Lutte de classe en Europe de l'est (1920-1970) : la nécessite de l'internationalisation des luttes

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REVOLUTION ET CONTRE-REVOLUTION

Ce n'est pas un hasard si la contre-révolution qui s'est abattue contre les soulèvements de l'après première guerre et qui devait maintenir son étreinte sinistre jusqu'à la fin des années 60 prit sa forme la plus vicieuse précisément dans les pays où la résistance prolétarienne avait été la plus forte : en Russie, en Allemagne, en Bulgarie, en Pologne et dans tous les pays frontaliers, de la Finlande à la Yougoslavie. Les ouvriers vivant entre l'Oural et le Rhin furent les premiers et les plus déterminés dans la révolte contre le massacre impérialiste de 14-18, et contre les souffrances endurées par leur classe à cause d'un capitalisme historiquement en faillite. C'est pourquoi  ils sont devenus la principale cible d'une bourgeoisie mondiale momentanément unie contre un ennemi commun. La bourgeoisie des pays de l'ouest victorieux armèrent et renforcèrent les gouvernements et les gangs armés dans toute cette zone d'autant plus qu'ils attaquent plus violemment les ouvriers. Ils ont même envoyé leurs propres armées pour tenter d'occuper l'URSS, les Balkans, la Ruhr, etc., se battant entre eux pour le butin mais toujours unis contre la résistance prolétarienne.

Déjà en 1919, après la chute de la république des soviets, la terreur blanche régnait ouvertement en Hongrie. De Budapest en 1919 à Sofia ou Cracovie en 1923, tous les soulèvements révolutionnaires furent écrasés et les jeunes partis communistes dramatiquement affaiblis, souvent à la limite de l'extermination physique. Ceci  fut par exemple le cas pour la Yougoslavie, où des centaines et des milliers de militants communistes furent tués ou emprisonnés.

LA CONTRE-REVOLUTION NATIONALISTE

Ainsi, alors que la défaite de la classe ouvrière dans les pays avancés de l'ouest devait être complétée par la mobilisation idéologique pour la guerre des Etats  "démocratiques" dans les années 30, l'écrasement du prolétariat à l'Est devint très vite un anéantissement physique. Mais ce ne furent pas tant les machines de guerre et les chambres de torture de la terreur d'Etat qui brisèrent l'échiné du prolétariat dans ces années fatales de l'après guerre, que le poids du NATIONALISME dans les pays de l'Est et celui de la SOCIAL-DEMOCRATIE en Allemagne et en Autriche. La création d'une mosaïque d'Etats nationaux en Europe de l'Est à la fin de la 1ère guerre mondiale remplit le rôle immédiatement contre-révolutionnaire de dresser une barrière nationale entre le prolétariat russe et la classe ouvrière allemande. C'est pourquoi  les communistes polonais, déjà en 1917, étaient opposés à l'indépendance nationale pour la bourgeoisie polonaise que proclamaient les bolcheviks en URSS. Continuant le combat contre le nationalisme polonais,  en lien surtout avec Rosa Luxembourg, ils déclaraient effectivement la guerre aux sociaux-démocrates polonais, à cette pourriture chauvine, dont nous retrouverons plus tard un dernier héritier avec le KOR. Les bolcheviks avaient raison d'insister sur les droits culturels et linguistiques des ouvriers et des opprimés des minorités nationales et d'insister sur ce droit surtout en Europe de l'Est. Mais ils auraient dû savoir que ces "droits" ne seraient jamais respectés par la bourgeoisie! En effet, le jeune Etat polonais de l'après guerre, par exemple, a commencé immédiatement à établir une discrimination insidieuse contre les lithuaniens, les russes blancs  et autres minorités culturelles existant à l'intérieur de ses frontières. Mais par dessus tout, les bolcheviks eurent tort de fixer aux ouvriers le but de défendre ou de créer des ETATS NATIONAUX, ce qui  ne peut être qu'un moyen de se soumettre à la direction politique de la bourgeoisie, et ceci à une époque où la révolution prolétarienne destruction de tous les Etats nationaux était historiquement à l'ordre du jour.

Quand l'armée rouge a essayé de prendre Varsovie en 1920,  les ouvriers polonais se sont ralliés derrière leur bourgeoisie,  repoussant l'offensive. Ceci montre l'impossibilité d'étendre la révolution prolétarienne militairement. Ceci montre aussi  la force de l'idéologie nationaliste dans les pays où l'Etat national vient juste d'être crée, et où l'exploitation s'est toujours accomplie avec l'assistance pesante de parasites étrangers, de telle sorte que les parasites autochtones peuvent se donner plus facilement une image populaire. Le nationalisme, qui dans ce siècle a toujours signifié une sentence de mort pour notre classe, a continué a peser sur    la lutte de notre classe pour sa libération dans les pays de l'Est, et il pèse encore aujourd'hui.

L'UNITE  DU PROLETARIAT DE L'EST A L'OUEST

Le fait que la révolution prolétarienne tant attendue ait éclaté en Europe de l'Est et non dans les cœurs de la puissance industrielle, causa une grande confusion chez les  révolutionnaires  de l'époque. Ainsi les bolcheviks par exemple voyaient les événements de février 1917 comme une révolution bourgeoise dans une certaine mesure, et même par la suite existaient dans le parti, certaines positions voyant des tâches bourgeoises à accomplir dans la révolution prolétarienne. Mais s'il était juste de considérer que l'Europe de l'Est était le maillon faible de la chaine de l'impérialisme, qui de plus manquait de tradition démocratique bourgeoise,  de syndicats établis et d'une social-démocratie forte, il n'était pas moins vrai que ce jeune prolétariat numériquement faible, était très combatif.

Dans l'immédiat après-guerre, la préoccupation du mouvement prolétarien était d'étendre la vague révolutionnaire vers  l'ouest, vers les centres industriels du capitalisme. A cette époque,  comme aujourd'hui, la tâche centrale du prolétariat international ne pouvait être que de construire un pont au dessus du fossé qui  séparait l'est et l'ouest, fossé creusé par la division de l'Europe en nations victorieuses et nations vaincues, division due à la loi  de la guerre. A cette époque, comme aujourd'hui où toute la bourgeoisie entretient le mensonge qu'il y aurait deux systèmes différents à l'Est et à l'Ouest, les révolutionnaires avaient à combattre bec et ongles contre l'idée qu'il y ait quelque chose de fondamentalement différent dans les  conditions ou les buts de la lutte des ouvriers de l'est ou de l'ouest. Ce combat était nécessaire, par exemple, contre les mensonges de la social-démocratie allemande, selon laquelle la domination de classe était spécialement brutale et totalitaire à l'Est, mensonges destinés à justifier le support du SPD à son gouvernement dans la guerre contre la Russie.  Il était nécessaire d'insister sur le fait que cette brutalité particulière était conjoncturelle, et que les démocraties de l'ouest sont tout autant sauvages et dictatoriales en réalité. Cette guerre politique menée par les communistes contre ceux qui défendaient l'impérialisme démocratique, contre ceux qui  versaient des larmes de crocodile sur le massacre d'ouvriers dans la lointaine Finlande ou la Hongrie pendant qu'ils tuaient tranquillement les prolétaires en Allemagne, cette guerre doit être encore menée aujourd'hui contre les social-démocrates, les staliniens, les gauchistes. De tous temps, la tâche des communistes est de défendre l'unité fondamentale de la lutte internationale du prolétariat; de montrer que le rideau de fer ne doit pas être une barrière empêchant  la lutte collective des ouvriers du monde entier. Aujour­d'hui, comme pendant la vague révolutionnaire,  les tâches du mouvement sont les mêmes partout. Aujour­d'hui comme hier; l'Europe de l'Est est le maillon faible de l'impérialisme mondial, et les ouvriers de ces pays peuvent pendant un temps devenir l'avant-garde du prolétariat mondial.  Comme en 1917, quand les ouvriers du monde avaient à suivre l'exemple de leurs frères de classe russes aujour­d'hui  ils ont à tirer des leçons  de la lutte de classe en Pologne. Mais ils doivent aller au delà de cet exemple, comme l'Internationale Communiste l'avait compris, et devenir à leur tour une source d'inspiration et de clarification pour les ouvriers de l'Est.

L'HERITAGE  DE LA CONTRE REVOLUTION

La terreur ouverte qui  s'abattit sur l'Europe de l'Est   et du centre dans les années 20 et les années 30, associée à jamais à des noms comme Noske, Morthy,  Pilsduski,  Hitler,  Staline, a fini par éliminer presque physiquement la social-démocratie aussi,  lorsque les besoins  des différents capitaux nationaux changèrent radicalement dans une région où la classe ouvrière avait été lourdement vaincue et dominée par l'Allemagne et la Russie. Mais cela ne pouvait en rien aboutir à l'affaiblissement des  ILLUSIONS sociale-démocrates au sein de la classe, qui  ne peuvent être dépassées qu'à travers l'expérience de la lutte de classe. PRECI­SEMENT PARCE QUE  le capitalisme décadent a pris si vite la forme d'une dictature ouverte dans ces pays, se passant de raffinements tels que le cirque parlementaire ou les "syndicats indépendants", le leurre de ces organes, qui, autrefois, dans la jeunesse du capitalisme, ont fait avancer les positions de la classe,  devient de plus en plus évident avec l'avancée de la contre-révolution. Ni le fascisme, ni  le stalinisme ne pouvaient effacer la nostalgie qu'avaient les ouvriers à l'Est pour des instruments qui, aujourd'hui, à l'ouest, sont le corps des forces anti-prolétariennes. L'héritage social-démocrate,1a, croyance en la possibilité de transformer la vie des ouvriers à l'intérieur du capitalisme, qui ne peut offrir aujourd'hui que misère et destruction, et l'héritage nationaliste de la période qui a suivi la1ère guerre mondiale sont aujourd'hui  le cauchemar qui pèse sur la lutte pour un nouveau monde, et la freine,  une époque où  la base matérielle de ces illusions disparaît rapidement. Le coup le plus mortel  que "la contre-révolution ait porté contre le mouvement ouvrier fut le renforcement de ces  illusions.

Les ouvriers n'ont pas simplement subi  passivement les  défaites de  1930.  Partout en Europe centrale et en Europe de l'Est,  nous trouvons  des exemples  de batailles  héroïques  d'arrière-garde qui  ne  furent toutefois pas assez fortes pour changer le mouvement de la marée.  Nous pourrions parler par exemple de la résistance acharnée des ouvriers chômeurs en Allemagne au début des années  30, ou de la vague massive de grèves sauvages et d'occupations qui  a ébranlé la Pologne dans les années 30, mouvement ayant pour centre le bastion de Lodz. En Russie même, le prolétariat a continué à résister à la contre-révolution victorieuse jusque dans les années 30.

Mais  ce  furent réellement des tentatives  désespérées  d'auto-défense  d'une classe qui  n'était plus capable de développer une perspective propre.  Le caractère de plus en plus  désespéré de la situation avait déjà été mis en évidence par le soulèvement de Cronstadt en  1921, qui  a essayé de restaurer le rôle central des Conseils Ouvriers en Russie. Le mouvement fut écrasé par le même parti bolchevik qui  avait été quelques années auparavant  l'avant-garde du prolétariat mondial  mais désormais englouti dans  l'Etat dit  "ouvrier". La dégénérescence de toute  l'Internationale Communiste  face à la retraite mondiale et l'écrasement final des luttes  révolutionnaires  de la classe ouvrière, a ouvert la voie à  un triomphe complet du stalinisme. Le stalinisme fut la  forme  la plus perverse que prit la contre-révolution bourgeoise, parce qu'il a détruit les organisations, enterré les acquis  programmatiques du prolétariat  DE L'INTERIEUR, transformant les partis d'avant-garde du COMINTERN en organisations défendant le capitalisme d'Etat et la terreur, et réprimant la classe au nom du "socialisme". Ainsi furent effacées toutes  les  traditions du mouvement ouvrier,  d'abord en Russie et ensuite dans toute l'Europe de l'Est. Les noms de Marx et de Lénine, brandis par les staliniens pour travestir leur nature capitaliste,  furent identifiés à l'exploitation aux yeux des ouvriers comme Siemens ou Krupp en Allemagne. En 1956, les ouvriers hongrois en révolte ont même entrepris de brûler ces "livres sacrés" du gouvernement dans les rues. Rien ne symbolisait mieux le triomphe du stalinisme.

LA RESISTANCE  DES OUVRIERS  DANS LA PERIODE  D'APRES 1945

L'enterrement de la révolution d'octobre et de la révolution internationale, l'anéantissement du parti  bolchevik et de l'Internationale Communiste de l'intérieur, la liquidation du pouvoir des conseils ouvriers : telles furent les principales conditions à remplir pour l'avènement de l'impérialisme "rouge" "soviétique". Rouge du sang des ouvriers et des révolutionnaires qu'il a massacrés, symbolisé par Staline le bourreau, qui était le digne successeur du tsarisme et de l'impérialisme international  contre lequel  Lénine avait déclaré une guerre civile en 1914.

Les nazis affichaient le slogan  "liberté de travail"  "le travail  rend libre" sur les grilles d'Auschwitz. Mais ils gazaient leurs victimes. Dans la Russie stalinienne, de l'autre côté, les mots de national  socialisme furent repris littéralement. Dans les camps de Sibérie, c'est par millions qu'ils étaient conduits à la mort. Trotski dans les années 30, oubliant les critères politiques de classe, oubliant les ouvriers, appela ce sinistre bastion de la contre-révolution un "Etat ouvrier dégénéré" à cause de la façon spécifique dont les exploiteurs organisaient leur économie. Ses disciples finirent par saluer les conquêtes de l'URSS en Europe de l'Est comme une extension des acquis d'octobre.

La fin de la guerre de 39-45 amena une explosion de combativité des ouvriers en Europe, non seulement en France et en Italie, mais aussi en Allemagne, en Pologne, en Hongrie, en Bulgarie. Mais les ouvriers n'étaient pas capables d'affronter le capitalisme comme une classe autonome, ou même de se défendre effectivement. Au contraire, la classe tout entière était aveuglée par 1'antifascisme et la fièvre patriotique, et les comités qu'elle a fait surgir à cette époque n'ont fait que servir de soutien à l'Etat antifasciste et à l'organisation de la reconstruction de l'économie sous la botte de Staline/Churchill/Roosevelt. A la fin de la guerre, il y eut des actes suicidaires de rébellion contre la terreur nazie d'Etat. Par exemple, les grèves à Lodz et dans d'autres  villes  de Pologne, les révoltes dans les ghettos juifs et dans les camps de concentration,  résistance ouvrière armée -même en Allemagne- et des moments de mutinerie ou même de fraternisation chez les prolétaires en uniforme. Mais ces soubresauts de résistance, qui  pendant un moment ont pu raviver les espoirs  des quelques  révolutionnaires qui restaient en Europe, de ceux qui  n'avaient pas été supprimés par les Etats démocratiques,  staliniens ou fascistes,  restaient une exception.  La seconde guerre mondiale fut en fait le sommet de la défaite la plus écrasante que le prolétariat ait jamais souffert.  Il  n'y a qu'à voir   la barbarie sans précédent que fut le front de l'Est, où les classes ouvrières allemandes et russes furent lancées l'une contre l'autre dans  un combat fratricide et sanglant qui   fit presque 25 millions  de morts.

LE SOULEVEMENT DE VARSOVIE 

Sans espoir de perspective propre ; prolétariat pouvait être conduit à des actes de désespoir complet. Le meilleur exemple en fut le soulèvement de Varsovie qui  a commencé en août 1944. L'insurrection  fut déclarée par le  "Conseil Polonais d'Unité Nationale", comprenant toutes les forces antiallemandes de la bourgeoisie, incluant le vieux général Pilsduski et le SP polonais, qui avaient à eux deux réprimé plus d'un mouvement des ouvriers. Bien que les staliniens furent forcés de participer pour ne pas perdre leur dernière influence sur les ouvriers et leur "place d'honneur" dans la bourgeoisie dans l'après-guerre, le soulèvement fut autant antirusse qu'antiallemand. C'était supposé être le dernier grand pas par lequel  les polonais se "libéreraient eux-mêmes" et leur capitale, avant que Staline ne le fit. L'armée russe stationnait à 30 km de Varsovie. Les ouvriers polonais n'avaient besoin d'aucune aide. Ils avaient combattu la Gestapo pendant 63 jours, tenant tous les quartiers de la ville pendant de longues périodes. Les instigateurs bourgeois du mouvement, qui siégeaient à Londres, savaient très bien que la Gestapo ne quitterait pas la ville sans avoir détruit la résistance des ouvriers. Ce qu'ils voulaient en réalité, ce n'était pas une "libération polonaise de Varsovie"- ce qui n'a jamais été mis en question- mais plutôt un bain de sang qui scellerait l'honneur national et l'unité pour les années à venir. Et quand la Gestapo eut écrasé toute résistance, elle abandonna la ville à Staline, laissant un quart de million de morts derrière elle. Et l'armée soviétique qui  12 ans auparavant aurait été si  rapide à entrer dans Budapest et à écraser les conseils ouvriers, attendit patiemment que ses amis  fascistes eussent fini  leur travail. Le Kremlin ne voulait pas avoir affaire à des ouvriers armés ou aux fractions populaires pro-occidental es de la bourgeoisie polonaise.

L'ETABLISSEMENT DU REGIME STALINIEN

Pour tempérer l'orage des dernières hostilités et de la démobilisation et pour ne pas aiguiser trop tôt les tensions inter-impérialistes entre les alliés victorieux, les staliniens ont réuni des gouvernements de front populaire dans les pays de l'Est à la fin de la guerre; des gouvernements qui comprenaient des sociaux-démocrates, des gouvernements de droite et même fascistes.

Du fait de la présence des armées staliniennes en Europe de l'Est, la mise en place d'un contrôle absolu de l'Etat par les staliniens ne fut pas un problème et s'imposa presque  "organiquement" partout. En Tchécoslovaquie, quelques manifestations furent organisées par les PC avec l'aide de la police à Prague en 1948, manifestations qui  s'inscrivirent dans les livres d'histoire staliniens comme héroïque insurrection tchécoslovaque? Seule la complète étatisation de l'économie et la fusion de l'Etat et des PC en Europe de l'Est pouvaient garantir le passage définitif des "démocraties populaires" sous l'influence russe; le principal  problème auquel  furent confrontés les nouveaux dirigeants fut l'établissement de régimes qui  devaient avoir un certain soutien dans la population, particulièrement chez les ouvriers.

Dans l'Europe de l'Est de 1'entre-deux-guerres, les staliniens avaient été peu nombreux et isolés dans beaucoup de ces pays et même dans les endroits où ils étaient le plus influents comme en Tchécoslovaquie, en Allemagne, en Pologne, ils avaient eu à combattre sur un autre front les sociaux-démocrates.

Néanmoins, les staliniens en Europe de l'Est étaient en mesure de gagner certaines bases de soutien dans la société.  Ils n'avaient pas imposé leur règne dès le début au travers de la terreur d'Etat, à la différence des régimes staliniens en URSS. En aucun endroit en dehors de la Russie les staliniens ne furent identifiés à des instruments directs de la contre-révolution jusqu'en 1945, les staliniens avaient toujours été un parti  d'opposition, non un parti  de gouvernement. Plus encore, le racisme acharné, le chauvinisme et 1'antifascisme de cette fraction du capital lui attira des bénéfices dans les débuts de son règne. Le stalinisme en Europe de l'Est bénéficia du fait qu'il  venait au pouvoir au point le plus profond de la contre-révolution. Dès le début, il put utiliser l'anti-germanisme pour diviser la classe ouvrière, expulser des millions de paysans et d'ouvriers du bloc selon les théories raciales les plus  "scientifiques". Plus de cent mille ex-occupants des camps de concentration de langue allemande, qui avaient résista à la terreur nazie, furent ainsi par exemple expulsés de Tchécoslovaquie. Mais même 1'anti-germanisme ne fut qu'un complément et n'a pu remplacer le déjà traditionnel antisémitisme de l'arsenal  stalinien.

Après 1948, il  y eut un accroissement des tensions impérialistes entre les blocs dominés par les américains et les russes, qui s'exprima principalement par une compétition accrue au niveau militaire. Mais, de plus à cette époque, la période de reconstruction d'après-guerre commençait à battre son plein. A l'Est et à l'Ouest, cela signifiait la même chose pour les ouvriers :

- de plus hauts niveaux d'exploitation, des salaires réels plus bas, un accroissement de la répression étatique, et une plus grande militarisation de la société. Ce processus contribua à un renforcement de l'unité au sein de chaque bloc, qui dans le camp russe ne pouvait être accompli que par des méthodes terroristes : voir les procès anti-titistes..

Vu la faiblesse économique relative du bloc de l'Est, les attaques contre le niveau de vie ouvrier dans le camp russe devaient être plus brutales qu'à l'Ouest. La répression étatique amorça une nouvel-la escalade pour étouffer l'agitation sociale.

LES LUTTES  DE  1953

En  1953, la résistance prolétarienne surgit ouvertement pour la première fois  depuis la guerre. En l'espace de deux mois, trois éclats de lutte de classe ébranlèrent la confiance en soi   de la bourgeoisie. Au début de juin,  des émeutes à Pilsen, en Tchécoslovaquie,  durent être écrasées par l'armée. Dans le vaste camp de travail de Vorkuta en Russie, un demi-million de prisonniers se révoltèrent, conduits par mille mineurs,  déclarant la grève générale. Et en Allemagne de l'ouest,  il y eut le 17 juin une révolte ouvrière qui  paralysa les forces nationales de répression, et dut être écrasée par les tanks russes.

Le jour où les ouvriers d'Allemagne de l'Est se soulevèrent, des manifestations et des émeutes se produisirent dans sept villes polonaises. La loi martiale fut promulguée à Varsovie, à Cracovie et en Silésie, et les tanks russes durent participer pour réprimer les désordres. Presqu'au même moment également, les premières grandes grèves depuis les années 40 surgirent en Hongrie dans les grands centres du fer et de l'acier Matyas Rakosi de Csepel à Budapest. Les grèves s'étendirent à beaucoup de centres industriels de Hongrie, et des manifestations de masse paysannes eurent lieu dans la grande plaine hongroise ([1]).

Le 16 juin, des ouvriers du bâtiment à Berlin Est posèrent leurs outils, marchèrent sur les immeubles gouvernementaux et commencèrent à appeler à une grève générale contre l'accroissement des normes de production et l'abaissement des salaires réels. 24 heures plus tard, la plupart des centres industriels du pays étaient paralysés. Des comités de grève spontanément créés, coordonnant leurs luttes au niveau de villes entières organisèrent l'extension de la grève. Les  bâtiments de l'Etat et du Parti  furent attaqués, les prisonniers relâchés, la police était combattue partout où elle apparaissait. POUR LA PREMIERE FOIS MEME, LA TENTATIVE FUT FAITE D'E­TENDRE LA LUTTE AU DELA DES FRONTIERES DES BLOCS IMPERIALISTES. A Berlin, les manifestants marchèrent vers le secteur ouest de la ville, appelant à une solidarité des ouvriers de l'Ouest. Les alliés occidentaux, qui auraient certainement préféré que le mur de Berlin ait déjà été construit à cette époque, durent fermer leur secteur pour éviter la généralisation. ([2])

La révolte en Allemagne de l'Est, soumise comme elle l'était à des illusions sur la démocratie occidentale, le nationalisme, etc...ne pouvait pas menacer le pouvoir de classe de la bourgeoisie. Mais elle a par contre, certainement affaibli  la stabilité des régimes staliniens et l'efficacité de: la RDA comme remparts du bloc russe. Les événements de 1953 encouragèrent la bourgeoisie du bloc à prendre des initiatives :

-      réduction de la terreur étatique permanente et ouverte contre le prolétariat, qui  devenait trop dangereuse,

-    diminution de l'emploi de la terreur intérieure dans le Parti comme méthode de résoudre les combats de factions. De cette façon, on espérait devenir plus souple pour traiter avec une situation sociale de plus en plus difficile,

-        moins de terreur ouverte employée dans la production, méthode plus appropriée à la période de dépression mondiale et de guerre des années 30 et 40 qu'à la stabilité relative de la période de reconstruction d'après-guerre,

-        déclaration de l'ouverture d'une période de 'coexistence pacifique" avec le bloc américain" dans l'espoir de bénéficier du boom d'après-guerre de 1'Ouest.

       La mort curieusement propice de Staline permit à Kroutchev d'introduire l'initiative politique et économique dans cette direction. Mais 1953 sembla menacer l'exécution de ce changement de politique. La bourgeoisie craignait que ce changement lui-même puisse être interprété comme un signe de faiblesse, à la fois par les ouvriers et par ses "rivaux impérialistes occidentaux. En conséquence, le stalinisme suivit une course en zig-zag pendant 3 ans oscillant entre l'ancien style et le nouveau. En fait, l'expression classique d'une crise politique ouverte en Europe de l'Est n'est pas  les purges et les procès massifs, qui  ne font que révéler qu'une fraction a pris le dessus, mais ces oscillations hésitantes entre différentes fractions et orientations

LE SOULEVEMENT DE 1956

       Attention ! Citoyens de Budapest ! Soyez sur vos gardes ! Presque dix millions de contre-révolutionnaires se sont répandus dans le pays. Dans les anciens quartiers aristocratiques comme Cse­pel et Kispest, plus de 10000 anciens propriétaires, capitalistes, généraux et évêques se sont retranchés. A cause des ravages de ces gangs, seuls six ouvriers sont restés en vie, et ils ont formé un gouvernement sous la présidence de Janos Kadar." (Affiche sur un mur de Budapest, novembre 1956

       En  1956, la lutte de classe éclata en Pologne et en Hongrie. Le 28 juin, une grève quasi insurrectionnelle éclata à Poznam, en Pologne, et dut être réprimée par l'armée. Cet événement, qui était le point culminant d'une série de grèves sporadiques en Pologne -centrées en Silésie et sur la côte Baltique- accéléra la venue au pouvoir de la fraction "réformiste" conduite par Gomulka, nationaliste ([3]), acharné. Gomulka comprit l'importance de 1'anti stalinisme et de la démagogie nationaliste dans une situation dangereuse. Mais le Kremlin craignait que son nationalisme extrême n'encourage la croissance de tendances antistaliniennes organisées en Pologne, et il  s'opposa aux plans de Gomulka qui  voulait isoler le prolétariat en faisant des concessions à la paysannerie sur la question de la collectivisation. Mais malgré la désapprobation des russes qui  allèrent jusqu'à menacer d'une invasion militaire, Gomulka était convaincu de son rôle messianique de sauveur du capital  polonais face à un surgissement prolétarien. En fait, il  savait qu'afficher leur opposition à Moscou ne pouvait que raffermir la popularité légèrement entamée des staliniens en Pologne.  Il ordonna donc à l'armée polonaise de bloquer les frontières avec la Russie et menaça même d'armer les ouvriers de Varsovie dans l'éventualité d'une invasion. Mais contrairement à ce que disent encore par exemple les trots­kistes aujourd'hui,- c'est à dire que Gomulka a-vait menacé les russes d'un soulèvement populaire-ce que faisait alors le stalinisme polonais n'était qu'essayer d'AVERTIR ses amis du Kremlin du DANGER d’un tel  soulèvement.

Kroutchev savait très bien que la Pologne, coincée comme elle est entre la Russie et ses avant-postes militaires en Allemagne, ne pouvait pas s'allier avec le bloc américain, qu'elle soit gouvernée par Gomulka ou par un autre. Les russes furent ainsi persuadés de céder, et ce "triomphe national" ajouta de l'auréole aux mensonges qui  faisaient vivre les partisans de Gomulka. Bien que la bourgeoisie polonaise ait de façon évidente réussi à empêcher des explosions plus fortes, la situation est restée critique. Le 22 octobre il y eut de violents affrontements entre les ouvriers et la police à Wroclaw. Un jour plus tard, il y eut des manifestations orageuses à Gdansk, et des grèves éclatèrent dans différents endroits du pays, y compris dans le secteur clé de l'automobile Zeran à Varsovie.

Le même jour, le 23 octobre, une manifestation appelée par des groupes d'étudiants staliniens oppositionnels à Budapest en Hongrie, en solidarité avec la Pologne, attira des centaines de milliers de gens. La manifestation était comprise comme une manifestation de soutien à Gomulka, et non aux ouvriers qui étaient en grève contre le gouvernement. Son but immédiat était de mettre au pouvoir l'aile "réformiste" de la bourgeoisie hongroise, conduite par Nagy. La manifestation finit par de violents affrontements entre de jeunes ouvriers et la police politique aidée par des unités de tanks russes. Les batailles de rue firent rage toute la nuit. Les ouvriers avaient commencé à s'armer. ([4])

Quand les premières dramatiques nouvelles des évènements de Budapest arrivèrent à Varsovie, Gomul­ka était en train de tenir un meeting d'un quart de million de gens.  Il  avertit les ouvriers polonais qu'il ne fallait pas "se mêler des affaires hongroises". La principale tâche de l'heure était de "défendre les acquis de l'octobre polonais", et de s'assurer qu'aucune dissension ne déchire plus la patrie.

24 heures après les premiers affrontements à Budapest, un gouvernement "progressiste" conduit par Nagy était instauré, et appela immédiatement à la restauration de l'ordre avec la collaboration étroite et constante des généraux russes. Le soir du même jour, la révolte s'était développée jusqu'à un niveau insurrectionnel. 2 jours après, le pays tout entier était paralysé par une grève de masse de plus de 4 millions d'ouvriers. L'extension de la grève de masse, la diffusion des nouvelles et le maintien des services essentiels avaient été pris en charge par les conseils ouvriers. Ces derniers avaient surgi  partout, élus dans les usines et responsables devant les assemblées. Pendant des jours, ces conseils assuraient la centralisation de la grève. En une quinzaine de jours, cette centralisation était établie dans l'ensemble du pays.

Les régimes du bloc de l'Est sont rigides comme des cadavres, insensibles aux besoins changeants de la situation. Mais quand ils voient leur existence directement menacée, ils deviennent remarquablement souples et ingénieux. Quelques jours après le début de la lutte, le gouvernement Nagy arrêta de dénoncer ces résistances et essaya même d'en prendre la tête, pour éviter une confrontation directe avec l'Etat. On annonça que les conseils ouvriers seraient reconnus et légalisés. Puisqu'il n'était pas possible de les écraser, il fallait les étrangler par la bureaucratie, en les intégrant à l'Etat capitaliste. Et on promit le retrait    des forces armées russes.

Pendant 5 jours,  les divisions de l'armée russe, durement touchées, se retirèrent. Mais pendant ces 5 jours, la position politique des staliniens hongrois empira dangereusement. La fraction de Nagy, qui avait été présenté  comme le "sauveur de la nation", après seulement UNE SEMAI­NE  au pouvoir, était en train de perdre rapidement la confiance de la classe ouvrière. Maintenant avec le temps qui  passait, elle n'avait plus d'autre alternative que de se faire le faux porte-parole du mouvement, utilisant à plein toutes les mystifications bourgeoises qui pouvaient empêcher la révolte de devenir une révolution. Les illusions démocratiques et surtout nationalistes des ouvriers devaient être renforcées, pendant que le gouvernement essaierait d'arracher la direction du mouvement aux conseils ouvriers qui le tenaient en main. Pour cela, Nagy déclara la neutralité de la Hongrie, et son intention de retirer sa participation à l'alliance militaire du Pacte de Varsovie. C'était un pari  désespéré,  une tentative de faire un nouveau Gomulka mais dans des circonstances beaucoup plus défavorables. Et il échoua. D'un côté, parce que Moscou n'était pas prêt à retirer ses troupes d'un pays en bordure du bloc de l'Est. D'un autre côté, parce que  les conseils ouvriers bien qu'en majeure partie sous l'emprise du mouvement de Nagy ne voulaient pas perdre le contrôle de leurs propres luttes.

Ce qui  était décisif pour  le sort de la révolte prolétarienne en Hongrie alors, c'était l'évolution de la situation en Pologne. Des manifestations  de solidarité avec la Hongrie avaient encore lieu dans de nombreuses villes. Un meeting de masse en solidarité fut tenu à Varsovie. Mais, fondamentalement, les Gomulkistes avaient le contrôle de la situation. L'identification des ouvriers polonais avec "la patrie" était encore forte. Une lutte internationale des ouvriers polonais et de leurs frères de classe hongrois n'était pas encore à  l'ordre du jour.

Avec Gomulka et le poison nationaliste qui  assuraient l'ordre en Pologne, les forces armées  russes avaient une main libre pour s'occuper du prolétariat hongrois. 5 jours après avoir quitté Budapest, l'armée soviétique revint pour écraser les soviets ouvriers.  Ils rasèrent les quartiers ouvriers, tuant 30.000 personnes selon les estimations. Mais malgré cette occupation, la grève de masse continua pendant des semaines, et ceux qui  défendaient la position de l'arrêt de la grève dans les conseils étaient révoqués. Et même après que la grave de masse fut terminée, des actes de résistance continuèrent à se produire régulièrement jusqu'en janvier 1957. En Pologne, les ouvriers manifestèrent à Varsovie et s'affrontèrent à la police à Bydgoscz et Wroclaw, et essayèrent de saccager le consulat de Russie à Szczecin. Mais les ouvriers en Pologne n'avaient pas identifié leurs PROPRES exploiteurs aux massacreurs du prolétariat hongrois. Et même en Hongrie, les conseils ouvriers continuèrent, jusqu'à leur dissolution, à négocier avec Kadar et ne voulaient pas croire que lui et son mouvement avaient collaboré avec le Kremlin à écraser la classe  ouvrière.

1956 : QUELQUES CONCLUSIONS

Les grèves de 1953-56 dans les pays de l'Est n'inauguraient pas un surgissement de la lutte de classe au niveau mondial, ou même une nouvelle période de résistance de la part des ouvriers des pays de l'Est eux-mêmes. Elles représentaient plutôt le dernier grand combat du prolétariat mondial prisonnier de l'étau de la contre-révolution. Et pourtant, dans l'histoire du mouvement de libération du prolétariat, elles étaient d'une grande importance. Elles affirmaient le caractère révolutionnaire de la classe ouvrière, et montraient clairement que les revers qu'essuyait la classe ouvrière dans le monde entier n'étaient pas éternels. En tant que telles, elles annonçaient déjà la venue d'une remontée de la lutte prolétarienne, qui arriva plus de 10 ans plus tard. Elles commençaient à montrer le chemin pour un second assaut contre le capitalisme, qui aujourd'hui pour la première fois depuis la fin de la 1ère guerre mondiale, entre en mouvement, lentement mais sûrement. Les  luttes de 1956  ont prouvé :

-        que la bourgeoisie ne peut pas garder éternellement le prolétariat sous son contrôle, une fois qu'elle a commencé à perdre son contrôle IDEOLOGIQUE,

-        que la classe ouvrière, loin d'avoir besoin de "syndicats indépendants" et de "droits démocratiques" pour mener sa lutte, développe sa résistance et s'affronte à  l'Etat capitaliste d'autant plus tôt que ces organes de la bourgeoisie sont plus absents ou inefficaces,

-        que les organes de masse de la lutte prolétarienne, les conseils ouvriers, et les assemblées et les comités d'ouvriers en lutte qui  les précèdent, sont la seule forme d'organisation des ouvriers possible clans la période de décadence du capitalisme,

-        plus encore, 1953-56 prouva que les buts et les méthodes de la lutte des ouvriers sont aujourd'hui les mêmes partout. La notion d'une différence entre l'Est et l'Ouest ne peut sa baser que sur :

-soit un mensonge contre-révolutionnaire des staliniens et des trotskistes pour soutenir le "socialisme" ou "l'Etat ouvrier" dans le bloc russe

-soit une légende occidentale selon laquelle il y aurait un "monde libre" en conflit avec un "monde totalitaire"

-soit une conception bordiguiste sur l'existence d'un  "jeune capitalisme" dans la Russie stalinienne et dans les pays de l'Est après la guerre, qui achèverait les tâches de la révolution bourgeoise

-soit la tendance, très forte dans les premiers temps dans le KAPD, et clairement formulée par Gorter dans sa "Réponse au camarade Lénine" à diviser l'Europe en Est et Ouest suivant une ligne

-   disons de Gdansk à Venise!  - et à croire que les ouvriers à l'ouest de cette ligne sont plus capables de s'organiser de façon autonome qu'à l'Est.

Tout cela est faux! Il  n'y a PAS DE DIFFERENCE QUALITATIVE entre l'Est et l'Ouest. Ce qu'on peut dire, c'est que la situation à l'Est est un exemple extrême, sous beaucoup d'aspects, des conditions générales du capitalisme décadent partout dans le monde. Les manifestations et l'évolution différentes de la MEME lutte de classe, que nous  devons analyser, nous montre que la lutte de classe dans le bloc russe est EN AVANCE sous certains aspects et en RETARD sous d'autres aspects par rapport à l'ouest. Et cela prouve seulement Ta nécessite que l'ensemble de la classe tire les leçons de ses luttes où qu'elles aient lieu.

Il  est vital  que les ouvriers et les révolutionnaires de l'ouest tirent les leçons de la façon dont leurs frères  de classe à l'Est  AFFRONTENT IM­MEDIATEMENT ET SOUVENT VIOLEMMENT L'ETAT PAR LA GREVE  DE MASSE,  ETENDANT LEUR MOUVEMENT A AUTANT D'OUVRIERS QU'IL EST POSSIBLE, et faisant de cette généralisation la préoccupation la plus pressante de tout le combat. Cette nature particulièrement explosive de la lutte de classe à l'Est est le résultat de plusieurs circonstances   :

-    Le manque d'amortisseurs, comme les syndicats "indépendants", de partis politiques d'"alternative", de procédures légales et "démocratiques", qui pourraient détourner les heurts directs avec l'Etat

-   Du fait que les ouvriers de l'Europe de l'Est ont de façon plus évidente le même employeur -l'Etat- la mystification des ouvriers ayant des intérêts différents selon l'entreprise, l'industrie, la ville etc., a beaucoup moins de poids. Plus encore, l'Etat est l'ennemi  immédiat de tout mouvement de classe ; même les plus simples revendications de salaire prennent plus vite une nature politique. Il est d'une évidence claire que l'Etat est l'ennemi collectif de tous les ouvriers.

-    La menace omniprésente de la répression étatique ne laisse aux ouvriers AUCUNE ALTERNATIVE AUTRE que d'étendre leur lutte, s'ils ne veulent pas être massacrés.

Ces conditions existent aussi à l'Ouest, mais sous une forme moins aiguë. Mais l'important est de voir comment la généralisation de la crise économique mondiale ne pourra qu'accentuer inévitablement ces conditions à l'ouest. Ainsi, la crise internationale du capitalisme est en train aujour­d'hui  de jeter les bases d'une résistance internationale demain. Elle ouvre déjà la perspective de l'internationalisation des luttes.

En fait il  n'y a rien de plus naturel  pour les ouvriers, qui ont partout les mêmes intérêts à défendre, que d'unir leurs forces et de lutter comme une seule classe. C'est la bourgeoisie divisée en d'innombrables capitaux nationaux au sein desquels existent d'aussi  innombrables factions, qui a besoin d'ordre dans l'Etat capitaliste pour défendre ses intérêts de classe communs. Mais dans la période où le capitalisme se désagrège, l'Etat n'a pas seulement à maintenir par la force le tissu   social et: économique, mais il  doit aussi s'organiser en permanence pour éviter l'unification de la classe ouvrière. Il renforce la division du prolétariat en différentes nations, industries, régions, blocs impérialistes etc., de toute sa puissance, travestissant le fait que ces divisions représentent des conflits d'intérêts à l'intérieur du camp des exploiteurs. C'est pour cela que l'Etat entretient si soigneusement ces armes, du nationalisme aux syndicats, qui empêchent l'unification du prolétariat.

Les limites des  luttes ouvrières des années 50 étaient en dernière instance déterminées par la période de contre-révolution dans laquelle elles se situaient, même si  ces limites ont pu être quelquefois dépassées, ici et là. En Pologne, et même en Hongrie, le mouvement n'est jamais au-delà d'une tentative de faire pression sur le parti stalinien ou d'en soutenir une fraction contre une autre. En Allemagne de l'Est en  1953, les illusions démocratiques et nationalistes sont restées intactes s'exprimant dans les sympathies des ouvriers pour "l'ouest" et la social-démocratie allemande. Tous ces surgissements furent dominés par le nationalisme, et par l'idée que ce n'est pas le capitalisme qui est à blâmer mais   "les russes". En dernière analyse, alors que les Gomulka et Nagy s'étaient trop exposés, le nationalisme restait la seule protection de l'Etat, détournant la colère ouvrière vers l'Armée russe coupable de tout. C'étaient des mouvements ouvriers, pas des mouvements nationalistes, et c'est pour ça que le nationalisme les a détruits.  Il  empêcha l'extension de la lutte au delà des frontières, et ceci  fut décisif. En 1917, il  fut possible au prolétariat de prendre le pouvoir- en Russie- alors que la lutte de classe restait souterraine dans la grande majorité des autres pays. Cela était du au fait que la bourgeoisie mondiale était enfermée dans le conflit mortel  de la 1ère guerre mondiale, et les ouvriers de Petrograd et de Moscou purent entreprendrai le renversement de la bourgeoisie russe, seuls. Mais déjà en 1919, alors que la vague révolutionnaire commençait à s'étendre à d'autres pays,  la bourgeoisie commença à s'unir contre elle. Aujour­d'hui comme en 1919 et en 1956, les exploiteurs sont unis à travers le monde entier contre le prolétariat. En même temps qu'ils se préparent à la guerre les uns contre les autres, ils se viennent mutuellement en aide lorsque leur système comme un tout est mis en danger.

En novembre 1956 le prolétariat hongrois était confronté à la réalité que MEME LE RENFORCEMENT DU MOUVEMENT DES CONSEILS, LE MAINTIEN D'UN SOLI­DE FRONT DE GREVE COMPRENANT DES MILLIONS D'OU­VRIERS,  PARALYSANT L'ECONOMIE,  ET LA COMBATIVITE INTACTE DE LA CLASSE MALGRE LA POIGNE DE L'OCCU­PATION MILITAIRE RUSSE RESTAIENT INSUFFISANTS. La classe ouvrière hongroise, avec son cœur de lion, RESTAIT DESEMPAREE, PRISONNIERE DES FRONTIERES NATIONALES, DE LA PRISON NATIONALISTE;

Ce fut l'isolement national, et non les panzers de l'impérialisme moderne, qui  les a vaincus. Quand la bourgeoisie sent que son règne est en danger, elle ne se préoccupe plus guère de l'état de son économie, et elle aurait pu se préparer à une grève totale pendant des mois et des mois, si elle pensait qu'elle pourrait de cette façon briser son adversaire. Ce fut précisément l'idéologie nationaliste, cette ordure ingurgitée et revomie par les ouvriers sur les "droits du peuple hongrois", cette pourriture dont les a gavés le parti stalinien, mais aussi  la BBC et Radio Free Europe, qui a épargné au parti  stalinien et à l'Etat capitaliste d'être malmenés sévèrement. Malgré toute la puissance de leur mouvement,  les ouvriers hongrois n'ont pas  réussi  à détruire l'Etat ou une de ses institutions. Pendant qu'ils s'attaquaient à la police politique hongroise et aux tanks russes, dans les premiers jours de la révolte, Nagy était en train de réorganiser la police régulière et les forces armées, dont certaines unités l'avaient rejoint,  lui  et sa croisade nationaliste. Certains conseils ouvriers semblent avoir pensé que ces unités avaient rejoint les  rangs du prolétariat mais en fait ils ne faisaient que faire semblant de faire cause commune avec les ouvriers à condition qu'ils servent les intérêts nationaux. 48 heures après que Nagy ait restructuré la police et l'armée, elles étaient déjà envoyées contre des groupes intransigeants d'ouvriers insurgés! Les conseils ouvriers, fascinés par le tambour patriotique, ont même voulu participer au recrutement d'officiers pour cette armée. Voilà comment le nationalisme sert à attacher le prolétariat à ses exploiteurs et à l'Etat.

L'extension de la lutte de la classe ouvrière au delà des frontières nationales est aujourd'hui  une PRE-CONDITION absolue pour renverser l'Etat dans n'importe quel  pays. La valeur des luttes des années 50 a été de montrer à quel  point elle était indispensable. Seule la lutte internationale peut aujourd'hui être efficace et permettre au prolétariat d'accomplir ses réelles potentialités.

Comme le montre 1956, avec la généralisation de la crise et la simultanéité de la lutte de classe dans différents pays, une autre clé de l'internationalisation du combat prolétarien est la prise de conscience de la part des ouvriers qu'ils s'affrontent A UN ENNEMI  UNI A L'ECHELLE MONDIALE.  En Hongrie,  les ouvriers chassèrent les troupes,  la police et les douaniers des régions frontalières, pour rendre possible une aide de l'extérieur.  Les bourgeoisies russes, tchèques et autrichiennes réagirent en fermant les frontières autour de la, Hongrie avec leurs armées.

Les autorités autrichiennes invitèrent même les russes à inspecter le bon déroulement de l'opération. ([5]) Face au front uni de la bourgeoisie mondiale, à l'Est et à l'Ouest, les ouvriers commencèrent à briser la prison nationale et à lancer des appels à leurs frères de classe des autres pays. Les conseils ouvriers dans plusieurs zones frontalières commencèrent à en appeler directement au soutien des ouvriers en Russie, en Tchécoslovaquie et en Autriche, et la proclamation des conseils ouvriers de Budapest à l'occasion des dernières 48 heures de grève générale des ouvriers en décembre, appelait des ouvriers du monde entier à des grèves de solidarité avec les luttes du prolétariat en Hongrie ([6]).

Condamnée par la période de défaite mondiale pendant laquelle elle se produisit, la vague de l'Europe de l'Est et des années 50 fut isolée par la division du monde industriel en deux blocs impérialistes, dont l'un d'eux, le bloc américain, connaissait alors "l'euphorie" du boom de la reconstruction d'après-guerre. Les conditions objectives pour une internationalisation, surtout par delà les frontières des blocs -c'est à dire la généralisation de la crise et de la lutte de classe- n'existait pas à l'échelle mondiale, ce qui empêcha la rupture décisive avec le nationalisme en Europe de l'Est. Seul un combat ouvert des ouvriers dans différentes parties du monde pourra permettra de démontrer aux ouvriers du monde entier que ce n'est pas CE gouvernement ou CE syndicat mais toutes les parties et tous les syndicats qui défendent la barbarie capitaliste contre les ouvriers et qu'ils doivent être détruits. Aucune perspective fondamentale de la révolution prolétarienne ne peut être défendue autrement qu'à l'échelle mondiale.

LA FIN DE LA CONTRE REVOLUTION

LA LUTTE DE CLASSE EN RUSSIE

Dans cette étude de la lutte de classe en  Europe de l'Est nous n'avons pas encore parlé de la  Russie,  le chef de file du bloc de l'Est. Comme partout dans  le monde,  les années  1948 ont vu en URSS une attaque  frontale contre le niveau de vie ces exploités comme dans  les pays satellites, cette attaque a provoqué une réaction décidée des ouvriers. Mais si  nous parlons de la Russie séparément c'est à cause de certaines conditions  spécifiques qui jouent dans  la  situation du pays   :

-         le niveau de vie des ouvriers et des  paysans en URSS est beaucoup plus bas que dans les autres  pays de l'Est,  surtout quand on tient compte de la Russie asiatique ;

-         la bourgeoisie en URSS exerce un contrôle sur tous  les aspects de la  vie à un degré inimaginable dans d'autres  pays  de l'Est, même en RDA

-         le stalinisme en Russie ne jouit d'aucune confiance de la  part de la classe ouvrière ; il   n'y a jamais eu des Nagy et des  Gomulka pour induire les ouvriers en erreur.

Mais  la force des illusions que les ouvriers  peuvent nourrir à  l'égard de leurs oppresseurs  -et en Russie c'est très peu- n'est qu'un des éléments qui déterminent le rapport de  forces entre les classes. Un autre élément, et de taille, est la capacité du prolétariat à développer une perspective propre, une alternative de classe.  Pour les ouvriers de la Russie stalinienne cette tâche est plus  difficile qu'elle n'a jamais été dans toute l'histoire du mouvement ouvrier. On doit ajouter à cette situation la profondeur de la contre-révolution en Russie et aussi  les énormes distances qui séparent les centres ouvriers, d'une part en URSS les uns des autres et, d'autre part des concentrations ouvrières de l'Europe occidentale.  Cet isolement géographique est exacerbé politiquement et militairement par 1'Etat.

Au début des années 50 ce prolétariat russe qui trente années auparavant avait ébranlé le monde capitaliste commence à reprendre le chemin de sa lutte. Les premiers épisodes de résistance ont eu lieu dans les camps de concentration en Sibérie: à Ekibadus en 1951; dans toute une série de camps -Pestscharij, Wochruschewo, Oserlag, Goxlag, Norilsk- en 1952; a Retschlag-Vorkuta en juil-letl953 et à Kengir et Kazakstan en 1954. Ces grèves insurrectionnelles, touchant des millions d'ouvriers, ont été férocement réprimées par le KGB. Soljenitsyne, un des hommes le mieux documenté sur les camps staliniens,  insiste sur le fait que ces luttes n'ont pas été vaines et qu'elles ont contribué à des fermetures de ces  institutions du "réalisme socialiste".

La première grève des ouvriers  "libres" que nous connaissons dans la période d'après -guerre concerne l'usine Thalmans de Voroneschen en 1959. Cette grève a gagné le soutien de l'ensemble de la ville   ; elle s'est terminée avec l'arrestation de tous les grévistes par le KGB. L'année d'après; dans un chantier à Ternir-Tau au Kazakstan une grève violente a éclaté pour protester contre les "privilèges" dont jouissent les ouvriers bulgares. Ce conflit, où les ouvriers se sont divisés les uns contre les autres, a crée un terrain favorable à la répression du KGB. Ce dernier a rempli  des camions entiers de cadavres.

Dans les années  1960-62 une série de grèves éclate dans la métallurgie du Kasaskstan et dans la région minière de Dombass et le Kouzbass. Le point culminant de cette vague est atteint à Novotschkesk où une grève de 20.000 ouvriers de l'usine de locomotives contre l'augmentation des prix et des cadences  provoque une révolte de toute la ville. Le KGB est envoyé par avion après que la police et les unités de l'armée locales aient refusé de tirer sur les ouvriers. Le KGB fit un massacre ; ensuite il  renvoya tous les "meneurs" en Sibérie et fusilla les troupes qui avaient refusé de tirer. C'était la première fois que les ouvriers répondaient par la violence de classe au KGB : ils tentèrent de prendre les casernes et les armes. Un des slogans de cette grève était : "tuer  Kroutchev".

Dans les années 1965-69 de grandes grèves éclatent pour la première fois dans les CENTRES urbains de la Russie européenne, dans l'industrie chimique à Leningrad, dans la métallurgie et l'automobile à Moscou. A la fin des années 60 on a beaucoup de témoignages de grèves dans plusieurs endroits en URSS : à Kiev, dans la région de Sverdlovsk, en Moldavie, etc..

La bourgeoisie russe, consciente du danger d'une généralisation des grèves, réagit toujours immédiatement à de tels événements. En quelques HEURES elle fait des concessions ou elle envoie le KGB ou les deux à la fois. L'histoire de la lutte de classe en Russie dans les années 50-60 est une série d'éclatements brusques, spontanés,  violents ; souvent les grèves ne durent pas plus que quelques heures et n'arrivent pratiquement jamais à rompre l'isolement géographique.  Dans toutes les grèves -et nous n'en mentionnons qu'un petit nombre ici- nous ne connaissons pas de formation de comités de grève bien qu'il y eut des assemblées de masse. Ces luttes d'un courage et d'une détermination incroyables témoignent aussi  d'un élément de désespoir,  d'un manque de perspective pour une lutte collective contre l'Etat. Mais  le seul  fait qu'elles aient surgi  était le signe annonçant que la longue période de contre-révolution mondiale prenait fin.  ([7])

LA TCHECOSLOVAQUIE  1968

Un autre signe de la fin de la contre-révolution est le développement des luttes ouvrières en Tchécoslovaquie à la fin des années 60. La Tchécoslovaquie dans les années 40 et 50 avait l'économie la plus développée et prospère de toute l'Europe de l'Est.  Elle était un moteur de la reconstruction d'après-guerre en exportant des capitaux à ses voisins ; elle avait le niveau de vie le plus élevé du Comecon. Mais elle commence à perdre  sa compétitivité rapidement dans les années 60. Le meilleur moyen pour la bourgeoisie de contrecarrer cette tendance était de moderniser l'industrie à travers des accords commerciaux et technologiques avec l'occident, financés par une réduction des salaires réels. Mais le danger d'une telle politique apparut dès les années 50 et fut confirmé par l'éclatement de grèves dans différents endroits du pays dans la période 1966-67.

C'était cette situation de crise qui  amena la fraction Dubcek de l'appareil  du Parti-Etat au pouvoir. Cette fraction inaugura une politique de libéralisation dans l'espoir d'amener les ouvriers à accepter l'austérité; comme contrepartie les ouvriers avaient le  "privilège" de lire des "mots durs" de critiques contre certains  leaders dans la presse du parti. Le  "printemps de Prague" en 1968, se déroulant sous l'œil  paternel  du gouvernement et de la police, défoulait le zèle nationaliste et régionaliste des étudiants, des intellectuels et des petits fonctionnaires du parti  qui  se sentaient tout fraichement solidaires avec l'Etat. Mais cette ferveur patriotique, rapprochée d'une réapparition des partis oppositionnels -le tout ayant pour unique but de faire croire à un stalinisme  "à visage humain" et venant en même temps qu'une ouverture économique vers  1'occident est allé trop loin pour Moscou et Berlin/Est.

L'occupation de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie était plus une réaffirmation  de l'unité militaire et politique du bloc russe    qu'un coup porté directement contre le prolétariat. Dubcek, qui  croyait avoir la situation bien en main et qui  ne nourrissait aucune illusion sur la possibilité d'un détachement du bloc russe, était furieux contre cette invasion. Tout en utilisant cette occasion pour renforcer les sentiments nationalistes, Dubcek avait le souci d'éviter une réaction ouvrière à l'invasion.  En réalité le  "Dubcekisme" qui  inspirait tant d'intellectuels avait très peu d'impact sur les ouvriers. Pendant le  "printemps de Prague", toute une série de grèves sauvages surgirent un peu partout dans le pays surtout dans les secteurs  industriels et dans  les transports. Des comités de grèves se sont formés pour centraliser la lutte et pour protéger les grévistes contre la répression de l'Etat. Dans toutes les usines  principales on a revendiqué des augmentations de salaire en compensation des années  de pénurie. Dans plusieurs usines,  les ouvriers ont voté des résolutions condamnant   la pierre angulaire du  "réformisme" à la Dubcek -la fermeture des usines non-rentables. Les ouvriers sont restés indifférents aux efforts de l'Etat pour former des  "conseils ouvriers" de cogestion qui devaient mêler les ouvriers à l'organisation de leur propre exploitation. Quand les élections à ces   "conseils" ont finalement eu  lieu, moins de 20% des ouvriers ont participé au vote.

Cette réponse de classe au  "Dubcekisme" a été brisée par 1'invasion d'août 1968 qui   "enfin" commençait à ramener les ouvriers sous  la bannière de l'hystérie nationaliste, La lutte de classe a aussi  été brisée par une radicalisation importante des syndicats. Après avoir soutenu le programme d’austérité de Dubcek ils se sont mis dans l'opposition, soutenant les hommes de Dubcek qui  restaient au gouvernement.   (Ces derniers pour leur part,  se sont attachés à  rétablir l'ordre en collaboration avec les  forces armées autochtones et "invitées").  Pendant que  les étudiants et les oppositionnels appelaient les ouvriers à des manifestations de masse  -des réaffirmations bien encadrées de patriotisme et de condamnations de la trahison de Dubcek  (par rapport au capital national)- les syndicats menaçaient en même temps de déclencher des  grèves  générales si  les Dubcekistes étaient éliminés  du gouvernement. Mais le rôle historique de Dubcek s'est achevé, pour le moment en tout cas. Et quand les pontes  de Dubcek  ont tranquillement disparu du haut de l'appareil,  les syndicats ont laissé tomber leurs projets  "combatifs", ayant plus peur de  "leurs" ouvriers, qui pouvaient échapper à  leur contrôle, que des  russes. Ils se sont adaptés à nouveau à des  formes plus paisibles  de patriotisme.

LA POLOGNE  1970

La  lutte  de classe des ouvriers tchèques au printemps et en été  1968 est significative non seulement de cette  résistance momentanée des ouvriers  face au barrage nationaliste et démocratique de  la bourgeoisie  (cette résistance a effectivement marque  une brèche  importante)  mais surtout parce que cette lutte se situe dans  le contexte d'un surgissement mondial   de  la lutte prolétarienne en réponse a   la crise de l'économie    mondiale à la  fin de  la  période de  reconstruction.  Les ouvriers en Tchécoslovaquie ne sont pas allés aussi loin que leurs  frères  de classe en France au printemps  1968,  surtout parce que le poids des mystifications nationalistes s'est montré une fois de plus, trop fort à l'Est. Mais  il  y a beaucoup de points communs entre les deux situations,  ce qui confirme la CONVERGENCE  fondamentale des conditions auxquelles se heurtent les ouvriers à l'Est et à  1"Ouest dans  la crise du capitalisme ;  par exemple   :

-   l'éclatement brusque et inattendu de la lutte de classe,  prenant de court les syndicats qui  se sont trouves  dans  des situations compromettante ; ébranlant la confiance des équipes gouvernemental les  (Dubcek,  de Gaulle)  qui  croyaient avoir la situation bien en main   ;

-        une réponse claire des ouvriers  refusant de payer la crise capitaliste;

-        le poids de l'idéologie oppositionnelle,  véhiculée essentiellement par les étudiants, empêchant le développement de la conscience prolétarienne et l'autonomie de classe.

Mais l'affirmation la plus définitive et dramatique de la fin de la nuit de la contre-révolution vient avec la Pologne 1970-71.

En décembre 1970 la classe ouvrière polonaise réagit massivement, totalement, spontanément, à une hausse des prix de plus de 30%. Les ouvriers détruisent les sièges du parti  stalinien à Gdansk, Gdynia et Elblag. Le mouvement de grève s'étend de la côte bal tique à Poznan, à Katowice, et à la Haute-Silésie, à Wroclav et à Cracovie. Le 17 décembre Gomulka envoie ses tanks dans les ports de la Baltique. Plusieurs centaines d'ouvriers sont tués. Des batailles de rue ont lieu à Stettin et à Gdansk. La répression ne réussit pas à écraser le mouvement. Le 21 décembre une vague de grèves éclate à Varsovie, Gomulka est renvoyé ; son successeur Gierek devait aller tout de suite négocier personnellement avec les ouvriers des docks de Warski à Stettin. Gierek fait quelques concessions mais  refuse d'annuler les hausses de prix. Le 11 février une grève de masse éclate à Lodz, déclenchée par 10.000 ouvriers du textile. Gierek cède alors , les augmentations des prix sont annulées.  ([8])

LA GENERALISATION du mouvement à travers le pays a eu raison de la répression de l'Etat polonais. Mais pourquoi  les forces du pacte de Varsovie ne sont-elles pas intervenues comme deux ans auparavant à Prague?

-        Les luttes des ouvriers polonais se situent fermement sur le terrain des revendications ouvrières ; les ouvriers ont résisté aux attaques contre leur niveau de vie et n'ont pas appelé à un quelconque "renouvellement national". Les ouvriers ont compris que l'ennemi est autant dans leur propre pays et pas seulement en Russie.

-        Il  n'y avait pas d'appels à des forces démocratiques ni  dans le PC polonais ni en Occident.  Il y avait des ouvriers qui croyaient en la possibilité de "réconcilier" le parti et les ouvriers mais il  n'y avait plus de fractions dans l'appareil qui jouissaient de la confiance des ouvriers et donc il  n'y avait personne qui  pouvait mystifier les ouvriers.

-     Pour la première fois depuis la vague révolutionnaire de 1917-23, l'Europe de l'Est a connu une lutte de masse qui  s’est GENERALISEE AU DELA DES FRONTIERES NATIONALES. Les événements polonais ont déclenché une vague de grèves et de protestations dans les républiques baltiques de l'URSS et dans la Russie occidentale, centrée sur les villes de Lvov et Kaliningrad.

Le surgissement polonais a été le produit de tout un processus de maturation dans la classe au cours des années 50 et 60.  D'une part le prolétariat retrouve sa confiance en soi et sa combativité au fur et à mesure qu'une nouvelle génération d'ouvriers grandit avec les promesses d'après-guerre sur un monde meilleur, une génération qui n'est pas aigrie par les défaites amères de la période contre-révolutionnaire, qui  n'est pas résignée à accepter la misère.  D'autre part, ces années ont vu l'affaiblissement de toute une série de mystifications au sein de la classe'. Le poids de 1'antifascisme de la guerre et de la période d'après-guerre S'est beaucoup affaibli quand on s'est rendu compte que les  "libérateurs" eux-mêmes ont employé des camps de concentration, la terreur policière et le racisme ouvert pour assurer leur domination de classe.  Et l'illusion en une espèce de "socialisme" ou en l'abolition des classes dans le bloc russe était brisée par les informations sur l'incroyable richesse dans laquelle vit "la bourgeoisie rouge" et par la constante détérioration des conditions de vie de la classe ouvrière. De plus, les ouvriers ont vite compris que la défense de leurs intérêts de classe les amènerait à des confrontations violentes avec "l'Etat ouvrier". Si  la Hongrie en  1956 a montré la futilité de lutter dans une perspective nationaliste, les luttes de 1970-71 en Pologne et le nord-ouest de l'URSS ont montré la voie à suivre. Depuis la Hongrie en 56 et la Tchécoslovaquie en 68,  l'idée qu'il y aurait des  fractions  radicales du parti  stalinien qui se mettraient du côté des ouvriers a été largement discréditée. Aujourd'hui, dans les  pays comme la Pologne, la Tchécoslovaquie; la Roumanie ou l'URSS, seuls des oppositionnels EN DEHORS du PC peuvent gagner l'oreille des ouvriers C'est vrai que les ouvriers ont encore des  illusions à perdre à propos des oppositionnels mais au moins ils savent où ils en sont par rapport aux staliniens et c'est un pas énorme. Enfin l'accélération de la crise elle-même détruit les illusions sur la possibilité de  "réformer" le système. La crise actuelle agit comme un catalyseur dans le processus de prise de conscience révolutionnaire du prolétariat.

L'affaiblissement de la mainmise de l'idéologie bourgeoise sur le prolétariat a permis le développement d'une AUTONOMIE ouvrière  -et la Pologne 1970-71 en était le premier exemple- à un niveau beaucoup plus élevé que dans les années 50. L'autonomie ouvrière n'est jamais une question purement organisationnelle bien que l'organisation indépendante de la classe dans ses assemblées de masse et comités de grève soient absolument indispensables à la lutte prolétarienne. L'autonomie est aussi  indissolublement liée à L'ORIENTATION POLITIQUE que les ouvriers se donnent.  Dans  la période de totalitarisme du capitalisme d'Etat, la bourgeoisie réussira inévitablement à infiltrer les organes de lutte des ouvriers en utilisant ses fractions syndicales et radicales. Mais c'est précisément pourquoi les organes de masse, regroupant les ouvriers indépendamment des autres classes dans la société, sont si vitaux. Avec ces organes autonomes la lutte idéologique continuelle entre les deux classes se poursuit sur un terrain favorable à la classe ouvrière. Voilà le monde de la lutte collective, de la participation massive de tous les ouvriers.

C'est le chemin qu'ont suivi   les ouvriers en 1970 en Pologne et sur lequel   ils sont restés  depuis. Ce n'est pas seulement le chemin de la lutte généralisée,  de la grève de masse, mais  c'est aussi   la condition première pour la politisation de la guerre de classe, pour la création du parti  de classe et pour la discussion dans l'ensemble de la classe, afin de se rendre capable de briser de fond en comble toute la structure de l'idéologie bourgeoise. En 1970-71 la base radicalisée du parti  stalinien et des syndicats, même les  fonctionnaires  de l'Etat, pouvaient rentrer dans les comités de grève et assemblées pour y défendre le point de vue de la bourgeoisie. Et cependant, à la fin, c'est le prolétariat qui est sorti renforcé du conflit.

En 1970-71 a eu lieu la première lutte importante de la classe ouvrière en Europe de l'Est depuis la révolution d'Octobre, une lutte que la bourgeoisie n'est pas arrivé à canaliser ni  à réprimer immédiatement. Cette brèche s'est produite dès que l'hégémonie de l'idéologie bourgeoise s'est affaiblie. L'Etat a reculé provisoirement parce que sa tentative d'écraser son ennemi  a échoué. La violence étatique et le contrôle idéologique  ne sont pas deux méthodes alternantes que la bourgeoisie peut utiliser séparément l'une de l'autre. La répression ne peut être efficace que si  elle est renforcée par le contrôle idéologique qui empêche les ouvriers  de se défendre ou de riposter. La lutte de classe en Pologne, déjà en  1970 a montré que la classe ouvrière n'a pas été intimidée par l'Etat terroriste si  elle est consciente de ses propres intérêts  de classe et si elle s'organise de façon autonome et unie pour les défendre. Cette autonomie  politique et organisationnelle est le facteur le plus important favorisant la généralisation et la politisation de la lutte. Cette perspective révolutionnaire, le développement parmi  tous  les ouvriers  du monde entier de la compréhension de la nécessité d'une lutte unie et internationale contre une bourgeoisie prête à s'unir contre le danger prolétarien, voilà la seule perspective que les communistes peuvent offrir à leurs  frères  de classe à  l'Est et à  l'Ouest.

Krespel



[1] Ces  événements sont décrits par Lomax dans "The working class  in  the Hungarian Révolution",  Critique n°l2

[2] Voir la  Revue Internationale du  CCI, n°15 "L'insurrection ouvrière en Allemagne de l'Est de juin 1953"

[3] Voir F.Lewis "The Polish Volcano", N.Bethell "Gomulka".

[4] Sur la Hongrie 1956, voir par exemple : "Pologne-Hongrie 1956" (JJ Maireand) "Nagy" (P.Broué) ; Laski "Hungarian révolution" pour documentation, les proclamations des Conseils Ouvriers, etc. Voir aussi  A.Andersen "Hungary 1956" (Solidarity London), ou Goszotony "Der Ungarische Volksaufstand in Augen zeugenberichten". Dans la presse du CCI, "Hungary 1956 : The Sceptre of the Workers Councils", dans World Révolution n°9

[5] "Le gouvernement autrichien ordonna la création d'une zone Interdite le long de la frontière austro- hongroise Le ministre de la Défense Inspecta la zone, accompagné des attachés militaires des quatre grandes puissances, y inclus l'URSS. Les attachés militaires pouvaient ainsi constater par eux-mêmes 1'efficacité des mesures prises pour protéger la sécurité des frontières autrichiennes et de la neutralité." Tiré d'un mémorandum du gouvernement autrichien, cité dans "Die Ungarische Révolution der Arbeiterràte", p.83-84.

[6] Reportage du Daily Mail, 10 décembre 1956

[7] cf. par exemple : "Arbeiteropposition  in  der Sowjetunion'.' A. Schwendtke   (Hrg) ; "Workers Against   the Goulag"; "Politische Opposition  in  der Sowjetunion 1960-72"

Sakarov "Die  URSS ist  ein  grosses  Konzentrationslager";  Soljénitsyne. "L'archipel  du  Goulag";

T. Cliff.  "State capitalism in  Russia". Dans  la presse du CCI : "La lutte de classe en URSS" (Révolution Internationale n°30 et 31);  (World Révolution  n°10).

[8] cf. Paul Barton."Misère et révolte de l'ouvrier polonais";

"Pologne : Le crépuscule des Bureaucrates", Cahiers Rouges n°3

"Rote Fahnen Polen" (Minutes of the Debate between Gierek and the Workers on the Warski Docks  in Szczecin).

La meilleure source : "Capitalisme et luttes de classe en Pologne 1970-71". ICO

La presse du CCI : voir Révolution  Internationale n°80 : "Pologne. De 1970 à 1980. Un renforcement de la classe ouvrière".

Géographique: 

Heritage de la Gauche Communiste: