NUCLEAIRE ET ECONOMIE DE GUERRE

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Après des années de reconstruction, 32 ans après la bombe d'Hiroshima, l'humanité découvre qu’elle a désormais les moyens de sa propre destruction ; les manifestations de Creys-Malville, de Flamanville, et bien d’autres dans d'autres pays -en Allemagne par exemple- témoignent de l'affolement devant de telles possibilités et s’en prennent à ce qui leur semble être l'arme suprême : le nucléaire. Ne s'attaquant qu'à une seule forme d'armement, les "anti-nucléaire" rejoignent en cela Carter, qui, dès le mois de mai, annonçait son intention de ne pas construire d’usine de retraitement, de ne pas produire de plutonium, de ne pas construire de surrégénérateur.

On ne peut pourtant pas prétendre que des Etats puissent, dans le contexte actuel, se tenir en dehors des préparatifs de guerre, et plus particulièrement celui qui est à la tête du bloc impérialiste le plus puissant du monde. En fait, si les Etats-Unis refusent le développement du nucléaire, ce n’est pas par un besoin soudain de réconcilier le genre humain, par-delà les nations et les classes, mais pour des raisons économiques et que le développement du nucléaire ne l'empêche pas de fabriquer des bombes à neutrons...

C'est dire que condamner une forme d'armement comme, par exemple, le nucléaire, ne condamne en rien le développement de l'armement classique ou toute une politique globale d'économie de guerre. Donc, pour les "anti-nucléaire", condamner le nucléaire ne revient-il pas à justifier toutes les autres formes de l’économie de guerre ?

nucléaire ou économie de guerre?

En fait, actuellement, l'économie de guerre ne se limite pas au "nucléaire" à la construction de "Superphénix" à Creys-Malville ou d'autres centrales, mais elle s'étend à toute la production industrielle, à toute la politique générale des grandes puissances. C'est aussi la tendance vers une économie de grands travaux, le renforcement de l'Etat sur des secteurs vitaux de l'économie tels que l'aéronautique, c'est aussi une politique générale d'autarcie sous le contrôle du bloc de tutelle...

Et, ces éléments-là, même s'ils ne sont pas aussi spectaculaires que le "nucléaire" ne participent pas moins du même processus de la marche générale vers la guerre.

Déjà, dans la préparation à la seconde guerre mondiale, la bourgeoisie des pays les plus touchés par la crise avait développé toute une politique de grands travaux et d'armements traditionnels qui ne pouvaient trouver son aboutissement que dans une guerre.

Ainsi, malgré son déficit commercial, l'Italie a construit, entre 1922 et 34, de nombreuses routes -en particulier des routes de montagne- et autoroutes, de nouvelles voies de chemin de fer, aménagé de nouveaux ports.

L'Allemagne, dès le 1er mai 1933, s'est engagée dans la "bataille du travail", a inauguré la construction d'un millier de km d'autoroutes par an pendant sept ans, construit une écluse à ascenseurs entre l'Elbe et l'Oder,...

Les USA ont construit eux aussi de nombreux barrages, et des routes qui, menant aux déserts n'ont pu avoir qu'un intérêt stratégique...

De même, actuellement, comme dans la plupart des pays, la France oriente toute son économie vers la production de guerre. Elle prétend doubler le réseau routier entre 77 et 83, construire de nouvelles voies ferrées, moderniser 1er transports aériens.

Dans tous ces domaines, l'Etat tente d'obtenir au moins la minorité de blocage ou 51% des actions pour pouvoir imposer sa politique : c'est le cas à la SNCF et bientôt à Dassault. Pour sa part, la gauche propose un contrôle de

70 à 85% de la sidérurgie par la simple conversion des dettes de la sidérurgie envers l'Etat en participation de l'Etat, ce que se propose déjà de réaliser Giscard d'Estaing.

L'économie de guerre n'est pas une "autre" forme d'économie capitaliste : elle n'est que la transformation des moyens de production en instruments de la politique de destruction destinés à compléter le rôle de l'armement traditionnel. Et le nucléaire apparaît alors pour ce qu'il est : un moyen de destruction parmi d'autres qui ne doit pas faire oublier la capacité de destruction de l'armement traditionnel et le rôle de la politique économique.

Carter : le contrôle de l’armement au sein du bloc américain

Les Etats-Unis n'ont pas pris leur décision à la légère : ils ne l'ont prise qu'après avoir connu le résultat des travaux d'un groupe d'études de la politique de l'énergie nucléaire : le retraitement n'a aucun intérêt pour les Etats-Unis, il ne pourrait réduire que de 1% le prix final de l'électricité ; d'autre part, ils ont suffisamment d'uranium pour tenir pendant 20 ans et préfèrent garder leurs réacteurs à eau moins coûteux et tout aussi rentables. Quant à l'armement classique, le premier marchand d'armes du monde en a suffisamment et, de plus, l'a expérimenté pendant des années au Vietnam. Forts de cet arsenal, les USA peuvent faire figure de "colombes" disposant d'armes comme instruments de dissuasion et prétendre contrôler des pays de son bloc comme la France et l'Allemagne au nom du respect des accords sur la non- prolifération des armes nucléaires.

En se privant d'usines de retraitement et de surrégénérateurs, les Etats-Unis ont laissé libre un marché pour certains pays européens : ainsi, l'Allemagne a signé un contrat avec le Brésil et la France avec le Pakistan. Si, pour la suite, ces deux pays ont accepté, après l'intervention des USA, de ne plus vendre d'usines de retraitement, ils n’en ont pas moins signé un accord pour la construction de surrégénérateurs.

D'autre part, les USA tentent de "moraliser" la vente des armes : ils n'en vendront désormais qu'aux pays de l'OTAN, au Japon, à l'Australie, à la Nouvelle-Zélande... Pour tous les autres cas, les industriels américains devront obtenir l'appui du gouvernement.

Ainsi, le "pacifisme" de Carter n'est qu'une tentative des Etats-Unis de contrôler la politique des pays du bloc : il va de l'intérêt des Etats-Unis que chaque pays s'oriente vers une économie de guerre, vers une politique autarcique qui ne ferait pas concurrence au bloc, et que chaque pays contrôle à son tour la région dont ils lui ont donné la charge : ainsi, la France contrôle une bonne partie du territoire africain avec l'accord des Etats-Unis.

Carter condamne les constructions d'usines de retraitement et de surrégénérateurs : il n'en construit pas moins des bombes à neutrons, "bombes propres" qui auraient pour rôle la destruction des êtres humains mais non du matériel... Alors, les adeptes du "nucléaire" condamnent à leur tour la bombe à neutrons, ils "en dénoncent le caractère monstrueux" qui "vise délibérément à l'extermination de millions d'êtres humains" (déclaration de 28 PC contre la bombe à neutrons).

Les "anti-nucléaire" en luttant contre l'utilisation d'une arme, même aussi puissante que peut l'être une bombe atomique, justifient en fait l'emploi de toutes les autres armes. Ils ne luttent que contre un aspect secondaire de la préparation de la guerre, de la même façon que les "pacifistes" des deux guerres prétendaient lutter contre la guerre en demandant "la paix".

Mais, pas plus que les exhortations à la paix n'ont fait cesser la guerre en 14-18 comme en 39-45, les réclamations contre le nucléaire ne pourront empêcher une guerre à venir. Dans le passé l'affolement devant l'existence de gaz asphyxiants n'a pas empêché leur emploi au moment de la guerre ; les déclarations de "bonne volonté" de certaines bourgeoisies nationales n'empêcheront pas plus 1'emploi de la bombe à neutrons ou de la bombe atomique.

Seul le prolétariat a les moyens d'empêcher la destruction massive d'une prochaine guerre. Et ce n'est pas en marchandant sur le droit d'utiliser telle ou telle arme : il importe peu aux prolétaires de mourir en masse sous les effets radioactifs d'une bombe atomique, de mourir en petits paquets asphyxié par une bombe à neutrons ou de périr un par un sous les coups d'une baïonnette. Le prolétariat n'a rien à dire sur les armes choisies par la bourgeoisie, il saisit les armes pour détruire la bourgeoisie avant même qu'elle puisse déclencher la guerre : la lutte de classe pour la destruction du capitalisme est la fin de toutes les guerres.

N. M.

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