Soumis par Révolution Inte... le
Face aux attaques incessantes contre leurs conditions de vie, les travailleurs argentins répondent avec une combativité de plus en plus forte. La bourgeoisie en argentine se prépare à une possible vague de grèves dans différents secteurs. C’est pourquoi, avec le soutien des syndicats et du gouvernement, elle prend des mesures pour étouffer immédiatement toute expression de colère face à la précarité et aux effets de l’inflation provoquée par le capitalisme à l’échelle mondiale.
L’Argentine est actuellement le pays de la région sud-américaine où l’inflation est la plus élevée après le Venezuela. Fin 2022 le taux d’inflation a atteint 94 %, le plus élevé depuis 1991 ! La guerre en Ukraine, (1) après la pandémie du Covid-19, a eu des conséquences brutales. L’inflation entraîne une détérioration accrue des conditions matérielles de la population, mais aggrave davantage celles de la classe ouvrière dans tous les pays. L’inflation érode son pouvoir d’achat alors que les salaires n’augmentent pas. Ce n’est pas un hasard si le 26 août dernier, le gouvernement argentin a officialisé une augmentation de 21 % du salaire minimum, en trois tranches, passant de 47 850 pesos par mois (environ 200 euros) à 57 900 pesos (243 euros) à partir de novembre de cette année. (2)
Face à la crise qui frappe l’Argentine, de nombreuses luttes ont eu lieu ces derniers mois, comme celle des ouvriers des entreprises de pneumatiques Bridgestone, Fate et Pirelli. L’industrie automobile argentine a été paralysée pendant plusieurs mois, ce qui a affecté la production de ces usines. Après une longue négociation entre le syndicat Sutna, (3) les entreprises et le gouvernement, un accord a été conclu sur une liste de revendications pour augmenter les salaires des travailleurs affiliés à Sutna. (4) Une augmentation de salaire qui se fera de manière échelonnée, en plus du fait que les entreprises se sont engagées à donner une prime extraordinaire à chaque travailleur de 100 000 pesos (421 euros environ).
La bourgeoisie argentine se prépare à une éventuelle vague de grèves dans différents secteurs. C’est pourquoi elle avance ses mesures avec le soutien des syndicats et du gouvernement pour tenter de contrôler la colère qui pourrait surgir face à la précarité et aux effets de l’inflation provoquée par la crise économique mondiale. Et même si ces mesures d’augmentations salariales par tranches sont très à la mode ces derniers temps, elles ne suffiront pas à contenir la perte de pouvoir d’achat causée par l’inflation dans tous les pays du monde, y compris en Argentine.
Partis, syndicats, Piqueteros et gouvernement : tous contre la classe ouvrière
Comme nous l’avons vu précédemment avec les luttes des ouvriers des pneumatiques, il existe d’autres luttes qui se déroulent depuis avant la pandémie, mais qui sont étouffées, contrôlées par les partis, les syndicats, les piqueteros et le gouvernement, montrant comment ils agissent tous de manière coordonnée contre les travailleurs.
Au début de l’année 2022, l’agence de presse allemande DW a déclaré : « Le président de l’Argentine, Alberto Fernandez, a annoncé ce vendredi qu’un “accord” a été conclu avec le Fonds monétaire international (FMI) pour refinancer le prêt de plus de 44 millions de dollars que le FMI avait accordé au pays en 2018 quand le libéral Mauricio Macri était à la tête du gouvernement ». (5)
Anticipant et devançant cette annonce au début du mois de janvier 2022, Eduardo Belliboni, leader du Polo Obrero et chef de l’Unidad Piquetera, annonçait déjà que l’année 2022 serait beaucoup plus mouvementée que l’année 2021. Et c’est ce qui s’est passé. « La plus grande mobilisation revendicative contre le gouvernement d’Alberto Fernández », appelée « marche fédérale », a été préparée par des organisations et des mouvements sociaux (Coordinadora por el Cambio Social, Polo Obrero (PO), Movimiento Barrios de Pie (MBP), etc. La mobilisation, qui est partie de différents États, a débuté le 10 mai dans les villes de La Quiaca et d’Ushuaia et s’est achevée le jeudi 12 dans la capitale Buenos Aires.
Les slogans de l’appel étaient : « Pour le travail et les salaires ; contre la faim et la pauvreté ». Eduardo Belliboni a déclaré : « La marche fédérale des piqueteros est en train de devenir une marche des travailleurs contre l’accord salarial et pour leurs revendications. Elle rassemble les chômeurs, les salariés et les retraités, les principaux syndicats étant en première ligne… Une perspective d’unité et de lutte s’ouvre pour le mouvement populaire avec le début de cette grande marche fédérale qui soutient les revendications élémentaires d’une classe ouvrière frappée par l’accord du gouvernement avec le FMI… Nous exigeons un véritable travail et un salaire équivalent au panier de la ménagère qui nous permet de vivre. Nous marchons contre la faim et la pauvreté qui atteignent des niveaux scandaleux en Argentine ».
La « protestation » a « trouvé » son prétexte dans la décision du gouvernement de ne pas étendre le programme « Favoriser l’accès à l’emploi » à un plus grand nombre de bénéficiaires, actuellement environ 1.200.000 personnes recevant 19.470 pesos par mois (équivalent à environ 85 euros).
Ces manifestations de protestation apparaissent alors que quelque chose émerge de plus en plus clairement dans la réalité argentine : les différentes factions bourgeoises s’affrontent de plus en plus ouvertement dans la perspective des élections législatives de novembre. Les factions bourgeoises défendant le péronisme au sein de la « Casa Rosada » se divisent entre ceux qui continuent à soutenir le « Kirshnerisme » et les autres fractions autour de Fernández, une lutte qui dure depuis des années. Le couple présidentiel ne se parle plus depuis deux mois et s’insulte ouvertement. Les porte-parole informels de l’ancienne présidente qualifient Fernández d’usurpateur et lui rappellent qu’il occupe temporairement ce poste. « Le gouvernement est à nous », prévient avec arrogance Andrés Larroque, ministre de la province de Buenos Aires et homme fort de La Cámpora, le groupe dirigé par Máximo Kirchner, le fils de Cristina. « Personne ne possède le gouvernement, le gouvernement appartient au peuple », a répondu Fernández, sans passer par des intermédiaires. À la veille de ces élections de novembre, la lutte pour le pouvoir exacerbe les luttes entre les différentes factions bourgeoises : les péronistes, les modérés du centre, les droitiers autour de Macri et l’émergence d’un populiste nationaliste « psychédélique » auto-décrit comme « libertarien », comme Javier Milei, qui se présente comme anti-socialiste, anti-communiste, anti-péroniste, anti-partis politiques traditionnels, et se déclare ouvertement un admirateur inconditionnel de Trump et de Bolsonaro.
Nous le disons depuis longtemps à propos du mouvement piquetero : « entre juin et août [2005], nous avons assisté à la plus grande vague de grèves depuis 15 ans ». Nous disions cela parce que le prolétariat argentin se montrait combatif, se battait sur son terrain de classe et montrait une tendance à se reconnaître comme prolétaire, et était en train de retrouver sa propre identité de classe. Dans le même article, nous analysions et dénoncions comment ces luttes ouvrières, qui se redressaient difficilement, étaient encore très faibles et étaient éclipsées par « un affrontement bruyant et hyper-médiatisé entre les organisations piqueteros et le gouvernement ». (6)
Les piqueteros, mouvement essentiellement composé de chômeurs, après les luttes interclassistes de la fin 2001, ont acquis une grande notoriété grâce aux médias de masse, qui les ont catapultés sur le devant de la scène politique comme les véritables porte-drapeaux des « justes luttes » du peuple en quête d’amélioration de ses conditions de vie. À cette manipulation de l’État bourgeois se sont joints les co-participants à la mystification des luttes ouvrières. Nous faisons référence à tous ces groupes gauchistes : staliniens, trotskistes, maoïstes, etc, contribuant à leur donner un soutien pseudo-théorique révolutionnaire progressiste, trompant et confondant encore plus ces travailleurs sans emploi et les secteurs extrêmement appauvris de la société, les conduisant dans l’impasse du parlementarisme, de la démocratie et des élections, soutenant l’un ou l’autre messie de la bourgeoisie, comme ce fut le cas à l’époque avec Kirshner. (7)
Depuis la fin 2001, année après année, les piqueteros ont mené des mobilisations visant toujours à réclamer plus de ressources économiques pour les programmes d’aide sociale destinés à vaincre la précarité, ou à renforcer les programmes et les politiques sociales qui rendent les emplois précaires supportables, sans réellement rien changer aux conditions de vie des travailleurs. Et pour quel résultat ? Absolument rien. L’Argentine est l’un des pires pays de la région en termes de conditions de vie et de salaires. Elle est même souvent comparée au Venezuela. Les travailleurs souffrent de l’inflation et de la précarité. La bourgeoisie argentine, par le biais de tous ses appareils, y compris les « organisations populaires », soumet l’ensemble de la société et en particulier la classe ouvrière à toujours plus de sacrifices. Et pour faciliter ce travail, il y a les organisations syndicales, les partis politiques de la soi-disant gauche et tout cet assortiment hétéroclite d’organisations populaires qui travaillent idéologiquement et politiquement, introduisant de faux principes et de fausses idées, conduisant doucement les travailleurs là où la bourgeoisie veut les amener : debout ou assis, criant contre le FMI, contre le gouvernement en place, défendant la démocratie et la patrie. Les emmener aux urnes, parier leur vie sur le Messie du jour.
Il est clair que le FMI est un instrument du capitalisme, en particulier des pays les plus forts de la planète contre les plus faibles. Cependant, l’exploitation est celle de tous les capitalistes du monde sur tous les travailleurs du monde. En d’autres termes, non seulement le FMI, le capitalisme américain, etc., mais aussi le capitalisme argentin et l’État argentin sont pleinement impliqués dans l’exploitation de la classe ouvrière.
Présenter une opposition « anti-impérialiste » au FMI pour lier le prolétariat argentin à la nation, au capital argentin, à la défense de l’exploitation avec la couleur bleue et blanche du drapeau argentin, est un sale tour de passe-passe. Les mobilisations des piqueteros, du Polo Obrero, des péronistes, des syndicats, présentent un choix entre capitalistes : soit le bourreau FMI, soit le bourreau capitaliste argentin soi-disant « indépendant ».
Le FMI est un instrument du capitalisme, qui fait son travail, tout comme le gouvernement des Kirshner, des Fernandez, des Macri, comme l’ont été tous les gouvernements précédents. Ses partenaires sont tous les partis politiques, de la droite à la gauche, y compris tous ceux qui rejoignent le courant populiste et « psychédélique » de Milei, ainsi que les syndicats et les piqueteros. Leur seul but : empêcher le prolétariat de se battre sur son propre terrain de classe.
Par conséquent, il est très clair que ce mouvement orchestré par « La Unidad Piquetera » est un mouvement qui joue contre les intérêts de classe du prolétariat argentin. Son activité le plonge dans une plus grande confusion. Ses méthodes de lutte ne sont pas les méthodes de la lutte prolétarienne. Elles conduisent à la dilution du prolétariat dans le peuple et vise à la défense de la nation argentine, la défense de la démocratie et des élections comme mécanisme de légitimation du pouvoir. Cette politique coïncide avec l’ensemble du programme bourgeois des organisations de gauche, qui soutiennent l’État bourgeois par excellence.
Enfin, la bourgeoisie a également utilisé l’attentat manqué contre Cristina Kirchner pour tenter de mobiliser la population autour de la défense de la démocratie et de l’unité nationale, afin qu’elle s’unisse à ses bourreaux. La bourgeoisie exploite en outre tout son appareil idéologique contre les travailleurs. Avec cette campagne, la bourgeoisie continue à semer davantage de confusion dans l’esprit des travailleurs et à les pousser encore plus à prendre position pour l’un ou l’autre des camps bourgeois. Elle pousse les travailleurs sur le terrain de lutte de la bourgeoisie.
Le prolétariat argentin doit lutter de toutes ses forces pour se libérer de tous ces pièges idéologiques qui sont défendus et diffusés par ces organisations à la solde de l’État bourgeois, en défense de l’État bourgeois et de l’ordre capitaliste en fin de compte. La classe ouvrière en Grande-Bretagne montre la voie à suivre sur le terrain des luttes de classe, contre la crise économique, l’inflation, la précarité et l’exploitation, situations exacerbées par la décomposition capitaliste. (8)
Daedalus.
1 « Contra la Guerra Imperialista en Ucrania por la Lucha de Clases Internacional », disponible sur le site du CCI en espagnole (mai 2022).
2 « Argentina subirá un 21 % el salario mínimo ante la elevada inflación », site de l’agence de presse allemande DW.
3 Sindicato Único De Trabajadores Del Neumatico Argentino : Unique Syndicat des travailleurs du secteur pneumatique argention
4 Il est scandaleux, et c’est une démonstration flagrante de la façon dont les syndicats divisent et montent les travailleurs les uns contre les autres, que l’augmentation salariale ne profite qu’aux travailleurs membres du syndicat.
5 « Presidente de Argentina anuncia nuevo acuerdo crediticio con el FMI », site de l’agence de presse allemande DW.
6 « Oleada de luchas en Argentina : el proletariado se manifiesta en su terreno de clase », Accion proletaria n° 184, (septembre – novembre 2005).
7 "Desde Argentina : Contribución sobre la naturaleza de clase del movimiento piquetero (I)", Accion proletaria n° 177, (juillet – septembre 2004).