Soumis par Revue Internationale le
La politique réserve -pour ceux qui se laissent aller à un examen superficiel des événements- des surprises bien choquantes.
C'est ainsi que -contre tous ceux qui, au travers des récentes élections , considéraient le parti socialiste comme liquidé, ne représentant qu'un vestige de la 3ème république, nous opposions la conception que le parti socialiste représentait le présent et l'avenir politique de la France bourgeoise.
Ceux qui enterraient déjà la SFIO, malgré leur prétendue formation marxiste, s'imaginaient peut-être que les élections devenaient facteur déterminant dans la conduite politique du pays . Pour cela il fallait qu'ils aient encore des illusions sur la valeur déterminative de la consultation populaire.
Voilà un parti qui sort des élections comme le grand vaincu, perdant successivement 300.000 et 700.000 voix, et qui, malgré cela, donne un président de l'assemblée, un président du conseil, un président de la république et qui, surtout, arrive à imprimer au pays les grandes lignes économico-politiques du programme de la SFIO et cela sans traficotage de couloir, avec l'assentiment quasi générale de l'assemblée législative.
Pour nos prophètes en marxisme, c'était un rude coup à leur analyse politique de la situation. Et pourtant la réalité, ni pure ni impure, est là, tangible, matérielle.
La France se trouvait, au sortir des élections, devant 2 blocs impérialistes opposés : d'une part la Russie, d'autre part l'Amérique. Elle devait choisir clairement l'une ou l'autre voie. De tous les programmes des partis politiques, il y en avait deux qui exprimaient clairement ces deux voies :
- le programme stalinien pour l'impérialisme russe ;
- le programme SFIO pour l'impérialisme américain.
Devant la catastrophe imminente de la France, devant le spectre de l'inflation, devant la pauvreté industrielle, devant les problèmes coloniaux, la bourgeoisie devait choisir rapidement. L'investiture de Blum, des MRP aux staliniens, exprimait non pas l'investiture d'une personnalité mais celle de tout un programme politique.
Que les staliniens aient agrée ce programme, qu'ils aient été obligés de ne pas faire jouer la CGT, son atout important, prouve bien qu'ils se sont rendus compte que, pour relever la France, seule une orientation certaine et décisive vers les USA (même s'ils pensent que c'est temporaire) était nécessaire, la Russie ne présentant aucune garantie d'aide à la France étant elle-même tributaire des USA. Et, à ce titre, on peut, et la bourgeoisie l'a compris, lui décerner le titre de parti bien national et français.
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En quoi consiste l'expérience Blum ? Pose-t-elle le but de relever la France bourgeoise, indépendamment de toutes relations avec le monde extérieur ?
Le problème n'est pas aussi simple. La situation française n'avait pas besoin d'une recette économique. Elle présentait 2 aspects que nous analyserons.
Le premier aspect, l'aspect intérieur, dévoilait une situation économique périclitant de gouvernement en gouvernement. Les charges excessives de l'État, l'augmentation du coût de la vie, les corollaires augmentations de salaires, la pauvreté industrielle du pays, son manque de débouché de matières premières, tout cela entrainant un prix de revient très haut et défavorable dans les échanges internationaux, toutes ces raisons imposaient une solide politique intérieure de défense du franc, de diminution des charges parasitaires de l'État, de stabilisation des prix et, par là, des salaires, d'arrêt d'émissions de monnaie fiduciaire.
Tous ces phénomènes économiques, toutes ces solutions adoptées ne montrent rien d'original.
Pour les chargés de l'État, on comprime le personnel ministériel, on réduit les crédits de certaines branches étatiques telle la défense nationale, on recule le plus possible le reclassement économique des fonctionnaires.
Pour stabiliser les prix, il fallait bloquer les salaires et accepter ou plutôt imposer la différence entre l'indice des prix et l'indice des salaires comme chose admise et normale.
Pour l'arrêt de l'émission d'argent fiduciaire, ceci n'était possible que par une augmentation des ressources étatiques au travers des impôts directs ou indirects et de l'augmentation des prix des industries et exploitations commerciales nationalisées (gaz, électricité, charbon, chemin de fer).
Toutes ces solutions, Laval les avait déjà appliquées en 1934 ; seulement, tous ces problèmes d'ordre économique verraient se greffer et en transformer la nature le problème de la production industrielle proprement ; problème essentiel pour la vie économique du pays et dont les facteurs étaient dépendants d'une politique intérieure et d'une politique extérieure.
D'une politique intérieure, en réduisant la consommation industrielle (ce que Rosa Luxemburg expliquait à propos de l'impérialisme). En effet, la diminution du capital variable du pays (somme des salaires) présentait 2 buts :
- l'augmentation des ressources étatiques, comme nous l'avons dit plus haut ;
- l'économie réalisée représentait une consommation industrielle moindre, la partie économisée servant à élargir la production par un accroissement du capital constant global (technicité, rajeunissement de l'outillage) ;
Et les 5% nous dira-t-on ? Cette baisse, si elle fut possible, c'est :
- en rapport avec un accroissement excessif des prix, se trouvant ainsi au-delà de leur valeur sans que la loi de l'offre et de la demande y soit pour quelque chose (on achetait moins avant les 5% qu'après) ;
- les prix industriels déjà élevés se voyaient subir une augmentation de 15 à 20% avant la baisse de 5% (le prix de l'acier fut relevé de 20% etc.).
Ce qui fait que les 5% n'ont trait qu'à la consommation de subsistance directe et ceci n'influe en rien sur l'équilibre du marché puis que le ravitaillement est là pour freiner nos ardeurs à augmenter notre consommation.
Un fait significatif de cette prétendue baisse de 5% qui ne touche pas réellement les prix industriels, c'est la légalisation du marché noir de l'essence. L'État rend libre la consommation de l'essence à 49 frs le litre.
Voilà l'aspect intérieur du problème de la production industrielle. L'aspect extérieur touche l'âme même de la production. Il faut trouver les débouchés en matière première et en marché outils.
Les matières premières se trouvent dans les colonies ; mais il faut reconquérir économiquement et militairement ces colonies. Pour cela, on a besoin d'une politique d'entente avec les USA qui aideront, par leur neutralité, certains actes militaires et économiques contraires à l'esprit sacro-saint de l'ONU : la liberté des peuples à disposer d'eux-même.
Mais ces sources de matières première, une fois conquises, demandent des transports pour acheminer la main d'oeuvre ; elles demandent aussi des machines-outils neuves et en quantité suffisante pour supporter la concurrence internationale.
Pour cela, un emprunt étranger n'est pas suffisant ; il faut qu'il puisse permettre l'achat des produits industriels de base ; c'est ce que l'on appelle un emprunt à devises étrangères solides.
Il n'y a qu'un seul pays qui se trouve en état de prêter pour qu'on lui achète, et c'est encore les USA. L'emprunt négocié par Blum en mai 1946 à Washington ne pourrait s'effectuer qu'au travers d'une politique d'inféodation de la France aux USA.
Et voilà notre programme SFIO défini. Blum l'a ébauché avec un gouvernement homogène. Ramadier ou un autre ledéveloppera avec un gouvernement multipartite, ne tirant plus à hue et à dia mais homogène du point de vue du programme.
Une fois de plus les staliniens sont amenés à "porter" la politique SFIO pour reprendre le célèbre mot de Thorez.
L'alliance franco-anglaise, ébauchée par le voyage de Blum à Londres, se fera, liant encore plus la France aux USA et déterminant la vulgaire politique de faiblesse édifiée par Churchill : le bloc occidental.
Comble de l'ironie, la Russie donne son assentiment à cet accord. Nous employons le mot ironie pour ceux qui s'imaginent la Russie assez forte pour tenir tête à l'Amérique.
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Une fois cette politique esquissée, on aperçoit toute la démagogie que peut représenter la haine des 5%, une politique plus poussée de nationalisation (meilleur moyen de réduire encore le pouvoir d'achat des masses), une politique extérieure de plus grande alliance avec le bloc américain.
Dans tout ceci, le grand pénitent, le grand exploité demeure la classe ouvrière qui forge ainsi les armes pour une très prochaine crise et une plus que certaine 3ème guerre mondiale.
Si certains éléments de l'avant-garde ont décelé une ouverture d'influence des partis traîtres sur la classe, nous préférons ne pas nous hasarder dans le domaine des désirs qu'on voudrait réalité et dire tout simplement que la seule condition actuelle pour un réveil de classe réside dans une brisure entre les partis traîtres dits ouvriers et le prolétariat, autour de la lutte contre les préparatifs de guerre, ces préparatifs pouvant être identifiés avec le programme ébauché par Blum et repris par la SFIO, les staliniens, le Rassemblement des gauches, avec la neutralité bienveillante du MRP et des PRL, en définitive tout le parlement unanime.
Sadi