Soumis par Révolution Inte... le
Nous publions, ci-dessous, le courrier d’une lectrice après la visite de Macron à Kigali et la reconnaissance des « fautes » de la France lors du génocide des Tustsis au Rwanda en 1994. Dans son courrier, la camarade dénonce très justement l’hypocrisie et le cynisme de l’impérialisme français et de son représentant, Macron, face à un massacre abominable dans lequel la France a joué un rôle actif et déterminant. Elle revient également sur les racines profondes du massacre : « c’est toujours le même système barbare qui est aux manettes sous différentes étiquettes, selon les périodes, le contexte géopolitique et les enjeux à court et moyen termes ».
Nous invitons nos lecteurs à relire notre article paru en juin 1994 suite à plusieurs massacres abominables perpétrées par la bourgeoisie, et republié récemment dans le cadre de l’anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda.
Suite à la republication de l’article paru en juin 1994 sur le « génocide rwandais », je mesure que déjà à l’époque des faits, d’ailleurs que partiellement connus, le CCI avait analysé la situation avec beaucoup de perspicacité alors que l’ensemble des médias bourgeois se contentaient de rester dans la sidération voire pis dans le déni comme si c’était un massacre ethnique en dehors des velléités impérialistes que se livraient notamment la France et les États-unis. L’actualité remet cet épisode sur le devant de la scène avec le déplacement de Macron à Kigali et comme le précise l’introduction à l’article, il s’agit pour Macron de « solder un secret de polichinelle ». En effet de nombreux livres, rapports, témoignages attestent de la réalité de la complicité de la France, il n’est plus possible de nier l’évidence alors il lui faut être le chef d’orchestre de la reconnaissance de la responsabilité de la France. C’est le prix à payer pour assurer le retour économique et stratégique de la France dans ce pays. Et cerise sur le gâteau : ces révélations accablantes sur la participation active de la France à la réalisation de ce génocide permet à Macron de tordre le coup à la gauche mitterrandienne en se posant comme démocrate humaniste…
RWANDA : 27 mai 2021 « La France a un rôle, une histoire et une responsabilité politique au Rwanda », elle est restée « de fait aux côtés d’un régime génocidaire » mais « n’a pas été complice », voilà ce qu’a déclaré le président français au Mémorial de Kigali, vingt-sept ans après le génocide de 1994.
Dans son discours très attendu au Mémorial du génocide de Kigali, où reposent les restes de 250 000 des plus de 800 000 victimes de l’un des drames les plus meurtriers du XXe siècle, le président français, Emmanuel Macron, est venu « reconnaître [les] responsabilités » de la France dans le génocide de 1994 au Rwanda. La France « n’a pas été complice », mais elle a fait « trop longtemps prévaloir le silence sur l’examen de la vérité », a-t-il déclaré, en ajoutant que « seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don de nous pardonner ». Tout ce charabia en langage soutenu pour permettre aux gouvernants Rwandais, d’une part, d’être satisfait d’un tel discours « qui vaut plus que des excuses », et Français, d’autre part, d’apparaître comme l’homme humaniste de la société du XXIe siècle loin de la France-Afrique et des vestiges de la colonisation. Gagnant-Gagnant, en fait.
Qu’on ne se méprenne pas : Macron ne s’est pas déplacé à Kigali dans le but de faire avancer l’Histoire dans ce qui a été le plus grand génocide des dernières décennies. Non, Macron n’a pas rendez-vous avec l’histoire au Rwanda en ce jour de souvenir mais est venu après quatre longues années de rapprochement économique entériner une série d’accords économiques (pas moins de dix hommes et femmes d’affaires l’accompagnent). Ceci dit, il ne pouvait pas se dispenser de quelques reconnaissances de responsabilités, mais il était illusoire de penser qu’il pouvait présenter les excuses de la France. D’ailleurs, à quoi s’apparenteraient de telles excuses ? Reconnaître que la France a formé les troupes Hutu au combat (L’ « opération insecticide ». Pas étonnant que les Hutus appelaient les Tutsis « cancrelats », « cafards », « vermines ») dans la perspective d’imposer leur domination pour finir par leur projet d’extermination. Reconnaître que c’est dans l’ambassade de France que s’est constitué le gouvernement Hutu au lendemain de l’attentat de l’avion du président ? Reconnaître que les ordres étaient donnés depuis Paris via la cellule de l’Élysée uniquement dirigée par Mitterrand et son comité privé. Ordres verbaux donc sans trace… Les courriers entre Mitterrand et son fils Jean-Christophe : Monsieur Afrique de l’époque, ont disparu et n’ont pas pu être examinés par les différentes commissions d’enquête… Reconnaître que l’armée française (exceptés quelques militaires effarés par l’ampleur des massacres et leur « complicité ») a été aux côtés des génocidaires en leur permettant de continuer leur besogne meurtrière avec les armes et machettes achetées et livrées sur le tarmac de l’aéroport de Kigali, le lendemain de l’assassinat du président rwandais… Reconnaître que Mitterrand et Habyarimana entretenaient une relation fraternelle : Mitterrand appréciait le côté cultivé du Président rwandais qui connaissait tous les grands classiques francophones… Comme quoi l’érudition n’est pas une garantie d’humanité ! Cette amitié entre le président français et le président rwandais a facilité la mise en place du système génocidaire en gestation depuis les années 90. À quoi il faut ajouter la rivalité impérialiste qui se jouait entre la France et les États-Unis qui eux avaient fait le choix d’armer les rebelles Tutsi réfugiés au Burundi et en RDC. Après le discours de la Baule en 1990, il est clair que la volonté suprématiste Hutue est lancée et que la France va y contribuer activement. Mitterrand veut faire du Rwanda un laboratoire africain et toute sa clique est à l’ouvrage : Pour n’en citer que deux : Jean-Christophe Mitterrand, son fils, conseiller Afrique était en liaison permanente et occupait une position déterminante à l’EMP (État-Major Particulier) cellule « privée » de l’Élysée en charge du dossier rwandais. Hubert Védrine, secrétaire général de l’Élysée à partir d’octobre 1990 est lui aussi un très proche de Mitterrand et est à la tâche ! Les premières commissions d’enquête n’avaient pas abouti à démontrer leurs responsabilités et pour cause les documents étaient classés secret-défense. Aujourd’hui, une partie est communiquée mais à quoi bon puisqu’on sait pertinemment que l’essentiel des ordres et instructions étaient à l’oral via un système de communication cryptée. Les assassins peuvent continuer à dormir tranquilles…
Sur la connaissance médiatique du déroulement du génocide, comment peut-on encore soutenir qu’on ne savait pas alors que rien n’était dissimulé, voire pis, puisque les consignes des massacres étaient données chaque matin via la radio « Les mille collines » partout dans le pays ? Les tueurs étaient encouragés à la radio et avaient pour tâche quotidienne de couper du matin au soir le plus de Tutsis possible. Le soir, les « vaillants » coupeurs avaient le loisir de s’abreuver jusqu’à plus soif après avoir affûté leur machette de travail pour le lendemain. On apprendra que ce travail a été très « efficace » et aboutira à l’extermination de près d’un million de personnes en cent jours. Je ne sais pas si on peut s’imaginer la mort par machette. Sans tomber dans la description glauque tout le monde comprend bien qu’il ne s’agit pas d’une mort immédiate et que des centaines de milliers de personnes démembrées, éventrées, tailladées ne sont mortes qu’après de longues agonies. Passer le stade de la sidération, c’est l’analyse politique des faits qui peut nous permettre de comprendre comment un tel génocide « artisanal » (j’emploie cet adjectif car pour cette extermination pas de matériel sophistiqué, pas d’arme chimique, non de simples machettes ou marteaux cloutés) a pu se produire ? La question qui m’a longtemps hantée n’est pas celle du rôle de la France dans ce génocide (aucune illusion sur le fait qu’elle ait été à l’origine de cette extermination par sa politique impérialiste sur le terrain depuis des décennies de colonisation et par sa complicité à permettre cette chasse à l’homme.) Non ma perplexité, que je ne considère pas naïve, porte sur cette déshumanisation qu’il a fallu secréter dans la moitié de la population rwandaise pour qu’elle accepte aux heures de bureau d’aller taillader l’autre moitié. Cet ignoble besogne n’a pas pu se décider comme ça un beau matin d’avril 94, non il a fallu de longues années de préparation mentale s’infiltrant dans l’administration, la police et toutes les structures de la société civile pour parvenir à l’ancrer dans la tête des tueurs parce que leur tâche était d’épurer le Rwanda de ces vermines… On rejoint ici la démarche de tous les génocides : déshumaniser l’autre pour rendre possible voire indispensable de l’exterminer… Les textes forts d’Hannah Arendt, notamment son concept de la banalité du mal résonne fort et nous rappelle qu’il faut une préparation à la déshumanisation pour parvenir à ces cruautés massives. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la responsabilité de la France.
Et l’histoire ne s’arrêtera pas là, car on passe presque sous silence l’exode des rescapés, mais aussi la fuite des tueurs en RDC puis leur retour et l’incroyable phase de réconciliation qui va contraindre les rescapés à cohabiter avec leurs bourreaux souvent même en leur ayant abandonné leur logement. Alors effectivement que Macron présente ou non des excuses, demande au rwandais de faire le don du pardon… relève uniquement du cynisme politique et de la diplomatie.
Cette tragédie nous impose me semble-t-il de bien considérer que le capitalisme ne règne qu’en répandant la barbarie et cette attaque commence par l’anéantissement cérébral. Souvent on reprend ce slogan : Socialisme ou Barbarie. Le génocide rwandais nous en donne une triste illustration. Ce ne sont pas que des concepts mais la perspective à grande échelle si la classe ouvrière n’est pas en mesure de se positionner sur le terrain politique. Le capitalisme, c’est la barbarie.
Pour conclure sur ce déplacement de Macron, si on se place au niveau de la bourgeoisie, le président français a réalisé un bon oral en se positionnant sur le terrain de la reconnaissance des fautes de Mitterrand. C’est bien joué : il fait porter la responsabilité sur la gauche de l’époque (c’est toujours intéressant de trouver un coupable en dehors de son parti) et se positionne dans la modernité d’un monde à construire sur de nouvelles bases de coopération économique. La France et le Rwanda y travaillent depuis plusieurs années et des projets importants (dans le numérique, l’industrie cinématographique, etc.) sont en cours de réalisation : le « laboratoire africain » dont avait rêvé Mitterrand de façon coloniale et sanguinaire est en train de se profiler sous l’aire Macron sous une forme plus policée sur les cadavres du génocide. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est toujours le même système barbare qui est aux manettes sous différentes étiquettes, selon les périodes, le contexte géopolitique et les enjeux à court et moyen termes.
Aïcha, 31 mai 2021