Soumis par Revue Internationale le

Dans des articles publiés récemment et consacrés aux premiers jours de la seconde présidence de Donald Trump, le CCI a déjà expliqué que le chaos et les ravages qu’il a déclenchés dans le monde depuis qu’il s’est installé à la Maison-Blanche sont loin de représenter un éclair dans ciel d’azur, mais expriment le pourrissement du système capitaliste dans son ensemble. Le gangstérisme imprévisible de l’administration de Trump est le miroir d’un ordre social en ruines. En outre, la faction libérale-démocrate de la bourgeoisie américaine qui résiste bec et ongles à la nouvelle présidence fait tout autant partie de ce pourrissement et n’est en aucun cas un « moindre mal » ou une solution alternative au mouvement populiste MAGA (Make America Great Again) qui devrait être soutenu par la classe ouvrière.
Quelle que soit la forme politique que prend le capitalisme aujourd’hui, seules la guerre, la crise et la paupérisation de la classe ouvrière sont à l’ordre du jour. La classe ouvrière doit lutter pour ses intérêts de classe et ce, face à toutes les composantes de la classe dirigeante. La résurgence des luttes ouvrières pour défendre les salaires et les conditions de vie, comme cela s’est produit récemment chez Boeing et dans les docks de la côte est des États-Unis, ainsi que la résurgence de la combativité en Europe, sont les seules promesses pour l’avenir.
Dans cet article, nous souhaitons expliquer davantage pourquoi et comment Trump a été élu pour un second mandat, pourquoi il est plus extrême et dangereux que lors de son premier mandat, dans le but de montrer plus clairement le caractère autodestructeur de l’ordre bourgeois qu’il symbolise ; ainsi que l’alternative prolétarienne au système actuel.
La première administration de Trump, un résumé/rappel
Fin 2022, au milieu du mandat de Biden à la Maison-Blanche, le CCI a dressé le bilan de la première présidence Trump :
« L’irruption du populisme dans la première puissance mondiale qui a été couronnée par le triomphe de Donald Trump en 2016 a apporté 4 années de décisions contradictoires et erratiques, de dénigrement des institutions et des accords internationaux qui ont encore accéléré le chaos mondial et conduit à un nouvel affaiblissement et discrédit de la puissance américaine, accélérant ainsi son déclin historique ».
La présidence Biden qui a suivi la première administration de Trump n’a pas été en mesure d’inverser cette situation qui s’aggravait :
« peu importe que l’équipe Biden le proclame dans ses discours, ce n’est pas une question de souhaits, ce sont les caractéristiques de cette phase finale du capitalisme qui déterminent le cours des tendances et l’abîme vers lequel le capitalisme nous mène si le prolétariat n’y mettait pas fin par la révolution communiste mondiale. »([1])
Le principe directeur du premier mandat de Trump et de sa campagne électorale (« America First ») se poursuit sous son second mandat. Ce slogan signifie que l’Amérique ne doit agir que dans son propre intérêt national au détriment de celui des autres, « alliés » ou ennemis, en recourant à la force économique, politique et militaire. En ce sens que les États-Unis peuvent conclure des « accords » (plutôt que des traités) avec d’autres pays (qui peuvent d’ailleurs être rompus à tout moment selon la « philosophie » qui sous-tend ce slogan), ils font aux gouvernements étrangers « une offre qu’ils ne peuvent pas refuser », selon la célèbre réplique du film de gangsters Le Parrain. Comme Marco Rubio, nommé secrétaire d’État par Trump, l’a dit aux gouvernements étrangers : les États-Unis ne leur parleront désormais plus d’intérêts mondiaux et d’ordre mondial, mais uniquement de leurs propres intérêts. Cependant, « Might is right » (la loi du plus fort) n’est pas un cri de ralliement pour le leadership américain.
La politique de l’America First, en 2016, découle du constat par une partie de la bourgeoisie américaine que la politique étrangère qu’elle avait suivie jusqu’alors, consistant à jouer le rôle de gendarme du monde afin de créer un nouvel ordre mondial après l’effondrement du bloc russe en 1989, n’avait abouti qu’à une série d’échecs coûteux, impopulaires et sanglants.
Cette nouvelle politique reflète la prise de conscience définitive que la Pax Americana ([2]), instaurée après 1945 et qui a garanti l’hégémonie mondiale des États-Unis jusqu’à la chute du mur de Berlin, ne peut être rétablie sous quelque forme que ce soit. Pire encore, pour Trump, le maintien de la Pax Americana, c’est-à-dire le fait que ses alliés comptent sur la protection économique et militaire des États-Unis, implique que les États-Unis se faisaient « injustement » exploiter par les anciens membres de leur bloc impérialiste.
Le premier mandat de Trump : le contexte
L’opération Tempête du désert, en 1990, était le recours massif à la puissance militaire américaine dans le golfe Persique pour contrer la montée en puissance du désordre mondial sur le plan géopolitique après la dissolution de l’URSS. Elle visait en particulier les ambitions d’indépendance de ses anciens grands alliés en Europe.
Mais quelques semaines seulement après cet horrible massacre, un nouveau conflit sanglant éclatait dans l’ancienne Yougoslavie. L’Allemagne, agissant seule, reconnaît la nouvelle république de Slovénie. Ce n’est qu’avec le bombardement de Belgrade et les accords de Dayton de 1995 que les États-Unis ont réussi à affirmer leur autorité. L’opération Tempête du désert a stimulé les tendances centrifuges de l’impérialisme au lieu de les atténuer. En conséquence, le djihadisme islamique s’est développé, Israël a commencé à saboter le processus de paix palestinien laborieusement élaboré par les États-Unis et le génocide au Rwanda a causé un million de morts alors que les puissances occidentales complices agissaient pour leurs intérêts divergents. Les années 1990, malgré les efforts des États-Unis, ont illustré, non pas la formation d’un nouvel ordre mondial, mais l’accentuation du chacun pour soi en politique étrangère, et donc l’affaiblissement du leadership américain.
La politique étrangère américaine des « néoconservateurs » dirigés par George W. Bush, devenu président en 2000, a conduit à des échecs encore plus catastrophiques. Après 2001, une autre opération militaire massive était lancée au Moyen-Orient avec l’invasion américaine de l’Afghanistan et de l’Irak au nom de la « guerre contre le terrorisme ». Mais en 2011, lorsque les États-Unis se sont retirés d’Irak, aucun des objectifs visés n’avait été atteint. Les armes de destruction massive de Saddam Hussein (un prétexte inventé pour l’invasion) se sont avérées inexistantes. La démocratie et la paix n’ont pas été instaurées en Irak en lieu et place de la dictature. Le terrorisme n’a pas reculé : au contraire, Al-Qaïda a bénéficié d’un formidable nouvel élan qui a provoqué des attentats sanglants en Europe occidentale. Même aux États-Unis, les expéditions militaires, qui ont coûté cher en argent et en sang, sont impopulaires. Mais surtout, la guerre contre le terrorisme n’a pas réussi à rallier l'ensemble des puissances impérialistes européennes et autres à la cause des États-Unis. La France et l’Allemagne, contrairement à ce qui s’était passé en 1990, ont choisi de ne pas participer aux invasions américaines.
Toutefois, le retour au « multilatéralisme » en lieu et place de l'« unilatéralisme » des néo-conservateurs, sous la présidence de Barack Obama (2009-2016), n’a pas non plus réussi à restaurer le leadership mondial des États-Unis. C’est au cours de cette période que les ambitions impérialistes de la Chine ont explosé, comme en témoigne le développement géostratégique de la nouvelle route de la soie après 2013. La France et la Grande-Bretagne ont poursuivi leurs propres aventures impérialistes en Libye, tandis que la Russie et l’Iran ont profité du semi-retrait américain des opérations en Syrie. La Russie a occupé la Crimée et a lancé une offensive dans la région du Donbass, en Ukraine, en 2014.
Après l’échec du carnage monstrueux des néo-conservateurs est venu l’échec diplomatique de la politique de « coopération » d’Obama.
Comment les difficultés des États-Unis à maintenir leur hégémonie pouvaient-elles encore s’aggraver ? En la personne du président Trump.
Les conséquences de la première présidence de Trump
Dès sa première présidence, la politique « America First » de Trump a contribué à détruire la réputation d’allié fiable des États-Unis et de leader mondial doté d’une politique cohérente et d'une bousolle morale. En outre, c’est au cours de son mandat que de sérieuses divergences sont apparues au sein de la classe dirigeante américaine au sujet de la politique étrangère dde voyou e Trump. Des divergences cruciales sont apparues au sein de la bourgeoisie américaine quant à savoir quelle puissance impérialiste était une alliée et qui était une ennemie dans la lutte des États-Unis pour conserver leur suprématie mondiale.Trump a renié le pacte transpacifique, l’accord de Paris sur le changement climatique et le traité nucléaire avec l’Iran ; les États-Unis sont devenus une exception en matière de politique économique et commerciale au sein du G7 et du G20, s’isolant ainsi de leurs principaux alliés sur ces questions. Dans le même temps, le refus des États-Unis de s’engager directement au Moyen-Orient a alimenté une foire d’empoigne des impérialismes régionaux dans la région : l’Iran, l’Arabie saoudite, la Turquie, Israël et la Russie, le Qatar, ont tour à tour tenté de tirer profit du vide militaire et du chaos.
La diplomatie de Trump a eu tendance à exacerber ces tensions, comme le transfert de l’ambassade américaine en Israël dans la ville controversée de Jérusalem, ce qui a contrarié ses alliés occidentaux et mis en colère les dirigeants arabes qui considéraient encore les États-Unis comme un « conciliateur » dans la région.
Néanmoins, en reconnaissant la Chine comme le candidat le plus susceptible d’usurper la primauté des États-Unis, l’administration Trump s’est ralliée à l’opinion du reste de Washington. Le « pivot » vers l’Asie déjà annoncé par Obama devait être renforcé, la guerre planétaire contre le terrorisme officiellement suspendue et une nouvelle ère de « concurrence entre grandes puissances » s’ouvrait selon la stratégie de défense nationale de février 2018. Un vaste programme de plusieurs décennies visant à moderniser l’arsenal nucléaire américain et à « dominer l’espace » a été annoncé.
Toutefois, en ce qui concerne la nécessité de réduire les ambitions et les capacités militaires de la Russie (et d’affaiblir le potentiel de cette dernière à aider les propres manœuvres mondiales de la Chine) une divergence est apparue entre la politique ambiguë de Trump à l’égard de Moscou et celle de la faction rivale de la bourgeoisie américaine qui a toujours considéré la Russie comme un ennemi historique en raison de la menace qu’elle représente pour l’hégémonie américaine en Europe de l’Ouest.
Parallèlement, en lien avec la question de la politique russe, l’importance de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), l’ancienne alliance centrale du bloc américain, a été remise en question. Plus particulièrement en ce qui concerne l’obligation prévue par le traité impliquant que tous les membres de l’OTAN viennent en aide à tout autre membre faisant l’objet d’une attaque militaire (en d’autres termes, les États-Unis les protégeraient contre une agression russe). Trump a remis en cause cette clause cruciale. Les implications inquiétantes que cela implique (l’abandon des alliés des États-Unis en Europe occidentale) n’ont pas échappé aux chancelleries de Londres, de Paris et de Berlin.
Ces divergences en matière de politique étrangère sont apparues plus clairement au cours de l’administration Biden consécutive à la première présidence Trump.
L’interrègne Biden : 2020-2024
Le remplacement de Trump par Joe Biden à la Maison Blanche était censé annoncer un retour à la normale dans la politique américaine, en ce sens que ce retour a été marqué par la tentative de reformer d’anciennes alliances et la conclusion de traités avec d’autres pays, afin d’essayer de réparer les dommages causés par les imprudentes aventures de Trump. Biden a déclaré : « America is back » (l’Amérique est de retour). L’annonce d’un pacte de sécurité historique entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie dans la région Asie-Pacifique en 2021 et le renforcement du dialogue de sécurité quadrilatéral entre les États-Unis, l’Inde, le Japon et l’Australie, traduisaient, entre autres mesures, la poursuite de la construction d’un cordon sanitaire contre la montée de l’impérialisme chinois en Extrême-Orient.
Une croisade démocratique mondiale contre les puissances « révisionnistes » et « autocratiques » (l’Iran, la Russie, la Corée du Nord et surtout la Chine) a été invoquée par la nouvelle administration.
L’invasion russe de l’Ukraine en 2022 a permis à Joe Biden d’imposer une nouvelle fois l’autorité militaire américaine aux puissances récalcitrantes de l’OTAN en Europe, les obligeant, notamment l’Allemagne, à augmenter les budgets de défense et à soutenir la résistance armée ukrainienne. Cela a également contribué à épuiser la puissance militaire et économique de la Russie dans une guerre d’usure et à démontrer la supériorité militaire mondiale des États-Unis en termes d’armement et de logistique qu’ils ont fournis à l’armée ukrainienne. Mais surtout, en contribuant à transformer une grande partie de l’Ukraine en ruines fumantes, les États-Unis ont montré à la Chine le danger qu’il y a à considérer la Russie comme un allié potentiel et les conséquences périlleuses de leur propre désir d’annexer des territoires tels que Taïwan.
Cependant, il est apparu au monde entier que la bourgeoisie américaine n’était pas entièrement derrière la politique de Biden à l’égard de la Russie, puisque le Parti républicain au Congrès, toujours sous l’emprise de Donald Trump, exprimait clairement sa réticence à fournir les milliards de dollars de soutien nécessaires à l’effort de guerre ukrainien.
Si le soutien apporté à l’Ukraine a été un succès pour la réaffirmation du leadership de l’impérialisme américain, tout du moins à court terme, son implication dans la guerre d’Israël à Gaza après octobre 2023 a terni cette réussite. Les États-Unis se sont retrouvés coincés entre la nécessité de soutenir leur principal allié israélien au Moyen-Orient face aux terroristes du Hamas, supplétifs de l'Iran, et la détermination aveugle d’Israël à imposer ses propres intérêts, renonçant de fait à une solution pacifique au conflit palestinien, ce qui a accentué le chaos militaire dans la région.
Le massacre de dizaines de milliers de Palestiniens sans défense à Gaza, grâce aux munitions et aux dollars américains, a complètement déformé l’image de droiture morale des États-Unis que Biden avait érigée à propos de la défense de l’Ukraine.Si l’effondrement du régime Assad en Syrie et la défaite du Hezbollah au Liban ont porté un coup sérieux au régime iranien, l’ennemi déclaré des États-Unis, l’instabilité de la région, notamment en Syrie, n’en a pas été réduite pour autant. Au contraire, les États-Unis ont dû continuer à déployer une partie importante de leur marine en Méditerranée orientale et dans le golfe Persique, renforcer leurs contingents en Irak et en Syrie et faire face à l’opposition spectaculaire de la Turquie et des pays arabes à la politique américaine.
Mais surtout, la menace de nouvelles secousses militaires au Moyen-Orient signifie que le pivot vers l’Asie, principal objectif des États-Unis, est compromis.
Deuxième mandat de Trump
Nous avons décrit comment les problèmes de navigation dans le chaos impérialiste qui s’est développé après 1989 ont conduit à des divisions au sein de la classe dirigeante américaine sur la politique à mener, et transcrit l’évolution de la politique populiste de l’America First par rapport à une politique plus rationnelle visant à préserver les alliances du passé. La réélection de Trump au pouvoir, même après la débâcle de sa première présidence, est le signe que ces divisions internes n’ont pas été maîtrisées par la bourgeoisie et qu’elles recommencent à affecter sérieusement la capacité des États-Unis à mener une politique étrangère cohérente et conséquente, au point même de mettre en péril sa principale préoccupation, qui est de bloquer ou de prévenir la montée en puissance de la Chine.
À la dangereuse incertitude de cet effet boomerang du chaos politique sur la politique impérialiste s’ajoute le fait que la marge de manœuvre des États-Unis sur la scène impérialiste mondiale a sensiblement diminué depuis le premier mandat de Trump, et que son second mandat intervient alors que deux conflits majeurs font rage en Europe de l’Est et au Moyen-Orient. Nous ne reviendrons pas sur les causes profondes du désarroi politique au sein de la bourgeoisie américaine et de son État que les premières actions de Trump ont dramatiquement mis en évidence, cela sera expliqué dans un autre article.
Mais en moins d’un mois, Trump a fait savoir que la tendance de sa politique de l’America First, qui consiste à détricoter la Pax Americana sur laquelle reposait la suprématie mondiale des États-Unis après 1945, va s’accélérer beaucoup plus rapidement et profondément que lors de son premier mandat, notamment parce que le nouveau président entend passer outre les garde-fous qui limitaient à l’époque son champ d’action à Washington en nommant ses sbires, compétents ou non, à la tête des services de l’État. La principale préoccupation de la bourgeoisie américaine après 1989 - empêcher la fin de sa domination mondiale dans la mêlée générale du monde post-bloc – a été bouleversée : la « guerre de chacun contre tous » est devenue, dans les faits, la « stratégie » de la nouvelle administration. Une stratégie qui sera plus difficile à inverser qu’elle ne l’était déjà après le premier mandat de Trump, et ce même par une nouvelle administration plus « intelligente ».
L’objectif de reprendre le contrôle du Panama ; la proposition d'« acheter » le Groenland ; la proposition barbare de nettoyer ethniquement les Palestiniens de la bande de Gaza et de transformer cette dernière en une Riviera ; toutes ces premières déclarations du nouveau président sont autant dirigées contre ses anciens alliés que contre ses ennemis stratégiques. La proposition concernant Gaza, qui profiterait à son allié Israël en supprimant la solution des deux États en Palestine, ne ferait qu’attiser l’opposition des autres puissances arabes, ainsi que de la Turquie et de l’Iran. La Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne se sont déjà prononcées contre cette proposition de Trump.
Mais il est probable que les États-Unis sous Trump imposeront à l’Ukraine un accord de paix prévoyant la cession de 20 % de son territoire à la Russie. Les puissances ouest-européennes s’y opposent déjà avec véhémence, ce qui aura pour effet de désagréger encore davantage l’OTAN, qui était auparavant l’axe de la domination internationale des États-Unis. Le nouveau président exige que les puissances économiques européennes stagnantes de l’OTAN fassent plus que doubler leurs dépenses militaires afin de pouvoir se défendre seules, sans l’aide des États-Unis.
Une bonne partie du « soft power » de l’impérialisme américain, à savoir sa prétendue hégémonie morale, va être anéantie presque d’un seul coup : l’USAID, la plus grande agence mondiale d’aide aux « pays du Sud », a été « passée à la déchiqueteuse » par Elon Musk. Les États-Unis se sont retirés de l’Organisation mondiale de la santé et ont même proposé d’engager une procédure contre la Cour pénale internationale pour sa partialité à l’égard des États-Unis et d’Israël.
La guerre commerciale protectionniste proposée par la nouvelle administration américaine porterait également un coup massif à ce qui reste de la stabilité économique du capitalisme international, qui a soutenu la puissance militaire des États-Unis, et se répercuterait sans aucun doute sur l’économie américaine elle-même sous la forme d’une inflation encore plus élevée, de crises financières et d’une réduction de son propre commerce. L’expulsion massive de la main-d’œuvre immigrée bon marché des États-Unis aurait des conséquences économiques négatives et autodestructrices pour l’économie américaine ainsi que pour la stabilité sociale.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, il n’est pas possible de savoir si l’avalanche de propositions et de décisions du nouveau président sera mise en œuvre ou s’il s’agit d’outils de négociation farfelus susceptibles de déboucher sur des accords temporaires ou des concessions réduites. Mais l’orientation de la nouvelle politique est claire. L’incertitude même des mesures a déjà pour effet d’alarmer et de contrarier les anciens et futurs alliés potentiels et de les obliger à agir par eux-mêmes et à chercher du soutien ailleurs. En soi, cela ouvrira davantage de possibilités aux principaux ennemis des États-Unis. L’accord de paix proposé en Ukraine profite déjà à la Russie. La guerre commerciale protectioniste est un cadeau pour la Chine, qui peut se positionner comme un meilleur partenaire économique que les États-Unis.
Néanmoins, malgré la politique autodestructrice à long terme de « l’America First », les États-Unis ne céderont pas leur supériorité militaire à leur principal ennemi, la Chine, qui est encore loin d’être en mesure de les affronter directement à armes égales. De plus, la nouvelle politique étrangère suscite déjà une forte opposition au sein même de la bourgeoisie américaine.
La perspective est donc celle d’une course massive aux armements et d’une nouvelle augmentation chaotique des tensions impérialistes dans le monde, les conflits entre grandes puissances se déplaçant vers les centres du capitalisme mondial et enflammant davantage ses points stratégiques globaux.
Conclusion : Trump et la question sociale
Le mouvement MAGA de Donald Trump est arrivé au pouvoir en promettant à l’électorat plus d’emplois, des salaires plus élevés et la paix dans le monde, en lieu et place de la baisse du niveau de vie et des « guerres sans fin » de l’administration Biden.
Le populisme politique n’est pas une idéologie de mobilisation pour la guerre comme l’était le fascisme.
En fait, la croissance et les succès électoraux du populisme politique depuis une dizaine d’années, dont Trump est l’expression américaine, reposent essentiellement sur l’échec croissant de l’alternance des vieux partis établis de la démocratie libérale au sein des gouvernements pour faire face à la profonde impopularité de la croissance vertigineuse du militarisme, d’une part, et aux effets paupérisants d’une crise économique insoluble sur les conditions de vie de la masse de la population, d’autre part.
Mais les promesses populistes de remplacer les canons par du beurre([3]) ont été et seront de plus en plus mises à mal par la réalité, et se heurteront à une classe ouvrière qui commence à redécouvrir sa combativité et son identité de classe.
La classe ouvrière, contrairement aux délires xénophobes du populisme politique, n’a pas de patrie, pas d’intérêts nationaux et est en fait la seule classe internationale dont les intérêts communs dépassent les frontières et les continents. Sa lutte pour défendre ses conditions de vie aujourd’hui, qui a une portée internationale (les luttes actuelles en Belgique confirment une fois de plus la résistance de classe dans tous les pays) constitue donc la base d’un pôle d’attraction alternatif à l’avenir suicidaire du capitalisme, à savoir les conflits impérialistes entre les nations.
Mais dans cette perspective de classe, la classe ouvrière devra aussi affronter les forces anti-populistes ainsi que les forces populistes de la bourgeoisie qui proposent à la population un retour à la forme démocratique du militarisme et de la paupérisation. La classe ouvrière ne doit pas se laisser piéger par ces fausses alternatives, ni suivre les forces plus radicales qui affirment que la démocratie libérale est un moindre mal par rapport au populisme. Elle doit au contraire se battre sur son propre terrain de classe.
Le New York Times, porte-parole habituellement sobre de la bourgeoisie libérale américaine, a lancé cet appel radical à la mobilisation de la population pour défendre l’État démocratique bourgeois contre l’État autocratique de Trump dans une déclaration éditoriale du 8 février 2025 :
« Ne vous laissez pas distraire. Ne vous laissez pas submerger. Ne vous laissez pas paralyser et entraîner dans le chaos que le président Trump et ses alliés créent à dessein avec le volume et la vitesse des décrets ; l’effort pour démanteler le gouvernement fédéral ; les attaques performatives contre les immigrants, les transgenres et le concept même de diversité : les demandes que les autres pays acceptent les Américains comme leurs nouveaux suzerains : et le sentiment vertigineux que la Maison-Blanche pourrait faire ou dire n’importe quoi à n’importe quel moment. Tout cela a pour but de maintenir le pays sur ses talons afin que le président Trump puisse aller de l’avant dans sa quête d’un pouvoir exécutif maximal, afin que personne ne puisse arrêter le programme audacieux, mal conçu et souvent illégal mis en avant par son administration. Pour l’amour du ciel, ne vous déconnectez pas. »([4])
Cela ne fait que confirmer que l’ensemble de la bourgeoisie utilise ses propres divergences pour diviser la classe ouvrière et lui faire choisir une forme de guerre et de crise capitaliste plutôt qu’une autre, afin de lui faire oublier ses propres intérêts de classe.
La classe ouvrière ne doit pas être entraînée dans les guerres internes ou externes de la classe dirigeante, mais se battre pour elle-même.
Como (23 février 2025)
[1] Les États-Unis : superpuissance dans la décadence du capitalisme et aujourd’hui épicentre de la décomposition sociale (1ère partie), Revue Internationale n° 169
[2] La Pax Americana qui a suivi la deuxième guerre mondiale n’a jamais été une ère de paix, mais plutôt une ère de guerre impérialiste quasi permanente. Ce terme fait davantage référence à la stabilité relative du conflit impérialiste mondial, avec les États-Unis comme principale puissance, alors que les deux blocs se préparaient à une guerre mondiale avant 1989.
[3] L’expression « Guns and Butter », modèle macroéconomique, se réfère à la répartition des dépenses gouvernementales entre les dépenses de défense (guns) et les dépenses sociales (butter), souvent l’une au détriment de l’autre. (NdT)
[4] En 2003, le New York Times, avec leur réputation de journalisme objectif, entretenait sans arrêt le mensonge des armes de destruction massive détenues par Saddam Hussein afin de légitimer l’invasion américaine en Irak.