Manifestations contre le pass sanitaire: La défense de la démocratie n’est pas un vaccin contre le capitalisme, c’est un virus mortel pour le prolétariat

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Depuis plus d’un mois, se multiplient les manifestations, largement montées en épingle par les médias, où s’expriment de manière anarchique et contradictoire les revendications anti-vaccins et celles contre un pass sanitaire jugé « liberticide ». Tout cela dans un front anti-Macron généralisé où se côtoient pêle-mêle des partis politiques allant de l’extrême gauche du capital à l’extrême droite, un melting-pot d’individus ou de familles indignés par telle ou telle déclaration ou décision gouvernementales, des prolétaires isolés, des manifestants se réclamant du mouvement des gilets jaunes. Difficile de retrouver sa boussole dans un tel magma informe.

Ces manifestations ne sont en rien l’expression de lutte du prolétariat. Bien au contraire, s’y exprime un élan primaire de nationalisme, avec la présence de nombreux drapeaux tricolores dans les rangs des protestataires, la confusion extrême, l’aveu d’impuissance, le désarroi, l’irrationalité dominante face à une situation de crise sanitaire et sociale qui touche l’ensemble du monde capitaliste. Cette cristallisation autour de revendications multiformes, agrégeant la méfiance envers la science aux appels à la défense des « libertés individuelles », fait effectivement les choux gras de l’actualité médiatique où les intérêts contradictoires, divergents, parfois farfelus, sont mis en balance avec les mesures gouvernementales présentées mensongèrement comme l’expression de la défense de l’intérêt général et du bien commun face à la pandémie de Covid-19 et l’envolée d’une quatrième vague d’infection. Comme d’habitude, chacun est appelé à se positionner comme « citoyen », à choisir son camp face à tel ou tel problème sanitaire, politique et social, pris isolément, occultant ainsi la responsabilité du système capitaliste comme un tout et son obsolescence.

Même si une minorité de prolétaires, ulcérés par l’attitude et les mensonges du pouvoir, participent à ces manifestations, elles expriment avant tout un sentiment de frustration, de colère impuissante propre aux couches petites-bourgeoises, et l’absence de perspective. Ainsi, les syndicats, ces organes bourgeois d’encadrement des luttes, en particulier ceux qui se présentent comme les plus « radicaux », tels SUD-Santé ou certaines fédérations de la CGT, ont saisi l’occasion pour lancer une série de préavis de grèves dans différentes villes comme Marseille, Lyon, Toulouse, Bastia ou des régions (Hauts-de-France) pour appeler les personnels de santé à se mobiliser contre le vaccin obligatoire et réclamer l’abrogation du pass sanitaire. Même chez les pompiers, où les mêmes mesures contraignantes ont été décrétées, le syndicat autonome « maison » a emboîté le pas. Tout cela au nom de la défense de la « liberté de choix », c’est-à-dire sur le terrain du droit bourgeois qui constitue un véritable poison pour la classe ouvrière et sa perspective révolutionnaire.

Les organisations d’extrême gauche en profitent également pour désorienter davantage la classe ouvrière en alimentant la confusion entre les revendications ouvrières et la défense des « droits des citoyens », en présentant mensongèrement ce mouvement comme « un tremplin pour les luttes ouvrières à venir ». La bourgeoisie et ses différentes officines politiques, particulièrement celles de gauche et d’extrême gauche, savent faire flèche de tout bois pour pourrir la réflexion ouvrière face à la crise, au chaos ambiant, à l’incurie des mois précédents, utilisant à plein la décomposition de tout le système capitaliste, expliquant, avec de faux airs de respectabilité, comment l’État bourgeois devrait organiser la gestion de la crise.

En réalité, l’aggravation de la situation est une nouvelle expression, non seulement de l’incurie de la bourgeoisie, mais surtout de l’impuissance généralisée depuis près de deux ans de tous les États, incapables de mettre en commun les avancées, les compétences et les moyens de lutter contre la pandémie. Nous avons assisté à la concurrence effrénée de tous les laboratoires et à l’utilisation des vaccins comme une arme impérialiste par tous les États, sous le poids de la loi universelle du profit capitaliste.

Pourquoi une telle méfiance à l’égard des vaccins ?

Comment une partie de la population ne pourrait-elle pas avoir peur d’un scandale sanitaire après bientôt deux ans de mensonges quotidiens des autorités ? C’est de manière totalement éhontée que le gouvernement se pare lui-même des atouts d’une vision rationnelle et scientifique alors qu’il a su à de multiples occasions passer outre les insistances des scientifiques au beau milieu des premières vagues de la pandémie, valoriser médiatiquement les plus opportunistes d’entre eux, justifier l’injustifiable pour l’utilisation des masques, des protections sanitaires au travail, dans les transports, relativisant sa propre incurie dans des comparaisons infectes avec des situations plus catastrophiques. Tous ces mensonges, ces innombrables demi-vérités et justifications foireuses du gouvernement ont évidemment créé un climat de suspicion dans la population.

Mais au-delà des doutes et des préjugés, la pandémie a été l’occasion d’un foisonnement de théories fumeuses et d’affirmations délirantes, non seulement sur les réseaux sociaux où les complotistes sont le plus actifs, mais également de la part des médias et des politiciens eux-mêmes. Alors que des milliards de personnes ont été vaccinées depuis les premiers tests, les rares “cas” d’effets secondaires dramatiques suspectés (et rarement confirmés) sont montés en épingle, par de pseudo-experts, au mépris de toute démarche scientifique, quand ils ne sont simplement pas inventés de toutes pièces.

Le Covid-19 a pourtant tué plus de quatre millions de personnes dans le monde, sans doute plus… pas les vaccins ! Le Covid-19 continue de muter, d’infecter et de tuer, particulièrement dans les parties du monde privées de campagne vaccinale d’envergure. Il continue également d’infecter et de fragiliser une population de plus en plus jeune, non vaccinée, dans les pays centraux. Certains, pourtant, doutent encore de l’efficacité vaccinale, dénoncent un prétendu « manque de recul » face aux « nouvelles techniques » (qui en fait ne sont pas nouvelles). Le doute et le scepticisme sont des vertus scientifiques, pas la méfiance irrationnelle !

Les inquiétudes irrationnelles que l’on retrouve peu ou prou dans les affirmations de tous les opposants aux vaccins ne sont pas une nouveauté ! La réticence superstitieuse face à la recherche scientifique s’exprimait déjà à la fin du XVIIIe siècle alors qu’émergeaient les premières pratiques vaccinales contre la variole. Pasteur lui-même, lorsqu’il découvre le vaccin contre la rage en 1885, a dû faire face à ces discours “antivax”. Il est alors accusé de maltraiter les animaux et de n’inventer des vaccins que pour se remplir les poches ! Près d’un siècle et demi plus tard, en dépit des progrès inouïs de la science et de la médecine, la méfiance demeure dans les secteurs les plus rétrogrades de la classe dominante et les plus arriérés de la population. Aujourd’hui, l’irrationalité complotiste va même jusqu’à imaginer une possible modification génétique par la technique de l’ARN ou une manipulation politique et médicale pour un contrôle de la population par les États via l’inoculation de la 5G lors de la vaccination (sic) !

Si ces différents discours obscurantistes résistent aux démonstrations scientifiques, c’est bien parce qu’ils s’adaptent à chaque époque et à chaque contexte. Mais aujourd’hui, la dynamique du processus de décomposition idéologique de la société capitaliste, le sentiment d’impuissance face à la crise, au chaos à l’œuvre, impactent une population davantage éduquée et ne fait que pourrir toute la capacité de raisonnement logique, scientifique et politique dans un magma de conceptions et visions réactionnaires parfois délirantes.

La bourgeoisie n’est pas étrangère à ce processus : non seulement, on a vu des politiciens, issus de l’extrême droite et même des rangs de la droite traditionnelle, véhiculer des idées totalement délirantes, mais ces errements se sont manifestés jusqu’au plus haut sommet de l’État, Macron et sa clique ayant ouvertement dénigré les scientifiques ou déformé leurs propos pour tenter de justifier leur politique à courte vue, comme lorsque le chef de l’État a affirmé avoir eu raison seul contre les épidémiologistes.

La seule liberté, sous le capitalisme, est celle d’exploiter

Dans les manifestations, les moins caricaturaux des participants ne remettent pas en cause la vaccination mais sont opposés au pass sanitaire, imposé dans un premier temps aux soignants sous peine de licenciement, et refusent son obligation déguisée pour vaquer aux activités les plus quotidiennes comme aller au supermarché, dans un bar, à un concert ou au cinéma.

Pourtant, ces deux réalités anti-vaccination et anti-pass sanitaire cohabitent avec des frontières très poreuses dans des manifestations communes où prédomine la même logique individualiste de défiance, avec une absence de souci collectif face à la poursuite de la pandémie, à ses ravages encore actuels et ceux à venir. Cela au nom de l’atteinte aux « libertés individuelles », un terrain totalement bourgeois.

Ce slogan pour la défense des libertés démocratiques est le cache-sexe le plus grossier de la défense de l’État bourgeois, le terrain le plus anti-ouvrier qui soit. Le mouvement ouvrier a dénoncé à de multiples reprises ce piège et affirmé que « tant que l’État existe, il n’y aura pas de liberté ; quand régnera la liberté, il n’y aura plus d’État ». (1)

La perspective révolutionnaire est la seule alternative

Le gouvernement profite de la situation pour monter les gens les uns contre les autres, attisant les tensions et les rancœurs. En multipliant les campagnes de propagande, en faisant plus ou moins ouvertement passer tous les individus qui doutent et ont peur pour des « complotistes antivax » totalement délirants, la bourgeoisie a poussé une partie des vaccinés à voir dans les opposants aux vaccins des boucs émissaires faciles à l’origine des nouvelles vagues de contamination, dédouanant à moindres frais le capitalisme, l’État et son irresponsabilité qui ont conduit à la situation dramatique d’aujourd’hui. Pour les anti-vaccins, leur mobilisation contre la « dictature » Macron est un gage de responsabilité pour faire vivre et défendre la démocratie, en dénonçant et interpelant les « moutons » serviles subissant les lois « liberticides » d’une vaccination forcée. Ces divisions s’inscrivent dans une logique de confrontation désastreuse où les véritables enjeux pour en finir avec le chaos capitaliste disparaissent sous un fatras de confusions et d’impuissance.

L’exaspération qui s’exprime dans les manifestations et dans la population en général a en effet pris la forme d’un désarroi et du sentiment de subir les diktats d’un gouvernement arrogant qui a multiplié les incohérences face à la pandémie, imposant confinements à répétition, soufflant le chaud et le froid sur une population qui ne voit toujours pas le bout du tunnel, se targuant d’une démarche scientifique à la petite semaine alors que l’incurie bourgeoise était à l’œuvre. Mais cette colère ne peut en aucune façon déboucher sur une prise de conscience du prolétariat de l’effondrement grandissant et de l’impasse irrémédiable du système capitaliste quand cette opposition, ce rejet se cristallisent de manière épidermique, sans recul ni réflexion dans une colère impuissante contre un gouvernement et un président ressentis comme sources de tous les maux et perçus comme des mauvais gestionnaires, incompétents et inefficaces, de ce système.

Face à un tel bourbier social et idéologique que la bourgeoisie alimente et attise quotidiennement, il ne sera pas facile au prolétariat de réagir sur son terrain de classe solidaire pour contrer les véritables attaques frontales à venir, de ses conditions de travail et de vie. Son terrain de classe n’est pas celui de la défense de l’État, de la défense de l’économie nationale et du drapeau tricolore. Son autonomie de classe pour l’affirmation de sa lutte, l’organisation de ses combats, il devra la défendre contre toutes les forces vives de l’État, au pouvoir ou non, indépendamment des mouvements interclassistes où des faux amis, généralement de gauche, qui tenteront de dévoyer sa colère. Le prolétariat a besoin de lucidité et de confiance en ses propres forces pour déjouer tous ces pièges et cela est déjà un enjeu immédiat.

Stopio, 13 août 2021

 

1) Lénine, L’État et la Révolution (1917).

 

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