Où en est la crise? : Le poids des dépenses militaires

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C'est avec une vigueur retrouvée que les grands pays industrialisés ont renforcé leur présence armée sur des théâtres d'opérations militaires, présence qui s'était ralentie depuis le retrait des troupes américaines du Vietnam en 1975. En 1982,  le "wargame" grandeur nature des îles Malouines a clairement confirmé un tournant de la politique militaire du bloc de l'Ouest, prélude à l'"interposition" au Liban de corps expéditionnaires américain, français, britannique et italien la même année,  "interposition" devenue intervention directe en 1983.

A cette politique correspond une intensification des dépenses militaires qui manifeste la fuite en avant du capitalisme vers la seule issue qu'il peut donner à la crise définitive de son système d'ex­ploitation, la guerre généralisée.  Cependant,  le poids massif de l'économie de guerre remonte aux an­nées 1930 ; aujourd'hui, la politique d'armements ne peut en aucune façon fournir un palliatif à la crise comme ce fut le cas à l'époque. Au contraire, cette politique ne fait qu'accélérer la plongée du capitalisme dans l'abîme de la crise ; elle se révèle incapable de résorber le chômage massif au coeur des centres industriels ; elle ne permet pas une reprise économique réelle. Ainsi s'accentuent les conditions d'une riposte de la classe ouvrière qui commence à s'engager dans les pays du coeur du capitalisme.

L'ACCELERATION DES DEPENSES MILITAIRES

Les grands pays capitalistes vont assurer de plus en plus directement les basses besognes de l'affrontement militaire entre rivaux impéria­listes qui s’étaient poursuivi par petits pays inter­posés. Dans les années 1970, les grandes puissan­ces ont tendu à ralentir 1’accélération des dépen­ses militaires, déléguant leur rôle de gendarme à leurs alliés du tiers-monde face au bloc russe. Cependant, ce ralentissement relatif n'a jamais été une diminution. Les dépenses militaires mon­diales n'ont jamais cessé  de croître, particuliè­rement dans le tiers-monde et dans le bloc de l'Est.

Après avoir tenté d'utiliser principalement leur prépondérance économique sur le marché mondial contre le bloc adverse, avec 1'accélération ac­tuelle de la crise, les grands pays de l'Ouest sont à nouveau contraints d'accélérer leur poli­tique d'armements.

 


 

 La production industrielle de ces pays tourne aujourd'hui au mieux à 75 % de ses capacités et 1'investissement se tasse : même les analystes de la bourgeoisie les plus convaincus de la "re­prise" économique américaine -d'ailleurs de moins en moins nombreux- restent perplexes face au fait que cette soi-disant "reprise" s'accompagne d'une chute des investissements. La pression à la baisse du taux de profit s'accélère, et ceci d'autant plus pour les puissances  industrielles que la pro­ductivité ne cesse de s'accroître.

Aux Etats-Unis, y compris dans des secteurs de pointe comme l'électronique, les faillites se mul­tiplient. Dans l'automobile et l'aéronautique, les compagnies géantes comme Chrysler, Boeing, Mac Donnell Douglas, etc. ne doivent leur survie que grâce aux commandes militaires : chars pour Chrys­ler, avions Awacks pour Boeing, avions de combat pour Douglas.

La France,  second producteur d'armements du bloc de l'Ouest,  subit un nouveau freinage sans précédent dans l'industrie -agro-alimentaire, mines, sidérurgie, électronique. La construction aéronau­tique est de plus en plus fusionnée entre secteur civil et militaire et dominée par les responsables nationaux de l'armement : l'aviation civile stagne (Airbus) ; le secteur militaire est le seul qui résiste encore quelque peu à la récession.

Avec les Etats-Unis, la France et la Grande-Bre­tagne, le Japon prend une part grandissante dans la production d'armements, notamment dans l'élec­tronique indispensable à la stratégie militaire actuelle. De même, l'Allemagne de l'Ouest, qui, tout comme le Japon, est un pays soi-disant à "bas profil" en matière militaire, dépense autant que la France dans ce domaine.

De plus, les chiffres officiels ne dévoilent qu'une partie de ce qui est réellement consacré à l'armement. En 1981 par exemple, 25 %  de la re­cherche mondiale étaient officiellement consacrés au domaine militaire ; en fait, 90 % des program­mes de recherche sont sous le contrôle de l'armée. Tous les "progrès techniques" dans la société ci­vile ne sont que des retombées de l'industrie des armes. En informatique par exemple, les standards internationaux de programmation scientifique ou de gestion sont décidés par le Pentagone.

La crise ouverte révèle que c'est toute l'éco­nomie capitaliste qui est orientée vers la guerre, une économie de guerre qui n'est plus capable d'assurer l'accumulation du capital, et moins en­core de développer une quelconque satisfaction des besoins humains. Au contraire, la proportion d'investissements dans les moyens de destruction ne cesse d'augmenter : selon la Banque Mondiale, 10 %  des dépenses mondiales d'armements représen­tent ce que coûterait la résolution du problème de la faim dans le monde ; ces dépenses attei­gnent aujourd'hui la somme astronomique de plus d'un million de dollars... par minute.

LES DEPENSES MILITAIRES ACCELERENT LA CRISE DU CAPITALISME

"Les armes ont cette particularité majeure de posséder une valeur d'usage qui ne leur permet en aucun cas d'entrer sous quelque forme que ce soit dans le processus de production. Une machine à la­ver peut servir à reconstituer la force de travail, tout comme du pain ou des chemises.  Par le contenu de leur valeur d'usage,  ces biens peuvent servir comme capital sous  la forme de capital variable. Un ordinateur,  une tonne de fer ou une machine à vapeur,  en tant qu'ils sont des moyens ou des ob­jets de travail peuvent fonctionner comme capital sous forme de capital constant.  Mais des armes ne peuvent que détruire ou rouiller". ("La décadence du capitalisme", p. 75, brochure du CCÏ).

Même pour les pays exportateurs l'armement cons­titue aujourd'hui moins que jamais un palliatif à la crise. Le coût de l'armement grève la compéti­tivité de chaque capital national comme en témoi­gne l'insistance des Etats-Unis à réarmer le Ja­pon et l'Allemagne pour pousser à répartir ce coût.

De plus, la concurrence s'exacerbe sur le marché des armes. Les pays acheteurs deviennent à leur tour des concurrents dans beaucoup de domaines :

"Il est devenu pratiquement impossible d'obtenir des contrats à l'exportation sans accepter de ré­trocéder aux clients une partie du savoir-faire". (L'Expansion, p.83, 1er déc.83).

Enfin, les achats ne peuvent se faire que grâce à des prêts des grandes puissances que de plus en plus de pays sont totalement incapables de rem­bourser. L'armement ne permet pas de retarder les effets de la crise : il ne sert qu'au maintien et à l'accentuation des positions stratégiques dans la rivalité entre Est et Ouest derrière les chefs de file des deux blocs : URSS et USA.

De même que l'URSS fait payer son armement par ses  alliés, les USA font payer leur armement grâ­ce à la place particulière du dollar comme monnaie refuge internationale. En drainant par des taux d'intérêts élevés les capitaux spéculatifs sur le dollar les USA font financer leur déficit budgé­taire par les autres pays ; de plus,du fait du ren­chérissement du dollar,ils payent moitié prix leurs achats à ces pays. En 1982, le déficit budgétaire ([1]) américain correspond d'ailleurs exactement au bud­get de la défense nationale (Survey of Current Business, 7/83). La "reprise" américaine ne repose que sur l'utilisation de la planche à billets, sur du papier, et la pression inflationniste que cela va inévitablement engendrer mène vers une nouvelle poussée d'hyper-inflation menaçant le système mo­nétaire international, danger contre lequel préci­sément la bourgeoisie avait du réorienter sa poli­tique à la fin des années 1970.

Mais c'est dans l'extension du chômage massif que le capitalisme signe sa faillite complète. Alors qu'avant la 2ème guerre mondiale la produc­tion d'armements avait permis une résorption spec­taculaire du chômage -de 5 331 000 à 172 000 chô­meurs aux USA entre 1933 et 1938, de 3 700 000 à 200 000 en Allemagne-, ce n'est plus le cas aujour­d'hui. Avec le gigantesque accroissement de la pro­ductivité des techniques de pointe, le niveau du réarmement actuel des grands pays industrialisés n'a d'effet que négligeable sur le chômage. Celui-ci n' a cessé d ' augmenter et ne peut que s ' accélé­rer.

Moins que jamais la production d'armements ne fournit un véritable débouché pour le capitalisme. Elle devient une charge de plus en plus lourde pour chaque économie nationale.


 

MG.



[1] 235 milliards de dollars.

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