Soumis par Révolution Inte... le
Récemment, s’est tenu le XIXe congrès de Révolution internationale (RI), section du Courant communiste international (CCI) en France.
Les travaux de ce congrès ont notamment abouti à l’adoption de la résolution sur la situation en France que nous publions ci-dessous.
Un article tirant le bilan des travaux de ce congrès sera publié dans un prochain numéro de RI.
1. Comme l’ont diagnostiqué le Congrès de RI de 2008 et le Congrès du CCI en 2009, la violence de l’approfondissement de la crise dans lequel nous sommes entrés en 2007 a provoqué une véritable accélération de l’histoire qui aboutit à un changement rapide de toutes les données de la situation économique, sociale et politique dans la plupart des pays du monde. Cette accélération de l’histoire ne se dément pas car les manifestations actuelles de la crise en Europe autour de la faillite de la Grèce et du risque pour un certain nombre d’autres États de subir le même sort, démontrent que la bourgeoisie n’a plus de marge de manœuvre pour gérer la crise économique car elle se trouve devant les choix suivants :
– soit les États continuent à s’endetter, ce qui les mène à la faillite,
– soit ils mènent une politique d’austérité forcenée, ce qui aggravera la dépression économique.
Pour le moment, mais rien ne dit qu’il n’y aura pas de changement dans les trois mois ou l’année qui vient, les pays européens, et la France comme les autres, ont choisi de mettre en œuvre une politique d’austérité comme on n’en avait jamais vu depuis les années 1930.
2. Si l’économie française a été fortement touchée par l’approfondissement de la crise depuis la fin 2007, la baisse de la production a été plus faible que celle des autres pays. Paradoxalement, cet avantage partiel est dû aux faiblesses et archaïsmes historiques du capital français :
– le retard qu’a pris l’État français par rapport à l’attaque des conditions de vie de la classe ouvrière a permis que la consommation intérieure soutienne l’activité économique ;
– le fait que le capital français produise principalement des biens de consommation et de transport (automobile, avions) a permis le relatif maintien de la demande qui lui est adressée contrairement aux économies qui produisent beaucoup plus de biens de production.
Mais cette moins mauvaise santé de l’économie française par rapport aux autres économies européennes n’a pu exister que par un déficit budgétaire très élevé (7,5 % du PIB en 2009) et un endettement public en croissance rapide et qui est un des plus élevés (77,6 % du PIB) des grands pays européens. Cela signifie que le capital français a, pendant les deux dernières années, hypothéqué son avenir plus que beaucoup d’autres. Les faiblesses et archaïsmes du capital français ont toutes les chances de pénaliser à nouveau l’économie française dans les deux années qui viennent dans un contexte de descente dans la dépression économique, et ce d’autant plus que le capital français continue à perdre des parts du marché mondial.
3. La position du capital français se dégrade aussi au niveau impérialiste, en particulier en Afrique qui est la zone géographique où son influence a été la plus importante dans le passé.
Ainsi, dans ce qui était son pré-carré africain, la bourgeoisie française est confrontée à l’avancée des autres grands pays impérialistes, en particulier la Chine et les Etats-Unis, qui, le plus souvent, ont déjà pris pied dans ses anciennes chasses gardées :
– dans la région des Grands Lacs, la puissance américaine a déjà pris le dessus ;
– au Tchad, la domination française ne peut se maintenir qu’à travers des affrontements militaires périodiques ;
– dans les anciens fleurons de la présence française que constituaient le Sénégal et la Côte d’Ivoire, les adversaires de la France ont largement gagné en influence.
Le fait que la France se soit fait fermer la porte au nez lors du dernier sommet de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) à Addis-Abeba en février 2010 est significatif du fait que les gouvernements africains ont signifié à cette ancienne puissance tutélaire que la plupart d’entre eux ne dépendaient plus d’elle.
La bourgeoisie française n’est pas disposée à renoncer de plein gré à ses anciennes places fortes et elle ne va pas ménager ses efforts diplomatiques ou militaires pour s’y accrocher même si la réalité montre de plus en plus qu’elle n’a plus les moyens de ses ambitions. Pour tenter de garder son statut de puissance qui compte sur l’arène mondiale, l’impérialisme français a décidé de se maintenir à coté des États-Unis en Afghanistan. Mais en réalité, elle ne fait, comme ces derniers, que s’y embourber.
4. Pour en revenir à ses difficultés économiques, c’est bien parce que l’État français a bien conscience des risques que comportent ses faiblesses (cela pourrait aboutir à ce que la valeur de sa signature soit remise en cause) qu’il est en train d’aggraver fortement ses attaques contre la classe ouvrière. Non seulement il va continuer à mettre en œuvre celles qu’il avait décidées précédemment comme le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux et l’allongement de la durée des années de travail pour pouvoir obtenir une retraite complète, mais il en rajoute de nouvelles particulièrement violentes. Ces mesures consistent en la diminution de revenus sociaux comme les allocations-logement, les aides à l’emploi, aux handicapés et une plus grande imposition des retraites. En fin de compte, le gouvernement français vient de décider d’attaquer les catégories sociales qui sont les plus en difficulté et les plus vulnérables. Il est évident que dans les mois et les années qui viennent, bien d’autres attaques vont tomber contre les ouvriers de multiples usines. Mais il faut noter que les attaques que prévoient l’État contre le secteur public, compte tenu du nombre d’ouvriers et d’employés touchés, ainsi que de l’extension géographique de ce secteur, vont être un facteur d’extension de la lutte que n’ont pas celles qui auront lieu dans telle ou telle usine.
5. Les attaques qu’a subies la classe ouvrière depuis la fin 2007, avec l’approfondissement de la crise ont provoqué un changement réel d’état d’esprit dans la classe ouvrière à cause des menaces qui pèsent sur elle. Si, jusque là, la conscience de la précarisation de ses conditions d’existence avaient été le réel moteur de la reprise des luttes au niveau international depuis 2003, les ouvriers ont compris, avec raison, que la nouvelle menace est celle de la chute dans un état dans lequel ils n’auraient même plus le strict nécessaire pour que leur famille puisse se loger, manger et s’habiller. La peur de cette chute dans la misère absolue a d’abord provoqué un état de prostration de l’ensemble de la classe ouvrière, ce qui a abouti à ce que les ouvriers qui étaient licenciés se défendent de façon isolée. C’est pendant toute cette époque qu’ont éclaté des grèves, particulièrement en France, que les syndicats n’ont eu aucun mal à maintenir dans l’isolement, pour la revendication de meilleures indemnités de licenciements. Les séquestrations de cadres ou le saccage de locaux qui ont eu lieu parfois n’étaient pas des signes de force de la classe ouvrière, mais de son impuissance.
6. Mais la violence avec laquelle la crise entraîne dans un dénuement croissant des secteurs de plus en plus massifs de la classe ouvrière est en train de provoquer un nouveau changement d’état d’esprit dans la classe ouvrière au niveau international. Les luttes des ouvriers de Teckel en Turquie, de Vigo en Espagne, de Lindsay en Grande-Bretagne, de même que les mobilisations massives qui ont eu lieu en Grèce contre un plan d’austérité qui ampute le revenu des ouvriers de plus de 20 % montrent que l’impact sur ces derniers des coups portés par la bourgeoisie tend à changer depuis un an ou deux. De manière générale, lors de ces luttes, les ouvriers ne se sont pas laissés enfermer dans l’usine et la corporation mais sont allés rechercher la solidarité d’autres secteurs de la classe ouvrière. De plus, dans un certain nombre de cas, les ouvriers n’ont pas accepté le matraquage des campagnes nationalistes de la bourgeoisie. En effet, que ce soit en Turquie ou en Espagne, les ouvriers de plusieurs nationalités ou ethnies ont lutté de manière solidaire. En Grande-Bretagne, dans la lutte à Lindsay, en pleine campagne syndicale contre les ouvriers portugais, des expressions sont apparues sur le fait que les ouvriers de tous les pays devaient être unis. Toutes ces tendances qui ont existé dans certaines luttes depuis un an sont le signe que les ouvriers sont tellement indignés et en colère à cause des mesures que l’on prend contre eux ou contre leurs camarades qu’il leur apparaît “que l’on ne peut pas laisser faire çà” et qu’il faut agir ensemble. Cette tendance a abouti à un début de remise en cause des syndicats et de leurs mots d’ordre visant à durcir la lutte chacun dans son coin. Aussi limité que cela soit, une telle tendance implique déjà un certain niveau d’initiative des ouvriers, les premiers pas qui les mènent à prendre leurs luttes en main.
7. Même si cela a été moins spectaculaire qu’en Turquie, en Espagne et en Grèce, cette tendance a aussi existé en France ces derniers mois. La grève dans les raffineries de pétrole qui a commencé fin janvier 2010 à la raffinerie Total de Dunkerque a gagné toutes les raffineries du groupe en France parce que les ouvriers des autres établissements, se sachant aussi menacés, se sentaient solidaires de ceux qui allaient être licenciés à Dunkerque. Et la lutte a eu tendance à gagner les autres groupes de raffinage du pétrole en France parce que des bruits insistants existent partout sur de futures fermetures de site de raffinage de tel ou tel groupe. De même, on a vu se développer fin 2009 ou début 2010 des grèves touchant simultanément plusieurs établissements, voire tous les établissements d’une entreprise (Ikea, Barry’s, Crown). Il est certain que les grèves qui ont eu lieu en France ne se sont étendues qu’au sein d’une même entreprise et non à un niveau géographique comme cela a été le cas en Turquie et en Espagne, mais la presse locale a laissé filtré qu’il s’agissait bien de grèves de solidarité. Cette tendance s’est suffisamment répétée pour que nous puissions dire qu’elle fait partie du changement d’état d’esprit qui a lieu au sein de la classe au niveau international.
8. Si cette tendance qui a lieu au niveau international et qui s’est aussi exprimée en France est un élément important qui montre que la classe ouvrière tend à sortir de la prostration qu’avaient provoquée les angoisses de l’approfondissement de la crise, il faut être conscient qu’elle n’en est qu’au début d’une évolution de ses luttes et de sa conscience qui lui permettront de retrouver son identité de classe. Seules des grèves massives permettront au prolétariat de retrouver son identité de classe, condition pour qu’il puisse réellement prendre en charge ses luttes et comprendre que les perspectives de son combat se situent “au-delà” du système capitaliste. Le nouvel état d’esprit qui est en train de se développer au sein de la classe mène à des confrontations avec les syndicats, mais, tant que les ouvriers n’auront pas pris confiance en leur force, les organisations syndicales apparaîtront aux yeux de ces derniers comme le seul moyen d’être protégés contre les attaques. De ce fait, même si dans les moments les plus intenses des luttes il peut exister une tendance à les remettre en cause, elles pourront reprendre une position de force une fois les luttes terminées.
9. La bourgeoisie a été surprise par la violence de l’approfondissement de la crise. En conséquence, elle n’avait pas réorganisé ses partis de gauche et leur idéologie (en fonction des questions que posent cet approfondissement) afin de donner de fausses perspectives et de dévoyer l’éventuelle réflexion qui peut exister au sein de la classe ouvrière et de ses minorités. En conséquence, face aux réactions limitées qui ont existé au sein de la classe ouvrière contre les attaques dont elle a fait l’objet, elle a mis en avant les syndicats en vue de faire en sorte que les luttes qui éclatent restent isolés et que le mécontentement qui existe au sein du secteur public s’épuise en journées d’action organisées tous les deux ou trois mois. Les syndicats semblent réorganiser leur attitude face au nouvel état d’esprit qui se développe au sein de la classe ouvrière. Ainsi les dernières luttes qu’ils ont organisées à la SNCF et à Airbus avaient pour objectif d’épuiser les travailleurs les plus combatifs dans des grèves longues et isolées. Il s’agit pour les syndicats de renforcer dans la tête des ouvriers le sentiment de leur propre impuissance.
10. L’incapacité de la bourgeoisie à prévoir la violence de l’approfondissement de la crise a provoqué beaucoup d’indécision, en France comme dans les autres pays, quant à l’organisation qu’elle doit se donner. De façon évidente, beaucoup de questions se posent qu’elle n’a pas résolues, en particulier celle d’offrir aux ouvriers une idéologie qui apparaisse comme une rupture radicale avec le capitalisme. En dehors de la préoccupation réelle de trouver une équipe compétente pour gérer le capital français et garder une certaine influence de l’impérialisme français (et de surmonter le “n’importe quoi” qui caractérise l’équipe actuellement au pouvoir), la préoccupation majeure est de mettre en place des formules politiques susceptibles de faire passer les attaques contre la classe ouvrière et de faire face à des luttes massives qui pourraient déborder les syndicats. Les commentaires des médias à l’égard de la situation en Grèce montrent que la peur de telles luttes est une préoccupation majeure de la bourgeoisie des pays développés. De manière immédiate, compte-tenu du résultat des élections présidentielles de 2007, la direction du PS a choisi de prendre une posture oppositionnelle classique critiquant les attaques et prônant une politique de relance. Pour les prochaines échéances électorales, comme on l’a vu aussi récemment en Grande-Bretagne malgré toute l’habilité de l’appareil politique de ce pays, la bourgeoisie française est en grande difficulté. C’est notamment pour cette raison que cette bourgeoisie n’a pu affirmer une perspective claire du point de vue des moyens politiques à mettre en place pour faire passer les attaques futures :
soit maintenir la droite au pouvoir et une gauche “combative” dans l’opposition susceptible de canaliser et dévoyer la colère ouvrière ;
soit faire venir un centre-gauche au pouvoir qui fasse passer les attaques sous couvert d’égalité devant l’effort à consentir ; ce centre gauche serait secondé par les Verts pour noyer un peu plus les préoccupations et les questionnements qui existent au sein de la classe ouvrière et de la société,
En tout état de cause, que ce soit dans les deux années qui viennent ou plus tard, les attaques que va devoir faire passer la bourgeoisie vont être particulièrement graves et il n’est pas exclu que les équipes chargées de gérer le capital national puissent changer suivant l’évolution de la lutte de classe.
11. Comme l’ont montré les dernières élections régionales, et particulièrement le taux record d’abstentions à celles-ci, le discrédit des deux grands partis de la bourgeoisie française est très profond au sein de la classe ouvrière. En conséquence, la bourgeoisie ne peut pas se passer de partis d’extrême-gauche, capables d’orienter vers des impasses ou de fausses perspectives les ouvriers qui se posent des questions sur l’avenir du système capitaliste.
Pourtant, à ce niveau aussi, la bourgeoisie a été surprise par le questionnement qui ne pouvait que découler de la misère qui se répand.
Ainsi, la transformation de la LCR en un NPA qui aurait eu la capacité de récupérer l’ensemble des questionnements de la jeune génération apparaît comme une grosse bévue car la question essentielle qui se pose est celle des attaques économiques par rapport auxquelles ce “nouveau” parti s’est montré très mal armé. Les succès qu’il avait obtenus au sein de la jeune génération autour de la lutte contre le CPE se sont déjà dissipés.
Cela dit, nous assistons à une réorientation en cours au sein des forces d’extrême gauche de la bourgeoisie. C’est le cas avec la mise en avant du Parti de Gauche utilisant les réseaux de “l’astre mort” qu’est le PCF et campant sur le mot d’ordre “les riches doivent payer”. C’est le cas aussi au sein du NPA lui-même où on constate l’apparition de deux tendances ; l’une favorable à une alliance avec toute la gauche (PS, PC, PG, verts, différents syndicats) face aux attaques contre les retraites, l’autre refusant une telle alliance et se refaisant des habits aux couleurs du “communisme”, de l’auto-organisation des luttes, de l’internationalisme et de la “révolution”. Cela montre que la bourgeoisie veut relancer une extrême gauche à la tonalité plus classique susceptible de mettre en avant des réponses mystificatrices à la crise du capitalisme et à la misère à côté de celles des partis de gauche traditionnels.
Enfin, tant le passé récent des luttes en France, que les luttes en Grèce ainsi que les campagnes que la bourgeoisie fait autour d’elles, doivent accroître notre vigilance sur le fait que la bourgeoisie va probablement essayer de polariser l’attention sur les groupes défendant la violence comme seul réel moyen de lutte.
12. La violente inflexion dans le rythme de la crise que nous sommes en train de vivre pose et va poser beaucoup de questions à la classe ouvrière. L’intervention des révolutionnaires sera déterminante pour que la classe puisse s’orienter face à ces questions et puisse réfléchir sur la signification de la vague d’attaques qu’elle est en train de subir. Cette intervention doit s’assigner plusieurs objectifs.
Tout d’abord, même si ce n’est qu’à travers des luttes massives que la classe ouvrière prendra conscience de sa force et de son identité, nous devons être particulièrement en éveil et donc écouter et intervenir par rapport au questionnement qui existe dans des minorités tant sur le sens de l’évolution catastrophique du capitalisme que sur la force sociale qui peut le renverser. Face à ces minorités, nous devons promouvoir la discussion la plus large possible afin d’être un facteur actif dans leur développement politique.
Face au désarroi qui est largement majoritaire dans la classe ouvrière, il est nécessaire, dans les luttes et en dehors des luttes, de montrer d’une part, le chemin et les moyens du combat prolétarien et, d’autre part, de mettre en évidence comment les syndicats et les partis de gauche n’ont pour autre objectif que d’empêcher et de casser tout effort des ouvriers de développer ce combat.
CCI (mai 2010)