Soumis par Révolution Inte... le
Le 29 juillet dernier, le corps de Steve Maia Caniço était enfin repêché des eaux de la Loire à Nantes plus d’un mois après sa disparition survenue dans la nuit du 21 au 22 juin au cours de la Fête de la Musique. Cette nuit-là, sous les coups de 4h30 du matin, alors que les sound systems retentissaient encore, le public vit arriver les forces de l’ordre qui demandèrent de couper le son. D’après les témoins, la foule protesta gentiment, comme il est fréquent à la fin des concerts. Puis la musique reprit, « un petit Bérurier Noir se fait entendre, sur une tonalité très basse. Et là, sans sommation, des gaz partout. À la fois d'au-dessous et d'au-dessus » rapporte un témoin interrogé. D’autres parlent de « scène de panique », et de « gens terrifiés »...
Les forces de police ont une nouvelle fois usé d’une violence débridée et totale pour faire appliquer l’autorité de l’Etat et réprimer toute forme de contestation à l’égard de la loi qui, en l’occurrence, imposait d’arrêter la musique dès 2 heures du matin. Alors que partout en France ce soir-là, résonnaient les sons des pianos, des guitares et des batteries, les forces de l’ordre ont préféré utiliser leurs propres instruments : matraques, bombes lacrymogènes, tasers, grenades de désencerclement et lanceurs de balle de défense...
Des témoins rapportent que les policiers ont chargé volontairement du quai vers le fleuve afin de pousser les noctambules dans l’eau. Au total, 14 personnes tombèrent dans la Loire, l’un d’entre eux ne remontera jamais vivant ! Mais l’ignominie des forces de l’ordre ne s’arrête pas là. D’après 18 des 148 témoins que le Journal du Dimanche (JDD) a pu interroger, les policiers n’ont jamais envisagé de les secourir : « Quand on est allés voir la police pour leur dire qu'il y avait des gens à l'eau, on s'est fait envoyer balader : ‘Cassez-vous ou on vous embarque’ » raconte l’un, « On était une dizaine près de l'eau, on suivait un mec qui se débattait dans la flotte. On est allés voir les flics pour qu'ils nous aident, ils ont répondu texto : C'est pas notre boulot, c'est celui des pompiers », rapporte un autre. [1]
Les services de l’Etat pourront continuer à dédouaner les policiers et leur hiérarchie, les médias auront beau entretenir le doute sur la culpabilité ou non des forces de répression, se questionner sur des éléments secondaires, ces 14 personnes ne se sont pas jetées à l’eau de leur plein gré comme une envie soudaine de prendre un ‘bain de minuit’, à plus forte raison dans le cas de Steve qui ne savait même pas nager. Pendant plus d’un mois, le gouvernement et les autorités policières ont tenté littéralement de noyer l’affaire, aujourd’hui, pour ne pas perdre la face devant une telle évidence, Macron et son Premier ministre appellent à ce que, en toute « transparence », « toute la lumière » soit faite sur ce « drame » ! Seulement voilà, dans cette affaire engageant la responsabilité de l’Etat, l’assassin est son propre juge. D’ores et déjà, un rapport de l’inspection générale de la Police nationale (IGPN) blanchit les forces de police en indiquant « qu’il n’y a aucun lien entre la mort de Steve et l’intervention policière ». A l’heure actuelle, pas moins de cinq procédures sont en cours qui, sans le moindre doute, dédouaneront l’institution policière comme ce fut à chaque fois le cas ces dernières années dans ce genre de problème. Certes, il faudra désigner des coupables, vraisemblablement le commissaire de la police nantaise adepte de la manière forte, servira de fusible. Comme le rapporte un policier nantais à l’hebdomadaire Le Canard enchaîné daté du 7 août 2019, « on connaît le nom du condamné, mais pas encore la date de son exécution ». Mais si la gestion calamiteuse de cette affaire depuis plus d’un mois et demi par l’exécutif ne peut que renforcer l’exaspération, la colère et l’indignation, les manifestants du 3 août 2019 dernier contre les violences policières ne doivent pas s’y méprendre. Ce crime n’est pas une énième « bavure », une simple dérive ou un quelconque « excès de zèle » de la part de quelques policiers. Cette nouvelle affaire est l’expression de la violence de la classe dominante, la terreur, qui ne peut que s’accroître et s’exacerber à mesure que s’affermissent les contradictions sociales engendrées par le déclin historique du mode de production capitaliste : « autant la violence peut être conçue hors des rapports d’exploitation, cette dernière (l’exploitation), par contre, n’est réalisable qu’avec et par la violence. [...] La violence, combinée à l’exploitation, acquiert une qualité toute nouvelle et particulière. Elle n’est plus un fait accidentel ou secondaire, mais sa présence est devenue un état constant à tous les niveaux de la vie sociale. Elle imprègne tous les rapports, pénètre dans tous les pores du corps social, tant sur le plan général que sur celui dit personnel. Partant de l’exploitation et des besoins de soumettre la classe travailleuse, la violence s’impose de façon massive dans toutes les relations entre les différentes classes et couches de la société, entre les pays industrialisés et les pays sous-développés, entre les pays industrialisés eux-mêmes, entre l’homme et la femme, entre les parents et les enfants, entre les maîtres et les élèves, entre les individus, entre les gouvernants et les gouvernés ; elle se spécialise, se structure, se concentre en un corps distinct : l’État, avec ses armées permanentes, sa police, ses prisons, ses lois, ses fonctionnaires et tortionnaires et tend à s’élever au-dessus de la société et la dominer. »[2]
Dans ces conditions, l’appel à une police plus « humaine » est une illusion. L’ampleur que prend désormais la répression, quelle que soit la forme du rassemblement, est le symptôme de l’exacerbation de l’Etat policier aussi bien visible dans les régimes autoritaires comme la Chine que dans les « belles et grandes » démocraties d’Europe occidentale. Et dans cette entreprise, aucune fraction politique du capital ne déroge à la règle. Aujourd’hui, celles opposées au gouvernement se nourrissent du « scandale » et dénoncent ouvertement la gestion des événements. Le leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, pour ne citer que lui, n’a pas manqué de fustiger « la Macronie » pour avoir ouvert « le cycle des violences et de la politisation de la police ». Faudrait-il rappeler à ce dernier ce qu’ ordonne son grand ami Nicolas Maduro aux forces de police du régime vénézuélien pour réprimer les manifestants qui s’opposent au régime ? En fait, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, toutes les fractions du capital, en défendant l’intégrité de l’Etat, reconnaissent la légitimité de la violence perpétrée par son bras armé : la police, la justice et l’armée. A gauche comme à droite[3], elles se sont toutes rendues coupables de telles violences[4] et elles continueront. La classe ouvrière ne doit avoir aucun doute là-dessus. Comme elle a déjà pu en faire l’expérience par le passé, la bourgeoisie usera des pires méthodes pour affermir son contrôle sur la population et préserver son système d’exploitation. Seule la révolution prolétarienne, en parvenant à détruire l’Etat bourgeois, pourra mettre fin à la violence froide et mécanique de la terreur bourgeoise.
Vincent (22 août 2019)
[1]Source : https://www.lepoint.fr/societe/mort-de-steve-des-temoins-racontent-l-operation-policiere-11-08-2019-2329293_23.php
[2] Article : « Terreur, terrorisme et violence de classe » : https://fr.internationalism.org/french/rint/14-terrorisme
[3] Souvenons-nous de "l'affaire Malik Oussekine" sous l'ère du président socialiste Mitterrand. Dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, les brigades de "voltigeurs motocyclistes", créées par le préfet de police gaulliste Raymond Marcellin en 1969 et réactivées par le tandem au ministère de l’Intérieur de l’époque (de droite) Robert Pandraud et Charles Pasqua. Chargées du maintien de l'ordre dans une manifestation étudiante, elles ont matraqué sauvagement Malik tombé à terre (selon les témoignages) qui succombera un peu plus tard à l'hôpital Cochin. Il est aussi à noter que ce corps de répression dissout après la mort de Malik a été discrètement réintroduit « en urgence » lors des manifestations des Gilets jaunes en décembre 2018 par le gouvernement Macron sous le nom de DAR (détachements d'action rapide)…
[4] Parmi beaucoup d’autres exemples, « l’affaire Théo » en 2017 (voir notre article https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201703/9527/affaire-theo-violences-policieres-terreur-d-etat