, Poutine a annoncé le déploiement d’armes nucléaires tactiques sur le territoire biélorusse à partir du 7 ou 8 juillet ;
– l’apparition de cliques irrationnelles qui se disputent le pouvoir et qui disposeraient d’un stock important d’armes nucléaires, prêtes à être brandies face aux adversaires pour mieux se positionner dans la nouvelle répartition du pouvoir. Les actions du groupe Wagner sont un exemple clair de ce risque. En outre, il existe des indices effrayants à cet égard, comme la menace de bombarder la centrale nucléaire de Zaporijjia dans le sud de l’Ukraine, la plus grande d’Europe et l’une des dix plus grandes au monde, plongeant l’humanité dans un danger très réel de catastrophe nucléaire. Mais la folie de la guerre n’est pas exclusive à cette partie de l’impérialisme russe. Les États-Unis viennent de fournir à l’Ukraine des bombes à fragmentation, qui se fractionnent en de nombreux projectiles explosifs, restant potentiellement actifs pendant des décennies.
Quelles que soient les initiatives prises, elles entraîneront des catastrophes pour le monde entier. Comme nous l’affirmions fin 2022, les années 2020 s’annoncent comme les plus mouvementées de l’histoire avec une accumulation de catastrophes et de souffrances pour l’humanité (pandémies, famines, catastrophes environnementales…), qui, hors de contrôle, pose la question, à terme, de sa propre survie. Dans ce contexte, la guerre en tant qu’action intentionnelle et planifiée de l’État capitaliste est, sans nul doute, le principal déclencheur de la barbarie et du chaos.
En ce qui concerne les répercussions internationales, bien que nous ne puissions pas spéculer, car la situation est hautement imprévisible, d’importants pays d’Europe de l’Est calculent comment tirer parti de la situation pour faire progresser leurs propres visées impérialistes : c’est le cas, par exemple, de la Pologne, qui, avec la guerre, a acquis une plus grande importance stratégique pour les États-Unis. Elle est parvenue à renforcer son armée avec la fourniture d’armes par l’OTAN, y compris avec des chars de technologie avancée, ce qui réactive ses vieux rêves impérialistes d’étendre son influence en Europe de l’Est.
Tous ces affrontements entre factions de la bourgeoisie sont aussi instrumentalisés par la bourgeoisie pour diffuser ses poisons idéologiques contre la classe ouvrière. Avec leurs mystifications, leurs manifestations martiales et leurs déclarations, toutes les cliques de la classe dirigeante cherchent à montrer leur force à l’adversaire, mais aussi à semer la peur et la confusion parmi les ouvriers. Chaque faction participant à la guerre essaie de se présenter comme une victime ou un défenseur de la liberté, afin de dominer et de contrôler l’esprit des exploités et de les utiliser comme de la véritable chair à canon sur les fronts de guerre ou de leur imposer la passivité face à l’augmentation de l’exploitation et de la dégradation des conditions de vie pour le bien de la « patrie ». Profitant de la guerre en Ukraine et de la mutinerie de Wagner, la bourgeoisie, notamment celle des pays occidentaux, renforce son discours sur la « démocratie » et sa lutte contre l’« autocratie ». À tout prix, elle essaie de cacher le fait que son système pourri, construit sur l’exploitation, la misère et la guerre, ne peut offrir que destruction et chaos, et met en danger l’existence même de l’humanité. La guerre en Ukraine, avec toutes ses conséquences destructrices, illustre l’avancée de cette menace.
Face à la barbarie capitaliste, la seule force sociale capable de la contenir est le prolétariat. « Ce ne sont pas des négociations diplomatiques ou les conquêtes de tel ou tel impérialisme qui ont mis fin à la Première Guerre mondiale. C’est le soulèvement révolutionnaire international du prolétariat ». (4)
T/RR, 9 juillet 2023
1) « Signification et impact de la guerre en Ukraine », Revue internationale n° 168 (2022).
2) « Un motín en Rusia ofrece pistas sobre el poder de Putin », New York Times (26 juin 2023).
3) « L’accélération de la décomposition capitaliste pose ouvertement la question de la destruction de l’humanité », Revue internationale n° 169 (2022).
4) « 3e Manifeste du CCI : Le capitalisme mène à la destruction de l’humanité… Seule la révolution mondiale du prolétariat peut y mettre fin », disponible sur notre site web ou en version papier.
Quatorze journées d’action contre la réforme des retraites, des millions de personnes dans les rues. Comme ses frères de classe au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne… le prolétariat en France a crié son ras-le-bol, un clair refus de subir passivement les attaques de la bourgeoisie : « Ça suffit ! ». (1) Les travailleurs ont recommencé, peu à peu, à se reconnaître comme une classe en lutte dont la force réside avant tout dans leur capacité à se serrer les coudes.
Les syndicats ont semblé, aux yeux de beaucoup d’ouvriers, prendre en charge ces aspirations. À écouter la presse, les syndicats ont été à la pointe de ce mouvement, multipliant les journées d’action, semblant incarner la solidarité lors des grèves dans les raffineries, les transports ou chez les éboueurs, sur les piquets de grève, à travers les caisses de grève ou face à la répression. L’appel de l’intersyndicale à des mobilisations massives, y compris le samedi pour permettre à tous de participer, a semblé donner corps à la volonté qui s’est exprimée, semaine après semaine, dans les rangs des manifestants : nous devons lutter tous ensemble.
Face à la poussée de combativité et aux aspirations à la solidarité entre tous les secteurs, toutes les générations, les syndicats ont appelé à la « grève générale » : « L’intersyndicale appelle à faire du 7 mars une journée “France à l’arrêt”. Il s’agit d’une journée de grève générale qui doit permettre le soutien de l’ensemble de la population à la mobilisation ». Mettre « la France à l’arrêt », n’a-t-on pas cessé d’entendre dans la bouche des organisations syndicales. Mais comment ? En bloquant de prétendus « secteurs stratégiques », évidemment ! Effectivement, les syndicats ont appelé dès février à toute une série de blocages et de grèves reconductibles à la RATP, dans les transports aériens, à la SNCF, dans les ports, chez les éboueurs, dans les raffineries, etc.
Or, ils ont poussé à la reconduction de grèves très localisées, en prenant surtout bien soin de ne pas favoriser leur extension : aucun lien véritable, aucune délégation vers d’autres entreprises, aucune véritable assemblée générale, des grévistes isolés des autres ouvriers, dans des grèves peu suivies, à protéger leur piquet face aux CRS. Au milieu du mois de mars, par exemple, la CGT a imposé une grève reconductible aux éboueurs de Paris, en les exposant seuls à la répression policière, pour soi-disant « emmerder les bourgeois »… avant de suspendre ce mouvement faute de grévistes (6 % des salariés). Les syndicats n’ont d’ailleurs cessé, dans les entreprises, de mettre en avant des revendications très sectorielles, comme si la question des salaires, de l’inflation, des cadences de travail et même des retraites étaient spécifiques à chaque boîte.
Ce n’est pas la première fois que les syndicats mettent en avant des grèves par procuration dans des secteurs dits « stratégiques », poussant des ouvriers souvent très combatifs, qui peuvent peser dans la balance de la lutte, à se mobiliser dans des grèves épuisantes et corporatistes. En 2018, la CGT avait envoyé au casse-pipe les cheminots seuls à travers des « grèves perlées ». Elle avait également été le fer de lance du « blocage de l’économie » en 2015, déjà en polarisant sur le secteur des raffineries. De francs succès qui n’avaient rien bloqué, tout en divisant la classe ouvrière ! À chaque fois, les travailleurs avaient tout de même été appelés à la « solidarité »… mais une solidarité platonique consistant à grossir les caisses de grève que les syndicats se sont empressés de reverser, dans un flou artistique, à leurs seuls adhérents.
Mais, cette fois-ci, le piège n’a pas fonctionné au mieux des espérances de la bourgeoisie. Les grèves syndicales sont souvent restées minoritaires : pas de queues interminables aux stations service, pas d’usagers des transports « excédés » mais plutôt compréhensifs, pas de grèves corporatistes perdues d’avance. La classe ouvrière, malgré ses faiblesses, n’est pas tombée dans le piège des grèves longues, où chacun est seul dans son coin. La grève « par procuration » n’a pas vraiment fait recette.
Lors de la première journée d’action, le 19 janvier 2023, près de deux millions de salariés étaient dans la rue, une mobilisation beaucoup plus forte qu’attendue, exprimant un sentiment de colère et d’injustice, mais aussi de solidarité, de joie à se retrouver tous ensemble. Dans les cortèges, l’enthousiasme de nous retrouver, semaine après semaine, dans des manifestations massives, était palpable. Les syndicats et les partis de gauche n’ont cessé de répéter que le nombre de manifestants était susceptible d’imposer à lui seul un rapport de force, de « faire pression » tantôt sur le gouvernement, tantôt sur le Parlement. Mais en dépit de ces mobilisations historiques, le gouvernement n’a pas reculé.
Pourquoi ? Parce que le nombre de manifestants, sans une réelle prise en mains de la lutte par la classe ouvrière elle-même, n’est nullement susceptible, à lui seul, de créer un véritable rapport de force. La massivité de la lutte en France a été un pas très important dans le retour de la combativité du prolétariat dans le monde. Mais si nous rassembler massivement, sentir la force collective de notre classe sont indispensables, être des millions ne suffit pas !
Lors du mouvement contre le CPE, en 2006, les étudiants et les jeunes précaires étaient bien moins nombreux, mais ils avaient su prendre la direction de la lutte, à travers des assemblées générales souveraines, et commençaient à étendre le mouvement aux travailleurs, aux retraités. Bref, la classe ouvrière commençait à se battre avec ses propres armes : celle de son unité. C’est cela qui, à l’époque, a effrayé le gouvernement Villepin au point de le faire reculer.
Aujourd’hui encore, la bourgeoisie a tout fait pour empêcher les ouvriers de prendre eux-mêmes en main la solidarité et l’extension de la lutte. En polarisant quasi exclusivement sur le seul nombre de manifestants, en appelant, pendant plusieurs semaines, à des journées d’actions massives, sans discussion, sans véritables assemblées ouvertes à tous, les syndicats n’ont fait que coller aux aspirations qui s’exprimaient au sein de notre classe, aux besoins d’unité et de solidarité… pour mieux les dénaturer et disperser les forces !
Ainsi, au nom de la « solidarité avec tous ceux qui n’ont pas les moyens de faire grève et de se mobiliser en semaine », quelques journées d’action ont été organisées le samedi. Les syndicats ont prétendu que nous serions plus nombreux, sans que cela nous coûte, avec la présence des familles, des enfants. Mais l’extension dont nous avions besoin ne pouvait nullement se réaliser de la sorte ! La solidarité dont nous avions besoin ne s’arrête pas à nos familles ou à nos amis. Elle doit s’étendre à notre classe ! À d’autres ouvriers susceptibles de nous rejoindre dans la lutte, avec qui discuter, débattre et décider collectivement ! Rien de tel avec les mobilisations syndicales du samedi, avec leur même logique de saucissonnage et de dilution, chacun derrière sa banderole, sans discussion, ni décision collective en fin de manifestation !
La mobilisation s’est cependant maintenue, semaine après semaine, au grand étonnement de tous les acteurs gouvernementaux et syndicaux. L’intersyndicale a dû progressivement espacer les journées d’action, passant de quelques jours, au début du mouvement, à plus d’un mois entre la manifestation du 1er mai et celle du 6 juin, pour tenter d’user et de décourager les manifestants. Ce fut la douche froide : « Je suis en colère contre la stratégie de l’intersyndicale… Pourquoi, après un 1er mai historique, avoir attendu aussi longtemps pour mobiliser ? C’était une erreur » (un syndiqué de FO, à Rennes). « L’union intersyndicale aurait dû être plus vindicative et combative » (une gréviste de l’INSEE à Paris). Malgré l’énorme combativité et les mobilisations toujours massives, l’absence de lien réel au sein d’assemblées générales, de possibilité d’éprouver concrètement notre solidarité entre chaque manifestation, ont fini par essouffler la lutte et distiller un sentiment croissant d’impuissance.
Face au scepticisme grandissant vis-à-vis des balades syndicales, la bourgeoisie a pu compter sur la gauche et les syndicats pour détourner le prolétariat sur le terrain pourri du soutien aux institutions bourgeoises.
D’emblée, réduire le rapport de force au seul nombre de manifestants avait pour vocation de détourner la classe ouvrière de ses méthodes de lutte, de la réduire à l’impuissance en polarisant l’attention sur le terrain du jeu démocratique bourgeois : mettre soi-disant la pression pour soutenir le « combat parlementaire » ! Si le prolétariat s’est fait peu d’illusions sur les « institutions républicaines », il n’en a pas moins été gêné par cet écran de fumée idéologique.
Tout le tapage autour du 49.3 n’avait pas d’autre objectif. Avec le « cri de rage » du 16 mars contre le « déni de démocratie » de Macron, soigneusement organisé par les partis de gauche aux abords du Palais Bourbon, une nouvelle mobilisation démocratique nous a été proposée en guise de dérivatif. Cette mascarade a ainsi été le point de départ d’une explosion de colère totalement stérile et minoritaire. L’État n’a, d’ailleurs, pas hésité à réprimer violemment ces manifestations « sauvages » plusieurs nuits durant, avec le silence complice de l’intersyndicale qui a profité de l’occasion pour tenter de redonner un peu de crédit à ses balades hebdomadaires.
La focalisation sur le vote du 8 juin porté par l’opposition au Parlement, et dont tout le monde savait qu’il était perdu d’avance, a également été utilisée par la bourgeoisie pour canaliser la colère. Après le 1er mai, tout devait se jouer sur cette seule et unique date. Un mois de trêve, sans rassemblements afin de « se faire entendre des parlementaires ». Et ce fut un mois de « casserolades », de coupures de courant et de mobilisations ponctuelles et localisées pour « emmerder », cette fois, le président Macron et sa clique. La polarisation sur la « visibilité » propre à la mystification démocratique, comme la pression qu’elle était censée exercer sur le Parlement et le gouvernement, servaient, en réalité, à faire diversion et empêcher de réfléchir sur les véritables armes du prolétariat.
Les syndicats ne sont en aucune façon des organisations « trop molles » pour la lutte, entravées par des « directions traîtres » ou multipliant les erreurs et indécisions dans l’action. Ce sont clairement des organes de l’État qui, par leur nature, par leurs actions manœuvrières contre la classe ouvrière, sont devenus ses ennemis. La forme de lutte syndicale, si elle a été au XIXe siècle une arme du prolétariat, ne correspond plus, depuis le début du XXe siècle, aux besoins de la lutte. Depuis l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence, les syndicats se sont entièrement intégrés à l’appareil d’État de la bourgeoisie, avec pour rôle de saboter les luttes et de tenter de maintenir la classe ouvrière, y compris leurs propres adhérents, dans l’impuissance et le désespoir.
C’est la raison pour laquelle, dans le mouvement qui vient de s’achever, les syndicats ont systématiquement œuvré à stériliser la lutte et à entraver la marche de la classe ouvrière. Face au retour de la combativité du prolétariat à l’échelle internationale, ils œuvreront encore et toujours à saboter les luttes !
Stopio, 23 juin 2023
1) Cf. le tract distribué par le CCI lors de la journée d’action du 6 juin : « Bilan du mouvement contre la réforme des retraites : la lutte est devant nous ! ».
« L’ACG, Angry Workers, Plan C et la Communist Workers Organisation discuteront des grèves récentes et à venir au Royaume-Uni et ailleurs. Beaucoup de temps pour les questions, les réponses et la discussion ». C’est ainsi que l’Anarchist Communist Group (ACG) a annoncé sa réunion publique du 12 mai 2023. La réunion visait à « promouvoir l’idée d’organisations de base contre les machinations des bureaucrates syndicaux, qui entravent et font obstruction aux actions de grève tant ici, au Royaume-Uni, qu’à l’étranger ». (1)
L’ACG s’est séparée de l’Anarchist Federation (AF), il y a cinq ans, sur la question de la politique identitaire, dans une tentative de mettre davantage l’accent sur la lutte authentique de la classe ouvrière. Elle a adopté une position essentiellement internationaliste contre la guerre en Ukraine, bien qu’avec des faiblesses évidentes. (2)
Les Angry Workers of the World (AWW) sont un groupe plus « ouvriériste » de l’ouest de Londres, très proche du milieu anarchiste dans ses idées et ses méthodes. Ce groupe n’a formulé une position collective sur la guerre en Ukraine qu’un an après son déclenchement. Malgré une discussion récente sur le défaitisme révolutionnaire, il ne défend toujours pas une position internationaliste sans ambiguïté. (3)
Plan C est une organisation ouvertement gauchiste, même sans idéologie particulière, qui se caractérise comme expérimentale et non dogmatique. Le 25 juin 2022, elle a tenu une réunion de « solidarité avec la classe ouvrière ukrainienne » (mais pas avec la classe ouvrière en Russie !), avec des orateurs et un film sur les anarchistes en Ukraine qui aident leurs voisins et soutiennent les soldats combattants.
Enfin, la Communist Workers Organisation (CWO) est une organisation du milieu révolutionnaire affiliée à la Tendance communiste internationaliste (TCI) et a défendu une position internationaliste claire contre la guerre.
En octobre 2022, avant une réunion de l’ACG à Londres, le CCI a reçu un courriel du groupe qui disait : « Si le CCI pense venir à la réunion publique de ce soir, veuillez y réfléchir à deux fois, car nous avons décidé que votre présence serait préjudiciable ». Nous avons répondu en demandant une explication à l’ACG. Mais nous n’avons jamais reçu de réponse.
Dès notre arrivée à la réunion de l’ACG du 12 mai dernier, nous avons été reconnus comme le CCI et avons reçu l’ordre de quitter la réunion. Nous avons protesté, rappelant à l’ACG qu’elle avait été exclue du Salon du livre anarchiste à l’automne dernier parce qu’elle s’opposait à la guerre en Ukraine. Nous avons également rejeté le prétexte selon lequel le CCI « parle trop », puisque notre pratique est de respecter les règles de l’organisation animant la réunion. Nos objections ont été ignorées et nous n’avons pas eu d’autre choix que de distribuer nos tracts et d’exposer notre presse à l’extérieur.
Nous ne savons pas ce qui a motivé l’ACG à organiser des discussions publiques avec un groupe gauchiste comme Plan C, mais si elle pense que cela renforcera sa capacité à défendre des positions prolétariennes, elle se trompe. De nombreux exemples de l’histoire du mouvement ouvrier démontrent que l’activité conjointe entre une organisation bourgeoise et une organisation prolétarienne (ou, dans le cas présent, qui cherche à s’orienter en direction des positions prolétariennes) se fait toujours au détriment de cette dernière.
L’exemple le plus clair est celui de la CNT qui avait été une organisation révolutionnaire du prolétariat et avait même envisagé de demander l’adhésion au Komintern. Mais au cours des années 1920, elle a commencé à collaborer de plus en plus avec des organisations politiques bourgeoises, (4) jusqu’à ce qu’elle décide, en 1936, de participer aux gouvernements de la Généralité de Catalogne et de la République de Madrid. Ce virage n’était pas accidentel puisque, pendant la Seconde Guerre mondiale, la CNT en France, saisie par l’antifascisme, a combattu dans les armées de la « Libération » contre l’occupation allemande. La CNT était définitivement devenue une organisation bourgeoise.
Aujourd’hui, l’ACG est bien contente de tenir une réunion avec ceux qui se sont montrés incapables d’adopter une position internationaliste claire et collectivement acceptée, comme les AWW, et, plus grave encore, avec un groupe comme Plan C, qui s’est révélé être dans le camp de la bourgeoisie. Parallèlement, l’ACG exclut de sa réunion une organisation qui, tout comme l’ACG elle-même, défend l’internationalisme prolétarien et la perspective du communisme. Comment l’ACG explique-t-elle cette incohérence ?
Une autre incohérence de l’ACG est le fait qu’elle formule publiquement un point de vue sur la lutte de classe, mais ne veut pas le confronter dans un débat public avec celui du CCI, même si sa position sur cette question est loin d’être antagoniste à celle du CCI, comme on le voit, par exemple, dans la citation suivante d’un article de l’ACG : « Comme de plus en plus d’ouvriers sont contraints par nécessité de se mettre en grève, il devient de plus en plus nécessaire de créer de nouvelles formes d’organisation. Celles-ci devraient permettre une lutte efficace et unifiée, en contournant les bureaucrates syndicaux et en allant au-delà des syndicats ». (5) Comme tous ceux qui lisent notre presse peuvent le constater, cette position est relativement proche de celle du CCI, même si elle est défendue avec un cadre d’analyse différent.
Un débat public permettrait de confronter les argumentations. Les questions sont donc les suivantes : pourquoi l’ACG évite-t-elle une confrontation politique avec le CCI et pourquoi pense-t-elle qu’un débat sur la lutte de classe avec le CCI est contre-productif pour le développement d’une perspective prolétarienne ?
La CWO fait partie du même milieu des organisations révolutionnaires de la Gauche communiste que le CCI. Ce milieu est fondé sur certains principes que toutes les organisations devraient respecter. L’un de ces principes est qu’une attaque contre une organisation de la Gauche communiste est une attaque contre l’ensemble de la Gauche communiste. Ainsi, lorsqu’un groupe de ce milieu est attaqué, boycotté ou exclu, toutes les organisations sont attaquées et devraient réagir comme un tout. Car chaque attaque contre une organisation révolutionnaire contient une menace pour le processus historique de construction du parti.
Ainsi, le CCI a apporté son soutien total lorsque le Parti communiste international (bordiguiste) a été attaqué après la publication de la brochure : Auschwitz ou le grand alibi. En 2015, il a publié un Communiqué de solidarité avec la TCI lorsque les militants de cette organisation ont été pris pour cible par d’anciens membres de la section en Italie de la TCI. Mais quelle est la réponse de la CWO dans le cas de l’exclusion du CCI de la réunion publique de l’ACG ? En novembre 2022, après le courriel de l’ACG, le CCI avait déjà écrit à la CWO pour lui demander sa position sur cette question, mais n’a jamais reçu de réponse.
Lorsque des camarades de la CWO sont venus à une réunion publique du CCI après l’incident, nous leur avons demandé de prendre position sur l’exclusion, mais au lieu de le faire, les camarades ont évité la question, expliquant pourquoi ils pensaient que l’ACG avait agi de la sorte, ce que les membres de l’ACG avaient pu leur dire à ce sujet, comme s’ils étaient ses apologistes. L’ACG peut pourtant parler pour elle-même et la CWO a le devoir de prendre une position claire.
Le camarade qui représentait la CWO à la réunion de l’ACG du 12 mai avait expliqué à son arrivée sur place qu’il ne savait pas que le CCI avait été exclu de la réunion, ni même que la CWO était mentionnée dans l’annonce de la réunion comme l’un des groupes participants. S’est-il rendu compte qu’il participait à un débat avec une organisation ouvertement gauchiste ? L’ignorance est un mauvais argument derrière lequel se cacher, mais entre-temps, il avait été informé par nos camarades de l’exclusion du CCI de la réunion et pourtant il n’a pas pris de position claire.
Il est clair qu’après avoir ouvert la porte à des groupes parasitaires et à des mouchards, comme lors du comité No War But The Class War de Paris, (6) la CWO ouvre maintenant la porte à des organisations qui défendent ouvertement des positions bourgeoises, comme Plan C.
Mais les organisations révolutionnaires ne peuvent pas s’engager dans une discussion publique sur la lutte de classe avec des organisations qui ne défendent pas une position internationaliste. De telles organisations sont fondamentalement hostiles aux intérêts historiques de la classe ouvrière. Mais la CWO, voulant jouer sur les deux tableaux, n’a pas le courage de dire ouvertement qu’elle cherche à se rapprocher d’un groupe gauchiste « non dogmatique » comme Plan C, au lieu d’exprimer sa solidarité ou de collaborer avec le CCI.
Dans sa politique d’« ouverture », la CWO ne veut pas que le CCI soit témoin de sa « romance » avec des groupes anarchistes ou gauchistes. Elle est donc prête à mettre sous le tapis le principe de solidarité au sein de la Gauche communiste et refuse de condamner l’exclusion du CCI par l’ACG.
Finalement, la CWO a démontré qu’elle renonçait au principe de la défense des organisations de la Gauche communiste contre les attaques de l’extérieur : « et aucune organisation prolétarienne ne peut ignorer cette nécessité élémentaire [de solidarité] sans en payer le prix ». (7)
CCI, 14 juillet 2023
1) « All Out ! The Current Strike Wave », disponible sur le site de l’ACG (12 mai 2023).
2) Lire notre article : « Les anarchistes et la guerre : Entre internationalisme et “défense de la nation” », Révolution internationale n° 494 (2023).
3) Voir notre article : « AWW and Ukraine war : There is no middle ground between internationalism and “national defence” », disponible sur notre site web (septembre 2022).
4) Cf. « La contribution de la CNT à l’instauration de la République espagnole (1921-1931) », Revue internationale n° 131 (2007).
5) « Oil rig workers strike », disponible sur le site de l’ACG (9 juin 2023).
6) « Un comité qui entraîne les participants dans l’impasse », Révolution internationale n° 496.
7) Cf. « Les conférences internationales de la Gauche Communiste (1976-1980) : Leçons d’une expérience pour le milieu prolétarien », Revue internationale n° 122 (2005).
En mai dernier, le CCI a tenu des réunions publiques dans différents pays sur le thème : « Grande-Bretagne, France, Allemagne, Espagne, Mexique, Chine… Aller plus loin qu’en 1968 ! ». Il s’agissait de mieux comprendre la signification politique, mondiale et historique de ces luttes, les perspectives dont elles sont porteuses mais aussi les faiblesses importantes que la classe ouvrière devra surmonter pour assumer les dimensions économique et politique de son combat. La participation active aux débats qui ont eu lieu est une illustration de la lente maturation de la conscience qui s’opère en profondeur au sein de la classe ouvrière mondiale et dont sont plus particulièrement porteuses de petites minorités, appartenant souvent à une nouvelle génération. Elles renouent ainsi progressivement avec l’expérience du mouvement ouvrier et de la Gauche communiste.
Ces réunions ont été animées par une claire volonté de clarification à travers la confrontation aux différentes positions en présence. Ainsi, face à l’analyse défendue par le CCI, se sont exprimés des soutiens, des nuances, des doutes et questionnements, voire des désaccords. L’objet de cet article est d’en rendre compte afin d’encourager la poursuite du débat.
Malgré les difficultés pour saisir la complexité de la situation marquée par le chaos grandissant du mode de production capitaliste, rythmée par des épisodes dramatiques et destructeurs tels que la guerre en Ukraine, avec en perspective l’enlisement sans fin dans la crise économique, les intervenants ont, en général, reconnu ce fait essentiel que la classe ouvrière était à nouveau entrée massivement en scène, depuis un an, dans la lutte face à la détérioration insupportable de ses conditions de vie. Certains ont fait un parallèle entre la situation actuelle et celle de Mai 68. (1) En 1968, le retour du chômage (pourtant alors bien faible par rapport à la situation actuelle) inaugurait de fait la fin de la période dite des « Trente glorieuses », et la réapparition de la crise ouverte, période faite de récession, reprise, récession plus profonde. Aujourd’hui, l’approfondissement brutal de la crise économique et le retour en force de l’inflation constituent sans conteste le ressort essentiel des mobilisations de la classe ouvrière. Des camarades ont souligné que Mai 68 et la période actuelle avaient en commun l’irruption de mobilisations massives de la classe ouvrière. Un camarade en Grande-Bretagne précisait à ce propos que « la plus grande différence avec 68 est la profondeur de la crise économique actuelle ».
Un autre camarade reconnaissait que « Mai 68 avait ouvert une nouvelle phase après la contre-révolution ». En effet, suite à l’échec de la vague révolutionnaire des années 1917-1923 et à la chape de plomb stalinienne qui a suivi la défaite du prolétariat mondial, Mai 68 inaugurait le réveil de la classe ouvrière sur un plan international. À Paris, un camarade caractérisait de la sorte les conditions subjectives de la lutte de la classe ouvrière, en 1968 et aujourd’hui : « la référence à Mai 68 est pertinente. Cet événement coïncide avec l’arrivée d’une nouvelle génération de la classe ouvrière qui n’avait pas subi, comme ses parents, l’écrasement idéologique de la contre-révolution et notamment la chape plomb de l’influence du stalinisme. Aujourd’hui, il a fallu une nouvelle génération pour sortir de l’idéologie de la “mort du communisme” ». Il est remarquable qu’au Brésil les participants aient reconnu, presque comme une « évidence », qu’il se passait quelque chose au niveau de la lutte de classe et que c’est le prolétariat des pays centraux du capitalisme, en Europe occidentale, qui se plaçait à l’avant-garde de la mobilisation du combat ouvrier mondial. En rapport avec la situation actuelle, un camarade de Grande-Bretagne notait d’ailleurs « l’importance des luttes actuelles. Elles représentent la possibilité d’une véritable renaissance de la lutte des classes ».
Mais cette même intervention, comme d’autres d’ailleurs, au Brésil en particulier, s’inquiétaient « des faiblesses de la classe ouvrière », ou « des manœuvres de la bourgeoisie qui a le contrôle, surtout avec les syndicats ».
En fait, certaines interventions tendaient à vouloir plaquer la réalité de Mai 68 sur la période actuelle alors que d’autres opposaient les deux situations. Bref, toutes manifestaient une difficulté à comprendre, au-delà des analogies et des différences entre ces deux moments historiques, ce qu’on entend par « rupture » dans la dynamique de la lutte de classe, respectivement en 1968 et aujourd’hui.
En 1968, le réveil de la classe ouvrière mondiale mettait un terme à quarante de contre-révolution, correspondant à une profonde défaite physique et idéologique du prolétariat consécutive à l’écrasement de la vague révolutionnaire de 1917-23. La rupture de 2022, signalée par la mobilisation du prolétariat au Royaume-Uni, met en mouvement une classe ouvrière qui n’a pas subi de défaite physique comparable à celle ayant entraîné la contre-révolution mondiale mais qui, par contre, a subi de plein fouet les campagnes sur « la mort du communisme », sur « la disparition de la classe ouvrière », etc.
Durant plus de trente ans, la classe ouvrière mondiale, déboussolée, ayant perdu son identité de classe, s’est montrée incapable d’une mobilisation à la hauteur des attaques qu’elle subissait. Il a fallu cette longue période d’attaques incessantes, profondes et de plus en plus insoutenables pour qu’elle renoue avec des mobilisations inégalées en ampleur depuis des décennies (depuis 1985 pour les ouvriers au Royaume-Uni), clairement en rupture avec la situation qui prévalait depuis 1989. Trente années pendant lesquelles, du fait justement que la classe ouvrière n’était pas défaite, il se développait une réflexion en son sein (la maturation souterraine de la conscience) se traduisant par une perte croissante d’illusions quant à l’avenir que nous réserve le capitalisme, puis par la certitude que la situation ne pourra qu’empirer. C’est ainsi que fermentait un profond sentiment de colère qui s’est exprimé par le « trop c’est trop » des grévistes en Grande-Bretagne.
Pour n’être pas complètement comprise, la dynamique des trente années précédentes a donné lieu, dans la discussion, à différentes interprétations erronées. Ainsi, une camarade à Toulouse invoquait une « continuité » dans la lutte depuis ces trente ans, jalonnée par des victoires et des défaites, en particulier la mobilisation contre le CPE (2006), contre la réforme des retraites de Sarkozy-Fillon (2010) et aussi le mouvement des Indignés (2011). Mais justement, durant cette période, une telle continuité (où des luttes en cours font écho à des luttes passées) n’existait pas, la classe ouvrière ne parvenant pas à relier entre elles, dans sa mémoire collective, les quelques nouvelles et rares expériences qu’elle faisait.
Il en va de même de l’idée d’un « bond qualitatif » utilisée par certains camarades, notamment au Brésil, pour caractériser l’irruption des luttes en Grande-Bretagne et en France. Une telle conception qui, en général, tend à réduire la conscience à un simple produit ou reflet de la lutte immédiate elle-même, minimise toutes les autres dimensions du processus de prise de conscience. L’idée de « bond qualitatif » peut être préjudiciable en laissant entendre que la classe ouvrière aurait brusquement surmonté bon nombre de ses faiblesses.
Par ailleurs, des interventions au Mexique, tendant à diluer la lutte du prolétariat en l’emmenant sur des terrains tels que celui de la défense de l’environnement ou du féminisme, ont été justement critiquées. En effet, l’idéologie qui les sous-tend et qui est elle-même favorisée par la perte de l’identité de classe, représente une claire menace pour la lutte autonome du prolétariat, la seule à même de résoudre les problèmes de la société à travers le renversement du capitalisme.
Si les participants aux réunions ont admis la réalité de la massivité des luttes actuelles, il faut bien reconnaître qu’en général ils n’ont pas été capables de prendre en compte leur importance en tant qu’élément fondamental de la rupture qualitative. Des millions d’ouvriers concentrés dans quelques pays d’Europe de l’Ouest qui se mobilisent, malgré ce que cela leur en coûte financièrement, qui luttent solidairement avec leurs camarades pour refuser la misère que le capitalisme veut leur imposer par l’exploitation et la divisions, cela constitue en soi une victoire considérable.
Des camarades ont exprimé des critiques à ce qu’ils considéraient comme une surestimation du mouvement par le CCI. Ainsi, en Grande-Bretagne et en France, on a pu entendre :
– « je trouve que le CCI surestime la séquence de la lutte. Je ne comprends pas la méthode de maturation souterraine. Il y a là une association d’idées, ce n’est pas massif, on fait juste référence à des minorités actives ».
– « C’est vrai qu’à la fin des manifestations il y avait bien des discussions, certes, mais il n’y a pas eu de grèves ! Sans la grève, le mouvement s’est tassé. Le problème est que l’arme du prolétariat est la grève générale. (2) En Mai 68, il y avait une grève générale et là ce n’était pas le cas […]. Je ne veux pas ternir le tableau mais amplifier la profondeur du mouvement [comme le fait le CCI], je ne suis pas sûre que cela serve ». Dans le cas qui nous préoccupe, on semble oublier que pour aller manifester dans la rue par centaines de milliers, voire par millions, en France, les ouvriers étaient en grève !
À plusieurs endroits (à Nantes en France, au Brésil…) des interventions voulaient tempérer la réalité de la rupture dans la lutte de classe mise en avant par le CCI par le fait que les syndicats n’avaient pas été remis en cause. À cette objection, ce sont des participants qui, à Nantes, ont opposé l’analyse suivante : « Certes, il n’y a pas eu de remise en cause des syndicats, pas d’auto-organisation, mais le mécontentement reste très fort et permanent, même s’il n’y a pas de nouvelle lutte spectaculaire. Car il faut voir d’où vient la classe, elle sort d’une période de trente ans de difficultés. Il n’y a pas eu de défaite politique, en fait. La classe réunit ses forces pour aller plus loin ».
À ceci nous ajoutons qu’en France (mais pas seulement), la bourgeoisie avait anticipé la colère ouvrière et les syndicats avaient fait tout leur possible pour n’être pas contestés par les ouvriers. Face au besoin et à la volonté des ouvriers en lutte de s’unir par-delà les catégories et corporations, les syndicats avaient pris les devants en maintenant, du début à la fin, un front uni syndical le plus large possible « farouchement opposé » à la réforme des retraites.
Alors que des interventions tendaient à chercher des « preuves » et des « faits » pour essayer de convaincre ou se convaincre soi-même de la réalité de la « rupture », d’autres camarades ont essayé d’illustrer le changement de situation à travers la capacité des « syndicats expérimentés » (en France, notamment) à « coller au mouvement », aux « aspirations d’unité » en utilisant « le piège de l’intersyndicale ». Dans le même sens, ces camarades ont mis en évidence la complicité de différentes fractions de la bourgeoisie en vue d’isoler par un black-out savamment dosé les différents foyers de lutte : « Pourquoi la bourgeoisie fait-elle un black-out sur les grèves à l’étranger ? C’est pour ne pas qu’on puisse créer de liens, la bourgeoisie connaît très bien son ennemi de classe. Il y a là un signe supplémentaire de la maturation. Il faut avoir une vision globale, internationale ». De manière très juste, des camarades ont souligné qu’il ne fallait pas se polariser sur tel ou tel élément pris en soi, mais qu’il était préférable de « voir un faisceau d’indices et savoir les interpréter », faisant référence en ce sens à la démarche de Marx, mais aussi à celle de Lénine qui « avaient la capacité de percevoir les changements d’état d’esprit du prolétariat ».
À chaque fois, pour tenter de clarifier les choses, le CCI a essayé d’aller plus loin en défendant cette idée valable de « processus de maturation souterraine », de rupture et non pas celle de « saut qualitatif ». Le CCI a surtout insisté pour élargir et poser les problèmes avec méthode, comme en témoigne une de ses interventions à Paris : « plusieurs interventions ont mis en évidence des discussions qu’on ne voyait plus depuis des années. Que fait-on de cela ? Comment l’analyser ? Est-ce qu’on replace cela dans un cadre plus large et global ? Au lieu de voir les choses avec un microscope, il nous faut prendre du recul, prendre un télescope ; c’est-à-dire avoir une démarche historique et internationale. Nous sommes dans une période où le capitalisme mène l’humanité à sa perte. La classe ouvrière a le potentiel de se battre et d’entrer en lutte, de pouvoir faire la révolution. À l’échelle internationale, depuis trois décennies, on a vu le reflux des luttes et un recul de la conscience. La classe a perdu conscience d’elle-même, son identité. Or l’été dernier, il y a eu un mouvement très important en Grande-Bretagne qu’on n’avait pas vu depuis quarante ans ! Est-ce uniquement en Grande-Bretagne ? Cela témoignait que quelque chose était en train de changer en profondeur à l’échelle mondiale. C’est à partir de cela que nous avons dit que quelque chose changeait. On a vu la capacité à lutter face à l’aggravation de la crise économique. On a vu des luttes dans de nombreux pays. C’est dans ce cadre que s’inscrit la confirmation de la lutte contre la réforme des retraites en France. On a vu trois mois de luttes, une combativité. D’autre part, on commence à voir des slogans, une réflexion qu’on n’avait pas vue depuis les années 1980. Il y a un ras le bol général, on voit une tentative de se réapproprier l’histoire. C’est cela qu’il y a derrière le slogan “tu nous mets 64 on te Mai 68” […]. Il existe une tendance a se réapproprier le passé, comme avec le resurgissement de l’expérience du CPE de 2006 alors qu’on n’en avait plus entendu parler. Comment expliquer que cela resurgisse ? Il y a d’autres aspects plus minoritaires sur : comment faire la révolution ? Une partie réfléchit sur : qu’est-ce que le communisme ? Il y a un effort de la classe. Ce n’est pas simplement la question de : est-ce que la réforme des retraites passe ou pas ? Il faut tirer les leçons. Comment aller plus loin ? Avec quelle méthode de lutte ? C’est cela l’enjeu ».
Nous devons donc reconnaître, comme leçon fondamentale, la nécessité de prendre en compte, pour nos analyses, le contexte international et historique : une accélération de la décomposition de la société capitaliste, son « effet tourbillon » destructeur, la gravité et la dangerosité de la guerre, et en même temps la brutale accélération de la crise économique, avec l’inflation comme puissant aiguillon à la lutte de classe. Nous devons reconnaître également qu’en luttant sur son terrain de classe, de façon massive, le prolétariat commence à prendre confiance en ses propres forces, va acquérir la conscience croissante de mener une même lutte par-delà les corporations et les frontières.
Les luttes aujourd’hui sont une première victoire : celle de la lutte elle-même.
WH, 26 juin 2023
1) Il faut signaler que la plupart de ces réunions ont eu lieu à une date symbolique, celle de l’anniversaire des manifestations massives du 13 mai 1968 en France. À ce propos nous recommandons à nos lecteurs notre brochure : 1968 et la perspective révolutionnaire, publiée aussi en deux parties dans les numéros 133 et 134 de la Revue internationale.
2) Faute de temps, la question de la différence entre « gréve générale » et « gréve de masse » n’a pu être traitée. Mais nous avons souligné notre désaccord avec le fait d’assimiler ces deux termes. La grève générale, si elle constitue un indice du mécontentement dans la classe, renvoie néanmoins à l’organisation (et donc au contrôle) de la lutte par les syndicats. En ce sens, aux mains des syndicats, elle peut aussi constituer un moyen d’épuiser la lutte. À la grève générale, nous opposons la grève de masse telle qu’elle s’est manifestée magistralement en Russie ne 1905 en se donnant ses propos moyens de centralisation de la lutte, alliant revendications économiques et politiques.
Alors que la bourgeoisie et ses médias ne cessent de dissimuler la faillite historique du capitalisme, la bourgeoisie, quand elle réunit les principaux dirigeants du monde au Forum Économique Mondial de Davos et se parle à elle-même, ne peut faire l’économie d’une certaine lucidité. Les conclusions du rapport général soumis au Forum sont de ce point de vue particulièrement édifiantes : « Les premières années de cette décennie ont annoncé une période particulièrement perturbée de l’histoire humaine. Le retour à une “nouvelle normalité” après la pandémie de Covid-19 a été rapidement affecté par l’éclatement de la guerre en Ukraine, inaugurant une nouvelle série de crises alimentaires et énergétiques, déclenchant des problèmes que des décennies de progrès avaient tenté de résoudre.
En ce début d’année 2023, le monde est confronté à une série de risques à la fois totalement nouveaux et sinistrement familiers. Nous avons assisté au retour des risques “anciens” (inflation, crises du coût de la vie, guerres commerciales, sorties de capitaux des marchés émergents, troubles sociaux généralisés, affrontements géopolitiques et spectre de la guerre nucléaire) que peu de chefs d’entreprise et de décideurs publics de cette génération ont connus. Ces phénomènes sont amplifiés par des évolutions relativement nouvelles dans le paysage mondial des risques, notamment des niveaux d’endettement insoutenables, une nouvelle ère de faible croissance, d’investissements mondiaux réduits et de démondialisation, un déclin du développement humain après des décennies de progrès, le développement rapide et sans contrainte de technologies à double usage (civil et militaire), et la pression croissante des impacts et des ambitions liés au changement climatique dans une fenêtre de transition vers un monde à 1,5° C qui ne cesse de se rétrécir. Tous ces éléments convergent pour façonner une décennie unique, incertaine et troublée.
La prochaine décennie sera caractérisée par des crises environnementales et sociétales, alimentées par des tendances géopolitiques et économiques sous-jacentes. La “crise du coût de la vie” est classée comme le risque mondial le plus grave pour les deux prochaines années, avec un pic à court terme. La “perte de biodiversité et l’effondrement des écosystèmes” est considérée comme l’un des risques mondiaux qui se détérioreront le plus rapidement au cours de la prochaine décennie, et les six risques environnementaux figurent parmi les dix principaux risques pour les dix prochaines années. Neuf risques figurent dans le classement des dix principaux risques à court et à long terme, notamment la “confrontation géo-économique” et l’ “érosion de la cohésion sociale et la polarisation sociétale”, ainsi que deux nouveaux venus dans le classement : “cybercriminalité et cyber-insécurité généralisées” et “Migration involontaire à grande échelle” ». (1)
Cette longue citation ne sort pas d’une publication du CCI. Elle est le fruit du travail d’un des « think tanks » les plus cotés parmi les principaux dirigeants politiques et économiques de la planète. De fait, ces constats rejoignent largement le texte adopté par le CCI en octobre 2022 sur l’accélération de la décomposition capitaliste : « Les années 20 du XXIᵉ siècle s’annoncent comme une des périodes parmi les plus convulsives de l’histoire et accumulent déjà des catastrophes et des souffrances indescriptibles. Elles ont commencé par la pandémie du Covid-19 (qui se poursuit encore) et une guerre au cœur de l’Europe, qui dure déjà depuis plus de neuf mois et dont personne ne peut prévoir l’issue. Le capitalisme est entré dans une phase de graves troubles sur tous les plans. Derrière cette accumulation et imbrication de convulsions se profile la menace de destruction de l’humanité. […]
Avec l’irruption foudroyante de la pandémie de Covid, nous avons mis en évidence l’existence de quatre caractéristiques propres à la phase de décomposition :
– La gravité croissante de ses effets […].
– L’irruption des effets de la décomposition sur le plan économique […].
– L’interaction croissante de ses effets, ce qui aggrave les contradictions du capitalisme à un niveau jamais atteint auparavant […].
– La présence croissante de ses effets dans les pays centraux […].
L’année 2022 a été une illustration éclatante de ces quatre caractéristiques, à travers :
– L’éclatement de la guerre en Ukraine.
– L’apparition de vagues jamais vues de réfugiés.
– La poursuite de la pandémie avec des systèmes sanitaires au bord de la faillite.
– Une perte de contrôle croissante de la bourgeoisie sur son appareil politique, dont la crise au Royaume-Uni a constitué une manifestation spectaculaire.
– Une crise agricole menant à une pénurie de beaucoup de produits alimentaires dans un contexte de surproduction généralisée, ce qui constitue un phénomène relativement nouveau depuis plus d’un siècle de décadence.
– Des famines terrifiantes qui frappent de plus en plus de pays.
Or, l’agrégation et l’interaction de phénomènes destructeurs débouche sur un “effet tourbillon” qui concentre, catalyse et multiplie chacun de ses effets partiels en provoquant des ravages encore plus destructeurs. […] Cet “effet tourbillon” constitue un changement qualitatif dont les conséquences seront de plus en plus manifestes dans la période qui vient ». (2)
En réalité, ce n’est pas de quelques mois que l’analyse du CCI a précédé celle des experts les plus avisés de la classe dominante, mais de plusieurs décennies puisque les constats qui sont établis dans ce texte ne sont qu’une confirmation saisissante des prévisions que nous avions déjà mises en avant à la fin des années 1980, notamment dans nos « Thèses sur la décomposition ».
« L’effet tourbillon », évoqué dans notre texte, met en évidence qu’il suffit que l’un de ces phénomènes s’aggrave pour provoquer aussitôt des explosions et réactions en chaine sur d’autres effets de la décomposition, de telle sorte que les crises partielles se transforment en un tourbillon incontrôlable de catastrophes.
Le Global Risks Report n’annonce pas autre chose lorsqu’il évoque la dynamique menant à ce que la bourgeoisie appelle une « polycrise » : « Les chocs concomitants, les risques profondément interconnectés et l’érosion de la résilience font naître le risque de polycrises, où des crises disparates interagissent de telle sorte que l’impact global dépasse de loin la somme de chaque partie. L’érosion de la coopération géopolitique aura des effets en chaîne sur le paysage mondial des risques à moyen terme, notamment en contribuant à une polycrise potentielle de risques environnementaux, géopolitiques et socio-économiques interdépendants liés à l’offre et à la demande de ressources naturelles. Le rapport décrit quatre futurs potentiels centrés sur les pénuries de nourriture, d’eau, de métaux et de minéraux, qui pourraient tous déclencher une crise humanitaire et écologique, allant des guerres de l’eau et des famines à la surexploitation continue des ressources écologiques et au ralentissement de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique ». La description très précise que le Global Risks Report fait de « l’inter-connectivité entre les risques globaux » est fondamentalement, sans en avoir réellement conscience, le processus qui conduit vers la barbarie totale et la destruction de l’humanité.
Cette objectivité, en revanche, les experts de la bourgeoisie l’abandonnent lorsqu’ils essayent d’expliquer l’origine de ces « risques ». Bien qu’ils ne se fixent pas cet objectif, on peut déduire des éléments qu’ils présentent que les racines des cataclysmes se trouvent dans de prétendues prises de décision inadéquates. Les solutions qu’ils proposent reposent sur un optimisme naïf, espérant « un changement significatif de politique ou d’investissement », une heureuse collaboration entre États, ainsi qu’avec le capital privé.
Empêtré dans une vision bourgeoise de la situation historique, le Global Risks Report ne peut pas comprendre que les phénomènes qu’il parvient à décrire sont le résultat de l’existence même du capitalisme, que la guerre, la destruction écologique ou la crise économique n’ont pas de solution dans ce système. Bien que, dès son origine, le capitalisme ait été un système basé sur l’exploitation humaine, sur la déprédation et la destruction de la nature, le capitalisme était un facteur de développement politique et social au moment de son essor (principalement au XIXᵉ siècle). Mais comme tout mode de production, il a finit par atteindre sa phase de décadence, phase où le développement des forces productives entre de plus en plus en opposition avec les rapports de production qui les contraignent. Ce n’est pas un hasard si c’est la Première Guerre mondiale qui a ouvert le processus de décadence du système : depuis, le militarisme et la guerre définissent la vie économique et politique de la bourgeoisie.
Reconnaissant la décadence capitaliste, les révolutionnaires de la Troisième Internationale l’ont définie dans leur plateforme programmatique comme « l’époque de la désintégration du capitalisme, de son effondrement interne. Époque de la révolution communiste du prolétariat ». De sorte que la décadence représente les conditions matérielles qui permettent la maturation des conditions de la révolution sociale.
Plus de cent ans après ce basculement, l’impasse dans laquelle se trouve le capitalisme, l’effroyable barbarie et les destructions massives qu’elle induit s’imposent chaque jour davantage à l’humanité. Depuis l’implosion du bloc « soviétique » en 1989, les contradictions internes qui caractérisaient la phase de décadence du capitalisme ont véritablement explosé, mettant en évidence le pourrissement sur pied du système. Cette nouvelle période, celle de la décomposition du capitalisme, est marquée par un processus d’accroissement du chacun pour soi et de dislocation, qui est devenu le facteur déterminant de l’évolution de la société, rapprochant et aggravant les phénomènes destructeurs et exposant le danger que le capitalisme représente pour l’humanité.
Ces tendances destructrices se sont non seulement accentuées mais apparaissent conjointement et, surtout, interagissent entre elles. Ainsi, au début de la phase de décomposition, les différents États pouvaient intervenir et isoler les effets, de sorte que chaque catastrophe se produisait sans être liée aux autres.
La pandémie et surtout la guerre en Ukraine ont marqué un changement qualitatif dans la décomposition, non seulement parce que leurs effets ont été mondiaux et ont entraîné des millions de morts et de déplacés, mais aussi parce qu’elles ont eu un impact aggravant sur des conflits dans divers domaines : elles ont mis en évidence l’incapacité de la bourgeoisie à circonscrire les catastrophes de manière coordonnée ainsi que son irrationalité, elles ont paralysé l’économie, accéléré la crise sanitaire, aiguisé les rivalités commerciales et impérialistes, etc.
C’est précisément cette interaction des contradictions du capitalisme décadent, avançant sous forme de tourbillon, qui apparaît comme la caractéristique majeure de cette phase de décomposition. C’est dans l’histoire de la décadence du système capitaliste qu’on peut situer les fondements des événements actuels et comprendre pourquoi les années 20 du XXIᵉ siècle s’annoncent « comme l’une des périodes les plus convulsives de l’histoire ».
Pas plus que les modes de production qui l’ont précédé, le mode de production capitaliste n’est éternel. Comme les modes de production du passé, il est destiné à être remplacé, (s’il ne détruit pas avant l’humanité) par un autre mode de production supérieur correspondant au développement des forces productives, développement qu’il a lui-même permis à un moment de son histoire. Un mode de production qui abolira les rapports marchands qui sont au cœur de la crise historique du capitalisme, où il n’y aura plus de place pour une classe privilégiée vivant de l’exploitation des producteurs.
Si la bourgeoisie, avec toutes ses équipes de spécialistes, peut décrire les phénomènes, elle ne peut fondamentalement pas les comprendre et encore moins leur apporter une solution. La seule classe qui peut présenter une alternative à sa barbarie, c’est le prolétariat, la classe exploitée au sein du capitalisme et qui n’a aucun avantage à y défendre. Par ailleurs, la classe ouvrière est aussi celle qui subit de plein fouet les attaques contre ses conditions de travail et de vie qui découlent directement de la pression accentuée de la crise, accentuée par l’ensemble des manifestations de la décomposition.
Malgré toutes les attaques subies ces dernières décennies, deux conditions permettent aux ouvriers de se maintenir comme une force historique capable d’affronter le capital : la première est que le prolétariat n’est pas vaincu et maintient sa combativité. La seconde est précisément l’approfondissement de la crise économique, qui met à nu les causes premières de toute la barbarie qui pèse sur la société, permettant ainsi au prolétariat de prendre conscience de la nécessité de changer radicalement le système et de ne plus seulement chercher à en améliorer illusoirement certains aspects.
Précisément à l’heure actuelle, sous l’impulsion de la crise économique, le prolétariat a commencé à développer ses luttes, comme le montrent les mobilisations en Europe. Depuis l’été 2022, la classe ouvrière en Grande-Bretagne est descendue dans la rue pour défendre ses conditions de vie. La même combativité s’est exprimée ensuite lors des mobilisations en France, en Allemagne, en Espagne, en Belgique et même des grèves aux États-Unis. De ce point de vue, la décennie qui s’ouvre s’exprime aussi par la rupture avec la passivité et la désorientation que le prolétariat a longtemps manifesté.
Actuellement, la combativité qui s’exprime en Europe souligne qu’un processus de maturation est amorcé, qui avance vers la reconquête d’une véritable identité de classe et la confiance en la force du prolétariat au niveau international. Ce processus est le terreau sur lequel pourra éclore le combat historique de la classe ouvrière contre la barbarie du capitalisme en putréfaction, pour la perspective révolutionnaire.
MA, 15 mai 2023
1) « Global Risks Report, Principales conclusions : quelques éléments », présenté au Forum économique mondial de Davos (janvier 2023).
2) « L’accélération de la décomposition capitaliste pose ouvertement la question de la destruction de l’humanité », Revue internationale n° 169 (2022).
La mort tragique du jeune Nahel, à Nanterre, dans la banlieue parisienne, assassiné par un policier, a mis le feu aux poudres. Immédiatement, des émeutes ont éclaté dans les grandes et petites villes de France contre cette ignoble injustice.
Comme en témoigne la vidéo qui a immédiatement circulé sur les réseaux sociaux, Nahel a été abattu froidement, à bout portant, pour un simple refus d’obtempérer. Ce meurtre fait suite à une longue liste de tués et de blessés par la police, la plupart du temps en toute impunité.
La multiplication des contrôles au faciès, les discriminations éhontés et le harcèlement systématique de jeunes à la couleur de peau un peu trop « foncée » sont légions. Toute une partie de la population, souvent pauvre, parfois marginalisée, ne supporte plus le racisme permanent dont elle est victime, ne supporte plus les comportements arrogants et humiliants de nombreux flics, comme les discours haineux dont elle fait les frais matin et soir à la télévision et sur internet. Le communiqué ignoble du syndicat Alliance qui se déclare « en guerre » contre les « nuisibles » et les « hordes sauvages » illustre cette réalité insupportable.
Mais les relents xénophobes répugnants de nombreux flics permettent aussi à tous les défenseurs de la « démocratie » et de « l’État de droit » de masquer à bon compte la terreur et la violence de plus en plus évidentes que l’État bourgeois et sa police exercent sur la société. Car le meurtre de Nahel témoigne d’une montée en puissance de la violence de l’État, d’une volonté à peine voilée de terroriser et réprimer face à la crise inexorable du capitalisme, face aux inévitables réactions de la classe ouvrière, comme aux risques d’explosion sociale (émeutes, pillages, etc.) qui ne vont cesser de se multiplier à l’avenir.
Si cette violence s’incarne de manière ordinaire par la mise au pas des exploités sur leur lieu de travail, par les humiliations constantes et la violence sociale assénées aux chômeurs et à toutes les victimes du capitalisme, elle s’exprime aussi dans le comportement de plus en plus violent d’une partie significative de la police, de la justice et de tout l’arsenal répressif de l’État, que ce soit au quotidien dans les « quartiers » ou contre les mouvements sociaux.
Depuis la loi de 2017, qui a allégé les conditions dans lesquelles la police pouvait tirer, le nombre de meurtres a été multiplié par cinq. Depuis cette loi adoptée par un gouvernement de gauche, celui de Hollande, les policiers ont la gâchette facile ! Parallèlement, la répression des mouvements sociaux n’a cessé de se renforcer ces dernières années, comme en témoigne le mouvement des gilets jaunes avec une multitude d’éborgnés, d’estropiés ou de blessés. Plus récemment, la lutte contre la réforme des retraites a vu un déchaînement terrible de la police symbolisé par les nombreuses agressions de la BRAV-M. Les opposants aux méga-bassines de Sainte-Soline ou les immigrés clandestins chassés de Mayotte ont également fait l’objet d’une répression ultra-violente. L’ONU a même condamné « le manque de retenue dans l’usage de la force », mais aussi la « rhétorique criminalisante » de l’État français.
Et pour cause ! L’arsenal des forces de l’ordre en France est un des plus fournis et dangereux d’Europe. L’usage croissant des grenades de désencerclement, des lacrymogènes ou des LBD, le recours aux chars anti-émeutes, etc., tendent à transformer les mouvements sociaux en véritables scènes de guerre, face à des personnes que les autorités n’hésitent plus à taxer sans vergogne de « criminels » ou de « terroristes ».
Les récentes émeutes ont encore été l’occasion pour la bourgeoisie d’exercer une répression féroce, avec l’envoi de 45 000 policiers, des unités d’élite de la BRI et du RAID, des blindées de la gendarmerie, des drones de surveillance, des chars anti-émeutes, des canons a eau, des hélicoptères… En 2005, les émeutes dans les banlieues avaient duré trois semaines parce que la bourgeoisie avait cherché à calmer le jeu en évitant un mort supplémentaire. Aujourd’hui, la bourgeoisie doit immédiatement s’imposer par la force et empêcher que la situation ne lui échappe. Face à des émeutes bien plus violentes et étendues qu’en 2005, elle cogne avec une force décuplée.
Plus la situation se dégrade, plus l’État, en France comme partout dans le monde, est en fait contraint de réagir par la force et une débauche de moyens répressifs. Mais l’usage de la violence physique et juridique (1) accentue paradoxalement le désordre et la barbarie que la bourgeoisie cherche à contenir. En lâchant, depuis des années, ses chiens contre les populations les plus précarisées, en multipliant les discours haineux et racistes au plus haut sommet de l’État et dans les médias, la bourgeoisie a créé les conditions-mêmes d’une immense explosion de colère et de violence aveugle. À l’avenir, il est certain que la répression brutale des émeutes qui ont secoué la France ces derniers jours, engendrera également, plus de violence et plus de chaos. Le gouvernement de Macron n’a fait que poser un couvercle sur un feu qui ne va cesser de couver.
Le meurtre de Nahel a fait déborder le vase. Une immense colère a explosé simultanément sur l’ensemble du territoire français, jusqu’en Belgique ou en Suisse. Partout se sont engagés des affrontements très violents avec les forces de l’ordre, notamment dans les grands centres urbains autour de Paris, Lyon ou Marseille. Partout, des bâtiments publics, des magasins, du mobilier urbain, des bus, des tramways, de nombreux véhicules ont été détruits par des émeutiers incontrôlables, parfois très jeunes, âgés seulement de 13 ou 14 ans. Des incendies ont ravagé des centres commerciaux, des mairies, des commissariats, mais aussi des écoles, des gymnases, des bibliothèques, etc. Les pillages se sont rapidement multipliés dans des boutiques ou des supermarchés, parfois pour quelques vêtements, d’autres fois pour de la nourriture.
Ces émeutes ont exprimé une véritable rage face aux comportements des flics, face à leur violence permanente, aux humiliations, au sentiment d’injustice, à l’impunité. Mais comment expliquer l’ampleur de ces violences et l’étendu de ce chaos, alors même que le gouvernement a initialement joué l’indignation après le meurtre de Nahel et promis des sanctions exemplaires ?
La mort tragique d’un adolescent a été l’élément déclencheur de ces émeutes, une étincelle, mais c’est le contexte d’approfondissement de la crise du capitalisme et toutes ses conséquences sur les populations les plus précarisées, les plus rejetées qui sont la véritable cause et le carburant de la révolte, qui sont à l’origine d’un malaise profond qui a fini par exploser. Contrairement aux déclarations de café du commerce de Macron et de sa clique rejetant la responsabilité sur les « jeux vidéos qui ont intoxiqués » les jeunes, ou sur les parents qui devraient asséner « deux claques » à leurs gamins, les jeunes de banlieue, déjà victime d’une discrimination chronique, sont frappés de plein fouet par la crise, par la marginalisation croissante, par une paupérisation extrême, par les phénomènes de débrouille individuelle les conduisant parfois à recourir aux trafics en tous genres. Bref, par l’abandon et l’absence de perspective.
Mais loin d’exercer une violence organisée et consciente de ses buts, les émeutes ont vu exploser la rage aveugle de jeunes sans boussole, qui agissent de manière désespérée et sans perspective. Les premières émeutes de banlieues sont apparues en France à peu près au début de la phase de décomposition du capitalisme : depuis celles de 1979 à Vaux-en-velin, près de Lyon, jusqu’à celles d’aujourd’hui. Comme nous l’avons déjà souligné par le passé, les émeutes ont en commun d’être une « expression du désespoir et du no future qu’il engendre et qui se manifeste par leur caractère totalement absurde. Il en est ainsi des émeutes qui ont embrasé les banlieues en France en novembre 2005 […]. Le fait que ce soit leur propre famille, leurs voisins ou leurs proches qui aient été les principales victimes des déprédations révèle le caractère totalement aveugle, désespéré et suicidaire de ce type d’émeutes. Ce sont, en effet, les voitures des ouvriers vivant dans ces quartiers qui ont été incendiées, des écoles ou des gymnases fréquentés par leurs frères, leurs sœurs ou les enfants de leurs voisins qui ont été détruits. Et c’est justement du fait de l’absurdité de ces émeutes que la bourgeoisie a pu les utiliser et les retourner contre la classe ouvrière ». (2)
Contrairement à 2005 où les émeutes étaient restées relativement confinées aux seules banlieues, comme celle de Clichy-sous-bois, les émeutes de ce début d’été 2023 touchent maintenant les centres urbains, le cœur des villes jusqu’ici protégés et même les petites agglomérations de provinces autrefois épargnées, comme Amboise, Pithivier ou Bourges, qui ont été vandalisées. L’exacerbation des tensions et le profond désespoir qui anime ses acteurs n’ont fait qu’accroître et amplifier ce phénomène.
Contrairement à tout ce que peuvent affirmer les partis de la gauche du Capital, trotskistes du NPA et anarchistes en tête, les émeutes ne sont pas un terrain favorable pour la lutte de classe, ni une expression de cette dernière, mais tout au contraire, un véritable danger. En effet, la bourgeoisie peut d’autant plus facilement instrumentaliser l’image de chaos renvoyée par les émeutes qu’elles font toujours des prolétaires les victimes collatérales :
– par les dégâts et destructions occasionnés qui pénalisent les jeunes eux-mêmes et leur voisinage ;
– par la stigmatisation des « banlieusards » présentés comme des « sauvages » à l’origine de tous les maux de la société ;
– par la répression qui trouve là un motif en or pour se renforcer contre tous les mouvements sociaux, et donc particulièrement contre les luttes ouvrières.
Ces émeutes permettent donc à la bourgeoisie de déchaîner toute une propagande pour couper davantage la classe ouvrière des jeunes de banlieue en révolte. Comme en 2005, « leur médiatisation à outrance a permis à la classe dominante de pousser un maximum d’ouvriers des quartiers populaires à considérer les jeunes émeutiers non pas comme des victimes du capitalisme en crise, mais comme des “voyous”. Elles ne pouvaient que venir saper toute réaction de solidarité de la classe ouvrière envers ces jeunes ». (3)
La bourgeoisie et les médias instrumentalisent ainsi très facilement les événements en favorisant les amalgames entre les émeutes et la lutte ouvrière, entre la violence aveugle et gratuite, les affrontements stériles avec les flics et ce qui relève de la lutte de classe consciente et organisée. En criminalisant l’un, elle peut déchaîner toujours plus de violence contre l’autre ! Ce n’est pas un hasard si pendant le mouvement contre la réforme des retraites, les images qui tournaient en boucle sur les chaînes de télévision du monde entier étaient les scènes d’affrontements avec la police, les violences et les feux de poubelles. Il s’agissait de tirer un trait d’égalité entre ces deux expressions de luttes sociales, de nature radicalement différente, pour tenter d’en donner l’image d’une continuité et d’un dangereux désordre. L’objectif était de gommer et d’empêcher les ouvriers de tirer les leçons de leurs propres luttes, de saboter la réflexion amorcée sur la question de l’identité de classe. Les émeutes en France ont été l’occasion parfaite pour renforcer cet amalgame.
La classe ouvrière possède ses propres méthodes de lutte qui s’opposent radicalement aux émeutes et aux simples révoltes urbaines. La lutte de classe n’a strictement rien à voir avec les destructions et la violence aveugles, les incendies, le sentiment de vengeance et les pillages qui n’offrent aucune perspective.
Bien qu’ils puissent se coordonner via les réseaux sociaux, leur démarche d’émeutiers est immédiate et purement individuelle, guidée par l’instinct des mouvements de foules, sans autre but que la vengeance et les destructions. La lutte de la classe ouvrière est aux antipodes de ces pratiques. Une classe dont les luttes s’inscrivent au contraire dans une tradition, dans un projet conscient, organisé, en vue du renversement de la société capitaliste à l’échelle mondiale. En ce sens, la classe ouvrière doit prendre garde de ne pas se laisser entraîner sur le terrain pourri des émeutes, sur la pente de la violence aveugle et gratuite et encore moins dans des affrontements stériles avec les forces de l’ordre, ce qui ne fait que justifier la répression.
Contrairement aux émeutes qui renforcent le bras armé de l’État, les combats ouvriers, lorsqu’ils sont unitaires et ascendant, permettent de faire reculer la répression. En Mai 1968, par exemple, face à la répression des étudiants, les mouvements massifs et l’unité des ouvriers avaient permis de limiter et de faire reculer la violence des flics. De même, lorsque les ouvriers Polonais s’étaient mobilisés en 1980 sur tout le territoire en moins de 48 heures, ils s’étaient protégés par leur unité et leur auto-organisation de la brutalité extrême de l’État « socialiste ». Ce n’est qu’au moment où ils ont remis leur combat dans les mains du syndicat Solidarnosc, lorsque ce dernier à repris le contrôle de la lutte, lorsque les ouvriers ont été ainsi divisés et dépossédés de la direction de la lutte, que la répression s’est abattue sauvagement.
La classe ouvrière doit rester prudente et sourde au danger que représente la violence aveugle, de façon à opposer sa propre violence de classe, la seule qui soit porteuse d’avenir.
WH, 3 juillet 2023
1) Après la répression policière, les milliers de jeunes arrêtés ont écopé de peines très lourdes au cours de procès expéditifs.
2) « Quelle différence entre les émeutes de la faim et les émeutes des banlieues ? », Révolution internationale n° 394 (2008).
3) Idem.
Le 23 mars dernier, à l’issue de la neuvième journée de mobilisation contre la réforme des retraites en France, des affrontements entre la police et des black blocs éclataient à l’arrivée de la manifestation parisienne, Place de l’Opéra, en plein cœur d’un quartier cossu de la capitale. Tout au long de la soirée, les chaînes de télévision en continu n’auront de cesse de montrer des vitrines brisées, des magasins vandalisés, des poubelles en flammes…
Le lendemain, ces mêmes médias relayaient la crainte des riverains et des commerçants : « Tout a brûlé, la marchandise a fondu… C’est la première fois que ça m’arrive. D’habitude, les manifestations ne se terminent pas ici donc on est un peu épargnés », réagissait la gérante apeurée d’un kiosque à journaux. En décidant de terminer la manifestation dans un endroit exigu, au cœur de Paris, en pleins travaux, la préfecture de police et le gouvernement plantaient le décor pour que la violence éclate. Et ce avec le consentement total des syndicats qui ne se sont à aucun moment opposés à ce choix !
Une semaine avant, le 16 mars, la réforme des retraites avait été adoptée au forceps par un subterfuge constitutionnel, l’article 49.3. Ce « passage en force », ce « déni de démocratie », aux dires des partis d’opposition et des syndicats, n’a pas fait baisser la colère et la mobilisation. Bien au contraire, le soir même, des manifestations s’organisaient un peu partout. À Paris, ordre était donné de disperser brutalement les 5 000 personnes rassemblées Place de la Concorde sans le moindre danger pour « l’ordre public ».
Dans les jours qui ont suivi, des manifestations, « non déclarées » par les syndicats, éclataient tous les soirs dans de nombreuses villes, en particulier dans les rues de Paris. Les rassemblements se déroulant dans le calme jusqu’à ce que la situation dégénère en affrontements entre une partie des manifestants et la police. Les vidéos et les photos de poubelles ou de bâtiments publics incendiés ont fait le tour du monde, présentant la lutte menée par la classe ouvrière en France comme de vulgaires émeutes générant chaos et anarchie. De son côté, Macron et ses ministres, loin de vouloir apaiser les choses, n’ont eu de cesse de jeter de l’huile sur le feu en dénonçant « la foule sans légitimité », la « bordélisation » et les « factieux ».
Malgré les risques de dérapage, cette situation fut donc largement cultivée et exploitée par le gouvernement et les forces de l’ordre pour légitimer la terreur de l’État, à l’image des fameuses Brigades de répression de l’action violente motorisée (BRAV-M) agressant toute personne se trouvant sur leur passage, roulant même carrément en moto sur des manifestants jetés au sol. Comme d’habitude, tous les chiens de garde de l’ordre capitaliste (médias, commentateurs et intellectuels aux ordres) ont voulu faire croire aux dérapages de quelques flics, aux fameuses « bavures ». Mais la simultanéité de la répression partout en France, n’était absolument pas un hasard. Il s’agissait d’une politique totalement délibérée de la part du gouvernement et de tous les porte-flingues de l’État policier. L’objectif était simple et c’est même un classique :
– entraîner les jeunes les plus en colère dans un affrontement stérile avec les forces de l’ordre ;
– faire peur à la majorité des manifestants, les décourager de venir dans la rue ;
– empêcher toute possibilité de discussion, en pourrissant systématiquement les fins de manifestations, moment habituellement propice aux rassemblements et aux débats ;
– rendre impopulaire le mouvement en faisant croire que toute lutte sociale dégénère automatiquement en violence aveugle et en chaos, alors que le pouvoir serait le garant de l’ordre et de la paix.
L’État et son gouvernement ont donc joué à fond la carte de « l’escalade de la violence ». D’ailleurs, la confirmation de cette stratégie est venue tout droit de la bouche d’un ancien grand serviteur de l’ordre bourgeois, Jean-Louis Debré : « Pourquoi, par exemple, a-t-on accepté de laisser se terminer une manifestation à Opéra, très près des ministères et de l’Élysée, sachant que le quartier est plein de petites rues. Pourquoi, ce jour-là, n’a-t-on pas fait le ménage pour enlever les poubelles ? Comme si on avait voulu que ça dérape un peu. […] Dans quelle mesure ce pouvoir veut refaire le coup de 1968, incarner l’ordre public face au désordre ». Ces interrogations faussement naïves de la part de l’ancien ministre de l’Intérieur à l’époque du mouvement de grève contre la réforme des retraites de 1995, ne font que soulever le voile, certes peu opaque, de la provocation fomentée par le pouvoir. En organisant le désordre, Macron et ses sbires misaient sur le retournement d’une partie de l’opinion en faveur du retour à l’ordre social.
Le parallèle effectué par Jean-Louis Debré avec le mouvement de Mai 68 montre également que ce gouvernement n’a rien inventé. Les provocations policières ne sont pas nouvelles et le « parti de l’ordre » à une vieille histoire ! Lors du mouvement de Mai 68, des milices gaullistes ou des policiers en civil infiltraient délibérément les manifestations pour « attiser le feu » et faire peur à la population. Des agents provocateurs poussaient les étudiants à commettre des actions violentes. Les images chocs des voitures incendiées, des vitrines brisées, des jets de pavés contre les CRS, contribuèrent à galvaniser le « peuple de la trouille » et retourner une partie de l’opinion. Les barricades et les violences allaient devenir un des éléments de la reprise en main de la situation par les différentes forces de la bourgeoisie, le gouvernement et les syndicats, en sapant la très grande sympathie acquise dans un premier temps par les étudiants dans l’ensemble de la population et notamment dans la classe ouvrière.
En 2006, lors du mouvement contre le CPE, la bourgeoisie française avait utilisé ces mêmes procédés perfides pour saboter la lutte. À plusieurs reprises, l’État avait délibérément laissé agir les bandes de « lascars » des banlieues, venus « casser du flic et des vitrines ». Lors de la manifestation du 23 mars 2006, c’est même avec la bénédiction des forces de police que des « casseurs » s’en prirent aux manifestants eux-mêmes pour les dépouiller et les tabasser sans raison. Mais les étudiants étaient parvenus à déjouer ce piège en nommant des délégations à plusieurs endroits chargées d’aller discuter avec les jeunes des quartiers défavorisés, notamment pour leur expliquer que la lutte des étudiants et des lycéens était aussi en faveur de ces jeunes plongés dans le désespoir du chômage massif et de l’exclusion. (1)
Déjà au XIXᵉ siècle, la classe ouvrière a dû faire l’expérience de ces procédés vils et sournois visant à torpiller et à mater les luttes. Comme a pu le démontrer Marx dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, la terrible répression du prolétariat parisien par les troupes de Cavaignac, lors des journées de juin 1848, avait également contribué à apeurer le bourgeois, le prêtre et l’épicier qui tous souhaitaient ardemment le retour à l’ordre par tous les moyens !
Dans les zones industrielles des États-Unis à la fin du XIXᵉ siècle, le patronat s’était doté d’entreprises privées spécialisées dans la fourniture de briseurs de grèves, d’espions, de provocateurs et même de tueurs. Les massacres que ces derniers perpétraient contre la classe ouvrière permettait également de retourner « l’opinion » en faveur d’un retour à l’ordre. Tout ça avec l’aval de l’État fédéral. (2)
La mobilisation écologiste contre le projet de méga-bassine le samedi 25 mars à Sainte-Soline a constitué une nouvelle occasion d’utiliser laa stratégie de l’escalade de la violence. Ce jour-là, plusieurs milliers de personnes se sont rassemblés en pleine campagne, au milieu de grands champs ouverts, pour protester contre la mise en place de méga-bassines destinées à servir de réserve d’eau à l’agriculture intensive. La situation a dégénéré très vite en une véritable bataille rangée entre flics et manifestants, filmée toute la journée par les chaînes d’info en continu. Deux personnes finiront entre la vie et la mort.
Les choses auraient pu se passer tout autrement. Quel intérêt pouvaient avoir gendarmes et policiers de venir charger des milliers de personnes rassemblées dans un champ troué de grandes piscines ? Rien ! Sinon allumer une nouvelle mèche pour que le feu de la violence se propage. Le grand bourgeois Jean-Louis Debré, une nouvelle fois, n’en pense pas moins : « Pourquoi n’a-t-on pas fouillé les gens en amont ? Est-ce qu’il y a eu une volonté de laisser faire un certain désordre, pour mieux incarner l’ordre ensuite ? ».
Le soir même, Darmanin pouvait dénoncer « l’extrême violence », le « terrorisme » de « l’ultra-gauche » « pour casser du flic ». Tout comme il l’avait fait déjà, quelques-jours avant, au soir de la manifestation du 23 mars.
Là encore, cette campagne n’a rien de fortuit. L’ultra-gauche est une notion étrangère au camp prolétarien et révolutionnaire. (3) C’est en revanche un terme fourre-tout, forgé par la bourgeoisie, lui permettant d’amalgamer les authentiques organisations révolutionnaires de la Gauche communiste avec des intellectuels modernistes, des anarchistes radicaux mais surtout des groupuscules « anti-État » faisant l’apologie de la violence aveugle. Ces derniers étant, d’ailleurs, infiltrés et manipulés par les flics. Par conséquent, les black blocs ou encore les « zadistes » sont les idiots utiles de l’État policier permettant à celui-ci de justifier le renforcement de l’arsenal judiciaire et répressif. C’est ce qui s’est d’ailleurs produit dernièrement avec la validation d’un décret autorisant l’usage de drones équipés de caméra lors des manifestations.
Mais au-delà de ça, l’agitation du chiffon de l’ultra-gauche permet surtout de préparer le terrain à la criminalisation des organisations révolutionnaires à l’avenir. La bourgeoisie reprend ici peu ou prou les mêmes procédés utilisés dans les années 1970 dans les gigantesques campagnes anti-terroristes suite aux affaires Schleyer en Allemagne et Aldo Moro en Italie ayant servi de prétexte à l’État pour renforcer son appareil de contrôle et de répression contre la classe ouvrière. Il a été démontré par la suite que la bande à Baader et les Brigades Rouges avaient été infiltrées respectivement par les services secrets de l’Allemagne de l’Est, la Stasi, et les services secrets de l’État italien. Ces groupuscules terroristes n’étaient en réalité rien d’autre que les instruments des rivalités entre cliques bourgeoises.
Déjà au XIXᵉ siècle les actions terroristes des anarchistes avaient été utilisées par la bourgeoisie pour renforcer sa terreur d’État contre la classe ouvrière. On peut rappeler par exemple les « lois scélérates » votées par la bourgeoisie française suite à l’attentat terroriste de l’anarchiste Auguste Vaillant qui, le 9 décembre 1893, avait lancé une bombe dans l’hémicycle de la Chambre des Députés, faisant une quarantaine de blessés. Cet attentat avait été manipulé par l’État lui-même. En effet, Vaillant avait été contacté par un agent du Ministère de l’Intérieur qui, s’étant fait passer pour un anarchiste, lui avait prêté de l’argent et expliqué comment fabriquer une bombe artisanale (avec une marmite et des clous) à la fois fracassante et pas trop meurtrière. (4) C’est également par le même procédé, que le gouvernement prussien était parvenu à faire voter les lois anti-socialistes en 1878, plongeant la social-démocratie en Allemagne dans la clandestinité.
En 1925, Victor Serge publiait : Ce que tout révolutionnaire devrait savoir sur la répression. Cette brochure, rédigée sur la base des archives de la police tsariste (l’Okhrana) tombées entre les mains de la classe ouvrière au lendemain de la Révolution d’Octobre, avait permis de faire connaître à l’ensemble de la classe ouvrière les méthodes et les procédés policiers utilisés contre les révolutionnaires durant des années. Serge mettait également en évidence la coopération étroite de toutes les polices d’Europe dans l’espionnage, la provocation, la calomnie et la répression contre le mouvement révolutionnaire de l’époque. Un siècle après, il serait naïf de considérer que ces procédés auraient été jetés au magasin des accessoires oubliés. Bien au contraire, la terreur de l’État bourgeois est vouée à se reproduire et à se perfectionner sans cesse et à s’étendre à tous les rapports existants au sein de la société.
Le prolétariat devra tirer les leçons de toutes ces expériences liées à la répression. Il devra se rappeler que derrière le masque démocratique que prend l’État bourgeois au quotidien se cache le vrai visage d’un bourreau sanguinaire qui se réveille brutalement à chaque fois que son ordre est menacé par les exploités.
Vincent,16 juin 2023
1) Cf. « Thèses sur le mouvement des étudiants en France », Revue internationale n° 125 (2006).
2) Bernard Thomas, Les provocations policières (1972).
3) Pour plus de précisions voir :
– « A propos du livre de Bourseiller “Histoire générale de l’ultra-gauche” : La bourgeoisie relance sa campagne sur la mort du communisme », Révolution internationale n° 344 (2004).
– « Nouvelles attaques contre la Gauche communiste : Bourseiller réinvente “la complexe histoire des Gauches communistes”) », Révolution internationale n° 488 et 489 (2021).
4) Bernard Thomas, op.cit..
Depuis samedi, un déluge de feu et d’acier s’abat sur les populations vivant en Israël et à Gaza. D’un côté, le Hamas. De l’autre, l’armée israélienne. Au milieu, des civils qui se font bombarder, fusiller, exécuter, prendre en otage. Les morts se comptent déjà par milliers.
Partout dans le monde, les bourgeoisies nous appellent à choisir un camp. Pour la résistance palestinienne face à l’oppression israélienne. Ou pour la riposte israélienne face au terrorisme palestinien. Chacun dénonce la barbarie de l’autre pour justifier la guerre. L’État israélien opprime les populations palestiniennes depuis des décennies, à coup de blocus, de harcèlement, de check-points et d’humiliation : alors, la vengeance serait légitime. Les organisations palestiniennes tuent des innocents à coup d’attentats, au couteau ou à la bombe : alors, la répression serait nécessaire. Chaque camp appelle à faire couler le sang de l’autre.
Cette logique de mort, c’est celle de la guerre impérialiste ! Ce sont nos exploiteurs et leurs États qui toujours se livrent une guerre impitoyable pour la défense de leurs propres intérêts. Et c’est nous, la classe ouvrière, les exploités, qui en payons toujours le prix, celui de notre vie.
Pour nous, prolétaires, il n’y a aucun camp à choisir, nous n’avons pas de patrie, pas de nation à défendre ! De chaque côté des frontières, nous sommes des frères de classe ! Ni Israël, ni Palestine !
Le XXe siècle a été un siècle de guerres, les guerres les plus atroces de l’histoire humaine, et jamais aucune d’entre elles n’a servi les intérêts des ouvriers. Ces derniers ont toujours été appelés à aller se faire tuer par millions pour les intérêts de leurs exploiteurs, au nom de la défense de « la patrie », de « la civilisation », de « la démocratie », voire de « la patrie socialiste » (comme certains présentaient l’URSS de Staline et du goulag).
Aujourd’hui, il y a une nouvelle guerre au Moyen-Orient. De chaque côté, les cliques dirigeantes appellent les exploités à « défendre la patrie », qu’elle soit juive ou palestinienne. Ces ouvriers juifs qui en Israël sont exploités par des capitalistes juifs, ces ouvriers palestiniens qui sont exploités par des capitalistes juifs ou par des capitalistes arabes (et souvent de façon bien plus féroce que par les capitalistes juifs puisque, dans les entreprises palestiniennes, le droit du travail est encore celui de l’ancien empire ottoman).
Les ouvriers juifs ont déjà payé un lourd tribut à la folie guerrière de la bourgeoisie au cours des cinq guerres qu’ils ont subies depuis 1948. Sitôt sortis des camps de concentration et des ghettos d’une Europe ravagée par la guerre mondiale, les grands-parents de ceux qui aujourd’hui portent l’uniforme de Tsahal avaient été entraînés dans la guerre entre Israël et les pays arabes. Puis leurs parents avaient payé le prix du sang dans les guerres de 67, 73 et 82. Ces soldats ne sont pas d’affreuses brutes qui ne pensent qu’à tuer des enfants palestiniens. Ce sont de jeunes appelés, ouvriers pour la plupart, crevant de trouille et de dégoût qu’on oblige à faire la police et dont on bourre le crâne sur la « barbarie » des Arabes.
Les ouvriers palestiniens aussi ont déjà payé de façon horrible le prix du sang. Chassés de chez eux en 1948 par la guerre voulue par leurs dirigeants, ils ont passé la plus grande partie de leur vie dans des camps de concentration, enrôlés de gré ou de force à l’adolescence dans les milices du Fatah, du FPLP ou du Hamas.
Leurs plus grands massacreurs ne sont d’ailleurs pas les armées d’Israël mais celles des pays où ils étaient parqués, comme la Jordanie et le Liban : en septembre 1970 (le « septembre noir »), le « petit roi » Hussein les extermine en masse, au point que certains d’entre eux vont se réfugier en Israël pour échapper à la mort. En septembre 1982, ce sont des milices arabes (certes chrétiennes et alliées à Israël) qui les massacrent dans les camps de Sabra et Chatila, à Beyrouth.
Aujourd’hui, au nom de la « Patrie palestinienne », on veut mobiliser à nouveau les ouvriers arabes contre les Israéliens, c’est-à-dire, en majorité, des ouvriers israéliens, de même qu’on demande à ces derniers de se faire tuer pour la défense de la « terre promise ».
Des deux côtés coulent de façon répugnante les flots de propagande nationaliste, une propagande abrutissante destinée à transformer des êtres humains en bêtes féroces. Les bourgeoisies israélienne et arabe n’ont cessé de l’attiser depuis plus d’un demi-siècle. Aux ouvriers israéliens et arabes, on n’a cessé de répéter qu’ils devaient défendre la terre de leurs ancêtres. Chez les premiers, on a développé, à travers une militarisation systématique de la société, une psychose d’encerclement afin d’en faire de « bons soldats ». Chez les seconds, on a ancré le désir d’en découdre avec Israël afin de retrouver un foyer. Et pour ce faire, les dirigeants des pays arabes dans lesquels ils étaient réfugiés les ont maintenus pendant des dizaines d’années dans des camps de concentration, avec des conditions de vie insupportables.
Le nationalisme est une des pires idéologies que la bourgeoisie ait inventées. C’est l’idéologie qui lui permet de masquer l’antagonisme entre exploiteurs et exploités, de les rassembler tous derrière un même drapeau pour lequel les exploités vont se faire tuer au service des exploiteurs, pour la défense des intérêts de classe et des privilèges de ces derniers.
Pour couronner le tout, s’ajoute à cette guerre le poison de la propagande religieuse, celle qui permet de créer les fanatismes les plus déments. Les juifs sont appelés à défendre avec leur sang le mur des lamentations du Temple de Salomon. Les musulmans doivent donner leur vie pour la mosquée d’Omar et les lieux saints de l’Islam. Ce qui se passe aujourd’hui en Israël et en Palestine confirme bien que la religion est « l’opium du peuple » comme le disaient les révolutionnaires dès le XIXe siècle. La religion a pour but de consoler les exploités et les opprimés. À ceux pour qui la vie sur terre est un enfer, on raconte qu’ils seront heureux après leur mort à condition qu’ils sachent gagner leur salut. Et ce salut, on leur échange contre les sacrifices, la soumission, voire contre l’abandon de leur vie au service de la « guerre sainte ».
Qu’en ce début du XXIe siècle, les idéologies et les superstitions remontant à l’Antiquité ou au Moyen Âge soient encore abondamment agitées pour entraîner des êtres humains au sacrifice de leur vie en dit long sur l’état de barbarie dans lequel replonge le Moyen-Orient, en même temps que beaucoup d’autres parties du monde.
Ce sont les dirigeants des grandes puissances qui ont créé la situation infernale dans laquelle meurent aujourd’hui par milliers les exploités de cette région. Ce sont les bourgeoisies européennes, et particulièrement la bourgeoisie anglaise avec sa « déclaration Balfour » de 1917, qui, afin de diviser pour mieux régner, ont permis la constitution d’un « foyer juif » en Palestine, favorisant ainsi les utopies chauvines du sionisme. Ce sont ces mêmes bourgeoisies qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qu’elles venaient de remporter, se sont arrangées pour acheminer vers la Palestine des centaines de milliers de juifs d’Europe centrale sortis des camps ou errant loin de leur région d’origine. Cela leur permettait de n’avoir pas à les recueillir dans leur pays.
Ce sont ces mêmes bourgeoisies, anglaise et française d’abord, puis la bourgeoisie américaine qui ont armé jusqu’aux dents l’État d’Israël afin de lui attribuer le rôle de fer de lance du bloc occidental dans cette région pendant la guerre froide, alors que l’URSS, de son côté, armait le plus possible ses alliés arabes. Sans ces grands « parrains », les guerres de 1956, 67, 73 et 82 n’auraient pas pu avoir lieu.
Aujourd’hui, les bourgeoisies du Liban, d’Iran, probablement de Russie, arment et poussent le Hamas. Les États-Unis viennent d’envoyer leur plus grand porte-avion en méditerranée et ont annoncé de nouvelles livraisons d’armes en faveur d’Israël. En fait, toutes les grandes puissances participent plus ou moins directement à cette guerre et ces massacres !
Cette nouvelle guerre risque de plonger tout le Moyen-Orient dans le chaos ! Il ne s’agit pas d’un énième affrontement sanguinaire qui endeuille à nouveau ce coin du monde. L’ampleur des tueries dénote en elle-même que la barbarie a franchi un nouveau cap : des jeunes en train de danser fauchés à la mitraillette, des femmes et des enfants exécutés en pleine rue à bout portant, sans aucun autre objectif qu’assouvir un désir de vengeance aveugle, un tapis de bombes pour annihiler toute une population, deux millions de personnes privés de tout, d’eau, d’électricité, de gaz, de nourriture… Il n’y a aucune logique militaire à toutes ces exactions, à tous ces crimes ! Les deux camps se vautrent dans la fureur meurtrière la plus effroyable et la plus irrationnelle !
Mais il y a plus grave encore, cette boîte de pandore ne se refermera plus. Comme avec l’Irak, comme avec l’Afghanistan, comme avec la Syrie, comme avec la Libye, il n’y aura pas de retour en arrière possible, pas de « retour à la paix ». Le capitalisme entraîne des parties de plus en plus larges de l’humanité dans la guerre, la mort et la décomposition de la société. La guerre en Ukraine dure déjà depuis bientôt deux ans et s’enlise dans un carnage sans fin. Dans le Haut-Karabagh, des massacres aussi sont en cours. Et déjà, un nouveau foyer de guerre menace entre les nations de l’ex-Yougoslavie. Le capitalisme, c’est la guerre !
Les ouvriers de tous les pays doivent refuser de prendre parti pour un camp bourgeois ou pour un autre. En particulier, ils doivent refuser de se laisser berner par les discours des partis qui se réclament de la classe ouvrière, les partis de gauche et d’extrême gauche qui leur demandent de manifester leur « solidarité avec les masses palestiniennes » en quête de leur droit à une « patrie ». La patrie palestinienne ne sera jamais qu’un État bourgeois au service de la classe exploiteuse et opprimant ces mêmes masses, avec des flics et des prisons. La solidarité des ouvriers des pays capitalistes les plus avancés ne va pas aux « palestiniens » comme elle ne va pas aux « israéliens », parmi lesquels on trouve des exploiteurs et des exploités. Elle va aux ouvriers et chômeurs d’Israël et de Palestine (qui d’ailleurs ont déjà mené des luttes contre leurs exploiteurs malgré tout le bourrage de crâne dont ils sont victimes), comme elle va aux ouvriers de tous les autres pays du monde. La meilleure solidarité qu’ils puissent leur apporter ne consiste certainement pas à encourager leurs illusions nationalistes.
Cette solidarité passe avant tout par le développement de leur combat contre le système capitaliste responsable de toutes les guerres, un combat contre leur propre bourgeoisie.
La paix, la classe ouvrière devra la conquérir en renversant le capitalisme à l’échelle mondiale, ce qui passe aujourd’hui par un développement de ses luttes sur un terrain de classe, contre les attaques économiques de plus en plus dures que lui assène un système plongé dans une crise insurmontable.
Contre le nationalisme, contre les guerres dans lesquelles veulent vous entraîner vos exploiteurs : Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
CCI, 9 octobre 2023
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« Nous devons dire que trop, c’est trop ! Pas seulement nous, mais l’ensemble de la classe ouvrière de ce pays doit dire, à un moment donné, que trop, c’est trop ! » (Littlejohn, chef de maintenance dans les métiers spécialisés à l’usine d’emboutissage Ford de Buffalo aux États-Unis).
Cet ouvrier américain résume en une phrase ce qui est en train de mûrir dans la conscience de toute la classe ouvrière, dans tous les pays. Il y a un an, éclatait « L’été de la colère » au Royaume-Uni. En scandant « Enough is enough » (« trop, c’est trop »), les travailleurs britanniques sonnaient la reprise du combat après plus de trente ans d’atonie et de résignation.
Cet appel a été entendu au-delà des frontières. De la Grèce au Mexique, contre la même dégradation insupportable de nos conditions de vie et de travail, les grèves et les manifestations se sont développées durant toute la fin de l’année 2022 et le début de l’année 2023.
Au milieu de l’hiver, en France, un pas supplémentaire a été franchi : les prolétaires ont repris cette idée qu’ « à un moment donné, ça suffit ! ». Mais au lieu de multiplier les luttes locales et corporatistes, isolées les unes des autres, ils ont su se rassembler par millions dans la rue. À la nécessaire combativité s’ajoutait donc la force de la massivité. Et maintenant, c’est aux États-Unis que les travailleurs tentent de porter un peu plus loin le flambeau de la lutte.
Un vrai black-out médiatique entoure le mouvement social qui embrase actuellement la première puissance économique mondiale. Et pour cause : dans ce pays ravagé depuis des décennies par la pauvreté, la violence, la drogue, le racisme, la peur et l’individualisme, ces luttes montrent qu’un tout autre chemin est possible.
Au cœur de toutes ces grèves brille un véritable élan de solidarité ouvrière : « Nous en avons tous assez : les intérimaires en ont assez, les employés de longue date comme moi, nous en avons assez… parce que ces intérimaires sont nos enfants, nos voisins, nos amis » (le même employé New-Yorkais). Voici comment les ouvriers se serrent les coudes, entre générations : les « vieux » ne sont pas en grève seulement pour eux-mêmes, mais avant tout pour les « jeunes » qui subissent des conditions de travail encore plus dégradées et des salaires encore plus bas.
Un sentiment de solidarité grandit progressivement dans la classe ouvrière au fur et à mesure que nous comprenons que nous sommes « tous dans le même bateau » : « Tous ces groupes ne sont pas simplement des mouvements séparés, mais un cri de ralliement collectif : nous sommes une ville de travailleurs – cols-bleus et cols-blancs, syndiqués et non-syndiqués, immigrés et nés ici » (Los Angeles Times).
Les grèves actuelles aux États-Unis rassemblent d’ailleurs bien au-delà des seuls secteurs mobilisés. « Le complexe Stellantis de Toledo, dans l’Ohio, a été envahi par les acclamations et les klaxons au début de la grève » (The Wall Street Journal). « Des klaxons soutiennent les grévistes devant l’usine du constructeur automobile à Wayne, dans le Michigan » (The Guardian).
La vague de grèves actuelle a une importance historique :
– les scénaristes et les acteurs, à Hollywood, ont lutté ensemble pour la première fois depuis 63 ans ;
– les infirmières du privé, au Minnesota et au Wisconsin, ont mené la plus grande grève de leur histoire ;
– les travailleurs des services municipaux de Los Angeles se sont mis en grève pour la première fois depuis 40 ans ;
– les ouvriers des « Big Three » (General Motors, Ford, Chrysler) mènent une lutte commune inédite ;
– les travailleurs de Kaiser Permanente, en grève dans plusieurs États, ont mené la plus grande manifestation jamais organisée dans le secteur de la santé.
Nous pourrions encore ajouter les multiples grèves de ces dernières semaines chez Starbucks, Amazon et McDonald’s, dans les usines de l’aviation et du ferroviaire, ou celle qui s’est progressivement étendue à tous les hôtels en Californie… autant d’ouvriers qui se battent pour un salaire digne, face à une inflation galopante qui les réduit à la misère.
Par toutes ces grèves, le prolétariat américain montre qu’il est aussi possible aux travailleurs du secteur privé de lutter. En Europe, jusqu’à maintenant, c’est très majoritairement les agents du public qui se sont mobilisés, la peur de perdre son emploi étant un frein décisif pour les salariés des entreprises du privé. Mais, face aux conditions d’exploitation de plus en plus insoutenables, nous allons tous être poussés à la lutte. L’avenir appartient à la lutte de classe dans tous les secteurs, ensemble et unis !
La colère monte à nouveau en Europe, en Asie et même en Océanie. La Chine, la Corée et l’Australie connaissent elles-aussi, depuis cet été, une succession de grèves. En Grèce, fin septembre, un mouvement social a rassemblé le secteur des transports, de l’éducation, de la santé contre un projet de réforme du travail pour flexibiliser l’emploi. Le 13 octobre marque le retour des manifestations en France, sur la question des salaires. En Espagne aussi, un vent de colère commence à souffler : les 17 et 19 octobre, grèves dans l’enseignement privé ; le 24 octobre, grève dans l’enseignement public ; le 25 octobre, grève de l’ensemble du secteur public basque ; le 28 octobre, manifestation des retraités, etc. Face à ces prévisions de luttes, la presse espagnole commence à anticiper « un nouvel automne chaud ».
Cette liste n’indique pas seulement le niveau grandissant du mécontentement et de la combativité de notre classe. Elle révèle aussi la plus grande faiblesse actuelle de notre mouvement : malgré la solidarité grandissante, nos luttes restent séparées les unes des autres. Nos grèves peuvent se dérouler en même temps, nous pouvons même être côte à côte, parfois dans la rue, mais nous ne luttons pas véritablement ensemble. Nous ne sommes pas unis, nous ne sommes pas organisés en une seule et même force sociale, dans une seule et même lutte.
La vague de grèves en cours aux États-Unis en est une nouvelle démonstration flagrante. Lors du lancement du mouvement dans les « Big Three », la grève a été limitée à trois usines « désignées » : à Wentzville (Missouri) pour GM, à Toledo (Ohio) pour Chrysler, et à Wayne (Michigan) pour Ford. Ces trois usines sont séparées de plusieurs milliers de kilomètres, rendant ainsi impossible pour les ouvriers de se rassembler et lutter véritablement ensemble.
Pourquoi cet éparpillement ? Qui organise cette fragmentation ? Qui encadre officiellement ces ouvriers ? Qui organise les mouvements sociaux ? Qui sont les « spécialistes de la lutte », les représentants légaux des travailleurs ? Les syndicats ! Aux quatre coins du monde, on les retrouve à éparpiller la riposte ouvrière.
C’est bien l’UAW, l’un des principaux syndicats des États-Unis, qui a « désigné » ces trois usines ! C’est bien l’UAW qui, tout en appelant faussement un mouvement « fort, uni et massif », limite volontairement la grève à seulement 10 % du personnel syndiqué alors que tous les ouvriers clament haut et fort leur volonté de mener une grève totale. Quand les travailleurs de Mack Truck (camions Volvo) ont tenté de rejoindre les « Big Three » dans leur lutte, qu’ont fait les syndicats ? Ils se sont empressés de signer un accord pour mettre fin à la grève ! À Hollywood, alors que la grève des acteurs et des scénaristes durait depuis des mois, un accord patron/syndicat a été signé au moment même où les travailleurs de l’automobile rejoignaient le mouvement.
Même en France, lors des manifestations qui rassemblent des millions de personnes dans la rue, les syndicats saucissonnent les cortèges en faisant défiler « leurs » syndiqués regroupés par corporation, non pas ensemble mais les uns derrière les autres, empêchant tout rassemblement et toute discussion.
Aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France, en Espagne, en Grèce, en Australie et dans tous les pays, pour arrêter cette division organisée, pour être réellement unis, pour pouvoir aller les uns vers les autres, nous entraîner mutuellement, étendre notre mouvement, nous devons arracher le contrôle des luttes des mains des syndicats. Ce sont nos luttes, celles de toute la classe ouvrière !
Partout où nous le pouvons, nous devons nous rassembler au sein d’assemblées générales ouvertes et massives, autonomes, décidant réellement de la conduite du mouvement. Des assemblées générales dans lesquelles nous discutons le plus largement possible sur les besoins généraux de la lutte, sur les revendications les plus unificatrices. Des assemblées générales depuis lesquelles nous pouvons partir en délégations massives à la rencontre de nos frères de classe, les travailleurs de l’usine, de l’hôpital, de l’établissement scolaire, de l’administration les plus proches.
Face à l’appauvrissement, face au réchauffement climatique, face aux violences policières, face au racisme, face aux violences faites aux femmes… il existe depuis quelques années d’autres types de réactions : les manifestations des « gilets jaunes » en France, les rassemblements écologistes comme « Youth for climate », les protestations pour l’égalité comme « Black Lives Matter » ou « MeToo », ou les cris de rage comme lors des émeutes aux États-Unis, en France ou au Royaume-Uni.
Seulement, toutes ces actions visent à imposer un capitalisme plus juste, plus équitable, plus humain, plus vert. C’est pourquoi toutes ces réactions sont si facilement récupérables par les États et les bourgeoisies, qui n’hésitent pas à soutenir tous les « mouvements citoyens ». D’ailleurs, les syndicats et tous les politiques font tout ce qu’ils peuvent pour limiter les revendications ouvrières au strict cadre du capitalisme en mettant en avant la nécessité d’une meilleure répartition des richesses entre patronat et salariés. « Maintenant que l’industrie reprend du poil de la bête, [les travailleurs] devraient participer aux bénéfices » a même déclaré Biden, premier Président américain à s’être retrouvé sur un piquet de grève.
Mais en luttant contre les effets de la crise économique, contre les attaques orchestrées par les États, contre les sacrifices imposés par le développement de l’économie de guerre, le prolétariat se dresse, non comme citoyens réclamant des « droits » et la « justice », mais comme exploités contre ses exploiteurs et, à terme, en tant que classe contre le système lui-même. C’est pourquoi, la dynamique internationale de la lutte de la classe ouvrière porte en elle le germe d’une remise en cause fondamentale de tout le capitalisme.
En Grèce, lors de la journée d’action du 21 septembre contre la réforme du travail, des manifestants ont fait le lien entre cette attaque et les catastrophes « naturelles » qui ont ravagé le pays cet été. D’un côté, le capitalisme détruit la planète, pollue, aggrave encore et encore le réchauffement climatique, déforeste, assèche les terres, engendre inondations et incendies. De l’autre, il supprime les emplois qui entretenaient la nature et protégeaient les hommes, préfère construire des avions de guerre plutôt que des canadairs.
Au-delà de la lutte contre la dégradation de ses conditions de vie et de travail, la classe ouvrière est en train de mener une réflexion bien plus large sur ce système et son avenir. Il y a quelques mois, dans les manifestations en France, on a commencé à lire sur quelques pancartes le refus de la guerre, le refus de se serrer la ceinture au nom de cette économie de guerre : « Pas de sous pour la guerre, pas de sous pour les armes, des sous pour les salaires, des sous pour les retraites ».
Crise économique, crise écologique, barbarie guerrière… autant de symptômes de la dynamique mortifère du capitalisme mondial. Le déluge de bombes et de balles qui est en train de s’abattre sur les populations d’Israël et de Gaza, au moment même où nous écrivons ces lignes, alors que se poursuivent les massacres en Ukraine, est une énième illustration de cette spirale infernale dans laquelle le capitalisme enfonce la société et qui menace la vie de toute l’humanité !
À travers les grèves de plus en plus nombreuses, on voit que deux mondes s’affrontent : celui de la bourgeoisie fait de concurrence et de barbarie, et celui de la classe ouvrière empreint de solidarité et d’espoir. Telle est la signification profonde de nos luttes actuelles et à venir : la promesse d’un autre avenir, sans exploitation ni classe sociale, sans guerre ni frontière, sans destruction de la planète ni recherche de profit.
CCI, 8 octobre 2023
Contrairement aux gauchistes et aux éléments excités de la petite-bourgeoisie qui voient le spectre de la révolution sociale derrière « tout ce qui bouge », les révolutionnaires, pour mener une intervention lucide, doivent se doter d’une boussole, d’une méthode que leur a enseigné le marxisme, en s’appuyant sur les expériences de l’histoire du mouvement ouvrier depuis près de deux siècles. C’est justement cette méthode qui seule peut leur permettre de comprendre et intervenir dans les luttes de la classe ouvrière avec une vision historique et à long terme, afin de ne pas tomber dans le piège de l’impatience, de l’attente de résultats immédiats et ainsi de se retrouver à la remorque des officines de l’extrême-gauche du capital ou encore du syndicalisme de base.
Au cours de l’été 2022, le CCI a analysé l’éclatement des luttes au Royaume-Uni non pas comme un simple événement local mais bien comme un phénomène de portée internationale et historique. La reprise des luttes ouvrières, d’une ampleur inédite dans ce pays depuis les années 1980, marquait une véritable rupture dans la dynamique de la lutte de classe. Face à un tel événement, le CCI a décidé de produire un tract international dans lequel nous affirmions que les grèves massives au Royaume-Uni étaient « un appel au combat pour les prolétaires de tous les pays ».
Ceci se confirma pleinement les mois suivants puisqu’outre la poursuite des luttes dans de nombreux secteurs au Royaume-Uni, des grèves et des mobilisations ont éclaté aussi bien dans plusieurs pays d’Europe que sur d’autres continents. Elles aussi ont été, la plupart du temps, d’une ampleur inédite depuis des années, confirmant le retour de la combativité ouvrière après plusieurs décennies d’atonie à l’échelle mondiale.
Au cours de l’automne 2022, le CCI s’est donc mobilisé dans les manifestations ou sur les piquets de grève. La section du CCI en Grande-Bretagne est intervenue à huit reprises sur les piquets de grève, principalement à Londres et Exeter, distribuant plusieurs centaines de tracts. Mais également lors du salon du livre anarchiste de Londres. Le CCI était également présent lors de la journée de mobilisation interprofessionnelle en France, le 29 septembre 2022. Lors des discussions au sein des cortèges ou sur les piquets, nous avons défendu la dimension internationale des attaques et donc la nécessité de lutter tous ensemble, en réagissant de façon unitaire et en évitant de s’enfermer dans des luttes locales, au sein de son entreprise ou de son secteur.
Dans le même temps, le CCI a publié régulièrement dans sa presse (site web, journaux, Revue internationale) des articles qui mettaient en évidence le terrain prolétarien de ces différentes luttes, mais surtout leur signification historique en mettant en évidence qu’elles formaient un véritable tremplin pour la récupération de l’identité de classe.
L’éclatement de la lutte contre la réforme des retraites en France à partir du mois de janvier a donné une nouvelle impulsion à cette dynamique de luttes internationales. Ce mouvement allait réunir, presque chaque semaine, et ce pendant près de cinq mois, des millions de travailleurs dans la rue pour s’opposer à une attaque ignoble de la part de l’État bourgeois. Durant les quatorze journées de mobilisations, à Paris comme en province, le CCI a mobilisé toutes ses forces, regroupant autour de lui ses sympathisants, pour diffuser sa presse le plus largement possible, distribuant environs 130 000 tracts et en assurant la vente militante de ses journaux.
La qualité de l’intervention a reposé sur la capacité du CCI à s’adapter à l’évolution de la réaction de la classe à l’échelle internationale mais aussi à l’évolution plus spécifique de la lutte en France. C’est pourquoi le CCI a produit à la fois des tracts de portée internationale et des tracts plus « territoriaux » quand cela le nécessitait. Et ce afin de répondre au mieux aux besoins du mouvement, non seulement en France, mais surtout à l’échelle internationale, puisque des luttes ont éclaté au cours de la même période dans de nombreux pays, et dans lesquelles le CCI a également été en mesure d’intervenir. À des degrés divers, ce fut le cas en Belgique, en Espagne, aux Pays-Bas, en Allemagne, au Royaume-Uni, au Mexique.
Quels ont donc été les principaux axes d’interventions défendus dans les manifestations aussi bien à travers les tracts et les journaux territoriaux que lors des discussions au sein des cortèges ?
– Dès le mois de janvier 2023, un nouveau tract international intitulé : « Comment développer un mouvement massif, uni et solidaire ? », mettait en évidence la nécessité de contrer le travail de division entrepris par les syndicats en développant la solidarité au-delà de sa corporation, son entreprise, son secteur d’activité, sa ville, sa région, son pays.
– Par la suite, tout en continuant à défendre la même nécessité, le CCI mit au cœur de son intervention la défense de l’auto-organisation et des méthodes de luttes permettant de créer un rapport de force avec l’État bourgeois. Le tract du 2 février : « Être nombreux ne suffit pas, il faut aussi prendre nos luttes en mains », et le troisième tract international : « Partout la même question : comment développer la lutte ? Comment faire reculer les gouvernements ? », répondaient à cette préoccupation s’exprimant de plus en plus au fil des semaines, en particulier dans les discussions que nous avions au sein des cortèges. Nous avons tout particulièrement défendu la nécessité de créer des lieux de discussions tels que les assemblées générales souveraines et ouvertes à tous.
– Malgré de nombreuses faiblesses toutes ces luttes exprimaient bel et bien la tentative de créer une force collective, unie, solidaire, de se retrouver, non pas en tant qu’individus isolés, mais comme une classe exploitée s’affrontant à son exploiteur. Les échos de la lutte en France auprès des ouvriers britanniques ou allemands l’illustraient pleinement.
L’une des responsabilités des révolutionnaires consiste justement à contribuer au développement de cet effort vers la récupération de l’identité de classe. C’est pourquoi nous avons également toujours appuyé notre intervention sur la nécessité de se réapproprier l’expérience et l’histoire de la classe ouvrière. D’autant que cette préoccupation s’exprimait spontanément dans la lutte en France à travers le slogan « Tu nous mets 64, on te re-Mai 68 » brandit dans tous les cortèges. Ou encore, dans le resurgissement de la mémoire de la lutte contre le CPE en 2006.
Ainsi, le tract : « Comment avons-nous gagné en 2006 ? » défendait l’expérience des AG souveraines qui avaient contribué à la dynamique d’extension du mouvement pour finir par faire reculer le gouvernement. Quelques semaines plus tard, le quatrième tract international : « Royaume-Uni, France, Allemagne, Espagne, Mexique, Chine… Aller plus loin qu’en 1968 ! », prolongeait cet effort mais permettait surtout de défendre plus explicitement l’enjeu historique de la reprise des luttes ouvrières et le défi qu’il contient : le renversement du capitalisme et la victoire de la révolution prolétarienne pour la survie de l’humanité.
Globalement, nos différents tracts ont toujours trouvé un bon accueil, les titres faisant souvent mouche, et suscitant des réactions de la part des manifestants : « Oui, on est tous dans le même bateau ! », « Oui, il faut lutter tous ensemble ! », « Je suis venu d’Allemagne et là-bas aussi il y a des luttes ! », « Nous sommes originaires d’Italie, et nous sommes venus manifester avec les travailleurs français », « J’étais là en Mai 68, il faut refaire la même chose ! », « Ah oui, il faut effectivement faire la révolution ! ». Voilà les réactions les plus significatives qui se sont exprimées parmi les nombreuses discussions que nous avons pu avoir. Bien-sûr, elles restent minoritaires, et parfois confuses, mais elles expriment l’effort de réflexion qui est en train de s’opérer dans les tréfonds de la classe ouvrière pour se reconnaître en tant que classe, pour prendre les luttes en mains et développer le combat permettant à la classe ouvrière de prendre le chemin de la révolution.
C’est effectivement cette dynamique historique à l’œuvre que nous avons mise en évidence dans le tract faisant le bilan de la lutte contre la réforme des retraites lors de la dernière journée de mobilisation du 6 juin dans laquelle s’exprimait toujours autant l’envie de se battre et de lutter. À plusieurs reprises, des manifestants acquiesçant au titre du tract, nous ont même dit : « Nous avons perdu une bataille mais nous n’avons pas perdu la guerre ! ». Alors oui, « la lutte est bel et bien devant nous ! »
Notre intervention s’est aussi accompagnée par la diffusion de centaines d’exemplaires du troisième Manifeste du CCI (1) qui, face à la spirale toujours plus mortifère et destructrice de la société capitaliste, défend bec et ongle que l’avenir de l’humanité est entre les mains de la classe ouvrière. Nous considérons qu’il relève de la responsabilité des organisations révolutionnaires d’exposer à la classe ouvrière de la façon la plus lucide possible, les conditions historiques dans lesquelles se déroule son combat et les enjeux qu’il recouvre.
C’est avec la même démarche que le CCI a également organisé deux cycles de réunions publiques sur la lutte de classe dans le monde. Le premier avait pour thème : « Nous ne sommes pas seuls à nous mobiliser… Il y a des luttes ouvrières dans de nombreux pays ! » La deuxième : « Grande-Bretagne, France, Allemagne, Espagne, Mexique, Chine… Aller plus loin qu’en 1968 ! ». (2)
Ces réunions ont été animées par une volonté de clarification à travers la confrontation aux différentes positions en présence. Ce furent de véritables lieux de débats prolétariens où se sont exprimés des soutiens, des nuances, des doutes et questionnements, voire des désaccords avec les positions du CCI. Cette participation active aux débats est une illustration de la lente maturation de la conscience qui s’opère en profondeur au sein de la classe ouvrière mondiale et dont sont plus particulièrement porteuses de petites minorités, appartenant souvent à une nouvelle génération, qui renouent progressivement avec l’expérience du mouvement ouvrier et de la Gauche communiste.
En intervenant activement dans les manifestations, ainsi que dans notre presse web et papier, le CCI a pleinement rempli ses responsabilités politiques au sein de la classe ouvrière. Le fruit de cette intervention s’est notamment manifesté par le fait que de nouveaux éléments en recherche de positions de classe ont pris contact avec le CCI et sont même venus, pour certains, participer à nos réunions publiques.
Si depuis le mois de juin dernier, la dynamique enclenchée à l’été 2022 au Royaume-Uni semble connaître une forme de « pause », l’éclatement des grèves dans le secteur de l’automobile aux États-Unis démontre bien que la dynamique de luttes se poursuit. Pour le CCI, ces luttes économiques sont le terrain privilégié permettant à la classe de développer sa réflexion et sa conscience. Il est de la responsabilité des organisations révolutionnaires d’y participer afin de faire mûrir cet effort vital pour le développement du combat révolutionnaire.
Vincent, 1ᵉʳ octobre 2023
1 ) « Le capitalisme mène à la destruction de l’humanité… Seule la révolution mondiale du prolétariat peut y mettre fin », Revue internationale n°169 (2022).
2 ) Pour un bilan plus développé de ces réunions publiques voir : « Pourquoi le CCI parle-t-il de “rupture” dans la dynamique de la lutte de classe ? », Révolution internationale n° 498 (2023).
Au moment du « passage en force » du gouvernement Macron pour imposer la réforme des retraites, ce dernier promettait cyniquement : « cent jours d’apaisement, d’unité, d’ambitions et d’actions au service de la France ». En guise d’apaisement, nous avons eu le meurtre de Nahel et les émeutes du début juillet, puis la répression policière. La poursuite de l’inflation et les attaques sur les conditions de vie et de travail ont plongé une plus grande partie de la population dans la pauvreté. Même les vendanges en Champagne sont devenues l’expression aiguë de l’esclavage salarié moderne, tuant carrément quatre saisonniers.
Avec la loi « Plein emploi », ce sont deux millions de bénéficiaires du maigre RSA qui devront « mériter » leur aumône et justifier pour cela d’un minimum de quinze heures d’activité hebdomadaire. En d’autres termes : ne pas accepter le chantage destiné à imposer les sales boulots et le travail précaire se payera immédiatement par la misère la plus absolue. Si l’État cherche à mieux encadrer les conditions d’attribution des allocations sociales et du chômage, c’est dans l’optique de l’aggravation sans précédent de la situation. Les entreprises licencient déjà par centaines dans de multiples secteurs : à Carrefour, Euronews, Michelin, BNP Paribas, etc. Et cela ne fait que commencer !
La précarité de la vie étudiante explose également. Il faut faire des choix au quotidien : se nourrir, se soigner, voire devoir coucher sous la tente ou sous des arches du périphérique parisien.
Avec cette dégradation brutale des conditions de vie ouvrières, même les organisations caritatives n’arrivent plus à suivre, à financer la logistique, les achats, les transports des denrées alimentaires. Les « restos du cœur », par exemple, à l’origine sensés répondre « dans l’urgence » à la précarité des plus démunis depuis 1985, n’arrivent plus à joindre les deux bouts aujourd’hui. Et pour cause ! De 8,5 millions de repas servis déjà en 1985/86, ce sont désormais 170 millions de repas qui sont distribués aux chômeurs, aux précaires, aux étudiants, aux retraités, à des familles monoparentales, à des travailleurs pauvres… La misère permanente est maintenant imposée à tous les exploités et le soutien caritatif « urgent » pendant près 40 ans n’apparaît que pour ce qu’il est : un emplâtre sur une jambe de bois.
Dans un contexte de crise, l’économie de guerre se développe très clairement. Nous en faisons déjà les frais avec le délabrement des secteurs de l’Éducation, de la santé, etc., pendant que le budget consacré aux dépenses militaires a vertigineusement augmenté de 46 % depuis 2017 !
La bourgeoisie en France comme ailleurs s’inquiète du climat social de ras le bol et de la maturation de la conscience qui s’opère en profondeur. Elle sait pertinemment que la classe ouvrière ne peut que réagir énergiquement face aux attaques, face à l’inflation, telle qu’elle le fait actuellement aux États-Unis dans un black-out médiatique quasi-total. C’est particulièrement vrai en France où la combativité ouvrière s’est révélée massivement au printemps dernier, avec le sentiment, même si cela reste encore très confus dans les rangs ouvriers, que la confiance dans notre force collective et notre unité offre la possibilité d’aller plus loin dans la lutte.
La bourgeoisie l’a très bien compris et tente de l’anticiper au mieux en organisant ses forces d’encadrement, idéologiques ou répressives, notamment par le biais des organisations syndicales. Face au besoin d’une réponse unitaire de la classe ouvrière, la planification d’une journée d’action intersyndicale le 13 octobre ne sera a priori qu’une journée d’action qui doit donner l’illusion que les syndicats envisagent toujours une mobilisation la plus large au service de la lutte.
Or les syndicats négocient avec le gouvernement la meilleure stratégie à tenir pour dévoyer la combativité et l’unité ouvrières, préparant et orientant les esprits vers la « Conférence sociale » du 16 octobre avec le gouvernement, comme la suite logique de la journée d’action. Cette Conférence, polarisant les esprits sur le terrain de la démocratie bourgeoise ne pourra avoir comme perspective que de mieux torpiller nos luttes. Dès aujourd’hui, les syndicats prennent les devants et sont omniprésents dans les multiples grèves locales ou sectorielles, comme à la SNCF, à Pôle Emploi, en les stérilisant dans le cadre de l’entreprise ou de revendications spécifiques…
Les forces politiques de l’extrême-gauche bourgeoise ne sont pas en reste : pour les organisations trotskistes ou anarchistes les plus radicales, comme Lutte Ouvrière ou Révolution Permanente, la critique des « bureaucraties syndicales » ne sert qu’à mieux faire passer la mystification d’un syndicalisme plus « authentique », à la « base ». Ce sont leurs contributions au dévoiement de l’unité ouvrière et au sabotage des réels moyens de la lutte.
Aujourd’hui, la maturation de la conscience en profondeur est encore à l’œuvre et ne demande qu’à surgir à la lumière. Où, quand, comment ?… Nul ne le sait précisément. Mais une chose est certaine, la bourgeoisie s’y prépare activement. Le prolétariat doit préparer les luttes de demain en tirant les leçons de ses combats du passé.
Stopio, 6 octobre 2023
Au cours de l’année écoulée, des luttes ouvrières importantes ont éclaté dans les pays centraux du capitalisme et un peu partout dans le monde. Cette série de grèves a débuté au Royaume-Uni, durant l’été 2022 et les travailleurs de nombreux autres pays sont ensuite entrés en lutte : en France, en Allemagne, en Espagne, aux Pays-Bas, aux États-Unis, en Corée, en Grèce…
Partout, la classe ouvrière relève la tête face à la dégradation considérable de ses conditions de vie et de travail, à l’augmentation vertigineuse des prix, à la précarité systématique et au chômage de masse, causés notamment par la déstabilisation économique, les catastrophes écologiques et l’intensi fication du militarisme fortement renforcé par la barbarie guerrière en Ukraine.
Depuis trois décennies, le monde n’avait pas connu une telle vague de luttes simultanées dans autant de pays ni sur une si longue période. L’effondrement du bloc de l’Est en 1989 et les campagnes sur la prétendue « mort du communisme » avaient provoqué un profond reflux de la lutte de classe au niveau mondial. L’implosion du bloc impérialiste stalinien et d’une des deux plus grandes puissances mondiales, l’URSS, était l’expression la plus spectaculaire de l’entrée du capitalisme dans une nouvelle phase de sa décadence encore plus destructrice, celle de sa décomposition. (1) Le pourrissement sur pied de la société, avec son lot de violence et de chaos croissant à tous les niveaux, l’ambiance nihiliste et désespérée, les tendances au repli sur soi… tout cela a eu à son tour un impact très négatif sur la lutte de classe.
Nous avons ainsi assisté à un affaiblissement considérable de la combativité par rapport aux années 1970/1980. La résignation qui a frappé la classe ouvrière en Grande-Bretagne pendant plus de trois décennies, un prolétariat ayant une longue expérience de lutte, illustre à elle seule la réalité de ce recul. Face aux attaques de la bourgeoisie, aux « réformes » extrêmement brutales, à la désindustrialisation massive, à la baisse considérable du niveau de vie, les ouvriers de ce pays n’ont plus connu de mobilisation significative depuis la défaite cinglante infligée aux mineurs par Thatcher en 1985.
Si, ponctuellement, la classe ouvrière a montré des signes de combativité et tenté de se réapproprier ses armes de lutte (lutte contre le CPE en France en 2006, mouvement des Indignés en Espagne en 2011, première mobilisation contre la réforme des retraites en France en 2019), prouvant par là qu’elle n’était nullement sortie de la scène de l’histoire, ses mobilisations sont largement restées sans lendemain, incapables de relancer un mouvement plus global.
Pourquoi ? Parce que les travailleurs n’ont pas seulement perdu leur combativité pendant toutes ces années, ils ont également été victimes d’un profond recul de la conscience de classe dans leurs rangs, qu’ils avaient chèrement acquise aux feux de leurs combats dans les années 1970 et 1980, oubliant les leçons de leurs luttes, de leurs confrontations avec les syndicats, des pièges tendus par l’État « démocratique », perdant leur confiance en eux, leur capacité à s’unir, à lutter massivement comme classe antagoniste à la bourgeoisie... Dans ce contexte, le communisme paraissait bel et bien mort avec les horreurs du stalinisme, et la classe ouvrière semblait ne plus exister.
Et pourtant, confrontée à l’accélération considérable du processus de décomposition (2) depuis la pandémie mondiale de Covid-19, et plus encore avec les massacres de la guerre en Ukraine et les réactions en chaine que cela a provoqué sur les plans économique, écologique, social et politique, la classe ouvrière relève partout la tête, engage le combat et refuse désormais de subir les sacrifices au nom du soi-disant « bien commun ».
S’agit-il d’un hasard ? D’une réaction épidermique ponctuelle sans lendemain face aux attaques de la bourgeoisie ? Non ! Le slogan « ça suffit ! » dans ce contexte de déstabilisation généralisée du système capitaliste illustre bien qu’un véritable changement d’état d’esprit est en train de s’opérer au sein de la classe. Toutes ces expressions de combativité font partie d’une nouvelle situation qui s’ouvre pour la lutte de classe, une nouvelle phase qui rompt avec la passivité, la désorientation et le désespoir des trois dernières décennies.
L’éclatement simultané de luttes depuis un an ne vient pas de nulle part. Il est le produit de tout un processus de réflexion dans la classe à travers une série de tentatives tâtonnantes antérieures. Déjà, lors de la première mobilisation en France contre la « réforme » des retraites à la fin de l’année 2019, le CCI avait identifié l’expression d’un fort besoin de solidarité entre les générations et les différents secteurs. Ce mouvement avait aussi été accompagné par d’autres luttes ouvrières dans le monde, aux États-Unis comme en Finlande, mais s’était éteint face à l’explosion de la pandémie de Covid en mars 2020. De même, dès octobre 2021, des mouvements de grève ont éclaté à nouveau aux États-Unis dans différents secteurs, mais la dynamique de lutte était interrompue, cette fois par le déclenchement de la guerre en Ukraine qui a, dans un premier temps, paralysé les travailleurs, en particulier en Europe.
Ce long processus de tâtonnements et de maturation a débouché, à partir de l’été 2022, sur une réaction décidée des travailleurs sur leur propre terrain de classe face aux attaques. Les ouvriers britanniques ont ouvert une nouvelle période de la lutte ouvrière internationale, dans ce que l’on a appelé : « l’été de la colère ». Le slogan « trop c’est trop » a été élevé au symbole de toute la lutte prolétarienne au Royaume-Uni. Ce mot d’ordre n’exprimait pas des revendications particulières à satisfaire, mais une révolte profonde contre les conditions de l’exploitation. Cela montrait que les travailleurs n’étaient plus disposés à avaler des compromis minables, mais qu’ils étaient prêts à poursuivre la lutte avec détermination. Ce mouvement des ouvriers britanniques est particulièrement symbolique dans la mesure où c’est la première fois depuis les années 1980 que ce secteur du prolétariat mondial se retrouve sur le devant de la scène.
Et tandis que l’inflation et la crise s’intensifiaient partout dans le monde, les travailleurs de la santé en Espagne et aux États-Unis sont également rentrés en lutte, suivi d’une vague de grèves aux Pays-Bas, d’une « megastreik » des travailleurs des transports en Allemagne, de plus de cent grèves contre les arriérés de salaires et les licenciements en Chine, d’une grève et de manifestations après un terrible accident de train en Grèce, d’enseignants réclamant des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail au Portugal, de 100 000 fonctionnaires réclamant une augmentation des salaires au Canada, et surtout, d’un mouvement massif du prolétariat en France contre la réforme des retraites.
Ces mobilisations contre l’austérité imposée par la crise et le poids croissant du militarisme contiennent, à terme, une opposition à la guerre. En effet, la mobilisation directe des travailleurs contre la guerre était illusoire : le CCI avait souligné, dès février 2022, que la réaction ouvrière se manifesterait sur le terrain des attaques contre le pouvoir d’achat, qui découleraient de l’intensification et de l’interconnexion des crises et catastrophes, et que celle-ci irait aussi à l’encontre des campagnes appelant à accepter des sacrifices pour soutenir « l’héroïque résistance du peuple ukrainien ». Voilà aussi ce que les luttes de l’année écoulée portent en germe, même si les travailleurs n’en ont pas encore pleinement conscience : le refus de se sacrifier toujours plus pour les intérêts de la classe dominante, le refus des sacrifices pour l’économie nationale et pour l’effort de guerre, le refus d’accepter la logique de ce système qui mène l’humanité vers une situation de plus en plus catastrophique.
Dans ces luttes, l’idée que « nous sommes tous dans le même bateau » a commencé à émerger dans la tête des ouvriers. Sur les piquets de grève au Royaume-Uni, des grévistes nous ont exprimé le sentiment de lutter pour quelque chose de plus grand que les revendications corporatistes des syndicats. La bannière « Pour nous tous » sous laquelle la grève s’est déroulée en Allemagne, le 27 mars, est particulièrement significative du sentiment général qui se développe dans la classe : « nous nous battons tous les uns pour les autres ».
Mais c’est en France que s’est le plus clairement exprimé le besoin de lutter tous unis. Les syndicats ont bien tenté de diviser et pourrir le mouvement dans le piège de la « grève par procuration » derrière des secteurs soi-disant « stratégiques » (comme l’énergie ou le ramassage des ordures) pour « mettre la France à l’arrêt ». Mais les travailleurs ne sont pas tombés massivement dans le piège, déterminés à se battre tous ensemble.
Lors des quatorze journées de mobilisation en France, le CCI a distribué plus de 130 000 tracts : l’intérêt pour ce qui se passait au Royaume-Uni et ailleurs ne s’est jamais démenti. Pour certains manifestants, le lien avec la situation au Royaume-Uni semblait évident : « c’est partout pareil, dans tous les pays ». Ce n’est pas un hasard si les syndicats du « Mobilier national » situé à Versailles ont été contraints par les ouvriers de prendre en charge un mouvement de grève lors de la visite (annulée) de Charles III à Paris au nom de la « solidarité avec les travailleurs anglais ».
Malgré l’inflexibilité du gouvernement français, malgré les échecs à faire reculer la bourgeoisie ou à obtenir réellement de meilleurs salaires en Grande-Bretagne ou ailleurs, la plus grande victoire des travailleurs, c’est la lutte elle-même et la conscience, sans doute encore balbutiante et très confuse, que nous formons une seule et même force, que nous sommes tous des exploités qui, atomisés, chacun dans leur coin, ne peuvent rien face au capital mais qui, unis dans la lutte, deviennent la plus grande force sociale de l’histoire.
Certes, les travailleurs n’ont toujours pas retrouvé la confiance en leur propre force, en leur capacité à prendre les luttes en main. Les syndicats ont partout gardé le contrôle des mouvements, en parlant un langage plus combatif pour mieux stériliser les besoins d’unité, tout en maintenant une séparation rigide entre les différents secteurs. En Grande-Bretagne, les ouvriers sont restés isolés derrière le piquet de grève de leur entreprise, bien que les syndicats aient été contraints d’organiser quelques parodies de manifestations prétendument « unitaires ». De même, si, en France, les travailleurs se sont rassemblés dans de gigantesques manifestations, ce fut systématiquement sous le contrôle absolu des syndicats, saucissonnés derrière les banderoles de leur entreprise, de leur secteur. Globalement, l’enfermement corporatiste est demeuré une constante dans la plupart des luttes.
Pendant les grèves, la bourgeoisie, particulièrement les fractions de gauche, a continué à déverser ses campagnes idéologiques autour de l’écologisme, de l’antiracisme, de la défense de la démocratie et autres, destinées à maintenir la colère et l’indignation sur le terrain illusoire du droit bourgeois et à diviser les exploités entre blancs/non-blancs, hommes/femmes, jeunes/vieux… On a ainsi pu voir, en France, en plein mouvement contre la réforme des retraites, se développer des campagnes tant écologistes autour de l’aménagement de « méga-bassines » que démocratiques contre la répression policière. Bien que la majorité des luttes des ouvriers soit restée sur un terrain de classe, c’est-à-dire la défense des conditions matérielles des travailleurs face à l’inflation, aux licenciements, aux mesures d’austérité du gouvernement, etc., le danger que représentent ces idéologies pour la classe ouvrière demeure considérable.
À l’heure actuelle, les luttes ont diminué dans plusieurs pays, mais cela ne signifie nullement qu’un sentiment de découragement ou de défaite s’est emparé des travailleurs. La vague de grèves s’est poursuivie pendant une année entière au Royaume-Uni, tandis que les manifestations en France ont duré cinq mois, en dépit du fait que la grande majorité des travailleurs était consciente depuis le début que la bourgeoisie ne céderait pas immédiatement à leurs revendications. Ainsi, semaine après semaine aux Pays-Bas, mois après mois en France et pendant une année entière au Royaume-Uni, les travailleurs ont refusé de jeter l’éponge. Ces mobilisations ouvrières ont montré clairement que les travailleurs sont déterminés à ne pas accepter une nouvelle détérioration de leurs conditions de vie. Or, en dépit de tous les mensonges de la classe dominante, la crise ne s’arrêtera pas : les prix pour se loger, pour se chauffer, pour se nourrir ne vont pas cesser de grimper, les licenciements et les contrats précaires vont continuer à pleuvoir, les gouvernements vont poursuivre leurs attaques…
Incontestablement, cette nouvelle dynamique de lutte n’en est qu’au tout début et, pour la classe ouvrière, « Toutes ses difficultés historiques persistent, sa capacité à organiser ses propres luttes et plus encore à la prise de conscience de son projet révolutionnaires sont encore très loin, mais la combativité grandissante face aux coups brutaux portés par la bourgeoisie aux conditions de vie et de travail est le terrain fertile sur lequel le prolétariat peut retrouver son identité de classe, prendre conscience à nouveau de ce qu’il est, de sa force quand il lutte, se solidarise, puis développe son unité. Il s’agit d’un processus, d’un combat qui reprend après des années d’atonie, d’un potentiel que laissent entrevoir les grèves actuelles ». (3) Nul ne sait ni ou ni quand de nouvelles luttes significatives surgiront. Mais il est certain que la classe ouvrière va devoir continuer à se battre partout !
Être des millions à se battre, ressentir la force collective de notre classe en se serrant les coudes dans les rues, tout cela est indispensable, mais ce n’est nullement suffisant. Le gouvernement français a reculé en 2006, lors de la lutte contre le CPE, non parce que les étudiants et les jeunes précaires étaient plus nombreux dans les rues, mais parce qu’ils avaient immédiatement confisqué le mouvement aux syndicats, à travers des assemblées générales souveraines, ouvertes à tous et massives. Ces assemblées n’étaient pas des lieux d’enfermement dans son secteur ou son entreprise, mais des lieux d’où partaient des délégations massives vers les entreprises les plus proches afin de chercher activement la solidarité.
Aujourd’hui, l’incapacité de la classe ouvrière à prendre activement en main la lutte, en cherchant à l’étendre à tous les secteurs, est la raison pour laquelle la bourgeoisie n’a pas reculé. Cependant, la reconquête de son identité a permis à la classe ouvrière de commencer à se réapproprier son passé. Dans les cortèges en France, les références à Mai 68 et à la lutte de 2006 contre le CPE se sont multipliées. Que s’est-il passé en 1968 ? Comment a-t-on fait reculer le gouvernement en 2006 ? Dans une minorité de la classe, un processus de réflexion est en cours, ce qui est un moyen indispensable pour tirer les leçons des mouvements de l’année écoulée et pour préparer les luttes futures qui devront aller encore plus loin que celles de 1968 en France ou celles de 1980 en Pologne.
De même que les luttes récentes sont le produit d’un processus de maturation souterraine qui s’est développé depuis un certain temps, de même les efforts d’une minorité pour tirer les leçons des luttes porteront leurs fruits dans les combats plus larges qui nous attendent. Les travailleurs reconnaîtront que la séparation des luttes imposée par les syndicats ne peut être surmontée que s’ils redécouvrent des formes autonomes d’organisation telles que les assemblées générales et les comités de grève élus et révocables, et s’ils prennent l’initiative d’étendre la lutte au-delà de toutes les divisions corporatistes.
A. et D., 13 août 2023
1 ) Cf. « La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste (mai 1990) [58] », Revue internationale n° 107 (2001).
2 ) Cf. « Rapport sur la décomposition pour le 25e congrès du CCI [59] », Revue internationale n° 170 (2023).
3 ) Cf. « Rapport sur la lutte de classe pour le 25e congrès du CCI [60] », Revue internationale n° 170 (2023).
L’année 2023 a une nouvelle fois démontré l’ampleur du désastre environnemental dans lequel le capitalisme entraîne toute l’humanité. Les feux de forêt dévastateurs au Canada comme à Hawaï, les inondations en Asie, les pénuries d’eau potable en Uruguay ou en Afrique, les tempêtes dévastatrices aux États-Unis, la fonte inéluctable des glaciers… toutes ces « cata strophes naturelles » ont un lien direct avec le phénomène de réchauffement climatique.
Non seulement le réchauffement climatique est réel, mais il s’accélère de façon vertigineuse et catastrophique. Ce mois de juillet 2023 a été le plus chaud jamais enregistré sur la planète. Le mois d’août a connu la journée la plus chaude jamais enregistrée sur cette période. Les prévisionnistes indiquent que l’année 2024 pourrait bien dépasser ces tristes records. L’effondrement du système de courants marins comme le Gulf Stream, régulateur essentiel du climat sur la planète, pourrait, s’il se confirmait, bouleverser le climat sur Terre et considérablement fragiliser l’espèce humaine à l’horizon de quelques décennies. Une nouvelle menace qui reste à confirmer mais qui pourrait se rajouter à toutes celles qui pèsent déjà sur l’humanité !
La bourgeoisie ne peut plus nier cette réalité, bien qu’elle ait volontairement cherché à diminuer, voire à dissimuler les risques pendant de nombreuses années pour protéger ses profits ! (1) Mais l’accélération et l’accentuation des conséquences du dérèglement climatique ne lui permet plus de dissimuler la vérité : le climat mondial évolue vers une situation catastrophique qui rendra de plus en plus de zones inhabitables sur la planète. Outre les « climato-sceptiques » totalement irrationnels comme Trump ou l’extrême droite européenne, les chefs d’État les plus « responsables » promettent tous, la main sur le cœur, de réduire les émissions de gaz à effet de serre, pour développer une économie plus respectueuse de l’environnement. Bien entendu, ces engagements ne sont jamais tenus ou sont très en deçà des enjeux, voire parfaitement risibles (interdiction des pailles en plastique, des tickets de caisse…).
Alors la bourgeoisie change son fusil d’épaule et commence à nous préparer à vivre l’invivable en prenant des mesures « d’adaptation ». Il est inutile de préciser que, comme pour les pandémies passées ou à venir, la bourgeoisie fait preuve d’une incurie inqualifiable et ne se prépare pas sérieusement à affronter la catastrophe. Derrière ces prétendues « adaptations », la classe dominante prépare surtout les esprits à l’austérité et aux pénuries au nom de la « transition écologique ».
Au nom du climat, la bourgeoisie commence à réorienter son économie… mais certainement pas pour préserver la planète ! Plusieurs pays envisagent, en effet, de réactiver les centrales au charbon ou (comme la France) trafiquent sans scrupule les quotas pour éviter de les arrêter ! Le gouvernement français est tout près d’autoriser de nouveaux forages pétroliers en Gironde, symboliquement situés à l’endroit-même où des forêts ont été dévastées l’année dernière ! Les États se bagarrent pour éviter de trop contraindre leur économie et se servent de l’écologisme comme d’une arme impérialiste pour vilipender l’inaction des uns et des autres, protéger leur marché, tenter d’affaiblir des concurrents avec, par exemple, les procès retentissants contre telle ou telle marque de voiture concurrente ayant enfreint les règles environnementales… Ainsi la loi européenne sur la protection de la nature, adoptée le 12 juillet, contient une disposition instaurant une clause de sauvegarde économique : si l’économie souffre des dispositions prévues hypocritement par la loi, on les annule ! Pour le capital, il ne devrait y avoir aucune contrainte à l’expansion et à l’intensification de son économie. La préservation de l’environnement passe après.
À côté de cela, les dispositions préventives ne sont pas prises, au risque évidemment d’accélérer toujours plus l’ampleur des catastrophes. Ainsi, les incendies à Hawaï étaient incontrôlables parce que, malgré les vents violents, le courant n’avait pas été coupé dans les lignes électriques non enfouies, entraînant leur chute et l’inflammation de la végétation, et que certaines bouches d’incendie alimentant les lances des pompiers ont manqué d’eau ou de pression. En Asie, le manque de médicaments contre le paludisme et la dysenterie a largement contribué à aggraver le bilan humain des inondations. En Uruguay, faute d’avoir les capacités de fournir suffisamment d’eau potable aux robinets des habitants, on y a ajouté de l’eau salée ! À Mayotte, département français d’outre-mer, rien n’a été prévu pour anticiper une sécheresse privant la population d’eau potable.
Il ne s’agit nullement de « choix » ou de « manque de volonté politique », mais de la logique même de l’accumulation capitaliste qui interdit toute remise en cause de la dynamique ultra-polluante de la société bourgeoise. Car c’est bien le capitalisme qui est responsable de ces dérèglements, ce sont ses lois qui obligent chaque capitaliste à produire toujours plus et à moindre coût. Pour le capitalisme il faut « vendre ». Et c’est tout ! Une démarche anarchique et à court terme. Une démarche suicidaire même. Vendre, ce n’est pas satisfaire des besoins humains, c’est uniquement profiter de marchés solvables.
Il est donc inutile et mystificateur d’imaginer que ce système soit capable de s’inventer, tout d’un coup, une vision à long terme et une organisation raisonnée : il n’en est pas capable et ne le sera jamais. Si la concurrence acharnée qui le caractérise a pu, à sa naissance, constituer un puissant moteur de progrès pour les forces productives, une fois le partage du monde et de ses marchés achevé, cette concurrence acharnée s’est transformée en machine de guerre : guerre économique, guerre militaire, pour la domination du monde et à tout prix.
Aujourd’hui la recherche et le développement de l’appareil de production sont bien davantage mis au service de l’industrie militaire que de la protection de l’environnement et la satisfaction des besoins humains. Les dépenses militaires mondiales dépassent les 2 000 milliards de dollars et n’ont jamais été aussi importantes depuis la fin de la guerre froide. Ces dépenses sont un pur gâchis, elles n’ont pour but que de détruire et tuer ou, au mieux, rouiller dans un hangar. Elles mobilisent des milliers de cerveaux pour détruire, répandre le chaos et la mort. L’accélération des tensions impérialistes depuis la fin de la guerre froide laisse facilement imaginer que cette tendance est encore loin d’avoir atteint son apogée.
Sauver la planète ne passera pas par la « sobriété » ou la « décroissance » qui ne sont qu’un aveu d’impuissance, voire un fantasme de retour aux temps pré-capitalistes. Non, sauver la planète passera par l’abolition consciente de l’économie capitaliste et de ses rapports de production devenus obsolètes, par l’édification d’une société capable de produire pour les besoins humains, de façon raisonnée et soucieuse des équilibres naturels.
Le temps est clairement compté et le capitalisme pourrait, à terme, considérablement compromettre l’existence de la civilisation, voire de l’humanité tout entière. Mais les moyens humains et matériels existent pour réorganiser à l’échelle mondiale une production respectueuse de l’environnement et de la vie humaine. Les possibilités inexploitées de la science et de la technologie sont encore immenses.
Seul le prolétariat, lorsqu’il aura pris le pouvoir à l’échelle mondiale, pourra libérer les forces productives des contraintes capitalistes qui les enserrent. Lui seul est capable de concevoir, décider et mettre en œuvre à l’échelle internationale une politique qui permettra de libérer ce monde des lois du profit et de reconstruire une société sur les ruines que le capitalisme est en train de léguer à l’humanité. En mettant fin à la concurrence qui pourrit le monde, il libérera les forces productives de la domination de la sphère militaire qui oriente tout le génie humain vers une œuvre de destruction. Il pourra aussi les libérer du gâchis permanent de la production capitaliste : surproduction inutile et polluante, obsolescence programmée, dépenses improductives liées au chômage de masse, à l’espionnage industriel, etc. Il pourra enfin élever les consciences et l’esprit humain par le développement d’une éducation non plus tournée vers le profit immédiat mais vers l’émancipation des hommes et un rapport harmonieux à la nature.
Guy, 28 août 2023
1 ) En 1972, le « Rapport du club de Rome » alertait déjà sur la gravité de la situation posée par la pollution de la planète, notamment sur la menace pour le climat terrestre de l'augmentation des émissions de CO2 dans l'atmosphère. Pendant des décennies, la bourgeoisie a globalement cherché à dissimuler cette réalité ou à la noyer sous un torrent de mystifications idéologiques, dont le rapport lui-même, prônant une « croissance limitée » (parfaitement contraire à la réalité de l’économie capitaliste) est une évidente illustration.
Depuis 2020, les coups d’État se succèdent en Afrique de l’Ouest et centrale, de la Guinée au Gabon en passant par le Mali, le Burkina-Faso et le Niger. Sans compter les « coups d’État constitutionnels » qui ont également eu lieu en Côte d’Ivoire et au Tchad.
Au Mali, au Burkina-Faso ou au Niger, les régimes corrompus et sanguinaires soutenus par la France ont été renversés par des factions militaires (tout aussi corrompues et sanguinaires) sous les vivats de la foule qui n’en peut plus d’être affamée par des prédateurs sans scrupule et leurs complices occidentaux. Mais les manifestants se bercent d’illusions : ni les putschistes, ni les candidats se pressant au portillon pour remplacer la France dans sa zone d’influence traditionnelle (Russie, Chine, etc.) ne se préoccupent du sort de la population. Bien au contraire, ces putschs sont l’expression d’une déstabilisation accélérée de la région et la promesse de toujours plus de misère.
La région du Sahel, dans laquelle le Niger occupe une place centrale, est caractérisée par une instabilité croissante causée notamment par la détresse économique aiguë des populations, la détérioration de la situation sécuritaire, l’augmentation rapide de la population, les déplacements massifs de migrants (4,1 millions de personnes déplacées rien qu’en 2022) et la terrible dégradation de l’environnement.
L’ensemble de la région du Sahel connaît une recrudescence dévastatrice des attaques menées par des groupes armés islamistes, qui profitent de la porosité et de l’étendue des frontières. Ces groupes terroristes attaquent régulièrement les institutions des États, ciblent les communautés et bloquent les centres urbains en coupant les routes et les lignes d’approvisionnement. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger figurent parmi les dix pays les plus touchés par le terrorisme.
Selon l’indice de fragilité des États, les pays du Sahel figurent parmi les 25 États les plus fragiles. La plupart de ces gouvernements ne sont pas en mesure de contrôler leur territoire. Au Burkina Faso, par exemple, les groupes armés islamistes contrôlent jusqu’à 40 % du territoire. Malgré le « soutien » du groupe Wagner au gouvernement malien, l’État islamique a doublé son territoire dans ce pays en un an.
Après le Mali et le Burkina Faso, l’impérialisme français est contraint d’évacuer le Niger avec armes et bagages, sous les huées de manifestants. Le Niger était considéré comme un « pays sûr » sur lequel comptaient diverses puissances impérialistes, en particulier la France et les États-Unis, pour préserver leurs intérêts.
Mais, contrairement à ce que peut avancer la presse bourgeoise, ce coup d’État (tout comme ceux qui l’ont récemment précédé au Mali ou au Burkina-Faso) n’est pas un simple revirement d’alliance comme on a pu en connaître pendant la guerre froide, avec des putschistes préférant désormais traiter avec la Russie ou la Chine plutôt qu’avec les pays occidentaux. Il s’agit, en réalité, de l’expression d’une forte accélération de la décomposition de la société bourgeoise qui tend à emporter dans le chaos le plus absolu les zones les plus fragiles du capitalisme.
Loin d’une réorientation impérialiste en faveur d’un nouveau « partenaire », on voit plutôt des factions bourgeoises totalement irresponsables profiter de la déstabilisation des gouvernements et de la fragilité des États pour « tenter leur chance ». Ils adoptent n’importe quel discours leur permettant d’accéder au pouvoir et sont prêts à s’allier avec qui sera en mesure de les soutenir sur le moment. Au Niger, le putsch s’est fait ouvertement contre l’ancienne puissance coloniale, avec le soutien du Mali, du Burkina-Faso et celui, relatif, du groupe Wagner, arme de déstabilisation de la Russie. Mais personne ne peut exclure que la junte au pouvoir rétropédale et finisse par négocier avec la France.
Les grandes puissances impérialistes sont préoccupées non pas par le sort des populations ou le maintient de gouvernements « démocratiquement élus » (quelle vaste plaisanterie !) mais par les conséquences des coups d’État pour la défense de leurs sordides intérêts. Au Gabon, par exemple, les putschistes ont poussé vers la sortie Ali Bongo, grand défenseur des intérêts de la France, sans remettre en cause l’énorme influence française dans le pays… Ce coup d’État a donc été qualifié de « réajustement » par la presse occidentale et n’a pas suscité de « vive émotion » du Quai d’Orsay. En revanche, au Niger, les putschistes ont été menacés de subir sanctions économiques et intervention militaire.
Mais les réactions des grands requins impérialistes se sont, elles aussi, faites dans un contexte où règne le chacun pour soi. Paris a immédiatement tenté d’organiser une intervention miliaire mais a, une nouvelle fois, fait la preuve de son impuissance. Macron a ainsi tenté de montrer les muscles en se disant « intraitable » sur le « retour à la légalité », alors que tout indique qu’il n’en a pas les moyens : « La France pousse la Cedeao à intervenir [...]. Mais elle tente aussi de faire entrer ses partenaires européens dans la danse. Le hic, c’est que les Allemands ne sont pas convaincus de l’intérêt d’une intervention, pas plus que les Italiens, qui n’ont pas oublié les dramatiques erreurs françaises en Libye. Quant aux États-Unis, ils veulent conserver leurs positions au Niger ». (1) Tandis que « des diplomates français et militaires français pointent avec amertume le “jeu trouble au Niger de Washington”, qui n’a même pas employé le terme “coup d’État”, […] un général américain de répliquer : “Nous luttons depuis le Niger contre l’influence et les pressions de la Russie, via Wagner, et de la Chine. Ainsi que contre le terrorisme international au Sahel” ». (2)
Le chaos nigérien est tellement brûlant et l’incapacité des occidentaux à agir de concert tellement criant qu’il oblige ces puissances impérialistes à revoir leur positionnement sur place pour ne pas y perdre trop de « plumes ». C’est vrai pour Washington, qui considère le Niger comme un pion central dans sa lutte contre l’influence de la Chine et de la Russie dans la zone, mais sans être sûr de pouvoir compter sur les putschistes.
En clair : « Au Niger, l’Occident n’est pas en mesure de soutenir une invasion, même dirigée par des États régionaux eux-mêmes en mal de légitimité domestique. Ceux-ci seraient de toute façon perçus comme agissant sous la houlette de l’Occident ». (3) Surtout, « l’Occident » se souvient sans doute de son intervention militaire désastreuse en Libye en 2011 dont l’une des conséquences fut l’extension du terrorisme djihadiste à tout le Sahel et l’effondrement d’un État dans une situation encore inextricable.
Tous les impérialismes présents dans la zone du Sahel se repositionnent donc pour mieux défendre leurs intérêts quitte à accélérer le chaos et à accentuer les turbulences impérialistes.
Amina, 25 septembre 2023
1) Le Canard enchaîné (16 août 2023).
2) Le Canard enchaîné (23 août 2023).
3) « Niger : “Il est temps de rompre avec la pratique du paternalisme envers les Africains”… », Le Monde (20 août 2023).
La 15ᵉ université d’été du NPA s’est tenue à la fin du mois d’août et a été, aux dires du site web de l’organisation trotskiste : « résolument internationaliste »… Quel culot ! Surtout quand on sait que depuis le début du conflit en Ukraine, le NPA n’a eu de cesse de soutenir l’armée ukrainienne et d’appeler le « peuple ukrainien » à se faire massacrer dans les tranchées pour la défense des intérêts de l’État et la bourgeoisie qui exploite les ouvriers ! C’est tout le contraire de l’internationalisme qui consiste en la solidarité des prolétaires par-delà les frontières et la lutte contre la bourgeoisie dans tous les pays.
Le soi-disant internationalisme du parti trotskiste reste bien une honteuse caricature de ce principe prolétarien fondamental pourtant essentiel au combat de la classe ouvrière contre le capitalisme. Lors de cette université d’été « c’est le soutien à la résistance, armée et non armée, du peuple Ukrainien, qui emporte l’adhésion la plus manifeste, d’autant plus, peut-être, que l’expression dans le débat d’une position “anti-guerre” la rend plus nécessaire et que la très grande majorité des camarades, à la tribune et dans la salle, ne veulent laisser subsister aucun doute sur leur engagement aux côtés du peuple ukrainien contre l’agression impérialiste russe ».
Depuis le début de la guerre, pour le NPA, être « résolument internationaliste » se traduit par le soutien indéfectible à un camp impérialiste contre un autre. Pour défendre l’internationalisme, il faudrait « apporter une solidarité sans faille à la résistance ukrainienne face à l’agression impérialiste russe : cela passe par soutenir le droit des ukrainien.nes à s’armer, y compris via les États-Unis et l’OTAN, militer pour l’accueil des deplacé.es et l’annulation de la dette ukrainienne ». La seule issue à la guerre ne peut être que « la victoire militaire du peuple Ukrainien, qui renforcerait la crise du régime politique russe et la contestation de la guerre, et ouvrirait les possibilités pour le peuple russe de renverser le régime ». Tout au plus, le NPA se défend de soutenir le camp ukrainien en appelant hypocritement à « contester les politiques néolibérales du gouvernement Zelensky ». (1) Le NPA soutient sans sourciller les massacres de masse, mais la politique « néolibérale de Zelensky », c’est « résolument » : non ! Quelle imposture !
Alors que l’internationalisme prolétarien constitue le fondement même du combat « anticapitaliste » de la classe ouvrière, le NPA, dans la pure tradition du trotskisme, l’inonde d’une fange nationaliste insupportable. Alors que les combats en Ukraine tournent quasiment au corps-à-corps dans les tranchées, nos prétendus internationalistes appellent à la « résistance », à l’armement par les États-Unis et l’OTAN d’une armée impérialiste pour en écraser une autre.
Et au nom de quoi ? D’une prétendue position « anti-guerre » ! Depuis quand appeler à fournir des fusils à une armée contre une autre armée, est-il la manifestation d’une position « anti-guerre » ?
Rien ne différencie les mots d’ordre du NPA de ceux des nombreux États qui soutiennent l’Ukraine dans le conflit et qui, eux, assument pleinement leur nationalisme. Le NPA démontre, s’il était encore nécessaire de le faire, qu’il est un fidèle et acharné défenseur des intérêts de la bourgeoisie, en endossant, comme n’importe quelle officine bourgeoise, les habits de sergent recruteur.
Contrairement au NPA, le mouvement ouvrier a très tôt décelé le mode de vie guerrier du capitalisme et la nécessité pour le prolétariat de s’opposer à toute division nationale. Dès 1848 le Manifeste du Parti communiste scandait : « Les prolétaires n’ont pas de patrie » !
Au moment de l’entrée en décadence du capitalisme, les communistes ont su comprendre que l’ère qui s’ouvrait serait celle « des guerres et des révolutions ». Rosa Luxemburg, en particulier, saura analyser l’omniprésence de l’impérialisme et du militarisme dans le mode de vie du capitalisme décadent. Elle comprendra que l’impérialisme n’est pas une manifestation parmi d’autres de la décadence du capitalisme : il est la forme centrale et permanente d’une période dans laquelle le capitalisme est arrivé à son plus haut degré de maturité et amorce son déclin historique, ne pouvant qu’enfoncer l’humanité dans toujours plus de chaos et de guerres.
Ainsi le monde est dominé par les antagonismes internationaux, économiques et politiques. Il n’y a pas l’impérialisme « agresseur », d’un côté, et les « agressés », de l’autre. Toutes les guerres sont des guerres impérialistes. Dans le capitalisme décadent, toute nation, petite ou grande, est nécessairement impérialiste et cherche à conquérir ou garder une place dans l’arène mondiale. Si les grandes nations attaquent les plus petites, ces dernières n’en sont pas moins engagées dans un conflit pour défendre les intérêts de leur bourgeoisie et leur capital national.
Aujourd’hui Poutine attaque l’Ukraine mais Zelensky, de son côté, ne fait que « défendre la patrie ukrainienne », c’est-à-dire l’indépendance du capital ukrainien. Il n’est pas moins impérialiste que son voisin. Les soutiens de nombreuses grandes puissances démontrent également le caractère indéniablement impérialiste de ce conflit comme de tous les conflits dans le capitalisme décadent.
Rosa Luxemburg s’est battue de toutes ses forces pour faire reconnaître au camp prolétarien la nouvelle dimension impérialiste mondiale qui devait trouver sa plus flagrante illustration dans les deux guerres mondiales qui ont ensanglantées le monde. Elle n’a cessé de défendre que seule la lutte de classe internationale, contre tout esprit chauvin, pouvait mettre fin à la guerre. Cet héritage dont l’histoire a montré l’exactitude dans un torrent de sang, est aujourd’hui piétiné par ceux qui le travestissent pour mieux tenter de le liquider. Nous dénions à ces défenseurs acharnés du camp bourgeois le droit d’utiliser le terme « internationalisme », eux qui le salissent chaque jour de leurs mots d’ordre nationalistes et qui l’éclaboussent du sang des ouvriers dont ils saluent le massacre dans une guerre qui n’est pas la leur mais celle de leurs exploiteurs.
En se levant contre les sacrifices que les bourgeoisies leur demandent pour payer leur guerre, les ouvriers renoueront progressivement avec l’internationalisme tel que Rosa Luxemburg et le mouvement ouvrier l’ont défendu. Ils finiront, en développant leurs luttes, par démasquer tous ceux qui les ont maintenus dans le mensonge pendant tant d’années, dévoyant leur indignation vers la défense des intérêts ennemis !
GD, 3 octobre 2023
1) « Toujours avec la résistance ukrainienne », L’Anticapitaliste n° 139 (octobre 2022). Si nous axons l’article sur la dénonciation du NPA « historique » de Besancenot et Poutou, le NPA-L’Anticapitaliste, sa récente scission, le NPA-Révolutionnaires, est sur une ligne identique, comme l’illustre leur prise de position sur le sujet : « Notre solidarité va aux Ukrainiens qui luttent pour ne pas crever sous la botte de Poutine et aux opposants russes à la guerre qui risquent leur vie » (« Les révolutionnaires et la guerre en Ukraine : quelle voie pour les travailleurs et les peuples ? », mars 2023).
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[30] https://en.internationalism.org/icconline/201011/4098/daily-mail-exposes-icc-plot
[31] https://fr.internationalism.org/content/10804/bourgeoisie-impose-nouveaux-sacrifices-classe-ouvriere-repond-lutte-tract
[32] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/the-spectator
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[36] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/399/ukraine
[37] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/513/russie
[38] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri-498_bat.pdf
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[52] https://fr.internationalism.org/content/11168/tendance-communiste-internationaliste-et-linitiative-no-war-but-the-class-war-bluff
[53] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/57/israel
[54] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/58/palestine
[55] https://fr.internationalism.org/files/fr/tract_8_octobre_2023_.pdf
[56] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/36/france
[57] https://fr.internationalism.org/en/tag/conscience-et-organisation/courant-communiste-international
[58] https://fr.internationalism.org/french/rint/107_decomposition.htm
[59] https://fr.internationalism.org/content/11034/rapport-decomposition
[60] https://fr.internationalism.org/content/11035/rapport-lutte-classe-25e-congres-du-cci
[61] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/lutte-proletarienne
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