Soumis par Revue Internationale le
Un vieux problème revient depuis plus de 50 ans sur le tapis. Jadis rejeté de sous-commission en sous-commission, il allait se reposer dans les vieilles archives, véritables boites magiques de la bourgeoisie, jusqu'au jour où le capitalisme le ressortit, trouvant en lui une possibilité, bien aléatoire, de survie.
Avant 1914, le libéralisme vieillissant avait trouvé un marché étendu et inexploré dans les pays qui devaient devenir plus tard des colonies.
Au nom de "la civilisation européenne" contre la sauvagerie inadmissible des peuples non-européens, de véritables guerres furent déchaînées.
Les conquêtes coloniales n'apportaient rien aux peuples "arriérés" si ce n'est l'asservissement total, les maladies civilisées telle la syphilis ; mais, en revanche, elles rapportaient au capitalisme des métropoles, des bénéfices et la possibilité de faire durer le régime d'exploitation.
La guerre de 1914 qui clôt l'ère des conquêtes coloniales -car il n'y avait plus de conquête à faire- met en avant une autre grande réforme devant assurer le bien-être de l'humanité.
Face à la concentration du capital s'effectuant au travers des trusts privés, le capitalisme avait besoin de rationaliser le travail. Faire produire le plus, payer des salaires de famine, c'est l'époque fordienne avec tout le système de gendarmisation de l'usine.
On reproche à l'ouvrier de perdre de la force de travail dans des gestes inutiles. Au nom de l'économie indispensable au relèvement de l'humanité diminuée par la guerre de 1914-18, on rationalise tout depuis le réveil de l'ouvrier jusqu'à son coucher.
Taylorisation et Stakanovisation prennent des visages attrayants, une simplicité simple pour cacher l'abêtissement vers lequel on conduit l'ouvrier par la rationalisation.
L'Amérique, l'Allemagne et la Russie sont les pays où cette expérience "philanthropique" s'effectue, permettant aux USA une exportation de capitaux, ne trouvant pas à s'employer dans leur pays d'origine.
Mais la crise de 1929 vient renverser ces rêves humanitaires. L'ère de la rationalisation, comme l'a été l'ère du colonialisme, est dépassée. La guerre se repose comme seule solution pour le capitalisme.
Alors, ces deux remèdes pour l'humanité perdent leur masque fantaisiste et idyllique pour montrer leur vrai visage, leur vraie utilité d'exploitation accrue pour la survie d'un régime moribond.
Après la guerre 1939-45 -qui bouleverse de fond en comble toutes les vieilles rengaines du capitalisme où le nationalisme tombe, jeté à bas par le régime qui l'a glorifié-, la société a besoin de nouvelles formes économiques, sociales et politiques.
Les révolutionnaires conscients posent la seule solution viable qui est le renversement violent du régime pour l'instauration de la société socialiste.
Les partis pseudo-ouvriers, qui vont à la rescousse d'un régime croulant et qui veulent redorer le blason de la "patrie", proposent des solutions hybrides qui ne changent rien au caractère d'exploitation du système capitaliste.
Et ce sont les Nationalisations "par le peuple et pour le peuple". L' État perd sa caractéristique d'instrument aux mains de la classe exploiteuse pour devenir le lieu des embrassades collectives et de l'union sacrée.
Au nom du peuple, l'État prend en mains les industries-clés dans l'intérêt général.
Aux gaspillages particuliers dus à l'anarchie du mode d'échange du capitalisme, les nationalisations vont mettre un frein et de l'ordre. Du travail pour tout le monde puisque les usines appartiennent à "la Nation" qui a chargé l'État de gérer la production.
Ce caractère démagogique d'une mesure essentiellement bourgeoise est, d'après ses meilleurs défenseurs et bénéficiaires, l'anse par laquelle la société se transformera.
La morale colonialiste camouflait le besoin d'élargissement du marché mondial. L'utilitarisme social de la rationalisation cachait une tentative d'éviter la crise cyclique du régime et cherchait la possibilité au mode de production capitaliste de vivre par lui-même et en lui-même.
La portée démagogique des Nationalisations consiste en une politique "socialiste" du capitalisme -le loup prenant figure de mouton- pour masquer le besoin qu'a la bourgeoisie, à la fin de sa vie historique, d'instaurer une répression accrue de l' État et une exploitation aggravée de la classe ouvrière pour se maintenir coute que coute au pouvoir.
À chaque époque, la bourgeoisie trouve des remèdes qui, malheureusement pour elle, agissent plus par suggestion que thérapeutiquement.
Procès des nationalisations
Il est préférable, pour la compréhension du procès des nationalisations, de bien saisir à la base les caractéristiques du régime capitaliste ainsi que celles du régime socialiste.
La production capitaliste est directement sujette à l'incorporation du travail humain dans une matière œuvrable. Cette incorporation de travail social ne lui confère pas encore la qualité de marchandise qui est l'essence même du régime bourgeois. Pour que l'objet travail devienne une marchandise, encore faut-il qu'il trouve acquéreur, c'est-à-dire un consommateur capable d'échanger "l'objet travaillé" contre de l'argent représentant une même quantité de travail social.
La pierre angulaire du capitalisme réside donc, dans sa majeure partie, dans le procès de l'échange de marchandise. Ce procès, s'effectuant sur des quantités égales de force de travail dépensé, se complique du fait que la force de travail, si elle est payée à sa valeur marchande, à la propriété de produire plus que sa valeur (le salaire donne la possibilité de reproduire le travail de la veille pour un ouvrier et constitue ainsi sa valeur marchande). Cet excédent de valeur fourni par l'ouvrier s'appelle la PLUS-VALUE.
Une marchandise sera donc représentée dans son ensemble par la force de travail dépensée :
- sous forme de matière première, outillage, bâtiment ; c'est le capital constant ;
- sous forme de salaire ; c'est le capital variable ;
- sous forme d'excédent de travail impayé, bénéfice du capitaliste ; c'est la plus-value.
Si la plus-value était intégralement consommée par les capitalistes, nous n'aurions pas de déséquilibre permanent dans l'échange (offre par rapport à une demande solvable) ; l'élément perturbateur réside dans le fait que la plus-value n'est pas consommée dans son ensemble mais est reversée dans le circuit de production sous forme de capital constant et capital variable.
Ce cycle infernal du capitalisme, réalisant la plus-value en vue de l'introduire dans une production, s'appelle l'ACCUMULATION ÉLARGIE. Et c'est dans la fonction de l'accumulation élargie, d'accumulation de la plus-value pour une production élargie, que le capitalisme prend son sens et trouve sa faillite au bout.
On ne produit pas pour consommer mais pour accumuler et investir de la plus-value dans le capital social. La consommation solvable se rétrécit du fait que cette accumulation sans but social réduit de plus en plus le pouvoir d'achat de la société. Des quantités énormes de marchandises resteront sans acheteurs et les masses verront leur pouvoir de consommation se réduire au fur et à mesure pour permettre une économie pour le capital variable en vue de l'accumulation élargie.
Le procès de production socialiste, tout en conservant encore un principe bourgeois dans son échange (à chacun selon son travail), renverse la vapeur EN RÉDUISANT DE PLUS EN PLUS LA PART DE PLUS-VALUE ALLANT À L'ACCUMULATION, POUR AUGMENTER EN PROPORTION LE POUVOIR D'ACHAT SOCIAL, EN D'AUTRES TERMES LE CAPITAL VARIABLE.
Ces deux processus inverses de l'accumulation tiennent pour négligeable l'existence ou non des capitalistes privés ; (...) sur le capital et non sur la personne détentrice du capital.
Dans la période présente, l' État bourgeois, de par la concentration capitaliste, tend de plus en plus à se substituer au capitaliste individuel. La nécessité, causée par la crise du régime, exige ce transfert de la libre disposition des moyens de production. Ce transfert, par lui-même, ne change en rien la nature du système capitaliste puisque l'accumulation toujours croissante de la plus-value en résulte.
La loi de l'accumulation élargie -en vue d'une production plus grande de plus-value, devant être accumulée à son tour- jouant pleinement, l'État possesseur des industries-clés, en totalité ou en partie, ne fait que continuer le procès capitaliste ; nous arrivons à cette fin probable d'une élimination du capitaliste individuel par le capitalisme d'État. Sur le marché mondial, les États se présenteront à la place des anciens capitalistes privés.
La plus-value n'allant pas augmenter la consommation solvable mais, au contraire, s'économisant et s'accumulant, l'État bourgeois ne pourra en aucun cas représenter l'intérêt général mais servira plutôt à distribuer des prébendes à ses serviteurs, ses laquais et ses parasites, tels les haut-fonctionnaires, les artistes, les intellectuels et les savants à sa solde.
Et les nationalisations s'opèrent sans rien changer au procès du capital, sans rien changer à la nature du régime capitaliste, sans résoudre d'aucune façon la crise du régime découlant du décalage toujours plus grand entre la production croissante et la consommation décroissante.
La nationalisation devient donc un procédé TECHNIQUE ayant ses avantages et ses inconvénients, et non une REFONTE DE STRUCTURE.
Nécessité des nationalisations dans la période présente de l’impérialisme
Ce remplacement de tous les capitalistes individuels par le capitalisme d'État devient une nécessité urgente, de nos jours, pour les pays appauvris ou ruinés par la guerre.
La reconstruction de tout un appareil industriel demande tout d'abord une mise de fond, un investissement de capitaux que chaque capitaliste privé est dans l'impossibilité de trouver ou de garantir.
De plus, l'expérience allemande de 1924 à 1929 a prouvé pertinemment que l'exportation de capitaux était une mauvaise expérience pour le régime car, si elle retardait la crise, elle ne l'en accusait que plus gravement.
Aujourd'hui, ce que les capitalistes privés ne peuvent pas trouver sur le marché mondial, l'État le peut car il est capable de donner comme garantie l'ensemble de la richesse de la nation.
Le prêt étranger consenti à l'État est toujours accompagné d'avantages commerciaux, soit sur le marché intérieur soit dans ses colonies.
C'est donc devant l'ampleur de la tâche que le capitalisme individuel est obligé de céder le pas à l'État capitaliste. Cette mesure de concentration du capital entraîne infailliblement d'autres conséquences, telle la réduction des frais de production, des liaisons plus étroites entre toutes les industries, mais aussi une irresponsabilité plus grande dans la direction et à certains gaspillages bureaucratiques. Mais si le problème de l'investissement de capital exige la nationalisation, un problème non moins important et surtout plus aigu pose cette nécessité d'une façon urgente.
Le redémarrage de la vie économique, du point zéro où l'a amené la guerre, exige de sérieuses économies dans le pouvoir d'achat des masses que l' État seul a les moyens de faire au nom de "la nation" et "du peuple souverain".
Par une série d'impôts directes et indirectes, par la réglementation des salaires et des prix, par des dévaluations successives, l'État peut rogner de plus en plus sur le capital variable national et sur l'épargne.
Par une réglementation du ravitaillement général, il peut réduire la production de consommation au profit de la production des moyens de production et permettre de masquer les diminutions constantes de salaire et l'état de famine qui s'ensuit. On voit ainsi très bien les avantages économiques et politiques des nationalisations pour le capitalisme en général.
Du côté économique, la tendance vers la concentration capitaliste, caractéristique de l'impérialisme, peut se faire d'une manière accélérée.
Du côté politique, cette concentration du capital, accompagnée d'une misère toujours grandissante pour les masses, peut revêtir l'allure d'une mesure collective en vue de l'intérêt général, du "peuple" et de la "nation".
Oser comparer les nationalisations aux collectivisations, les staliniens, dans leur démagogie, n'ont pu aller jusque-là, sauf pour la Russie ; et pour cette dernière, en raison de l'État dit "ouvrier".
Oser dire, comme certains théoriciens fumeux de la non moins fumeuse et acrobatique théorie de l'économie de guerre, que les nationalisations en régime capitaliste sont irréalisables et illusoires sans avancer un seul argument solide, est un reste de facilité idéologique dans laquelle les trotskistes sont tombés et qui est très dangereuse pour l'avant-garde.
LES NATIONALISATIONS DEMEURENT ACTUELLEMENT LA SEULE POSSIBILITÉ POUR LE CAPITALISME DE RECONSTRUIRE SON APPAREIL INDUSTRIEL DÉTRUIT EN VUE DE LA PRÉPARATION DE LA TROISIÈME GUERRE MONDIALE.