Le carnaval électoral est de retour en France avec son cortège
inépuisable de bluff, de magouilles politiciennes, de mensonges, d'illusions.
En réalité, les dés sont pipés d'avance : c'est
toujours la bourgeoisie qui gagne les élections. Sur ce terrain pourri,
les ouvriers n'ont rien à y défendre. L'expérience est
déjà faite depuis longtemps pour les prolétaires : que
la gauche ou la droite l'emporte, tel candidat ou tel autre, cela signifie pour
eux la même politique d'attaques incessantes de toutes les conditions
de vie ouvrière.
C'est pourquoi aujourd'hui encore les révolutionnaires appellent les
ouvriers à déserter toute participation électorale au nom
de la défense de leurs intérêts immédiats et historiques.
Ce n'est qu'en développant leurs luttes sur leur propre terrain de classe,
contre la misère, sur les lieux de travail, dans les grèves et
manifestations qu'ils peuvent réellement exprimer leur colère.
Cette attitude des révolutionnaires n'est pas spécifique aux élections
qui se déroulent aujourd'hui en France. C'est depuis le début
du siècle précédent que, contrairement au 19e , les ouvriers
n'ont plus aucune possibilité d'utiliser les élections pour défendre
leurs intérêts.
A la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle par contre, le capitalisme ayant désormais étendu sa domination à l'ensemble de la planète, il ne peut plus être un système progressiste. Il ne peut plus parvenir à surmonter les contradictions économiques qui l'assaillent, il ne peut plus résoudre ses crises cycliques de surproduction car il se heurte aux limites d'un marché mondial de plus en plus saturé. Tous les rapports sociaux de production, propriété privée, salariat, nation, qui avaient constitué le cadre à partir duquel le capitalisme a pu se généraliser à toute la planète et qui avaient permis un formidable développement des forces productives, se transforment en autant d'entraves à ce développement.
Le capitalisme entre définitivement dans une crise historique permanente. Il ne peut désormais survivre qu'à travers un cycle infernal de crise, guerre, reconstruction, nouvelle crise plus aigüe..., entraînant avec lui l'ensemble de l'humanité dans une barbarie et une misère toujours plus grandes.
Ces contradictions insurmontables qui assaillent le capitalisme depuis le début du 20e siècle acquièrent de par leur intensité, leur durée, leur généralisation à tous les pays, une dimension qualitativement nouvelle. Elles placent la classe ouvrière devant la nécessité et la possibilité d'oeuvrer directement au renversement du capitalisme.
Désormais, la survie du capitalisme, compte tenu de l'âpreté de la concurrence entre les différentes fractions nationales de la bourgeoisie qui se disputent les débouchés de plus en plus rares sur le marché mondial, implique une intensification de l'exploitation et des attaques contre toutes les conditions de vie ouvrière. Désormais, il est hors de question pour la bourgeoisie d'accorder dans quelque domaine que ce soit, économique ou politique, des réformes réelles et durables à la classe ouvrière. C'est l'inverse qu'elle lui impose : toujours plus de sacrifices, de misère, d'exploitation et de barbarie.
Dans ces conditions, il n'est plus possible pour le prolétariat de se
défendre sur le terrain des institutions bourgeoises. Sa seule tâche
est maintenant de se préparer à affirmer sa propre perspective
révolutionnaire afin de détruire ce système agonisant de
fond en comble.
Pour y parvenir, il doit rejeter toutes ses méthodes de lutte passées,
devenues désormais caduques : la lutte dans les syndicats et sur le terrain
électoral. Ces moyens qui, au 19e siècle, lui avaient permis de
s'affirmer et de se constituer en classe sont devenus des armes de la bourgeoisie,
des forces de mystification qui ne servent qu'à désarmer les ouvriers,
à les détourner du terrain réel de leurs luttes contre
le capital.
Ainsi, aujourd'hui la classe ouvrière n'a pas le choix. Ou bien elle
se laisse entraîner sur le terrain électoral, sur le terrain de
l'Etat bourgeois qui organise son exploitation et son oppression, terrain où
elle ne peut être qu'atomisée, donc sans force pour résister
aux attaques du capitalisme en crise. Ou bien, elle développe ses luttes
collectives, de façon solidaire et unie, pour défendre ses conditions
de vie. Ce n'est que de cette façon qu'elle pourra développer
sa force de classe, s'unifier et s'organiser en dehors des institutions bourgeoises
pour mener le combat en vue du renversement du capitalisme. Ce n'est que de
cette façon qu'elle pourra, dans le futur, édifier une nouvelle
société débarrassée de l'exploitation, de la misère
et des guerres.
En Israël et en Palestine, les morts se comptent par 40, 50, tous les jours. Jamais auparavant la barbarie quotidienne n'avait atteint un tel degré dans la région. Depuis le déclenchement de la deuxième Intifada en septembre 2000, ce sont 1600 morts qui jonchent le sol de cette région, particulièrement chez les jeunes et les adolescents des zones de populations hyper-concentrées de la bande de Gaza et de Cisjordanie.
La soldatesque de Tsahal, la peur au ventre et excitée par le nationalisme, tire sur tout ce qui bouge, dynamite des quartiers entiers, fouille les maisons, bombarde et entre dans les camps de réfugiés, détruit les infrastructures vitales comme les canalisations d'eau, tire sur les ambulances et les hôpitaux. Elle arrête tout homme de plus de 14 ans sous prétexte de "chasse aux terroristes" en puissance, alimentant d'autant la haine anti-juive des Palestiniens.
Côté palestinien, on assiste à un accroissement sans précédent des attentats aveugles frappant la population d'Israël, arabes israéliens compris : des jeunes désespérés, fanatisés, embrigadés par des groupes islamistes, utilisés comme arme "percutante" par l'Autorité palestinienne (les Brigades de Al-Aksa, par exemple) qui les pousse à jouer les kamikazes au milieu de la foule.
Depuis septembre 2000, c'est bel et bien, en réalité, d'une guerre qu'il s'agit, après les quatre guerres "déclarées" de 1956, 1967, 1973 et 1982 qu'on a vues depuis la création de l'Etat d'Israël en 1948 (sans compter les multiples opérations de police et autres attentats qui n'ont jamais cessé en temps de "paix"). Des deux côtés, de véritables flots de propagande nationaliste s'écoulent, transformant tout un chacun en tueur patenté. Et au déversement massif de cette idéologie abrutissante s'ajoute celui de la religion qui permet d'opposer plus fortement encore les deux "camps" et d'attiser la violence meurtrière.
"De chaque côté, les cliques dirigeantes appellent les ouvriers à "défendre la patrie", qu'elle soit juive ou palestinienne. Ces ouvriers juifs qui en Israël sont exploités par des capitalistes juifs, ces ouvriers palestiniens qui sont exploités par des capitalistes juifs ou par des capitalistes arabes (et souvent de façon bien plus féroce que par les capitalistes juifs puisque dans les entreprises palestiniennes le droit du travail est encore celui de l'ancien empire ottoman).
Les ouvriers juifs ont déjà payé un lourd tribut à la folie guerrière de la bourgeoisie au cours des cinq guerres qu'ils ont subies depuis 1948. Sitôt sortis des camps de concentration et des ghettos d'une Europe ravagée par la guerre mondiale, les grand-parents de ceux qui aujourd'hui portent l'uniforme de Tsahal avaient été entraînés dans la guerre entre Israël et les pays arabes. Puis leurs parents avaient payé le prix du sang dans les guerres de 67, 73 et 82. Ces soldats ne sont pas d'affreuses brutes qui ne pensent qu'à tuer des enfants palestiniens. Ce sont de jeunes appelés, ouvriers pour la plupart, crevant de trouille et de dégoût qu'on oblige de faire la police et dont on bourre le crâne sur la "barbarie" des arabes.
Les ouvriers palestiniens aussi ont déjà payé de façon horrible le prix du sang. Chassés de chez eux en 1948 par la guerre voulue par leurs dirigeants, ils ont passé la plus grande partie de leur vie dans des camps de concentration, enrôlés de gré ou de force à l'adolescence dans les milices du Fatah et autres FPLP ou Hamas. Leurs plus grands massacreurs ne sont d'ailleurs pas les armées d'Israël mais celles des pays où ils étaient parqués comme la Jordanie et le Liban : en septembre 1970 (le "septembre noir"), le "petit roi" Hussein les extermine en masse, au point que certains d'entre eux vont se réfugier en Israël pour échapper à la mort ; en septembre 1982, ce sont des milices arabes (certes chrétiennes et alliées à Israël) qui les massacrent dans les camps de Sabra et Chatila, à Beyrouth." (Révolution Internationale n°307, janvier 2001)
Aujourd'hui, après la conférence de Madrid, les accords d'Oslo
en 1996, les différents sommets de Camp David aux Etats-Unis et de Charm-El-Cheik
en Egypte, le tout enrobé du caramel idéologique de l'octroi du
prix Nobel de la paix à Arafat, Perès et Rabin (ceux-là
mêmes qui n'avaient cessé de fomenter guerres et attentats depuis
des décennies), après tous les discours sur la "paix en marche"
dans la région "grâce" aux efforts américains
(auxquels les pays européens, France en tête, se sont empressés
de s'opposer au maximum), on peut une fois de plus voir ce que le mot "paix"
signifie dans la bouche de la bourgeoisie : la guerre. Cette réalité
est le mode de vie de ce système moribond depuis plus d'un siècle
et ne peut que s'accentuer dans ce siècle, si le prolétariat n'y
met pas fin par la révolution communiste mondiale.
La classe dominante s'inquiète de la possibilité que la crise
économique qui conduit l'économie argentine à la faillite,
ne s'étende à d'autres pays d'Amérique Latine, notamment
le Venezuela, la Colombie, et l'Uruguay. Elle craint le retour d'une crise comme
celle qui a frappé le Sud-Est asiatique en 1997, voire quelque chose
de pire qualitativement et quantitativement.
Le Fonds Monétaire International ayant écarté toute possibilité
de nouveaux emprunts, la seule alternative qui reste pour l'Etat argentin, est
de frapper encore plus durement la classe ouvrière et les autres couches
non-exploiteuses par ses mesures d'austérité.
Une série d'attaques contre les conditions de vie de la classe ouvrière
a provoqué des grèves, des manifestations, et d'autres formes
de lutte. Dans RI n°316 nous en avons donné des exemples, tout en
soulignant les obstacles auxquels la classe ouvrière fait face : la force
des syndicats, le poids des idéologies nationalistes et autres, le danger
de se laisser emporter dans la marée d'un mouvement incluant d'autres
classes sociales, avec d'autres intérêts et d'autres méthodes
de lutte.
Depuis lors, les ouvriers ont été de plus en plus submergés dans un mouvement général qui englobe les sans ressources, la petite-bourgeoisie, les professions libérales et d'autres parties de la population. Les actions spectaculaires - dont aucune n'est caractéristique de la classe ouvrière - comme le pillage, les émeutes, les attaques de banques, les incendies, se sont largement répandues. La police a dispersé des manifestations réunissant toutes les classes sociales au moyen de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc, sans pour cela provoquer une montée des luttes ouvrières.
Cette situation pose des difficultés considérables pour la classe
ouvrière en Argentine. Comme nous l'avons écrit dans notre presse
:"Face à une attaque énorme contre son niveau de vie, et
une véritable crise sociale et politique, la classe ouvrière n'a
pas été capable jusqu'ici d'affirmer ses propres intérêts
de classe ni sa confiance en elle-même en tant que force sociale distincte,
et s'est laissé emporter par une marée de colère sans direction."
(World Revolution, mars 2002)
Si nous devons comprendre la sévérité de la crise qu'affronte
le capitalisme en Argentine, nous devons comprendre également les limites
de l'intervention de l'impérialisme américain et du FMI face à
l'effondrement économique argentin. Ces limites reflètent la confiance
de la bourgeoisie dans le fait que, dans la situation actuelle, il n'y a aucun
danger significatif à craindre du côté de la classe ouvrière.
La classe ouvrière n'a pas à avoir peur de comprendre la vérité
de sa situation. Mais toute tentative de découvrir la réalité
de la situation sociale réelle en Argentine se heurte à la propagande
des gauchistes, qui ont salué les derniers évènements comme
une "révolution".
Le Weekly Worker du 10 janvier 2002 (hebdomadaire trotskiste en Grande-Bretagne)
prétend que "l'Argentine se trouve dans une situation pré-révolutionnaire
en ébullition. Les partis capitalistes établis -les Radicaux
et les Péronistes- sont incapables de diriger comme avant : la masse
de la population n'est plus prête à être dirigée ainsi".
Workers' Power (février 2002) en fait l'écho : "A partir
de la fin novembre toutes les conditions objectives d'une situation révolutionnaire
ont mûri - la classe dominante était au bord de la paralysie politique.
Quand le FMI rejeta les requêtes répétées de De La
Rua pour des emprunts, et exigea un programme d'austérité encore
plus draconien, les partis de la classe dominante démontrèrent
qu'ils étaient 'incapables de régner comme avant'.
En même temps la classe ouvrière, la petite-bourgeoisie, les secteurs
paupérisés de la société n'étaient pas prêts
de tolérer une situation économique qui allait en empirant, de
même qu'une austérité croissante dictée par le FMI.
La décision de geler les retraits bancaires a exaspéré
les classes moyennes".
Dans ses diverses publications, le plus important des groupes gauchistes en Grande-Bretagne, le Socialist Workers' Party, se montre généralement plus prudent, se demandant (à la une du Socialist Worker, 12 janvier 2002) "Est-ce que la révolte peut mener à la révolution ?". Ceci dit, il soutient l'avis de ses rivaux gauchistes : "Les 19/20 décembre est venue cette fusion d'amertume qui marque le début d'une situation révolutionnaire - les pauvres s'attaquant aux supermarchés pour s'emparer de la nourriture, les couches inférieures des classes moyennes frappant leurs casseroles, les petits commerçants exprimant leur solidarité, et la jeunesse ouvrière en colère dans la rue (…) deux des éléments clés dans la description que donne Lénine d'une situation révolutionnaire sont présents : les masses populaires ne veulent plus continuer comme avant, et la classe dominante ne le peut plus".
Ces groupes se basent sur les remarques de Lénine à propos des
"symptômes d'une situation révolutionnaire", dans La
faillite de la 2e Internationale, publié en septembre 1915. Mais les
gauchistes mentionnent rarement les "trois symptômes principaux".
Cela vaut la peine de les rappeler.
Quels sont, d'une façon générale, les indices d'une
situation révolutionnaire ? Nous sommes certains de ne pas nous tromper
en indiquant les trois principaux indices que voici :
Le seul point dans ce cadre qui demande à être explicité est un point central du marxisme, considérant que, dans la société capitaliste, la seule classe opprimée capable d'une action indépendante est bien la classe ouvrière. Sur tout le reste, la contribution de Lénine reste valable jusqu'à ce jour.
Pour commencer par le premier point de Lénine : il est évident que la classe dirigeante argentine est en désarroi face aux coups portés par trois ans de récession. La succession des présidents, et les "ajustements" budgétaires à la queue leu leu sont le résultat de la force de la crise et le résultat de la politique du FMI. La bourgeoisie s'inquiète de la situation sociale, mais elle ne subit pas la pression de la lutte ouvrière.
Les gauchistes indiquent d'autres facteurs qui détermineraient l'action de l'Etat. Le Weekly Worker (10 janvier 2002) parle des "pillages massifs des supermarchés par les affamés, et des confrontations combatives avec la police en armes devant le parlement et les ministères - des actions dont le soutien massif évident a suffit pour faire tomber les gouvernements du radical De La Rua et de son successeur Péroniste Rodriguez Saa". Il existe bien, selon les mots de Lénine, "le mécontentement et l'indignation des classes opprimées", et la bourgeoisie argentine n'est pas contente du désordre social dans le pays, mais sa capacité de gouverner n'est pas menacée tant que les énergies de la classe ouvrière ne se dirigent pas vers une lutte autonome.
Si on prend le deuxième point mis en avant par Lénine, il est important de prendre en considération la situation des classes opprimées en Argentine. Comme nous l'avons montré dans notre presse, il ne peut y avoir aucun doute quant à la sévérité croissante de chaque régime d'austérité imposé par le gouvernement argentin. Alors que la situation n'a fait qu'empirer, comment la population s'est-elle débrouillée ? Avec une crise alimentaire croissante, est venu le pillage des supermarchés ; avec la pénurie d'argent liquide, on a vu l'émergence de marchés de troc où on échange les produits de première nécessité. Dans chaque cas on voit une tentative désespérée de satisfaire les besoins individuels, mais non pas une lutte collective afin de faire avancer les intérêts de classe. Pour que "la souffrance et la misère des classes opprimées" deviennent un facteur de la situation, elles doivent devenir un stimulant à l'action de classe. La classe ouvrière en Argentine n'a pas été en mesure de distinguer sa lutte de celle des autres couches sociales opprimées.
Ceci nous amène au troisième "symptôme" évoqué par Lénine. Comme nous l'avons souligné, toutes les couches de la population ont souffert des effets de la crise sur l'économie argentine. Cela va "des secteurs les plus exploités - tels ceux qui trouvent leur subsistance dans les monceaux d'ordures - jusqu'aux petits entrepreneurs", comme disait Workers' Power (janvier 2002). Ainsi la crise a frappé des gens de toutes sortes de conditions sociales, avec des intérêts de classe différents et aussi avec des façons différentes de les défendre.
Par exemple, pour ceux qui sont en bas de l'échelle -sans-abri ou habitant les bidonvilles, et qui n'ont jamais été intégrés dans les rapports de travail associé de la classe ouvrière- la vie est une existence au jour le jour, qui ne donne aucune raison de penser qu'on peut travailler avec ou faire confiance aux autres. D'un autre côté, il y a les "classes moyennes", petits commerçants ou marchands, dont la position sociale est saturée d'individualisme. Par contre, la classe ouvrière - la classe du travail associé au cœur de la production capitaliste, et qui n'a que sa force de travail à vendre - est la seule classe capable d'une action indépendante, même si certains des chômeurs ont été repoussés vers les marges de la société. L'histoire a montré que les autres couches sociales n'ont aucune existence indépendante, et tendent à se rallier à l'une des deux classes principales : la classe exploiteuse, ou le prolétariat exploité. En Argentine, du fait que la classe ouvrière ne s'est pas battue sur son propre terrain de classe autonome, elle n'a pas donné une direction au mouvement permettant d'entraîner derrière elle les autres couches sociales. Le 8 août 2001, un des organisateurs d'une grande manifestation à Buenos Aires s'est félicité du fait que "Les Argentins de toutes les classes se rassemblent".
Pour des marxistes, c'est un grave problème que la classe ouvrière doit surmonter. Mais ce mouvement interclassiste ne pose aucun problème pour les gauchistes. "Une coalition de fait s'est créée dans la rue, entre les classes moyennes, la classe ouvrière, et le sous-prolétariat paupérisé… Les classes moyennes sont rentrées sur la scène politique, se sont solidarisées ouvertement avec le pillage des supermarchés par les chômeurs, et se sont opposées à l'état d'urgence qui supprimait leur droit de protester." (Workers' Power, février 2002). La seule classe révolutionnaire au sein de la société capitaliste est la classe ouvrière, mais elle ne peut pas prendre l'initiative si elle se noie dans la masse sans perspective des autres couches sociales.
Malgré tout leur baratin sur la "révolution", les gauchistes ne peuvent pas s'empêcher de révéler certains aspects de la situation qui démentent ce qu'ils disent. Bien qu'il parle des "journées révolutionnaires", Workers' Power (février 2002) est obligé de reconnaître que "de façon générale, la classe ouvrière s'est jointe aux actions du 19 et du 20 décembre en tant qu'individus, ou dans des lieux de travail spécifiques, mais non pas en tant que force organisée". Socialist Worker (9 février 2002) avoue que "Alors que les ouvriers ont été impliqués dans les protestations et les assemblées, en général cela n'a pas été en tant que groupes organisés".
Les diverses assemblées qui se sont formées ont rencontré un mélange d'enthousiasme et de réserve de la part des gauchistes. Pour Workers' Power (février 2002), les assemblées de quartier "représentent l'implication croissante des masses dans la politique", mais "les classes moyennes y jouent un rôle disproportionné", et "les cols-bleus y sont largement absents" : ces dernières "ne doivent pas être confondues avec des conseils ouvriers".
Socialist Worker (9 février 2002) donne un exemple parlant : "Dans un quartier anciennement huppé de Buenos Aires, Belgrano, où quasiment aucun ouvrier n'habite, une assemblée animée se réunit presque chaque soir. Elle a voté pour l'annulation de la dette étrangère, la nationalisation des banques et des industries privées, etc."
Ce qui est intéressant dans cet exemple, c'est que l'assemblée
a voté pour les mêmes mesures capitalistes d'Etat que les assemblées
dans les quartiers ouvriers. Quand les marxistes considèrent une formation
sociale, ils examinent ses revendications, sa composition sociale, et sa façon
d'agir afin de déterminer où elle se place dans la lutte entre
les classes. Dans le cas des assemblées en Argentine, de façon
générale, celles-ci mettent en avant des revendications en faveur
de l'action de l'Etat capitaliste (bien qu'il y ait aussi beaucoup d'opposition
à la répression étatique), leur composition est interclassiste,
et leur mode d'action ne vise pas à l'organisation et à l'indépendance
de la lutte des ouvriers. Quelques assemblées semblent avoir adopté
des axes pour l'organisation d'actions plus radicales, mais ce sont des exceptions.
Le mouvement des piquets (les piqueteros) est un autre phénomène
qui est apparu en Argentine. Regroupant "les chômeurs, les syndicalistes,
les comités de quartier, les militants des droits de l'homme, et les
mouvements régionaux" (International Viewpoint, décembre
2001), il s'est généralisé à tout le pays à
travers le blocage des principales routes. La nature interclassiste du mouvement
a fait que l'action des piquets est restée stérile. Les piquets
délégués par des assemblées ouvrières pour
étendre la lutte font partie intégrante de la lutte de classe.
Mais en Argentine, les barrages routiers ont désorganisé la vie
sociale sans amener la moindre avancée de l'organisation ou de la confiance
de la classe ouvrière en elle-même, sans encourager le moindre
pas en avant dans le développement d'un sentiment d'identité de
classe.
Faire ainsi ressortir les principales caractéristiques de la situation en Argentine ne veut pas dire sous-estimer la combativité du prolétariat. Ces dernières années il a mené des luttes d'ampleur qui ont représenté une force dans la société, malgré leur enfermement dans le cadre syndical. Mais les révolutionnaires ne doivent pas hésiter à mettre en garde la classe ouvrière contre les dangers de se laisser emporter dans des mouvements interclassistes, ou de se laisser tromper pas les illusions démocratiques.
Il est bien typique des gauchistes de proclamer une "situation révolutionnaire"
limitée à un seul pays. En ceci, ils restent conséquents
avec leur célébration des "révolutions" en Indonésie
en 1998 et en Serbie en 2000 - des "révolutions" où
la classe ouvrière a suivi les drapeaux du nationalisme et de la démocratie,
et où l'appareil de l'Etat capitaliste est resté intact. Les marxistes,
par contre, insistent sur le fait que la crise économique est une crise
du capitalisme planétaire, que la force de la classe ouvrière
est celle d'une classe internationale, et que le rapport de force entre les
classes ne peut être déterminé qu'au niveau international.
Parler d'une "situation révolutionnaire" en Argentine, c'est
cacher la réalité des luttes que la classe ouvrière sera
obligée d'entreprendre.
Quand les gauchistes présentent
une image fausse de ce qui se passe en Argentine, ils restent fidèles
à une pratique établie depuis des décennies. C'est le contraire
qui est vrai concernant l'intervention du Bureau International pour le Parti
Révolutionnaire (BIPR), un groupe qui fait partie du camp de la classe
ouvrière. Dans une prise de position récente ("La crise et
le libéralisme économique ont mis l'Argentine à genoux.
Le prolétariat relève la tête"), le BIPR démontre
la gravité de la crise économique, sa nature internationale, les
attaques dévastatrices contre les conditions de vie de la masse de la
population, et le besoin d'éviter les pièges des syndicats.
Quand il décrit la nature de la réponse à ces attaques, le BIPR affirme que "la colère et la violence ont grandi en même temps que la faim, la misère sociale et économique, le désespoir face à la réalité quotidienne, et le manque de perspectives pour l'avenir". Evidemment, le mouvement est très hétérogène, puisque "les jeunes et les étudiants, les ouvriers, les chômeurs, et la petite bourgeoisie prolétarisée d'abord et paupérisée ensuite, sont descendus spontanément dans la rue".
C'est une description juste des évènements, mais quand le BIPR parle des attaques contre les banques, les bureaux, et les supermarchés pour dire que "la faim et la colère (…) restent à la base de ce dernier surgissement insurrectionnel", il abuse d'un terme clé du mouvement marxiste. Lénine suivait Marx, en décrivant l'insurrection comme un art, qui exige l'analyse attentive et l'intervention des révolutionnaires au sein des luttes montantes de la classe ouvrière. Pour les marxistes, "insurrection" ne veut pas dire le pillage et les incendies.
En parlant de la classe ouvrière, le BIPR nous dit que "la réponse a été typiquement prolétariennne", puisque "dans toute l'Argentine des grèves et des occupations ont surgi". C'est comme si la classe ouvrière avait pu entrer en lutte en ignorant l'action des autres couches sociales. En réalité, la classe n'a pas été engagée dans des luttes "typiquement prolétariennes", et les révolutionnaires ne doivent pas essayer de cacher le danger pour les ouvriers d'être emportés dans un mouvement stérile du point de vue social.
Il est vrai, comme dit le BIPR, que "des masses énormes de prolétaires et de déshérités ont été poussés à l'action", mais "l'action" de la classe ouvrière n'est pas la même que celle des autres couches sociales, et dans le contexte argentin il faut distinguer les caractéristiques du mouvement.
Le BIPR affirme que "le contenu de classe d'un mouvement ne dépend pas seulement de son aspect sociologique, c'est-à-dire de la présence de prolétaires, mais surtout des buts politiques qu'il contient et qui s'y développent". Mais il ne dit rien sur ce fait que le poids des autres couches peut avoir une forte influence, qui peut entraver la capacité de la classe ouvrière de développer sa propre identité de classe, sans parler de ses propres "buts politiques". La situation dans laquelle se trouvent les ouvriers est un facteur matériel que les marxistes ont le devoir d'examiner.
Pour le BIPR, "deux éléments sont clairement absents" de la situation, dont "un véritable resurgissement de la lutte de classe". C'est vrai, mais en tant que marxistes nous devons expliquer pourquoi, face à des attaques massives de l'Etat, il n'existe pas de réponse claire de classe. Et une des raisons principales en est que la classe ouvrière a été submergée par un mouvement interclassiste.
Le BIPR évite cette réalité en disant qu'un parti révolutionnaire "peut transformer la colère, la détermination de lutter, et la révolte spontanée, en révolution sociale". Une telle idée met le marxisme sur la tête. Cette idée suggère que, quelle que soit la nature du mouvement -qu'il soit sur un terrain de classe, ou qu'il ait dévoyé les énergies de la classe ouvrière- le parti peut transformer la situation sans tenir compte de la réalité sociale. Et une telle idée relève d'une démarche idéaliste.
Par contre, quand le BIPR dit "qu'il doit y avoir une conscience des antagonismes
de classe", c'est tout à fait juste. La question de savoir comment
les ouvriers reconnaissent leurs intérêts de classe, les moyens
de leur lutte, et la nature de leurs ennemis de classe, est fondamentale. C'est
un processus qui ne saurait être réduit à l'influence des
organisations révolutionnaires, puisqu'il dépend également
de la nature du mouvement dans lequel ils interviennent, et l'existence ou non
déjà de tentatives vers la clarification au sein de la classe
ouvrière elle-même. Les très grandes difficultés
auxquelles s'affronte le prolétariat ne peuvent être abolies de
façon volontariste par des proclamations idéalistes sur la capacité
du parti à transformer la situation.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/france
[2] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[3] https://fr.internationalism.org/tag/5/56/moyen-orient
[4] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/guerre-irak
[5] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[6] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauchisme
[7] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/trotskysme
[8] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[9] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/tci-bipr