Soumis par Révolution Inte... le
Le 27 octobre, des cheminots écrivaient dans un communiqué : “Nous agents grévistes du matériel au Technicentre de Châtillon, sur le réseau TGV Atlantique, avons cessé le travail massivement depuis lundi 21 octobre au soir, sans se concerter ou être encadrés par les syndicats. (…) Notre colère est réelle et profonde, nous sommes déterminés à nous battre jusqu’au bout de nos revendications, pour le respect et la dignité. Nous ne pouvons plus accepter de travailler avec des salaires proches du SMIC et gelés depuis 5 ans, en sous-effectif et avec des agents qui démissionnent de plus en plus. Nous avons honte de voir comment la SNCF joue avec la sécurité ou encore le confort des voyageurs, pour des questions de flexibilité et de rentabilité. (…) Les voyageurs (…) payent de plus en plus cher des trains, avec de moins en moins de service, des siéges vétustes, des rames parfois avec des toilettes condamnées, des portes bloquées, ou encore des climatisations HS en période de canicule. (…) Marre des réorganisations, des bas salaires, des suppressions d’emplois et des sous-effectifs ! Nous appelons l’ensemble des cheminots à relever la tête avec nous, car la situation aujourd’hui à Châtillon est en réalité le reflet d’une politique nationale. (…) Nous avons trop longtemps laissé faire sans rien dire, mais aujourd’hui au TATL nous disons stop à cette politique d’entreprise. Nous ne braderons pas notre dignité, notre sécurité, ni notre santé !”
Toute la classe ouvrière est attaquée
Les mêmes conditions de travail dégradées et insoutenables sont le quotidien de tous les travailleurs, de toutes les corporations, de tous les secteurs, du privé comme du public. Il y a un an, les salariés des EPAHD criaient leur détresse face à la maltraitance des personnes âgées dont ils ont la charge et aux pressions qu’ils subissent pour être toujours plus rapides et rentables. Il y a quelques mois, les urgentistes dénonçaient les sous-effectifs, les cadences infernales, l’impossibilité de soigner dignement les blessés. Le mois de septembre 2019 a été marqué par le suicide d’une directrice d’école et sa lettre poignante, symboles de la souffrance au travail de tous les enseignants, croulant sous les tâches toujours plus nombreuses. Aucune partie de la classe ouvrière n’est épargnée. Partout, les salariés doivent être de plus en plus corvéables, flexibles, adaptables, précaires…
Et les réformes en cours annoncent un avenir plus dur encore. La chasse aux chômeurs et à leurs maigres allocations est ouverte. Les futurs retraités seront plus vieux et plus pauvres. À la réduction des effectifs de fonctionnaires et à la systématisation des CDD dans le public, font écho les vagues de licenciements et l’explosion de la précarité dans le privé.
Toute la classe ouvrière est en colère
Comme à la SNCF, la colère gronde et les grèves se multiplient. Ont ainsi arrêté le travail : les pilotes de Transavia, le 1er septembre, les agents des Finances publiques, le 16, et d’EDF, le 19, des laboratoires de biologie médicale, le 1er octobre en Bretagne, des écoles, le 8 octobre, en région parisienne, de Michelin à La Roche-sur-Yon, le lendemain, les éboueurs dans le Nord, le personnel des EPAHD en Indre-et-Loire, etc. En réalité, pas un jour ne passe sans que des travailleurs à bout se mettent en grève.
Seulement, toutes ces luttes, souvent peu médiatisées, demeurent isolées les unes des autres, enfermées à l’échelle locale et de leur corporation. Que dire, par exemple, de la mobilisation des urgentistes séparée de leurs collègues des autres services du même hôpital lui-même ? Les prolétaires ne parviennent pas, aujourd’hui, à lutter en tant que classe ; ils le font en tant que cheminots, urgentistes, électriciens, enseignants, pilotes, laborantins, etc. Tous touchés par les mêmes conditions de vie et de travail inacceptables, chaque salarié se bat pourtant pour des revendications qu’il croit spécifique à sa boîte, sa branche, son métier. La raison essentielle de ce morcellement est que les ouvriers ne se sentent plus appartenir à une classe, à une classe qui, unie et solidaire dans la lutte, représente la plus grande force sociale de la société. La bourgeoisie est parvenue à leur faire croire que la classe ouvrière n’existait plus, qu’ils n’étaient pas des ouvriers mais des cheminots, des urgentistes, des électriciens, des enseignants, des pilotes, des laborantins. Mieux encore, aux yeux de la classe dominante : des “citoyens”.
Divisions gouvernementales, divisions syndicales
Diviser pour mieux régner est un vieil adage. Le gouvernement l’applique à la lettre. Les agents de la RATP seraient des égoïstes qui “gagnent plus de 3 000 euros à la retraite”, les fonctionnaires seraient des “privilégiés” pour qui sont comptabilisés les six derniers mois de carrière pour le calcul de leur retraite. Les navigants et les infirmières refuseraient la solidarité en voulant conserver leur régime “autonome”... Les mensonges et les prétextes pour opposer les travailleurs les uns contre les autres sont sans fin. Toute cette propagande n’existe que pour justifier, au nom de “l’équité” et de la “justice”, une attaque généralisée contre les travailleurs.
Ce discours médiatique et gouvernemental est accompagné sur le terrain d’une séparation systématique des luttes entre elles par les syndicats. En septembre et octobre, toute une série de journées d’action a ainsi été programmée en ordre dispersé : RATP, Trésor public, Éducation nationale, Ministère de la Justice, EDF, pompiers… à chaque secteur sa journée, ses mots d’ordre, sa lutte.
Un seul exemple symbolise le travail permanent des syndicats pour saper l’unité ouvrière : alors que le 13 septembre, ils organisaient une grande journée d’action à la RATP pour défendre son régime spécial, le 16 septembre, les syndicats faisaient sortir les infirmières, les libéraux, les navigants et les avocats dans la rue en opposant ces travailleurs à tous les autres : “Les avocats comme les professions libérales dans leur ensemble bénéficient de ce qui s’appelle un régime autonome, qu’il ne faut pas confondre avec les régimes spéciaux” ; “Nous ne sommes absolument pas opposés à une réforme des retraites. (…) Un régime universel (…) peut être acceptable. (…) En revanche, nous exigeons de conserver notre régime complémentaire” ; “On ne demande pas à la fourmi de donner à la cigale !”…
Seulement, cette division par les syndicats était par trop caricaturale. Ils prenaient le risque que la colère ne déborde et, surtout, d’être trop discrédités. En octobre, ils ont donc annoncé une grande journée de grève rassemblant tous les salariés pour le… 5 décembre ! Pourquoi une date si tardive ? Pourquoi ne pas battre le fer tant qu’il est chaud ? Pour le laisser refroidir, justement. Le secrétaire d’État aux Transports Jean-Baptiste Djebbari a lui-même craché le morceau, jeudi 31 octobre, comme le rapporte le journal Ouest-France : “Ça bouillonne dans les rangs de la SNCF et la grève contre la réforme des retraites se profile à l’horizon… Dans ce contexte, l’exécutif “a un mois pour (…) faire baisser la tension, pour répondre à des angoisses qui souvent sont légitimes et pour tracer le chemin pour la convergence de ces régimes spéciaux”. (…) “Nous avons pris l’engagement, à la RATP comme à la SNCF, d’étudier toutes les options, y compris celles qui sont portées par les syndicats” (…), faisant référence à la “loi du grand-père” selon laquelle seuls les nouveaux embauchés seraient concernés par la réforme”. Pour calmer le jeu, le gouvernement mise donc encore et toujours sur l’action syndicale et… la division, celle entre les générations ouvrières cette fois.
Comment lutter ?
Les grèves spontanées des cheminots de la fin octobre montrent en partie la voie à suivre. À Châtillon, suite à l’annonce d’un plan de réorganisation du travail induisant, entre autres, une suppression de douze jours de congés, les agents du centre ont immédiatement arrêté le travail et déclaré la grève, sans attendre de consignes syndicales. Le plan a été retiré 24 heures plus tard. Quelques jours plus tôt, le 16 octobre, suite à une collision avec un convoi exceptionnel en Champagne-Ardenne, mettant en évidence la dangerosité de n’avoir qu’un seul agent (le conducteur) dans un train, les cheminots de la ligne avaient, eux aussi, refusé spontanément de maintenir les transports dans ces conditions. La contestation s’est étendue rapidement, dès le lendemain, aux lignes de l’Île-de-France. Le 17 au soir, les syndicats reprenaient le contrôle de la situation, en proclamant le droit de retrait au plan national pour les 18 et 19.
Ce n’est pas un hasard si ce sont les cheminots qui indiquent les premiers comment les travailleurs peuvent prendre en main leur lutte. C’est la conséquence à la fois de l’expérience et de la combativité historiques de ce secteur de la classe ouvrière en France, mais aussi de la réflexion qui mûrit depuis un an en son sein après l’amère défaite du long mouvement mené en 2018 par… les syndicats. Ils avaient alors enfermé les cheminots dans une lutte, seuls, isolés, jusqu’à l’épuisement de leur force.
Mais les difficultés et faiblesses sont encore nombreuses pour développer une lutte massive, unie et solidaire. Par exemple, ces cheminots grévistes sont demeurés cloîtrés au sein de la SNCF. Il n’y a pas eu d’assemblées générales autonomes décidant d’envoyer des délégations massives, voire toute l’assemblée, aux centres de travail le plus proche (un hôpital, une usine, une administration…) pour les entraîner dans la lutte, pour étendre géographiquement le mouvement, pour cultiver cette idée que les ouvriers ont tous les mêmes intérêts, qu’ils mènent la même lutte, que c’est unie et solidaire, au-delà des secteurs et des corporations, que la classe ouvrière est forte.
Cette étape est difficile. C’est un véritable cap. Elle implique de se reconnaître non plus comme cheminots, infirmiers, enseignants ou informaticiens, mais comme ouvriers. Pour la franchir, les ouvriers les plus conscients doivent diffuser l’idée que c’est possible, que l’histoire et l’expérience du mouvement ouvrier le prouvent, qu’en 1968 les travailleurs de France ou en 1980 ceux de Pologne l’ont fait, que le prolétariat est la principale force sociale de la société quand elle est unie, solidaire et organisée. Ces ouvriers doivent se regrouper, discuter, se réapproprier les leçons du passé, pour préparer l’avenir de la lutte de classe. Ces ouvriers, si peu nombreux soient-ils aujourd’hui, ont une grande responsabilité, celle de faire vivre la mémoire de l’immense expérience de lutte de la classe ouvrière.
Pawel, le 7 novembre 2019