Révolution Internationale n° 425 - septembre 2011

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Émeutes en Grande-Bretagne
Face au désespoir, seule la lutte de classe est porteuse d’avenir

Nous publions ci-dessous la traduction de la prise de position de World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne, sur les émeutes qui ont fait rage cet été outre-manche. Ce texte a été publié immédiatement sur notre site en anglais alors que les rues n’avaient toujours pas retrouvé leur calme.

Suite aux émeutes qui ont éclaté à travers le pays, les porte-paroles de la classe dominante – le gouvernement, les politiciens, les médias, etc. – nous demandent de participer à la défense d’une campagne ayant pour but de soutenir leur “programme” : accroissement de l’austérité et répression accrue contre quiconque s’y opposerait.

Une austérité accrue parce qu’ils n’ont aucune solution à apporter pour remédier à la crise économique de leur système en phase terminale. La seule chose qu’ils puissent faire, c’est de supprimer des emplois, de baisser les salaires, de sabrer les aides sociales, d’amputer les dépenses sur les retraites, dans la santé, l’éducation. Tout cela ne peut signifier qu’une aggravation considérable des conditions sociales mêmes qui ont précisément poussé à ces émeutes, conditions entraînant la conviction chez une partie importante de toute une génération qu’ils n’ont plus d’avenir devant eux. C’est pourquoi toute discussion sérieuse sur les causes économiques et sociales des émeutes a été dénoncée comme voulant trouver “une excuse” aux émeutiers. On nous a raconté que c’étaient des criminels et qu’ils seraient traités comme tels. Point final. Ce qui est très pratique parce que l’Etat n’a aucune intention de donner de l’argent pour les centres urbains, comme il l’avait fait après les émeutes des années 1980.

Une répression accentuée parce que c’est la seule chose que la classe dominante puisse nous offrir. Elle tire au maximum avantage de l’inquiétude des populations concernant les destructions causées par les émeutes pour accroître les dépenses de la police, pour l’équiper de balles en caoutchouc, de canons à eau et même pour mettre en avant l’idée d’imposer des couvre-feux et l’armée dans la rue. Ces armes, en même temps que la surveillance accrue des réseaux sociaux sur Internet et la “justice” expéditive qui s’est abattue sur ceux qui ont été arrêtés après les émeutes, ne seront pas seulement utilisées contre les pillages et les saccages. Nos dirigeants savent très bien que la crise ne peut que déboucher sur un torrent de révoltes sociales et de luttes ouvrières qui s’est déjà répandu de l’Afrique du Nord à l’Espagne et de la Grèce jusqu’en Israël. Ils sont parfaitement conscients qu’ils seront confrontés à l’avenir à des mouvements massifs et que toutes leurs prétentions démocratiques servent uniquement à justifier le recours à la violence contre ces mouvements, de la même manière que l’ont fait les régimes ouvertement dictatoriaux, comme en Egypte, au Bahreïn ou en Syrie. Ils l’ont déjà démontré lors de la lutte des étudiants en Grande-Bretagne l’an dernier.

La “haute moralité” de la classe dominante

La campagne sur les émeutes est basée sur la proclamation de nos dirigeants qu’ils défendent ainsi la moralité de la société. Cela vaut la peine de considérer le contenu de ces déclarations.

Les porte-parole de l’Etat condamnent la violence des émeutes. Mais c’est l’Etat lui-même qui exerce aujourd’hui la violence, à une bien plus large échelle, contre les populations en Afghanistan et en Libye. Une violence qui chaque jour est présentée comme héroïque et altruiste alors qu’elle sert uniquement les intérêts de nos dirigeants.

Le gouvernement et les médias condamnent les hors-la-loi et la criminalité. Mais c’est la brutalité de leurs propres forces de répression au nom du maintien de la loi et de l’ordre, la police, qui, dès le début, a mis le feu aux poudres, avec l’assassinat de Mark Duggan et le comportement méprisant envers sa famille et ses amis qui manifestaient autour du poste de police de Tottenham afin de savoir ce qui s’était réellement passé. Et cela fait suite à toute une longue série de gens morts dans des commissariats situés dans des quartiers similaires à celui de Tottenham ou subissant quotidiennement le harcèlement policier dans les rues.

Le gouvernement et les médias condamnent l’avidité et l’égoïsme des émeutiers. Mais ce sont eux les gardiens et les propagandistes d’une société qui fonctionne sur la base de l’avidité organisée, de l’accumulation de richesses entre les mains d’une petite minorité. Alors que nous sommes sans cesse encouragés à consommer davantage pour réaliser leurs profits, à identifier notre valeur sociale à la quantité de biens que l’on peut s’acheter. Puisque non seulement ce système repose sur l’inégalité, et que celle-ci devient de pire en pire, il n’est pas surprenant que ceux qui sont au bas de l’échelle sociale, qui ne peuvent pas s’offrir les “belles choses” dont on leur vante le besoin, pensent que la réponse à leur problème est de piquer tout ce qu’ils peuvent, quand ils le peuvent.

Les dirigeants condamnent ce pillage “à la petite semaine” alors qu’eux mêmes participent à une vaste opération de pillage à l’échelle planétaire : les compagnies pétrolières ou forestières qui détruisent la nature pour leur profit, les spéculateurs qui s’engraissent en faisant grimper le cours des produits alimentaires, les trafiquants d’armes qui vivent de la mort et des destructions, les respectables institutions financières qui blanchissent des milliards du trafic de drogue. Une contrepartie essentielle de ce pillage est qu’une partie croissante de la classe exploitée est jetée dans la pauvreté, dans le désespoir et la délinquance. La différence, c’est que les petits délinquants sont habituellement punis alors que les grands criminels ne le sont pas.

En résumé : la moralité de la classe dominante ? Elle n’existe pas.

La vraie question : comment se défendre ?

La question réelle à laquelle est confrontée l’immense majorité qui ne profite pas de cette gigantesque entreprise criminelle appelée capitalisme, est celle-ci : comment pouvons-nous nous défendre réellement alors que ce système, maintenant en train de crouler sous les dettes, est contraint de tout nous prendre ?

Est-ce que les émeutes que nous avons vues début août 2011 en Grande-Bretagne nous donnent une méthode pour lutter, pour prendre le contrôle de ces luttes, pour unir nos forces, pour créer un futur différent pour nous-mêmes ?

Beaucoup de ceux qui ont pris part aux émeutes ont clairement exprimé leur colère contre la police et contre les possesseurs de richesses qui sont ressentis comme la cause essentielle de leur misère. Mais, presque immédiatement, les émeutiers ont sécrété les aspects les plus négatifs, les comportements les plus troubles, alimentés par des décennies de désintégration sociale dans les quartiers urbains les plus pauvres, par des mœurs propres aux gangs, allant puiser dans la philosophie dominante du “chacun pour soi” et du “sois riche ou crève en essayant de le devenir !” C’est ainsi qu’au début une manifestation contre la répression policière a dégénéré dans un chaos franchement anti-social et dans des actions anti-prolétariennes : intimidation et agression vis-à-vis d’individus, mise à sac de boutiques dans le voisinage, attaques contre les ambulanciers et les pompiers, incendies d’immeubles sans discrimination, alors que souvent les occupants se trouvaient encore à l’intérieur.

De telles actions n’offrent absolument aucune perspective permettant de se dresser contre ce système de rapine dans lequel nous vivons. Au contraire, elles servent uniquement à élargir les divisions parmi ceux qui souffrent de ce système. Face aux attaques contre les boutiques et les immeubles, des habitants se sont armés eux-mêmes de battes de base-ball et ont formé des “unités d’auto-défense”. D’autres se sont portés volontaires pour des opérations de nettoyage au lendemain des émeutes. Beaucoup se sont plaints du manque de présence policière et ont demandé des mesures plus fortes.

Qui profitera le plus de ces divisions ? La classe dominante et son Etat. Comme nous l’avons dit, ceux qui sont au pouvoir se revendiqueront dorénavant d’un mandat populaire pour renforcer l’appareil répressif policier et militaire, pour criminaliser toute forme de manifestations et de désaccords politiques. Déjà les émeutes ont été imputées à “des anarchistes” et, il y a une semaine ou deux, la police londonienne (le MET) a fait l’erreur de publier des enquêtes sur des personnes militant pour une société sans Etat.

Les émeutes sont le reflet de l’impasse atteint par le système capitaliste. Elles ne sont pas une forme de la lutte de la classe ouvrière ; elles sont plutôt une expression de rage et de désespoir dans une situation où la classe ouvrière est absente en tant que classe. Les pillages ne sont pas un pas vers une forme de lutte supérieure, mais un obstacle sur ce chemin. D’où la frustration justifiée d’une femme du quartier londonien d’Hackney qui a été regardée par des milliers de gens sur Youtube (1), dénonçant les pillages parce que cela empêchait les gens de se regrouper et de réfléchir ensemble sur comment mener la lutte. “Vous me faites chier... nous ne sommes pas rassemblés pour nous battre autour de la défense d’une cause. Nous sommes en train de piller Footlocker...” (NDT : un magasin de chaussures à Londres).

Se rassembler et lutter pour une cause : ce sont là les méthodes de la classe ouvrière ; c’est la morale de la lutte de classe prolétarienne mais ces méthodes courent le danger d’être happées par l’atomisation et le nihilisme au point que des pans entiers de la classe ouvrière oublient qui ils sont.

Mais il existe une alternative. On peut la percevoir dans les mouvements massifs qui se déroulent en Tunisie, en Egypte, en Espagne, en Grèce ou en Israël avec la re-émergence d’une identité de classe, avec la résurgence de la lutte de classe. Ces mouvements, avec toutes leurs faiblesses, nous donnent un aperçu sur une manière toute différente de mener le combat prolétarien : à travers des assemblées de rues où chacun peut prendre la parole ; à travers un intense débat politique où chaque décision peut être discutée ; à travers une défense organisée contre les attaques de la police et des voyous ; à travers les manifestations et les grèves des travailleurs ; à travers la montée de la question de la révolution, de l’interrogation sur une forme de société totalement différente, non pas basée sur la vision que l’homme est un loup pour l’homme mais sur la solidarité entre les êtres humains, basée non sur une production en vue de la vente de marchandises et du profit mais sur une production qui corresponde à nos réels besoins.

A court terme, à cause des divisions créées par les émeutes, parce que l’Etat a réussi son coup en matraquant le message selon lequel toute lutte contre le système actuel est vouée à finir dans des destructions gratuites, il est probable que le développement d’un réel mouvement de classe au Royaume-Uni se confrontera à des difficultés encore plus grandes qu’auparavant. Mais à l’échelle mondiale, la perspective reste la même : l’enfoncement dans la crise de cette société vraiment malade, la résistance de plus en plus consciente et organisée des exploités. La classe dominante en Grande-Bretagne ne pourra être épargnée ni par l’un ni par l’autre.

CCI (14 août)

1 www.youtube.com/watch?v=G18EmYGGpYI