Soumis par Révolution Inte... le

Le camarade Marc a donné dans le numéro précédent du Bulletin une interprétation du cas de la Revue Internationale que je ne pense pas satisfaisante. Et ce faisant, il a éclipsé un aspect des mouvements de la gauche bourgeoise qui, dans ses limites naturellement, a quand même une certaine importance pour les courants révolutionnaires.
L’analyse du camarade Marc tenait en 2 points :
1°- La R.I. était une tentative provenant d’intellectuels isolés “à présentation marxiste venant en majeure partie du trotskysme et souffrant du mal de devenir des théoriciens du prolétariat”.
2*°- Elle est morte un beau jour (c’était fatal) l’essentiel de ses forces s’étant divisé en deux groupes que nous “trouvons” respectivement aujourd’hui dans le PSU et le RDR, apportant la preuve que “la théorie révolutionnaire du prolétariat exige pour son élaboration un milieu révolutionnaire, un groupe, une revue révolutionnaire”.
Cet argument repose sur des faits inexacts et il masque la vraie question : la R.I. fut menée par d’authentiques militants politiques, liés à l’Opposition de gauche puis au trotskysme bien longtemps avant la guerre et qui loin de rejoindre le PSU et le (...) rappelant du même coup au contrôle de “libération” et de “Franc-tireur”, c’est-à-dire dans ce dernier cas du journal ayant en France le plus fort tirage comme quotidien : Nous sommes donc assez loin de la version présentée.
L’amateurisme velléitaire d’intellectuels auquel le camarade Marc fait allusion pour son explication et donc hors de question. Je crains qu’avec cette formule le camarade ne reproduise là, un vieux stéréotype sur les “intellectuels” introduit depuis la Troisième Internationale et sa dégénérescence, et qui permet d'expliquer tous les malheurs comme en d'autres circonstances celui sur les “petits-bourgeois”.
En fait, la valeur du cas de la R.I. est celui-ci. Il s'agit, comme j'ai dit, de cadres de cadres trotskistes organiques et responsables, de l’avant-guerre et bien connus comme tels, qui tout à fait consciemment trouvèrent dans la Revue un tremplin pour leur évolution actuelle. La période où elle fut publiée (1945-1947) est une période de regroupement, une transition entre la fin de la deuxième guerre mondiale et la scission de deux blocs en vue de la troisième. C'est en même temps, avec les nationalisations européennes, la période de condensation du capitalisme d'État sur l'ancien continent. Dans ce cadre la Quatrième Internationale passe, dans une logique inscrite dès son origine, de la situation de courant opportuniste certes, mais néanmoins liés pour une part à la Révolution (le trotskysme a été à une époque un courant révolutionnaire) à celle de partie intégrante de l'ordre capitaliste. Staliniste de gauche par essence, le trotskysme, il y a 10 ans, faisait, sur cette position, figure d'avant-garde quand pour nous tous, l'URSS était “État ouvrier dégénéré”, alors qu'aujourd'hui resté toujours staliniste de gauche -il se révèle courant contre-révolutionnaire par rapport à une Russie reconnue pour capitaliste d'État. Cela correspond à deux étapes de l'évolution sociale, de la lutte des classes et de la conscience politique, mais on ne peut faire marcher l’histoire en arrière même pour l'interpréter.
En conséquence, cette période ouverte avec la guerre, voit une bureaucratie trotskiste se dégager dans le cadre du capitalisme d'État. Elle s'intègre en même temps à la bureaucratie politique du régime. L’aventure de la R.I. est un des aspects de l’intégration organique de la quatrième Internationale à la bureaucratie. Que sont Naville, Rousset, Rosenthal, etc… ? des bureaucrates trotskystes authentiques et diplômés qui trouvent leur voie et leur ascension (qui est réel par rapport au cadre bourgeois) en rompant avec le cadre de la Quatrième Internationale et formant une “droite” qui retourne pour paraphraser un langage freudien à son placenta politique. Ces bureaucrates restent collés soit au socialisme, soit au stalinisme de gauche tels qu’ils se présentent aujourd’hui, c’est-à-dire à des courants dont, sur une tout autre base jadis, naquit fonctionnellement le trotskysme. Mais à la suite de cela certains d’entre eux [le] sont, par une réputation récente, sur l’avant-scène de la vie bourgeoise. On dira : c’est secondaire par rapport au gaullisme, au stalinisme et au reste. Oui. Mais encore cela mérite-t-il d’être expliqué, et de l’être correctement.
Les incohérences et confusions théoriques de la R.I. pendant toute sa parution, loin de tenir à des incartades de plaisantins, étaient donc d’une absolue nécessité et correspondaient aux besoins spécifiques d’un courant de la bureaucratie capitaliste. C’était, si l’on peut dire une confusion “confusionniste” (agissante) par opposition à une confusion en soi. L’affaire des “intellectuels” n’a donc rien à voir là-dedans. Justement si cela avait été le cas, d’une part la fin aurait été tout autre, et de l’autre, au contraire de ce qu’avance le camarade Marc, il aurait peut-être existé une possibilité pour que l’expérience conduise les hommes qui la menait à la révolution. Des intellectuels à tendance révolutionnaire par opposition à des bureaucrates trottes plus sans doute poser des problèmes, soulever des questions, examiner toute chose sans mettre de frein ni à leur horizon ni à leur pensée. Une honnêteté délibérée d'examen aurait amené les noyaux révolutionnaires à prendre à leur tour une part à leur effort, sans doute pas par la contribution directe, bien entendu, mais par la critique. Mais la critique n'est-elle pas la seule forme possible de la construction ? des intellectuels véritables eussent immédiatement réagi, accepter le débat, ouvert leur colonne à l'expression libre. Ils ont évolué, au moins un certain nombre d'entre eux la prise de la R.I. ce serait alors produite et liquidée en clair, et ainsi eu sensibiliser ce qui suivaient la revue sur des problèmes touchant effectivement la révolution. La mort de la R.I. eut signifié un progrès, alors que comme elle s'est produite, elle a exprimé un recul.
Pourquoi cette possibilité ? parce que les intellectuels sortis de l'ornière des préoccupations de bureaucrates en voie de réorientation eussent pris les problèmes par le fond. J’entends sous leur angle le plus général, le plus philosophique. La Revue masquait son maquignonnage bureaucratique sous le couvert d'une préoccupation “culturelle”. Fort bien. Dans l'éventualité que nous examinons cela eut été authentique. Alors au lieu du scientisme, du mécanisme, du matérialisme, de la superstition statistique et apologétique de la R.I. on aurait pu connaître une vraie remise en question des connaissances à leur niveau actuel, une orientation située en fonction du doute méthodique. Contrairement à ce que croient ceux pour qui le combat du prolétariat se limite à l'usine, la révolution, évènement qui s'applique à la société dans son ensemble, passe aussi par là. Cela ne veut pas dire qu'une telle entreprise aurait eu, en soit, une portée révolutionnaire. Non, évidemment. Mais cela pouvait permettre à ses intellectuels de gagner petit à petit le courant et peut-être de l'alimenter ensuite et qui ne se pavanaient pas dans l'appareil des partis bourgeois-libéraux dominant la politique de la période précédente, celle où le capitalisme d'État commence à cristalliser, c'est-à-dire que la pensée s'administre aujourd'hui comme hier les P.T.T. ou le parti radical socialiste ce qui consacre la décadence de la culture. C’est un aspect -grave pour nous révolutionnaires- de la décadence bourgeoise, car nous avons besoin de la culture bourgeoise pour la révolution.
Dans ces conditions, il était impossible que la revue internationale ou tout autre revue puissent être en 1945 autre chose que ce qu'elle fut : le tremplin d'une clique bureaucratique. La situation excluait qu'il exista dans la société française d’alors -c'est donc encore plus vrai aujourd'hui- des hommes suffisants en nombre et en talent pour animer une Revue qui puisse sortir du climat bureaucratique. Ce manque était le produit déterminé de la situation, son expression. Il manquait le public, qui ne fut vaste relativement autour de la R.I. (c'était la seconde Revue française de ce type après les temps modernes de Sartre) que parce qu'on lui offrit une substance qui satisfaisait son attente de bureaucratisme.
Reste la question du niveau culturel de la paix. Je crois le camarade marque à côté de la question quand il juge que cette revue Le pendant un temps, pour les problèmes généraux, “un certain niveau et un intérêt indéniable”. En vérité, sur le plan intellectuel ce fut une des meilleures réalisations pour son temps, et même pour toute une période. Voilà ce qui doit être dit d'abord. Seulement comme elle ne sut en définitive, et en dehors d'étude isolées qui présentaient un intérêt par elles-mêmes, qu’agiter le mécanisme Pavlovien, le surréalisme ménopausé et le la scolastique économico-politique, le tout assaisonné de demi-mots, allusion, de détours et de dissimulation philosophique, il reste à se demander pourquoi la Revue marqua malgré tout. C’est sans doute que les entreprises littéraires ou philosophiques de quelques niveaux qu'elles soient ont leur rapport avec l'histoire. “A chaque époque historique” a dit Marx “a besoin de grands hommes quand elle ne les a pas elle-même inventés”. “Chaque époque a aussi besoin de ses moyens d'expression culturels, Revue ou autre. Elle les invente aussi lorsqu'elle ne les a pas”.
Morel
PS : Le camarade marque indique plus loin en commentaires à cet article, que aussi valable que soit mon analyse, il n'en reste pas moins que les éléments animateurs de la R.I. étaient un groupe d'intellectuels, et qu'à ce titre il représentait une variété particulière de bureaucrates trotskystes, ce qui explique le caractère spécifique de leur évolution. Je souscris absolument. La bureaucratie trotskyste dans son ensemble n'a pas suivi les mêmes voies que la (...) la Quatrième Internationale comme telle, s’intégrant au capitalisme d’Etat par d’autres voies. Seuls des intellectuels pouvaient finir comme l’équipe de R.I.. Conçue sous cette forme, l’analyse du camarade Marc est absolument correcte.
J’indique qu'aux Etats-Unis, l’intégration des intellectuels trotskystes au capitalisme est faite depuis longtemps (elle a commencé avant la guerre). Il ne reste plus dans le mouvement, que la bureaucratie d’extraction petite-bourgeoise et ouvrière. Son intégration, qui avec le système du double-parti ne se trouve pas aisément de voie aisément politique, se fait par l’intermédiaire de la bureaucratie syndicale. C’est bien la preuve que le cas spécial de la R.I. n’a aucune portée générale. Il est spécial à un groupe français particulier.
Morel
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Réponse à Morel
J'accepte volontiers les remarques faites par le camarade Morel dans son article à propos de la revue internationale, et cela d'autant plus que je ne vois pas en elle une critique mais plutôt en complément à mon analyse de ce que font les prétendait être la revue internationale.
Il est parfaitement exact que l'équipe de la Revue Internationale était dans sa grande majorité composée d'éléments politiques, vieux militant venu du trotskysme. Je l'avais, je crois, expressément mentionné dans mon premier article. Si Morel insiste plus particulièrement sur cet aspect, c'est qu'il examine l'évolution de la revue, en quelque sorte de l'intérieur, et de l'intérieur de l'évolution générale du trotskysme. Ce dernier en tant que courant suit une évolution d'intégration dans le capitalisme d'État, et cela le caractérise en entier et par conséquent cette évolution ne peut expliquer en particulier le cas de l'équipe de la revue internationale. Ceux qui caractérise cette dernière, c'est précisément savoir, presque son détachement organique du trotskisme, sa prétention, sincère ou non, mais toujours proclamé d'être un centre de la pensée et de la théorie révolutionnaire : un groupement spécifique d'intellectuels. Un tremplin pour des bureaucrates trotskystes en voie d'intégration dans le capitalisme d'État, dit Morel. Cela est possible, et même certains pour quelques-uns ou pour la majorité de la Revue Internationale. Mais Demazière, Parisot et tant d'autres bureaucrates trotskystes, n'avait eu, pas besoin de ce tremplin pour parcourir le même chemin et se faire une petite place dans le R.D.R. Le fait que la Revue Internationale était un tremplin n’explique pas encore pourquoi elle groupait et s'adressait uniquement à des éléments “intellectuels” et pourquoi elle pouvait abriter, en son sein, pendant 2 années, des tendances aussi opposées par ailleurs que les staliniens et socialistes.
c'est d'ailleurs, en le prenant sous son meilleur jour, en lui accordant les meilleures intentions du monde, sincérité et honnêteté politique que le cas de la Revue Internationale nous offre l'enseignement le plus intéressant : c'est l'impossibilité absolue de faire un travail de recherche et d'élaboration théorique révolutionnaire en dehors d'une délimitation politique préalable franche et publique, en dehors d'une orientation politique consciente, en dehors d'un lien organique avec le travail politique des groupes révolutionnaires.
C’est sous cet angle que nous avons voulu examiner la valeur de l'un de l'activité de la Revue Internationale, et d'y insister. Dans la (...) tout de même faire œuvre utile en collaborant à toutes sortes revues indépendantes et socialisantes.
Si Lénine pouvait dire que “sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire” à notre tour nous pouvons dire pas d'élaboration de théorie révolutionnaire hors de cadres, si réduits soit-il, d'une activité politique et pratique révolutionnaire.
Ce n'est donc pas un parallèle ou une opposition entre ouvriérisme et intellectualisme que j'ai voulu établir, ni davantage nécessité pour les “intellectuels” d’être liés à “tel noyau ouvrier révolutionnaire” mais uniquement démontrer que la recherche théorique révolutionnaire ne peut se faire en se situant à l'intérieur du mouvement révolutionnaire et non séparément et extérieur à lui.
Je crains que le camarade Morel n'ouvre une petite fenêtre sur la possibilité d'existence d'une expression d'indépendance de l'activité culturelle, séparément des tendances de classe. Certes, il nie une telle possibilité dans la période actuelle, mais en se référant à des exemples dans le passé, il semble ne pas l'exclure pour l'avenir.
Une telle élaboration intellectuelle, même sur un plan purement scientifique me semble déjà difficilement réalisable sans qu'elle l'intègre à une orientation générale, mais quand il s'agit des sciences ayant trait à l'homme et à la société, et encore plus spécialement quand il s'agit des problèmes sociaux, alors une telle élaboration purement intellectuelle devient catégoriquement impossible sans se rattacher directement aux idéologies des classes fondamentales de la société. Cela n'est pas exclusivement le fait seulement de la période décadente du capitalisme, mais c'était aussi valable dans sa période d’ascendance. Il faut remonter bien loin dans l'histoire de la société capitaliste pour trouver ce genre de milieu intellectuel au sein desquelles un travail de différenciation d'orientation de classe est encore en train de se produire. Cette différenciation étant achevée depuis environ un siècle, depuis l'heure l'idéologie socialiste et ses fondements théoriques ne s'élabore au travers des organismes propres du prolétariat, et exclusivement au travers de ceux-ci.
Plus, ça précise l'opposition des classes et leur formulation idéologique, moins il y a de place à des groupements et à des expressions intellectuelles indifférenciées. L'impossibilité d'existence d'un tel groupement et d'une telle revue et donc un fait, leur dislocation rapide, inévitable, et cela sans qu’elle ne puisse jamais être d’un apport positif.
La revue internationale a été ce qu'elle a été, c'est-à-dire un vaste fiasco du point de vue de la pensée révolutionnaire, non parce que parce qu'elle a été dirigée par une clique corrompue de bureaucrates, mais avant tout parce qu'elle voulait se situer sur un terrain qui n'existe plus depuis longtemps, et c'est parce qu'il voulait se situer sur ce terrain qu'elle ne pouvait servir que de tremplin à des bureaucrates en mal de percer.
Marc