A PROPOS DES «GROUPES OUVRIERS» (III)

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Les deux premières parties de cet article étaient constituées par un texte du "groupe ouvrier autonome de Clermont-Ferrand" intitulé "plateforme minimum pour l’autonomie ouvrière" et d'une critique de ce document. Celle-ci s'appliquait, d'une part, à démontrer que, contrairement aux formulations de ce texte, les syndicats et les partis de la gauche du capital (PC, PS, gauchistes) ne peuvent pas être considérés comte "réformistes", et, d'autre part, à relever un certain nombre de confusions sur la fonction des cercles ouvriers qui peuvent apparaître à l'heure actuelle. En particulier, après avoir rappelé que la classe ouvrière se donne deux types d'organisations : son organisation générale (conseils ouvriers) et son organisation politique (parti, minorités révolutionnaires) et qu'il ne peut, à l'heure actuelle, en exister d'autres, notre article faisait apparaître que le GOAC tendait à se définir, malgré ses propres dénégations, comme un troisième type d'organe ayant des caractéristiques à la fois de l'organisation générale de la classe et de ses organisations politiques. Après avoir défini ce que ne peuvent pas être les cercles ouvriers, nous allons essayer maintenant d'établir ce qu’ils sont effectivement.

Signification de l’apparition des cercles ouvriers

De tous temps, depuis que le prolétariat a, avec le capitalisme, commencé à se développer, il a existé parmi les ouvriers la tendance à constituer des cercles de discussion correspondant au besoin de confronter leurs expériences, à en tirer des leçons, à mieux connaître les moyens et les buts de leurs luttes de classe, d'approfondir leur prise de conscience comme classe historique. Pendant toute une période, les organismes de défense économique que la classe s'était donnée, les syndicats, ont joué ce rôle de lieu de développement de sa conscience révolutionnaire. C'est pour cette raison que Marx considérait que ces organes devaient constituer des écoles de communisme". C'est autour des "bourses du travail", des "maisons du peuple", mais également autour des grands partis ouvriers de masse que se rassemblaient les ouvriers qui tentaient de se dégager de l'emprise idéologique du capitalisme, qui étaient animés d'une préoccupation militante et révolutionnaire.

Mais, avec l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, le prolétariat a perdu ses anciennes organisations syndicales et politiques qui sont devenues des rouages de l'Etat capitaliste. De plus, la terrible contre-révolution qui s'est abattue sur la classe après la grande vague révolutionnaire du premier après-guerre, a eu raison, d'abord des partis communistes créés pendant cette vague et qui sont devenus de fidèles chiens de garde du capital, ensuite des différents courants et fractions communistes qui s'étaient dégagés de ces partis lors de leur dégénérescence. Certains de ces courants ont finalement rejoint l'ennemi de classe (le trotskysme par exemple), d'autres ont carrément disparu ou ont été réduits à l'état de petites sectes plus ou moins sclérosées. C'est dans une telle situation d'inexistence quasi-totale d'organisations politiques prolétariennes que la classe ouvrière a commencé de rompre, à la fin des années 60, avec le carcan de la contre-révolution. Et c'est le besoin d'une réflexion et d'une prise de conscience suscité par la reprise des luttes qui est à l'origine de l'apparition depuis quelques années et dans beaucoup de pays de toute une série de cercles ouvriers aux dénominateurs et formes multiples, mais qui, pour tous, expriment plus ou moins confusément l'impossibilité de développer une activité et une pensée de classe au sein des organes capitalistes que sont les "organisations ouvrières" officielles (PS, PC, gauchistes, syndicats).

Caractéristiques et dynamique des cercles ouvriers

Quelles que soient les conditions particulières d'apparition des cercles ouvriers, leur dénomination ou leur degré de clarté, leur raison même d'exister leur confère un certain nombre de caractéristiques générales communes.

En premier lieu, ce type d'organes se distingue des organisations politiques de la classe en ce sens qu'ils ne constituent pas de véritables organisations dotées d'un programme politique et de statuts. Première étape dans un processus de prise de conscience des travailleurs qui s'y rencontrent, ils ne sauraient d'emblée se donner une vision élaborée et cohérente basée sur l'ensemble de l'expérience historique de la classe, qui sont les caractéristiques du programme prolétarien. De ce fait, ces organes ne peuvent établir des règles d'appartenance formelles et ne sauraient exiger une discipline de la part de leurs participants. C'est pour ces mêmes raisons que nous préférons les appeler "cercles" au lieu de "groupes" : plutôt que des organisations, ce sont fondamentalement des "lieux" de rencontre et de discussion pour les éléments de la classe en recherche d'une clarification.

Une deuxième caractéristique de ces cercles tient dans leur nature temporaire et éphémère. Etape dans un processus de prise de conscience, manifestation du caractère encore embryonnaire de celui-ci, le mode d'existence des cercles est fondamentalement l'évolution et le dépassement de leurs conditions d'apparition. L'aboutissement logique du processus de prise de conscience dans lequel sont engagés leurs participants est l'adhésion aux positions communistes et donc l'intégration dans une organisation politique. En effet, ceux-ci ne sauraient se maintenir de façon permanente sur des positions minimales telles que, par exemple, "1'anti-syndicalisme et la dénonciation de la "démocratie" politique ou syndicale ; le refus de l'isolement sectoriel ; la recherche de la solidarité avec d'autres secteurs sur ces bases" comme le voudrait le PIC (Jeune Taupe, n°12). Le fait pour des travailleurs d'en rester à des positions élémentaires signifierait que leur prise de conscience s'est arrêtée avant d'atteindre une vision réellement communiste. Et la constitution d'une organisation sur une telle base programmatique aurait plus un effet de blocage que d'activation de la réflexion et de l'approfondissement politique de leurs membres. D'une façon générale, l'adoption par un cercle ouvrier d'une "plateforme», c'est à dire d'une base d'adhésion et par suite de règles organisationnelles, ne constitue pas une étape positive de son développement, mais le conduit à se transformer en secte ou en point de fixation de la confusion[1] (1). C'est en ce sens que nous critiquons le terme de "plateforme" par lequel le GOAC a intitulé son texte.

L'adoption par un cercle ouvrier d'une "plateforme" est d'autant moins souhaitable qu'un tel document serait non seulement nécessairement incomplet et insuffisant pour permettre une réelle activité communiste mais risquerait de plus d'institutionnaliser certaines des faiblesses et des confusions politiques qui pèsent en général sur les cercles ouvriers de par leurs origines mêmes. En effet, dans la mesure où les cercles apparaissent en rupture avec les syndicats et les partis de gauche du capital, ils sont une tendance marquée à rejeter tout ce qui, à leurs yeux, s'apparente de près ou de loin à la "bureaucratie" et à la "manipulation". Aussi, ils sont conduits bien souvent à rejeter tout ce qui est "extérieur" à leur petit cercle et qui risquerait de venir menacer leur "pureté". L'"autonomie" dont ils se réclament, si elle signifie indépendance à l'égard de toute main-mise du capital, acquiert en général un sens localiste (pas de "centralisme", centralisme égalant léninisme) et ouvriériste (pas d'"intellectuels" parmi nous). Traumatisés par la politique des partis bourgeois, les cercles ont souvent tendance à rejeter tout ce qui est "politique". Ils portent ainsi une forte attention à tout ce qui concerne la forme de la lutte (assemblées générales, révocabilité, etc.) au détriment de ce qui concerne leur contenu[2], manifestant de ce fait une forte attirance vers les erreurs conseillistes.

Ainsi, malgré son caractère de grande élaboration, le texte du GOAC constitue une illustration de ce genre d'erreurs: "il est fondamental que le groupe autonome ouvrier répande l'idée de ces formes nouvelles de lutte..." nous regroupons des ouvriers de différentes tendances politiques ou d'aucune tendance... pourvu qu'ils soient d'accord sur la nécessité de développer les formes d'organisation et de lutte autonome des ouvriers".

L’attitude des révolutionnaires à l’égard des cercles ouvriers

Entravés par ces faiblesses constitutives, il est fréquent que les cercles échouent dans leur fonction. La plupart du temps, ils disparaissent comme tels pour devenir la simple "courroie de transmission" de groupes gauchistes ou bien leurs participants se dispersent purement et simplement dans la lassitude et la démoralisation. C'est pour cela qu'il revient aux révolutionnaires une tâche importante à leur égard : celle de les aider à comprendre ce qu'ils sont réellement, le caractère positif de leur existence comme "lieu" de clarification politique mais aussi leurs limites. Contrairement à la vision de "Battaglia comunista", qui veut constituer des "groupes communistes internationalistes d'usine" comme "courroie de transmission", "tête de pont du parti dans l'histoire", ou celle du PIC qui, tout en rejetant une telle vision, préconise, dans sa "stratégie d'intervention" (sic) de "contribuer à la formation de noyaux ouvriers révolutionnaires... germes de constitution de l'organisation autonome de la classe" (Plateforme du PIC), le rôle des révolutionnaires est d'insister sur le caractère embryonnaire et temporellement limité de tels organes ; de combattre en leur sein toute tendance à un repliement ouvriériste et localiste ; de les pousser à s'ouvrir à des participants appartenant à des organisations politiques et éventuellement autres que strictement "ouvriers de pousser la discussion et la clarification au maximum ; de combattre toute tendance à une fixation organisationnelle (plateforme, statuts), ce qui ne veut pas dire que l'élaboration et la diffusion de textes de discussion soit à repousser, au contraire. Une des tâches les plus importantes et certainement les plus difficiles des révolutionnaires sera de combattre -et non de flatter- les préventions contre toute organisation politique (qui peuvent être en contradiction avec la propre évolution organisationnelle du cercle) qui souvent constituent le ciment de tels cercles.

Alors seulement, 1'intervention des révolutionnaires à leur égard sera positive et permettra que l'effort de prise de conscience qui avait présidé â leur naissance ne soit pas stérile et aboutisse réellement à un renforcement de la classe ouvrière dans son ensemble, en vue des luttes de demain.

C.G.


[1] cf. l'article dans la Revue Internationale n°7 sur la ''Frazione Comunista".

[2] cf. l'article dans RI n°21 : "A propos des groupes autonomes".

 

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Organisation de la classe ouvrière