Editorial : La difficile reprise de la lutte de classe

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Au Moyen-Orient la <r paix » Israel-OLP se révèle pour ce qu'elle est : un nouveau prolongement de la guerre qui n'a ja­mais cessé dans cette région du monde. Champ de bataille des grands intérêts impérialistes depuis la première guerre mondiale, le Moyen-Orient le restera tant que le capitalisme mondial vivra, tout comme toutes les autres régions où n'ont jamais cessés les guerres ouvertes ou larvées.

En Yougoslavie, la guerre se poursuit. Des combats se mè­nent désormais au sein même de chacun des camps, entre Serbes, entre Croates, et entre Musulmans. L'alibi «  ethnique » fourni pour justifier cette guerre est tragiquement dénoncé par les nouveaux combats autour desquels les mé­dias font désormais taire leur publicité ! C'est sous couvert du « droit à l'indépendance » des «  peuples » que la Yougoslavie est devenue le sinistre champ d'expérience des nouveaux affrontements entre grandes puissances provoqués par la disparition des anciens blocs impérialistes. Là aussi, il n'y aura pas de retour en arrière possible tant que le capita­lisme aura les mains libres pour mener sa politique diplomatico-guerrière au nom de l'aide « humanitaire ».

En Russie, la situation ne fait qu'empirer. Le naufrage éco­nomique est décuplé, et l'instabilité politique qui a déjà entraî­né des pans entiers de l'ex-URSS dans des guerres sanglan­tes, touche de plus en plus au coeur même de la Russie. Le risque de l'extension d'un chaos « à la yougoslave » y est bien réel. Là encore, le capitalisme n'a d'autre perspective que les guerres.

Guerres et crise, décomposition sociale, tel est /'« avenir » que le capitalisme offre à l'humanité en cette dernière décen­nie du millénaire

 

Dans les pays « développés », qui consti­tuent le centre névralgique de ce système de terreur, de mort et de misère qu'est le capi­talisme mondial, les luttes ouvrières ont re­surgi depuis plusieurs mois après quatre ans de recul et de passivité. Début de mo­bilisation ouvrière contre des plans d'austé­rité d'une brutalité inconnue depuis la deuxième guerre mondiale, ces luttes contiennent aussi en germe la seule possibi­lité de réponse à la décadence et la décomposition du mode de production capitaliste. Avec toutes leurs limites, elles constituent déjà un pas dans le sens d'un combat de classe, une lutte massive et internationale du prolétariat, seule perspective pour enrayer les attaques contre les conditions d'exis­tence, la misère et les guerres qui ravagent aujourd'hui la planète.

Le développement de la lutte de classe

Depuis plusieurs mois maintenant, mouve­ments de grèves et manifestations se sont multipliés dans les principaux pays d'Europe de l'ouest. Le calme social qui régnait depuis près de quatre ans est définitivement rompu.

La brutalité des licenciements et des baisses de salaires, et toutes les autres mesures d'austérité qui les accompagnent, ont partout provoqué la montée d'un mécontentement qui, à plusieurs reprises, a débouché sur une combativité retrouvée, une volonté manifeste de se battre, de ne pas se résigner face aux menaces que font peser les attaques contre toutes les conditions de vie de la classe ouvrière.

Et si partout les mouvements restent bien encadrés par les syndicats, ils n'en signifient pas moins un développement important de la lutte de classe. Le fait que, dans tous les pays, les syndicats appellent à des journées de manifestation et à des grèves, est symptomatique de la montée de la combativité dans les rangs ouvriers. C'est bien parce que les syndicats, par la place qu'ils occupent dans l'Etat capitaliste comme gardiens de l'ordre social pour le compte du capital na­tional, perçoivent clairement que la classe ouvrière n'est pas prête à accepter passive­ment ces attaques contre ses conditions d'existence, qu'ils prennent les devants. En enfermant et en canalisant les revendications dans le corporatisme et le nationalisme, en dévoyant la volonté de lutter dans des im­passes, les syndicats déploient une stratégie visant à empêcher le développement de la lutte de classe. Et cette stratégie est, a contrario, le signe qu'une véritable reprise de la lutte de classe est désormais en cours, à l'échelle internationale.

La reprise de la combativité ouvrière

La fin de l'année 1993 a ainsi été marquée par des grèves et manifestations en Belgique, en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne, en France, en Espagne.

Ce sont les grèves et manifestations en Allemagne ([1]) au début de l'automne qui ont donné le « la ». Tous les secteurs ont été touchés par une forte vague de méconten­tement, obligeant les syndicats à orchestrer des manoeuvres de grande envergure, dans les principaux secteurs industriels, avec no­tamment une manifestation de 120 000 ou­vriers du bâtiment le 28 octobre à Bonn, et avec également, dans l'industrie automobile, la « négociation » sur la semaine de 4 jours de travail avec diminution des salaires chez Volkswagen.

En Italie, où les premiers signes de la re­prise de la lutte de classe internationale s'étaient manifestés dès septembre 1992, avec une importante mobilisation contre le plan du gouvernement Amato et contre les syndicats officiels signataires du plan, se sont multipliées grèves et manifestations depuis septembre 1993. Les grandes centra­les syndicales étant fortement discréditées auprès des ouvriers, ce sont des organismes du syndicalisme de base qui prennent le re­lais. Le 25 septembre, 200 000 personnes manifestent à l'appel des « coordinations des conseils de fabrique ». Le 28 octobre, 700 000 personnes participent aux manifes­tations organisées dans le pays, et la grève de 4 heures est suivie ce jour-là par 14 mil­lions de salariés. Le 16 novembre, c'est une manifestation de 500 000 salariés du secteur du bâtiment. Le 10 décembre, des mani­festations de métallos de Fiat se déroulent à Turin, Milan et Rome.

En Belgique, le 29 octobre, 60 000 manifes­tants défilent à Bruxelles à l'appel de la FGTB, syndicat socialiste. Le 15 novembre sont organisées des grèves tournantes dans les transports publics. Le 26 novembre, qualifié de « Vendredi rouge » par la presse bourgeoise, la grève générale contre le « plan global » du premier ministre, la plus importante depuis 1936, appelée par les deux grands syndicats, la FGTB et le syndi­cat chrétien, la CSC, paralyse tout le pays.

En France, en octobre, c'est la grève des per­sonnels au sol de la compagnie Air France, puis toute une série de manifestations et grèves localisées, notamment dans les trans­ports publics, le 26 novembre. En Grande-Bretagne, 250 000 fonctionnaires sont en grève le 5 novembre. En Espagne, le 17 no­vembre, c'est le rassemblement de 30 000 métallos à Barcelone, contre le plan de li­cenciements de l'usine d'automobiles SEAT. Le 25 novembre est organisée une grande journée de manifestations syndicales dans tout le pays, contre le « pacte social » du gouvernement, la baisse des salaires, retrai­tes, allocation chômage à laquelle partici­pent plusieurs dizaines de milliers de per­sonnes à Madrid, Barcelone et dans tout le pays.

Le blackout

Dans chaque pays, la propagande médiati­que de la presse, de la radio et de la télévi­sion, s'efforce autant que possible de taire les événements qui touchent à la classe ouvrière. C'est particulièrement le cas des mou­vements dans les autres pays qui ne sont pratiquement jamais « couverts ». Et lorsque certains journaux mentionnent parfois très brièvement grèves et manifestations, dans la presse « populaire » et à la télévision, c'est quasiment partout le black out. Par exemple, pratiquement rien n'a filtré des grèves et manifestations en Allemagne dans les médias des autres pays. Et quand la réalité de « l'agitation sociale » ne peut pas être ca­chée, lorsqu'il s'agit d'événements nationaux, lorsqu'il s'agit des manoeuvres de la bour­geoisie qui servent sa propagande, ou lorsque l'importance de ce qui se passe s'im­pose à 1' « information », cette dernière pré­sente systématiquement les aspects parti­culiers de chaque situation : c'est le pro­blème de telle ou telle entreprise, c'est le problème de tel ou tel secteur, c'est le pro­blème de tel ou tel pays. Ce sont toujours les revendications les plus corporatistes et na­tionalistes des syndicats qui sont présentées. Ou encore, ce sont les aspects spectaculaires stériles, comme les affrontements minoritaires avec les forces de l'ordre (en France lors du conflit d'Air France, en Belgique lors du « Vendredi rouge »), qui sont mis en avant.

Mais derrière le black out et la déformation de la réalité, c'est fondamentalement la même situation dans tous les pays dévelop­pés, en Europe de l'ouest en particulier, qui est à la base de la reprise de la lutte de classe. La multiplication des grèves et mani­festations est en elle-même déjà la marque de la reprise de la combativité ouvrière, d'une montée du mécontentement contre la baisse du « niveau de vie » qui s'élargit de jour en jour à toutes les couches de la popu­lation au travail, et contre le chômage mas­sif.

Ce développement de la lutte de classe n'est qu'un début. Il se heurte aux difficultés créées par les conditions de la période his­torique actuelle.

 

Les difficultés de la classe ouvrière face à la stratégie syndicale et politique

C'est après toute une période d'un important reflux des combats ouvriers, qui a duré près de quatre ans, que la classe ouvrière com­mence à retrouver le chemin de la lutte.

Le mensonge stalinisme=communisme pèse toujours

Le prolétariat a d'abord été déboussolé par les campagnes idéologiques sur la « fin du communisme » et la « fin de la lutte de classe » qui ont été martelées à profusion depuis la chute du mur de Berlin en 1989. Ces campagnes, en présentant la mort du stalinisme comme la « fin du commu­nisme », ont attaqué directement la conscience latente dans la classe ouvrière de la nécessité et de la possibilité de se battre pour une autre société. En usant et abusant du plus grand mensonge de ce siècle, l'as­similation de la forme stalinienne de capita­lisme d'Etat au « communisme », la propagande de la bourgeoisie a largement débous­solé la classe ouvrière. Dans sa grande ma­jorité, celle-ci a perçu l'effondrement du stalinisme comme la manifestation de l'im­possibilité de l'instauration d'un autre sys­tème que le capitalisme. Au lieu d'une clari­fication dans la conscience de la classe sur la nature capitaliste du stalinisme, la fin de ce dernier a en quelque sorte permis de ren­forcer la crédibilité du mensonge de la na­ture « socialiste » de l’URSS et des pays de l'Est. Un reflux profond dans la conscience de la classe ouvrière, qui se dégageait len­tement de l'emprise de ce mensonge, dans ses luttes depuis la fin des années 1960, s'est ouvert à partir de là, expliquant en grande partie le plus bas niveau de grèves et mani­festations ouvrières jamais enregistré en Europe de l'ouest depuis la seconde guerre mondiale.

La confusion, qui depuis plusieurs décennies a régné dans la classe ouvrière sur sa propre perspective, celle du communisme, mensongèrement assimilée à la contre-révo­lution capitaliste sanglante du stalinisme, perdure. Elle continue d'être entretenue par la propagande, aussi bien celle des fractions de la bourgeoisie qui dénoncent le « communisme » pour vanter les mérites de la « démocratie » libérale ou socialiste, que par celle des fractions qui en défendent les «acquis socialistes» comme les Partis communistes et les organisations trotskistes. ([2])

Toutes les occasions sont bonnes pour entre­tenir cette confusion. Lors des affrontements à Moscou en octobre 1993 entre le gouvernement d'Eltsine et les « insurgés du Parlement », la propagande n'a cessé de pré­senter les députés « conservateurs » comme les « vrais communistes » (en insistant qu'ils ne peuvent bien sûr s'entendre qu'avec les « fascistes »), renforçant à nouveau le rideau de fumée idéologique sur le « communisme », utilisant une fois encore le cadavre du stalinisme pour marteler son message contre la classe ouvrière. Quant aux Partis communistes et aux organisations trotskistes, avec la désillusion qu'entraînent les ravages de la crise en URSS et dans les ex-pays « socialistes », ils retrouvent de la voix de plus en plus souvent pour défendre combien finalement les « acquis socialistes » ([3]) avaient du bon... avant le «retour du capitalisme ».

Le mensonge de l'assimilation du stalinisme au communisme, qui occulte la véritable perspective du communisme, va continuer à être entretenu par la bourgeoisie. La classe ouvrière ne pourra véritablement se débar­rasser de cet obstacle à sa prise de conscience qu'avec la mise à nu, dans la pratique de ses luttes, du rôle contre-révo­lutionnaire des organisations de la gauche du capital social-démocratie, stalinisme et ses variantes « déstalinisées » et du syndicalisme.

Le poids du syndicalisme

Les promesses d'un « nouvel ordre mondial » qui devait ouvrir une « nouvelle ère de paix et de prospérité » sous l'égide du capitalisme « démocratique » ont également contribué à un reflux de la lutte de classe, de la capacité de la classe ouvrière à riposter aux remises en cause de ses conditions d'existence.

La guerre du Golfe en 1991 avait mis à mal les promesses de « paix », et constitué un facteur de clarification dans la conscience sur la nature de cette « paix » selon le capi­talisme « triomphant », mais elle avait en même temps généré un sentiment d'impuis­sance annihilant la combativité.

Aujourd'hui, la crise économique et la géné­ralisation des attaques des conditions de vie qu'elle entraîne, pousse le prolétariat à émerger lentement de la passivité qui domi­nait dans ses rangs. Le regain de combativité est un signe que les promesses de « prospérité » ne font plus recette. Les faits sont là. Le capitalisme ne peut offrir que la misère. Les sacrifices consentis appellent d'autres sacrifices. L'économie capitaliste est malade et ce sont les travailleurs qui en font les frais.

La reprise actuelle de la lutte de classe est donc marquée à la fois par une confusion qui persiste dans la classe ouvrière sur la perspective générale de ses luttes, à l'échelle historique, la perspective du communisme, le vrai, dont elle est porteuse, et à la fois par un réveil de la conscience de la nécessité de se battre contre le capitalisme.

C'est pourquoi, la caractéristique principale de cette reprise est l'emprise des syndicats sur les luttes actuelles, la quasi absence d'initiatives autonomes de la part des ouvriers, le faible niveau de rejet du syndi­calisme. En effet, en l'absence de dévelop­pement d'une conscience, même diffuse, de la possibilité d'un renversement du capita­lisme, la combativité est piégée. Cantonnée à poser des revendications dans le cadre du capitalisme, elle se retrouve sur le terrain privilégié du syndicalisme. C'est pourquoi, actuellement, les syndicats parviennent à en­traîner les ouvriers hors de leur terrain de classe:

- en formulant les revendications dans un cadre corporatiste, dans celui de la défense de l'économie nationale, au détriment de revendications communes à tous les ouvriers ;

- en « organisant » des « actions » qui ser­vent à défouler le mécontentement, à faire croire à la classe ouvrière qu'elle lutte ainsi pour ses revendications, alors qu'en réalité elle est entraînée dans des impasses, four­voyée dans des actions isolées, quand elle n'est pas simplement baladée dans des pro­cessions inoffensives pour l'Etat.

Une bourgeoisie qui se prépare à l'affrontement...

A quelques rares exceptions près, comme lors du début du mouvement des mineurs dans la Ruhr en Allemagne en septembre, tous les mouvements qui se sont développés ont été encadrés et «organisés» par les syndicats. Y compris certaines actions de syndicalisme de base, plus radicales, se sont déroulées sous l'oeil bienveillant des gran­des centrales, quand ces dernières ne les ont pas directement suscitées ([4]). Cette capacité de manoeuvre est rendue possible à la fois par le faible niveau de conscience dans la classe ouvrière du rôle véritable que jouent les syndicats dans le sabotage de leurs luttes et à la fois par la préparation de la stratégie de la bourgeoisie sur les « conséquences sociales de l'austérité », en clair le danger de la lutte de classe.

Car si le prolétariat a des difficultés à se re­connaître comme classe, à prendre conscience de son être, la bourgeoisie n'a aucune difficulté à voir le danger que repré­sentent des luttes ouvrières, les grèves, les manifestations. Par expérience, la classe dominante connaît le danger de la lutte de classe pour le capitalisme, tout au long de son histoire en général et avec les vagues de luttes qu'elle a dû contenir, encadrer et af­fronter au cours des dernières vingt-cinq années ([5]). Avec les mesures particulière­ment brutales qu'elle est amenée à prendre dans la tourmente économique actuelle, elle s'efforce de planifier ses attaques, y compris les réactions de colère, de mécontentement, et la combativité que celles-ci ne manquent pas de susciter.

Il n'est donc pas étonnant que, tout comme le moment du déclenchement des luttes ouvriè­res en Italie, en septembre 1992, avait été choisi par la bourgeoisie pour défouler pré­maturément le prolétariat dans ce pays, et éviter ainsi la contagion dans d'autres pays européens ([6]), la plupart des mouvements aujourd'hui dépendent peu ou prou d'un calendrier syndical. D'un côté les «journées d'action », de l'autre le battage sur quelques « exemples », comme Air France ou le « Vendredi rouge » en Belgique, tout cela est en grande partie programmé par l'appa­reil politique et syndical de la classe domi­nante, pour « lâcher la vapeur » dans la classe ouvrière. Et ceci en concertation avec les « partenaires » des autres pays.

Avec le coup de massue des mesures anti­ ouvrières, dans un contexte de déboussolement politique et idéologique, le poids des illusions syndicalistes et le soin apporté par la bourgeoisie dans sa stratégie expliquent pourquoi la combativité n'a nulle part réel­lement fait échec aux attaques anti-ouvriè­res. Qui plus est, le prolétariat subit aussi la pression de la décomposition sociale. Le « chacun pour soi » ambiant pèse sur le be­soin de développer la lutte collective et la solidarité, et favorise les manoeuvre de di­vision du syndicalisme. De plus, la bour­geoisie utilise sa propre décomposition pour en retourner les effets contre la prise de conscience du prolétariat.

...et utilise la décomposition

La décomposition qui gangrène la société bourgeoise où règnent en maître les men­songes et les magouilles pour les profits d'un gâteau qui se rétrécit à vue d'oeil, pousse effectivement la classe bourgeoise au chacun pour soi.

Les scandales et les diverses affaires du monde politique, financier, industriel, spor­tif, princier, suivant les pays, ne sont pas seulement une mascarade. Ils correspondent à l'aiguisement des rivalités au sein de la classe dominante. Néanmoins, il y a une chose qui met d'accord tout ce beau monde autour des « affaires », c'est la publicité maximum qui en est faite pour occuper le terrain de 1'« information ».

En Italie par exemple, c'est l'« opération mains propres». Publiquement il s'agit de moraliser et d'assainir les comportements des hommes politiques. En fait, c'est le rè­glement de comptes entre les différentes fractions de la bourgeoisie, les divers clans dans l'appareil politique, essentiellement en­tre les tendances pro-Etats-Unis, dont le Parti démocrate-chrétien a été le zélé servi­teur pendant quarante ans, et les tendances pro-alliance franco-allemande ([7]). De même en France, le scandale Tapie et autres feuilletons politico-médiatiques, sont les sujets systématiquement traités au premier plan de 1' « actualité ». A vrai dire, tout le monde s'en fout. Mais c'est précisément un des buts recherché : le moins d'information possible, et le message en filigrane, « surtout, pas de politique, c'est sale », est bien utile pour le cas où les ouvriers s'avise­raient précisément de s'occuper de politique. En Grande-Bretagne, c'est le feuilleton permanent autour de la famille royale qui remplit le même rôle d'occupation du terrain de 1'« information ».

Les campagnes «humanitaires» pour « héberger un étranger» en Allemagne ou « recueillir un enfant de Sarajevo » en Grande-Bretagne, tout comme le matra­quage autour d'assassinats commis par des enfants en Grande-Bretagne ou en France, constituent également de claires illustrations de l'utilisation de la décomposition par l'idéologie bourgeoise pour entretenir un sentiment d'impuissance et de peur, et dé­tourner l'attention des véritables problèmes économiques, politiques et sociaux.

Il en va de même de l'utilisation systémati­ques des images de guerre, comme au Moyen-Orient ou en Yougoslavie, dans les­quelles les intérêts impérialistes sont mas­qués, qui servent à créer un sentiment de culpabilité, et justifier ainsi l'acceptation des conditions d'exploitation dans les pays en « paix ».

Les perspectives de la lutte de classe

Toutes les difficultés de la lutte de classe ne signifient pas que les combats soient perdus d'avance et que les ouvriers n'ont rien à en attendre. Au contraire. Le déploiement ac­tuel de la stratégie concertée de la bour­geoisie internationale contre la classe ou­vrière, s'il constitue un obstacle de taille au déploiement des luttes, est aussi la marque d'une réelle tendance à la mobilisation et à la combativité, ainsi que d'une tendance à la réflexion sur les enjeux d'aujourd'hui.

C'est plus « par défaut » que par adhésion profonde que les ouvriers s'en remettent aux syndicats, contrairement à ce qui se passait dans les années 1930 où c'est par dizaines de millions que les ouvriers entraient dans ces organisations, signe de défaite historique de la classe ouvrière. C'est également plus « par défaut » que par adhésion à la politique de la bourgeoisie que le prolétariat tend encore à suivre les partis de la gauche du capital qui se prétendent « ouvriers », contrairement aux années 1930 où c'était l'enthousiasme pour les « fronts populaires » (avec son pendant dans la soumission au « national-socialisme » et au « stalinisme »).

Si la décomposition et son utilisation par la bourgeoisie se conjuguent avec les manoeu­vres sur le terrain social des syndicats et de leurs prolongements « à la base » pour em­poisonner la combativité et brouiller la prise de conscience de la classe ouvrière, la crise économique et les attaques des conditions d'existence en constituent un puissant anti­dote. C'est sur ce terrain que le prolétariat a commencé à riposter. Ce n'est qu'un début d'une longue période de luttes. La répétition de défaites sur les revendications économi­ques, si elle est douloureuse, est aussi por­teuse d'une réflexion en profondeur sur les buts et les moyens de la lutte. La mobilisa­tion ouvrière porte déjà en elle cette ré­flexion. La bourgeoisie ne s'y trompe pas : une « critique du capitalisme », de la part... du pape, est publiée à grand renfort de publicité ; des intellectuels publient soudain des articles en « défense du marxisme ». C'est au danger du début de réflexion qui s'opère dans la classe que s'attaque ce genre d'entreprise.

Malgré les difficultés, les conditions histori­ques actuelles tracent un chemin vers des af­frontements de classe entre le prolétariat et la bourgeoisie, dont la reprise de la comba­tivité aujourd'hui ne constitue qu'un premier pas.

Il revient aux organisations révolutionnaires de participer activement à cette réflexion et au développement de l'action de la classe ouvrière. Dans les luttes, ils doivent mettre en avant la dénonciation sans relâche de la stratégie de la bourgeoisie de division et de dispersion, rejeter les revendications cor­poratistes, catégorielles, sectorielles et nationalistes, s'opposer aux méthodes de « lutte » des syndicats qui ne sont que des manoeuvres destinées à « mouiller la pou­dre ». Ils doivent défendre la perspective d'une lutte générale de la classe ouvrière, la perspective du communisme. Ils doivent rappeler les expériences des luttes passées, l'apprentissage de la prise en mains de son combat par la classe ouvrière, dans ses as­semblées générales, avec des délégués élus et révocables par ces mêmes assemblées. Ils doivent défendre, lorsque c'est possible, l'ex­tension des luttes au-delà des barrières ca­tégorielles. Ils doivent impulser et animer des cercles de discussion et comités de lutte où tous les travailleurs peuvent discuter des enjeux, des objectifs et des moyens de la lutte de classe, développer leur compré­hension du rapport de forces entre proléta­riat et bourgeoisie, de la nature de ce combat qui ouvre la perspective du développement d'affrontements de classe de grande ampleur dans les années qui viennent.

OF, 12 décembre 1993.



[1] Voir Revue Internationale n° 75.

[2] Quant à l'anarchisme, qui fait du stalinisme le résultat du « marxisme », il est condamné, en dépit de son « radicalisme » à se rallier à la bourgeoisie. Dans sa variante anarcho-syndicaliste, il se rattache directement à l'Etat bourgeois, en tant que syndicalisme. Dans sa variante politique, il est l'expression de la petite-bourgeoisie, et se range dans un camp de la bourgeoisie, comme en 1936 en Espagne, au même titre que les couches sociales qu'il représente.

[3] En France, le groupe trotskiste Lutte Ouvrière a mené une énorme campagne d'affichage dans toute la France pour dénoncer le « retour au capitalisme » en URSS et appeler à défendre ces fameux « acquis ouvriers.»

[4] Aussi bien la manifestation en Italie à l'appel des « coordinations... » que les bagarres sur les pistes des aéroports de Paris lors de la grève d'Air France.

[5] Qui plus est aujourd'hui, c'est la génération d'hommes qui avaient vingt ans en 1968 qui est aux commandes de l'Etat capitaliste. C'est une génération particulièrement expérimentée dans le domaine « social » : faut-il rappeler qu'un Mitterrand en France est entouré d'anciens gauchistes de Mai 68, et que le premier grand service rendu par Chirac à sa classe a été l'organisation, en plein mai 68, des réunions secrètes du gouvernement Pompidou (dont faisait partie Balladur...) avec le syndicat stalinien CGT, pour préparer les accords qui devaient enterrer le mouvement.

[6] Sur les luttes en Italie en 1992, voir Revue Internationale n° 72 et 71 (supplément).

[7] Sur l'Italie, voir la Revue Internationale n° 73.

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