Où en est la crise économique ? : Crise historique de l'économie

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Le  rapport sur la situation internationale adopté au 6ème Congrès  de Révolution Internationale (juillet 1984), comportait trois parties : crise historique de l'économie, conflits  inter impérialistes et développement de la lutte de classe. Dans la rubrique régulière sur la crise économique  de cette Revue, nous pu­blions la première partie de ce rapport ([1]) qui fait le point sur les manifestations actuelles et les perspectives de la crise dans le bloc de l'Ouest vers une nouvelle grande vague de récession.

Nous pouvons aujourd'hui contempler les conséquen­ces désastreuses de la première vague de récession des années 80 sur l'ensemble de la planète, le spectacle désolant des conséquences catastrophiques du choc violent des forces productives contre les rapports sociaux.

On dirait que des populations entières ont subi un cataclysme ou sortent d'un conflit extrêmement violent et meurtrier. Famines, disettes, émeutes de la faim sont aujourd'hui chose courante sur des continents entiers (la seule année 84 a connu des émeutes au Brésil, en Inde, en Tunisie, au Maroc... ou encore des expulsions, l'exode forcé de dizai­nes de millions de personnes). Dans les pays déve­loppés, que ce soit dans les métropoles de la vieil­le Europe ou dans les Etats Unis d'Amérique, des régions entières, des villes prennent de plus en plus les allures des pays sous-développés. Et pour­tant ce ne sont là que les conséquences limitées de la première vague de récession des années 80, qui a culminé en 81-82.

C'est sur ces plaies encore vives qu'une nouvel­le grande vague de récession s'annonce aujourd'hui.

UNE  NOUVELLE  GRANDE  VAGUE  DE  RECESSION

Le grand tournant des politiques économiques mondiales de la fin des années 70 a en quatre an­nées joué un formidable rôle d'accélérateur et bouleversé profondément la situation mondiale à un niveau autrement plus profond que ne l'avaient fait la crise monétaire de 70-71 et la récession de 1974.

Les conséquences des coups portés ces dernières années contre les politiques que nous appelons par commodité "keynésiennes" et qui avaient pré­valu avec plus ou moins de force depuis la secon­de guerre mondiale ont provoqué la plus grande ré­cession mondiale depuis l'avant-guerre, aux consé­quences sociales et humaines que personne n'ignore. Bien que des Etats, comme l'Etat français, ou l'E­tat anglais, aient été des précurseurs en la ma­tière, c'est encore l'Etat américain qui a mené la danse. Comme après la seconde guerre, pendant toute la période de reconstruction et depuis la crise ouverte à la fin des années 60, l'économie mondiale a été dépendante de la situation du capi­talisme aux USA. Pendant les années de reconstruction, il procurait à l'Europe les moyens de sa reconstruction, de même que dans les années 70, il jouait le rôle de locomotive de l'économie mondiale, par le crédit facile et bon marché, les déficits pu­blics et la planche à billets.

En deux ans, le Tiers-monde s'est effondré, et on se demande vraiment jusqu'où le capitalisme peut enfoncer l'humanité ; les pays sous-dévelop­pés ou "en voie de développement" sont à genoux, écroulés sous le poids de leurs dettes, leur écono­mie prête à rendre l'âme. Les "miraculés" d'hier de­viennent en un espace de temps très réduit les ago­nisants d'aujourd'hui. Les pays producteurs de pé­trole croulent sous la surproduction : Venezuela, Mexique pour l'Amérique latine sont en faillite po­tentielle (en un an le niveau de vie au Mexique ainsi qu'au Venezuela a chuté de 50%). Le Moyen-Orient est dans un état lamentable : un des princi­paux financiers international et producteur de pé­trole, l'Arabie Saoudite, est en déficit commercial, surproduction aussi, alors que deux autres produc­teurs très importants, l'Irak et l'Iran ont, à cau­se de la guerre, fait chuter leur production de 75%. En Afrique, 1e Nigeria, "pays du soleil", exception économique au milieu d'un continent où la misère est indescriptible, à cause aussi de la surproduc­tion de pétrole, expulse un million et demi de per­sonnes en deux semaines (en janvier83). Partout éclatent des émeutes de la faim : Brésil, Colombie, Inde, Maroc, Tunisie, et dernièrement encore aux Caraïbes. Telles sont les conséquences de la sur­production mondiale dans les pays peu ou pas déve­loppés. Le bilan historique est rapide à tirer, d'une netteté extrême. Ces pays sont passés de la forme coloniale à la décolonisation pour aboutir au­jourd'hui dans l'effondrement. Cela est une mani­festation de l'incapacité du capital à assurer son processus d'accumulation et donc d'extension de son mode de production, d'intégration à celui-ci d'au­tres secteurs de la société.

Dans les pays industrialisés, le choc a là aussi été très rude. Les mesures en vue de mettre fin à la politique d'endettement et de déficit public, le coup de frein brutal à la politique de locomotive mondiale de la part des USA ont brutalement bouleversé le paysage et les habitudes économiques des pays de la métropole, en particulier en Europe. Les pourcentages d'expansion, dans lesquels s'expriment les taux d'accumulation du capital, sont brutale­ment tombes à zéro ou en dessous.

En 1'esnace de trois ans, 1'évolution du chômage a subi une accélération considérable alors que les salaires continuaient à baisser-.   La fraction de salaire versée par l'Etat a elle, sous toutes ses formes, été réduite énormément. En résumé tout ce que la classe ouvrière considérait comme des acquis inaltérables a été brutalement balayé ou est en voie de l'être.

Nous avons toujours mis en avant dans nos analy­ses que plus nous irions en avant dans la crise, plus les périodes de "reprise" seraient courtes et limitées, alors que les périodes de récession, el­les, seraient de plus en plus longues, étendues et profondes. Les faits semblent particulièrement nous donner raison. Mais pour caractériser la situation actuelle, nous devons ajouter que contrairement aux périodes de récession précédentes, la récession de 81-82 n'a pas été suivie d'une nouvelle relance de style keynésien. Au contraire, les conséquences inflationnistes de ces politiques, qui, "à côté" d'une surproduction profonde avaient conduit l'éco­nomie mondiale à la limite du krach financier mena­çant de faire exploser le système monétaire, ne pou­vaient, être poursuivies. C'est ainsi que c'est une politique de "purge" générale qui a suivi la pre­mière récession des années 80 et qui se poursuit aujourd'hui. (Les USA constituent sous certains as­pects un cas à part mais nous y reviendrons plus loin).

La surproduction ne pouvant plus être épongée par les déficits, nous la voyons ainsi gagner tous les secteurs de la production et les bloquer en partie. Cette caractéristique des crises de la pé­riode de décadence, LA CRISE GENERALISEE A TOUS LES SECTEURS DE LA PRODUCTION, ressort aujourd'hui avec une clarté éblouissante :

-secteur de production des moyens de production, de la machine outil à l'industrie lourde (tel l'a­cier) ;

-secteur des matières premières et de l'énergie;

-secteur de production des moyens de consommation, avec une prime pour l'agriculture et le logement ;

-secteur de production des moyens de transports, de l'aéronautique à l'industrie navale en passant par l'automobile ;

-secteur dit "tertiaire", celui de la circula­tion du capital (les banques en particulier, prin­cipales bénéficiaires de la période "inflationniste" et qui se présentaient comme les institutions les plus assises et les plus solides, ont particuliè­rement été secouées durant les deux premières an­nées de cette décennie ) ([2]);

-et enfin le secteur appelé "service public", largement gonflé lors des périodes précédentes a particulièrement été visé par la politique géné­rale de purge.

Nous pouvons déjà voir ici l'importance du ca­ractère généralisé de la crise à tous les secteurs pour le développement et l'unification de la lut­te de classe. Il nous faut maintenant considérer les années 83 et 84 et plus particulièrement ce qu'on appelle "la reprise" aux USA pour être ca­pables de tirer un bilan de la première moitié des années 80, mais surtout pour dégager une pers­pective pour les mois et les années à venir.

LA REPRISE AUX USA

Tous les commentateurs de la situation économi­que s'accordent pour dire que l'ensemble des pays industrialisés (la France mise à part) semblent avoir amorcé une "reprise économique", en particu­lier les USA. Pour le début de l'année 84, des pays comme l'Angleterre ou l'Allemagne peuvent ins­crire à leur actif une baisse assez nette de l'in­flation, une stabilisation du chômage et une évo­lution de la production (PNB) de 2 ou 3% (ce qui correspond d'ailleurs tout juste à l'évolution de la population) . Nous ne nous attarderons pas sur la situation des pays européens dans la mesure où leur évolution est totalement dépendante de la si­tuation économique aux USA. En effet le réajuste­ment des balances commerciales des pays européens ou du Japon n'a pu se faire qu'au prix d'un défi­cit commercial gigantesque de l'économie américai­ne.

Seuls les USA peuvent inscrire pour l'année 84 une augmentation de leur PNB d'une moyenne de 5%, mais à quel prix et dans quelle perspective ?

Au delà des aspects de manipulations monétaires, nous pouvons déjà donner un aperçu de la réalité de la "reprise" de l'économie aux USA et de ce qu1 elle contient. Ainsi, fin 83, à un des plus forts moments de ce qui est appelé "reprise", on pouvait apprendre :

"Les commandes de biens durables aux entrepri­ses américaines ont augmenté de 4% en novembre, s'établissant à 37,1 milliards de dollars, an­nonce le département du commerce. Cette pro­gression, la plus forte depuis le mois de juin dernier (+7,6%) est due en grande partie à la hausse des commandes militaires (+46%) et des commandes d'automobiles et de camions (+17,7%). Les commandes d'appareils domestiques, elles, n'ont progressé que de 3% et les commandes d'équipements de production ont baissé de 4,4%'.' (Le Monde du 24-12-83, nous soulignons).

Ce financement qui pour 50% a été destiné à l'ef­fort de guerre nécessité par l'offensive des USA n'a été rendu possible que par les manipulations sur le dollar, monnaie sur laquelle repose le com­merce mondial. La hausse vertigineuse des taux d'intérêts (jusqu'à 18%) a permis de rapatrier vers les USA des millions de dollars qui pendant des années ont été répandus dans le monde entier. Et cela était encore largement insuffisant. Malgré les économies réalisées sur lés dépenses sociales aux USA même, le déficit budgétaire américain pas­se de 30 milliards de dollars en 79 à 60 milliards en 80 pour atteindre les 200 milliards en 84. Il n'est pas étonnant que dans une telle situation,P. Volcker, président de la Réserve, compare l'immen­se déficit budgétaire américain à "un pistolet chargé, pointé sur le coeur de l'économie des USA, et dont nul ne peut prévoir quand le coup partira." (Le Monde du 3-3-84).

Voilà les bases de la reprise aux USA :

-hausse des taux d'intérêts, du dollar, du défi­cit commercial (-28,1 milliards de dollars en 81, -36,4 milliards de dollars en 82, -63,2 milliards en 83, -80 estimés pour 84);

-déficit de la balance des paiements courants (de 4,6, donc positive en 81, elle passe à -11,2 milliards de dollars en 82 et à -42,5 milliards en 83);

-augmentation de la masse monétaire par l'utili­sation de la planche à billets (entre juillet 82 et juillet 83, l'expansion monétaire est de 13,5%, LA PLUS PORTE CROISSANCE DEPUIS LA SECONDE GUERRE MONDIALE).

On voit ici, en considérant ces chiffres pharamineux, l'immense baudruche que constitue la reprise aux USA et comment derrière une baisse en chiffres absolus de l'inflation de la monnaie américaine (13,5% en 80, 10,4% en 81, 6,1% en 82, 3,5% en 83) DUE ESSENTIELLEMENT A LA HAUSSE DU DOLLAR  (la hausse du dollar a réduit de 10% le prix des marchandises importées), se cache une HYPER INFLATION (la surestimation du prix du dollar étant évaluée en janvier 84 à 40%).

Cette situation économique explosive, telle une bombe atomique amorcée, nous invite à jeter un ra­pide regard en arrière pour dégager quel peut être l'avenir de la situation.

En 1979, la fuite généralisée devant le dollar, monnaie de référence pour le commerce internatio­nal, menace de krach le système monétaire interna­tional. Face à cette situation qui signe la failli­te de plusieurs années de fuite en avant, les au­torités américaines portent à 18% le taux d'inté­rêt de la monnaie américaine pour soutenir leur monnaie et éponger la dette internationale immen­se que représentent les millions de dollars ré­pandus dans le monde. Résultat : en 81-82, on as­siste à la plus forte récession depuis la veille de la seconde guerre mondiale, dans les pays in­dustrialisés (en particulier aux USA), les indus­tries s'écroulent comme des châteaux de cartes, les pays "en développement" ne peuvent plus rem­bourser leur dette et au delà de leur faillite c'est la faillite de tout le système bancaire des pays développés qui se profile.

En 1982, l'asphyxie générale de l'économie, par les mêmes moyens volontaristes, pousse les autori­tés américaines à ramener leurs taux d'intérêts à 11%. Taux suffisamment hauts pour continuer à ramener vers les USA des masses de dollars et les capitaux qui dans le reste du monde fuient les investissements et pour permettre aux entreprises américaines d'emprunter à nouveau.

En 83-84, la dégringolade semble marquer une pause, mais comme on l'a vu plus haut, ce n'est qu'au prix de déficits pharamineux. De nouveau, une nouvelle fuite internationale devant le dol­lar fait trembler le système monétaire internatio­nal ; en un moi s, le prix du dollar perd en volume (nominal, bien sûr) ce qu'il avait mis six mois à gagner, l'inflation double presque (de 3,5% à 5,5%). Seule solution, les autorités américaines sont obligées à nouveau de hausser les taux d'intérêts et la récession menace à nouveau.

Cette menace ou plutôt cette réalité d'une nou­velle vague de récession aux conséquences encore difficilement calculables (mais que nous laissent imaginer le début# des années 80) et les conditions dans lesquelles elle s'annonce va venir mordre en­core plus profondément dans la chair de l'humani­té alors que partout dans le monde le champ d'ac­tivité du capital se rétrécit de plus en plus.

D'ailleurs la bourgeoisie ne se fait pas d'illu­sion sur la perspective des mois à venir et c'est à un nouveau choc extrêmement violent qu'elle se prépare. L'attitude du capital aux USA est, à cet égard extrêmement significative. Ces deux derniè­res années, et ces derniers mois en particulier, on a pu assister aux USA à une considérable accé­lération de la concentration du capital, financée en grande partie par l'afflux des capitaux étran­gers. Mais cette concentration n'a rien à voir avec la concentration du capital qui correspond à une extension de l'activité du capital telle qu1 elle se développe dans les phases d'expansion. Cette concentration, nourrie par un empirisme com­me seul le capital peut se le permettre, est l'ex­pression d'une bête blessée à mort qui concentre ses dernières forces en un seul point. La meilleu­re preuve que nous puissions mettre en avant pour démontrer ce que nous avançons, c'est que la plus grande concentration d'entreprises a eu lieu aux USA dans les industries les plus touchées par la crise de surproduction mondiale : l'industrie du pétrole et celle du bâtiment.

"Quatre ans plus tard, (que 1977), les opéra­tions de fusion sont près de quatorze fois plus importantes et représentent 82.000 millions de dollars. Cette année là, le seul rachat de Conoco (9ème compagnie pétrolière américaine) par Dupont de Nemours (première société chimique) met en jeu 73 milliards de dollars, soit une somme supérieure à la valeur totale des fusions effectuées en 1977V (bilan économique et social 83 "Le Monde").

Ainsi, pour faire face à une chute vertigineuse des taux de profit, et surtout en préparation des prochains chocs, les industries américaines ras­semblent leurs dernières forces et rien que cela laisse exsangue le reste du monde qui ressemble de plus en plus à un pantin disloqué, à un corps dont le sang reflue et quitte peu à peu tous les mem­bres pour les laisser engourdis et glacés.

Le déficit commercial américain permet encore pour quelques mois à l'Europe et au Japon de main­tenir un certain niveau d'activité. Mais là aussi à quel prix : non seulement celui du déficit com­mercial américain, mais aussi le prix du dollar, qui est colossal, et, malgré cela, la bagarre pour maintenir un niveau suffisant d'exportation néces­site pour l'Europe déjà à genoux d'asséner des coups de hache et un sabrage des conditions ou­vrières sans précédents.

C'est dans ces conditions qu'un nouvel assaut de la récession mondiale qui dégonflera, cette fois -ci, complètement la baudruche de la "reprise" aux USA, se prépare. Quand et comment ? Cela est difficile à dire, mais on peut raisonnablement penser que celle-ci se développera au lendemain des élections aux USA (novembre 84).

Mais qu'importe la date du nouvel assaut, ce qui est certain c'est son proche avenir, et surtout les caractéristiques de la situation mondiale qu' il impliquera et dont les premières années 80, les mois que nous vivons aujourd'hui, nous ont donné un avant-goût.

La dynamite de l'inflation accumulée dans les déficits, concentrée au sein de la puissance éco­nomique sur laquelle repose l'économie mondiale donne la mesure de la puissance de la nouvelle va­gue de récession à venir. La dernière vague de ré­cession a propulsé les taux de chômage à des ni­veaux record, atteignant dans certains pays des taux sans précédents depuis la veille de la secon­de guerre mondiale, (en moyenne pour les pays dé­veloppés, 12% de la population active). Pour les mois et les années à venir, le taux de chômage qui a presque doublé en seulement trois ans, est enco­re appelé à doubler, voire tripler, c'est à dire atteindre 20 ou 30% de la population active.

Les chiffres donnés en perspective par l'OCDE en 83 étaient déjà très pessimistes et encore ta­blaient sur la "reprise internationale" :

"On y apprenait notamment que, pour maintenir le chômage à son niveau actuel, en fonction de l'aug­mentation prévisible de la population active, il faudrait créer de dix huit à vingt millions d'emplois d'ici la fin de la décennie. De plus les ex­perts de l'OCDE estimaient qu'il faudrait encore quinze millions d'emplois supplémentaires si on vou­lait revenir au niveau de chômage de 1979, soit dix-neuf millions de personnes sans travail.

Au total, ajoutaient-ils, cela reviendrait à créer 20.000 emplois par jour entre 84 et 89, alors que, après le premier choc pétrolier, entre 1975 et 1980, les 24 pays membres n'en avaient dégagé que 11.500 quotidiennement. S'ensuivaient des prévisions très pessimistes, tablant sur 34,75 millions de chômeurs en 1984, dont 19,75 pour l'Europe et 2,45 pour la France." (Rapport de l'OCDE 1983).

Mais plus encore que le nombre absolu de chômeurs, les caractéristiques et les conditions dans lesquel­les le chômage se développe de façon accélérée sont significatifs de l'ampleur de la crise. Les allo­cations sont réduites aux portions les plus congrues, quand elles ne sont pas tout simplement supprimées. Le chômage touche les plus larges fractions de la classe ouvrière, bien que les "jeunes" et les immi­grés en subissent encore la plus forte pression ; d'autre part sa durée est de plus en plus longue et sans issue pour des milliers de personnes.

A la suite de son rapport, l'OCDE ne manquait d'ailleurs pas de mentionner certains de ces as­pects, et d'en tirer des conclusions :

"Au delà du tollé que provoqua cette projection, l'OCDE mettait en lumière les caractéristiques profondes du chômage...Un premier élément concer­ne l'allongement de la durée du chômage, qui pri­ve d'activité une part de plus en plus importante de la population. On constate, un peu partout, le découragement des chômeurs de longue durée. Ceux-ci en viennent à prendre des "petits boulots" ou des emplois d'attente, ou pis, à ne même plus se déclarer comme demandeurs d'emplois. Cette situa­tion, à tous égards est lourde de risques so­ciaux." (idem) .

Le chômage est à la pointe de l'attaque du capi­talisme contre la classe ouvrière. En lui, il ré­sume toute la condition ouvrière, il est l'expres­sion au niveau humain de la surproduction, de la surproduction de la force de travail, de la con­dition de marchandise, chair à travail et à canon. D'autre part, si la crise historique du capitalis­me conduit à une paupérisation absolue ([3]) de la 'classe ouvrière, elle opère aussi, et cet aspect est fondamental, une modification des structures de   classe de la société telles qu'elles ont pu être modelées dans les périodes de croissance et d'expansion du capital.

Stratification de la classe ouvrière entre plu­sieurs couches d'ouvriers qualifiés et non quali­fiés, entre cols bleus et cols blancs, entre im­migrés et non-immigrés. Possibilité pour certai­nes fractions, couches d'ouvriers les plus quali­fiés d'atteindre après des années "d'efforts" une situation qui les rapproche par leurs condi­tions de couches moyennes, par l'accession aux emplois d'encadrement ou de maîtrise pour eux-mêmes, par l'accession aux emplois de cols blancs, le plus souvent ceux de techniciens pour eux ou leurs enfants. Avec la crise, telle qu'elle se dé­roule sous nos yeux, tout cela est fini. Ce n'est plus vers le haut que le regard de la classe ou­vrière se tourne, mais effrayé, vers le bas, où tout ce qui hier apparaissait encore comme dis­tinction disparaît. Dans ce processus qui se dé­roule sous nos yeux de façon accélérée, le chôma­ge joue un puissant rôle, et en particulier quand il menace d'atteindre 20 à 30% de la population active. De plus au travers du chômage, les cou­ches moyennes sont déchirées, et rejoignent les rangs de la classe ouvrière dans ce que sa con­dition a de plus misérable.

Ce n'est pas là une simple projection que nous faisons, mais la description d'un processus qui se déroule concrètement, sous nos yeux, processus qui non seulement met face à face les classes so­ciales, mais distingue nettement leurs intérêts irréductibles. Cette réalité balaie radicalement l'écran de fumée constitué par la formation de couches moyennes particulièrement gonflée dans l'é­poque "keynésienne" ainsi que toutes les théories sur l'aristocratie ouvrière.

CONCLUSIONS

1- Le rapide tableau, encore limité et imprécis, du bilan économique des premières années de la dé­cennie 80 et des perspectives pour les années à ve­nir, établit en partie les conditions dans lesquelles la lutte de classe, et sa nouvelle impulsion qui se manifeste aujourd'hui dans tous les pays va s'affronter à la classe dominante. Rosa Luxembourg déclarait à juste raison que "pour que la révolution ait lieu, il faut que le champ social soit labouré de fond en comble, il faut que ce qui était enfoui profondément monte à la surface, que ce qui était à la surface soit enfoui profondément." (Grèves de masses, parti et syndicats).

Cette tâche là, l'unité de la lutte de classe, de l'expérience de la classe ouvrière et d'une crise économique sans précédents est en train de l'accom­plir... La paupérisation rapide et absolue qu'opère la crise économique pousse la classe ouvrière avant de pouvoir plonger son regard dans l'avenir,à se plonger dans son passé, et là, c'est soixante dix ans de décadence qu'elle peut contempler.

2-Nous avons consacré une longue partie à l'ana­ lyse de la situation du capital aux USA dans la me­ sure où,comme nous l'avons dit, cette économie qui représente 45% de la production des pays occiden­taux et un quart de la production mondiale déter­mine l'évolution du reste de l'économie mondiale. Mais ce n'est pas tout ; il est un autre aspect dans la profonde crise que traversent les USA qui est ex­trêmement important du point de vue historique : ce n'est que grâce au capitalisme aux USA, qui s'est développé en pleine période de décadence, avec tou­tes ses caractéristiques (capitalisme d'Etat, milita­risme) , au début grâce à un marché extra-capitalis­te intérieur immense, ensuite grâce à la guerre mon­diale qui a éliminé ses rivaux, que l'Europe en plei­ne décrépitude, totalement épuisée par deux guerres mondiales, a pu se maintenir depuis les années du milieu de ce siècle : par sa reconstruction capita­liste de 45 aux années 60, pendant la décennie des années 70 où les USA ont joué un rôle de locomotive mondiale, et d'une certaine manière en 83-84 où seul l'immense déficit commercial américain lui permet de ne pas s'effondrer complètement.

Aujourd'hui, cette période est complètement révo­lue, du point de vue tant idéologique qu'économique. Les USA ne peuvent plus jouer un rôle d'appui maté­riel, ni celui, idéologique, de faire croire à un développement infini et prospère du capitalisme au travers du "rêve américain", lequel est devenu un véritable cauchemar.

3-La dernière conclusion de cette partie consa­crée à la crise de 1'économie nous amène à critiquer un point de vue que nous avons été amenés à mettre en avant en particulier dans le rapport dout le 5ème Congrès de RI ([4]) selon lequel la fin des années 70 signait la fin des politiques d'endettement. Le CCI avait tout à fait raison de dire que les an­nées 80 marquaient la faillite de toutes les poli­tiques keynésiennes de fuite en avant qui avaient marqué les années précédentes, mais de là à en ti­rer la conclusion que c'était la fin de l'endette­ment pour le capitalisme, il y avait un pas à ne pas franchir.

La réalité s'est d'ailleurs chargée elle-même de rectifier cette vision erronée. En l'espace de deux ans, tant dans les pays les plus développés (USA) que dans les pays sous-développés, l'endette­ment sous les forme:; diverses que nous avons décrites plus haut n'a pas seulement "augmenté" mais il a été multiplié par 2,3 ou 4 par rapport à celui ac­cumulé durant une période de dix ou vingt ans.

Cette situation est liée à la nature more de la crise du capitalisme, la crise de surproduction et à l'incapacité d'assumer un processus d'accumula­tion sans lequel le capital n'existe pas et ne peut exister.

Nous devons distinguer, et c'est cela qui était la préoccupation du CCI au début des années 80, l'endettement tel qu'il s'est développé par exemple dans les années 70 et celui de la situation actuel­le. Dans la première période, malgré une large part de déficit dû à l'armement, l'endettement mondial a permis un certain niveau d'accumulation et d'ex­pansion. Mais les années 80 ont largement illustré comment cette tendance générale du capitalisme dé­cadent à substituer à son processus d'accumulation de capital une accumulation d'armement s'amplifie. C'est ainsi que les déficits colossaux, bien supé­rieurs à ceux des années 70 ont pour l'essentiel eu pour terrain d'investissement l'armement.

Ce n'est un secret pour personne que le déficit du budget américain est en rapport exact avec l'accroissement pharamineux des armements. Les ca­pitaux fuient l'Europe pour participer à l'effort de guerre du bloc occidental, les missiles les remplacent. Partout ailleurs, Moyen-Orient, Afrique, Asie, Amérique du Sud, les "aides" au développement sont remplacées par une accumulation d'armes gigantesques. Aux USA même, à la caution de la force économique, se substitue la caution de la force militaire. C'est ce que Reagan appelle "retrouver la force, la puissance de l'Amérique". Pantin stupide !

Aujourd'hui se manifeste clairement et avec une acuité sans précédent comment la crise du capita­lisme, la crise de surproduction, l'impossibilité de continuer un processus d'accumulation entraîne impitoyablement et immanquablement un processus d'autodestruction du capital. Autodestruction non pas du capitalisme, mais du capital et de l'e­xistence de centaines de millions d'êtres humains qu'il a attachés au char de son esclavage.

Cette question de l'autodestruction du capital n'est pas une simple question d'"intérêt théorique'. C'est une question fondamentale, pour plusieurs raisons :

-parce qu'elle illustre et explicite les rapports entre la crise historique du capitalisme et la guerre;

-parce qu'elle montre qu'il ne suffit pas de dire que la crise"joue en faveur du prolétariat". En ef­fet, nous avons eu à combattre pendant des années les conceptions qui ne voyaient la révolution pro­létarienne que comme une affaire de volonté, bref, toutes les conceptions idéalistes. Aujourd'hui que la crise est manifeste et se livre sans fard, il ne faudrait pas tomber dans l'erreur inverse et penser que, de toutes façons la crise est là et qu'elle se transformera nécessairement en révolu­tion sociale. Cette conception est aussi fausse que la première. Nous devons combattre, en nous ap­puyant sur les faits historiques et présents, 1'idée que la crise du capitalisme, la crise de surpro­duction se présenterait comme une simple accumula­tion de biens, invendus et invendables, que cette surproduction liée à une baisse profonde des taux de profit mènerait le capitalisme à s'effondrer de lui-même et qu'ainsi le prolétariat n'aurait qu'à cueillir la révolution comme on cueille une fleur.

Cette vision est fausse et les années 80 que nous avons déjà vécues l'illustrent amplement.

RI.juillet 1984


[1] Pour  les orientations  du  rapport  sur les autres points, adoptées  à  ce Congrès,   se  reporter  à  la  Résolu­tion   sur la   situation   internationale  publiée  dans  Révolution   Internationale  n°123,   août   1984.

[2] "Le nombre des faillites continue d'être très élevé et jamais les banques américaines n'ont enregis­tré des pertes aussi importantes que celles qu'elles essuyaient encore pendant la deuxième partie de 1983. Plusieurs d'entre elles ont dû, en conséquence, déposer leur bilan".("Le Monde de l'année économique et sociale-bilan 83", p.11).

[3] Où sont-ils aujourd'hui ces fervents critiques de Marx, qui soumettaient à la critique la plus viru­lente la notion de paupérisation. Cela, sans jamais d'ailleurs distinguer ce qui était, dans la notion de paupérisation, paupérisation absolue ou paupérisation relative. Non seulement aujourd'hui la paupé­risation relative de la classe ouvrière s'est développée de manière accrue par le développement de la productivité, mais de plus celle-ci s'ajoute et se confond par ailleurs à une paupérisation absolue qui chaque jour s'accroît sans cesse. Jamais l'histoire n'a autant donné raison à ce Marx qu'on prétend dé­passé et qui déclarait : " le capitalisme est né dans le sang, la boue et les larmes, il finira dans la boue, le sang et les larmes."

[4] Revue  Internationale  n°31,

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