Soumis par Révolution Inte... le
1. L’arrivée et l’expansion de la pandémie mondiale de Covid-19 a eu un impact considérable sur tous les aspects de la vie de la société et sur tous les plans : économique, politique et social. La crise sanitaire, comme manifestation majeure et inédite de l’accélération de la décomposition du capitalisme, va nécessairement avoir des conséquences sur la dynamique des combats de classe dans les deux années à venir. Le prolétariat en France, comme dans tous les pays, a subi de plein fouet le choc de cette pandémie. Cette catastrophe sanitaire a provoqué, de façon immédiate, un sentiment d’effroi, de sidération générale rendant très improbable, à court terme, toute mobilisation de la classe ouvrière, sur son propre terrain, contre les effets dévastateurs de la crise économique. Aujourd’hui, c’est tout le prolétariat mondial, comme l’ensemble de la société, qui est ébranlé par la gravité et les conséquences de cette pandémie. Cependant, il existe une grande hétérogénéité au sein de la classe ouvrière. Il est donc très difficile pour les révolutionnaires de dégager, dès à présent, une tendance générale valable pour tous les pays. La classe ouvrière en France n’a pas la même histoire, ni la même expérience que celle des États-Unis, par exemple. Elle n’est pas touchée par la même arriération politique que le prolétariat de la première puissance mondiale, fortement imprégnée par la montée du populisme.
Pour évaluer le rapport de force entre les classes, et poser un cadre politique permettant de comprendre l’évolution de ce rapport de force, il convient de revenir sur deux mouvements sociaux qui ont marqué la situation en France ces deux dernières années : le mouvement des Gilets Jaunes et celui contre la réforme des retraites. Ceci afin d’en tirer les principaux enseignements dans le contexte historique actuel d’accélération de la décomposition sociale et de la crise économique.
2. Le mouvement des Gilets Jaunes était une explosion de mécontentement contre une nouvelle baisse du pouvoir d’achat avec la hausse des taxes sur le carburant. Cette mesure du gouvernement Macron a frappé particulièrement les petits patrons et les ouvriers des zones rurales, contraints de prendre leur voiture pour se déplacer ou aller travailler. Les franges les plus misérables du prolétariat, très dispersées et inexpérimentées, ont été particulièrement vulnérables aux influences de la petite-bourgeoisie. Ce mouvement social s’est ainsi développé sur un terrain interclassiste, un terrain où les revendications ouvrières étaient mêlées et pouvaient se confondre avec celles des petits patrons et artisans. Il n’était donc pas une émanation de la lutte du prolétariat, mais un produit de la décomposition sociale résultant de la paupérisation croissante des couches intermédiaires. Ce mouvement se concevait comme une lutte des “pauvres” contre les “riches” et non pas comme celle d’une classe exploitée – le prolétariat – contre une classe exploiteuse – la bourgeoisie. C’est pour cela que la colère des Gilets Jaunes s’était focalisée contre la personne de Macron. Ils voulaient faire tomber le “Président des riches” qui avait supprimé l’impôt sur la fortune.
Le fait que le gouvernement Macron ait lâché du lest en débloquant plus de 10 milliards d’euros n’était pas un recul face à la force pseudo-“révolutionnaire” des Gilets Jaunes. Cette concession avait deux objectifs. D’une part, il s’agissait pour le gouvernement de limiter le chaos social provoqué par les violences urbaines et les saccages, notamment dans les “beaux quartiers” de la capitale. Par ailleurs, l’autre objectif, plus idéologique, visait à faire croire que les Gilets Jaunes auraient trouvé une forme de lutte plus “moderne”, plus “originale” et “efficace” face au caractère “dépassé” et “stérile” des vieilles méthodes de la classe ouvrière. Il s’agissait pour la bourgeoisie et ses medias d’instiller l’idée que seul ce type de mouvement interclassiste, du “peuple citoyen”, peut constituer une menace pour la classe dominante.
Malgré sa très grande sympathie envers les travailleurs les plus pauvres et précaires, la classe ouvrière ne s’est pas mobilisée dans le mouvement des Gilets Jaunes. Elle ne se reconnaissait ni dans leurs méthodes de lutte, ni dans un mouvement qui avait été soutenu par les partis bourgeois et notamment la droite et l’extrême-droite. Elle ne se reconnaissait pas dans une protestation sociale fortement imprégnée par l’idéologie nationaliste (avec aussi quelques relents minoritaires et nauséabonds de populisme, notamment de xénophobie) où de nombreux Gilets Jaunes brandissaient le drapeau tricolore et chantaient la Marseillaise à tue-tête dans leurs manifestations.
3. Le mouvement contre la réforme des retraites, qui a surgi un an après celui des Gilets Jaunes, a dévoilé au grand jour que la lutte de classe était toujours d’actualité. Ce mouvement a démontré la capacité du prolétariat en France à se mobiliser sur son propre terrain en s’affirmant comme classe autonome antagonique au capital. La reprise de sa combativité a été illustrée par les manifestations hebdomadaires regroupant dans la rue, semaine après semaine, un nombre croissant de travailleurs en colère. C’est cette combativité montante qui avait obligé les syndicats à prendre les devants pour encadrer la classe ouvrière, quadriller tout le terrain de sa mobilisation en collant aux besoins de la lutte. Ses besoins se sont clairement exprimés par la recherche de l’unité et de la solidarité entre tous les secteurs et toutes les générations.
Le retour de la lutte de classe en France a mis en évidence que, durant la dernière décennie de calme social, une maturation souterraine s’est opérée au sein du prolétariat. Cette maturation était à la fois la conséquence de l’aggravation de la crise économique, de l’accumulation des attaques de la bourgeoisie, et du discrédit croissant des partis politiques de la classe dominante. En mettant en avant ses propres revendications, son besoin d’unité et de solidarité dans la lutte, le prolétariat en France a montré également sa capacité à retrouver son identité de classe, même si cette dynamique était encore très embryonnaire.
4. Après deux mois d’effervescence, le mouvement contre la réforme des retraites devait nécessairement atteindre ses propres limites qui ont fait apparaître les difficultés de la classe ouvrière à développer et unifier sa lutte. Les travailleurs du secteur privé, du fait de la crainte des licenciements, notamment chez les ouvriers précaires et en Contrats à durée déterminée, ne se sont pas mobilisés dans ce mouvement. Par ailleurs, seuls les ouvriers du secteur des transports (SNCF et RATP) sont entrés en grève pendant près de deux mois. Malgré la volonté générale d’en découdre avec le gouvernement, la grande majorité des travailleurs ont délégué la lutte et l’ont remise entre les mains des seuls cheminots, présentés comme l’avant-garde “héroïque” du mouvement. La “grève par procuration” a ainsi révélé une hésitation de la classe ouvrière à engager massivement le combat. Cette difficulté a permis aux syndicats de dévoyer son besoin de solidarité à travers la mise en place de “caisses de solidarité” financières, destinées à permettre aux cheminots de “tenir”, c’est-à-dire de rester isolés dans une grève longue, coûteuse et épuisante.
La principale faiblesse du mouvement a été l’incapacité du prolétariat à étendre la lutte immédiatement dès le début en mettant en place des Assemblées Générales massives ouvertes à tous les travailleurs, actifs, retraités, chômeurs ou étudiants. La nécessaire extension géographique de la lutte, les moyens de la mettre en œuvre, ne pouvait être discutée et décidée que dans des AG souveraines, véritable poumon de tous les combats de la classe ouvrière. L’absence de tels organes unitaires a permis aux syndicats de tenir le haut du pavé, d’organiser ce mouvement de A à Z et d’en garder la totale maîtrise. Ils ont pu faire leur sale travail de sabotage grâce à une radicalisation de leurs discours, à un partage des tâches en leur sein en jouant la carte de la division syndicale. Il revenait ainsi à la CFDT (qui avait accepté la retraite à points) de jouer le rôle de syndicat “réformiste” et “collaborationniste”, tandis que FO et surtout la CGT (appuyé par SUD et les gauchistes) ont joué le rôle de syndicats radicaux, de “combat”, “jusqu’au boutistes”. En même temps que leurs discours “radicaux” exigeaient le retrait de l’ensemble de la réforme des retraites, ils ont enfermé les travailleurs de la SNCF et de la RATP dans une grève longue et isolée. Ils n’ont appelé à l’extension de la lutte (en réalité à l’extension de la défaite !) qu’à la fin du mouvement, lorsque les cheminots ont commencé à voter la reprise du travail, après avoir perdu près de deux mois de salaire. C’est à partir de cette reprise du travail dans le secteur des transports que le mouvement a commencé à refluer. Avant même l’arrivée de la pandémie de Covid-19, ce combat contre la réforme des retraites s’était donc déjà essoufflé.
L’extinction de ce mouvement n’a pas débouché, cependant, sur un sentiment général d’impuissance, d’amertume et de démoralisation. D’une part, parce que cette mobilisation n’était qu’un premier combat dans lequel toute la classe ouvrière n’était pas engagée derrière les manifestations appelées, programmées et encadrées par les syndicats. D’autre part, la défaite a été atténuée par le fait que le principal “gain” de cette lutte était la lutte elle-même. Une lutte marquée par la joie et l’enthousiasme de se retrouver enfin tous ensemble, solidaires et unis après une décennie d’immobilisation et d’atomisation. Ce mouvement s’est terminé, non pas sur le sentiment que lutter ne sert à rien, mais sur une question clairement exprimée dans les manifestations : comment continuer le combat et construire un rapport de force pour obliger le gouvernement à retirer cette réforme des retraites ?
5. C’est dans ce contexte qu’est survenue la pandémie de Covid-19, mettant un coup d’arrêt momentané à la dynamique de reprise de la lutte de classe en France. Malgré l’énorme colère suscitée par l’incurie du gouvernement face à la crise sanitaire (de même que par la remise au travail de nombreux prolétaires, sans aucune protection efficace contre le risque de contamination), la bourgeoisie a tenté dès le début de retourner cette manifestation de la décomposition de son système contre la classe ouvrière. Ainsi, Emmanuel Macron, dans son discours martial (“Nous sommes en guerre”) annonçant le premier confinement à la fin de l’hiver 2020, n’a cessé de mettre en avant la nécessité de l’union nationale contre l’ “ennemi intérieur” : la Covid-19. La bourgeoisie et ses médias aux ordres n’ont cessé de promouvoir l’idéologie du “civisme”, de la “citoyenneté”, et la “solidarité” avec les soignants, présentés comme des héros et de bons “soldats” prêts à tous les sacrifices dans l’intérêt de la nation, toutes classes confondues. Par la suite, la multiplication des attentats terroristes en octobre 2020, comme autre manifestation de la décomposition du capitalisme, a donné lieu également à un renforcement de l’appel à l’union sacrée, et des discours bellicistes du gouvernement contre un autre “ennemi intérieur” invisible, pouvant frapper n’importe quel citoyen à tout moment et n’importe où. La classe ouvrière est ainsi appelée aujourd’hui à s’en remettre à l’État et son gouvernement comme uniques et seuls “protecteurs” du “peuple français” et de ses “valeurs républicaines”.
L’emprise de l’État sur l’ensemble de la société civile a été renforcée par la mobilisation martiale du personnel soignant dans les hôpitaux, de même que par le déploiement des forces de répression dans la rue et tous les lieux publics, par les couvre – feux et autres mesures de contrôle policiers censées protéger la population contre la circulation du virus (avec lequel chacun devrait “apprendre à vivre”). Cette restriction de la vie sociale, aggravée par les mesures moyenâgeuses de confinement, ne pouvait que provoquer une nouvelle situation de paralysie momentanée de la classe ouvrière.
6. En France, comme dans tous les pays, la pandémie de Covid-19 a eu comme conséquence une explosion du chômage avec des faillites en chaîne, obligeant de nombreuses entreprises à jeter sur le pavé un nombre croissant de prolétaires. Dans la période actuelle, cette explosion du chômage n’est pas un élément favorisant l’unification des luttes de la classe ouvrière mais, au contraire, un facteur de leur division et dispersion. Les grèves contre les licenciements peuvent prendre la forme de “combats du désespoir”, du fait également de l’absence de perspective pour les chômeurs de retrouver un emploi stable et durable. En attaquant la classe ouvrière aujourd’hui paquets par paquets, la bourgeoisie, son gouvernement et son patronat laissent le terrain libre aux syndicats pour enfermer les prolétaires dans le corporatisme, la défense de “leur” entreprise, “leur” secteur, comme on a pu le constater dans l’aéronautique, les transports aériens, certaines usines automobiles, les PME, etc. Ce regain de l’enfermement corporatiste s’est également révélé dans les manifestations récentes des travailleurs des hôpitaux, bien encadrés par les syndicats et les gauchistes.
7. Dans cette situation extrêmement difficile, encore dominée par la peur, l’atomisation et l’angoisse face à un avenir incertain, le prolétariat va devoir surmonter de nombreux obstacles, se dégager de cette chape de plomb pour développer ses combats et les maintenir sur son propre terrain de classe. Du fait que la pandémie menace toutes les couches de la société, cette catastrophe sanitaire est un terrain particulièrement favorable à l’émergence de mouvements interclassistes véhiculés par certaines franges de la petite-bourgeoisie. Comme nous l’avions mis en avant dans nos “Thèses sur la décomposition”, “Seul le prolétariat porte en lui une perspective pour l’humanité et, en ce sens, c’est dans ses rangs qu’il existe les plus grandes capacités de résistance à cette décomposition. Cependant, lui-même n’est pas épargné, notamment du fait que la petite-bourgeoisie qu’il côtoie en est justement le principal véhicule”.
L’accélération de la décomposition du capitalisme risque de faire surgir également des mouvements sociaux qui peuvent exploser sur un terrain bourgeois. En ont témoigné, en pleine crise sanitaire, les manifestations aux États-Unis contre les violences policières frappant particulièrement les Noirs et dont la principale revendication était celle d’une police moins raciste, d’une plus grande “justice” et “égalité” dans le cadre de la démocratie bourgeoise. Ainsi, le mouvement Black Live Matters, hypermédiatisé à l’échelle internationale, a pu trouver un écho et un prolongement en France avec les manifestations et rassemblements contre le meurtre d’Adama Traoré par les forces de répression.
Ce type de mouvement populaire, appelé par toutes sortes d’associations “citoyennes”, sont un piège pour la classe ouvrière, en particulier pour ses jeunes générations révoltées par la barbarie du capitalisme et spontanément attirées par “tout ce qui bouge”. Une telle barbarie ne peut que provoquer une indignation légitime contre le racisme et les violences policières. Mais c’est uniquement en luttant sur son propre terrain de classe, et en tant que classe, que le prolétariat pourra affirmer ses propres valeurs morales dans son combat contre un système économique décadent à l’origine de tous les fléaux de la société.
8. Malgré toutes les difficultés que le prolétariat rencontre aujourd’hui, la situation reste toujours ouverte. Sa colère et sa combativité ne se sont pas étiolées. Au contraire, son mécontentement n’a fait que se renforcer face à l’incurie de la bourgeoisie et sa gestion calamiteuse de la crise sanitaire, dont la “guerre des masques”, l’absence de coopération internationale et même la concurrence effrénée entre les États dans la recherche d’un vaccin, ont constitué le point d’orgue. C’est justement parce que la combativité du prolétariat en France n’a pas été étouffée que le gouvernement Macron a décidé de suspendre sa réforme des retraites et de l’assurance-chômage. Contrairement au mouvement spectaculaire des Gilets Jaunes, le mouvement contre la réforme des retraites n’était pas un petit feu de paille déjà éteint par l’ouragan de la pandémie de Covid-19.
Par ailleurs, il existe dans la classe ouvrière une mémoire collective qui ne peut que favoriser la recherche d’une perspective face à la menace de destruction de l’humanité et de la planète. Le prolétariat en France a une longue histoire, une longue tradition de luttes. Depuis la révolution bourgeoise de 1789, c’est “le prolétariat des barricades” et des manifestations de rue. Sa mémoire historique est toujours marquée par l’expérience de la Commune de Paris de 1871 et plus récemment celle de Mai 68. Ce n’est pas un hasard si, dans le mouvement des jeunes générations contre le Contrat Première Embauche en 2006, la référence à la Commune de Paris ait été présente dans certaines universités et dans de nombreuses AG. Ce n’est pas un hasard non plus si, dans le dernier mouvement contre la réforme des retraites, de nombreux manifestants avaient clairement affirmé : “c’est une grève générale et un nouveau Mai 68 qu’il nous faut !”. De même, dans les cortèges et sur les trottoirs de la capitale, on a pu entendre de nombreux manifestants chanter L’Internationale, couvrant ainsi la voix de quelques petits groupes de Gilets Jaunes qui entonnaient encore La Marseillaise ! Du fait de sa longue expérience et de son énorme potentiel de combativité, le prolétariat en France pourra continuer à apporter dans le futur, comme il l’avait fait à plusieurs reprises dans le passé, une contribution très importante aux combats de ses frères de classe dans les autres pays du monde.
Dans la mesure où la classe ouvrière n’a pas subi de défaite décisive, la crise économique reste aujourd’hui encore sa “meilleure alliée”. Elle contient aussi, en germe, un antidote à la décomposition du capitalisme.
En France, comme dans tous les pays, le chemin vers des luttes massives ouvrant une perspective révolutionnaire est encore long et parsemé d’embuches, mais il n’y en a pas d’autre.
La gravité des enjeux de la situation historique actuelle, exige des minorités les plus conscientes de la classe ouvrière qu’elles ne cèdent ni au scepticisme, ni à l’impatience. Face à l’atmosphère sociale du “no future” alourdie encore plus par la pandémie de Covid-19, la confiance des révolutionnaires dans l’avenir et dans les potentialités de la classe porteuse du communisme, sont au cœur de leurs convictions et de leur activité sur le long terme.