Soumis par Révolution Inte... le
Dans la première partie de la réponse à ce courrier de lecteur, nous avons répondu aux critiques émises par le camarade D. au “Rapport sur la question du cours historique”, adopté au 23e Congrès du CCI et publié dans la Revue internationale n° 164. Dans cette deuxième partie, nous souhaitons traiter une autre question abordée par le camarade dans son courrier : celle de la perspective éventuelle d’une guerre nucléaire généralisée.
Les conditions pour le déclenchement d’une guerre généralisée
Le camarade D. affirme dans son courrier que “la question de la guerre n’est pas du tout évacuée par la théorie de la décomposition qui remplace la théorie du cours historique”.
Outre le fait que la classe dominante n’a pas été en mesure depuis 1989 de reconstituer de nouveaux blocs impérialistes, le camarade oublie que la deuxième condition pour le déclenchement d’une nouvelle guerre mondiale est la capacité de la bourgeoise à embrigader le prolétariat derrière les drapeaux nationaux, en particulier dans les pays centraux du capitalisme. Ce qui n’est nullement le cas aujourd’hui. Comme nous l’avions toujours affirmé, un prolétariat qui n’est pas disposé à accepter les sacrifices imposés par l’aggravation de la crise économique n’est pas prêt à accepter de faire le sacrifice ultime de sa vie sur les champs de batailles. Après la longue période contre-révolutionnaire qui avait notamment permis aux États d’envoyer à la mort des millions de prolétaires sous les drapeaux du fascisme et de l’anti-fascisme pendant la Seconde Guerre mondiale, la classe ouvrière est revenue sur la scène de l’histoire à la fin des années 1960 (Mai 68 en France, l’automne chaud en Italie, etc.). La bourgeoisie avait été empêchée de déclencher une troisième boucherie planétaire durant la Guerre froide parce qu’elle n’était pas en mesure d’embrigader un prolétariat qui, bien qu’il n’ait pas su développer ses luttes sur un terrain révolutionnaire, était à la fois très combatif et absolument pas disposé à se faire tuer ou à massacrer ses frères de classes. Malgré toutes les difficultés que rencontre la classe ouvrière depuis 1989 pour développer massivement ses luttes, la situation historique est toujours ouverte. Le prolétariat n’ayant pas subi de défaite décisive et définitive, l’aggravation de la crise économique ne peut que le pousser à se battre pied à pied pour défendre ses conditions d’existence, comme nous l’avons vu encore récemment avec le mouvement contre la réforme des retraites en France au cours de l’hiver 2019-2020. Et dans sa capacité de résistance aux attaques du capital, nous avons pu voir également une tendance à la recherche de la solidarité dans la lutte entre tous les secteurs et toutes les générations. Bien évidemment, cela ne signifie nullement que la bourgeoisie ne puisse plus jamais infliger à la classe ouvrière une défaite historique et décisive. Mais, comme nous l’avons affirmé dans nos “Thèses sur la décomposition” (Revue internationale numéro n° 107), la décomposition sociale peut détruire toute capacité de la classe ouvrière à renverser le capitalisme et conduire à la destruction de l’humanité et de la planète.
Vers une reconstitution des blocs impérialistes ?
Pour étayer son analyse des potentialités actuelles d’un conflit militaire de grande ampleur, le camarade D. indique : “Outre la question des armements nucléaires à longue portée, il y a en ce moment un pays qui n’a pas besoin d’avoir constitué un bloc uni et parfaitement tenu et soutenu pour se lancer dans une guerre qui, si elle n’est pas mondiale, ne sera pas cantonné à un théâtre d’opération limité dans le temps et dans l’espace (comme par exemple les deux guerres contre Saddam Hussein). Ce pays, c’est bien sûr les États-Unis qui ont la puissance économique, la suprématie militaire et les bases néanmoins pour une intervention partout dans le monde. Pour qu’une guerre avec des batailles dans différents endroits de la planète, qui se produisent simultanément et qui s’étalent sur une période assez longue (plusieurs années) se produise, il suffit qu’une autre puissance qui elle constitue des États vassalisés par le commerce extérieur et les investissements économiques, se dote de bases militaires à l’étranger dans ces états vassaux, commence à construire des porte-avions et généralement une marine de guerre efficace et nombreuse pour qu’à un certain moment le risque de conflit généralisé devienne une probabilité non négligeable. Ce pays existe déjà, c’est la Chine qui risque, grâce à l’épidémie de Covid-19, de bientôt dépasser les États-Unis au niveau économique mondial”.
Il est vrai que c’est autour de l’opposition entre ces deux superpuissances que se concentre la bataille stratégique pour un “nouvel ordre mondial”. La Chine, avec son vaste programme de “route de la soie” a pour objectif de s’ériger en puissance économique de premier plan à l’horizon 2030-50 et de se doter d’ici 2050 d’une “armée de classe mondiale capable de remporter la victoire dans toute guerre moderne”. De telles ambitions provoquent une déstabilisation générale des relations entre puissances et poussent les États-Unis à tenter depuis 2013 de contenir et de briser l’ascension de la puissance chinoise qui la menace. La riposte américaine, débutée avec Obama (reprise et amplifiée par Trump), représente un tournant dans la politique américaine. La défense de leurs intérêts en tant qu’État national épouse désormais celle du chacun pour soi qui domine les rapports impérialistes : les États-Unis passent du rôle de gendarme de l’ordre mondial à celui de principal agent propagateur du chacun pour soi et du chaos et de remise en cause de l’ordre mondial établi depuis 1945 sous leur égide. D’autre part, l’idée induite par ce que dit le camarade, c’est qu’il existe une tendance à la bipolarisation, puisque d’un côté les pays européens, dans le cadre de l’OTAN, prendraient le parti des États-Unis, tandis que la Chine, non seulement pourrait s’appuyer sur ses États vassaux mais aurait un allié de taille, la Russie.
Or, l’émergence de la Chine elle-même est un produit de la phase de décomposition, au sein de laquelle la tendance à la bipolarisation est battue en brèche par le chacun pour soi régnant entre chaque puissance impérialiste. De même, il existe une grande différence entre le développement de cette tendance et un processus concret menant à la formation de nouveaux blocs. Les attitudes de plus en plus agressives des deux pôles majeurs tendent à saper ce processus plutôt qu’à le renforcer. La Chine fait l’objet d’une profonde méfiance de la part de tous ses voisins, notamment de la Russie qui souvent ne s’aligne sur la Chine que pour défendre ses intérêts immédiats (comme elle le fait en Syrie), mais est terrifiée à l’idée de se retrouver subordonnée à la Chine en raison de la puissance économique de cette dernière, et reste l’un des plus féroces opposants au projet de Pékin de “route de la soie”. L’Amérique entre-temps s’est activement employée à démanteler pratiquement toutes les structures de l’ancien bloc qu’elle avait auparavant utilisées pour préserver son “nouvel ordre mondial” et qui permettaient de résister aux glissements des relations internationales vers le “chacun pour soi”. Elle traite de plus en plus ses alliés de l’OTAN en ennemis, et en général, elle est devenue l’un des acteurs principaux d’aggravation du caractère chaotique des relations impérialistes actuelles.
Une guerre nucléaire est-elle envisageable dans la période actuelle ?
En définitive, en évacuant une des conditions essentielles pour le déclenchement d’une nouvelle guerre mondiale (la nécessité de l’embrigadement idéologique du prolétariat), le camarade D. avance une autre hypothèse. Il se réfère à des articles de la presse bourgeoise (L’Obs et Le Canard enchaîné) pour affirmer qu’une guerre nucléaire est tout à fait possible, notamment entre les États-Unis et la Chine (devenue une puissance industrielle et impérialiste faisant face à la première puissance mondiale).
Comme nous l’avons toujours affirmé, l’impérialisme à sa propre dynamique et fait partie intégrante du mode de vie du capitalisme dans sa période de décadence. Et comme le disait Jaurès, “le capitalisme porte avec lui la guerre comme la nuée porte l’orage”. Aucune puissance économique ne peut rivaliser avec les autres, et s’affirmer comme telle sur la scène mondiale, sans développer des armes toujours plus sophistiquées. La guerre commerciale entre les États est donc toujours accompagnée d’une exacerbation des tensions impérialistes. S’il est vrai que l’armement nucléaire ne constitue plus seulement un moyen de “dissuasion” comme c’était le cas durant la “Guerre froide”, aujourd’hui, cette course aux armements est un moyen de chantage et de marchandage entre les États détenant l’arme nucléaire. L’exacerbation des tensions impérialistes ne débouche pas toujours sur une conflagration directe, comme on a pu le voir, par exemple, en 2017 avec les tensions militaires entre les États-Unis et la Corée du Nord (qui avaient d’ailleurs donné lieu à des discours alarmistes dans la presse bourgeoise). Après plusieurs mois de tractations, ce conflit s’est terminé (au moins momentanément) par de chaleureuses embrassades entre Trump (président des États-Unis) et Kim Jong-un (président de la Corée du Nord).
Plus la bourgeoisie est acculée face à la faillite de son système et à l’accélération de la guerre commerciale, plus chaque puissance cherche à avancer ses pions dans l’arène impérialiste mondiale pour le contrôle de positions stratégiques face à ses adversaires. Avec l’enfoncement du capitalisme dans la décomposition sociale, la bourgeoisie apparaît de plus en plus comme une classe suicidaire. Des dérapages incontrôlés sur le plan impérialiste ne sont pas à exclure dans le futur, si le prolétariat ne relève pas le défi posé par la gravité de la situation historique. Mais pour le moment, la perspective d’une conflagration nucléaire entre la Chine et les États-Unis n’est pas à l’ordre du jour. De plus, quel intérêt ces deux puissances auraient-elles à gagner à larguer massivement des bombes nucléaires sur le sol de leur rival ? Les destructions seraient telles qu’aucune troupe d’occupation du pays vaincu ne pourrait être envoyée sur ces champs de ruines. Nous avons toujours rejeté la vision de la guerre “presse bouton” où la bourgeoise pourrait déclencher un cataclysme nucléaire mondial en appuyant simplement sur un bouton, sans aucune nécessité d’un embrigadement du prolétariat. La classe dominante n’est pas complètement stupide, même si des chefs d’États irresponsables et complètement fous peuvent accéder au pouvoir de façon ponctuelle. Il ne s’agit pas de sous-estimer la dangerosité des tensions impérialistes entre les grandes puissances nucléaires comme la Chine et les États-Unis, ni d’écarter totalement la perspective d’une conflagration entre ces deux puissances dans l’avenir, mais d’en mesurer les répercussions catastrophiques au niveau mondial : aucune des puissances belligérantes ne pourraient en tirer profit. Contrairement aux discours alarmistes de certains médias et aux prévisions des géopoliticiens, nous devons nous garder de jouer les Nostradamus. Si la dynamique de l’impérialisme (dont nous ne pouvons prévoir l’issue aujourd’hui) conduit à une telle situation, l’origine se trouvera dans la perte de contrôle total de la classe dominante sur son système en pleine décomposition. Nous n’en sommes pas encore là et devons nous garder de crier trop vite “Au loup !”
Les révolutionnaires ne doivent pas céder à l’atmosphère sociale du “no future”. Ils doivent au contraire garder confiance dans l’avenir, dans la capacité du prolétariat et de ses jeunes générations à renverser le capitalisme avant qu’il ne détruise la planète et l’humanité. En abandonnant aujourd’hui notre analyse passée du “cours historique”, nous n’avons pas, comme le pense le camarade D., une vision “pessimiste” de l’avenir. Nous misons toujours sur la possibilité d’affrontements de classe généralisés permettant au prolétariat de retrouver et d’affirmer sa perspective révolutionnaire. Nous n’avons jamais évoqué, dans aucun de nos articles, une quelconque “défaite annoncée” du prolétariat, comme l’affirme le courrier de notre lecteur.
Sofiane