Soumis par Révolution Inte... le
Le 26 septembre à 2h40 du matin, Lubrizol, usine de produits chimiques classée Seveso, prend feu. Un épais nuage de fumées noires de 20 km de long envahit le ciel rouennais. À 7h00, les premières sirènes d’alertes à la population retentissent. 8h00, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, déclare sans sourciller : “Il n’y a pas d’éléments qui permettent de penser que les fumées seraient dangereuses”, comme si un incendie de 9050 tonnes de composés chimiques divers et variés pouvait être inoffensif ! Et le gouvernement de multiplier les fumisteries : “À ce stade, les mesures n’ont pas permis de voir des polluants préoccupants” (d’Élisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire !). “Nous sommes à un état habituel de la qualité de l’air à Rouen” (Pierre-André Durand, préfet de Seine Maritime) et de compléter quelques jours plus tard “ça ne veut pas dire que l’état de l’air habituel à Rouen est bon”… apprécions l’ironie de la déclaration !
Tandis que de nombreuses plaintes pour migraines, nausées, étourdissements (y compris au sein des forces de l’ordre que l’État lui-même n’a pas pris soin de protéger en les envoyant sans masque au plus fort de l’incendie), le Premier ministre Édouard Philippe (r)assure de nouveau : “Dès que [les analyses] seront réalisées, nous communiquerons l’ensemble des résultats. Je vous dis simplement ce que disent les analyses qui m’expliquent qu’elles ne sont pas nocives mais qu’elles sont gênantes”. Dans le même temps, un toxico-chimiste (le professeur André Picot) déclare : “les analyses livrées par la préfecture sont hors de propos”. Selon lui, “ce qui est recherché […] ce sont des produits classiques comme le dioxyde d’azote qu’émettent les moteurs diesel. Donc vous ne risquez pas de trouver des taux dans l’air différent de la normale. Il faudrait savoir exactement ce qui a brûlé au sein de l’entreprise”. (1) Il rajoutera plus tard que ce qui est bien plus préoccupant que la liste des composés qui ont brûlé, ce sont les réactions chimiques que peut provoquer le mélange de ces composés lors de l’incendie. D’autant plus que près de 80 tonnes de ces composés sont “sans papier”, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas de “fiche d’identité fournie par Lubrizol”. (2)
Face à ce battage médiatique, les réactions dans la rue ne se font pas attendre. Des enseignants exercent leur droit de retrait. Des manifestations ont régulièrement lieu. Un mois après la catastrophe, les habitants sont toujours autant en colère face aux mensonges éhontés et aux faux-semblants de l’État.
Le 22 octobre, le patron de Lubrizol déclare toujours que ce qui a brûlé à Rouen n’est “pas plus toxique qu’un incendie de maison” ! Aujourd’hui, l’État parle d’indemnisations, de compensations pour les entreprises ou les agriculteurs ainsi que pour des habitants de certains quartiers ou communes. Mais le panache de fumée, s’il a duré moins de 24h de manière visible, s’est en réalité volatilisé plus haut dans l’atmosphère pour ensuite être dispersé par les vents jusqu’en… Belgique. Les retombées de cet incendie sont donc bien plus importantes que ce que le gouvernement nous laisse entendre. Lui se préoccupe des stocks de denrées du port de Rouen qui ont été impactées par les fumées, des pertes économiques, de la perte d’attractivité de la région… pas de la santé des personnes touchés par toutes les toxines et autres polluants.
Et ce n’est pas nouveau ! Ce sont bien les États et les patrons qui, main dans la main, œuvrent à obtenir toujours plus de profits en faisant fi des contraintes sécuritaires minimum. C’est l’État français qui a voté, en août 2018, la loi ESSOC (loi pour un État au Service d’une Société de Confiance) permettant la simplification des contrôles. Loi qui a directement permis au patron de Lubrizol, via l’autorisation du préfet, d’augmenter ses capacités de production (plus 1598 tonnes) et de stockage (plus 600 tonnes) dès janvier 2019, “en contournant le plus légalement du monde l’autorité environnementale, laquelle a pour mission de mener sur ce genre d’équipement des études de danger décisives”. (3) Ce sont les États qui, pour permettre l’accumulation, défendent par tous les moyens les intérêts du capital national et ce au détriment des exploités et de la planète. Et ce sont ces mêmes États qui jurent la main sur le cœur se préoccuper de l’écologie en jouant les mêmes rengaines à chaque nouvelle catastrophe depuis des décennies :
– 1976, Seveso en Italie, pollution chimique. Un nuage d’herbicide, contenant de la soude caustique et de la dioxine, s’est échappé durant vingt minutes d’un réacteur d’une usine chimique. Cette catastrophe a donné son nom à la directive “Seveso” (série de directives européennes qui imposent aux États membres de l’Union européenne d’identifier les sites industriels présentant des risques d’accidents majeurs).
– 1978, pollution du Love Canal, banlieue proche des chutes du Niagara aux États-Unis : 21 000 tonnes de produits toxiques sont découverts à proximité de l’usine Hooker Chemical. La zone est à l’heure actuelle toujours interdite !
– 1979, accident nucléaire de Three Mile Island aux États-Unis.
– 1984, explosion d’une usine de pesticides à Bhopal en Inde. Bilan : plusieurs milliers de morts, 300 000 malades et une zone d’habitation toujours sinistrée par la pollution des sols et de la nappe phréatique.
– 1986, explosion d’un réacteur nucléaire à Tchernobyl en ex-URSS : l’État ne pouvait plus entretenir l’infrastructure. Heureusement, la radioactivité n’a jamais franchi la barrière naturelle des Alpes ! (4)
– 2011, catastrophe nucléaire à Fukushima au Japon : les infrastructures construites sur une zone sismique n’ont pas résisté à un tremblement de terre. Aujourd’hui encore, aucune solution n’a été trouvée !
– 2015, Tianjin en Chine : explosion meurtrière d’entrepôts de stockage de produits chimiques : 114 morts, 720 blessés, 700 tonnes de cyanure de soude déversés, et une zone urbaine à l’heure actuelle toujours polluée. (5)
Sans compter les ravages engendrés par de nombreuses marées noires : en 1978 sur les côtes bretonnes, en 1989 en Alaska, en 1999 à nouveau sur les côtes bretonnes, en 2002 sur les côtes de la Galice en Espagne, en 2010 en Louisiane aux États-Unis…
Les beaux discours de la bourgeoisie sur l’environnement n’ont jamais rien changé et ne changeront jamais rien à la course au profit d’un capitalisme toujours plus moribond. Seule la révolution prolétarienne peut mettre un terme à ce cycle sans fin de catastrophes et faire vivre l’humanité en harmonie avec l’environnement car, comme l’écrivait Engels dans sa Dialectique de la nature : “les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement”.
Manon, 1er novembre 2019
1) “Incendie de l’usine Lubrizol : ‘Les analyses livrées par la préfecture sont hors de propos’”, Paris-Normandie (30 septembre 2019).
2) “La com’ toxique de l’État à Rouen”, Le canard enchaîné (9 septembre 2019).
3) “Une fumée, des fumeux”, Le canard enchaîné (2 octobre 2019).
4) “Après Tchernobyl, Fukushima… ce ne sont pas les atomes qui sont à craindre, mais le capitalisme”, Révolution internationale n° 422 (mai 2011).
5) “Explosion meurtrière de Tianjin (Chine) : apprendre de tout, ne rien oublier !”, Révolution internationale n° 454 (septembre-octobre 2001).