Quand l’idéalisme part en guerre contre l’idéologie du travail

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Nous publions ci-dessous un tract distribué lors de la kermesse du 1er mai par le "Mouvement de libération des cigales". S'il est toujours bon de trouver une critique du monde actuel au milieu des litanies de la "fête du travail", de la fête de l'esclavage quotidien, les limites de l'idéalisme y apparaissent clairement.

"LE POINT LE PLUS ELEVE AUQUEL ATTEINT LE MATERIALISME INTUITIF C'EST À DIRE LE MATERIALISME QUI NE CONÇOIT PAS LE MONDE MATERIEL COMME ACTIVITE PRATIQUE, EST LA FACON DE VOIR DES INDIVIDUS DE LA "SOCIETE BOURGEOISE" PRIS ISOLEMENT." (Marx : Thèses sur Feuerbach)

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TRACT du M.L.C.

"EN MARGE DES LABORIEUX PROGRAMMES ELECTORAUX PRECONISANT "LE DROIT A L'EMPLOI", une nécessité s'impose d'informer la majorité salariale et besogneuse : en ce jour du 1er mai 81, nième Fête du Travail, UNE DECOUVERTE SCIENTIFIQUE RECENTE RISQUE DE SEMER LE TROUBLE DANS LA FRANCE PROFONDE ET TRAVAILLEUSE : pur produit de l'éducation laïque et républicaine. Une information transpire ... Elles ne sont pas à la hauteur de leur réputation :

LES FOURMIS SONT DES FEIGNASSES !

"Lorsque nous nous penchons sur une fourmilière, nous avons 1'impression qu'il y règne une activité fiévreuse, mais c'est seulement parce qu'il y a quantité de fourmis et qu'elles sont toutes semblables. De fait, les fourmis individuelles passent : LE PLUS CLAIR DE LEUR TEMPS A SE PRELASSER ! et plus choquant encore : LES OUVRIERES (toutes FEMELLES) CONSACRENT BEAUCOUP DE TEMPS À LEUR TOILETTE ! (J. et C. Wheeler, éthologistes.)

Le M.L.C. (Mouvement de Libération de la Cigale) se fait un devoir de révéler ce jour cette conséquente information étouffée par les Phallos du Patronat, les Héros de la Production, les Zorros de la "Relance", les Zéros Économistes, créateurs de Pénurie.

Le M.L.C. profite de ce jour de congé pour questionner l’Homo-ça-Pionce, dans le débat à résonance ethnologique qui agite les milieux pensants de la planète...Louis le Prince-Ringuard s'offusque que l'on puisse comparer l'Homo-Sapiens de nos prospères banlieues H.L.M- isées à des insectes ordinaires : "Nous avons le progrès, la science, la technique qui nous font prospérer et allègent la peine productive ... ".

CET HOMME-LA NOUS RACONTE DES FABLES ! La Fontaine des inepties économiques n'est point tarie pour les tarés et les tartares de la Science Conquérante ! Qui n'utilisent la technique que pour faire de l'Homme un appendice de chair dans une Machinerie d'Acier. (Une autre utilisation de la technique est urgente !).

En effet, le M.L.C. s'indigne que de conséquentes informations en provenance de France, de Navarre et de la "Marlboro Country" soient étouffées par le poids des bourses capitalistes, des bouses chimiques, des boues rouges et des hiboux taciturnes du déclin occidental !

Incroyable, MAIS IRREFUTABLEMENT VRAI : LES SAUVAGES DE L'AGE DE PIERRE TRAVAILLAIENT 2 A 3 HEURES PAR JOUR !

C'est une moyenne, conséquence d'UN CHOIX POLITIQUE. N'étant pas intoxiqués par les balivernes scolaires, laïques et judéo-crétinisantes, la transpiration ne leur semblait pas la finalité de l'existence. Les ethnies préservées ne sont pas assez cons pour "gagner leur pain à la sueur de leur front" !

"QUAND ON ME PARLE DU DROIT AU TRAVAIL, JE SORS MON HAMAC !" (Proverbe mélanésien).

L’AMOUR, la sieste, le bavardage, la danse, 1'exploration sociale étaient préférés au sur-travail, AUSSITOT LE NECESSAIRE PRODUIT. Produire pour Vivre et non Vivre pour Produire, telle aurait pu être leur devise.

Lorsqu''à l'aube du deuxième millénaire après J.C., en nos sociétés "d'abondance" TOUJOURS PROVISOIRE et de désespérante servilité salariale, LA SEMAINE DE 40 H ET LA RETRAITE A 60 ANS NE SONT PAS ENCORE EFFECTIVES, on peut donc mesurer tous les "bienfaits du progrès" QUI LAISSENT AFFAMEE LA MOITIE, VOIRE LES 2/3 DE L'HUMANITE !

LA SOCIETE MODERNE EST UNE SOCIETE DE MISERE ! Sans précédent dans l'histoire.

C'est pourquoi à la Misère de la Production, le Mouvement de Libération de la Cigale oppose l'inaction Libératoire et Révolutionnaire.

crise...chômage...récession…ELECTIONS.? SOYONS REALISTES ET EXIGEONS LA FAINEANTISE ! (y'en a pour tout le monde).

La fourmi ayant travaillé toutes ces années se trouva fort dépourvue lorsque la crise fut venue... voilà LA REALITE DE NOTRE GESTION "COURAGEUSE".

En conséquence, LES CIGALES que nous sommes, réfugiées près des excédents à détruire du Marché Commun, des stocks d'invendables, loin des cumuls à neutrons, des cucus à diplômes, des clowns de la démocratie, des concentrations thermo-nucléaires, des gaspillages en institution ... Nous chantons en chœur ;

NOUS NE MANGEONS PAS DE CE PAIN-LA ! Pas davantage, nous nous salirons les mains dans la collaboration. Nous ne sommes pas résignés à avoir une vie de Primate pour acquérir une résidence secondaire dans un monde de robots dévoreurs de temps... Et lorsque la bise sera venue, nous dirons aux accapareurs, philosophes du Droit au Travail : VOUS SPECULIEZ ? FORT BIEN, BOSSEZ MAINTENANT !

Nous, démissionnaires en force du productivisme, pensons que c'est la seule façon d’éviter le grand froid de la Déflagration et de dénoncer le danger de cette

"ETRANGE FOLIE QUI POSSEDE LES CLASSES OUVRIERES des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis deux siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est 1'amour du travail, la PASSION FURIBONDE DU TRAVAIL, poussée jusqu'à l’épuisement des forces vitales de l'individu et de sa progéniture. Au lieu de réagir contre cette aberration mentale, les prêtres, les économistes, les moralistes ont sacro-sanctifié le travail ".

(Paul Lafargue in "Le droit à la paresse"). —

M.L.C. (Mouvement de Libération de la Cigale).
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NOTRE REPONSE

Cela fait toujours plaisir de trouver, au milieu des lugubres cérémonies du 1er mai, un son de cloche qui ne soit pas empêtré dans la problématique à courte vue de la politicaille, du degré de pourcentage auquel on se fera de toutes façons avoir, du nez collé sur son lopin de terre, comme si la réalité en était fondamentalement différente du reste du monde.

Dans ce tract, passe la vision de l'absurdité du monde actuel, un monde où l'écrasante majorité des hommes crève de faim alors que la technologie ouvre les portes d'une maîtrise des éléments incalculable. Un monde où les hommes s'épuisent dans un travail inutile parce que non orienté vers leurs besoins. Non, ce monde n'est pas réformable ! Il faut casser la logique qui le fait tourner, détruire ses bases, pour pouvoir construire autre chose.

Cependant nous pensons que si nos cigales se sont donné tant de mal pour écrire, taper, tirer et distribuer ce tract, c'est qu'elles pensent qu'il ne suffit pas de se croiser les bras pour changer le monde. Ou il y a une lutte à mener, quelque part. Mais où ?

Pour le moment, nos cigales se bornent à se "réfugier près des excédents à détruire" ... à se mettre en marge de la société en refusant de mener "une vie de primate". Cela rappelle le "on arrête tout et c'est pas triste" d'après mai 68, et qui était si triste !

Un par un, on ne peut avoir la vision du changement de la société. On en a une vision partielle, morcelée, impuissante : "l'amour, la sieste, le bavardage, la danse, l'exploration sociale" de l'âge de pierre... Pourquoi et comment l'humanité serait passée de cette "saine innocence" à l'enfer présent ? Par "amour du travail" ? Ou â cause de la pénurie qui domine la communauté primitive ?

Aujourd'hui, la pénurie est devenue un fait SOCIAL et non plus un fait NATUREL. Pour la première fois dans l'histoire, la possibilité d'une véritable communauté humaine fondée sur l'abondance existe. Et les possibilités qu'elle ouvrira en libérant toutes les facultés humaines, en libérant l'homme de son esclavage salarié, ne sont pas comparable à l'âge de pierre.

Au bas du tract, en gros, est portée une inscription : "seules contre les fourmis du capital, les taupes du gauchisme, les moutons du salariat" signé : "les cigales du mouvement de libération des cigales". Qui sont les moutons du salariat ? Ceux qui restent au boulot ? Si nos cigales se pensent deux pelées, trois tondues face à une horde de moutons passifs qui ont "la passion furibonde du travail", elles peuvent rêver la transformation du monde, elles ne comprendront jamais comment elle peut se réaliser et n'y participeront jamais autrement que dans leur tête. Si elles voient les ouvriers nageant dans la béatitude des bienfaits du travail salarié, il n'y a pas de raison de voir le monde capitaliste s'arrêter de tourner.

Non, les ouvriers ne sont pas des moutons. Les cigales ne voient que la misère dans le monde actuel. Ils ne voient pas ce qui est en germe dans la misère : l'explosion d'une révolte capable de TRANSFORMER LE MONDE : la révolution, dont le protagoniste principal sera justement la classe "travailleuse", la classe ouvrière, le prolétariat.

Seul le soulèvement de ces ouvriers, que bourgeois et petit-bourgeois méprisent tant, a ébranlé le monde du capital dans ses fondements, laissant enfin entrevoir une issue pour l'humanité. Des luttes de 1848 à la Commune, â la révolution de 17 et jusqu'à "l'été polonais" de 1980, en passant par toutes les autres tentatives, L'AFFIRMATION D'UNE COMMUNAUTE HUMAINE QUI SE LIBERE EST TOUJOURS LIEE A LA MISE EN MOUVEMENT DES "PRODUCTEURS" Les révoltes d'étudiants font pâle figure en matière de "créativité" comparées au bouleversement social que peut mettre en mouvement la classe ouvrière. Encore dernièrement en Pologne, les ouvriers n'ont pas fait qu'une démonstration de leur force en faisant reculer momentanément la bourgeoisie, mais aussi ils ont montré qu'on pouvait rompre l'isolement, la solitude, la démerde de chacun pour soi, la monotonie, l'absence d'avenir. "L'ambiance dans les rues en Pologne ne sera plus jamais la même" disait un passant à un journaliste occidental. C'est ce mouvement-là qui contrecarre la perspective du "grand froid de la déflagration mondiale", et pas les "pacifistes", les "objecteurs", les individualistes qui ne voient pas dans quel sens tourne l'histoire.

Quand demain ce formidable mouvement gagnera d'autres parties du monde, espérons que nos cigales ne seront pas trop fatiguées, pas trop écœurées et pas trop plongées dans la préhistoire pour comprendre la signification de la lutte des "moutons".

D.N.

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