Soumis par Révolution Inte... le
Après 1945, le Royaume-Uni, affaibli par la guerre, dut faire face à sa reconstruction. Ses plus grandes colonies (l’Inde et le Pakistan) ayant obtenu leur indépendance, il ne lui était désormais plus possible d’y puiser des ouvriers corvéables à merci, comme cela avait été le cas lors de la Guerre mondiale de 1939-45.
Celui-ci se tourna donc vers ses colonies outre-Atlantique, les Antilles britanniques, où le taux de chômage était important, afin d’y importer la main-d’œuvre nécessaire à sa reconstruction.
Pour le capital, les migrants sont une marchandise comme les autres
Ainsi, “dès 1946, la Royal Commission on Population propose de faire venir une “population de remplacement” afin de renouveler la population britannique à moyen terme”. (1) Pour cela, le British Nationality Act de 1948 prévoyait l’octroi du statut de “citoyen du Royaume-Uni et des colonies” à toute personne née sur le territoire britannique ou dans une de ses colonies. Il s’agissait de disposer facilement et rapidement d’une main-d’œuvre peu coûteuse. Quelques mois plus tard, le navire Empire Windrush débarquait des Caraïbes avec une main-d’œuvre toute fraîche, prête à être exploitée par le capital national. Jusqu’en 1971, (2) près de 600 000 ouvriers, issus des anciennes colonies et attirés par les promesses d’emploi, de prospérité et de logement, émigrèrent au Royaume-Uni : c’est la “génération Windrush”.
D’emblée, les premiers ouvriers débarqués, alors sans-emploi, furent entassés dans des abris anti-aériens et ce sur leurs propres deniers ! Nombre d’entre eux furent employés par l’État lui-même (la poste, les hôpitaux ou encore les chemins de fer) pour des salaires dérisoires.
Le cas de la “génération Windrush” refit surface en 2010, lorsque Teresa May prit la tête du Home Office avec l’objectif de durcir la politique migratoire du pays. Celle qui déclarait en 2012, vouloir “instaurer en Grande-Bretagne un climat particulièrement hostile pour les migrants illégaux”, organisa dès son arrivée au ministère la destruction des tickets d’embarquement (3) prouvant que les travailleurs de la “génération Windrush” étaient arrivés au Royaume-Uni avant 1971, afin de lancer une chasse aux migrants devenus “illégaux”. Les employés du ministère eurent d’ailleurs pour ordre, en cas de demande de confirmation des dates d’arrivée sur le territoire par les migrants de la “génération Windrush”, de répondre qu’il n’existait pas de telles données.
Nombre de ces immigrés, ainsi que leurs descendants, furent alors dans l’incapacité de prouver que leur présence sur le territoire était “régulière”. Menacés d’expulsion, ils perdirent aussitôt leur emploi, l’accès aux soins et leur logement, puis furent expédiés dans des centres de détention, en attendant leur renvoi vers leur pays de naissance.
Le scandale éclate en novembre 2017, alors que May est devenue Premier ministre, et met momentanément un coup d’arrêt aux expulsions. Teresa May et Amber Rudd, la ministre de l’Intérieur (qui servira finalement de fusible et sera évincée) présentent leurs excuses en avril 2018 et promettent une compensation financière et une naturalisation d’office pour toute la “génération Windrush”.
Pourtant, la bourgeoisie continue encore aujourd’hui d’expulser ces ouvriers. En effet, malgré les promesses de May, et de toute la bourgeoisie britannique, une trentaine d’ouvriers ont encore été expulsés vers la Jamaïque en février dernier, alors que leurs demandes de régularisation étaient toujours à l’étude, et ce à cause de leur casier judiciaire.
Derrière les campagnes xénophobes et humanitaires : le nationalisme
En réalité, l’État a profité de tous ces événements pour mener sous deux angles d’attaque des campagnes nationalistes contre la classe ouvrière.
Dans un premier temps, de nombreuses campagnes xénophobes ont émergé, en lien avec la politique hostile et très offensive déclenchée par May à l’encontre des travailleurs caribéens et leurs descendants. Elle espérait en effet qu'un certain nombre d'immigrants “indésirables” et leurs descendants quitteraient “volontairement” le territoire britannique. Son “environnement hostile” est d’emblée mis sur pied grâce à la nouvelle loi sur l’immigration : pour travailler, louer un logement ou accéder à des prestations sociales et médicales, il faut désormais montrer ses papiers. Les propriétaires ont alors l’obligation de vérifier le statut migratoire de leurs potentiels locataires, sous peine de se voir infliger une amende et d’écoper de 5 ans de prison. Les médecins sont également incités à dénoncer les patients qui ne seraient pas en situation “régulière”. Le ministère de l’Intérieur utilise d’ailleurs les données du National Health Service pour traquer les “délinquants en matière d’immigration”, et ainsi, “empêcher que les personnes sans droit aux prestations et services y aient recours, et ce aux frais du contribuable britannique”, explique un porte-parole du gouvernement. Cette ambiance de terreur, conséquence de l’immonde campagne de May, est poussée à son paroxysme lors de la campagne officielle anti-immigrés, mise en œuvre en 2013 par le gouvernement tory, cultivant la suspicion en cherchant à induire et attiser la xénophobie au sein de la classe ouvrière. Le ministère de l’Intérieur avait en effet pour projet de faire circuler des camions publicitaires dans tout le pays avec un slogan qui n’était pas autre chose qu’un appel à la délation : “In the UK illegally ? Go home or Face arrest”, autrement dit : “En situation illégale au Royaume-Uni ? Rentrez chez vous, ou faites face à une arrestation”. Durant six semaines, mi 2013, plusieurs véhicules ont donc sillonné Londres et ses alentours, mais, loin de rencontrer le succès escompté, le gouvernement a dû renoncer à cette campagne.
Face à l’indignation qu’a suscitée cette ignoble politique, la bourgeoisie britannique s’est vue dans l’obligation de retourner sa veste et d’orienter différemment le débat sur l’immigration. C’est May, elle-même, qui a impulsé une campagne qui se voulait plus “humaine”, forme plus pernicieuse de campagne nationaliste. Après avoir mis à la rue et expulsé un certain nombre d’ouvriers “Windrush”, le gouvernement May a décidé d’instaurer un hypocrite Windrush Day qui sera l’ “occasion annuelle de se souvenir du travail acharné et du sacrifice de la génération Windrush”. Le Windrush Day, objet de multiples célébrations officielles, se voit également doté d’un fonds spécial de 500 000 livres sterling, dans le but proclamé de rendre justice à ces travailleurs qui “ont traversé l’océan pour construire un avenir pour eux-mêmes, pour leurs communautés et surtout pour le Royaume-Uni, le pays qui sera toujours le leur”. Alors que ce sont ces mêmes travailleurs qui aujourd’hui, continuent d’être menacés d’expulsion.
Ce scandale et cette nouvelle facette de la campagne nationaliste ont permis à la bourgeoisie britannique de diriger la classe ouvrière sur un terrain totalement pourri, en insinuant que les migrants se classent en deux catégories distinctes : ceux qui sont utiles (pour le capital), et ceux qui “profitent” indûment de la “générosité” de la nation.
La bourgeoisie a donc instrumentalisé l’indignation suscitée par la situation scandaleuse de la “génération Windrush”, occultant ainsi que ce même traitement est réservé à des millions de migrants dans le monde. Pendant que le gouvernement britannique légalise plus ou moins la situation des travailleurs qui “ont contribué à construire notre pays”, il laisse crever des Asiatiques dans des camions, contraints de prendre toujours plus de risques face aux murailles physiques et administratives que May et consorts ont dressées ! Sous ses airs hypocritement humanistes, la bourgeoisie cherche encore à diviser la classe ouvrière.
Que son discours soit ouvertement xénophobe ou prétendument plus humain, les frontières nationales de la bourgeoisie demeurent. Le gouvernement britannique peut bien instaurer son jour de commémoration, les morts continueront à s’échouer sur les barbelés comme sur les rivages. Seule la classe ouvrière, dans son combat pour le communisme, est en mesure de détruire ces frontières meurtrières en mettant fin au capitalisme.
Olive, 1er novembre 2019
1) “Royaume-Uni : il y a 70 ans, les débuts de la génération Windrush”, RFI (30 avril 2018).
2) À compter de 1971, le Royaume-Uni n’ayant plus besoin de ce type de main-d’œuvre, la loi migratoire évolue ; seuls les citoyens du Commonwealth résidant déjà au Royaume-Uni obtiennent le droit de rester sur le territoire britannique de manière permanente.
3) Aucun des travailleurs de la “génération Windrush” ne possédait de papier officiel attestant de leur nationalité, à l’exception des tickets d’embarquement détenus par le ministère de l’Intérieur.