La bourgeoisie hait ceux qui, comme Eric Cantona, critiquent son système

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Éric Cantona a l’habitude d’être moqué. L’ancien footballeur a connu ses heures de gloire en la matière avec sa marionnette des « Guignols de l’info » qui le représentait en peintre philosophe à l’inspiration obscure.

Mais jusqu’à maintenant, la moquerie était plutôt tendre, face à un personnage dont la réflexion critique, l’honnêteté et le « bon sens » lui conférait un caractère sympathique évident.. Mais cette fois-ci, ce n’est plus le même registre. On est passé dans les médias de la raillerie, au mépris et à l’insulte.

C’est que Cantona a, cette fois, osé faire publiquement la critique du système. Dans une interview vidéo accordée à un journal local1, vouée par nature à une certaine confidentialité, il a émis l’idée que « s’il y a vingt millions de gens qui retirent leur argent [des banques], le système s’écroule ». Diffusée sur internet, l’interview a donné naissance à un mouvement collectif qui a organisé la mise en œuvre pratique de cette idée pour le mardi 7 décembre.

Derrière cette idée candide, il y a une vérité incontestable : l’argent de la masse des anonymes participe à faire tourner le système et génère le profit dont une minorité profite. Et c’est cette vérité qui a le plus gêné la bourgeoisie dans cette affaire. Bien sûr, les banquiers, en bon professionnels quelque peu échaudés ces derniers temps par les turpitudes de la finance internationale, ont mis en avant le danger d’un « bank run », en référence aux mouvements de panique des années 1930 aux États-Unis qui poussaient les épargnants à réclamer en masse leurs liquidités, ce à quoi les banques ne pouvaient pas répondre2. Mais la bourgeoisie sait bien qu’un « bank run » ne se décrète pas, qu’il est lié justement à une panique qui se diffuse de façon incontrôlable et que c’est justement ce caractère incontrôlable – et donc incontrôlé – qui en constitue tout le danger. Bref, la classe dominante savait parfaitement que l’idée de Cantona ferait le même effet, au mieux, qu’une piqûre de moustique sur la peau d’un rhinocéros.

Par contre, la bourgeoisie n’aime pas qu’on pointe les risques d’effondrement de son système et qu’on ose associer à tout ça l’idée de « révolution ». Même si l’idée d’Eric Cantona restait une utopie (dont la réalisation n’a d’ailleurs pas eu lieu le jour dit), même si elle manifestait une vision simpliste du fonctionnement du capitalisme, elle comportait une dimension fondamentale, celle de proclamer tout haut la nécessité que « le système s’écroule », et que cet écroulement proviendra d’une action massive des « petites gens », qui sont au centre de la production de valeur.

C’est pourquoi la bourgeoisie n’a pas tardé à réagir, de façon en général agressive et méprisante ; Christine Lagarde et François Baroin invitant Cantona à « se cantonner au football»3, que cela dit, il a quitté depuis un certain temps, Roselyne Bachelot rappelant que la femme de l’ex-footballeur a tourné une publicité pour une banque4… En tout cas, la classe dominante a sorti l’artillerie lourde pour dénigrer cette initiative vouée fatalement à l’échec. Même les syndicats s’y sont mis, comme FO qui a prévenu qu’en cas de mise en péril du monde de la finance, « des centaines de milliers d’emplois pourraient être mis en danger plus ou moins directement »5 .

Le fait est cependant que si la critique du système qu’elle contient est juste et légitime, la solution proposée n’en est pas une. Eric Cantona a raison de dire que c’est une action massive qui aura raison du système capitaliste, mais il a tort quand il dit que la révolution ne se fait pas dans la rue, mais dans les banques. Car si un « bank run » mettrait sans aucun doute les banques sollicitées dans une situation périlleuse, cette situation ne le serait pas plus que celle dans laquelle elles étaient en 2008, quand tous les grands États du monde sont venus à leur secours à renfort de centaines de milliards de dollars ou d’euros ! Par contre, si ces vingt millions de clients des banques, qui sont aussi la force économique centrale du capitalisme par leur travail, descendent dans la rue, se mettent en grève et réclament des comptes à leur classe dominante sur l’aggravation constante de leurs conditions de travail et de vie, sur la baisse de leurs revenus, sur la destruction de la « protection sociale », cette fois les comptes à rendre ne se chiffreront plus en dollars ou en euros, mais en nombre de travailleurs unis, conscients et combatifs.

Le rapport de force s’établira directement avec le pouvoir politique, l’État, et l’écroulement du système ne proviendra plus d’un manque de liquidités, toujours rattrapable, mais d’un manque de réponse de la part de la bourgeoisie aux aspirations des masses.

Retenons donc de cet épisode la grande gêne qu’il a provoqué dans la classe dominante, et l’idée essentielle (qu’on ne répandra jamais trop et que même un « footballeur » a le droit de répandre), qu’il ne dépend que de nous de continuer ou non à subir la misère et la détresse que le capitalisme nous impose depuis trop longtemps.

GD (8 décembre)

 

1Presse océan

2) C’est aussi ce qui s’est passé par exemple plus récemment en 2008 en Grande-Bretagne où des milliers de gens se sont rués aux portes de la Northern Bank menacée de faillite pour vider précipitamment leur compte.

320 minutes, 6 décembre 2010

420 minutes, 7 décembre 2010

5) Rue89.com

 

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