El Salvador, Espagne, Pologne : Face a la menace proletarienne , la bourgeoisie se prepare

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Espagne, Pologne, El Salvador, c'est en des lieux bien éloignés et différents que se sont manifestés dernièrement les soubresauts d'une société en crise mortelle. mais, si ces pays appartiennent à des mondes très dissemblables, l'occident développé pour le premier, le bloc de l'Est pour le second, le tiers monde pour le troisième, si les circonstances immédiates des évènements qui les ont placés au devant de l'actualité n'ont rien à voir les unes avec les autres, il n'en demeure pas moins que c'est une même logique qui traverse ces évènements et qui exprime l'unité fondamentale de destinée de la société humaine aujourd'hui.

LA CRISE ÉCONOMIQUE DU CAPITALISME MONDIAL

 Au Salvador, c'est la poursuite de la plongée dans l'abîme avec des massacres quotidiens, une illustrations tragique de ce que les révolutionnaires n'ont cessé de répéter depuis plus d'un demi siècle : le caractère parfaitement réactionnaire du mode de production capitaliste, son incapacité absolue d'assurer un quelconque développement significatif des forces productives dans les zones qui n'avaient pas encore bénéficié d'un tel développement à l'aube de ce 20ème siècle.  Au Salvador, c'est une image insoutenable de la réalité du monde d'aujourd'hui avec son cortège de famines et de massacres, de terreur et de déchéance de l'être humain, qui sont le lot quotidien de la plus grande partie des membres de la société et qui attend les autres demain avec l'aggravation de la crise et des convulsions qui l'accompagnent.

 En Pologne, c'est la fin du mythe du soi-disant "socialisme" de l'Europe de l’Est qui aurait mis fin aux crises du capitalisme, à exploitation de l'homme par l'homme et à l'antagonisme entre classes.  La crise violente qui frappe aujourd'hui la Pologne et les pays "frères" fait la démonstration éclatante de l'absurdité de l'idée de l'existence dans ces pays de quelconques "acquis" économiques.  Ces fameux "acquis ouvriers", tant vantés par les trotskystes, que sont la planification et le monopole étatique du commerce extérieur se sont révélés totalement inefficaces pour endiguer la crise du capitalisme, pour s’opposer à l'anarchie croissante de la production, à la pénurie des biens les plus nécessaires et, par rapport à l'extérieur, à un endettement astronomique.

Ainsi s'illustre une fois de plus la nature parfaitement capitaliste des pays soi-disant "socialistes", de même que l'incapacité totale de toutes les mesures d'étatisation de l'économie à faire face aux affres de la crise mondiale.

 En Espagne, c'est un autre mythe qui s'est effondré ces dernières années, celui de "Japon européen".  La crise s'est chargé de liquider de façon spectaculaire l'expansion économique de la copie européenne du "modèle japonais" célébré par les technocrates des années 60.  Exploitant les derniers fastes de la reconstruction de l'après 2ème guerre mondiale pour tenter de s'arracher à marche forcée de son arriération, l'économie espagnole paye aujourd'hui à la crise le prix fort pour ses exploits passés : après le record d'Europe du taux d'expansion, c'est maintenant le record du taux de chômage (officiellement 12,6% de la population active).

 Qu'elle se manifeste par une nouvelle aggravation de la famine dans les pays du tiers-monde, par une montée du chômage sans précédent en occident, par la pénurie généralisée dans les pays de l'Est, la crise révèle que le monde est un, que toute la société humaine est embarquée dans la même galère.

 Cette unité du monde ne s'exprime pas seulement dans l'universalité des manifestations de la crise économique.  Elle s'exprime également dans le type de réponses que donne la classe dominante sur tous les continents face à la menace de révolte des exploités contre l'aggravation insupportable de leurs conditions de vie.

 LA RÉPONSE DE LA BOURGEOISIE DE TOUS LES PAYS A LA CRISE ÉCONOMIQUE FACE A LA MENACE DE LA LUTTE DE CLASSE

 Cette réponse s'articule autour de différents axes complémentaires :

- La mise en place de gouvernements"forts", ouvertement répressifs, utilisant abondamment l'intimidation à l'égard de la classe ouvrière, gouvernements qui sont pris en charge par les secteurs de droite de l'appareil politique bourgeois.

- Le rôle assuré par les secteurs de gauche de cet appareil dans l'opposition (et non plus au gouvernement comme il y a quelques années), pour saboter de l'intérieur les luttes prolétariennes, pour immobiliser la classe ouvrière face aux coups portés par le capital. 

- La prise en charge par les grandes puissances de la conduite du maintien de l'ordre social au sein de leur bloc et leur collaboration étroite, par dessus leurs antagonismes, pour museler la classe ouvrière.

 Ce sont des illustrations de cette politique qui sont en bonne partie à la base des évènements au Salvador depuis de nombreux mois, en Espagne avec le "coup d'Etat" de février 1981, et en Pologne avec les grèves ouvrières de 1980-81.

 Au Salvador, on voit se réaliser concrètement la "doctrine Reagan" de soutien à des gouvernements musclés et de "lutte contre la subversion".  L'heure n'est plus à de nouveaux Nicaragua où, par social-démocratie internationale interposée, les USA avaient laissé accéder au pouvoir les partis de gauche.  Aujourd'hui, les USA ne parlent plus des "droits de l'homme" mais prêchent la croisade"contre le terrorisme international fomenté par l'URSS".  En réalité, ce n'est pas tellement l'URSS que vise cette politique car cette puissance a des moyens limités en Amérique Latine même si elle ne répugne pas à favoriser l'instabilité dans les chasses gardées de l'adversaire américain.  La véritable "subversion", le réel "terrorisme", ce sont ceux que représente la lutte de classe sur le continent américain.

 Reagan est très clair pour annoncer que son aide à la Junte qui gouverne de façon sanglante le Salvador dépasse en portée le cadre de ce pays et le type d'affrontements qui s'y déroulent.  La guérilla populiste qui agit dans ce pays n'est pas plus dangereuse pour l'impérialisme américain que celles qui ont existé par le passé dans d'autres pays d'Amérique Latine.  Cuba est resté une exception et l'appartenance de ce pays au bloc russe ne menace pas les USA.  Par contre, ce qui inspire une crainte certaine à la bourgeoisie américaine, c'est le développement de luttes de classe comme celles des années passées au Brésil par exemple, et qui ne sont pas une spécialité réservée à des pays"exotiques" mais une "déstabilisation" qui risque d'atteindre les métropoles impérialistes elles-mêmes.

 En apportant un soutien actif aux massacres au Salvador, c'est un avertissement limpide que Reagan adresse aux ouvriers des deux Amériques : "Pas de 'terrorisme' - entendez pas de luttes contre l'aggravation des conditions d'existence - sinon je n'hésiterai pas à faire donner la répression".  Et pour être sûr que ce message sera bien compris, qu'il ne sera pas interprété comme un "coup de gueule" sans lendemain d'un ancien cowboy, Reagan a pris le soin de s'assurer le soutien de Trudeau, premier Ministre du Canada (au départ réticent) en même temps qu'il appelle les gouvernements européens à suivre l'exemple de son acolyte canadien.  C'est à l'échelle de tout le bloc américain que la bourgeoisie se donne comme tâche de maintenir l'ordre social.

 C'est également à l'échelle de tout le bloc que la gauche ("Internationale Socialiste", Willy Brandt en tête) "proteste" contre cette politique de Reagan et qu'elle apporte son soutien à l'opposition "démocratique" du Salvador.  Pour elle, toutes les occasions sont bonnes (surtout maintenant que ses déclarations sont destinées à rester platoniques) pour tenter de détourner le mécontentement ouvrier vers les impasses de la "défense de la démocratie" et autres thèmes bourgeois.  C'est là une des façons par lesquelles la gauche bourgeoise s'attache dans "l'opposition" à saboter les luttes du prolétariat.

 En Espagne, c'est également la "défense de la démocratie" qui est aujourd'hui à la mode suite au putsch manqué du 23 février 1981.  Cependant, ce n'est pas de façon identique que cette mystification est mise en oeuvre : ici, c'est le pouvoir central qui se présente comme le meilleur garant de la "démocratie menacée".  Cela ne veut pas dire que la logique globale à laquelle obéissent les évènements en Espagne est différente de la logique des évènements au Salvador quant à la réponse de la bourgeoisie.  Bien au contraire.  En réalité, la tentative de putsch du 23 février a eu pour la bourgeoisie les "mérites" suivants :

- renforcement du pouvoir central, notamment en la personne du roi (comme ce fut le cas quelques mois auparavant en Italie avec la mise en avant du président de la République Pertini) ;

- renforcement de l'orientation a droite du gouvernement espagnol : le Putsch"manqué"a apporté à Calvo Sotelo les voix toutes cuites de la droite ("Alliance Populaire") qui lui faisaient défaut, d'autre part la tentative de certains secteurs du centre et du Parti Socialiste de constituer une alliance de centre-gauche est mise en sourdine, au nom du veto de l'armée ;

- renforcement du chantage au coup d'Etat militaire auprès de la classe ouvrière : il s'agit s'insuffler une nouvelle vie au croquemitaine franquiste qu'on dit se profiler derrière chaque caserne, afin de dissuader les ouvriers de renouer avec leurs luttes de 1976 face à une misère de plus en plus intolérable.

 Il est clair que ce n'est pas avec cette perspective que se sont lancés dans l'aventure les putschistes Tejero, Milans del Bosch et Armada : c'est bien à la prise du pouvoir qu'ils aspiraient.  Mais les avantages que tire la bourgeoisie de leur tentative et de son échec (nous ne sommes pas en 1936: l'heure n'est pas en Europe occidentale aux dictatures militaires) incite à croire que ces officiers se sont laissés manipuler par les secteurs les plus lucides de la classe dominante.  S'agit-il là d'une vision par trop "machiavélique" ? Il est évidemment difficile de faire la part entre ce qui a été minutieusement préparé par la bourgeoisie et ce qui revient à sa capacité d'adaptation et d'improvisation.  Il serait cependant dangereux pour la classe ouvrière et pour les révolutionnaires de sous-estimer la force et l'intelligence de l'ennemi de classe.  Souvenons-nous seulement que, depuis 7 mois, c'est la cinquième fois qu'on nous sort un scénario qui, à chaque fois, a le"miraculeux"effet de créer un grand sursaut de "solidarité nationale" face à un "ennemi fasciste" assez fantomatique : Bologne en août 80, Munich en septembre 80, attentat de la rue Copernic à Paris en octobre 80, attentat à Anvers en Belgique en novembre 80, putsch à Madrid en Espagne en février 81.  S'agit-il de hasards ?

 En Poloqne, c'est également la menace des chars qu'on agite pour inciter les ouvriers à être raisonnables même si, dans ce cas, ce n'est pas tant ceux de l'armée nationale que ceux du "grand frère".  Mais le mécanisme idéologique est du même type : dans les deux cas, le gouvernement en place justifie sa politique dure,-ce refus des concessions et les appels au calme non pas tant en menaçant de réprimer directement lui-même mais par son prétendu souci d'épargner à la population et à la classe ouvrière le déchaînement d'une répression féroce qui se ferait contre sa volonté.  Réprimer pour éviter une répression plus grande: la ficelle est ancienne et serait peu crédible si justement la gauche ne venait prêter main forte au chantage de la droite :

-          en Espagne, en s'associant à tous les autres partis bourgeois pour agiter la menace d'un "retour du fascisme" et organiser de grandes manifestations de soutien à la démocratie et au roi ;

-          - en Pologne en protestant bien fort contre le refus du gouvernement de tenir ses promesses, contre le développement de la répression, mais en appelant en même temps les ouvriers à la"modération"'afin de ne pas "mettre en danger la Pologne", ce qui signifie en fait l'acceptation passive de l'offensive bourgeoise contre la classe ouvrière.

 Ainsi, s'est mise en place en Pologne une orientation de la vie politique qui a déjà fait ses armes ces dernières années dans les pays industrialisés d'occident : le partage des tâches entre d'une part une droite au pouvoir qui n'aspire nullement à une quelconque popularité auprès des ouvriers mais est chargée de mettre en oeuvre avec cynisme un renforcement de l'exploitation et de la répression, et d'autre part une gauche dans l'opposition chargée, grâce à la confiance qu'elle peut conserver parmi les travailleurs de par son langage radical, vise à casser toute tentative de s'opposer à l'offensive de la droite.

 Par une ironie de l'histoire, c'est un parti soi-disant "communiste" qui joue en Pologne le rôle de la"droite" (mais dans le domaine de l'impopularité et du cynisme, les équipes dirigeantes dans l'Europe de l'Est battent tous les records mondiaux),alors que c'est un intime d'un cardinal, Primat d'une des Eglises les plus réactionnaires du monde qui prend celui de porte-parole de la"gauche".

Mais, au delà de ces particularités, les mécanismes politiques sont les mêmes et la nomination en février de Jaruzelski au poste de Premier Ministre qui constitue la première initiative cohérente de la bourgeoisie polonaise depuis août 80, exprime la prise en charge consciente par l'équipe dirigeante de ces nécessités.  En effet, pour la bourgeoisie polonaise, il s'agit de "rétablir l'ordre" (en tant que militaire, le nouveau premier Ministre est un homme à poigne) : c'en est assez d'une situation où le pouvoir est à chaque fois obligé de reculer devant les exigences ouvrières, ce qui ne peut qu'inciter à des nouvelles exigences.

 Mais ce rétablissement de l'ordre ne pourra s’appuyer, comme par le passé, sur la seule répression, il devra compter sur la collaboration du syndicat "Solidarité" (Jaruzelski s'est fait la réputation d'être favorable à la négociation) : il s'agit pour le moment de neutraliser les éléments de l'appareil politique qui n'avaient pu "se faire" à l'existence d’une force d'opposition dans le pays.

 Mais la situation en Pologne n'illustre pas seulement la tactique adoptée par la bourgeoisie au niveau interne.  Elle fait une nouvelle démonstration que c'est à l'échelle internationale que la bourgeoisie fourbit ses armes contre la lutte ouvrière.

 C'est en premier lieu au niveau du bloc russe tout entier qu'est prise en charge la situation en Pologne : par la menace d'une intervention des forces du Pacte de Varsovie (et éventuellement par sa réalité si les autorités polonaises perdent le contrôle de la situation) et aussi par l'élaboration depuis Moscou de la politique à suivre localement.  En effet, celle-ci ne doit pas seulement tenir compte des intérêts particuliers du capital national.  Elle doit être conforme à ceux de tout le bloc : même si les autorités polonaises étaient trop enclines à lâcher du lest, Moscou se chargerait de leur rappeler que trop de "laxisme" en Pologne risque de donner du crédit à l'idée que "la lutte paye" parmi les ouvriers des autres pays du bloc.

 Mais cette prise en charge de la situation en Pologne dépasse le cadre du bloc russe ; elle concerne toute la bourgeoisie mondiale et notamment celle des grandes puissances occidentales qui, par leur aide économique, ont tenté de calmer le mécontentement ouvrier permettant la distribution de quelques miettes et qui, à leur façon, ont collaboré en compagnie de "Solidarité", au chantage à l'intervention russe.  En effet, toute la campagne occidentale sur la menace d'une telle intervention, entre autres, avait pour but par Radio Europe Libre et BBC interposées, de persuader les ouvriers d'Europe de l'Est peu enclins à croire la propagande de l'Agence Tass, que cette menace est bien réelle.
 

Ainsi, c'est de façon mondiale que la bourgeoisie fourbit son offensive.  Cette classe a tiré les leçons du passé.  Elle sait que, face au danger prolétarien, elle doit faire preuve d'unité et de coordination de son action, même si celle-ci passe par un partage des tâches entre différentes fractions de son appareil politique.  Pour la classe ouvrière, la seule issue réside dans le refus de se laisser piéger par les chausse-trappes que lui tend la classe dominante, et d'opposer sa propre offensive de classe à l'offensive bourgeoise :

-          face au partage des tâches entre droite et gauche, rejet en bloc de ces deux forces du capital ;

-           face à l'intimidation et au chantage à la répression, lutte résolue la plus large possible : seule la menace d'une riposte massive du prolétariat peut arrêter la main criminelle de la bourgeoisie

-          face au sabotage des luttes par les partis de gauche et les syndicats, auto-organisation de la classe et extension de ses luttes ;

-          face à la prise en charge à l'échelle internationale de l'offensive anti-ouvrière de la bourgeoisie, extension des luttes à l'échelle internationale, seule capable d'éviter un écrasement par paquets du prolétariat mondial.

Plus que jamais est à l'ordre du jour le vieux mot d'ordre du mouvement ouvrier "Prolétaires de tous les pays unissez-vous ! "

 Mars 81    F. M.

Géographique: 

Heritage de la Gauche Communiste: