Avec Loppsi2, l'Etat démocratique prépare la répression des luttes

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Avec la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi2), adoptée en février par le Parlement, le gouvernement vient de franchir un grand pas supplémentaire dans le flicage des populations. Au nom de la “sécurité” et de la “protection” de tous, une vaste offensive balise le terrain pour tenter d’étouffer toute forme de contestation sociale, renforcer la répression, notamment celle des minorités ouvrières les plus combatives. Bien entendu, si la loi touche toute la population, les organisations révolutionnaires et leurs militants, dans ce cadre, sont particulièrement dans le collimateur.

Un véritable arsenal répressif contre la classe ouvrière

Qu’est-ce qui change réellement et que prépare cette loi renforcée  ?

La première offensive concerne la “cybercriminalité”. La bourgeoisie et ses flics n’ont pas attendu les révoltes sociales en Tunisie, en Egypte, dans le Maghreb ou ailleurs, pour s’apercevoir des dangers que recèle internet et les téléphones portables. D’abord comme moyen de communication rapide, permettant une réactivité et des liaisons instantanées aux moments des grèves ou lors des manifestations, mais aussi comme vecteur et réceptacle d’idées subversives. Aujourd’hui, ces outils privilégiés, aux mains des “classes dangereuses”, deviennent des armes redoutables. C’est ce que nous avons pu constater, par exemple, en Tunisie, forçant les sbires de Ben Ali à vouloir verrouiller un temps l’accès à Facebook et Twitter, à limiter les possibilités d’échanger avec l’étranger. Bien entendu, dans les états démocratiques, il serait contreproductif pour les anciens amis de Ben Ali d’opérer ce même verrouillage complet pour l’instant. Il y a plus efficace. Avec Loppsi2, en effet, se met en place la possibilité d’une censure ciblée. Les flics disposent d’un “temps d’écoutes téléphoniques plus long”, grâce à l’article 22. Les agents de renseignements peuvent agir en toute impunité contre les minorités révolutionnaires. Le but non avoué est de pouvoir “filtrer” à terme les forums ou les sites politiques qui dérangent, sur la base d’une “liste noire” en toute logique déjà constituée (voir articles 4 et 6). La police officiellement, surveille donc les ordinateurs de ceux qui mènent “une entreprise collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation et la terreur” (article 421-1). Avec Loppsi2, la pratique scandaleuse  (1) des flics devient “normale”. Nul doute que ceux qui prônent la grève de masse et la révolution sont ici visés. Une seule réserve : dans de telles circonstances, l’histoire montre que la “terreur et l’intimidation” sont principalement du côté de la répression, de ceux qui légifèrent  !

Tout ce dispositif s’accompagne d’un renforcement sensible de la vidéo-surveillance, que la loi rebaptise “vidéo-protection” pour détourner l’attention de l’objectif visant un contrôle social complet. Alors que le nombre de caméras explose dans les zones urbaines, un amendement donne maintenant à tout préfet la possibilité “d’autoriser l’installation de dispositifs de vidéo-surveillance à titre provisoire sans réunir la commission départementale de vidéo-surveillance lorsqu’il est confronté à une manifestation ou un rassemblement de grande ampleur présentant des risques pour l’ordre public”  (2).

En clair, le préfet peut passer outre l’avis des maires récalcitrants pour que chaque manifestant dans la rue, par définition contre “l’ordre public”, soit sous l’œil de Big Brother  ! Il est ainsi prévu de multiplier par trois le nombre de caméras pour atteindre les 60 000. Avec la loi, l’installation de ces nouvelles caméras sera grandement facilitée. Naturellement, les rares pleurnicheries à gauche ne sont là que pour amuser la galerie. Comme s’en vante un socialiste : “Nous avons pu avoir des torts dans le passé. Nous avons essayé de les analyser, et vous pouvez venir dans les municipalités socialistes : nous y avons implanté sans aucun scrupule des caméras” (3).

La loi autorise et favorise donc la multiplication des initiatives privées pour installer des caméras aux abords des bâtiments. Autant de moyens supplémentaires qui, par recoupements successifs, permettent de fliquer davantage une population qui devient totalement suspecte.

Le pire, c’est que Loppsi2 prévoit d’officialiser la formation d’une véritable “milice armée”, appelée “police auxiliaire citoyenne” au nom du besoin pour la police de “renouer avec la population civile”  ! Depuis l’abandon de “l’îlotage” prôné par la gauche, la méfiance et même le rejet de la “police de proximité”, l’Etat cherche à s’adapter au terrain pour quadriller les quartiers sans se heurter trop frontalement aux habitants hostiles qui se sentent, à juste titre, de plus en plus traqués. Il s’agit en fait, avec la nouvelle loi, d’étendre aux “citoyens volontaires” la réserve civile de la police nationale (existant déjà depuis 2003 pour les policiers à la retraite). Le public visé est surtout celui des jeunes, notamment les étudiants ayant au moins 18 ans. Ceci permet d’une part de faire des économies en évitant de payer des policiers à temps plein, mais surtout, encore une fois, de renforcer l’emprise policière de l’Etat. De ce fait, nous assistons bien à un processus continu de militarisation complète de la société, à un véritable quadrillage complet des zones urbaines. Nous voyons déjà depuis longtemps les lieux publics, comme les gares, sillonnés de long en large par des militaires. Nous aurons en plus des jeunes lâchés dans les quartiers pour aider à faire régner l’ordre. Ces nouveaux éléments pourront signaler la présence des sans papiers, surveiller les foules et particulièrement les minorités combatives qui défendent un point de vue de classe. Bref, signaler tous les suspects possibles susceptibles d’être surveillés de près où directement réprimés. Autant dire que ces “milices” au service de l’Etat pourront facilement se transformer un jour en unités de répression directe contre les mouvements révolutionnaires dans le futur. L’expérience sombre de l’histoire montre que les “milices” de ce genre ne préparent pas seulement la délation. Elles sont le terreau sur lequel peuvent fleurir les rafles, les tortures en tout genre et les exécutions sommaires. En attendant, nos simples voisins pourront devenir des flics, comme au temps de Pétain et Vichy  ! Ils pourront porter des armes, dresser des procès-verbaux, nous surveiller de plus près encore, nous vendre.

A cela, il faut ajouter le dispositif complémentaire qui prévoit d’étendre en même temps le pouvoir de la police municipale. Celle-ci pourra alors procéder à des tâches qui ne lui étaient pas autorisées auparavant : les fouilles, les contrôles d’identité  ; ceci, dans un contexte ou la loi durcit considérablement les peines encourues, particulièrement pour les citoyens (même mineurs) qui oseront se révolter contre un “dépositaire de l’autorité publique”. Dans la même logique, après avoir renforcé les fichiers de police STIC, JUDEX et EDWIGE (voir notre article dans RI no 394), la loi va inclure dans le fichage des personnes susceptibles d’être impliquées, même très indirectement, dans les affaires de petite délinquance. Avec un “fichage d’analyse sérielle”, la généralisation du contrôle devient effective.

Le plus ignoble, c’est que Loppsi2 s’acharne sur les plus vulnérables, les immigrés et les précaires (voir notre article sur la répression de squat). Un des volets les plus révoltants de la loi concerne en effet les victimes de la crise du logement. L’article 32 ter A donne la possibilité aux préfets d’expulser de façon complètement arbitraire les démunis de leur abris de fortune  (4). Sous le prétexte d’un “risque grave d’atteinte à la salubrité, à la sécurité, à la tranquillité”, les habitants de cabanes et camionnettes, d’abris légers, de bidonvilles, de maisons sans permis de construire, de squats, sont soumis à une procédure d’expulsion encore plus expéditive. Les gens se retrouvent à la rue, même en plein hiver  ! L’article en question prévoit en plus une sanction financière. Puis, si nécessaire, la destruction au bulldozer avec le vol des biens de ces pauvres gens qu’il faut faire disparaître. Cela, en toute légalité  !

Partout, un même blindage de l’Etat capitaliste

Loin d’être isolée, loin d’être uniquement le fait de la simple “paranoïa” de Sarkozy ou de son gouvernement, comme on voudrait nous le faire croire (5) cette Loppsi2 s’inscrit dans un contexte de durcissement général de plus en plus sévère, observable au niveau international. Tous les états, depuis quelques années, ont renforcé leur surveillance et musclé la police. De nombreuses lois “liberticides” sont votées partout dans le monde, notamment en Europe. En Grande-Bretagne, par exemple, le système des “milices citoyennes” est déjà en place. Dans certaines villes, on a même couplé aux caméras un micro qui permet d’interpeller directement les personnes sur la voie publique : “vous, le monsieur au pull-over rouge, vous avez jeté un papier sur le trottoir. Ramassez  !”. Aux Etats-Unis, certains dispositifs contenus dans Loppsi2 sont déjà en vigueur depuis G.W. Bush. Comment expliquer ce qui apparaît sous la plume des médias comme une sorte de “dérive” (quand on n’y voit pas une mesure salutaire un peu “excessive”)  ?

Bien que dans la phase historique de déclin du capitalisme ce soit en permanence que l’état cherche à renforcer son emprise totalitaire sur l’ensemble de la société civile, l’approfondissement de la crise économique mondiale engendre une riposte de la classe ouvrière poussant la bourgeoisie à renforcer la répression.

Contrairement à l’idée que veulent instiller les médias aux ordres, pour qui la censure et le flicage ne sont que l’apanage des “dictatures”, l’arsenal juridique générant la terreur sous les formes les plus insidieuses et subtiles, comme Loppsi2, se trouve bel et bien dans les états démocratiques. Leur vrai visage est celui d’une ineffable barbarie générée par le capitalisme décadent.

WH (18 février)

 

1) Le FBI utilise déjà des programmes qui espionnent les frappes sur les touches, tel que Magic lantern, utilisant les techniques des pirates informatiques pour l’installer dans l’ordinateur ciblé.

2) Amendement CL 190. Sources : LDH Toulon (www.ldh-toulon.net/spip.php?articles3738)

3) Propos de Pupponi www.ldh-toulon.net/spip.php?articles3738

4) Une poursuite de la lutte “anti-cabanisation” lancée par le préfet des Pyrénées-Orientales depuis 2007.

5) Au passage, on peut signaler que d’après Wikipédia faisant référence à un article de Der Spiegel, la France s’est dotée de la loi la plus répressive du monde en matière de cybercriminalité, devant l’Australie,

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