Crise économique mondiale : après l'est, l'ouest

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L’"équilibre" sur lequel les impérialismes planétaires reposaient depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, depuis Yalta, vient de basculer avec l'effondrement économique de l'URSS et l'implosion consécutive de son bloc. Face à la débandade économique de son rival, le bloc occidental apparaît comme le grand vainqueur; l'abondance exubérante des vitrines des magasins des grands pays industrialisés est le meilleur outil de la pro­pagande occidentale face à la pénurie dramatique qui règne à l'Est. Pourtant, l'illusion de la victoire "écono­mique" de l'Occident risque bien d'être de courte durée, car la crise économique de surproduction généralisée, qui dure depuis plus de vingt ans, est mondiale. Après l'engloutissement des pays sous-développés dans une misère insondable à la fin des années 1970, l'effondrement économique du bloc de l'Est à la fin des années 1980, loin de démontrer la vitalité de l'économie des pays industrialisés de l'Occident, vient au contraire annoncer la catastrophe mondiale à venir, dont le prochain pas décisif sera l'effondrement économique des pays industriels les plus développés. Plus qu'une victoire de l'Ouest, c'est à une défaite de l'Est à laquelle nous assistons. Toute l'évolution de l'économie des pays occidentaux depuis des années promet des lendemains qui déchantent.

Que s'est-il passé le vendredi 13 octobre 1989 ? En une seule séance, Wall Street perdait 7 %, et ce malgré toutes les mesures mises en place au lendemain de l'effondrement de l’automne 1987 pour éviter que celui-ci ne se renouvelle, malgré l'intervention massive des investisseurs dits "institu­tionnels", à qui l’Etat américain avait ouvert immédiatement de nouvelles lignes de crédit pour leur permettre de racheter les actions et soutenir ainsi les cours.

Dans la foulée, après un week-end de concertations inten­sives des grandes banques centrales des principales économies du bloc occidental, ce sont, le lundi 15 octobre, Francfort qui perd 13 %, Paris 6,9 %, Londres 4,6 %, tandis que Tokyo résiste. Les mesures conjuguées mises en place par les grandes puissances économiques commencent cependant à faire leur effet : ce même, jour Wall Street tient bon et se redresse à +3,4 %. La semaine qui suit va permettre de stabiliser les cours.

L'alerte a été chaude. 200 milliards de dollars se sont envolés en fumée. Une nouvelle purge a été imposée à la spéculation boursière, mais finalement, malgré l'addition salée, les banques centrales peuvent se réjouir de leur "maîtrise technique", elles ont limité les dégâts. Pourtant, l'euphorie ne règne pas, bien au contraire. Ce nouvel accroc à la spéculation boursière vient raviver les inquiétudes. 1987 n'était pas un accident. Les marchés ont été stabilisés, oui, mais jusqu'à quand ?

Les capitalistes ne sont pas des gens particulièrement superstitieux, mais ils vont finir par le devenir. Le mois d'octobre est décidément propice aux effondrements bour­siers : en 1929, déjà, et, plus récemment, en 1987. Pourtant, au-delà de l'aspect répétitif, les conditions qui ont présidé à ces effondrements boursiers ne sont pas identiques. Evi­demment, la situation de l'économie mondiale est bien dif­férente dans les années 1980 de ce qu'elle était en 1929, nous ne reviendrons pas sur cet aspect qui a déjà été amplement traité dans la Revue internationale ([1]).

Mais si les mêmes causes, la hausse des taux d'escompte des grandes banques centrales, ont produit les mêmes effets - la raréfaction du crédit ravive la peur de la récession et provoque une panique boursière -, le contexte international entre octobre 1987 et octobre 1989 a bien changé. La dégradation de l'économie américaine s'est accélérée et les déséquilibres mondiaux se sont accentués.

Face a la récession, la fuite en avant dans l'endettement

Durant les années 1970, les crédits largement octroyés aux pays sous-développés de la périphérie ont permis de résorber dans une large mesure la surproduction des pays industrialisés. Cependant, cette politique a trouvé sa limite dans la crise du dollar. Les 900 milliards de dollars empruntés par les pays pauvres d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie ne seront jamais remboursés. L'inflation explose, ravage les économies fragiles écrasées par la dette, leur fait perdre toute solvabilité, les fermant définitivement comme débouchés aux marchandises massivement pro­duites par le monde industriel. Le marché mondial se rétré­cit brutalement et, à la suite de l'économie américaine, l'économie de la planète plonge dans la récession au début des années 1980.

La récession est le pire des fléaux pour le capitalisme. Elle signifie la chute de la production, la fermeture des usines, le développement du chômage et une montée vertigineuse des dettes impayées. Elle exprime de manière brutale l'impasse dans laquelle se trouve le capitalisme. Une telle situation met en danger la stabilité du dollar, la monnaie reine du marché mondial, symbole de la puissance américaine. Une telle situation est intenable pour le capitalisme américain, car non seulement elle met en cause sa domination écono­mique, mais aussi sa suprématie impérialiste.

En effet, les USA ne sont pas simplement la première puis­sance économique du globe, ils sont aussi la force impérialiste dominante du bloc dominant, celui de l'Ouest. Mainte­nir l'activité économique, la croissance, est une priorité pour l'économie américaine, pour sa propre sauvegarde et celle de ses intérêts économiques et impérialistes. Après deux ans de purge imposée par la politique d'austérité au début de la présidence reaganienne, pour sauver son économie, l'Etat américain va pratiquer une politique de relance. Cette dernière va se faire sur la base des besoins de l'impérialisme américain face à son rival russe. L'invasion de l'Afghanistan par l'Armée Rouge, fin 1979, va marquer un brutal réchauffement des tensions inter-impérialistes, et déterminer les USA à lancer un vaste pro­gramme de modernisation des armements.

La reprise américaine va, de ce point de vue, consister en une relance de la production d'armements, un développe­ment de l'économie de guerre. Le budget militaire des USA va se gonfler démesurément et, parallèlement, le déficit budgétaire va se creuser et atteindre une ampleur colossale malgré une réduction draconienne des budgets sociaux.

Cependant, la production d'armement a ceci de particulier qu'elle est une pure destruction de capital qui entrave l'ensemble du développement économique ([2]). En effet, les armes ne sont ni un bien de consommation qui fournit l'entretien et la reproduction de la force de travail, ni un bien de production qui permet une accumulation de capital. La catastrophe économique des pays de l'Est traduit bien cette réalité où la priorité absolue donnée à l'économie de guerre durant des décennies a abouti à l'asphyxie de l'ensemble de l'économie.

Dans une moindre mesure, mais de manière tout aussi tan­gible, cette réalité s'est également imposée aux USA. Les Etats-Unis ont vu depuis les années 1950 s'éroder leur compétitivité dans la concurrence économique mondiale. Ce n'est certainement pas le moindre des paradoxes que de voir aujourd'hui les pays vaincus de la 2e guerre mondiale, le Japon et l'Allemagne, battre des records de compétiti­vité. Cette situation est due au fait que ces pays, à l'issue de la guerre qu'ils ont perdue, ont reconstruit leur économie détruite sur une base plus moderne, utilisant les technolo­gies alors les plus avancées, alors que l'appareil productif des USA, au lendemain de la guerre, n'a pas été détruit, mais est usé par l'effort d'armement et se retrouve de fait grandement obsolète, en retard. Cette situation de perte de compétitivité relative après 1945 va encore s'accroître dans les années qui suivent, car les vaincus se sont vu interdire par les traités une politique de réarmement, et ont donc pu investir dans la production sans sacrifier celle-ci aux besoins de l'économie de guerre, tandis que les USA ont entretenu un secteur militaire imposant, qui correspondait à leur rôle et à leur besoin comme chef de bloc impérialiste, grevant ainsi constamment leur compétitivité sur le plan économique.

La politique de la présidence Reagan de relance par l'économie de guerre a donc eu pour principale consé­quence d'affaiblir encore plus la compétitivité de l'économie américaine. Les déficits budgétaires destinés à financer l'effort militaire se sont en conséquence doublés de déficits commerciaux qui, eux aussi, ont battu des records tout au long des années 1980. Pour financer ces déficits pharamineux, les USA ont du s'endetter et ils ont pulvérisé les records atteints par les pays les plus endettés jusque-là. Aujourd'hui, l'endettement de pays comme le Brésil ou le Mexique (une centaine de milliards de dollars chacun en 1980), qui avait fait frémir les financiers au début des années 1980, pourrait presque paraître ridicule comparé à la fin des années 1980 : plus de 500 milliards de dollars de dette extérieure et une dette interne dont les estimations oscillent entre 6000 et 8000 milliards de dollars, pour les USA. Le budget annuel américain a été écorné de 170 mil­liards de dollars pour le paiement de la dette. Cette situa­tion ne peut aller qu'en empirant et la dette en grossissant.

Tout à fait significatif de l'affaiblissement de l'économie américaine est le fait que, durant les années 1980, les investissements étrangers aux USA ont largement dépassé les investissements américains dans les autres pays du monde. Des pans entiers de l'économie des Etats-Unis sont aujourd'hui la propriété d'entreprises japonaises et européennes.

Développement des investissements européens et japonais aux Etats-Unis

Pour la première fois, en 1988, les Etats-Unis ont moins investi dans le monde que le monde chez eux. Source : Libération.

Le capitalisme américain à la recherche d'argent frais va utiliser toutes les ressources que lui autorise son statut de première puissance économique mondiale et de chef du bloc impérialiste le plus puissant ; le roi dollar impose sa suprématie :

-  la banque fédérale des Etats-Unis (FED), au nom du libé­ralisme, va guider de manière très étatique l'économie mondiale par sa politique des taux ;

-  une politique de soutien du dollar est imposée aux princi­paux pays industrialisés devenus les bailleurs de fonds des USA.

Cette politique va permettre de freiner momentanément la plongée dans la récession et de maintenir à flot l'économie des pays les plus industrialisés. Elle va se doubler d'une campagne idéologique intensive à la gloire de l'économie capitaliste. En 1987, c'est encore l'euphorie, la "croissance" officielle bat des records tandis que l'inflation est à son plancher. L'effondrement des places boursières est rapide­ment surmonté, la spéculation repart de plus belle.

La crise du crédit : les limites d'une politique

La pseudo-croissance officielle de la deuxième présidence de Reagan a été une vraie récession larvée de l'économie mondiale ([3]). On a en fait assisté à une croissance de l'économie de guerre, c'est-à-dire à une croissance de la destruction de capital et à une progression artificielle des secteurs improductifs. L'activité économique a été mainte­nue de manière factice, la production n'est pas réellement payée, les marchandises sont échangées contre des dettes. Dans ces conditions, la production n'est pas directement production de valeur. Le capitalisme ne peut maintenir un semblant d'activité économique qu'au travers d'une immense tricherie avec les lois du marché qui déstabilise de plus en plus l'économie mondiale et d'un gaspillage de plus en plus gigantesque.

Cette situation économique a été masquée par une mani­pulation grandissante des indices et le tapage assourdissant des campagnes menées sur l'efficacité de la politique "libé­rale" des USA : lés fameuses reaganomics.

Mais, depuis 1987, la situation a bien changé. L'euphorie est retombée, le doute s'est installé. Les statistiques officielles, face à la réalité de la crise, se voient obligées d'exprimer dans une certaine mesure la réalité, sinon elles ne serviraient strictement plus à rien. La "croissance" offi­cielle a entamé son déclin tandis que l'inflation a fait un retour remarqué. L'exemple de la Grande-Bretagne est à cet égard particulièrement significatif. Elle, qui a appliqué les "reaganomics" avant l'heure, ne parvient plus à freiner la montée de l'inflation alors que les taux bancaires ont grimpé et plongé son économie dans la récession.

Bien sûr, l'économie américaine, la première du monde, est d'une autre trempe que l'économie britannique, et le dollar n'est pas la livre sterling. De plus, les USA profitent de leur statut de chef de bloc pour imposer une discipline à leur profit. Cependant, les lois aveugles du marché sont à l'oeuvre, elles, qui ont fait plonger les pays sous-développés de la périphérie dans un chaos économique dont ils ne pourront plus s'échapper, et qui font aujourd'hui chuter l'économie britannique, érodent la puissance américaine placée au centre des contradictions économiques du capita­lisme mondial.

Depuis des années, par le recours au crédit, une montagne de dollars a été mise en circulation. Actuellement, la dette des pays périphériques s'est gonflée à 1300 milliards de dollars. La dette extérieure des USA se monte à 500 mil­liards de dollars, mais elle cache l'endettement interne, où les emprunts cumulés de l'Etat, des entreprises et des parti­culiers varient, comme nous l'avons vu, suivant les estima­tions de 6000 à 8000 milliards de dollars. Le développement du crédit, qui ne pourra jamais être remboursé (en fait du capital fictif), est en complet décalage avec celui de l'économie réelle, de la production ([4]). La spéculation financière et boursière n'a pas arrangé les choses. Stimulées par les "OPA" ([5]), les entreprises ont vu cette décennie leur valeur boursière multipliée par 5, voire par 10, sans que le développement de la production justifie cette explosion des cours.

Dans ces conditions, les lois du marché capitaliste poussent à une ré adéquation de la valeur du dollar à la richesse réellement produite. Les pressions inflationnistes se font de plus en plus fortes. Face à celles-ci, la politique de la FED est, en relevant son taux d'escompte, de rendre le crédit plus cher, donc plus rare. Cependant, par deux fois, cette politique s'est conclue avec une panique boursière, car elle signifie à terme une plongée de l'économie américaine dans la récession, qui ne peut qu'entraîner l'économie mondiale à sa suite. Et, par deux fois, la FED a dû céder, et relâcher les taux, rouvrir les vannes du crédit, pour éviter une plon­gée accélérée de la croissance qui aurait des conséquences catastrophiques pour sur le plan mondial.

Avant le mini effondrement boursier d'octobre 1989, les managers des cent plus grandes entreprises des USA avaient sonné le tocsin, inquiétés par le ralentissement de l'activité qui s'était concrétisé dans une chute brutale des bénéfices des entreprises américaines (ainsi, les fleurons tels que General Motors, Ford, IBM, ont vu au 3e trimestre 1989 leurs bénéfices chuter de 30 % à 40 %), pour demander à la FED de relâcher ses taux, de maintenir la croissance.

Au regard de l'inquiétude croissante qui ronge les finan­ciers du monde entier à la lecture quotidienne des diffé­rents indices économiques, l'événement singulier qui a été, de manière toute phénoménologique, à l'origine de la panique boursière d'octobre 1989 pourrait presque paraître anodin. Pourtant, il est tout à fait significatif des difficultés présentes de l'économie mondiale. Dans la guerre interna­tionale des OPA que se livrent les capitalistes, l'incapacité d'un groupe de spéculateurs de réunir par le recours au crédit sur la place boursière de quoi financer une OPA qu'ils avaient lancée sur United Airlines, une des princi­pales compagnies aériennes américaines, a déclenché un vent de panique. Pourquoi ? Parce que cela signifie la fin du crédit facile, et donc la fin des OPA gigantesques qui avaient été rendues possibles par ce crédit, et donc la fin de la croissance artificielle des actions en bourse.

Une nouvelle fois, les USA ont reculé devant les implica­tions économiques d'une politique d'austérité, de rigueur, sur le dollar. Début novembre 1989, la FED a fait baisser ses taux et rouvert le crédit. Si cette politique peut freiner la chute de la production, elle est par contre incapable de relancer la croissance. De plus en plus, les nouveaux crédits mis en circulation servent à payer les traites des crédits pré­cédents, ou à alimenter la spéculation, et de moins en moins à financer la production. Plus le crédit croît, moins il est efficace dans l'économie réelle, et la croissance chute irrésistiblement. Par contre, la politique de crédit facile a un effet direct, aujourd'hui, qui est de relancer l'inflation. De fait, la FED a fait le choix de l'inflation face au danger immédiat d'une chute catastrophique de la production.

Depuis des années, les économistes et les dirigeants poli­tiques américains parlent de l’"atterrissage en douceur" de leur économie, et de fait la politique des USA est parvenue à limiter les dégâts ; l'avion américain a réussi à effectuer une descente en douceur. Mais où va-t-il atterrir ? Toutes les manoeuvres difficiles qu'on lui impose l'ont usé, ne risque-t-il pas de tomber en panne ? Le carburant du crédit ne va-t-il pas lui faire défaut ?

A partir du moment où l'économie américaine arrête son envol, cela signifie une nouvelle plongée brutale de l'économie mondiale dans la récession, le marché américain qui se ferme aux exportations européennes et japonaises, une incapacité de rembourser la dette et une envolée de l'inflation, c'est-à-dire une crise financière majeure centrée autour du dollar. Ces perspectives sont contenues en fili­grane de l'économie mondiale depuis le début des années 1980, et toute la politique des USA a visé à reculer l'échéance, à la reporter dans le temps en manipulant les lois de la valeur sur le marché mondial.

Cette politique de fuite en avant n'a été rendue possible que par le statut particulier des USA, non seulement comme première puissance économique et premier marché du monde, mais aussi comme chef du bloc impérialiste le plus puissant qui impose sa loi aux économies les plus développées de la planète : les pays d'Europe, notamment l'Allemagne de l'Ouest, et le Japon. Le groupe des "sept plus grands pays industrialisés" du bloc occidental - le fameux G7 - a symbolisé la loi américaine exercée au plan économique dans son bloc. La discipline imposée au sein du bloc, notamment à l'Allemagne et au Japon, a été la condi­tion sine qua non de la stabilisation économique durant les années 1980. Malgré la catastrophe du "tiers-monde", la descente de l'économie mondiale, l'enfoncement des pays industrialisés dans le marasme d'une récession larvée, s'est faite en "douceur", pour ce qui est du point de vue des économistes, bien sûr.

Les conditions qui ont permis une telle politique écono­mique de la part des USA ont changé :

-   Le délabrement de l'économie américaine contraste for­tement avec la bonne santé affichée par ses principaux concurrents que sont le Japon et l'Allemagne. Alors que les USA accumulent les déficits commerciaux, le Japon et l'Allemagne battent des records à l'exportation. A l'inverse de la période de reconstruction de l'après-guerre, ce sont aujourd'hui des capitaux européens et japonais qui rachè­tent des pans entiers de l'économie américaine. La locomo­tive s'essouffle et, alors que l'inflation repart, la récession pointe à l'horizon américain. La position de leadership économique des USA est vacillante alors que la crise du dollar menace.

-   L'effondrement du bloc russe, en même temps qu'il vient rappeler la réalité incontournable au sein du capitalisme de la loi de la valeur, vient bouleverser les données de l'équilibre mondial des blocs, qui a "organisé" le monde depuis Yalta. La discipline que les USA ont pu imposer à leurs principaux concurrents d'Europe et du Japon, n'a pu se maintenir que grâce au ciment constitué par la menace impérialiste de l'ours russe. Un verrou vient de sauter à l'Est qui implique un bouleversement des relations entre les principales puissances économiques du bloc occidental.

L'effondrement du bloc de l'est et la déstabilisation de l'économie mondiale

Dans ces conditions, la prochaine décennie s'ouvre sous les auspices :

- d'une plongée dramatique dans la crise économique de surproduction généralisée par rapport aux marchés exis­tants qui vont en se rétrécissant ;

-  d'une déstabilisation grandissante des équilibres qui dominent le monde depuis la seconde guerre mondiale.

L'effondrement du bloc russe implique la déstabilisation du bloc occidental, et cela a des implications particulièrement importantes sur le plan économique (entre autres). Face à la banqueroute qui menace l'économie américaine et qui signifie, à terme, une fermeture du marché des Etats-Unis aux exportations européennes et japonaises, les tendances centrifuges au sein du bloc vont se faire plus fortes. La menace impérialiste russe n'est plus suffisamment crédible, et, du même coup, le parapluie protecteur américain perd sa justification. Les velléités d'indépendance, qu'une telle situation implique de la part de la RFA et du Japon, vont se concrétiser dans une tendance renforcée au chacun pour soi, chacun essayant de protéger ses propres marchés pri­vilégiés face à la récession ouverte qui, irrésistiblement, s'impose.

Les deux pôles qui garantissaient la suprématie du dollar, la puissance économique et impérialiste américaine, sont en train de s'éroder. La solvabilité du dollar était plus garantie par le rôle impérialiste dominant des USA que comme contrepartie de la puissance économique américaine. La valeur du dollar est en fait largement fictive, liée à la "confiance" qu'inspirent les Etats-Unis, et cette "confiance" va de plus en plus se trouver ébranlée par les bouleversements mondiaux. Dans la perspective du développement de la crise, ce qui est en jeu, c'est le rôle hégémonique du dol­lar sur la scène internationale, et donc la question de sa sol­vabilité future. Le système financier international, centré sur la devise américaine, est comme un château de cartes, il menace de s'effondrer au moindre souffle de vent, et ce sont les prémices d'une tempête qui s'accumulent.

Tant que ce le reste de "croissance" aux USA permet à l'Europe et au Japon de continuer à écouler leur produc­tion, l'ensemble des pays industrialisés a intérêt au statu quo présent, mais cette situation est provisoire. La perspec­tive de l'effondrement du marché américain dans la réces­sion signifie une nouvelle contraction du marché mondial et donc une chute des exportations des pays européens et du Japon : par conséquent, la récession pour ces pays. Cepen­dant, leur situation économique n'est pas aussi dégradée que celle des USA. Le recours au crédit y est encore pos­sible, pour essayer de préserver une relative stabilité à leurs marchés privilégiés, l'Europe pour l’Allemagne, et l'Asie du sud-est pour le Japon. Mais ce crédit ne pourra se faire que sur la base d'une montée en puissance de nouveaux chal­lengers à la toute puissance du dollar : le deutschmark ou l'ecu et le yen. Cependant, une telle politique n'est pas plus une issue à la crise que ne le fut celle de Reagan. Elle ne ferait que traduire le délabrement accentué de l'économie mondiale, la faillite des USA, freiner brièvement le déve­loppement de la crise dans toute son ampleur, en fait que perpétuer tout à fait provisoirement l'illusion, et ce à un niveau encore plus restreint.

Le capitalisme ne peut envisager une crise sans solution capitaliste. Il ne peut accepter le fait que ses contradictions sont insurmontables. Il est toujours à la recherche de nouvelles illusions, de nouveaux mirages, qui puissent le faire rêver. Les bouleversements à l'Est avec la perspective de l'ouverture économique des pays d'Europe orientale vers l'Occident créent l’espoir de nouveaux débouchés pour les marchandises occidentales, donc d'un nouveau ballon d'oxygène permettant de maintenir la "croissance". Cet espoir sera de courte durée. Il y a dix ans, la Chine avait suscité les mêmes espérances, mais les capitalistes occi­dentaux avaient vite déchanté. Même si la Chine, avec son milliard d'habitants, a des besoins économiques énormes, ceux-ci, dans la logique du capital, ne pourront jamais être un marché solvable. Géante par sa population, la Chine est un nain économique.

Si, aujourd'hui, les pays du glacis est-européen peuvent prétendre s'émanciper de la tutelle russe, c'est à cause de l'effondrement économique du bloc russe. En conséquence, leur économie dévastée est semblable à celle de tous les pays sous-développés, c'est-à-dire insolvable. Avec l'ouverture du mur de Berlin, des centaines de milliers d'Allemands de l'Est sont venus s'extasier devant les vitrines pleines de l'Occident, mais ils avaient les poches vides, et s'ils ont pu faire quelques maigres achats, c'est essentielle­ment grâce aux 100 DM "généreusement" octroyés par l'Etat ouest-allemand. De toute manière, les pays de l'est de l'Europe à eux tous (URSS exclue) totalisent un PNB de 490 milliards de dollars en 1987, un peu plus de la moitié du PNB de la France, 880 milliards de dollars. Un tel marché, même s'il était sain, ne serait de toute façon pas suffisant comme débouché à la surproduction mondiale pour per­mettre ainsi d'éviter la plongée inéluctable dans la récession ouverte, récession ouverte dans laquelle les pays de l'Est sont pour leur part déjà plongés depuis de nombreuses années.

La solution du crédit, la manne occidentale à laquelle les dirigeants de l'Est font appel, Walesa en tête, qui s'est fait le représentant des intérêts de l'économie polonaise, ne constitue pas une solution. Vu la ruine d'une économie ravagée par des décennies de gestion stalinienne aberrante, les crédits nécessaires à la "reconstruction" des pays de l'Est ne sont pas à la portée des capitalismes occidentaux. Ils seraient investis en pure perte : l'exemple de la Pologne est là, avec ses 40 milliards de dollars de dette, et la banque­route persistante de son économie. Ce sont des milliers de milliards de dollars qui seraient en fait indispensables. A une époque où le monde entier ploie sous la dette, où, face à la restriction des marchés, la concurrence fait rage, un nouveau "plan Marshall" n'est plus possible, et les prêts de l'Ouest, plus que de permettre un développement industriel de ces pays, ont pour rôle de stabiliser au jour le jour la situation. Dans ces conditions, les crédits occidentaux reste­ront tout à fait symboliques.

Au début des années 1980, les pays sous-développés de la périphérie du capitalisme - le "tiers-monde" - ont irrémédiablement sombré économiquement. A la fin des années 1980, c'est au tour du bloc de l'Est - le "deuxième monde" - de s'effondrer. Le "premier monde", celui des grands pays industrialisés occidentaux, apparaît encore, par rapport à la banqueroute générale, comme un îlot de santé et de richesse relatives. Cette situation ne peut que renforcer l'illusion sur le capitalisme "démocratique" et "libéral", et constitue la base sur laquelle s'appuient les campagnes idéologiques intensives du bloc occidental. Cependant, toutes les conditions sont réunies pour qu'éclate au grand jour la faillite économique de l'ensemble du monde capita­liste, et notamment de ses pôles les plus développés. Depuis le milieu des années 1980, à coup de tricherie économique et de statistiques trompeuses, la bourgeoisie des pays industrialisés a entretenu l'illusion de la croissance. Ce mensonge officiel auquel la classe dominante elle-même avait besoin de croire touche à sa fin. Malgré toutes les manipulations dont ils sont l'objet, irrésistiblement, les indices économiques tendent à traduire l'approfondissement de la faillite économique du capita­lisme. Les illusions sur la croissance, sur le développement économique, vont tomber brutalement avec les indicateurs officiels eux-mêmes, qui vont être obligés de traduire la réalité de la plongée accentuée dans la récession et du développement accéléré de l'inflation. C'est toute la base de la domination du capital qui se trouve sapée par la crise économique mondiale qui, avec une relative lenteur, mais inéluctablement, se développe.

JJ. 27/11/89.


[1] Voir "Le crédit n'est pas une solution éternelle", Revue internationale n° 56, 1er trimestre 1989.

[2] Voir "Guerre et militarisme dans la décadence", Revue internationale n° 52 et n° 53, 1er et 2e trimestres 1988

[3] Voir   présentation   et   extraits   du   "Rapport   sur   la   situation internationale du 8   Congrès du CCI", Revue internationale n°59, 4 trimestre 1989.

[4] Voir "L'agonie barbare du capitalisme décadent", Revue internationale n° 57, 2  trimestre 1989.

[5] "Offre Publique d'Achat" : enchère boursière officielle pour racheter une entreprise, le plus souvent par un recours massif au crédit ou à des manipulations comptables acrobatiques.

 

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