Soumis par Révolution Inte... le
Depuis la démission des ministres staliniens, et en rapport direct avec la tension internationale, nous devions assister en France à une recrudescence de mouvements ouvriers.
Doit-on voir là un réveil de la conscience de la classe ouvrière ? Doit-on constater que l'aggravation du ravitaillement et l'augmentation du coût de la vie ont été déterminantes dans les mouvements qui se succèdent depuis près de 2 mois ; ou bien ne peut-on considérer ces mouvements que comme de nouveaux tremplins, pour les staliniens, pour atteindre les anciens postes gouvernementaux qu'ils occupaient et, en outre, épuiser assez les forces encore par trop combatives des travailleurs dans des grèves par paquets, faisant l'effet de piqûre de guêpe sur le gouvernement et de saignée abondante sur la classe ouvrière ?
Nous nous rallions à la dernière hypothèse, car elle est plus en rapport avec la nature réelle du parti stalinien, ainsi qu'avec les revendications ouvrières qui semblent n'avoir pas dépassé le cadre de la lutte syndicaliste, bien que les trotskistes ou les libertaires peuvent se glorifier d'avoir été les promoteurs, vite dépassés, de ces mouvements. Mais, même cette dernière hypothèse est incomplète, car elle ne rend pas compte entièrement de la situation nouvelle créée par la guerre.
En effet, jusqu'en 1939, les luttes ouvrières, dans leur stade de déclenchement, ne pouvaient que s'exprimer sur un terrain proprement économique, tels les réajustements de salaire. À partir de la guerre, la réduction des salaires ouvriers, par l'acuité de la crise capitaliste, prend 2 aspects concomitants.
D'une part la vieille méthode de blocage des salaires et de retard dans le rajustement, d'autre part le rationnement avec toutes ses conséquences, les salaires ouvriers devenant non une valeur anonyme mais un nombre de calories, camouflant une diminution du salaire, car plus on avance et plus le nombre de calories diminue, réduisant ainsi la valeur réelle des salaires.
Il est trop normal et, depuis 2 années de "libertés ouvrières", nous nous apercevons que ce 2ème aspect, le plus important du mouvement général de baisse des salaires, est en même temps le moins compréhensible pour la classe ouvrière. Le marché noir ou marché parallèle - selon les pays codifiant la valeur réelle des marchandises – fait rejeter la responsabilité de cette chute des salaires sur les "margoulins" et non sur le système. Et, à la longue, comme on s'est accommodé du marché noir, on s'accommode de la baisse du rationnement.
Cet aspect nouveau de la lutte de classe, s’il permet de camoufler la réduction des salaires, favorise, d'un autre côté, le déclenchement des mouvements de revendication, non plus sur le plan corporatiste et d'usine mais sur le plan social de toute la population travailleuse. Les mouvements sociaux de Toulouse et de Lyon, pour ne citer que les plus importants, montrent bien leur nature plus combattive et plus radicale que n'importe quelle grève embrassant toute une corporation comme celle de la métallurgie.
Le problème est d'importance car il en vient aujourd'hui à rejeter une certaine forme d'organisation de la classe ouvrière, tels les syndicats qui, par l'étroitesse de leur sens de la lutte, entravent les mouvements, les embrigadent et leur font perdre leur véritable nature de mécontentement général.
Nous disions précédemment que la dernière hypothèse-tentative des staliniens de rentrer au gouvernement ne pouvait pas être complète sans tenir compte de la situation nouvelle créée par la guerre.
En effet, aucun mouvement ne peut être déclenché s'il n'existe pas, à la base, un mécontentement réel et grandissant, lequel, malgré la confusion de la conscience de classe, pousse celle-ci à saisir toute occasion de manifester. Une manifestation pas tellement dangereuse car rejetée par des petits groupes ; nous reviendrons sur ce point.
D'un autre côté, comme le mouvement tendanciel de diminution du pouvoir d'achat des masses travailleuses revêt 2 aspects concomitants -la réduction du salaire et celle du rationnement- le sens de la lutte s'orientera vers une impasse ou vers une voie révolutionnaire selon l'aspect sur lequel la classe ouvrière insistera.
Si elle s'en remet à l'augmentation nominale des salaires, le mouvement ne pourra que graviter dans l'orbite syndicale, se dissociant ainsi du reste de la population travailleuse, n'exprimant plus qu'une revendication corporatiste et brisant l'unité économique, sociale et politique de la classe ouvrière. Le pourcentage d'augmentation des salaires donne toujours lieu à des arbitrages et des palabres en chambre.
Les syndicats le savent bien et les staliniens peuvent aujourd'hui ne pas craindre d'être débordés. La revendication de salaire amène tôt ou tard les ouvriers à s'en remettre aux discussions des délégués syndicaux, même si le mouvement est déclenché par une aile dissidente du syndicalisme. L'État, solidaire du syndicat, ne discutera et ne signera un protocole d'entente qu'avec les délégués syndicaux reconnus officiellement. Bureaucratie non, solidarité oui !
Et c'est justement sur ce fond de tableau que les mouvements de grève, depuis celui de Renault jusqu'à celui des cheminots, se déroulent.
Une minorité syndicaliste déclenche le mouvement Renault sur la base d'un rajustement de salaire et les staliniens semblent débordés. Que non ! Ils ont vite fait de saisir le mouvement sur les mêmes bases que la minorité. Le comité de grève, expression de cette minorité, se disqualifie lui-même en demeurant sur la base du rajustement de salaire. Les syndicats obtiennent satisfaction et peuvent, à juste titre, crier victoire ; mais seulement victoire sur le comité de grève et surtout sur la classe ouvrière.
Avec les gaziers et les électriciens, la concurrence syndicale n'a même pas joué. Marcel Paul peut revendiquer et discuter sans que les minorités ne le tarabustent. Mieux encore, il risque de se faire applaudir par cette même minorité soi-disant de gauche.
Avec les cheminots, la CNT, organisation syndicale rivale de la CGT à tendance libertaire, déclenche le mouvement à Villeneuve St-Georges, mais là avec une rapidité qui a manqué à Renault. La CGT prend la tête du mouvement et voilà notre pauvre CNT débordée par la CGT sans pouvoir pousser un cri. Les mêmes revendications de salaire qu'elle présentait, la CGT les présente. Et le gouvernement, bon prince, discute avec la CGT bien qu'il renvoie au 1er juillet l'application de l'accord.
Et de cette mascarade de lutte, les ouvriers sortent battus, mécontents et désorientés ; les syndicats reprennent bien en mains la situation et le gouvernement raffermit son ascendant sur le pays.
De ces 2 mois de mouvements de grève, il apparaît clairement que l'épuisement de la classe ouvrière est en bonne voie et que de bonnes grèves aussi réussies que celle des cheminots nous conduiront à l'épuisement total des travailleurs. Bravo aux trotskistes et aux libertaires, la victoire est proche, mais uniquement pour le gouvernement.
Bravo à la CGT et au PCF ! Vous avez réussi à déborder les minorités syndicales, à préparer votre retour au gouvernement et à saigner à blanc la classe ouvrière. La France capitaliste peut, à juste titre, vous en être reconnaissante.
Pourtant, à cette échéance de juillet, le gouvernement peut compter sur les vacances pour reconduire les rajustements des salaires à octobre et même décembre.
Mais, pour la classe ouvrière, cette échéance se paie, car elle sort de cette lutte fatiguée et affaiblie par ces manifestations stériles.
De ces mouvements, 2 questions se présentent et auxquelles la classe ouvrière a à répondre :
Qui trouvait une nécessité dans ces mouvements ? Comment se fait-il que ces mouvements aient tous échoué dans une impasse ?
À la première question, pas besoin d'être grand clerc pour remarquer que l'opposition, réelle mais clandestine, au gouvernement pourrait seule trouver intérêt à ces grèves par petits paquets et toujours sur le terrain économique.
Cette opposition est celle du PCF. Ne pouvant pas être au gouvernement parce que cela l'engagerait trop dans une politique pro-américaine et, d'autre part, parce que le bloc américain en France ne veut plus des staliniens au pouvoir, il s'agit, pour ce parti, de créer une atmosphère de troubles, plus économiques que sociaux, permettant, par les difficultés qui en résultent, un freinage de la politique pro-américaine de la France.
Et les grèves économiques, par paquets ou perlées, se succéderont sans risque pour la bourgeoisie, d'autant que les minorités "révolutionnaires" de la CGT donneront un bon coup de main au PCF. Jusqu'à quand ? Et là se pose la deuxième question : pourquoi les mouvements retombent-ils toujours dans une impasse ?
La combativité ouvrière existe ; les conditions de crise du régime et de la conjoncture aussi. Que manque-t-il, si ce n'est la conscience de la lutte et la conscience de la situation ?
Cette lutte de revendication économique ne peut que fatiguer inutilement la classe ouvrière et permettre à la CGT et aux staliniens de tenir chaque mouvement en main.
Ce que les révolutionnaires et la classe ouvrière ne doivent pas perdre de vue, c'est le 2ème aspect de la tendance de baisse du pouvoir d'achat des travailleurs en régime capitaliste, c'est le ravitaillement qui pose la lutte unitairement sur le plan social et surtout hors de l'emprise de la CGT, caserne des ouvriers ; et là le but atteint est double car, bien qu'il ne résolve rien, il permet à la classe ouvrière une conscience solidaire de la nécessité d'une solution collective des masses travailleuses, indépendante de la corporation, et il dessine les organismes sociaux, unitaires des ouvriers pour le combat révolutionnaire de demain.
Ou la classe ouvrière prend conscience de l'importance de la lutte, surtout sur le rationnement et hors des syndicats, ou la perspective de guerre est proche et le nouveau massacre impérialiste viendra résoudre les problèmes en suspens par la politique de l'anéantissement.
En attendant, assez de ces grèves par paquets qui usent et saignent la classe ouvrière, au grand profit de la bourgeoisie et de ses partis, du PRL au PCF.
SADI