Situation internationale : conflits impérialistes et lutte de classe

Afficher une version adaptée à l'édition sur imprimante

Simultanément la situation mondiale nous livre d'un côté les événements guerriers du Moyen-Orient, et d'un autre, les luttes ouvrières en Afrique du Sud et en Corée du Sud. Ces deux aspects antagoniques de la situation mondiale, sur fond général d'un approfondissement de la crise du capitalisme, illustrant ce que nous entendons par accélération de l’histoire. Ils montrent que le cours historique, le rapport de forces entre deux perspectives: guerre ou révolution, est l'axe autour duquel s'articule l'histoire présente et à venir. Et si jusqu'à présent la lutte de classe a réussi à prévenir l'humanité d'un engagement sur le chemin sans retour de la guerre, l'accélération de l'histoire souligne la nécessité vitale d'une prise de conscience pour la classe ouvrière des enjeux de la situation mondiale et de sa mission historique pour pousser ses combats plus loin.

Guerre dans le Golfe persique

«Guerre des ambassades» en Europe, événements sanglants de la Mecque pour les pays arabes, scandale de «l'Irangate» aux USA, résolution de l'ONU pour tous. C'est de main de maître que le bloc impérialiste occidental, sous la haute impulsion et direction des USA, a préparé et couvert le plus vaste déploiement militaire depuis la seconde guerre mondiale. L'événement était de taille, il devait être précautionneusement préparé, surtout en direction de ce que l'on appelle «l'opinion publique». Il le fut. Au cœur de cette préparation minutieuse, le scandale de «l'Irangate» et la publicité tapageuse qu'il reçut dont les événements actuels nous révèlent la véritable signifi­cation : justifier le tournant majeur de la politique des USA par.rapport à l'Iran.

Comme le scandale du «Watergate» en 1973-74, qui entraîna la démission du président Nixon, correspondait à un changement de politique internationale (retrait des USA du Viêt-Nam, rapprochement avec la Chine), l'Irangate aujourd'hui correspond à un changement dans l'orientation de politique internationale. Que ressort-il de ce «scandale» sinon que la négociation avec les «terro­ristes», iraniens est impossible, que seule la force, le langage des armes, est capable de leur faire entendre raison ?

Pour ceux qui pensent encore que cette intervention militaire dans le Golfe Persique où sont engagés 40 navires de guerre américains des plus sophistiqués dont deux porte-avions, sans compter les forces aéronavales, la moitié de la marine française dont un porte-avion, les navires les plus perfectionnés de la marine anglaise et plusieurs dizaines de milliers d'hommes, pour une grande part du contingent, n'est somme toute pas si importante et qui, cédant aux roucoulades sur la «volonté de paix», s'endorment en se disant que finalement il ne s'agit là que d'une «aventure lointaine», sans conséquences et implications importantes pour l'Europe, nous rappellerons simplement que la première guerre mondiale qui allait saigner en particulier cette même Europe a commencé par ces mêmes guerres «lointaines», les deux guerres des Balkans, dans une région du monde très proche du Moyen-Orient, jouant un rôle stratégique analogue : hier l'affrontement entre grandes puissances pour l'accès aux «mers chaudes», aujourd'hui haut-lieu de l'affrontement est-ouest depuis qu'il a été déclaré tel symboliquement à Yalta en 1945.

De tous points de vue la classe ouvrière est concernée par l'engagement militaire. Comment en serait-il autrement quand, du seul point de vue économique et social les deux tiers de l'humanité souffrent de la faim, quand le chômage étend son ombre de misère sur une grande partie de la classe ouvrière des pays industrialisés, alors que les frais de l'intervention militaire actuelle dans le Golfe Persique s'élèvent officiellement pour les USA au chiffre astronomique d'un million de dollars par jour pour les* simples frais de convoi. Quant à la France qui est présente sur deux fronts, en Afrique et au Moyen-Orient, aucun chiffre n'est fourni et pour cause.

«Fanatisme et terrorisme» contre «paix et civilisation»

La politique des USA n'est ni «chaotique»,ni «in­cohérente», ni «au coup par coup» comme l'affirment beaucoup de commentateurs. Malgré ses détours et ses contours pas toujours immédiatement compréhensibles, la stratégie américaine au Moyen-Orient, stratégie d'offen­sive et d'étranglement du bloc russe, se règle sur une logique de fer.

Si pendant huit années les Etats du monde entier ont pu se satisfaire de la simple poursuite de la guerre entre l'Iran et l'Irak, aujourd'hui la situation a qualitati­vement changé. Après avoir «réglé» la situation au Liban et parfait l'isolement de l'Iran au Moyen-Orient, les USA ont décidé d'en finir une bonne fois pour toutes avec la question iranienne. Il s'agit aujourd'hui pour les USA de reconstituer la forteresse militaire que fut il y a presque une dizaine d'années l'Iran. Il n'y a pas d'autre pays qui par sa position géographique, l'étendue de son territoire, sa densité démographique, puisse de ce point de vue remplacer l'Iran dans cette région.

En face de ces réalités indéniables que dit-on pour justifier l'intervention dans le Golfe Persique ? Que le fanatisme de la population iranienne, subjuguée par des religieux déments, serait la cause de l'instabilité dans le Golfe Persique et de bien d'autres maux. Toute l'entreprise actuelle des pays occidentaux et du chef d'orchestre américain n'aurait pour but que de contenir, «par la force si nécessaire», cette poussée d'irrédentisme religieux, de ramener la paix entre l'Iran et l'Irak et bien sûr d'assurer l'intérêt des pays occidentaux par la libre circulation des convois pétroliers dans le Golfe Persique.

Ainsi les chancelleries du monde occidental et des pays arabes désignent d'un même geste le fanatisme religieux en Iran comme un dangereux fauteur de trouble, faisant peser une lourde menace sur la paix du Golfe.

Tout d'abord nous ne pensons pas que la population en Iran, qui, comme celle de l’Irak, vient de subir sept années d'une guerre particulièrement meurtrière, quelque chose comme un million de morts, soit d'un grand enthousiasme pour mener la «guerre sainte» contre toutes les puissances du «monde arabe» et plus encore, contre toutes les puissances du monde occidental.

Toutes les guerres sont atroces. Celle-ci particuliè­rement. A la puissance de feu des armes modernes est venue s'ajouter la guerre chimique. Rien, que ce soit dans un camp ou dans l'autre, n'a été refusé à la barbarie qui sur les champs de bataille comme dans les agglomérations urbaines a fait une boucherie. •

Comment oublier que durant ces sept années, faute d'un nombre suffisant de combattants que la guerre fauchait par milliers, ce sont des gamins qui dès 10 ans étaient envoyés de force sur le front. Et comment mesurer, quand la guerre ne vous arrache pas votre vie, ou celle de vos enfants, ou encore ne vous laisse infirme, les sacrifices qu'il faut consentir pour payer huit années de guerre ? Dans ces conditions, on ne peut guère se tromper en affirmant qu'il y a dans la population iranienne et dans la population irakienne un large sentiment anti­-guerre. On ne subit pas huit ans de guerre sans être guéris de tout fanatisme. Malgré le peu d'information, et pour cause, que la bourgeoisie laisse filtrer sur ces questions nous pouvons savoir qu'aussi bien en Iran qu'en Irak existe une réelle opposition à la guerre :

«L'hostilité de la population au conflit est en relation étroite avec les privations, notamment chez les pauvres (...). L'agitation habituellement provoquée par la situation éco­nomique (...) a fait place pour la première fois en 1985 à de véritables manifestations contre la guerre. » ([1]).

Il est déjà hallucinant d'entendre aujourd'hui ce formidable concert de déclarations pacifistes accompagner le déploiement dans le Golfe d'une gigantesque armada de guerre. Mais la duperie est encore plus éclatante quand on considère que cette guerre à laquelle on prétend vouloir mettre un terme, a été commencée, entretenue et nourrie pendant huit ans par ceux qui aujourd'hui crient le plus fort à la «paix». Ce n'est un secret pour personne que la guerre entre l'Iran et l'Irak avait pour objectif essentiel la destruction du pouvoir religieux de Téhéran, le prix en vies humaines comptait peu ou plutôt pas du tout.

Tous les pays qui furent à l'origine de ce conflit, sous l'impulsion des USA, Koweït et Arabie Saoudite en particulier, pensaient que le choc de la guerre dans un pays plongé dans un chaos indescriptible après la chute du Shah d'Iran conduirait rapidement à l'effondrement du pouvoir religieux de Téhéran. Cette perspective ne s'est pas vérifiée, au contraire. Cette guerre, qui était prévue courte, est toujours, et comment, d'actualité aujourd'hui. La fraction derrière Khomeiny loin de s'ef­fondrer dans la guerre, s'en est nourrie et a renforcé son emprise sur la société iranienne par les moyens d'une répression impitoyable. Qu'aucune autre fraction dirigeante plus «adaptée», moins anachronique que le pouvoir des mollahs n'ait pu s'imposer à Téhéran montre la profondeur de la décomposition sociale atteinte dès l'époque du Shah.

Quoi qu'il en soit, l'objectif de renversement des dirigeants de Téhéran ayant momentanément échoué, l'Iran et l'Irak ne pouvaient que s'enliser dans la guerre. Guerre entretenue par toutes les puissances internationales qui, pendant huit ans, ont fourni armes et matériel militaire moderne de toutes sortes aux belligérants. Armement sans lequel la poursuite du conflit aurait été impossible.

Ne pouvant espérer régler rapidement la question iranienne, en particulier tant que la question de la Syrie et du Liban n'était pas «stabilisée», tant que l'isolement de l'Iran n'était pas total, le monde occidental, les pays arabes, Israël s'accomodaient fort bien de la guerre.

Ainsi pendant des années tout le beau monde impérialiste y a trouvé son compte, à commencer par les marchands d'armes de tous bords. En tête de ceux-ci, la France qui a vendu à l'Irak des armements modernes pour un montant de 7 milliards de dollars. L'Etat d'Israël, dont on ne peut mettre en doute les liens qui l'unissent aux USA, a durant toute la guerre été lui-même le principal pourvoyeur d'armes de l'Iran :

«Bien que Téhéran nie tout lien de cette nature, l'Iran a reçu des livraisons israéliennes dès le début de la guerre (...) à l'époque, le montant de ces transactions a pu être évalué à prés de 100 millions de dollars. (...) Pour la seule année 1983, les livraisons d'armes à l'Iran ont atteint 100 millions de dollars.».

Sur d'autres plans, au-delà du commerce des armes qui alimentait le carnage au profit d'un grand nombre de nations, Chine et URSS y compris, cette guerre faisait autour d'elle un large consensus. Les nations arabes qui ne pouvaient voir sans satisfaction, en plus de «l'occu­pation» que cette guerre fournissait à leur voisin iranien turbulent, deux des principaux producteurs de pétrole du Golfe baisser drastiquement leur production en pleine période de surproduction et de chute des cours. Israël, qui, tant que l'Iran restait un ventre mou de la défense des intérêts occidentaux au Moyen-Orient, pouvait, lui, prétendre occuper ce rôle exclusivement et en tirer tous les avantages. Jusqu'à l'URSS, qui, bien que n'ayant aucune possibilité et aucun espoir d'implanter une quel­conque influence en Iran, préférait de loin voir celui-ci en guerre plutôt que comme place forte des USA aux frontières de l'Afghanistan occupé militairement par ses troupes.

Tant que les USA ne pouvaient régler son sort à la clique d'illuminés de Téhéran, ils permettaient et encourageaient la poursuite de la guerre, contrôlant et dosant savamment les livraisons d'armes à Bagdad comme à Téhéran. Il s'agissait de ne permettre, ni de victoires décisives à l'Iran, ce qui aurait renforcé le pouvoir en place, ni non plus, par une défaite cuisante, de pousser à un effondrement et un démantèlement total de ce dernier qui aurait compromis toute possibilité de recons­truction sur place d'une forteresse militaire du bloc occidental.

Dans cette optique, la continuation de la guerre et des tensions dans le Golfe offrait de plus aux USA l'avantage non négligeable d'une dépendance accrue des pays arabes vis-à-vis d'eux :

«Ils (les Etats du Golfe) se sont ainsi condamnés à soutenir financièrement Bagdad et à renforcer leurs propres systèmes de défense civile et militaire contre Téhéran. Leur dépendance implicite vis-à-vis de la garantie américaine, comme le poids politique de cette alliance de fait, s'est accrue brutalement.».

Voilà les réalités de la danse macabre de l'impéria­lisme dans le Golfe Persique. Et encore n'en avons-nous évoqué que les lignes directrices.

De façon générale cette escalade n'est pas une suite désordonnée d'actions et d'efforts, sans but cohérent et aux conséquences somme toute limitées géographiquement au Moyen-Orient. La situation actuelle dans le Golfe Persique est la continuation d'une stratégie d'ensemble qui, même si elle ne met pas en prise directe l'impérialisme russe et l'impérialisme américain -et heureusement, participe de la logique mondiale de cet affrontement.

Quand les USA seront parvenus a «régler» la question iranienne, c'est-à-dire à faire de nouveau de l'Iran un bastion de leurs positions militaires avancées au Moyen-Orient, ce «règlement» ne marquera en fin de compte qu'un cran de plus dans l'engrenage militariste planétaire. Après avoir établi la paix des tombes, ce n'est guère par la puissance économique, déjà très à mal au sein des métropoles, que le bloc de l'Ouest pourra maintenir son «ordre» dans une région du monde aussi instable, où la décomposition économique s'est particuliè­rement installée. Obligatoirement, l'ordre militaire s'y installera de façon permanente aux frontières mêmes de la Russie, marquant ainsi un degré supérieur dans les tensions impérialistes mondiales.

Le développement des tensions militaires et les enjeux historiques

Détachons un moment notre attention du Moyen-Orient. Les flammes de la lutte de classe brûlent en Afrique du Sud. En Corée du Sud, un mouvement massif de la classe ouvrière, par sa pugnacité, son intransigeance et son courage, brise en mille morceaux la vitrine tant exposée d'un prolétariat d'esclaves dociles en Asie. Et ce ne sont là que les expressions actuelles d'un puissant flot mondial d'insoumission aux lois du capitalisme en crise.

Toute la situation mondiale est contenue dans cette contradiction, dans l'opposition de deux perspectives issues toutes deux de la décadence du capitalisme, la guerre ou la révolution.

Jusqu'aujourd'hui, il revient à la classe ouvrière internationale, d'avoir, par ses luttes, repoussé la perspective bourgeoise de la guerre mondiale. En refusant de se sacrifier pour la survie de l'économie bourgeoise, il lui revient d'avoir repoussé d'autant la perspective d'un sacrifice suprême sur l'autel de l'impérialisme. Il est tout à son honneur d'avoir dans sa lutte, par sa résistance à l'exploitation, forgé un esprit auquel sont étrangères les molles et serviles conception et mentalité fatalistes.

Mais comme nous le montre la situation mondiale dans sa totalité, l'histoire s'accélère et en s'accélérant devient de plus en plus exigeante. Elle exige du prolétariat qu'il prenne conscience de ce qu'il a déjà fait et, en en prenant pleinement conscience, qu'il le pousse jusqu'au bout. D'internationale de fait, la lutte ouvrière peut et doit devenir internationaliste.

L'histoire sait parfois être ingrate, mais jamais elle n'exige l'impossible. Avec une nécessité historique se développent toujours les conditions de sa réalisation. Par le développement de la crise économique, véritable fléau social, et de la barbarie que celle-ci induit, par le développement international de la lutte prolétarienne même, la classe ouvrière est aujourd'hui contrainte de pousser son combat à un niveau supérieur. L'expérience accumulée de ses assauts répétés contre la forteresse capitaliste lui en donne la force et les moyens.

Le prolétariat, pour prendre conscience de sa mission historique, ne peut attendre d'être submergé dans la barbarie, dans ce cas il serait trop tard. Sur le terrain même de l'économie, la lutte entre le travail et le capital est déjà un barrage à l'orientation vers la troisième guerre mondiale, et aujourd'hui les luttes ouvrières peuvent et doivent ouvrir la perspective propre au prolétariat. Détruire les frontières, l'exploitation et l'économie de profit sont les seules voies pour balayer définitivement la menace du désastre que le capitalisme fait peser sur l'humanité.

Prénat 6/9/87.



[1] The international Institute for Stratégie Studies, «Irak-Iran : La guerre paralysée»

Géographique: 

Récent et en cours: 

Questions théoriques: