Soumis par Revue Internationale le
- "Une intervention des troupes russes signifierait la fin de la détente pour de longues années" (extrait d'un communiqué de la Maison Blanche)
L'invasion de l'Afghanistan par les troupes russes n’avait pas pour but la répression des luttes ouvrières, mais la constitution d'une base stratégique et militaire face au bloc américain. Si les troupes russes intervenaient en Pologne, ce serait pour réprimer la classe ouvrière, et non pas un acte de guerre contre le bloc américain.
S'il s'agissait d'une question seulement militaire, une question qui relèverait de la guerre de positions que se livrent quotidiennement le bloc russe et le bloc occidental, l'intervention de la Russie en Pologne aurait déjà eu lieu.
En déclarant qu'une intervention des troupes russes signifierait la "fin de la détente", le bloc occidental entend faire croire que la guerre que se mènent le bloc occidental et le bloc russe a des causes "idéologiques", la démocratie contre le totalitarisme, alors que les causes réelles de l'antagonisme puisent leurs sources dans l'opposition de leurs Intérêts économiques, militaires et politiques. Cette manière de voir a 1'avantage de permettre à la bourgeoisie du bloc occidental d'affirmer que la lutte des ouvriers polonais est spécifique et particulière aux ouvriers polonais. C'est leur contribution à l'isolement de la lutte des ouvriers polonais.
Cela n'est pas tout. La bourgeoisie du bloc occidental entend aussi faire croire qu'en période de crise, la lutte de classe est un facteur de "déstabilisation internationale" et provoque des tensions guerrières, alors que les forces qui poussent à la guerre mondiale sont le produit direct de la crise du capitalisme mondial.
Bien au contraire, la lutte des ouvriers polonais montre aujourd'hui très concrètement comment le développement de la lutte de classe est un frein à l'issue de la crise dans une troisième guerre mondiale. Elle pose concrètement la nécessité et la possibilité d'une perspective révolutionnaire et internationaliste contre le nationalisme guerrier de la bourgeoisie.
LA REPRESSION HIER ET AUJOURD'HUI
La répression sanglante en 70/71 des luttes ouvrières en Pologne n'a jamais réussi à paralyser la classe ouvrière. Au contraire, le souvenir de cette répression, commémorée illicitement chaque année a constitué un fil entre tous les moments de la lutte et a largement contribué à les radicaliser.
Jamais oubliée, jamais cicatrisée, cette blessure n'a servi l'Etat en rien pour maintenir la classe ouvrière dans la docilité, l'acceptation passive d'une vie toujours plus dure et sombre. Durant ces dix dernières années, l'antagonisme et la rancœur vis à vis de l'Etat n'ont fait que se renforcer, se développer et après les poussées de 76 et 79, le mouvement de ces derniers mois n'en est ressurgi que plus fort, conscient et massif, fermement décidé à gagner.
Aujourd'hui, la question de la répression des luttes ouvrières en Pologne se pose à un autre niveau qu'en 70-71, parce que la lutte elle-même est à un autre niveau et surtout parce que la situation mondiale est différente.
En 70-71 l'armée et la police de l'Etat polonais suffiront â réprimer le mouvement, aujourd'hui l'Etat polonais déstabilisé et quelque peu en déroute ne pourrait plus compter sur ses seules forces pour mener la répression. Déjà en 70-71, pour s'assurer la "fidélité" de l'armée lors des massacres organisés à Gdynia, le gouvernement a envoyé l'armée investir les chantiers la nuit, en inventant le prétexte d'une "attaque d'espions ennemis venus par la mer" ! Aussi dégueulasse que grotesque.
Aujourd'hui, seule l'armée russe pourrait assurer la répression en Pologne. De fait la question de la répression, comme celle de l'avenir de la lutte en Pologne, est une question internationale qui ne peut avoir une réponse qu'internationale. De plus avant de pouvoir répondre à la question de savoir si la Russie va intervenir militairement en Pologne, il faut au minimum avoir répondu à la question : pourquoi ne l'ont-ils pas déjà fait ?
Pour ne parler que de la répression elle-même -l'entrée éventuelle des chars russes en Pologne :
- la Pologne n'est pas l'Afghanistan, il ne s'agit pas de s'assurer une place stratégique il s'agit de réprimer la classe ouvrière en maintenant sur place pendant des mois des centaines de milliers de soldats russes. Dans cette perspective, la bourgeoisie d'Etat se souvient que, là aussi, déjà en 1970 à Gdansk, l'armée dépêchée pour assurer la répression, tirait en l'air malgré les ordres. Seules, la police et la milice mitraillèrent sans merci la foule des ouvriers. Et le souvenir des ouvriers montant sur les chars pour discuter avec les soldats doit être toujours présent à la mémoire de la bourgeoisie.
Pour ce qui est des répercussions et des conséquences internationales d'une telle répression :
- Dans le bloc de l'Est pour commencer : déjà pas brillante il y a dix ans, la situation économique dans les pays "du grand mensonge" devient catastrophique. Les problèmes de ravitaillement, de pénurie de tout, qui ont provoqué le mouvement de grève en Pologne sont généraux à tous les pays de l'Est et provoquent des grèves en Hongrie, en Roumanie, en Tchécoslovaquie, et en Russie, et l'exemple des ouvriers polonais ne peut que pousser les ouvriers des pays de l'Est à suivre le même chemin, à généraliser et à unifier leurs luttes.
"La situation économique et politique s'est considérablement dégradée dans le pays (la Russie). A l'automne dernier il y a eu des conférences secrètes de responsables régionaux du parti où il a été expliqué qu'il fallait se préparer à une aggravation de la situation économique. Des détachements spéciaux de la milice ont donc été créées dans les grandes concentrations ouvrières comme le Donbass, 1'Oural et la région de Moscou. Ils se préparent depuis longtemps à affronter le mécontentement très profond qui existe dans les différentes couches de la population ". (Interview de Vladimir Borissov, "Non, la classe ouvrière soviétique n'est pas passive." (L'Alternative" N°7, p.61)
Ce qui inquiète aujourd'hui les bourgeoisies d'Etat du bloc de l'Est, c'est bien sûr qu'une de leurs positions mi1itaires et stratégiques soit affaiblie mais ce qui est dominant depuis le début de la lutte des ouvriers polonais, c'est que celle-ci, par son caractère exemplaire, annonce et joue un rôle d'amorce à des mouvements ouvriers similaires dans tous les pays de l'Est. Comme tous les correspondants de journaux des pays de l'Est le rapportent (même si c'est discrètement), tous les ouvriers qui le peuvent suivent de très près la lutte des ouvriers polonais malgré le black-out des informations par les autorités, en écoutant les radios occidentales.
Dans les pays occidentaux, après les premières vagues de luttes ouvrières dans le monde entre 68 et 70, contre les premiers effets de la crise économique mondiale, l'illusion que cette crise était passagère, l'illusion que les "programmes de relance" allaient l'enrayer et ouvrir une nouvelle perspectives était générale, et les yeux de la classe ouvrière internationale ne se tournèrent pas vers la Pologne, la répression sanglante des grèves ouvrières de 70-71 ne provoqua nulle part de mouvement de solidarité. Aujourd'hui, la situation est totalement différente, tous les yeux sont tournés vers la Pologne, car la lutte des ouvriers polonais est une réponse autre que la guerre à la crise que tout le monde vit, parce que les ouvriers polonais montrent que la classe ouvrière est une force sociale déterminante capable d’imposer son point de vue, parce que la lutte des ouvriers brise en mille morceaux le mensonge du "socialisme" dans les pays de l'Est et éveille leur pensée à une autre alternative que capitalisme d'Etat ou capitalisme privé, parce que ceux qu’on présente comme nos ennemis se battent pour la vie, comme partout.
Les crédits immenses que les pays occidentaux se sont empressés d'accorder à l'Etat polonais pour que celui-ci ne s'effondre pas prouvent que, comme pour les Etats du bloc de l'Est, la préoccupation fondamentale des Etats occidentaux n'est pas une question militaire et stratégique, mais bien que la lutte des ouvriers polonais ne s'étende pas internationalement.
LES TENTATIVES DE CONTRE-OFFENSIVE DE LA BOURGEOISIE
Le dernier épisode marquant de la lutte des ouvriers polonais, la mobilisation générale pour faire libérer deux ouvriers de Solidarité de Varsovie et la remise en cause de la justice, de la police et de l'armée qui l'a accompagnée a montré que les ouvriers polonais étaient allés le plus loin possible dans le cadre des frontières polonaises. Aller plus loin à ce moment-là signifiait remettre totalement en cause le pouvoir d'Etat et pousser celui-ci à s'effondrer. Malgré toutes les conséquences internationales que cela provoquerait, la Russie ne peut se permettre de laisser l'Etat polonais s'effondrer et dans ce cas-là, serait contrainte d'intervenir militairement.
Que ce soit du point de vue de la lutte, comme du point de vue de la répression, toutes les questions se rejoignent dans la question internationale.
C'est de cette situation que la bourgeoisie mondiale tire profit pour mener une contre-offensive contre les ouvriers polonais, non parce que ceux-ci auraient reculé, mais parce que de leur propre force, ils ne peuvent aller plus loin et dégager une perspective internationaliste. Cette contre-offensive se résume à redonner quelque force à l'Etat polonais, à le forcer au moins à adopter une attitude homogène, à agiter très sérieusement la menace d'une intervention des troupes russes, et surtout à isoler les ouvriers polonais des ouvriers du reste du monde. Pour la mener, la bourgeoisie mondiale se partage le travail :
- La bourgeoisie russe contraint le parti polonais I un peu plus d'homogénéité (Plénum du P.O.U.P), les pays occidentaux renflouent l'état polonais.
- La bourgeoisie russe amasse ses tanks à la frontière polonaise, la bourgeoisie occidentale orchestre l'intimidation, non seulement en occident, mais surtout en direction des pays de l'Est : "Un fait ici, une rumeur là -, mais surtout, surtout, cet énorme fracas de bottes répercuté de Washington par les radios occidentales avec un peu plus de force chaque heure".(Le Monde 10/12)
- Et tous, y compris Walesa (voir l'article dans ce numéro) matraquent en Pologne et ailleurs que la question est une question polonaise qui doit se régler en Pologne, "patriotiquement, dans l'union et l'unité nationale".
Aujourd'hui, les ouvriers polonais ne peuvent aller plus loin, ni recommencer ce qu'ils ont déjà fait. Même si la capacité de mobilisation reste toujours aussi grande, ils ne peuvent que conserver les positions gagnées contre l'Etat. Combien de temps ? Cela non plus ne dépend pas d'eux, mais là aussi de la classe ouvrière internationale.
Prênat